Le syndrome hépato-cutané - Revue de Médecine Vétérinaire
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Le syndrome hépato-cutané - Revue de Médecine Vétérinaire
CAS CLINIQUE Le syndrome hépato-cutané : étude d'un cas et synthèse des données actuelles chez le chien ° M.C. CADIERGUES, ° M. DELVERDIER, °° A. DIQUELOU, °° O. DOSSIN et ° M. FRANC ° Unité de Dermatologie, École Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23, chemin des Capelles, F-31076 Toulouse cedex 3 °° Unité de Médecine interne, École Nationale Vétérinaire de Toulouse, 23, chemin des Capelles, F-31076 Toulouse cedex 3 RÉSUMÉ SUMMARY Le syndrome hépato-cutané est une affection rare du chien âgé, chez qui, inversement à l'homme, il est associé fréquemment à une hépatopathie chronique d'origine souvent idiopathique, ou plus rarement à une tumeur pancréatique (glucagonome). La dermatose, généralement motif de consultation, est symétrique, érythémateuse, érosive, ulcérative et croûteuse avec des lésions localisées aux jonctions cutanéo-muqueuses et aux zones de pression. L'hyperkératose des coussinets avec ou sans fissuration et ulcération est très fréquente. Le cas clinique d'une chienne épagneul breton de 13 ans, traitée depuis deux ans pour épilepsie avec une association de phénobarbital, bromure de potassium et bromure de camphre et présentée pour une léthargie associée à une pododermatite quadripodale apparues depuis plusieurs mois, est décrit. Hepatocutaneous syndrome : a clinical case and litterature review. By M.C. CADIERGUES, M. DELVERDIER, A. DIQUELOU, O. DOSSIN and M. FRANC. MOTS-CLÉS : syndrome hépato-cutané - dermatite nécrolytique superficielle - chien. KEY-WORDS : hepatocutaneous syndrome - superficial necrolytic dermatitis - dog. Introduction Le syndrome hépato-cutané est caractérisé cliniquement par une dermatose symétrique, croûteuse et ulcérative des jonctions cutanéo-muqueuses et des points de pression, associée à des signes généraux engendrés par l'affection causale sous-jacente. Le syndrome hépato-cutané, appelé également dermatite nécrolytique superficielle, érythème nécrolytique migrant ou nécrose épidermique métabolique est une affection rare, progressive et généralement fatale du chien. Chez l'homme, la maladie est le plus souvent un marqueur cutané d'une tumeur sécrétante du pancréas (glucagonome), plus rarement d'un dysfonctionnement hépatique ou gastro-intestinal [2]. Chez le chien au contraire, il est associé fréquemment à une hépatopathie chronique [2, 3, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 16] d'origine souvent idiopathique, ou plus rarement à une tumeur pancréatique [1, 4, 12, 17, 18, 19, 20]. Un seul cas a été rapporté en détail chez le chat, pour un animal atteint d'un carcinome pancréatique [15]. Une dermatose vésiculeuse et ulcérative semblable a été décrite chez le rhinocéros noir (Diceros bicornis) maintenu en captivité [13]. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 11, 1047-1052 A 13-year-old spaniel dog developped superficial necrolytic dermatitis associated to a liver cirrhosis probably secondary to a long lasting treatment with phenobarbital. The dog was lethargic. Skin lesions occured in footpads and then in the muzzle and periocular zone. Laboratory evaluation showed normal glycemia, elevations in activity of liver enzymes and microcytic, hypochromic anemia. Histologically, lesions confirmed hepatocutaneous syndrome. Clinical, hematological and histopathological aspects are discussed. Anamnèse Une femelle Epagneul Breton âgée de 13 ans est présentée en consultation pour une léthargie associée à une pododermatite quadripodale apparues depuis plusieurs mois. La chienne est traitée depuis deux ans pour des crises d'épilepsie avec une association de phénobarbital, bromure de potassium et bromure de camphre (Crisax®, Laboratoires TVM) à raison de 1 comprimé matin et soir. Plusieurs antibiothérapies locales et générales ont été instaurées au cours des derniers mois par le vétérinaire traitant sans amélioration cutanée notable. 1048 CADIERGUES (M.C.) ET COLLABORATEURS Examen clinique L'animal est en bon état d'entretien, mais paraît apathique. L'appétit est conservé. Le propriétaire ne rapporte pas de commémoratifs de diarrhée ou de vomissements ni d'augmentation de la quantité d'eau bue ou d'urine émise. Une gêne lors de la marche est signalée ainsi qu'un léchage occasionnel des espaces interdigités. L'animal est normotherme, ses muqueuses, son temps de remplissage capillaire, ses fréquences cardiaques et respiratoires apparaissent normaux. La cavité buccale ne présente pas d'anomalie. Une adénomégalie modérée des nœuds lymphatiques préscapulaires et poplités est notée. L'abdomen est volumineux, la palpation révèle une hépatomégalie importante sans douleur notable. De plus, l'animal présente une dermatose sévère concernant les extrémités des quatre membres. Une hyperkératose marquée des coussinets est associée à une dermatite érosive, croûteuse et suintante en périphérie (figures 1 et 2). Une plage dépilée et érythémateuse avec des ulcères et des croûtes est visible en zone dorsale (figure 3). Les éléments recueillis lors de l'interrogatoire du propriétaire et de l'examen clinique (hépato-toxicité des barbituriques, hépatomégalie, type et répartition des lésions cutanées) nous conduisent à suspecter un syndrome hépatocutané. Afin de confirmer cette hypothèse, un bilan biochimique et un examen hématologique sont réalisés. Des biopsies cutanées sont effectuées à l'aide d'un biopsy-punch en zone dorsale. Une échographie abdominale est programmée. Dans l'attente des résultats seule l'application locale d'un topique désinfectant et cicatrisant (Cothivet®) est préconisée. Examens complémentaires Les dosages biochimiques (tableau I) révèlent une augmentation très significative des phosphatases alcalines (550 U/l) et des ALAT (192 U/l), les valeurs usuelles chez le chien étant [20-155] et [3-50] respectivement. La glycémie est normale. La numération formule sanguine (tableau II) révèle l'existence d'une légère anémie microcytaire, hypochrome. Les biopsies cutanées (figures 4 et 5) montrent une dermatite superficielle périvasculaire hyperplasique avec : — squamo-croûtes avec nombreux polynucléaires altérés et bactéries, — hyperkératose ortho et parakératosique superficielle et infundibulaire, — oedème kératinocytaire et spongiose diffus des strates superficielles de l'épiderme, — basophilie et hyperplasie des cellules basales de l'épiderme, ce qui est tout à fait évocateur d'un syndrome hépatocutané. L'échographie abdominale montre un foie très hétérogène avec de nombreux nodules hypoéchogènes évoquant des foyers de régénération (figure 6). Le propriétaire ne souhaitant pas poursuivre les investigations, il n'a pas été réalisé de biopsie hépatique qui aurait permis de mieux qualifier l'hépatopathie. L'ensemble de ces observations permet donc de conclure à l'existence d'un syndrome hépato-cutané avec cirrhose hépatique dont l'origine est peut-être à rechercher dans l'utilisation de barbituriques sur une longue période. Évolution L'animal est revu un mois plus tard. Son état s'est considérablement aggravé. Les lésions érosives et croûteuses siègent maintenant sur la face : pourtour des babines et des yeux, truffe, chanfrein (figures 7, 8 et 9) ainsi qu'au niveau des points de pression. La cavité buccale n'est pas atteinte, les lésions des extrémités podales se sont aggravées. Devant l'évolution clinique rapide et le mauvais pronostic, l'euthanasie est demandée quelques jours plus tard. L'examen nécropsique a mis en évidence une hyperplasie nodulaire du pancréas. Le foie était bosselé avec de nombreux nodules de couleur hétérogène, de consistance ferme signant une hyperplasie régénératrice et une fibrose en réponse à une atteinte chronique dégénérative (figure 10). Le rein présentait une congestion passive à la jonction corticomédullaire et un cortex granuleux à la coupe. L'examen histopathologique des ces organes a montré : — une hyperplasie acineuse pancréatique nodulaire et une fibrose péricanalaire, — une cirrhose hépatique associant des lésions élémentaires de dégénérescence hépatocytaire vacuolaire, d'hyperplasie nodulaire parenchymateuse, de fibrose portale et périportale et d'hyperplasie focale des cholangioles, TABLEAU I. — Paramètres biochimiques de l’animal et valeurs usuelles. — une absence de lésions élémentaires rénales d'intérêt diagnostique. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 11, 1047-1052 LE SYNDROME HÉPATO-CUTANÉ : ÉTUDE D’UN CAS ET SYNTHÈSE DES DONNÉES ACTUELLES CHEZ LE CHIEN FIGURE 1. — Extrémité podale montrant l'hyperkératose des coussinets, cliché réalisé lors de la consultation initiale. FIGURE 3. — Dépilation en région dorsale avec érythème, ulcères et croûtes, cliché réalisé lors de la consultation initiale. FIGURE 2. — Extrémité podale montrant la dermatite érosive, croûteuse et suintante en périphérie des coussinets, cliché réalisé lors de la consultation initiale. FIGURE 4. — Peau - chien (hémalun-éosine, x 100) : dermatite superficielle périvasculaire avec : - parakératose superficielle, - œdème de la couche épineuse, - hyperplasie de la couche basale de l'épiderme. Ces lésions élémentaires constituent le tryptique diagnostique de la dermatite nécrolytique superficielle. FIGURE 5. — Peau - chien (hémalun-éosine, x 100) : champ montrant l'extension à l'infundibulum d'un follicule de l'œdème de la couche épineuse. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 11, 1047-1052 1049 1050 CADIERGUES (M.C.) ET COLLABORATEURS FIGURE 6 a. — Image échographique montrant un foie très hétérogène avec de nombreux nodules hypoéchogènes évoquant des foyers de régénération. FIGURE 7. — Extension des lésions à la face : périphérie oculaire, babines et chanfrein, cliché réalisé à J+30. FIGURE 9. — Lésions érosives et croûteuses sur le chanfrein, cliché réalisé à J+30. FIGURE 6 b. — Schématisation de l’image ci-contre : F = foie,.N = nodules hypoéchogènes ; VP = vascularisation porte. FIGURE 8. — Lésions érosives autour de la truffe, début de dépigmentation de la truffe, cliché réalisé à J+30. FIGURE 10. — Aspect nécropsique du foie montrant des nodules de couleur hétérogène, de consistance ferme signant une hyperplasie régénératrice et une fibrose en réponse à une atteinte chronique dégénérative. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 11, 1047-1052 LE SYNDROME HÉPATO-CUTANÉ : ÉTUDE D’UN CAS ET SYNTHÈSE DES DONNÉES ACTUELLES CHEZ LE CHIEN 1051 TABLEAU II. — Paramètres hématologiques de l’animal et valeurs usuelles. Discussion Les mécanismes étio-pathogéniques de cette affection sont mal connus chez les animaux comme chez l'homme. Chez ce dernier, du fait de la grande fréquence de tumeurs sécrétrices de glucagon associées à l'érythème nécrolytique migrant, les effets cataboliques du glucagon ayant pour conséquence une hypoaminoacidémie ont été mis en cause. Par son développement permanent et ses besoins spécifiques en certains acides aminés (histidine, lysine), l'épiderme serait particulièrement sensible. Chez le chien, des glucagonomes n'ont été identifiés que dans un faible nombre de cas (moins de 10 %) [1, 4, 12, 17, 18]. Néanmoins, l'hyperglucagonémie pourrait être secondaire au dysfonctionnement hépatique, le glucagon étant physiologiquement dégradé par le foie. Dans ce cas, le glucagon pourrait jouer un rôle dans le syndrome hépatocutané mais n'en serait pas à l'origine. De la même façon que chez l'homme, la dégénérescence des kératinocytes pourrait résulter d'un déficit nutritionnel de ces cellules (en acides aminés, zinc, acides gras essentiels) résultant lui-même d'une insuffisance hépatique et/ou d'une hyperglucagonémie. Les causes d'insuffisance hépatique restent souvent inexpliquées, l'utilisation de primidone [6] ou l'ingestion de mycotoxines [9] ont été rapportées. Dans le cas présenté ici, l'utilisation de phénobarbital pendant 2 ans peut tout à fait être à l'origine de la cirrhose hépatique. Revue Méd. Vét., 2000, 151, 11, 1047-1052 L'existence et la forte prévalence (50 %) d'une dermatite vésiculeuse et ulcérative chez le rhinocéros noir maintenu en captivité, très proche cliniquement et histologiquement d'une dermatite nécrolytique superficielle suggère que des modifications métaboliques secondaires à un stress ou à une nourriture inadaptée (dans la nature, cet animal se nourrit de plus de 200 espèces de plantes appartenant à 49 familles botaniques et a des préférences pour certaines plantes, en captivité il ne dispose généralement que de foin) peuvent contribuer au développement de cette pathologie sans hépatopathie associée [13]. Le syndrome hépato-cutané atteint des chiens âgés, sans prédisposition de race ni de sexe. La dermatose est généralement le motif de consultation, les signes dermatologiques précédant souvent les signes généraux. Les autres motifs sont une léthargie (présente ici), anorexie, amaigrissement ou des difficultés locomotrices. La dermite est symétrique, érythémateuse, érosive, ulcérative et croûteuse au niveau des jonctions cutanéo-muqueuses (babines, paupières, truffe, zone ano-génitale) et des zones de pression (extrémités podales, creux axillaires, abdomen, coudes). L'hyperkératose des coussinets avec ou sans fissuration et ulcérations est décrite dans plus de 90 % des cas [2]. Du prurit et/ou de la douleur peuvent être observés. Des complications bactériennes et/ou fongiques (Malassezia, Candida) sont fréquentes. Les autres lésions cutanées débu- 1052 tent par de l'érythème puis se transforment en plaques croûteuses qui peuvent devenir coalescentes, annulaires ou serpigineuses (d'où le terme d'érythème nécrolytique migrant). Les érosions sont régulièrement visibles. La cavité orale n'est atteinte que dans 10 % des cas [2]. Les perturbations biochimiques et hématologiques sont fréquentes : les phosphatases alcalines sont augmentées dans tous les cas, les alanine amino-tranférases le sont très fréquemment. Une hyperglycémie voire un diabète sont souvent notées (les premiers cas ont été décrits chez des animaux diabétiques [19, 20]), l'hypoalbuminémie est de règle. La concentration sanguine de glucagon est souvent élevé mais n'est pas spécifique du glucagonome : en effet on note une hyperglucagonémie lors de diabète, pancréatite, insuffisance hépatique chronique. Une anémie normocytaire, normochrome non régénérative est fréquente. Les lésions histologiques du syndrome hépato-cutané sont caractéristiques : classiquement qualifiées de lésions "rose blanc - bleu", elles correspondent à une hyperkératose parakératosique avec des croûtes en superficie (rose), un œdème et une nécrolyse de la couche kératinocytaire dans les strates supérieures de l'épiderme (blanc) et une hyperplasie des couches profondes de l'épiderme (bleu). Les zones érythémateuses avec des croûtes peu adhérentes sont les lieux à privilégier lors des biopsies. Une échographie abdominale complétée par des biopsies hépatique et pancréatique orientera le diagnostic étiologique [7]. A l'échographie, on note des nodules hypoéchogènes correspondant à des foyers de régénération. Dans les cas d'atteinte hépatique associée au syndrôme hépato-cutané, les images de fibrose, caractéristiques des cirrhoses, semblent absentes [14]. Le diagnostic différentiel doit envisager le pemphigus foliacé, la leishmaniose, le lupus érythémateux disséminé, la dermatose répondant à l'administration de zinc, l'érythème polymorphe idiopathique et certaines carences nutritionnelles multiples ("generic dog food dermatosis"). Lorsque la clinique et l'histopathologie sont en faveur d'un syndrome hépato-cutané alors qu'aucun paramètre biochimique n'est en faveur d'une atteinte hépatique, qu'une hyperglycémie est présente, une tumeur sécrétante du pancréas (glucagonome) doit être envisagée. Le pronostic est sombre, la plupart des chiens meurent ou sont euthanasiés dans les 5 mois qui suivent l'apparition des signes dermatologiques [11]. Il n'existe pas de traitement spécifique du syndrome hépato-cutané chez le chien. Lors de glucagonome avéré, l'exérèse chirurgicale peut être envisagée. On peut espérer améliorer temporairement l'état cutané de l'animal en luttant contre les surinfections bactériennes et fongiques, en supplémentant le chien avec des acides aminés injectés par voie veineuse [2], administrés par voie orale sous forme de jaunes d'œufs (3-6 par jour) [5] ou d'un aliment hyperdigestible à base de protéines de haute qualité [2]. Une supplémentation CADIERGUES (M.C.) ET COLLABORATEURS en zinc et en acides gras essentiels peut s'avérer intéressante. La corticothérapie améliore momentanément les lésions cutanées mais risque d'aggraver un état pré-diabétique ou l'insuffisance hépatique. Bibliographie 1. — BOND R., MCNEIL P.E., EVANS H. et SREBERNIK N. : Metabolic epidermal necrosis in two dogs with different underlying diseases. Vet. Rec., 1995, 136, 466-71. 2. — BYRNE K.P. : Metabolic epidermal necrosis-hepatocutaneous syndrome. Vet. Clin. North Am. Small Anim. 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