LES PARTIS POLITIQUES: QUELLES PERSPECTIVES?

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LES PARTIS POLITIQUES: QUELLES PERSPECTIVES?
LES PARTIS POLITIQUES:
QUELLES PERSPECTIVES?
Collection Logiques Politiques
dirigée par Pierre Muller
Dernières parutions
BERTOSSI Christophe, Les frontières de la citoyenneté en Europe, 2001.
BUI-XUAN Olivia, Les femmes au conseil d'État, 2001.
RIHOUX Benoît, Les partis politiques: organisations en changement,
2001.
Jacques GERSTLÉ (sous la direction de), Les effets d'information en
politique, 2001.
Jérôme LAFARGUE, Protestations paysannes dans les Landes, 2001.
Serge TERRIBILINI, Fédéralisme, territoires et inégalités sociales,
2001.
Philippe ZITTOUN, La politique du logement, 1981-1995, 2001.
Valérie AMIRAUX, Acteurs de l'Islam entre Allemagne et Turquie,
2001.
Josepha LAROCHE, La loyauté dans les relations internationales, 2001.
Mario PEDRETTI, La figure du désobéissant en politique, 2001.
Michel-Alexis MONT ANÉ, Leadership politique et territoire, 2001.
Sous la direction de Anne Muxel et Marlaine Cacouault, Les Jeunes
d'Europe du Sud et la politique. Une enquête comparative France,
Espagne, Italie, 2001.
François BARAIZE, L'invention politique de l'agglomération, 2001.
Pierre BOUT AN, Enseigner la Région, 2001.
Lorena PARINI (dir.), Etats et mondialisation: stratégies et rôles, 2001.
Claudie BAUDINO, Politique de la langue et différence sexuelle, 2001.
Françoise DAUCE, L'Etat, l'armée et le citoyen en Russie postsoviétique, 2001.
Guy GROUX, L'action publique négociée, 2001.
Nathalie MARTIN-PAPINEAU, Lesfamilles monoparentales, 2001.
Textes réunis et présentés par Jean-François BARÉ, L'Evaluation des
politiques de développement - approches pluridisciplinaires, 2001.
Sous la direction de
Dominique ANDOLF ATTO
Fabienne GREFFET
Laurent OLIVIER
LES PARTIS POLITIQUES.
QUELLES PERSPECTIVES?
L'Harmattan
5-7, nIe de l'École-Polytechnique
75005 Paris
France
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALlE
~L'Hannattan,2001
ISBN: 2-7475-1877-9
Listes des auteurs
Dominique Andolfatto, maître de conférences de science politique,
Université de Nancy II, GREP-CERAT.
François Borella, professeur émérite de droit public, Université de
Nancy II, GREP.
Pierre Bréchon, professeur de science politique, Institut d'études
politiques de Grenoble, CIDSP.
Sophie Bourrel, maître de conférences de droit public, Université de
Nancy II, GREP.
Thierry Choffat, maître de conférences
Université de Nancy II, GREP.
Etienne Criqui, professeur
Nancy II, GREP.
de science
de science politique,
politique,
Université
de
Pascal Delwit, professeur de science politique, Université libre de
Bruxelles, CEVIPOL.
Christelle Dorget, docteur en droit européen, enseignante au Centre
européen universitaire, Université de Nancy II, CERDIE.
Fabienne Greffet, maître de conférences
Université de Nancy II, GREP-CIDSP.
de science politique,
Florence Haegel, chargée de recherche au CEVIPOF, CNRS-Institut
d'études politiques de Paris.
Michel Hastings, professeur de science politique, Institut d'études
politiques de Lille, CRAPS.
Abel Hermel, docteur en droit public, enseignant à l'Université de
Nancy II, GREP.
Laurent Olivier, maître de conférences
Université de Nancy II, GREP.
de science
politique,
Daniel-Louis Seiler, professeur de science politique, Institut d'études
politiques de Bordeaux.
Mwayila Tshiyembé, docteur en droit public et en science politique,
enseignant à l'Université de Paris XII, GREP-IRENEE.
Benoît Verrier, doctorant en science politique, attaché temporaire
d'enseignement et de recherche, Institut d'études politiques de
Strasbourg, GSPE.
Tanguy Wuillème,
maître de conférences en sciences de
l'information et de la communication, Université de Nancy II, GRICP.
Sigles des équipes de recherches:
CERDIE: Centre d'études et de recherches en droit international et
européen (Nancy).
CERA T: Centre de recherche sur le politique, l'administration,
ville et le territoire (Grenoble).
la
CEVIPOF : Centre d'étude de la vie politique française (Paris).
CEVIPOL: Centre d'étude de la vie politique (Bruxelles).
CIDSP: Centre d'informatisation
(Grenoble).
des données
socio-politiques
CRAPS: Centre de recherches administratives, politiques et sociales
(Lille) .
GREP : Groupe de recherches et d'études politiques (Nancy).
GRICP: Groupe de recherche en information, communications et
propagandes (Nancy).
GSPE : Groupe de sociologie politique européenne (Strasbourg).
IRENEE: Institut de recherches sur l'évolution de la nation et de
l'Etat en Europe (Nancy).
6
Sommaire
Introduction.
........................................................
1ère partie:
CADRES
CONTEMPORAINES
D' ANALYSE
Partis politiques et administration
Michel
Hastings.
Pierre
dans
B réchon.
du sens
les
grandes
des partis
21
enquêtes
.................... ............. ...... ..
L'actualité de l'approche
clivages socio-politiques
Daniel-Louis
ET REALITES
. .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . .. ..
Les partis politiques
internationales
9
en termes
37
de
Seiler. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
49
Existe-t-iI une nouvelle approche dans l'étude des partis
politiques?
François
Borella.
. .. . . . .. . . . . . .. . .. . . . . . . . . . . .. . .. . . . . ..
71
2ème partie:
INDIVIDUATION
ET FRAGMENT
A TION DES ORGANISATIONS
A la recherche
organisationnels:
Florence
de la «densité»
l'exemple du RPR
Haegel.
des phénomènes
. . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . ..
Les adhérents: une ressource réévaluée
Dominique Andolfatto................................
La notion de «parti alternatif»:
une comparaison
France, Allemagne, Belgique
Pascal Delwit..........................................
Une organisation éphémère:
Thierry
Choffat.
83
99
115
le RPF
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
135
Partis européens et partis nationaux:
cas français
Christelle
Dorget.
les ambiguïtés du
. .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. . ..
3ème partie:
BROUILLAGE
DES IDENTITES
145
ET CONSTRUCTION
Les partis politiques français sur le web
Fabienne
Greffet.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ...
Le Parti socialiste et le débat sur le renouveau
social-démocratie
Laurent
Olivier.
161
de la
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
179
Recompositions
politiques et individualisation
des
identités politiques. Les regroupements politiques autour
de J.-P. Chevènement à propos de la question corse
B enoît
Verrier.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
Le discours des partis ultra-nationalistes
des partis de gouvernement en Europe
M wa yila
T shi yembé.
201
et l'évolution
. . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . .. . ..
217
L'étude des partis sous l'angle de la communication
politique: une mise en perspective
Tanguy
4ème partie:
Wuillème.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . ..
CONTRAINTES
225
JURIDIQUES
La constitution de 1958 et les partis politiques
Sophie
Bourre!.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
241
La validité du droit interne aux partis politiques
Abel
Rermel.
. .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . ..
251
Les partis politiques et la parité
Etienne
Criqui.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
8
261
INTRODUCTION
Champ de recherche classique de la science politique, défriché
au début du XXe siècle par Moisei Ostrogorski (1902), Roberto
Michels (1911), Max Weber (1919, 1922), les partis politiques ont
suscité de nombreux travaux dans les décennies 1950-1970. Frédéric
Sawicki (1997) en a proposé un classement schématique distinguant
analyse sociétale et analyse organisationnelle. La première, selon une
approche culturelle et de politique comparée, met l'accent sur les
clivages socio-politiques propres aux Etats occidentaux et sur leur
traduction partisane. Elle a conduit également à multiplier les études
de type sociographique pour comprendre les facteurs de l'engagement
politique et du militantisme. La seconde, inspirée de l'œuvre de
Weber, Michels ou encore Schumpeter (1942) privilégie l'approche
organisationnelle ou entrepreneuriale des partis, axée sur leurs enjeux
internes, les ressources respectives de leurs protagonistes, les luttes de
pouvoir.
Ce champ de recherche a semblé laissé en jachère depuis une
vingtaine d'années, même si quelques publications ou rencontres
toutes récentes révèlent un regain d'intérêt, comme en témoignent le
cycle de journées d'études organisées par le CEVIPOF dans le cadre
de ses «lundis », pour l'année 2000-2001, un colloque prévu par
l'AFSP début 2002, ou encore les manuels de Daniel-Louis Seiler
(2000) ou de Pierre Bréchon (1999).
Un objet d'analyse
toujours heuristique
Le désintérêt relatif des politistes français pour les partis
politiques est indissociable d'une recomposition des formes
d'engagement et de participation politique, du déclin de la visibilité
des idéologies et de l'affaiblissement apparent de leur élaboration.
Plus globalement, une certaine crise de la représentation collective
affecte les partis comme d'autres formes d'organisations syndicales ou
associatives, qui empruntent au modèle classique du fédéralisme
associatif. Ainsi, pour reprendre un propos de Pierre Rosanvallon
(1998), on a assisté dans les années 1990 à une « désociologisation de
la politique» et au passage d'une «démocratie de confrontation» à
une « démocratie d'imputation» fondée sur une évaluation de l'action
des seuls individus.
Parallèlement, les partis politiques en tant qu'objet ont été
remis en question. Il est apparu que les frontières du phénomène
partisan étaient floues, que les acteurs du débat public étaient à la fois
plus diversifiés, plus fluides, plus interpénétrés que ce que laisse
percevoir une vision trop réifiée de la démocratie, à travers
notamment les organisations politiques. De surcroît, de nouvelles
formes d'engagement politique se sont développées et tendent à
supplanter les partis, dans leur dimension sociétale, comme le montre
un certain succès des «nouveaux mouvements sociaux ». Dans les
années 1990 - à tout le moins en France - le plus grand nombre de
recherches sur l'engagement et le militantisme se sont d'ailleurs
portées sur ces mouvements(Neveu, 2000 ; Siméant, 1998)1.
Pour autant, le découplage entre l' activisme citoyen et le
militantisme partisan n'a pas scellé la disparition des partis politiques.
C'est surtout la notion de parti homogène, discipliné, « holiste », selon
la définition du «parti de masse» (Duverger, 1951), qui a été
sérieusement malmenée. Un nouveau type organisationnel semble
néanmoins émerger ces dernières années avec le «parti de cartel »,
théorisé par Richard Katz et Peter Mair (Katz et Mair, 1994 ; Mair,
1997), lequel se veut résolument tourné vers l'exercice du pouvoir et
tend à prendre la forme d'une agence dépendant de l'Etat, en raison
notamment de l'institution d'un financement public des activités
politiques.
A y regarder de plus près, la désaffection pour les travaux
relatifs aux partis relève peut-être d'un effet d'optique. Si, d'un point
de vue quantitatif, les études sur les partis politiques sont moins
nombreuses - notamment les études de cas ou les monographies l'interrogation s'est focalisée sur la nature du parti. Elle a porté sur
l'anal yse du parti comme instance de médiation traversée par les trois
logiques de l'organisation, de la société, de l'Etat. Elle a aussi remis
en question les catégorisations anciennes et déconstruit l'institution
partisane. Ainsi, Marc Sadoun et Jean-Marie Donégani (1994) ont
réfléchi au parti dans son rapport à la démocratie, comme position
intermédiaire entre l'un et le multiple, entre le politique et le social,
l'individuel et le collectif. Ils soulignent les ambiguïtés de la
perception du parti, lié au libéralisme et à la démocratie moderne,
1 Voir également le dossier intitulé « Devenir militant », de la Revue française
de science politique, vol. 51, n° 1-2, février-avril 2001. Ces références sont
bien sûr loin d'être exhaustives.
10
mais toujours soupçonné de diviser la société. Michel Offerlé (1987) a
tenté de renouveler les approches traditionnelles en dénonçant leurs
travers (normativisme, juridisme, finalisme, typologisme). Il met
l'accent sur la construction sociale des organisations: le parti est vu
comme un tissu de relations particulières (il n'existe pas en soi)
dépendant des ressources que ses membres (principalement ses
dirigeants) peuvent mobiliser dans une lutte des positions internes et
externes. Cette analyse des dispositions des acteurs politiques et de
leurs stratégies se combine avec une approche en termes de
professionnalisation ou de « métier» politique (Lagroye, 1991).
Ces analyses renouvelées ont été accompagnées de travaux
empiriques au niveau national ou local, tels ceux de Bernard Pudal
(1989) relatifs aux dirigeants du Parti communiste, qui intègrent une
dimension socio-historique et relativisent l'approche entrepreneuriale,
en montrant que les stratégies répondant à des logiques de
concurrence ne sont pas nécessairement les seules opérantes.
Frédéric Sawicki (1997), étudiant le Parti socialiste, a mis en évidence
la notion de milieu partisan, c'est-à-dire de réseau, comme « ensemble
de relations consolidées entre groupes dont les membres n'ont pas
forcément pour finalité principale de participer à la construction d'un
parti ». D'autres auteurs, comme Michel Hastings (1991), ont
privilégié la dimension anthropologique et culturelle en révélant,
s'agissant également du PCF, les matrices identitaires d'un type
d'engagement politique marqué par des traditions et des modes de
sociabilité locaux relativement autonomes du parti national.
Toutes ces études ont contribué à enrichir les analyses des
partis politiques, à souligner leur complexité, tout en les rendant
moins objectivables ou immédiatement identifiables comme réalité
politique homogène.
L'analyse des partis politiques demeure légitime malgré la
fluidité des frontières qu'exprime ce type d'organisation ou
l'individuation
de l'engagement
qui suggère une certaine
indifférenciation des modes de militantisme (Perrineau, 1994; Ion,
1997). Si les formes classiques d'organisations partisanes peuvent
apparaître obsolètes, d'autres les remplacent, caractérisées par de
nouveaux modes de structuration, de militantisme ou d'insertion dans
le tissu social. On observe, par exemple, que les partis «se
sécularisent» en se prêtant à de nouvelles expériences de participation
ou de médiatisation, en s'ouvrant au monde «profane»
des
sympathisants. Leur identité s'en trouve rénovée, même si leur
fonction idéologique est loin d'être univoque. Les partis doivent
également s'adapter à une société de gouvernance à plusieurs
Il
niveaux - local, national, européen - et articuler ces derniers. De ce
point de vue, l'interpénétration des partis et des réseaux locaux, la
dés allégeance des adhérents à l'égard d'un centre unificateur,
constituent une alternative au modèle traditionnel des organisations
partisanes. Enfin, le système de partis a lui-même évolué, marqué par
une tendance à la fragmentation au profit de nouveaux venus
exprimant des alternatives plus ou moins protestataires (Mayer et
Perrineau, 1989 ; Faucher, 1999), ce qui, au passage, n'exclut pas, une
certaine porosité idéologique ou organisationnelle avec les « nouveaux
mouvements sociaux ».
Reprenant et croisant ces diverses pistes, ce livre cherche à
dessiner de nouveaux contours à la notion de parti. Il est le fruit de
deux journées d'études organisées à Nancy, les 26 et 27 octobre 2000,
par le Groupe de recherches et d'études politiques (GREP). Il
développe un bilan et un état des lieux empiriques et théoriques
volontairement pluraliste, quant à ses méthodes, aux terrains choisis,
aux traditions d'analyse, voire aux disciplines (science politique, droit
public, sciences de l'information et de la communication) convoqués.
Comme son titre l'indique, ce livre essaie aussi de recenser et de
tracer des perspectives. Il s'agit d'une part de questionner sous
différents angles l'objet «partis politiques », comme on observerait la
perspective d'un monument (les partis n'en sont-ils pas un ?). La
perception des partis se modifie en effet en fonction de l'angle choisi.
Les contributions qui ont été rassemblées tentent, d'autre part,
d'ouvrir 1'horizon et d'esquisser des lignes pour l'avenir sans, pour
autant, se livrer à un travail de prospective, toujours périlleux et
illusoire. Il s'agit, plus modestement, de mettre l'accent sur quelques
tendances d'évolution particulièrement significatives.
Bilan et perspectives
Les questions soulevées par les auteurs ont été regroupées en
quatre thématiques: cadres d'analyse et réalités contemporaines;
individuation et fragmentation des organisations; brouillage et
construction des identités; contraintes juridiques pesant sur les partis.
En ouverture, les auteurs examinent l'actualité de cadres
d'analyse qu'ils ont contribué à forger ou largement utilisés. Le texte
de Michel Hastings porte un regard sur les partis politiques comme
institutions de sens, « ateliers d'identités et d'imaginaires collectifs ».
L'auteur propose de résoudre les équations posées par les partis à
travers une dynamique de l'ordre et du désordre, du dedans et du
dehors, du haut et du bas, du relatif et de l'absolu. Il montre que les
12
partis prescrivent une «grammaire du sens» à travers un récit
identitaire, un type de discours, une matrice affective, qui leur sont
caractéristiques. Leur intelligence implique de rapporter ces éléments
aux effets de contexte.
Pour Pierre Bréchon, les cadres théoriques manquent moins que
la connaissance empirique. Il montre combien la place du fait partisan
dans les grandes enquêtes internationales comparées est réduite et sa
connaissance assez faible. Ces enquêtes témoignent toutefois du rejet
généralisé des organisations politiques par les opinions publiques
interrogées, même si cette attitude doit être nuancée selon les pays.
Cela permet à Pierre Bréchon d'appréhender une des facettes de la
théorie du « parti de cartel».
Daniel-Louis Seiler revisite la tradition d'analyse issue des
travaux de Stein Rokkan (1967). Il s'interroge sur la pertinence de
l'approche par les clivages socio-politiques, dans un contexte de
recompositions politiques et de «déclin des idéologies ». Il plaide
pour l'actualité et la vitalité de ce modèle conceptuel, en proposant
une démarche expérimentale appliquée au contexte contemporain de
l'Autriche.
François Borella, refermant cette première partie, se demande
s'il existe une nouvelle approche pour l'étude des partis politiques. Il
observe les évolutions intervenues au cours de la dernière décennie:
extension des régimes multipartisans, durabilité des systèmes
politiques mais doutes tenant à leur légitimité, juridicisation et
affaiblissement sociologique. Ces changements remettent en cause les
modèles analytiques - organisationnels ou relationnels - des partis.
L'auteur plaide finalement pour un œcuménisme méthodologique et
voit dans le parti un accélérateur social.
La deuxième partie de l'ouvrage se focalise sur la relation entre
les individus et les organisations partisanes. On observe une
réappropriation des institutions par les adhérents et les sympathisants,
dont le rôle semble se renforcer. Parallèlement, les systèmes politiques
se réorganisent dans le sens d'un émiettement et d'une multipolarisation.
Florence Haegel s'interroge sur les changements récents dans
l'organisation du RPR, en s'efforçant de ne pas couper les questions
organisationnelles des autres dimensions, culturelle, sociale ou
idéologique. En se basant sur des entretiens auprès des militants de
deux fédérations, elle évalue leur perception du renforcement du rôle
des militants, de la réallocation des ressources entre eux et met à jour
la concurrence entre culture d'autorité et apprentissage démocratique.
13
Dominique Andolfatto s'intéresse au retour paradoxal des
adhérents comme élément de stabilité des partis, moyen de
légitimation et de communication politique, dans un contexte qui
demeure en fait celui de la diminution des effectifs et du recul de
l'engagement politique. Cette étude est l'occasion d'un bilan sur
l'implantation des partis en France, d'une analyse critique du
dénombrement des effectifs et d'un état des lieux des procédures de
démocratie participative dans les partis politiques.
Pascal Delwit étudie la notion de «parti alternatif» qui a
émergé dans plusieurs Etats européens, marqués par un processus de
fragmentation du système de partis. A travers les exemples français,
allemand et belge, il observe précisément l'évolution de l'audience
électorale de ces partis «alternatifs» allant de l'extrême gauche à
l'extrême droite en passant par les verts. Cela le conduit à relativiser
la pertinence de la notion et la linéarité de la progression de ces
formations.
Thierry Choffat retrace la genèse du « souverainisme » puis la
courte vie du Rassemblement pour la France. C'est l'occasion de
revisiter les conditions nécessaires à l'émergence d'une nouvelle
organisation et de démontrer, en l'occurrence, que la mise en
cohérence d'une idéologie et d'une organisation qui s'en réclame ne va
pas de soi.
Christelle Dorget s'intéresse à une structure partisane peu
développée et encore peu observée: les «europartis ». Ceux-ci sont
encore souvent perçus, particulièrement en France, comme des
organisations à usage interne des partis nationaux. De fait, ils ne
développent qu'un rôle de coordination limité, ne bénéficent pas
d'autonomie réelle. Il s'agit de «marqueurs» peu lisibles dans
l'espace politique européen. L'auteur tente néanmoins de brosser
quelques perspectives pour les conditions d'une meilleure visibilité et
d'une légitimité accrue de ces organisations.
Dans une troisième partie, les auteurs explorent les identités
politiques contemporaines. Celles-ci apparaissent à la fois multiples,
constamment redéfinies dans un certain «désordre» idéologique, et
enjeu de légitimation et de cohérence des partis. Cette complexité
interroge la fonction de production de sens des partis et sa dimension
communicationnelle.
Fabienne Greffet examine la place des partis français sur le
web. Comment les acteurs, individuels ou collectifs, se sont-ils saisis
de la communication électronique et à quels «partis» renvoient-ils?
A travers cette interrogation, il s'agit de comprendre de nouvelles
pratiques de participation et de mobilisation, qui mettent en question
14
les définitions classiques des partis. Dans le même temps, la
communication électronique apparaît davantage, pour les «grands»
partis, comme un révélateur d'identités que comme le vecteur de
nouvelles pratiques.
Laurent Olivier analyse la difficile construction d'une identité
social-démocrate par le Parti socialiste dans un contexte de
recomposition idéologique autour du débat sur la « troisième voie ». Il
montre que les socialistes français, tout en revendiquant une ouverture
à une social-démocratie modernisée, préservent un principe d'altérité
qui garde le parti de la tentation social-libérale.
Benoît Verrier s'efforce de montrer à travers l'exemple de la
question corse que l'identité politique de Jean-Pierre Chevènement
fait l'objet d'investissements et d'usages diversifiés, qui ne passent
pas nécessairement par l'encadrement partisan. Le fait politique prend
en l'occurrence une dimension que l'on pourrait qualifier de «métapartisane». Ce texte témoigne de la rupture entre approche
organisationnelle et approche relationnelle dans la manière de faire de
la politique (et de l'analyser).
Mwayila Tshiyembé revient sur le discours des partis «ultranationalistes» en France, en Autriche et en Belgique. Il souligne
combien celui-ci influence les thématiques et la stratégie des «partis
de gouvernement» et, en conséquence, l'action publique dans
différents domaines.
Tanguy Wuillème, enfin, évoque l'impact et les enjeux de la
communication politique sur les partis. Après avoir constaté les oublis
de la recherche sur les relations entre les partis et la communication
politique, il propose des voies d'analyse qui tentent de prendre en
compte l'ensemble des paramètres pour renouveler la compréhension
du rôle des partis.
L'ouvrage se termine par une réflexion sur la dimension
juridique du phénomène partisan. Elle permet de soulever le paradoxe
d'un phénomène partisan souvent marginalisé et dévalorisé, mais de
plus en plus institutionnalisé et régulé par le droit.
Sophie Bourrel s'interroge d'abord sur la place des partis
politiques dans la Constitution de la Cinquième République. Le
« statut» que celle-ci confère aux partis s'avère ambivalent et
paradoxal. Cependant, au-delà des silences de l'article 4, la
réglementation des campagnes électorales et les modes de
financement des partis politiques découlent de celui-ci et, depuis une
dizaine d'années, encadrent strictement les activités partisanes.
Mais la juridicisation de ces activités consiste également en un
processus interne aux partis, souvent ignoré. Abel Hermel se propose
15
d'aborder la question. Il montre les spécificités et l'évolution de la
réglementation interne aux partis politiques avant de souligner la
faible efficacité de ces mécanismes de régulation voire leur
détournement par les «professionnels », notamment les élus, ce qui
contribue à creuser les clivages tant avec la «base» que, plus
largement, avec la société civile.
Etienne Criqui observe et envisage les effets de la
réglementation relative à la parité dans les stratégies partisanes. Il
développe qu'au-delà d'une unanimité de façade, pour ne pas se
démarquer d'une sorte de consensus touchant à cette question, la
parité a un coût important pour les partis: risques de dissidences,
dépossession éventuelle des appareils, voire, paradoxalement,
appauvrissement militant.
La déclinaison de ces perspectives est bien sûr loin d'épuiser le
sujet. Parfois, il s'agit de pistes de recherche, d'hypothèses, que des
travaux ultérieurs doivent confirmer. Ces contributions présentent sans
doute le défaut de privilégier le cas français, même si d'autres lieux Allemagne, Autriche, Belgique, Union européenne - font également
l'objet d'investigations. L'enchaînement de ces regards croisés
renvoie au caractère unique et multiple, contradictoire et cohérent,
invariant et mutant des partis politiques.
Bibliographie
- Agrikoliansky (E.), 2000, Les partis politiques en France au 20e
siècle, Paris, Armand Colin, « Synthèse ».
- Borella (F.), 1990, Les partis politiques dans la France
d' aujourd' hui, Paris, Seuil, « Points».
- Bréchon (P.), 1999, Les partis politiques, Paris, Montchrestien,
« Clefs».
- Dreyfus (F.), dir., 2000, Nouveaux partis, nouveaux enjeux, Paris,
Publications de la Sorbonne.
- Donegani (J.-M.), Sadoun (M.), 1994, La démocratie imparfaite.
Essai sur le parti politique, Paris, Gallimard, « Folio ».
(1ère
- Duverger (M.), 1976, Les partis politiques, Paris, Armand Colin
édition en 1951).
- Charlot (J.), 1971, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, «U
prisme» .
- Hastings (M.), 1991, Halluin la rouge 1919-1939. Aspects d'un
communisme identitaire, Presses universitaires de Lille.
- Huard (R.), 1996, La naissance du parti politique en France, Paris,
Presses de Sciences Po.
16
- Faucher
(F.), 1999, Les habits verts de la politique, Paris, Presses de
Sciences Po.
- Ion (J.), 1997, Lafin des militants ?, Paris, Les éditions de l'Atelier.
- Katz (R.), Mair (P.), dir., 1994, How Parties Organize? Change and
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Sage.
- Lagroye (J.), 1991, Sociologie politique, Paris, Presses de la FNSP et
Dalloz.
- La Palombara (J.), Weiner (M.) dir., 1966, Political Parties and
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- Laurent (A.), Villalba (B.), 1997, Les petits partis: de la petitesse en
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CADRES D'ANALYSE
ET REALITES CONTEMPORAINES