Discours de Françoise Enguehard

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Discours de Françoise Enguehard
Discours de Françoise Enguehard,
présidente de la Société Nationale de l’Acadie
dans le cadre du Forum des jeunes ambassadeurs de la francophonie des Amériques
prononcé le 14 août 2010 à Shippagan, Nouveau-Brunswick
La diaspora francophone dans les Amériques
Bonjour à tous et bienvenue en Acadie. Merci de votre présence, ce matin si tôt, et merci
aux organisateurs de m'avoir conviée à vous adresser la parole sur un thème cher à mon
cœur, à ma famille et à ma carrière. Je déclare d'entrée de jeu que je ne traiterai que de
la diaspora francophone de l'Amérique du Nord, celle que je connais et au sein de
laquelle je vis depuis que je suis née.
Se dire francophone en Amérique du Nord n'est jamais une affirmation anodine, peu
importe où l'on se trouve lorsqu'on le dit : c'est tout d'abord une puissante affirmation
que nous sommes les héritiers d'un riche patrimoine linguistique, culturel et social; c'est
aussi faire preuve de fierté envers cet héritage singulier qui nous a été légué, ne
l'oublions pas, par des hommes et des femmes de courage et de détermination qu'ils
aient été premiers pionniers ou grands défenseurs de la francophonie dans les années
1970. C'est enfin, encore aujourd'hui, faire acte de courage en Amérique du Nord, dans
une société de plus en plus américanisée, de plus en plus lisse et sans épices, comme la
nourriture de ses nombreuses chaînes d'alimentation rapide...
La question se pose aussi : qu'est-ce qu'un francophone? Question qui obsède
certaines de nos communautés, surtout au Canada. Plusieurs définitions s'offrent à nous,
loin des « pure laine » ou « de souche », Dieu Merci! Nous y reviendrons. Pour l'instant,
dans l'état des lieux que je vais vous brosser, je me contenterai des deux définitions de
base : 1) d'origine ethnique française et 2) dont la langue maternelle est le français.
Enfin, qu'est-ce qu’une diaspora? Le dictionnaire nous dit que c'est « la dispersion
d'une communauté ethnique ou d'un peuple à travers le monde ». Dans ce cas, c'est clair
et net, nous sommes tous et toutes partie intégrante d'une diaspora que nous soyons ici
depuis un an, vingt ans, où que nous soyons descendants des premiers colons français.
Faisons donc le tour de cette diaspora...
L'état des lieux :
On s'entend généralement sur le fait qu'il y a trois foyers de Francophonie en Amérique
du Nord et qui sont, chronologiquement, l'Acadie, le Québec et la Louisiane.
L'Acadie:
La Nouvelle-France prend naissance en Acadie, en 1604 alors que Champlain – il
commençait tout juste! –, et sieur Dugua de Mons – qui resta pour la postérité dans
l'ombre de Champlain alors que c'est lui qui a organisé l'expédition – arrivent dans la
baie de Fundy, au large de la Nouvelle-Écosse, et décident d'hiverner sur l'île SainteCroix. Était-ce pour se défendre plus facilement des « sauvages », comme on disait
alors? Toujours est-il que l'emplacement n'était pas des meilleurs. Durant ce premier
hiver en Amérique trente-six hommes de l'expédition meurent de scorbut, de faim et
sûrement dans certains cas, de froid. Au printemps suivant, on plie bagage pour
s'installer sur la terre ferme, dans un endroit abrité que Champlain nomme Port-Royal.
On construit un fort de grandeur respectable, les Mi'kmaqs sont avenants... on peut
commencer à penser à une colonie. Au bout de quelques années, l'expérience tourne
court puis l'effort est repris par le sieur de Poutrincourt et les hommes arrivent du Poitou,
de Charentes et d'ailleurs en France; ils viennent d'abord seuls puis, en 1636, arrive le
premier navire avec des familles – Guillaume Trahan avec sa femme et ses filles, Louis
Blanchard, qui arrive seul, mais fait rapidement traverser femme et enfants, sont à bord.
Naissent alors les villages de l'Acadie – Grand-Pré, bien sûr, Beaubassin, Tintamarre, tout
autour du bassin des Mines, c'est le début de l'Acadie
La communauté prospère; les colons sont des cultivateurs hors pair venus des régions
agricoles les plus riches de France. Ils cultivent la vigne, les céréales, élèvent leur bétail
et, très vite, leurs fermes sont les plus belles de la région et suscitent bien de la
convoitise. Les Acadiens commercent aussi bien avec les Anglais de Nouvelle-Angleterre
au grand désespoir des Français qu'avec ces derniers au grand déplaisir des Anglais; ils
sont catholiques alors que les colonies de la Nouvelle-Angleterre sont protestantes...
Ayant souffert en France de l'emprise du Roi, des guerres de religion, des exigences du
clergé catholique, ils souhaitent créer tout autre chose au Nouveau Monde. Bref, vous
voyez où je veux en venir... ils dérangent. En 1755, alors que la France et l'Angleterre ne
sont même pas en guerre, sous prétexte d'un serment d'allégeance que les Acadiens
refusent de prononcer, c'est la déportation : le Grand Dérangement. Quel autre peuple,
selon vous, a évoqué sa dispersion, la séparation de ses familles et la mort de tant des
siens avec autant de délicatesse? Certains Acadiens se sauvent avant l'arrivée des
soldats. Certains fuient à Louisbourg et à l'île Saint-Jean (aujourd'hui l'Île-du-PrinceÉdouard) où la déportation les rattrapera en 1758, mais des milliers d'Acadiens, hommes,
femmes, enfants, se voient séparés, embarqués de force dans des navires et dispersés
aux quatre coins des treize colonies anglaises de l'époque. L'objectif premier : s'assurer
qu'il n'y a jamais plus de cent Acadiens en un lieu donné afin qu'ils ne puissent pas
s'associer et refonder une communauté. Pourtant les Acadiens résistent à cette tragédie.
Lorsque beaucoup plus tard, à la fin des hostilités entre la France et l'Angleterre, certains
d'entre eux reviennent en Acadie, c'est bien loin de Grand-Pré et du bassin des Mines
qu'ils s'installent pour éventuellement peupler les quatre provinces de l'Atlantique :
Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve.
Le Québec:
Quatre ans après ce premier hiver désastreux à l'île Sainte-Croix, Champlain fonde la
ville de Québec. Son établissement d'alors n'a sans doute même pas la taille du fort de
Port-Royal, mais peu importe, là la greffe française prendra et tiendra. Malgré des
rivalités constantes entre Anglais et Français, malgré la défaite des plaines d'Abraham, la
Nouvelle-France s'installe à demeure à Québec et sur un territoire sans cesse
grandissant. Après les hommes célibataires arrivent les Filles du Roy, puis ce sont les
entreprises qui se créent, les institutions qui se développent. De territoire on en arrive à
la province de Québec et à la consolidation du français dans un gouvernement propre,
disposant du contrôle de ses institutions et donc de sa langue. Aujourd'hui, le Québec est
incontestablement le foyer francophone le plus puissant des Amériques.
La Louisiane:
Aujourd'hui quand on pense Louisiane – ici surtout – on pense Cadiens et donc à nos
cousins acadiens de là-bas. Pourtant la Louisiane est, très tôt, elle aussi, dans l'histoire
du Nouveau Monde, une enclave française et ce bien avant la dispersion des Acadiens et
leur éventuelle arrivée là-bas. C'est en fait à des aventuriers canadiens qu'elle doit sa
place dans la francophonie des premiers temps. C'est d'ailleurs Robert Cavalier de la
Salle qui en 1682 lui donne son nom – Louis en l'honneur de Louis XIV et Anne en
l'honneur de sa femme Anne. Après des débuts difficiles – le Roi Soleil avait d'autres
guerres à mener en Europe – ce fut finalement à Pierre Le Moyne d'Iberville, héros
canadien, découvreur de la baie d'Hudson et grand ferrailleur pour la France à TerreNeuve, à qui l'on confia la tâche de fonder une colonie. Il s'exécute en 1699 en fondant
le Fort Maurepas, aujourd'hui Ocean Springs. En 1717, le Roi passe le relais à la
Compagnie des Indes, laissant ainsi le secteur privé assumer les risques, mais aussi les
bénéfices. L'année suivante, c'est la naissance de La Nouvelle-Orléans. En 1748, Pierre
Rigaud de Vaudreuil devient gouverneur de la Louisiane – encore cette connexion avec le
Canada français. Après la déportation et des exils forcés un peu partout à travers le
monde, certains Acadiens se rendent en Louisiane – quelque 3500 en tout – qui prennent
racine là-bas et qu'on appellera un jour Cadiens.
Voilà pour les trois foyers francophones de l'Amérique du Nord auxquels il faut
maintenant ajouter trois oubliés. Et puisque je viens d'évoquer la Louisiane, restons dans
le Sud et évoquons Haïti, le premier de ces oubliés.
Haïti:
On pense souvent de Haïti qu'elle est fille des Antilles plutôt que de l'Amérique du Nord.
Pourtant son histoire est clairement liée à la francophonie de l'Amérique du Nord.
L'arrivée des Français à Haïti, alors Saint-Domingue, remonte à 1665 avec la mise en
place d'un premier administrateur nommé par Colbert et sa première capitale, le CapFrançais, fondée en 1670. L'administration française durera jusqu'au début du XIXe
siècle, la religion catholique et la langue française, elles, resteront là à demeure. Les
Haïtiens s'inscrivent historiquement dans la formation de notre francophonie avec des
mouvements de population vers la Louisiane en 1791 lors de la révolution noire puis,
plus près de nous, vers la province de Québec. Nous y reviendrons
Les Métis:
Lorsqu'on parle de métis aujourd'hui on pense à tous les autochtones dont le sang a été
mêlé à celui de blancs européens. Le terme « métis » s'est en quelque sorte globalisé.
Mais dans le contexte de la francophonie nord-américaine, on entendait jusque dans les
années 1960 le terme « métis » comme signifiant une personne issue de l'union d'une
Amérindienne et d'un Canadien français.
La tendance au métissage remonte aux tout débuts de la colonisation française. Elle est
monnaie courante dans l'Acadie première, du Port-Royal de Champlain aux villages
avoisinants de la baie de Fundy, de l'île Saint-Jean et de l'île Madame, en NouvelleÉcosse, pour ne donner que quelques exemples. Comment en serait-il autrement puisque
les femmes françaises sont très longtemps absentes de la colonie, ou n’y sont qu'en très
petits nombres, et que les relations entre Acadiens et Mi'kmaqs et Malécites sont
excellentes? De leur côté, les Québécois se mettent très vite à courir les bois à la
recherche de fourrure ou, plus tard, pour chasser le bison, assurant ainsi le
développement du peuple métis dans l'Ouest canadien. Le XIXe siècle marque d'ailleurs
le summum de la conscience collective du peuple Métis, avec Louis Riel qui rêvait de
fonder une province métisse francophone au Manitoba. Il est utile de rappeler à quel
point ce mouvement touchait la francophonie nord-américaine de l'époque : la nouvelle
de la pendaison de Riel comme traître par le gouvernement fédéral le 22 novembre 1885
provoqua le rassemblement de 50 000 personnes au Champ-de-Mars à Montréal. Après
la mort de Riel, le peuple métis est dispersé aussi bien politiquement que
géographiquement, mais il joue encore son rôle dans le développement des
communautés francophones de l'ouest du Canada.
Saint-Pierre-et-Miquelon:
Reste un minuscule oublié; minuscule géographiquement, mais très important
géopolitiquement, bien qu'on le mentionne rarement. Voyez-vous où je veux en venir? Il
s'agit de « la France en Amérique du Nord », l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, mes
îles, situées à quelques miles nautiques seulement de l'île de Terre-Neuve. Escale de
Cartier en 1536, fréquentée par les pêcheurs basques avant cela sans doute et par les
premières nations longtemps avant eux, Saint-Pierre-et-Miquelon a été l'objet de dures
batailles entre la France et l'Angleterre dès les débuts de la colonisation. C'est en 1816
que l'archipel revient définitivement aux mains de la France qui l'occupe depuis sans
interruption. Sa population, d'origines bretonne, normande et basque pour la plupart,
s'enrichit aussi d'Acadiens dès 1763 et de métissages – dans le sens moderne du terme –
avec des Irlandais de la côte sud de Terre-Neuve.
La France garde via cet archipel un pied officiel en Amérique du Nord comme en
témoignent les liens qui se développent avec notamment le Canada Atlantique dans le
cadre de la coopération régionale et les efforts récents pour que l'archipel trouve sa place
dans la francophonie nord-américaine.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, toutes les institutions sont françaises, de la station de radio
et de télé aux gendarmes qui patrouillent les rues en képis, en passant par les élus,
sénateur, député, conseiller économique qui siègent à Paris et, bien sûr, par le passeport
français et le drapeau tricolore qui flotte devant les bâtiments gouvernementaux.
Ainsi, la France n'a pas tout à fait quitté sa Nouvelle-France. Il ne faut pas l'oublier!
Les périphéries :
Avant de terminer cet état des lieux, il faut également prendre en compte deux
importantes présences francophones sur le territoire nord-américain, deux grandes
régions bilingues qui se situent, en quelque sorte, à la périphérie des foyers que nous
venons d'évoquer. Il s'agit du Canada français dit hors Québec et des états de la
Nouvelle-Angleterre et du Maine aux États-Unis.
Le Canada hors Québec:
Dans les années 1970, l'organisme porte-parole des francophones du Canada s'appelait
la FFHQ – Fédération des francophones hors Québec – jusqu'à ce que quelqu'un s'avise
qu'il n'y avait aucune gloire à se définir par ce qu'on n'est pas et que l'organisme prenne
le nom actuel de Fédération des communautés francophones et acadienne. Pour la petite
histoire l'inclusion de l'adjectif « acadienne » donna lieu à bien des débats et résulte de
l'impératif pour les Acadiens de faire reconnaître leur dimension de peuple, au même
titre que le Québec plutôt que devenir une des composantes de la communauté
francophone canadienne.
Il y a des francophones et des organismes pour représenter et servir les francophones
dans toutes les provinces et territoires du Canada. Selon le recensement de 2006, il y a
plus d'un million de francophones vivant à l'extérieur du Québec, répartis entre l'Ontario
– quelque 500 000 francophones y vivent –, l'Acadie de l'Atlantique, soit 300 000
personnes environ, et le reste du pays.
L'origine de cette francophonie est diverse : dans le cas de l'Acadie, c'est simple, dans le
cas de l'Ontario, bien qu'il y ait d'abord eu une occupation française dans la baie
géorgienne dès le début du dix-huitième siècle, c'est surtout à l'arrivée de Canadiens
français de la vallée du Saint-Laurent que l'on doit la francisation de la province. Dans
l'ouest du Canada, en Colombie-Britannique et dans le Nord, l'arrivée des francophones
découle dans un premier temps de l'attrait de l'inconnu, de la traite des fourrures, de la
chasse au bison et plus récemment de la nécessité de trouver un emploi – ouverture des
mines de fer au Labrador ou de diamants dans le Grand Nord, par exemple.
La Nouvelle-Angleterre et le Maine:
Dans les états de la Nouvelle-Angleterre et du Maine, on trouve les diasporas
canadienne-française et acadienne. Là encore, ce sont les conséquences de la
déportation dans le cas des Acadiens et les raisons économiques qui sont à l'origine de
ces poches de francophonie dans ces états du nord de l'Amérique.
Voilà donc brossé l'état des lieux de la francophonie nord-américaine, son passé et son
présent. La diaspora française en Amérique du Nord ce sont environ 16 millions de
personnes sur une population totale de 433 millions environ.
La Formation de cette diaspora:
Après l'arrivée des Français dans les trois foyers que j'ai évoqués, l'Acadie, le Québec et
la Louisiane, et aussi Haïti, comment cette diaspora s'est-elle propagée? A-t-elle survécu?
Et grandi?
Il y a, selon moi, cinq grands facteurs qui ont affecté l'histoire de notre diaspora :
1. Les migrations
2. Le poids démographique
3. L'inclusion et son pendant, l'assimilation
4. La présence ou l'absence de droits minoritaires
5. L'organisation
Acadiens fuyant la déportation et trouvant refuge à Saint-Pierre-et-Miquelon, au Québec,
en Louisiane, en Nouvelle-Angleterre; Haïtiens se réfugiant en Louisiane après la révolte
des Noirs de 1791; Québécois aventureux partant chasser le bison dans l'Ouest, le fer à
Labrador Cité, la diaspora francophone en Amérique du Nord n'a jamais cessé de
bouger.
Ceci a eu, bien entendu, un effet direct sur le poids démographique des régions
francophones. Et la démographie c'est le nerf de la guerre, en quelque sorte. Les
Acadiens du renouveau, ceux qui sont revenus peupler l'Acadie de l'Atlantique après ce
que l'auteur Antonine Maillet a joliment intitulé « cent ans dans les bois », l'avaient bien
compris en lançant « la revanche des berceaux ». Dix, douze, quinze enfants acadiens
par famille, c'est ce qu'il fallait pour asseoir l'Acadie, pour la fortifier et assurer son
avenir.
Il importe aussi d'inclure et de s'adapter – un exercice délicat pour ne pas verser
dans l'assimilation. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les jeunes femmes terre-neuviennes
épousant des Saint-Pierrais sont devenues françaises – il y a dans l'archipel des familles
très anciennes qui ont pour nom Pittman, Hutton ou Tobin. Ces femmes ont appris le
français et très souvent n'ont pas transmis leur langue maternelle, l'anglais, à leurs
enfants. En Acadie, on trouve des familles McLaughlin ou Finn, elles aussi incluses il y a
fort longtemps dans la famille acadienne. Les Métis sont aussi le produit de cette
inclusion.
La présence — ou malheureusement l'absence – de droits minoritaires affecte aussi
grandement cette diaspora, le cas extrême étant le Grand Dérangement lui-même.
Aujourd'hui, par contraste, dans le Maine et en Nouvelle-Angleterre il n'est pas facile
d'être francophone, beaucoup moins facile qu'au Québec. Dans ma province de TerreNeuve-et-Labrador, c'est moins facile que dans la province bilingue du NouveauBrunswick… et vous pouvez, j'en suis sûre, amener chacun votre exemple à ce sujet!
La devise de l'Acadie, L'union fait la force, est la condition première de
l'épanouissement de la francophonie des Amériques. Sans cette union, point de salut.
Éparpillés aux quatre coins du monde, littéralement, les Acadiens commencèrent par
vénérer le souvenir de leur Acadie perdue, de rechercher sans relâche les leurs et, ceci
fait, de s'organiser. La Société Nationale de l'Acadie que j'ai l'honneur de présider
remonte aux années 1880. Sa fondation et sa devise témoignent bien de ce désir de
s'organiser et de se rassembler; Louis Riel au Manitoba en était venu, lui aussi, à la
même conclusion, tout comme les Canadiens français de toutes les provinces réunis sous
la seule bannière de la FCFA.
Parler de toute cette histoire, riche, variée, tragique et héroïque, m'amène à faire
quelques constations qui s'appliquent à notre monde actuel et aux défis qui sont les
nôtres, francophones nord-américains du troisième millénaire, et qui mettent nos
problèmes actuels en perspective.
La première constatation c'est qu'il faut puiser dans notre histoire pour
chercher les solutions aux défis d'aujourd'hui.
L'exode rural, l'exode des jeunes et des cerveaux qui nous préoccupent tant aujourd'hui
ne datent pas d'hier. Ces tendances existaient de tout temps, elles sont, en fait, au cœur
même de l'histoire de la francophonie nord-américaine. C'est ainsi que s'est peuplé
l'Ouest canadien, que le Madawaska et le nord du Maine sont devenus Acadiens, etc.
Plutôt que d'y voir nécessairement un problème local, peut-être pourrait-on envisager la
question dans sa portée continentale.
On croit souvent que les défis démographiques de nos populations, les besoins
d'immigrants sont des idées nouvelles. Il n'en est rien. On parle souvent, ici en Acadie,
des nouveaux arrivants – les néo-Acadiens – de la place qui doit leur être faite. Même
chose au Québec où la population est de plus en plus diverse. Ceux qui sont favorables à
l'immigration francophone se sentent progressistes dans leur approche, ceux qui sont
contre parlent de la laine pure, du tricot serré et autre analogie du genre! Et pourtant,
qu'ont fait nos ancêtres si ce n'est encourager l'inclusion des autochtones, puis des
Irlandais, Écossais et autres? L'Acadie et le Québec n'en ont pas souffert, bien au
contraire.
Pour ce qui est du poids démographique, je vois mal la francophonie nord-américaine se
lancer dans une grande campagne publicitaire pour lancer une revanche des berceaux à
la grandeur du continent! Par contre, favoriser l'immigration francophone comme on le
fait activement en Acadie et partout au Canada français est une option intéressante.
Histoire ou présent une chose est certaine : la clef du succès c'est l'organisation
Et les Canadiens français sont, à mon avis, les champions dans le domaine : associations
d'aînés, de parents francophones, regroupements jeunesse, associations culturelles,
regroupements d'artistes, de femmes, organisations professionnelles francophones,
association de radios communautaires, de presse, de collèges communautaires, de
juristes, de commissions scolaires; associations locales, provinciales, régionales,
nationales, la liste est interminable. Mais ce qui peut sembler excessif est justement ce
qui a permis aux communautés francophones du Canada de demeurer vigilantes, de
réagir lorsque leurs droits étaient menacés, de mobiliser leur population... en un mot
d'agir.
C'est grâce à cet engagement de tous les niveaux que ce sont développés des concepts
communautaires novateurs dont je citerai deux exemples. D'abord, la notion de « par et
pour » les jeunes qui donne à ces derniers le contrôle de leurs organismes jeunesse – ce
n'est pas toujours le cas ailleurs, loin de là – et qui leur permet, c'est une grande fierté
pour nous, de siéger au conseil d'administration de la Société Nationale de l'Acadie au
même titre que les associations porte-parole provinciales. Ensuite, le concept des centres
scolaires et communautaires, que nous avons eu l'honneur de présenter aux
organisations non gouvernementales de la Francophonie à Paris en mars dernier, et qui
intègre école et communauté minoritaire, faisant ainsi de l'école un lieu de vie et
d'utilisation de la langue peu importe qu'on soit élève de l'école, immigrant francophone,
parent ou aîné.
CONCLUSION :
Après ce tour d'horizon que j'ai voulu aussi complet que possible, nous devons tous et
toutes nous poser la question suivante : Quelles leçons tirer de ce passé et de ce présent
pour la francophonie nord-américaine à venir?
Ce qui amène d'autres questions :
•
Qu'est-ce que signifie le mot francophone aujourd'hui? Ici au Canada et chez vous?
•
Alors que nous disposons de moyens instantanés et globaux de nous retrouver,
sommes-nous aussi dispersés en ce jour que nous l'étions il y a quelques siècles?
•
Si L'union fait la force, sommes-nous suffisamment solidaires? Voulons-nous
l'être davantage?
•
Si oui, quels sont ou quels pourraient être les outils, les atouts susceptibles de
nous unir? La presse? Les médias sociaux? Les arts et la culture? L'OIF? Le Centre
de la Francophonie des Amériques?
Je suis curieuse maintenant de vous entendre! À vous la parole!
Merci.