Politiques de l`enseignement

Transcription

Politiques de l`enseignement
SUBVENTIONS DE RECHERCHE ROCARE 2007
RAPPORT DE RECHERCHE
LES POLITIQUES DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET
LEURS IMPLICATIONS SUR LE DEVELOPPEMENT
ECONOMIQUE ET SOCIAL DE LA COTE D’IVOIRE DE
1960 A 2006
Recherche financée par le
Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Education
Avec le soutien du projet Centre d’excellence Régional UEMOA
Et le Ministère des Affaires étrangères des Pays Bas
Parrain du projet :
Zakaria BERTHE
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Chercheurs
Dr. DIARRA Ibrahim
KOUADIO Koffi Eric
Yaya Ouattara
MAIGA Mariame
PAYS : COTE D’IVOIRE
ROCARE / ERNWACA • Tel: (223) 221 16 12, Fax: (223) 221 21 15 • BP E 1854, Bamako, MALI
Bénin • Burkina Faso • Cameroun • Côte d’Ivoire • Gambia • Ghana • Guinée •
Mali • Mauritanie • Nigeria • Niger • Sénégal • Sierra Leone • Togo
www.rocare.org
Résumé
Le développement de toute nation passe nécessairement par une valorisation de ses ressources
humaines. A l’instar des pays en développement, cette préoccupation a amener la Côte
d’Ivoire à faire de l’éducation une priorité dans son programme de développement.
Cependant, depuis les années 80, le système éducatif ivoirien est en crise. Cette crise continue
d’avoir des répercussions sans précédent sur la qualité de l’élite ivoirienne, appelée à être le
moteur du développement économique et social durable. La reforme du système éducatif
apparu dans les années 90 qui avait pour objectif de consolider la politique de l’éducation
nationale, n’a pas eu les résultats escomptés. Aux problèmes relatifs à l’engorgement des
universités, les conditions de travail et d’étude s’ajoutent les ceux des logements et des
conditions de vie. Malgré ces difficultés et l’inadéquation entre la formation et les besoins de
développement du pays, l’université a joué un grand rôle dans le développement économique
et social. Elle a développé des valeurs socioprofessionnelles qui servent les bases de la
construction d’une Côte d’Ivoire qui sort d’une crise économique et politico-militaire.
Après avoir essayé d’évaluer la politique de l’Enseignement Supérieur et de son impact sur le
programme de développement de la Côte d’Ivoire depuis les indépendances, l’étude suggère
des orientations de politiques au secteur de l’Enseignement Supérieur pour l’adapter aux
besoins actuels de la Côte d’Ivoire.
Mots clés : Enseignement Supérieur, valeurs, élite, développement durable
Abstract
Any nation’s development passes necessarily through a valorization of its human resources.
Consequently, education became a priority in the global development agenda of Côte
d’Ivoire. However, since the eighteenth, the Ivorian education system is in crisis. This crisis is
continuing impacting the quality of Ivorian elite, known to be the driving force of any
sustainable development for the country. Indeed, the national program of the education
system reforms did in nineteenth, aiming at strengthening the national education policy,
couldn’t achieve its goals. Despite problems such as the saturation of universities, precarious
conditions of studies and problem of unsuitability between training and the development’s
needs of the country, university has played a key role in the socioeconomic development. It
has developed social and professional values that serve the purpose of reconstruction of the
country after economic and military crisis.
Trying to evaluate policies and the impact of public high school on development, this study
suggests policies orientations for the sector in order to update them to actual needs of Côte
d’Ivoire.
2
Sigles et abréviations
ACEEPCI
AEEMCI
APE
BTS
CAISTAB
CAMES
CNO
CNOU
CROU
DESS
ENA
ENS
ENSEA
ESR
FCFA
FESCI
IDEFOR
INP-HP
INSET
JEC
JEP CMA
LMD
MEECI
MOTORAGRI
ONG
PAS
PDCI RDA
PIB
PNDEF
PNUD
SATMACI
SEMUS
SODEFEL
SODESUCRE
TD
UAA
UB
UC
UEMOA
UFR
UNESCO
UNICEF
URES
Association Chrétienne des Elèves et Etudiants Protestants de Côte d'Ivoire
Association des Elèves et Etudiants Musulmans de Côte d'Ivoire
Accords de partenariat Economique
Brevet de Technicien Supérieur
Caisse de Stabilisation et de Soutien des Prix des Produits Agricoles
Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur
zones Centre-Nord-Ouest
Centre National des Œuvres Universitaires
Centre Régional des Œuvres Universitaires
Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées
Ecole Normale d’Administration
Ecole Normale Supérieure
Ecole Nationale Supérieure de Statistique et d'Economie Appliquée
Enseignement Supérieur et et de la Recherche
Francs de la Communauté Financière Africaine
Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire
Institut Des Forêts
Institut National Polytechnique Houphouët Boigny
Institut National Supérieur de l’Enseignement Technique
Jeunesse Etudiante Catholique
Jeunesse de l'Eglise Protestante
Licence, Master Doctorat
Mouvement des Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire
Société pour le Développement de la Motorisation de l'Agriculture
Organisation Non Gouvernementale
Programme d’Ajustement Structurel
Parti Démocratique de Côte d’Ivoire Rassemblement Démocratique Africain
Produit Intérieur Brut
plan national de développement du secteur « éducation formation
Programme des Nations Unies pour le Développement
Société d’Assistance Technique pour la Modernisation Agricole de la Côte
d’Ivoire
Stratégie d'Evangélisation en Milieu universitaire et Scolaire
Société pour le Développement des Fruits et légumes
Société pour le Développement du Sucre
Travaux Dirigés
Université Abobo Adjamé
Université de Bouaké
Université de Cocody
Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine
Unité de Formation et de Recherches
Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture
Fonds des Nations Unies pour l’Enfance et l’Education
Unité de Recherches et d’Enseignement Supérieur
3
UV
Unité de Valeur
4
TABLES DES MATIERES
Abstract ...................................................................................................................................... 2
Sigles et abréviations ................................................................................................................. 3
Liste des tableaux ....................................................................................................................... 6
Introduction ................................................................................................................................ 7
I. Contexte et problématique ...................................................................................................... 7
II. Justification............................................................................................................................ 8
III. Objectifs de l’étude .............................................................................................................. 8
IV. Méthodologie ....................................................................................................................... 8
V. Revue du développement économique et social et des politiques de l’Enseignement
Supérieur .................................................................................................................................... 9
5.1 La politique de développement économique et social ivoirien à l’indépendance................ 9
5.2 Les politiques de l’Enseignement Supérieur ...................................................................... 10
5.3 Un système de formation encore théorique........................................................................ 15
5.4 Analyse des liens actuels entre Enseignement Supérieur et politique de développement . 16
VI .Analyse critique des politiques de l’Enseignement Supérieur........................................... 17
6.1 Analyse des faits............................................................................................................. 17
6.2 Perceptions du système par les acteurs .......................................................................... 19
6.3 Relations entre l’autorité de tutelle et les universités..................................................... 21
6.4 L’articulation entre les universités publiques et privées ................................................ 21
VII. Le profil des sortants de l'université et les valeurs qui y sont véhiculées......................... 22
7.1. Analyse du profil des sortants de l’université sur la période 1966-2003 .......................... 22
7.2 Les valeurs véhiculées........................................................................................................ 23
Conclusion................................................................................................................................ 30
Recommandations .................................................................................................................... 30
Références bibliographiques .................................................................................................... 32
5
Liste des tableaux
Tableau I : Evolution du nombre d’Université et des Grandes Ecoles en Côte d’Ivoire de 1997 à
Janvier 2008 .......................................................................................................................................... 14
Tableau II : Répartition des enseignants et étudiants dans les établissements d’enseignements
supérieurs publics en 2007 .................................................................................................................... 15
Tableau III : Thèses de doctorats soutenues à l’Université de Cocody de 1966 à 2002 par discipline. 22
Tableau IV: Effectifs des étudiants en sciences sociales dans les trois universités de Côte d’Ivoire
(2007) .................................................................................................................................................... 18
Tableau V : Evolution du nombre d’étudiants par type d’établissement public de 1991-2008............. 20
Tableau VI: Évolution des proportions des adeptes des religions depuis 1975 .................................... 27
6
Introduction
La réalisation des objectifs du millénaire pour le développement constitue le défi majeur qui
interpelle toutes les Nations. Ainsi, a-t-on reconnu que la lutte contre la pauvreté, qui
constitue l’objectif central de cette feuille de route du développement passe nécessairement
par une valorisation des ressources humaines.
En effet, la qualité du développement économique et social d’une nation est fonction de la
qualité de ses ressources humaines. Ce constat va inspirer les nations modernes dans leurs
politiques de développement de l’éducation nationale de façon générale et particulièrement
des systèmes éducatifs universitaires.
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, la société ivoirienne reste toujours malade de son école depuis
les années 80 (la mise en œuvre des PAS). A cet effet, les polémiques continuent d’alimenter
les réflexions sur les réelles causes de la crise du système éducatif ivoirien qui a des
répercussions sans précèdent sur l’université ivoirienne, appelée a être le moteur du
développement économique et social durable de la côte d’Ivoire. En vérité, le système
éducatif universitaire ivoirien continue de souffrir de l’orientation politique de l’éducation
nationale. Ce système, tel qu’il fonctionne, limite considérablement les vocations au niveau de
la jeunesse, eu égard à l’accès très sélectif dans certaines filières de formation.
I. Contexte et problématique
En Côte d’Ivoire, l’éducation a toujours occupé une place de choix dans le budget de l’Etat.
Par exemple, sur la période 1960-1990, le pays a alloué environ 44% de son budget général
annuel de fonctionnement au secteur Education/Formation (Bih et al. 2003). Le sous secteur
de l’Enseignement Supérieur a contribué à la formation de hauts cadres directement recrutés
par l’administration ivoirienne de l’indépendance jusqu’aux années 80. Si à cette époque les
débouchés étaient quasiment assurés pour les sortants de l’université, aujourd’hui, les
universités ivoiriennes ont atteint un point de saturation. L’Etat qui était le principal
employeur des sortants de l’Enseignement Supérieur a vu ses capacités d’absorption
s’amenuiser. L’Enseignement Supérieur lui-même ne semble plus être en adéquation avec les
besoins du développement du pays. Les filières classiques, selon Massicotte (1997), étaient
souvent inadaptées aux besoins du marché du travail. L’on forme un grand nombre
d’étudiants dans des domaines sans intérêt direct avec les secteurs d’activité de l’économie
alors que des emplois restent non pourvus faute de personnes qualifiées.
En 2004, une étude de l’UEMOA sur l’Enseignement Supérieur dans ses pays membres
montrait que « les établissements de l’ESR1 contribuent peu aux objectifs de développement
et à la réduction de la pauvreté dans leurs pays respectifs, ne forment pas adéquatement les
jeunes aux défis économiques et sociaux du pays, participent peu à l’économie mondiale du
savoir en émergence ». Cette assertion semble être confirmée par les autorités ivoiriennes qui
faisaient déjà remarquer en 2000 que « l’école ivoirienne est inadaptée à la société, c’est une
école importée. La conséquence en est l’indifférence totale de la population à la vie de
1
Enseignement Supérieur et de la Recherche
7
l’école »2. Face aux difficultés constatées dans le fonctionnement, l’Enseignement Supérieur a
connu une reforme générale à travers la loi N° 95-696 du 7 septembre 1995. Une décennie
après ces réformes et compte tenu des problèmes d’inadéquation posés, il paraît important de
s’interroger sur la pertinence de l’orientation de la politique de l’Enseignement Supérieur
avec les objectifs du développement économique. Autrement, cette étude cherche à savoir si
l’objectif de développement de l’Etat de Côte d’Ivoire depuis les indépendances est soutenu
par des valeurs issues de l’Enseignement Supérieur ?
II. Justification
L’objectif de tout système éducatif est de fournir des valeurs qui puissent être un levier au
développement économique et social. Après la reforme de 1995, l’Etat ivoirien a concédé
certaines de ses prérogatives de l’Enseignement Supérieur au secteur privé dont le mobile
premier est de faire du profit. La réalisation de la présente étude se justifie donc par la
nécessité de faire un état de la situation des établissements publics supérieurs et de les mettre
en rapport avec les objectifs de développement du pays. Cette étude se justifie en outre par un
besoin d’enrichir le débat sur le type de reformes à entreprendre dans l’Enseignement
Supérieur dans les pays de l’UEMOA et particulièrement en Côte d’Ivoire. Cette étude
permettra de faire une évaluation de l’effet des choix politiques en terme de cohésion avec
ceux concernant le développement de la société ivoirienne, ce qui sera de nature à suggérer
des orientations pertinentes à la politique universitaires en terme de valeurs à promouvoir
dans un contexte post-conflit.
III. Objectifs de l’étude
L’objectif visé est d’analyser la cohérence entre la stratégie de développement de la Côte
d’Ivoire et les politiques de l’Enseignement Supérieur en Côte d’Ivoire.
Objectifs spécifiques
De façon spécifique, l’étude vise à
(i) Décrire la stratégie de développement économique et social adoptée par la Côte d’Ivoire à
l’indépendance ;
(ii) Analyser le profil des sortants de l’université sur la période 1966 à 2003 en rapport avec
l’objectif de développement et les répercussions des choix stratégiques sur les valeurs sociales
ivoiriennes.
IV. Méthodologie
Pour la conduite de cette étude, une recherche documentaire sur les politiques spécifiques au
secteur universitaire public et sur la politique de développement de la Côte d’Ivoire a été
menée. Ensuite, des entretiens ont été réalisés auprès de l’administration et des structures
2
Interview accordé au quotidien Fraternité Matin dans la parution du 8 juin 2000 par le Ministre de l’Education
Nationale AMANI Michel, Cité par Odounfa (2003).
8
universitaires afin de recueillir les motivations des programmes, projets et stratégies en
matière d’Enseignement Supérieur.
La méthode d’analyse a combiné les approches économique et sociologique. L’approche
économique a utilisé les méthodes d’analyse quantitatives et qualitatives. Des analyses ont été
faites sur les données collectées.
Concernant l’approche sociologique elle est basée sur la réalisation de deux guides d’entretien
adressés pour l’un, aux universités publiques et pour l’autre, au Ministère en charge de
l’Enseignement Supérieur.
Le traitement des différents guides ont donné des analyses sociologiques qui ont permis de
bien comprendre les valeurs véhiculées par l’enseignement universitaire en rapport avec le
développement.
Les données utilisées comme le montre les articulations précédentes sont quantitatives et
qualitatives. Il s’agit surtout des statistiques concernant les effectifs (enseignants, étudiants,
chercheurs etc.). Elles ont été colletées auprès des services administratifs et statistiques des
universités publiques et de l’administration publique.
V. Revue du développement économique et social et des politiques de l’Enseignement
Supérieur
Nous évoquerons d’abord la politique économique et social adoptée par l’Etat ivoirien à
l’indépendance avant d’analyser les politiques de l’Enseignement Supérieur
5.1 La politique de développement économique et social ivoirien à l’indépendance
En vue d’assurer un développement durable et harmonieux de la Côte d’Ivoire, les autorités
ont entrepris depuis l’indépendance des politiques économiques et sociales qui visaient un
équilibre régional. Pour soutenir ces politiques, l’accent est mis sur l’agriculture et
l’exportation des principaux produits agricoles du pays le café, le cacao et le bois. De 1960 à
1974, la Côte d’Ivoire a connu une croissance économique qui offrait aux autorités les
moyens d’un développement du pays. En terme réel, le PIB a connu une croissance moyenne
proche de 8 % par an. Cette période qualifiée de « miracle ivoirien » a hissé le pays au rang
des pays à revenu intermédiaire. Au niveau sectoriel, on note au cours de cette période que le
secteur primaire (agriculture, élevage, forêts et pêches), avec une progression de 6,4% par an
a une contribution au PIB qui est passée de 46,8% en 1960 à 32,3% en 1969. Dans le même
temps, les secteurs secondaire et tertiaire, avec des taux annuels de croissance respectifs de
15,7% et de 13,1% sont passés de 15,2% à 22,3% du PIB à 38% et 45,4% du PIB. (PNUD,
2004)
La recherche d’un équilibre dans le développement du pays a conduit un à investissement
public dans les régions les plus défavorisées. Le Nord du pays, pourvoyeuse de main-d’œuvre
à l’exploitation forestière a bénéficier de divers programmes (plan sucrier et cotonnier
notamment). Le pays a mis également l’accent sur le développement des infrastructures
routières, portuaires et ferroviaires pour permettre une bonne communication entre population
et désenclaver les zones inaccessibles. HAUHOUOT (2002)
Le modèle de développement ivoirien a également mis l’accent sur le développement du
capital humain. Le secteur de l’éducation a bénéficié en 1975 de 13,7% du budget spécial
9
d'investissement et de 40,3% du budget de fonctionnement de l'Etat ; ce qui représente
environ 10% du PIB du pays. En outre, 50 à 80% du budget d'investissement de l'éducation
nationale furent consacrés à l'Enseignement Supérieur qui a également reçu 15% des dépenses
courantes en 1983. (PNUD, op. cit.)
Cependant, ce modèle connaîtra des difficultés au fil du temps avec l’accentuation des
problèmes économiques et la croissance du nombre des étudiants. Pour ajuster la stratégie aux
nouveaux défis, plusieurs politiques verront le jour dont les principales seront évoquées cidessous en ce qui concerne le domaine de l’Enseignement Supérieur.
5.2 Les politiques de l’Enseignement Supérieur
Le développement de l’Enseignement Supérieur en Côte d’Ivoire est marqué par trois phases.
La première a commencé en 1960 à l’indépendance de la Côte d’Ivoire pour s’achever en
1994. L’Enseignement Supérieur universitaire public était au service du développement des
institutions de l’Etat. Il a fourni à l’administration et aux institutions étatiques les cadres et le
personnel nécessaire à son bon fonctionnement et à la réalisation de ses objectifs.
La seconde phase a débuté en 1995 et est marquée par la réforme du système de l’éducation
nationale à travers la loi 95-696 du 7 septembre 1995. Celle-ci a permis de diversifier les
sources de financement du secteur qui étaient jusqu’alors dévolues au public et l’émergence
de l'Enseignement Supérieur privé. Dans sa mise en œuvre, cette phase a été perturbée par les
soubresauts politiques et conflits armés qui ont secoués la Côte d’Ivoire depuis 1999. Cette loi
laisse transparaître clairement la volonté de l'État de faire des universités et des grandes écoles
(privées et publiques) des institutions au service du développement économique et social
d’une Côte d’Ivoire moderne. La troisième phase est actuellement en cours et se manifeste par
un programme d’urgence de construction d’amphithéâtres et de salles de Travaux Dirigés
pour faire face à une délocalisation des institutions universitaires des zones ex-assiégées vers
Abidjan. Cette situation a débuté avec le déclenchement de la rébellion armée et la scission du
pays en deux parties.
5.2.1 De 1960 à 1994 une politique de l’Enseignement Supérieur post-coloniale
Après l’indépendance, le choix de politique en matière d’Enseignement Supérieur est marqué
par la volonté politique des gouvernants ivoiriens de l’époque d’assurer un enseignement de
qualité à l’Université afin de lui permettre de contribuer à la réalisation des objectifs de
développement économique et social que le pays s’est assigné ; développement entendu ici
comme une amélioration quantitative et qualitative des indicateurs du bien-être des ménages
qui aboutissent à un épanouissement individuel. Ce développement doit être compris aussi
comme la combinaison des facteurs de productions rares ou abondantes à une technologie
soutenue par une quantité et une qualité de ressources humaines à même d’atteindre la masse
critique qui permet d’amorcer le développement. Aujourd’hui, s’interroger sur la nature des
ressources humaines, notamment l’aspect quantitatif qu’exige le développement économique
et social de la Côte d’Ivoire est crucial pour son avenir. Il était nécessaire d’expliquer ce
concept afin de mieux éclairer le cheminement de l’analyse dans l’établissement du lien
existant entre l’Enseignement Supérieur public et le développement. Il importe de remarquer
que deux études (Kanvaly et Bakayoko, 2006 et Valy, 1979) ont déjà abordé le sujet sous des
angles différents mais dans une vision globale du système.
10
Conformément aux accords de coopération de 1961, le système de l’Enseignement Supérieur
de Côte d’Ivoire était une copie du système d’Enseignement Supérieur Français et se situait à
l’intérieur dudit système. La formation est fondamentale dans la mise en œuvre du
développement d’une nation. C’est ainsi que pour atteindre ces objectifs de développement, le
gouvernement de la Côte d’Ivoire a créé en 1964 l’université d’Abidjan avec quatre écoles
supérieures à savoir celles des Sciences, de Droit, de Lettre et de Médecine. Cette première
ébauche a été modifiée au cours des années 1967, 1969, 1971 et 1974 pour obtenir
progressivement des facultés. Parallèlement à cela, il faut noter que jusqu’en 1970, la moitié
des effectifs des étudiants régulièrement inscrits dans cette université publique n’était pas des
ivoiriens et que la majorité du personnel enseignant provenait de la métropole et autres pays
étrangers.
Pour établir le lien entre l’Université et le développement économique et social Valy (1979)
propose trois fonctions fondamentales que doit assumer l’Université pour participer au
développement social et économique. Ces trois fonctions synthétisent au mieux les politiques
de développement adoptées depuis les indépendances. Ce sont :
La fonction de promotion de la croissance économique dans la mesure où l’université doit
induire chez les individus formés, des comportements en harmonie avec les objectifs de cette
économie.
La fonction de substitution de main d’œuvre qualifiée en permettant le remplacement des
cadres expatriés par des nationaux afin de réduire les coûts de production et d’assurer la
promotion sociale et culturelle des populations ainsi qu’une plus grande indépendance.
La fonction d’intégration sociale et nationale grâce à l’unification des objectifs et des
aspirations qu’entraîne une éducation commune à tous les groupes ethniques du pays, une
diffusion et une meilleure compréhension des valeurs nationales. Faire de l’université un
creuset dans lequel la nation se fonde et renforce la cohésion sociale.
Dans un premier temps le modèle de développement qui s’est appuyé sur les pôles de
l’université d’Abidjan (l’unique université publique à cette époque) et les grandes écoles
publiques d’Abidjan et Yamoussokro a parfaitement fonctionné. Les cadres formés étaient de
très bonnes qualités et les ratios d’encadrement excellents. La performance et la qualité des
cadres et ingénieurs ivoiriens formés dans ces structures faisaient référence dans la sous
région et égalaient la qualité de ceux des pays développés.
Dans un deuxième temps les entreprises publiques et privées avaient a leur disposition un
panel de cadres spécialisés, à même de prendre des décisions stratégiques et d’entreprendre
des actions pour un développement cohérent. Les cadres issus de cette période ont participé à
la conception, réalisation des grands travaux d’infrastructures (routes, ponts, grandes
plantations), encadrements du monde paysan, extension de l’administration à l’intérieur du
pays, la fourniture de la main d’œuvre qualifiée pour les industries, dans l’informatique et les
télécommunications et surtout l’élaboration et l’exécution de politiques et programmes de
développement. Les effets de cette politique axée sur la fourniture de cadres performants à
l’économie se sont ressentis à travers une croissance soutenue de 8% du PIB sur la période
1960-1978. Les formations dispensaient un certain nombre de valeurs relatives à l’honneur,
11
l’intégrité, le respect de l’autorité, la probité, et surtout l’accès équitable de tous au savoir
quelle que soit sa condition sociale.
A partir de 1974, la politique post-coloniale de l’Enseignement Supérieur a permis, de
procéder à la promotion des cadres ivoiriens, politique appelée communément « ivoirisation
des cadres ». Dans la formation, l’Université nationale de Côte d’Ivoire s’est vu confier une
vocation sous régionale [(en 1970, la moitié des étudiants n’était pas des ivoiriens et le
personnel en majorité des expatriés)]. Les étudiants à l’instar du parti unique disposaient d’un
seul mouvement de jeunesse estudiantine directement lié au parti unique. Ce mouvement
servait de vivier pour l’ascension des futurs cadres du parti. Ainsi, les politiques de
l’Enseignement Supérieur ont développé de nombreux systèmes et avantages sociaux dont le
transport gratuit, les repas subventionnés, les facilités d’accès à l’hébergement dans les cités
universitaires très subventionnés (eau et électricité) et le statut de boursiers à tous les
étudiants. Les diplômés étaient recrutés de façon systématique à leurs sorties d’université, ce
qui a laissé croire que l’université était la voie royale de la réussite sociale. Tous ces
avantages sociaux accordés ont émoussé l’esprit d’indépendance, de compétition et
d’initiative des étudiants.
Pendant cette même période, une Commission de réforme rassemblant les principaux
partenaires a été constituée et ses conclusions ont débouché sur la loi de réforme de
l’éducation, votée par l’Assemblée Nationale en 1977. La loi prévoyait notamment des
passerelles à tous les niveaux d’éducation, afin d’offrir des chances d’insertion sociale à tous.
Mais, cette loi n’a pas connu d’application effective en raison de son coût jugé prohibitif.
L’enseignement universitaire et la formation des cadres sont des composantes qui représentent
sans nul doute les aspects les plus connus de la contribution possible de l’Enseignement
Supérieur universitaire public au développement économique et social. Ceci est confirmé par
le fait que l’ensemble des concours d’entrée dans l’administration est presque exclusivement
réservé au candidat de l’Enseignement Supérieur public et les grandes écoles à savoir l’ENA,
l’INPHB, l’ENS..
Les performances économiques de l’Etat de Côte d’ivoire étaient les meilleures, car sur la
période de 1960 à 1978, le taux de croissance en termes réels oscillait entre 7% et 8% avec
une stabilité macroéconomique et des enseignements universitaires de bonne qualité. A cette
période, il y avait une adéquation entre les besoins de l’Etat de Côte d’Ivoire et le type de
diplômés produits par l’Enseignement Supérieur public. Cette situation de prospérité a fait
place à partir de 1980, à l’application de programmes d’ajustements structurels suite à la crise
économique aiguë liée à la mauvaise rémunération des produits d’exportations (Café-Cacao)
au plan international. Le développement des valeurs de responsabilité d’honneur, de dignité,
d’innovation technologique pour l’ivoirien nouveau, tel que prévu, n’a pas toujours été atteint
en raison des nombreuses malversations constatées et restées impunies dans les entreprises
d’Etat (SATMACI, MOTORAGRI, IDEFOR, SODEFEL, SODESUCRE, CAISTAB etc.).
Ces structures étaient les plus grands « réservoirs » d’emplois pour les cadres formés à
l’université et dans les grandes écoles après l’administration générale publique). Une grande
partie des cadres formés localement ou dans les universités étrangères n’ont pas su donner de
bonnes valeurs à l’administration ivoirienne. Celle-ci est devenue, avec la dégradation du
pouvoir d’achat des populations, synonyme de népotisme, de corruption, d’inefficacité,
d’absentéisme et de laxisme.
L’avènement des PAS et la paupérisation croissante des populations ont engendré
l’émergence de nouveaux besoins sociaux relatifs à la démocratie (le multipartisme), mais
12
surtout à l’équité dans la distribution des ressources. Au niveau de l’Enseignement Supérieur
universitaire public, cela s’est traduit par l’émergence de nouveaux mouvements estudiantins
avec des formes de contestations de plus en plus violentes. Le malaise social était aussi
perceptible dans l’Enseignement Supérieur avec notamment la remise en cause, voire la
disparition, des avantages sociaux accordés aux étudiants (suppression des cars de transport,
instauration de la carte de bus, réduction des subventions dans la nourriture et l’hébergement
des étudiants, le surnombre dans les amphithéâtres, la vétusté des cités universitaires, etc.).
En 1990, à la faveur des difficultés économiques que le pays a connues et l’émergence d’une
volonté du peuple d’aller à la démocratie, la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte
d’Ivoire (FESCI) a vu le jour. Ce mouvement a constitué le contrepoids du Mouvement des
Elèves et Etudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) qui était perçu comme une structure
d’embrigadement des Elèves et Etudiants et qui ne s’occupait pas des problèmes sociaux et
des conditions de vie des étudiants. Cependant, de mouvement de contestation et de
revendication pacifique originelle, la FESCI est devenue un mouvement radical aux méthodes
violentes.
C’est paradoxalement en cette période que l’université a produit plus grand nombre de
diplômés qui occupaient d’importantes fonctions dans l’administration et la politique.
Parallèlement on observait la montée de la violence sociale (grèves estudiantines, grèves
sociales,…). L’administration ivoirienne avait atteint sa capacité d’absorption des diplômés.
Les besoins en ressources humaines des entreprises privées étaient en deçà de que produisait
l’université. En plus, les sortants de l’université ne présentaient pas toujours le profil exigé
par le secteur privé.
5.2.2 De 1995 à 1999, la reforme du système
Pour tenir compte des nouvelles réalités, les autorités ivoirienne vont avec l’appui des
bailleurs de fonds accorder une place importante à l’éducation dans les programmes de
développement mis en place. Ainsi, la réforme du système de l’éducation nationale initiée à
travers la loi 95-696 du 7 septembre 1995 visait deux objectifs principaux.
Le premier consistait à remettre le système éducatif au centre des priorités du développement
économique et social de la Côte d’Ivoire en assurant une plus grande accessibilité aux
différentes sources de financement et en définissant les conditions d’une formation efficiente.
Le second était de définir et réglementer le cadre d’émergence au niveau du supérieur d’un
système privé.
L’ivoirisation des cadres étant achevée, il fallait trouver de nouvelles fonctions à
l’Enseignement Supérieur et compenser les insuffisances constatées au niveau de la
formation. Cette réforme n’a pas pu aller à son terme en raison de la forte instabilité
institutionnelle dans l’Enseignement Supérieur3.
Sur la période 1995-1999, le système éducatif ivoirien a souffert en vérité de l’orientation
politique assignée à l’éducation nationale. Ce système accorde la priorité à des mécanismes
d’accès très sélectifs aux filières de formation. En outre, relativement à ce système d’accès et
3
Le ministre responsable de la réforme n’a pas pu la conduire à terme, puisse qu’il a été remplacé 2 ans avant
1999, par un nouveau Ministre en 1997, qui avant de bien maîtriser la réforme encours a été évincé à la suite du
coup d’Etat de 1999
13
de sélection, très peu ont accès à l’université, tandis que la grande majorité se retrouve dans
les grandes écoles et autres centres de formation. L’analyse de la minorité que constituent les
universitaires dans l’élite ivoirienne, donnerait raison à la théorie de la sélection naturelle de
Darwin. En effet, selon cette théorie, seuls les plus forts arrivent à surmonter les épreuves qui
peuvent jalonner le parcours inhérent à toute évolution. A l’image de cette théorie, la minorité
universitaire est constituée des plus méritants, c’est-à-dire ceux qui disposeraient
naturellement de potentialités intellectuelles suffisantes.
5.2.3 Depuis 1999, un système éducatif fragilisé
Après les réformes issues de la loi n 95-696 du 7 septembre 1995 relative à l’Enseignement
Supérieur, la Côte d’Ivoire a élaboré en 1997, le plan national de développement du secteur
formation (PNDEF) pour la période 1998-2010. La situation de crise que vit la Côte d’Ivoire
depuis le coup d’Etat de décembre 1999 et le conflit armé de 2002 ont fortement handicapé le
potentiel éducatif de la Côte d’ivoire. Ainsi, l’ensemble des mesures prises pour faire face à
cette nouvelle situation sont des plans d’urgences mis en œuvre avec l’appui des institutions
internationales et des partenaires au développement (UNESCO, PNUD, UNICEF, etc.). La
crise a provoqué un déplacement massif des étudiants et du personnel enseignant vers la ville
d’Abidjan. Cet afflux des effectifs a nécessité de nombreux efforts sur le plan des
infrastructures et du système d’administration suivi d’un redéploiement du personnel
enseignant.
Malgré tous les efforts réalisés, la situation générale du système de l’Enseignement Supérieur
reste toujours dégradée avec les années universitaires tronquées ou qui se chevauchent pour
certaines facultés, de nombreuses grèves d’enseignants et des étudiants, les effectifs
pléthoriques, l’absence de motivation des enseignants et des étudiants. En 2002, le plan
stratégique de développement de l’Enseignement Supérieur appelé « Plan quinquennal 20042008 » a été élaboré. Ces plans n’ont rien changé. Dans les zones ex-assiégées, les études
réalisées à la demande du Gouvernement en zones Centre Nord-Ouest (CNO), montrent que
les centres universitaires encore existants nécessitent une réhabilitation dont le coût sera
certainement élevé. Jusqu’en janvier 2008 on dénombrait trois (3) universités publiques (2
URES), 4 Grandes Ecoles Publiques et 167 structures privées d’Enseignement Supérieur dont
26 Universités, 167 grandes écoles (voir tableau I). L’ensemble du système de l’enseignement
public souffre d’un état d’obsolescence avancé de ses infrastructures : les équipements
disponibles sont inutilisables ou inadaptés, et les établissements de formation sont en nombre
insuffisant et vétustes. En outre, il n’y a pas eu de création de nouveaux établissements
publics depuis plus d’une décennie en dehors de quelques amphithéâtres dans certaines
universités existantes pour accueillir les étudiants déplacés, L’approvisionnement en
fournitures techniques et matière d’œuvre reste très difficile. Enfin, le matériel didactique est
presque inexistant et les bibliothèques sont en nombre insuffisant et peu fournies. Cette
situation est accentuée par la crise armée avec des locaux, des ateliers et matériels didactiques
saccagés en zones CNO. Tous ces événements conduisent à une baisse de la qualité de
l’enseignement et une remise en causes des valeurs sociales héritées et transmises.
Tableau I : Evolution du nombre d’Université et des Grandes Ecoles en Côte d’Ivoire de
1997 à Janvier 2008
14
1997-1998
2004-2005
Janvier 2008
Universités publiques
3
3
Universités privées
-
6
26
Grandes écoles publiques
4
4
4
Grandes écoles privées
Total
Source : MES, 2008
47
53
108
121
3
167
200
Dans leur étude, Kanvaly et Bakayoko (2006) montrent qu’en moins de 15 ans, les effectifs
d’étudiants ont plus que doublé passant de 29.000 à 79.000 étudiants sur la période 19912005. L’effectif des enseignants n’a pas suivi la tendance d’évolution de celle des étudiants.
Le taux d’encadrement moyen national qui était égal à 1 enseignant pour 52 étudiants en 1992
est passé respectivement en 2003 et 2007 à 1 enseignant pour 57 étudiants et un enseignant
pour 38 étudiants (voir tableau 2). Ce taux est élevé par rapport à la norme de l’UNESCO qui
est de 25 étudiants par enseignant pour les universités.
: Répartition des enseignants et étudiants dans les établissements
d’enseignements supérieurs publics en 2007
Tableau II
Ratios d'Encadrement
Enseignants
Professeurs et
Maître de
Conférences
Etudiants
ENS
117
15
ENSEA
15
INP-HB
ETABLISSEMENTS
Ratio Général
Ratio Cours
Magistraux
3568
1Ens/ 31 Etud
1Ens/ 238Etud
0
288
1 Ens/ 20 Etud
-
440
9
3166
1Ens/ 8 Etud
1Ens/ 352 Etud
572
24
7022
1Ens/ 12 Etud
1Ens/ 293 Etud
UAA
158
21
6682
1Ens/ 43 Etud
1Ens/ 318 Etud
UB
282
36
10340
1Ens/ 42Etud
1Ens/ 305 Etud
UC
1388
331
51411
1Ens/ 37Etud
1Ens/ 156Etud
1828
388
68433
1 Ens / 38 Etud
1 Ens / 178 Etud
2400
412
75455
1Ens / 31 Etud
1Ens / 180 Etud
S/Total Gde Ecole
S/Total Université
TOTAL
Source : MES, 2007
5.3 Un système de formation encore théorique
15
Malgré les reformes entreprises en 1995, il faut noter que les formations et enseignements
donnés dans les facultés et surtout dans les filières professionnelles restent très théoriques
sans lien directs avec le monde professionnel. A l’université, après la reforme, l’on a assisté à
la mise en place de plusieurs diplômes professionnels notamment les diplômes d’études
supérieures spécialisées (DESS). Le coût de la formation est généralement supérieur à 500000
FCFA. Mais il semble que l’aspect financier ait pris le pas sur la qualité de la formation.
Nombreux sont les étudiants qui sortent de ces formations sans stage pratique encore moins
d’emplois. Pourtant la validation du diplôme demande un stage en entreprise ou en milieu
professionnel. Il aurait donc fallu mettre en place des structures pour faciliter la recherche de
stage à ces jeunes qui sortent de ces écoles, ce qui serait un avantage certains sur leurs
collègues qui sortent des facultés avec des diplômes théoriques. Là encore, il n’y a aucun
contrôle pour s’assurer que les étudiants ont reçu la formation qui les place en concurrence
avec ceux formés dans les grandes écoles de la place.
A cela s’ajoute la non reconnaissance des diplômes d’ingénieur par l’Etat. Il ressort des
pratiques ayant cours que seul le BTS est un diplôme d’Etat et que pour ce faire, il est reconnu
et valide pour les recherches d’emplois (pas dans les concours administratifs comme l’ENA,
etc.). Ainsi concernant les autres types de diplômes ingénieurs, masters des grandes écoles et
universités privés, ce sont des diplômes d’écoles pour lesquels leur reconnaissance dans la
quête d’un emploi dans le privé est laissée à l’appréciation du responsable des ressources
humaine de l’entreprise sollicitée.
Par contre les ingénieurs formés dans les grandes écoles publiques (INPHB), ceux-là font
l’objet de reconnaissance et d’intégration dans l’administration sans ou sur concours. Pour les
diplômes de DESS, l’Etat ivoirien s’allie à la position du CAMES. Paradoxalement, les autres
types de diplômes spécialisés et diplômes techniques délivrés par l’enseignement privés avec
le cachet du CAMES n’ont pas accès aux concours d’entrée à l’ENA alors que l’Etat à besoin
de nombreux spécialistes dans des domaines pointues (négociations commerciales, APE,
informatiques, ingénierie financières, autres spécialités etc.).
5.4 Analyse des liens actuels entre Enseignement Supérieur et politique de
développement
En vérité, le système de l’Enseignement Supérieur et universitaire en Côte d’Ivoire souffre de
son inadéquation aux besoins de l’économie. En Côte d’Ivoire, l’économie n’a pas soutenu la
formation pour assurer l’émergence d’une élite capable de redynamiser de façon durable cette
économie. Les budgets alloués aux universités restent insuffisants. Les universités sont de
plus en plus engorgées, avec des capacités d’accueils et des infrastructures inadaptées au
nombre des étudiants qui va croissant, les enseignants et étudiants sont en perte de motivation
relativement à une crise d’incitation liées aux salaires pour les enseignants et aux bourses
pour les étudiants. En somme, l’on peut dire qu’il y’a un problème d’efficacité interne et
externe de l’Enseignement Supérieur par rapport aux besoins de développement de la Côte
d’Ivoire. A l’instar des pays en développement, la Côte d’Ivoire avait compris que son
développement économique et social passait nécessairement par la valorisation de ses
ressources humaines. Dans un tel contexte, en créant les institutions de formation de référence
telles que INPHB, ENSEA, ENS, INJS et les universités. Elle voulait s’assurer de
l’émergence d’une élite qualifiée pour réaliser son projet de développement. Cependant, force
16
est aujourd’hui de reconnaître, que les programmes de formation dans ces institutions ont
besoin d’être actualisés, renouvelés, pour s’adapter aux besoins en développement du
moment. Sinon, l’élite aujourd’hui formée par l’université et les instituts de formation, ne
peut assurer de façon durable le développement économique et social de la Côte d’Ivoire. Il
faut adapter la politique, le système de l’éducation et les programmes de formation avec pour
assurer l’émergence d’une élite véritablement qualifiée pour un développement technologique
durable. A ce jour, il y’a un besoin considérable de professionnaliser la formation dans les
universités. On assiste de plus en plus à des reconversions des diplômés des universités pour
intégrer le marché de l’emploi. Dans un tel contexte, il faut de plus en plus encourager les
différentes Unités de Formation et de Recherches (UFR) à créer des cadres de
professionnalisation de leurs unités. Par exemple, l’UFR des lettres et Civilisation doit créer
une Unité de Valeur (UV) de formation en journalisme par exemple.
Pour conclure sur les réflexions des acteurs du secteur de l’Enseignement Supérieur notons
que sur le plan des infrastructures, le nombre d’universités autonomes publiques (Cocody,
Abobo-Adjamé et Bouaké) et les deux Unités Régionales d’Enseignement Supérieur (URES)
(Daloa et Korhogo) demeure insuffisant face au nombre croissant d’étudiants. Dans
l’ensemble le système éducatif de l’Enseignement Supérieur est en déphasage avec les
besoins économiques, politiques et sociologiques du pays. La fonction de développement
technologique ou d’appui au développement par l’innovation est complètement absente de la
pensée politique qui définit la politique de l’éducation nationale. Ainsi depuis la réforme de
1995, le secteur privé intervient dans le système de l’Enseignement Supérieur. Cette
intervention obéit à des dispositions particulières.
VI .Analyse critique des politiques de l’Enseignement Supérieur
6.1 Analyse des faits
Sur la base des faits énoncés plus haut, cette analyse permet de montrer les liens qui existent
entre l’éducation publique au supérieur et le développement économique de la Côte d’Ivoire.
Ainsi, le modèle de développement s’appuie sur les deux grands pôles que sont les universités
et les grandes écoles publiques pour fournir les cadres à même d’amorcer le développement.
La qualité et les degrés de responsabilité étant fonction de la spécialisation et du type de
structure de formation, force est de constater que les élites de la société ivoirienne émanent le
plus souvent des milieux universitaires et précisément des domaines des sciences sociales. Les
leaders estudiantins, les politiques, les responsables des ONG, les décideurs politiques, les
responsables des entreprises et dans les administrations publiques regorgent du plus grand
nombre de diplômes des sciences sociales par rapport à ceux issus des autres facultés et écoles
techniques. Cette répartition des effectifs montre que volontairement ou non, un accent
particulier a été mis sur la promotion des sciences sociales dans la politique de formation des
cadres. En effet, l’orientation est faite soit sur la base individuelle des étudiants après le
Baccalauréat, soit par les mécanismes de sélection institutionnels. Ce qui a abouti à des
effectifs pléthoriques dans certaines facultés telles que (les sciences économiques, sciences
juridiques et autres disciplines des sciences humaines et sociales (histoire, géographie,
linguistique, sociologie, criminologie, lettres modernes, etc.) voir tableau III.
17
Tableau III: Effectifs des étudiants en sciences sociales dans les trois universités de Côte d’Ivoire (2007)
université de BOUAKE
université de COCODY
université de ABOBO –ADJAME
TOTAL
Effectifs des étudiants inscrits
dans les disciplines des sciences
humains et sociales
9966
39589
573
50128
Effectifs totaux des
étudiants
10340
51411
6682
68433
Pourcentages des étudiants en
sciences sociales 2008
96,38%
77,%
8,57%
73,25%
Source : calculs des auteurs
Les étudiants des sciences sociales représentent à eux seul plus de 73,25 % des étudiants
inscrits en 2007. On constate que malgré la prédominance des sciences humaines et sociales
qui ont comme objet l’homme, c’est-à-dire les valeurs liées à l’homme et au respect des droits
humains et la tolérance mutuelle, ces valeurs ne sont pas respectées à l’université compte tenu
de l’intolérance des mouvements estudiantins et la violence à l’université associée au règne
sans partage de la FESCI née en 1990 dans le domaine syndical.
A cette première orientation, il faut noter qu’un très grand nombre d’ingénieurs et de docteurs
formés dans les disciplines scientifiques et techniques ne disposent pas toujours de la
technicité ou des moyens nécessaires pour réaliser des innovations et des technologies
adaptées à l’environnement. Beaucoup se bornent à la maintenance de certains outils et
technologies importés sans contribuer aux développements (informatiques, électroniques). On
peut affirmer que dans l’état actuel de leurs fonctionnement, les universités et les cadres
formés sont dans leur quasi-majorité des consommateurs de technologies importées (Internet,
ordinateurs, cellulaires, montres, appareils électroménagers, moteurs des usines ; etc.) sans
efforts d’innovation et de création de valeur ajoutée. Ils ne conçoivent pas de techniques et de
technologies propres à leur environnement. Ies enseignants sont prisonnier du modèle
socioculturel dominant dans lequel les universités transmettent des connaissances
hiérarchisées, disciplinaires et des valeurs prédéterminés. Les récepteurs, étudiants reçoivent
des messages prédéterminés qui inhibent leurs émotions, imaginations et créativités.
Dans le processus de développement, il est évident que le passage d’un niveau d’activités de
type primaire soumis aux aléas naturels comme par exemple la production agricole
traditionnelle et même l’extraction minière où l’exploitation forestière à des activités plus
complexes et variées, requiert l’emploi d’une main-d’œuvre spécialisée ayant un minimum de
connaissance technologique et certaines aptitudes (valy, 1979). Un éleveur ne peut pas réparer
un ordinateur ou un véhicule. Ainsi, les modèles de développement des pays africains
induisent des déséquilibres de main d’œuvre. Cette situation de déséquilibre de main-d’œuvre
compromet le progrès économique et social du pays. L’effectif de la main-d’œuvre pourrait
être excessifs dans certains secteurs alors qu’il serait très insuffisant dans d’autres. Mais la
qualité et les aspirations de cette main d’œuvre ne peuvent être en harmonie avec la nature et
l’orientation des politiques de développement de la Côte d’Ivoire actuelle.
Pour réussir une parfaite intégration entre la main-d’œuvre fournie par l’université et le
développement économique et social de la Côte d’Ivoire, nous proposons quatre fonctions :
- Fonction d’intégration sociale
18
Tous les ivoiriens ont les mêmes droits à l’éducation universitaire
- Fonction de promotion de l’éthique et des valeurs socialement acceptables
Elle tourne autour des éléments suivants : moralisation, solidarité honnêteté, respect des droits
humains, respect des institutions, démocratie, justice, probité ;
- Fonction d innovation technologiques et scientifique
Pour asseoir un développement durable, la Côte d’Ivoire doit encourager et soutenir les
développements et innovations créatrices de valeurs ajoutées pour l’économie ;
- Fonction d’émulation et stimulation des vocations
La profession ou l’activité qu’on exerce est un sacerdoce dont les produits améliorent le bienêtre collectif avant le bien-être individuel. La quête de l’enrichissement et les pratiques de
corruption ne doivent pas être les règles d’or dans l’exercice d’une activité.
Pour conclure, les deux types de cadres et d’élites que produit le système éducatif de la Côte
d’Ivoire ne correspondent plus aux orientations et objectifs de développement, car au lieu
d’avoir des techniciens et ingénieurs, docteurs inventifs, concepteurs de technologies adaptés
à nos besoins, l’on a affaire à des cadres et une élite consommatrice de technologies importées
et des spécialistes de maintenance de ces technologies. Pourtant, les besoins de la Côte
d’Ivoire pour asseoir son développement sont dans l’adaptation et l’innovation technologique,
dans la recherche et le développement et une politique d’Enseignement Supérieur de qualité.
Pour les acteurs du système, la situation est peu reluisante et la crise qui mine le système
éducatif ivoirien est imputable à une crise budgétaire dans le secteur éducatif. Il est donc
difficile de soutenir qu’il y’a une réelle promotion des vocations dans l’Enseignement
Supérieur. En vérité, il y a une réelle crise de motivation chez les enseignants pour des raisons
liées aux conditions de travail et aux mesures salariales peu attractives. Par ailleurs, les
récentes grèves entreprises par les enseignants du supérieur ont montré que les disparités
salariales constatées dans la fonction publique n’étaient pas de nature à promouvoir les
vocations dans l’Enseignement Supérieur. Au demeurant, la politique nationale à travers des
restrictions budgétaires dans le secteur éducation/formation n’assure pas la promotion des
vocations dans l’Enseignement Supérieur.
6.2 Perceptions du système par les acteurs
Concernant la stratégie de développement dans l’Enseignement Supérieur ivoirien pour les
acteurs, cela revient à se demander si le système éducatif/Enseignement Supérieur est
efficace. Mieux, est-ce que la formation en Côte d’Ivoire soutient le développement
économique et social du pays ? En guise de réponse, il faut reconnaître que pour mémoire,
l’on a créé en Côte d’Ivoire de grandes écoles de référence telles que l’ENSEA, INPHB,
IPNET, INJS, etc., pour soutenir le développement. Cependant, dans un contexte de
mondialisation consécutive à l’évolution des besoins en développement du pays, ces
institutions de formation ont besoin d’être adaptées et d’être consolidées, sans oublier la
nécessité de création de nouvelles filières de formation. En effet, le système de formation en
Côte d’Ivoire continue de souffrir le manque criard d’infrastructures qui est loin de répondre
aux besoins de la population estudiantine qui va toujours croissante (voir tableau 4). A défaut
19
d’avoir réalisé l’adéquation éducation/ formation emploi, c’est l’Etat qui doit supporter les
diplômés. En d’autres termes, l’économie ivoirienne n’a pas soutenu la formation pour
accompagner, soutenir la stratégie de développement ivoirien. C’est la demande forte
constatée en éducation et formation qui affecte la qualité de la formation et celle de l’élite
appelée à relever le défi du développement.
Tableau IV : Evolution du nombre d’étudiants par type d’établissement public de 1991-2008
Effectifs par type
d'établissement
Universités
1991-1992
1992-1993
1993-1994
1994-1995
1995-1996
2004-2005
24 325
31 600
38 207
38 940
41 313
69 436
2008
(janvier)
68 433
Grandes Écoles
2 710
2 997
2 905
2 843
3 050
5 249
3 454
2 112
1 408
1 534
1 362
1 452
4 901
3 568
29 147
36 005
42 626
43 145
45 815
79 586
75455
Formation
formateurs
Total public
de
Source : MES/DPE
Il y’a plus de demande que d’offre en formation et cela est imputable au désengagement de
l’Etat, dans le secteur éducatif. Comme solution, il s’est agit pour l’Etat de motiver la création
de grandes écoles privées. Cependant, il faut reconnaître que ces projets alternatifs,
connaissent également des problèmes. On assiste aujourd’hui à une prolifération de grandes
écoles privées, qui pour la plupart proposent les mêmes filières de formations, sans
innovations. Ces grandes écoles elles aussi ne s’inscrivent pas véritablement dans une vision
futuriste, qui nécessite la création de nouvelles filières qui tiennent compte des besoins en
formation de l’élite, au regard des besoins en développement du pays.
Le Ministère de l’Enseignement Supérieur essaie de gérer le problème de la qualité des
grandes écoles avec les moyens de contrôles qui permettent de les noter et de les classer, pour
motiver l’émulation au niveau des chefs d’établissement, pour une meilleure qualité de la
formation dans ces écoles. Le reproche qu’on peut faire au ministère, c’est de n’avoir pas mis
en place des indicateurs pour motiver et gérer la création des grandes écoles privées. En effet,
des indicateurs devraient aider à piloter le système pour favoriser l’adéquation entre la
formation et l’emploi. Mieux, ces indicateurs devraient permettre de savoir chaque année le
nombre de diplômés issus de ces écoles, et le nombre de ceux qui ont eu des emplois et ceux
qui n’en ont pas eu et ce, pour faire le suivi de l’adéquation entre la formation et l’emploi. Au
demeurant, il s’agit au niveau du Ministère de l’Enseignement Supérieur d’avoir un tableau de
bord qui va capitaliser tous les indicateurs de situation, de performance et d’efficacité. Il est
vrai que le ministère essaye de mettre en place ce projet, mais avec la crise sociopolitique du
pays, le projet d’un tableau de bord pour piloter et consolider le système éducation/formation
n’a pas encore vu le jour. Son exécution est incertaine à cause de la discontinuité dans les
actions des différents ministres qui continuent de se succéder au Ministère de l’Enseignement
Supérieur, au regard de l’actualité politique.
20
Selon, les responsables du Ministère de l’Enseignement Supérieur, les conséquences des
crises universitaires sur l’Enseignement Supérieur sont sans ambages. Depuis quelques
années, on peut constater avec amertume des années universitaires tronquées, jamais
respectées, qui perturbent considérablement la qualité de l’Enseignement Supérieur et avec,
tous les programmes de réformes en cours. Pour eux, avec l’instabilité constatée, il est
difficile de mesurer l’impact des actions du Ministère de l’Enseignement Supérieur. Par
ailleurs, cette situation d’instabilité a un impact sur les accords de partenariats avec les
universités extérieures et des bailleurs de fonds, qui reprochent à la Côte d’Ivoire, le plus
souvent, le manque de crédibilité de son système éducatif. En outre, l’instabilité consécutive
aux crises universitaires fait perdre des soutiens extérieurs, qui devraient aider à améliorer la
qualité de l’Enseignement Supérieur en Côte d’Ivoire. Aussi, les crises universitaires
continuent-elles de favoriser la crise de motivation chez les enseignants et les étudiants.
6.3 Relations entre l’autorité de tutelle et les universités
La politique de l’éducation est définie par le Ministère de l’Enseignement Supérieur qui
contrôle et fait le suivi des actions qui en émanent. Les universités et grandes écoles qui sont
des structures sous tutelle, sont appelées à mettre en application cette politique d’éducation.
Les conseils des universités sont autonomes et donc n’ont pas l’obligation d’être associés au
Ministère de l’Enseignement Supérieur. En d’autres termes, il n’y a pas de cadre d’échanges
formel (à l’exception du conseil de gestion de l’université), mais informel. En tant que
ministère de tutelle, c’est à travers des réunions entre les universités et le ministère que le
ministère profite pour voir l’évolution de l’application de la politique d’éducation dont elle a
la charge. Le système éducatif en Côte d’Ivoire n’est pas très efficace à cause de son faible
dynamisme face à l’évolution des besoins en éducation/formation. Le système de formation
continue d’avoir des problèmes pour retrouver ses repères, eu égard à la crise sociopolitique.
Cependant, malgré cette situation que connaît le système de formation, on ne peut pas dire
qu’il est obsolète. Pour preuve, au CAMES 2007, la Côte d’Ivoire a obtenu de bons résultats
en s’adjugeant la première place.
6.4 L’articulation entre les universités publiques et privées
Depuis la reforme de 1995, le secteur privé intervient dans le système de l’Enseignement
Supérieur. Cette intervention devrait obéir à des dispositions particulières. Notons par
exemple que pour la création d’une université privée, les autorités de cette université doivent
signer une convention avec une université publique qui donne une sorte de garantie sur la
conformité des enseignements qui seront dispensés. Cette convention permet de donner du
crédit à l’établissement en question et de valider leurs diplômes. Seulement, ces conventions
une fois entrées en vigueur ne font pas l’objet de contrôle et de suivi de l’autorité de tutelle.
De sorte que même si les garanties fournies au début pour signer la convention n’existent
plus, cette nouvelle structure continue de fonctionner au détriment de la qualité de
l’enseignement requise. L’un des principaux problèmes récurrents reste celui des enseignants.
Pour la signature de la convention, l’établissement qui vient de se créer présente en général
des enseignants de renommés avec des programmes adéquats. Seulement quelques années
après, l’établissement ne réussit pas à honorer ses engagements (financiers surtout) vis-à-vis
des enseignants qui quittent pour d’autres établissements. Pour combler ce déficit,
l’établissement fait appel à des étudiants de troisième cycle et principalement des doctorants
21
pour assurer les cours magistraux et les travaux dirigés (TD). Si les conventions faisaient
l’objet de suivi et de contrôle dans le temps, ce genre d’établissements corrigerait cet état de
fait pour assurer une formation de qualité à leurs étudiants.
VII. Le profil des sortants de l'université et les valeurs qui y sont véhiculées
7.1. Analyse du profil des sortants de l’université sur la période 1966-2003
Sur le plan professionnel, l’université confère aux diplômés un certain prestige. Les docteurs
issus de l’université sont employés prioritairement dans l’institution elle-même. Cependant, si
on s’en tient aux docteurs formés par l’Université de Cocody depuis sa création jusqu’en
2002, il est loisible de constater que l’accent a été mis beaucoup plus sur le domaine de la
santé que sur les autres. Sur la période indiquée, 86,5% des docteurs formés étaient du
domaine de la santé (sciences médicales, pharmaceutiques, biologiques et
odontostomatologie). Le domaine des sciences et techniques suit avec 7,5% des docteurs. Les
sciences sociales (lettres, sciences humaines, économie et droit) enregistrent à peine 10% des
docteurs formés. La politique du gouvernement pourrait-t-on dire, était de former du
personnel niveau licence et maîtrise pour l’économie et les autres secteurs d’activités et du
personnel de haut niveau pour la santé4.
: Thèses de doctorats soutenues à l’Université de Cocody de 1966 à 2002 par
discipline
Tableau V
Facultés ou UFR
Nombre de thèses
Pourcentage
soutenues
Sciences médicales (doctorat professionnel)
3 332
67,3%
Sciences pharmaceutiques et biologiques
729
14,7%
Sciences et techniques
374
7,5%
Odontostomatologies
225
4,5%
Lettres et sciences humaines
184
3,7%
Sciences économiques
101
2 ,0%
Sciences juridiques
05
0,1%
Total
4950
100%
Source : Université de Cocody, 2004.
4
Par manque de données appropriées, l’analyse des docteurs formés par genre n’a pu se faire.
22
7.2 Les valeurs véhiculées
La valeur, selon Rocher (1992), désigne la manière d’être ou d’agir qu’une personne ou une
collectivité reconnaissant comme idéale et qui rend désirable ou estimable les êtres ou les
conduites auxquels elles est attribuée (Rocher, op. cit.). Les valeurs sont transmises, apprises,
intériorisées et partagées par les individus d’un groupe social ou d’une société grâce à la
socialisation. Elles constituent un ordre idéal ou moral qui tient lieu de référence commune. Si
la valeur peut faire allusion aux normes d’une collectivité, elle peut également avoir une
dimension subjective dont la manifestation est l’adhésion par conviction du sujet à des buts ou
des fins qu’il poursuit. (Assogba, 2004). Les valeurs sont fonctions des sociétés et du temps.
Une communauté d’intellectuels véhicule des valeurs différentes de celles que l’on
rencontrerait dans le milieu rural.
On distingue les valeurs morales, intellectuelles, sociales, esthétiques et matérielles. On parle
d’une échelle de valeurs, dans la mesure ou pour chaque société, et pour chaque être, les
valeurs sont hiérarchisées, classées, de la plus haute à la plus faible conscience, et servent de
référence dans les jugements, la conduite, le choix des amis, etc. ce qui fait dire a Jean Paul
Sartre (1976) que ‘‘le système de valeurs d’une société reflète sa structure’’. Dans un tel
contexte, la valeur devient un concept sociologique. En effet, les valeurs sociales ou
sociologiques s’organisent dans un système de valeurs, elles sont subjectives et varient selon
les cultures et selon les normes. Elles représentent des manières d’être et d’agir qu’une
collectivité reconnaît comme idéales. Autrement dit, elles sont appelées à orienter l’action des
individus dans une société en fixant des buts et des idéaux. Mieux, elles servent de référence à
une société saine, en santé, et qui fonctionne bien. Au demeurant, elles sont les organes du
corps social, l’anatomie d’une société saine. C’est donc à juste titre que pour Weil (1955), la
valeur sociale est ce qui manque à une société qui fonctionne mal. Ce faisant, aider toute
société à se dégager de l’animalité par l’entremise d’un capital social, devient la tache que
doit assumer l’éducation.
En effet, l'instruction, et l’éducation plus précisément ne donnent aux sociétés que tout ce
dont elles ont besoin. C'est surtout par la transmission des valeurs sociales que celles-ci se
perpétuent, se consolident et se développent.
Le dressage pour l’instruction, comme le dit Auguste Comte, est consécutif à la formation aux
notions relatives aux valeurs sociales. Ainsi, la complémentarité de l’enseignement
académique et l’enseignement moral deviennent une nécessité absolue pour le développement
social et économique de toute société. A ce titre, l’enseignant qui porte le masque de la
science, est le serviteur, le prédicateur d’un idéal, celui du développement de la société. C’est
pourquoi ne pas tenir compte de la transmission des valeurs dans les établissements et dans la
réalisation des programmes et méthodes d’enseignement serait paradoxal.
Au regard de ce qui précède, l’étude de la valeur ou des valeurs véhiculées par une université
devient difficile à appréhender. Notre analyse va s’appuyer sur un groupe de valeurs citées par
Assogba (op. cit.) et Charbonneau (2004). Ils prennent comme base d’analyse une enquête
menée auprès de jeunes personnes par un groupe de chercheurs sur les systèmes de valeurs en
Europe. Cependant cette analyse sera précédée de généralités sur les facteurs qui influencent
la transmission des valeurs dans l’Enseignement Supérieur ivoirien.
7.2.1 Les facteurs qui influencent la transmission des valeurs
23
En Côte d’Ivoire, force est de constater que l'éducation ne s'accorde pas avec ce qu'on attend
ou ce qu'on exige, dans nos sociétés de l'enseignement public. En s’appuyant sur les fonctions
du paradigme éducationnel (Bertrand, 1992) on peut affirmer que le modèle socioculturel qui
inter réagit avec les valeurs de l’université présente un être individualiste soucieux des intérêts
économiques et de la recherche du profit.
Le système de l’Enseignement Supérieur ivoirien est sujet à plusieurs facteurs dont une crise
morale ou déontologique et de motivation, d’une insuffisance d’infrastructures ou de
complaisance des enseignants à l’égard des étudiants ou étudiantes.
A l’instar des pays en développement, l’un des problèmes majeurs auxquels l’Enseignement
Supérieur se trouve confronté en Côte d’Ivoire, reste la crise de la transmission des valeurs
dans la formation de l’élite. Cela est dû d’une part, à la crise de déontologie chez l’enseignant
et d’autre part, à la démission des parents dans l’éducation des enfants.
En effet, pour bon nombre d’étudiants, les enseignants eux-mêmes semblent ne pas donner
l’exemple. La fonction d’enseignant semble ne plus être un sacerdoce. Certains des cours dans
les universités sont assurés à partir de fascicules élaborés par les enseignants eux-mêmes, ce
qui a pour conséquence de limiter leur prestation. Pis, les étudiants sont souvent ramenés aux
fascicules, en lieu et place des cours. Ces documents seraient vendus par les enseignants. Par
ailleurs, l’objectivité dans l’évaluation des étudiants dans les universités et grandes écoles
reste toujours problématique. Des enseignants se seraient rendus coupables quelque fois de
pratiques illégales afin de favoriser l’admissibilité des étudiants et étudiantes en contrepartie
semble-t-il d’argent ou d’actes sexuels. Dans un tel contexte et si cela est vérifié, le goût de
l’effort et du mérite ne sont plus un facteur de promotion. La valeur de l’individu ne
s’évaluerait donc plus en termes de ses performances académiques mais dépendrait fortement
de ses rapports avec l’enseignant ou de l’administration universitaire. Il faut noter également
que la course à l’enrichissement peut parfois amener l’enseignant mal payé et peu probe à
tricher dans le comptage des heures de cours.
En dehors des enseignants et de l’administration universitaires, si le système éducatif est en
crise et avec lui la transmission des valeurs, il faut stigmatiser également la responsabilité des
parents, qui au lieu d’accompagner et de soutenir le système éducatif ne jouent pas pleinement
ou pas du tout leur rôle. Il arrive en effet que des parents interviennent pour « plaider » le cas
de leurs enfants auprès des personnes compétentes pour négocier le passage en année
supérieure moyennant une proposition financière. De tels comportements sont de nature à
jeter un discrédit sur l’institution universitaire et compromet la qualité de la formation des
étudiants qui en sortent.
Les étudiants eux-mêmes ne sont pas à exclure dans l’analyse des facteurs qui influencent la
transmission des bonnes valeurs à l’université. Depuis 1990, avec la réinstauration du
multipartisme et le libéralisme syndicale et associatif, le pays est entré dans un cycle de
violence provoqué et entretenu par les étudiants en accointance parfois avec des hommes
politiques. La Côte d’Ivoire a connu une génération d’étudiants issus des mouvements
syndicaux, qui sont aux antipodes d’une jeunesse civilisée, c’est-à-dire imprégnée des valeurs
morales. Cette génération d’étudiants ou « génération Fesci » a conforté l’émergence d’une
élite sans références morales. Pour bon nombre d’observateurs de l’école ivoirienne, les
limites et faiblesses actuelles du système éducatif en Côte d’Ivoire continuent d’avoir des
répercussions considérables sur la qualité de la formation et la qualité de l’élite. La qualité de
l’élite est manifeste sur le plan académique et social. L’élite est appelée à disposer à la fois
d’une compétence académique et de valeurs sociales qui fondent et guide tout processus de
24
développement. Cependant, des problèmes relatifs à l’engorgement des universités, aux
conditions de travail et d’étude très pénibles, s’ajoutent les problèmes de logement et de
conditions de vie souvent indécentes, qui développent des valeurs très peu recommandables
chez les étudiants.
7.2.2 Les valeurs positives véhiculée par l’université ivoirienne
D’une manière générale, l’on peut distinguer deux types de valeurs à savoir les valeurs « pour
soi » et les valeurs « pour les autres » (Charbonneau, 2004). Les valeurs pour soi développent
les capacités d’indépendance et d’autonomie de l’individu quand les valeurs pour les autres
renvoient plus à la socialisation de ce dernier.
Si l’on adopte ce schéma d’analyse, l’université ivoirienne a essayé de développer à des
niveaux divers ces deux types de valeurs.
*Les valeurs pour soi
Sur le plan académique, l’un des objectifs du système est d’inculquer à l’individu des
compétences qui le rendent autonome et indépendant dans la société. Le système prépare
l’étudiant à se prendre en charge dans un environnement qui devient de plus en plus
concurrentiel. Le mécanisme mis en place par le système semble privilégier le système
d’évaluation pour juger de l’acquisition des valeurs pour soi.
Le système d’évaluation qui a prévalu à la création de l’université a évolué progressivement
pour devenir de plus en plus contraignant. La première évaluation se faisait sur la base de
moyenne pondérée. Tout étudiant ayant obtenu une moyenne de 10/20 était considérée apte à
passer en année supérieure.
Ce système connaîtra des variantes avec la « semestrialisation » des enseignements et de
l’évaluation avec des examens partiels à la fin du premier semestre et un examen final à la fin
du second semestre. Ce premier système a prévalu jusqu’en 1994-1995. Ce système, semble-til ne permettait pas de développer toutes les compétences de l’étudiant. En effet, un étudiant
pouvait avoir de très mauvaises performances dans une matière et exceller dans une autre de
sorte qu’en faisant une moyenne arithmétique, celui-ci passe en année supérieure. L’étudiant
qui sort du système possède des lacunes difficiles à combler dans certaines disciplines.
Le second système d’évaluation va essayer de corriger cela en instituant des blocs. Le bloc
comprend un ensemble de matières pour lesquelles l’étudiant doit obtenir une moyenne de
10/20. En général, il existe plus d’un bloc et la validation de tous les blocs est nécessaire pour
passer en année supérieure. Il n’existe pas de compensation entre bloc. Un étudiant qui obtient
12/20 dans un bloc et 8/20 dans un autre ne peut passer en classe supérieure avant d’avoir
obtenu au moins 10/20 dans le second bloc. Il s’agit en fait d’une forme déguisée du système
des unités de valeurs actuellement en vigueur dans la plupart des Unités de Formation et de
Recherches (UFR).
En principe, le système des UV permet à l’étudiant de mieux comprendre les objectifs de sa
formation. Chaque Unité de Valeur constitue un élément bien identifié d’un ensemble
cohérent. Ce système permet à l’étudiant de conserver le bénéficie de ses acquis puisque les
Unités de Valeur sont capitalisables. Pour chaque unité de valeur d'enseignement, l'étudiant
devrait avoir droit à au moins deux évaluations. Cependant, ce système ne fonctionne pas
25
toujours comme il faut. Vu le nombre élevé des étudiants, des enseignants se contentent
d’organiser une seule évaluation pour chaque matière, ce qui pénalise les étudiants.
La variation dans le temps du système d’évaluation avait pour souci principal d’améliorer les
performances de l’étudiant et des conditions de travail de l’enseignant. Cependant, ce
système est encore lourd à gérer par la scolarité des universités non encore informatisée. Il
faut en effet, gérer les UV capitalisées par l’étudiant de même que les doubles inscriptions ;
une inscription en année supérieure et une autre pour rattraper des UV non validées. Bientôt,
le système de l’Enseignement Supérieur ivoirien adoptera le système LMD qui entrera en
vigueur les années à venir.
En somme, le système de l’Enseignement Supérieur public est toujours à la recherche de la
bonne méthode d’évaluation qui permet de limiter les déperditions mais aussi d’assurer une
qualité d’enseignement comparable à celle des universités européennes ou américaines.
Au delà des notes, l’évaluation et les diplômes qui sanctionnent la fin des études suggèrent un
ensemble de compétences graduel que l’étudiant acquiert au cours de son cursus. Les
étudiants diplômés ont la valeur que leur octroie la société que l’on peut estimer par rapport
au non diplômé. Le diplôme ouvre des perspectives professionnelles à ses détenteurs.
L’université est le lieu par excellence de la délivrance des diplômes que la société considère
comme valorisante et supérieure à toute autre institution. Cette vision valorisante et
prestigieuse de l’université de Côte d’Ivoire a prévalu dans la société ivoirienne jusqu’en
1990, année à partir de laquelle le système va connaître des crises à répétition.
Dès cet instant, la vision de l’université et de ses produits devient problématique. L’institution
est devenue le lieu de toutes les contestations sociales les plus violentes. Les diplômés sans
emplois deviennent aussi de plus en plus nombreux. Les programmes d’ajustement structurel
et la récession économique ont exacerbé la situation et ont amené l’Etat ivoirien a revoir sa
politique d’emploi. Le secteur public ne pourvoit plus d’emploi direct aux sortants de
l’université qui doivent s’adresser au secteur privé.
*Les valeurs pour les autres
Sur le plan social, des institutions ont été mises en place par le gouvernement ivoirien qui sont
susceptibles de servir la socialisation de l’étudiant et du futur adulte. Il y a notamment le
Centre National des Œuvres Universitaires (CNOU) dont le rôle principal est de mettre à la
disposition de l’étudiant les conditions sociales nécessaires à son épanouissement. Le CNOU
fournit des prestations sociales qui portent sur le logement, la restauration et des activités
extra universitaires. Il gère à ce titre les cités universitaires, les cars pour le déplacement des
étudiants (ce service est désormais supprimé) et développe des activités sportives et
culturelles au profit des étudiants. Il soutient également les initiatives de nature à améliorer les
conditions de vie et de travail des étudiants.
En juillet 2007, la capacité d’hébergement était de 9 777 lits dont 2 816 pour les filles et 6961
pour les garçons. Cette même année, la seule université de Cocody comptait à elle seule
51411 étudiants soit un ratio de 1 lit pour 5,3 étudiants. Compte tenu du grand nombre
d’étudiants et du nombre restreint de lits disponibles, une solidarité s’est développée dans les
résidences universitaires. On peut évoquer à ce titre la notion de « cambodgien » qui fait
référence à une catégorie d’étudiants non logés par le Centre Régional des Œuvres
Universitaires (CROU), nouvelle appellation du CNOU décentralisé, mais qui trouvaient gîte
avec des camarades régulièrement logés. Les chambres à deux lits abritaient au moins quatre
26
personnes et les chambres individuelles pouvait contenir deux personnes. Ces étudiants vivent
et mangent ensemble souvent avec la bourse d’une seule personne. Dans les cités
universitaires de Yopougon, cette solidarité était encore plus accentuée entre étudiants. On y
trouvait ceux que les étudiants appelaient les « palestiniens » qui sont des étudiants qui n’ont
pas droit aux prestations du CNOU soit par insuffisance de résultat, soit parce qu’ils étaient
renvoyé de l’université. La solidarité qui s’est ainsi développée dans les cités préparait les
futurs cadres du pays à des valeurs de solidarité et de la famille. Elle les préparait à s’occuper
de leurs familles respectives en aidant des frères, des cousins et d’autres enfants du village à
réussir dans les études. Compte tenu du fait qu’il existait une seule université pour tout le
pays, cette valeur a dû jouer dans la poursuite des études des enfants venus de l’intérieur du
pays.
7.2.3 Les autres valeurs à l’université
*La religion
Même si le système universitaire ne développe pas les valeurs religieuses de façon explicite, il
n’en demeure pas moins que la liberté d’association a favorisé la mise en place de plusieurs
associations religieuses dans les cités universitaires. On peut citer entre autre l'Association
Chrétienne des Elèves et Etudiants Protestants de Côte d'Ivoire (ACEEPCI) ; l'Association
des Elèves et Etudiants Musulmans de Côte d'Ivoire (AEEMCI) ; La Jeunesse Etudiante
Catholique (JEC) ; la Jeunesse de l'Eglise Protestante (JEP CMA) ; la Stratégie
d'Evangélisation en Milieu universitaire et Scolaire (SEMUS) etc. Ces associations
développent des programmes spirituels à l’endroit des étudiants et principalement de leurs
membres. De ce fait, les valeurs religieuses (honnêteté, solidarité, culture de la paix etc.) qui
sont véhiculées en milieu universitaire par ces associations ont dû peser de tout leur poids
dans la canalisation ou l’atténuation des violences à l’université ces dernières années. Ces
associations ont formé une plateforme au sein de laquelle elles interviennent périodiquement
sur les problèmes de l’école ivoirienne et principalement ceux de l’université. Le CNOU
devenu le Centre régional des Œuvres Universitaires (CROU) travaille de concert avec ces
associations pour l’amélioration des conditions de vie des étudiants.
Mais malgré le dispositif du CROU, aucune résidence universitaire n’a prévu de lieu de culte
pour les étudiants alors que la population ivoirienne a toujours été majoritairement religieuse
(tableau 5)
Tableau VI: Évolution
des proportions des adeptes des religions depuis 1975
1975
1988
1993
Chrétiens
28,60
27,40
23,00
Musulmans
33,30
38,60
43,00
27
Animistes
30,00
18,90
14,00
Autres
01,90
03,40
Nd
Sans religion
06,10
11,70
Nd
Source : Touré M. (2000)
*La politique
L’université étant le lieu de la liberté d’expression par excellence, l’on constate que les partis
politiques ont souvent recrutés leurs militants dans ce milieu. La quasi-totalité des leaders
politiques sont des universitaires formés par le système. Mais l’élément qui semble favoriser
l’aptitude des étudiants à se diriger ultérieurement en politique est la force que le
syndicalisme universitaire leur donne. Depuis 1990, les revendications syndicales
estudiantines ont pris une allure de violence. L’intransigeance de ces syndicats et la ferme
volonté de l’autorité à se faire respecter a introduit graduellement la violence dans le milieu
universitaire et scolaire. La Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire a été la
principale force syndicale estudiantine. En effet, à la faveur de la crise de septembre 2002,
l’on a pu se rendre compte que la plupart des acteurs jeunes sont des produits de la FESCI. Ce
constat est d’autant plus réel que la pertinence est dirigée par un ancien secrétaire générale de
la FESCI.
*Le domaine professionnel
Sur le plan professionnel, l’université confère aux diplômés un certain prestige. Les docteurs
issus de l’université sont employés prioritairement dans l’institution elle-même. Cependant, si
on s’en tient aux docteurs formés par l’Université de Cocody depuis sa création jusqu’en
2002, il est loisible de constater que l’accent a été beaucoup mis plus sur le domaine de la
santé que sur les autres (voir le tableau III)
7. 2.4 L’émergence de valeurs négatives
Dans les mécanismes mis en place pour la diffusion des valeurs positives, indispensables aux
sortants du système, l’on a assisté par moment à une émergence de comportements déviants
qui ont une répercussion négative sur les étudiants. Il s’agit notamment de la violence et de
l’impunité observées dans les résidences universitaires ou sur les campus universitaires.
En effet, il ressort des entretiens avec les autorités de l’université et du ministère de
l’Enseignement Supérieur que la violence et l’impunité ont fait leur apparition à l’université et
dans les résidences universitaires. A l’analyse des faits, la violence est perpétrée par certains
étudiants contre d’autres étudiants et cela en général pour des raisons politiques ou syndicales
De nombreux étudiants de l'université d'Abidjan, sont plus préoccupés par leur sécurité que
par leurs études à l'université où un syndicat d'étudiants, a recours au viol et à la torture pour
imposer sa loi sur le campus (Nations Unies, 2005). La FESCI est montrée du doigt par la
quasi-totalité des personnes rencontrées. Ceci semble corroborer le rapport d’une ONG
internationale qui fait remarquer que « plutôt que pour des grèves d’étudiants en faveur de
28
causes étudiantes, la FESCI est souvent connue aujourd’hui pour sa violence à caractère tant
politique que criminel (…) » (Human Rights Watch, 2008)
Ces étudiants, ont développés des principes de vie ‘’hors la loi’’ sans être inquiété par les
forces de l’ordre qui, au meilleur des cas les dispersent à l’aide des gaz lacrymogènes. Mais
peu de poursuites judiciaires concernent les coupables ou les meneurs d’actes répréhensibles
par la loi. Selon l’ONG citée ci-dessus, «bien que les activités illégales des membres de la
FESCI ne soient un secret pour personne en Côte d’Ivoire, les autorités gouvernementales
n’ont que rarement ouvert une enquête, arrêté et poursuivi les auteurs de ces actes illicites.
Dans de nombreux cas, les victimes de violences perpétrées par la FESCI ont déposé plainte
officiellement. Néanmoins, (…) ces plaintes n’aboutissent presque jamais ne fût-ce qu’à
l’interrogatoire d’un membre de la FESCI par la police, et encore moins à son inculpation »
(Human Rights Watch, op. cit.).
Il s’agit certainement d’un signal à ces futurs cadres qu’on peut se jouer de la justice compte
tenu de son statut. De telles attitudes relatives à la faiblesse des institutions et du système
judiciaire, confortent ces étudiants à évoluer dans l’irrespect des institutions, et à
compromettre de facto, l’émergence d’une élite capable de développement durable.
Au total, force est de reconnaître que les limites et faiblesses actuelles du système éducatif en
Côte d’Ivoire dans la transmission des valeurs essentielles au développement du pays sont
consécutives aux limites des réformes sensées consolider la politique de l’éducation. Mieux,
ces réformes ne sont toujours pas à la hauteur des besoins du pays en termes d’éducation et de
formation. Le système éducation/formation a fait de la dimension académique une priorité, au
détriment de la dimension sociale. Le système reste axé plus sur l’acquisition des
connaissances universitaires que sur l’acquisition des valeurs sociales.
29
Conclusion
L’objet de cette investigation était d’analyser la cohérence entre la stratégie de développement
de la Côte d’Ivoire et les politiques mises en œuvre dans l’Enseignement Supérieur en Côte
d’Ivoire. Pour la conduire, deux méthodes, une méthode économique et une méthode
sociologique ont été combinées. Les données proviennent de deux sources principales à savoir
des données secondaires issues de la littérature et des données primaires obtenues à la suite
d’entretiens avec les responsables de l’Enseignement Supérieur ivoirien.
Des investigations faites, l’on peut retenir que l’Enseignement Supérieur ivoirien a longtemps
été au service du développement des institutions de l’Etat. Il a fourni à l’administration et aux
institutions étatiques les cadres et le personnel nécessaire à son bon fonctionnement et à la
réalisation de ses objectifs de développement. L’Etat était alors le principal employeur des
sortants de l’université. Mais avec l’accroissement du nombre des étudiants et le
vieillissement des infrastructures, l’Enseignement Supérieur n’a pas su s’adapter aux besoins
de l’économie et du développement. L’appel au secteur privé à travers les reformes a permis
certes d’augmenter la capacité d’accueil des nouveaux étudiants, mais cela a été fait la plupart
du temps au détriment de la qualité et des besoins du marché du travail. Sur les valeurs
véhiculées par l’Enseignement Supérieur, l’étude identifie principalement trois ; à savoir les
valeurs pour soi qui développent la capacité individuelle et professionnelle de l’individu, les
valeurs pour les autres qui font référence à la sociabilité et aux dispositions de solidarité que
les individus développent et c’est ce qui fonde la société ; le dernier type de valeurs concerne
des valeurs négatives issues des conditions de vie, d’étude et de travail dans le système
d’Enseignement Supérieur. L’étude fait des recommandations susceptibles d’orienter la
politique nationale du système de l’Enseignement Supérieur.
Recommandations
*Pour recentrer la politique de l’Enseignement Supérieur public sur les besoins de l’économie
Mettre en relation les formations spécialisées avec le monde des entreprises. La validation
d’un diplôme de spécialité devrait passer par un stage dans une entreprise du domaine. C’est
pourquoi, chaque UFR devrait créer en son sein une direction des relations avec les
entreprises.
Organiser de façon périodique des rencontres entre universitaires et entrepreneurs pour
discuter des perspectives économiques et des emplois de sorte à ajuster les programmes de
formation en fonction de l’évolution de l’économie nationale et internationale.
*Pour améliorer la qualité dans l’Enseignement Supérieur
Rendre obligatoire pour les enseignants nouvellement recrutés le séminaire en pédagogie
dispenser par l’Institut de Recherche en Enseignement et en Education Pédagogique
(IREEP) et consolider le séminaire en pédagogie par la formation en déontologie relative à la
vocation d’enseigner ; instaurer un système d’inspectorat des enseignants de l’université.
*Pour renforcer le contrôle des universités privées, instaurer une évaluation périodique des
programmes d’enseignement et définir un minimum de conditions à remplir pour la mise en
place d’une université privée. L’autorité de tutelle devrait également créer un cadre permanent
de concertation entre le ministère et les institutions. Il serait également judicieux de voter une
30
loi d’orientation du Ministère de l’Enseignement Supérieur qui mettra fin à l’instabilité des
ministères, la réorganisation constante des ministères et la modification des dénominations et
ce, pour capitaliser les données et acquis des politiques.
* adopter l’approche de la formation par compétence (savoir agir) et accélérer la mise place
du LMD. Soutenir ces valeurs par des valeurs qui sous-tendent la pédagogie. Promouvoir les
valeurs dans les institutions à travers des projets éducatifs
31
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32
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33