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Cas clinique C as clinique Troubles anxieux et dépressifs dans l’aide à l’arrêt du tabagisme # P. Guichenez*, J. Perriot**, X. Quantin***, P. Dupont****, P. Godard***, P. Courtet***** L a littérature témoigne de l’association qui existe entre la dépendance tabagique et la dépression, mais aussi certains troubles anxieux, notamment la phobie sociale (PS) et le trouble anxieux généralisé (TAG) (1, 2). Nous rapportons le cas d’un sevrage tabagique chez une patiente présentant une PS, qui s’est compliqué d’un état dépressif majeur au quatrième mois. OBSERVATION Mme M., 38 ans, consulte pour une demande de sevrage tabagique. Elle est au “stade d’action” selon Prochaska et Diclemente (3). Sa dépendance physique est moyenne, avec un score de 6 au test de Fagerström. L’évaluation lors de la première consultation de la symptomatologie anxieuse et dépressive est réalisée à l’aide de l’échelle HAD (Hospital Anxiety Depression scale) = 9/6 (4). Le taux d’oxyde de carbone (CO) dans l’air expiré est à 30 ppm. La patiente fume vingt cigarettes “légères” par jour. Le début du tabagisme se situe à l’adolescence et plusieurs tentatives de sevrage avec substituts nicotiniques se sont révélées infructueuses en raison de la majoration de l’anxiété sociale et d’un syndrome de manque nicotinique intense. Les craintes du sevrage sont liées au fait que le tabagisme joue un rôle important dans la gestion de sa PS (prise de cigarettes avant d’aborder une situation sociale). En fait, le diagnostic de PS (DSM-IV) peut être posé. Le critère A de la PS est le suivant : “Une peur persistante et intense d’une ou de plusieurs situations sociales ou bien de situations de performance durant lesquelles le sujet est en contact avec des gens non familiers ou bien peut être exposé à l’éventuelle observation attentive d’autrui. Le sujet craint d’agir (ou de montrer des symptômes anxieux) de façon embarrassante ou humiliante.” Sept autres critères sont explicités dans le mini-DSM-IV. Ni antécédent psychiatrique ni prise de psychotrope ne sont notés. La PS est présente depuis l’adolescence et a favorisé l’entrée dans le tabagisme (la patiente signale que la cigarette l’a aidée à surmonter sa timidité). Elle refuse le traitement par * Centre de tabacologie, centre hospitalier, Béziers. ** Dispensaire Émile-Roux, Clermont-Ferrand. *** Service des maladies respiratoires, hôpital Arnaud-de-Villeneuve, CHU de Montpellier. **** UCT, hôpital Paul-Brousse, Villejuif. ***** Service de psychologie médicale et psychiatrie, hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier. 200 LPN 5/2006.indd 200 inhibiteur de la recapture de la sérotonine (IRS) qui lui est proposé et la prise en charge de sa PS par thérapie cognitive et comportementale (TCC). Un traitement de substitution nicotinique adapté est prescrit et permet l’arrêt du tabac, ce qui est confirmé au troisième mois par la mesure du taux de CO dans l’air expiré à 2 ppm. Elle consulte en urgence au quatrième mois, présentant à ce moment-là un état dépressif majeur selon les critères du DSM-IV alors que la substitution nicotinique a été maintenue, probablement à doses insuffisantes. La prescription d’un IRS (paroxétine 20 mg par jour) permet l’amélioration de l’humeur en 3 semaines. Au bout de 2 mois, on observe une amélioration spectaculaire de l’humeur et des symptômes de PS. La baisse des IRS à 10 mg de paroxétine quatre mois plus tard en raison d’une stabilité de l’humeur persistante s’accompagne de difficultés avec récidive des troubles d’anxiété sociale et du “craving”. Une prise en charge par TCC de sa PS est décidée, permettant une amélioration significative, la réduction, puis l’arrêt des IRS au quatorzième mois et le maintien de l’abstinence. Le CO dans l’air expiré est à 2 ppm à 18 mois. Il est intéressant de noter l’importance du suivi prolongé chez cette patiente et l’association des techniques médicamenteuses et de TCC. DISCUSSION Cette observation nous fait discuter deux problèmes fréquemment observés lors des consultations de tabacologie : l’apparition d’un état dépressif majeur lors du sevrage et l’existence d’un trouble anxieux, ici une PS, ainsi que la place des TCC dans la gestion optimale d’un trouble anxieux associé au tabagisme. Tabagisme et dépression Généralités Le tabac peut altérer le fonctionnement des neurones sérotoninergiques par l’intermédiaire d’au moins deux de ces composés : la nicotine et les bêtacarbolines (harmane, norharmane contenue dans la fumée de cigarette), qui ont une fonction d’inhibition de la mono-amine-oxydase. Cette constatation renforce l’hypothèse que certains troubles psychiatriques associés à la consommation de tabac le sont vraisemblablement parce que plusieurs composés du tabac entraînent des perturbations durables du fonctionnement neurobiologique cérébral, dont celles du système sérotoninergique (5). La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 8/11/06 10:19:56 Antécédents de dépression et tabagisme Une littérature abondante existe sur les liens entre le tabagisme et la dépression. Glassman, dans une enquête épidémiologique portant sur plus de 3 000 sujets, a démontré que la dépression est plus fréquente chez les fumeurs que chez les non-fumeurs (6,6 % versus 2,9 %), et que les fumeurs ayant des antécédents de dépression (prévalence sur la vie entière) ont significativement moins de chances de s’arrêter de fumer que les sujets sans antécédents dépressifs (14 % versus 28 %) (6). L’association entre tabagisme et dépression majeure, au sens du DSM-IV, est plus forte s’il existe une dépendance à la nicotine que si elle est absente (6). Il semble admis que le tabagisme permet à certains sujets de contrôler leurs troubles dépressifs (7). Si le lien physiopathologique entre ces troubles reste encore mal connu, le risque d’apparition d’épisodes dépressifs majeurs pendant les mois qui suivent le début du sevrage est assez bien établi, que la personne ait des antécédents dépressifs ou non (8, 9). Ces personnes qui présentent un trouble dépressif induit par le sevrage ont plus de difficultés à s’arrêter de fumer. Les fumeurs avec antécédents de dépression majeure qui veulent arrêter de fumer ont un plus grand risque d’échec que les fumeurs non dépressifs. Cela suggère donc que ceux qui réussissent à s’abstenir ont un risque plus grand de dépression comparativement à ceux qui continuent de fumer. Ces résultats sont confirmés par l’étude de Glassman et al. (10) : sur 76 participants ayant des antécédents de dépression, 42 personnes ont arrêté de fumer, 13 d’entre elles ont développé dans les six mois un épisode de dépression majeure alors que seules 2 personnes fumeuses ont eu un épisode dépressif. L’incidence de la dépression majeure après sevrage tabagique – de 14,1 % à un an – est significativement plus élevée que dans la population générale (11). Toutefois, une méta-analyse portant sur 15 études ne distingue aucune différence dans le maintien de l’abstinence tabagique au-delà de 6 mois chez les fumeurs ayant présenté ou non des antécédents de dépression (12). Ces apparentes contradictions pourraient trouver leur origine dans la fréquente intrication des dysthymies (uni- ou bipolaires) et des troubles anxieux, ces derniers pouvant aussi se révéler lors du sevrage tabagique, qu’il y ait ou non un antécédent dépressif. Il faut enfin rappeler que le terme d’“anxiété” recouvre un ensemble marqué d’hétérogénéité. Tabagisme et bipolarité La recherche de troubles bipolaires, notamment de bipolarité de type II, est de mise avec les questionnaires de Angst et d’Akiskal (13). Parfois masqués et atténués, ils doivent être suspectés chez des patients ayant un parcours de vie “professionnel et/ou sentimental chaotique”, de multiples échecs lors des tentatives d’arrêt “avec possibilité d’acte de violence” dépassant l’instabilité émotionnelle associée au manque nicotinique ; une alcoolisation est fréquente, de même que sont possibles des troubles du comportement alimentaire (14-16). Pour Lagrue et al., la fréquence des troubles bipolaires est sous-estimée dans les consultations de tabacologie. Ils doivent cependant être diagnostiqués pour une prise en charge La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 LPN 5/2006.indd 201 optimale (tableau I) (17). L’existence d’éléments suggérant un trouble bipolaire peut justifier un avis spécialisé si le tabacologue ne se sent pas à l’aise dans la gestion de tels troubles, qui passe par la prescription de thymorégulateurs (carbamazépine ou valpromide). Tableau I. Répartition des troubles anxieux et dépressifs chez 200 fumeurs consultant en tabacologie et ayant eu en 2002 une “miniinterview” structurée (DSM-IV) au centre de tabacologie de Créteil. Cas clinique C as clinique Dépendance physique : 85 % Fagerström 5-7 : 46 % Fagerström 8-10 : 39 % BDI (Beck Depression Inventory - forme abrégée) > 9 : 34 % Fumeurs avec dépendance tabagique Antécédent d’état dépressif majeur : 73 % État dépressif majeur actuel : 23 % Dysthymie : 9 % Bipolarité de type II (vie entière) : 8,7 % Phobie sociale : 26 % Agoraphobie : 18 % Stress post-traumatique : 12,8 % Bipolarité élargie subsyndromique : 16 % (soit 50 % des états dépressifs apparemment unipolaires) Tabagisme, dépression et âge Chez les adolescents, les fumeurs ont des scores de dépression plus élevés (18). Cette relation de comorbidité entre la dépression et la dépendance tabagique ne semble pas causale, mais plutôt liée à un partage de facteurs de risque communs, essentiellement génétiques (19). Breslau et al. (20) ont réalisé une étude épidémiologique avec un suivi longitudinal sur 5 ans de 1 007 jeunes adultes. L’existence d’une dépression majeure au début augmente de façon significative le risque d’évolution vers un tabagisme (OR = 3,0 ; IC95 = 1,1-8,2) et un tabagisme actif au départ augmente le risque d’épisode dépressif majeur de façon significative (OR = 1,9 ; IC95 = 1,1-3,4). Tabagisme, dépression et contexte somatique Dans une population de bronchite chronique, l’incidence de l’anxiété (OR = 5,09 ; IC95 = 4,08-19,59) et de la dépression (OR = 7,56 ; IC95 = 3,37-16,96) est plus importante dans le groupe des fumeurs (21). Le risque de dépression chez les patients porteurs d’une bronchite chronique obstructive est mis en évidence par plusieurs auteurs (22). Dans cette population, les antidépresseurs peuvent se discuter (23). Dans une population de femmes enceintes, une dépression ou un antécédent de dépression est un obstacle à l’arrêt du tabac (24). Tabagisme et troubles anxieux Tabagisme et phobie sociale Les liens entre la PS et la dépendance tabagique sont établis par Sonntag et al. (25), qui ont réalisé une étude longitudinale 201 8/11/06 10:19:57 Cas clinique C as clinique prospective sur un échantillon de 3 021 adolescents et jeunes adultes. Au départ, 25,2 % avaient une anxiété sociale limitée et 7,2 % présentaient les critères DSM-IV de la PS. Pour la plupart, l’apparition d’une anxiété était antérieure à l’initiation au tabagisme. L’analyse rétrospective des données révèle que la PS et l’anxiété sociale limitée sont significativement associées à des taux de dépendance à la nicotine plus élevés. Concernant l’association entre l’anxiété sociale et le statut tabagique, au départ, il existe une association significative entre PS et dépendance tabagique. Les fumeurs dépendants sont retrouvés : – à 15,4 % dans le groupe sans trouble d’anxiété sociale, groupe de référence ; – à 26,1 % dans le groupe “peur sociale” (OR = 1,95 ; IC95 = 1,43-2,66) ; – à 31,5 % dans le groupe PS (OR = 2,07 ; IC95 = 1,29-3,29). La présence d’une peur ou d’une PS au départ augmente-telle le risque de devenir un fumeur régulier et dépendant à la nicotine quatre ans plus tard ? Les non-fumeurs au départ avec une anxiété et les fumeurs initiaux avec une anxiété sociale avaient un risque accru de devenir dépendant à la nicotine pendant la période de suivi de 4 ans (OR respectivement à 3,85 et 1,5). Ces résultats sont restés significatifs même en tenant compte des comorbidités anxiodépressives. D’autres auteurs ont bien mis en évidence la relation entre les troubles anxieux et la dépendance tabagique, notamment la PS (1, 2, 26). Au centre de tabacologie de Créteil, il est systématiquement pratiqué, chez les fumeurs les plus dépendants (score de Fagerström supérieur à 6), un inventaire psychologique fondé sur deux autoquestionnaires : le HAD et le test de Beck dans sa forme abrégée en 13 questions. Ces questionnaires sont complétés par une “mini-interview” structurée. Des troubles anxiodépressifs sont retrouvés dans 34 % des cas. Parmi les troubles anxieux, la PS et le trouble anxieux généralisé (TAG) sont les plus fréquents (1). La PS est bien souvent à l’origine de leur dépendance tabagique ou alcoolotabagique (27). Ces sujets ont en effet utilisé le tabac et/ou l’alcool comme une aide dans toutes les situations rendues difficiles par leur anxiété sociale et leur manque de confiance en eux-mêmes. Ces troubles sont plus fréquents chez les femmes, expliquant en partie leur plus grande difficulté à arrêter de fumer. Les autres raisons sont l’existence d’un syndrome dépressif plus fréquent, une moins bonne efficacité des substituts nicotiniques et la crainte plus importante de la prise de poids (28). Tabagisme et attaques de panique avec agoraphobie Les relations entre attaques de panique et tabagisme sont notées par certains auteurs (29). Chez les fumeurs réguliers (OR = 2,9 ; IC95 = 1,0-8,4) et chez les fumeurs dépendants (OR = 3,6 ; IC95 = 1,2-10,5), une augmentation du risque d’apparition d’attaques de panique existe. Mc Cabe (30) retrouve une plus grande proportion de fumeurs dans le groupe attaques de panique (40,4 %) que dans les groupes PS (20 %) et trouble obsessionnel compulsif (22,4 %). Les sujets avec attaques de panique présentent également un tabagisme plus important (supérieur à 10 cigarettes par jour). Vessichio et 202 LPN 5/2006.indd 202 al. ont rapporté deux cas d’apparition d’attaques de panique lors d’un sevrage tabagique (31). Goodwin, qui a étudié les relations entre troubles anxieux et tabagisme chez des adolescents, a mis en évidence une relation entre trouble panique et tabagisme (OR = 3,7 ; IC95 = 1,6-8,9) [32]. Tabagisme et stress post-traumatique Concernant le stress post-traumatique, la dépendance à la nicotine est souvent retrouvée (OR = 4,26 ; IC95 = 2,59-7) [33]. Lagrue et al., dans une série récente, retrouvent 12,8 % de stress post-traumatique chez les fumeurs avec dépendance tabagique (17). Pour Mc Fall, la prise en charge d’un stress post-traumatique peut être utile au cours du sevrage tabagique (34). Tabagisme et trouble anxieux généralisé Pour Lagrue et al., le TAG est également fréquemment retrouvé en cas de forte dépendance tabagique, notamment chez les femmes (1). Dans une enquête de prévalence sur un an du TAG portant sur 4 181 sujets, le risque relatif de dépendance à la nicotine a été retrouvé à 1,7 (IC95 = 0,8-3,7) [35]. Le TAG plus fréquent chez les femmes est l’une des explications au fait que l’arrêt du tabac est également plus difficile chez elles (1, 35). Les tabacologues doivent apprendre à mieux diagnostiquer les troubles anxieux pour une meilleure prise en charge multidisciplinaire, notamment avec l’apport des TCC (36). Risques de dépression chez les sujets présentant un trouble anxieux, notamment une phobie sociale (tableau II) Tableau II. Comorbidité des différents troubles anxieux avec les troubles dépressifs majeurs (résumé des principales études internationales), d’après Pélissolo (37). Prévalence des troubles dépressifs chez les patients présentant un trouble anxieux OR 22-68 % 4-20 46 % 3-4 Trouble anxieux généralisé 39-62 % 9-13 Phobies spécifiques 25-42 % 3-5 Phobies sociales 40-70 % 3-10 Troubles obsessionnels compulsifs 27-60 % 4-20 État de stress post-traumatique 50-75 % 4-7 Trouble panique Agoraphobie La comorbidité entre PS et dépression est très élevée dans toutes les études épidémiologiques. La présence d’une PS multiplie par trois environ le risque de présenter un épisode dépressif majeur ou une dysthymie (37). Dans une enquête longitudinale prospective portant sur 3 021 adolescents, les sujets avec PS sans symptômes dépressifs initiaux ont un risque relatif à 3,5 (IC95 = 2,0-6,0) d’avoir une dépression dans un suivi de 4 ans (24). Pour Pélissolo, le risque dépressif chez La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 8/11/06 10:19:57 les personnes atteintes de troubles anxieux pourrait être une vulnérabilité commune aux deux troubles (37). L’étude de la chronologie entre ces deux troubles montre que la PS survient en premier dans 68,5 % des cas. Le diagnostic de la dépression chez les sujets anxieux n’est pas toujours simple et certaines particularités sémiologiques sont notables, les troubles dépressifs s’accompagnant souvent d’une inhibition, d’un manque d’intérêt pour autrui et d’un retrait social (38, 39). Place des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine dans le sevrage tabagique dans la littérature Dans la Cochrane review, Hughes et al. concluent qu’il est plus facile à des patients traités par le bupropion (19 études, OR = 2,06 ; IC95 = 1,77-2,40) ou la nortriptyline (4 études, OR = 2,79 ; IC95 = 1,70-4,59) de s’arrêter de fumer qu’à ceux traités par les IRS (fluoxétine, sertraline, venlafaxine) [40]. Dans une étude randomisée (79 patients sous nortriptyline et 79 sous substituts nicotiniques), l’abstinence à 6 mois était respectivement à 23 % et 10 % (p = 0,52) (41). Ce résultat est confirmé par une méta-analyse incluant 861 fumeurs, comparant placebo et nortriptyline, et objectivant une abstinence augmentée à 6 mois avec la nortriptyline (OR = 2,4 ; IC95 = 1,73,6) (42) ; Hitsman et al. (43, 44) ont montré que l’adjonction d’un traitement de fluoxétine augmentait, par rapport à celle d’un placebo, la probabilité d’abstinence chez des fumeurs présentant des troubles dépressifs mineurs. Le traitement semble à l’inverse sans effet chez des personnes sans troubles dépressifs. Il semblerait également que les chances de succès du sevrage augmentent avec les taux sanguins de fluoxétine. Des études similaires ont été conduites avec la paroxétine, confirmant l’efficacité de cet antidépresseur dans le sevrage tabagique avec des taux d’abstinence à 26 semaines de l’ordre de 33 % pour les patients traités avec 20 mg de paroxétine et de 38 % pour ceux traités avec 40 mg de paroxétine, contre 24 % pour les patients sous placebo (45). Covey et al. ont étudié l’apport de la sertraline dans l’aide à l’arrêt du tabac chez des fumeurs avec antécédents de dépression. Il n’y a pas de différence significative à la fin du traitement (46). Une autre étude a montré une diminution du taux d’abstinence sous fluoxétine par rapport à celui observé sous placebo (47). La sertraline n’a pas montré d’effet sur l’arrêt du tabac (48), et le citalopram, étudié sur une population d’alcooliques, mais n’effectuant pas de tentative d’arrêt, n’a pas montré d’effet sur la consommation de cigarettes (49). Un traitement des troubles anxiodépressifs est parfois délicat à proposer au fumeur. En consultation de tabacologie, devant la fréquence et la difficulté de la prise en charge des troubles dépressifs et anxieux, nous nous sommes interrogés sur l’utilité de la prescription dans le sevrage tabagique des IRS qui, d’après les recommandations de l’Afssaps de mai 2003, ne font pas partie des thérapeutiques recommandées dans l’aide à l’arrêt du tabac en tant que telles, mais sont largement utilisés en pratique courante par les tabacologues (50), confrontés, chez leurs patients, à la fréquente association de fortes consommations de tabac et d’une dépenLa Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 LPN 5/2006.indd 203 dance avec des pathologies somatiques et des troubles anxiodépressifs. Si les IRS ou IRSNA (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) ne représentent pas en soi des médicaments du sevrage tabagique (50), ils n’en ont pas moins fréquemment une utilité dans la prise en charge des fumeurs fortement dépendants, qui représentent la majorité des consultants des centres de tabacologie et présentent dans au moins 50 % des cas des troubles anxiodépressifs (1, 13), causes majeures d’échec du sevrage. Cas clinique C as clinique Place des IRS dans une stratégie tabacologique d’un centre de référence Pour Lagrue, trois situations cliniques nécessitant un traitement d’IRS peuvent se rencontrer de façon schématique : – des fumeurs avec troubles de l’humeur connus et traités : l’avis du psychiatre traitant doit alors être pris pour renforcer le traitement antidépresseur ; – des fumeurs avec troubles de l’humeur latents et non traités : ces fumeurs ont déjà fait des tentatives d’arrêt, mais accompagnées d’un syndrome de sevrage intense avec humeur dépressive. Un traitement par IRS est souvent nécessaire d’emblée ou secondairement. Des antécédents dépressifs personnels sont fréquemment retrouvés et les troubles anxieux sont souvent associés aux troubles dépressifs. Les femmes sont plus difficiles à prendre en charge du fait de la plus grande fréquence d’un syndrome dépressif, d’une anxiété généralisée et d’une PS. Les troubles prémenstruels représentent plus rarement un facteur de difficulté à l’arrêt ; – des fumeurs présentant un état dépressif grave qui apparaît brusquement, 3 à 6 semaines après le sevrage en l’absence d’antécédents de troubles thymiques ou d’anomalie au test de dépistage, HAD ou par l’inventaire de dépression de Beck (1). Perriot et al. (14) proposent un schéma de diagnostic et de prise en charge de la dépression lors du sevrage tabagique dans lequel la place des IRS est bien définie (tableau III). Il préconise un traitement par les IRS chez des patients ayant une motivation à l’arrêt suffisante et une dépression avérée ou des antécédents de dépression dans l’année qui précède. Dans le cas d’une dépression avérée ou dans celui de patients avec antécédents de dépression lors d’un sevrage antérieur ayant induit la reprise du tabagisme, les IRS sont prescrits pendant 4 à 8 semaines, avec, par la suite, l’arrêt du tabac avec de fortes doses de substituts nicotiniques. La durée de traitement par les IRS est supérieure à 6 mois. Pour des patients ayant des antécédents de dépression dans l’année qui précède, les IRS sont prescrits à demi-dose. Lorsque la dépression apparaît au cours du sevrage, les patients sont pris en charge immédiatement par des IRS et, éventuellement, par des substituts nicotiniques. La durée du traitement par IRS peut s’étaler sur plus de 6 mois ; des cas de dépressions récurrentes chez le patient en sevrage tabagique, voire apparaissant à distance de l’arrêt, ont été décrits (51). Apport des TCC dans la gestion des troubles anxieux et/ou dépressifs dans le cadre d’un sevrage tabagique Les TCC ont démontré leur utilité dans la prise en charge des troubles anxieux et/ou dépressifs lors du sevrage tabagique. 203 8/11/06 10:19:58 Cas clinique C as clinique Tableau III. Diagnostic et prise en charge de la dépression lors du sevrage tabagique, d’après Perriot (14). SN = substitut nicotinique. Consultation initiale Évaluation de l’état dépressif : clinique + mini-interview structurée + tests de dépistage : HAD/BECK Pas de dépression ou d’antécédent de dépression Prise en charge habituelle Dépression avérée ou risque majeur de dépression à l’occasion du sevrage (arrêt-maintenance) Motivation à l’arrêt insuffisante • Entretien de motivation (individuel ou réunion de groupe) • Prise en charge de la dépression (± avis spécialisé) Motivation à l’arrêt suffisante • Dépression avérée : IRS 4 à 8 semaines, puis arrêt du tabagisme (fortes doses initiales de SN, durée du traitement par IRS > 6 mois). • Pas de dépression avérée, mais antécédent de dépression dans l’année qui précède : reprise de l’IRS à demi-dose (puis adaptation posologique) et arrêt du tabagisme (selon les modalités précédentes). • Antécédent de dépression lors d’un sevrage antérieur (arrêt/maintenance) ayant induit la reprise du tabagisme : – bupropion ± SN ; – IRS ou autres antidépresseurs (tricycliques, IMAO) + SN. • Tableau de bipolarité (avérée ou atténuée) : thymorégulateurs (valpromide ou carbamazépine). Apparition d’une dépression au cours du sevrage (phase d’arrêt ou de maintenance) Évaluation régulière : recherche d’une dépression Clinique + HAD/BECK (JO + J30, J90, J180) Prise en charge immédiate Sortie du tabagisme IRS ± SN Suivi prolongé (> 6 mois, si possible ≥ 12 mois) Elles permettent non seulement d’améliorer la qualité de vie du patient dans l’aide à l’arrêt, mais encore d’accroître l’efficacité des médicaments du sevrage ou des psychotropes et d’optimiser les résultats de la tentative d’arrêt. TCC et troubles anxieux Un cas de PS traité par TCC avec arrêt du tabagisme après plusieurs tentatives infructueuses par les techniques tabacologiques classiques a été récemment rapporté (26). De même, la prise en charge optimale d’un trouble anxieux (TAG, attaques de panique avec agoraphobie) par TCC a permis un sevrage plus confortable (36, 52). 204 LPN 5/2006.indd 204 TCC, troubles dépressifs et coaddictions L’efficacité des TCC est démontrée chez les fumeurs présentant des antécédents d’alcoolisme ou de dépression (53) et, pour Hall et al., elle améliore le taux d’abstinence chez les fumeurs avec antécédents de dépression (54). Une autre étude analysant la nortriptyline et les TCC confirme l’efficacité de ces dernières en cas d’antécédents de dépression (55), ainsi que Haas dans la conclusion de son article (56). De même, l’apport des TCC en cas d’antécédents de dépression est noté par Brown et al. ainsi que par Rabois et al. (57, 58). La gestion des émotions améliore l’efficacité du sevrage tabagique de façon significative (59). Cependant, pour Haaga et al., les techniques cognitives donnent des résultats non significatifs dans la vulnérabilité dépressive chez les fumeurs (60). Les TCC jouent également un rôle dans l’augmentation des émotions positives (61). La gestion des affects négatifs dans une étude portant sur 721 adolescents pourrait s’avérer utile à l’avenir (62). Les TCC permettent en outre de réaliser plusieurs analyses fonctionnelles en cas de coaddictions avec l’alcool et le cannabis, permettant une prise en charge optimisée (63). Comment le tabacologue évalue-t-il l’anxiété et la dépression ? La recherche d’antécédents de troubles anxieux et d’état dépressif majeur doit être systématique “dès l’entretien initial, puis à chaque consultation de sevrage et de suivi”. L’existence d’un trouble dépressif actuel selon les critères du DSM-IV doit être constatée en présence de signes cliniques évocateurs, comme ceux présentés par Mme M. Il est possible, en pratique quotidienne, de s’appuyer sur des outils de dépistage tels que l’échelle HAD (4). Lorsque le sujet présente un score d’anxiété et/ou de dépression supérieur ou égal à 8, le bilan peut être complété par le questionnaire d’évaluation de la dépression de Beck (13 items). Bien que plus lourde, l’évaluation psychiatrique peut nécessiter la réalisation d’un entretien standardisé structuré tel que la MNPI (Multiphasic Neuro-Psychiatric Interview) ou la MMPI (Minnesota Multiphasic Psychiatric Interview). Cela permet de préciser l’existence des troubles dépressifs ou anxieux, qui sont fréquemment associés au tabagisme (13). L’utilisation d’outils de dépistage d’un trouble bipolaire et d’évaluation des tempéraments affectifs proposés par Hantouche et Akiskal, d’une part, et Angst d’autre part (13, 64, 65) permet de discerner des troubles bipolaires dans leur forme atténuée ou majeure. En effet, ces troubles semblent très fréquents chez les consultants des centres spécialisés en tabacologie (17). CONCLUSION L’association troubles anxiodépressifs-tabagisme se révèle très fréquente, puisqu’elle est retrouvée chez plus de 50 % des consultants fortement dépendants fréquentant les centres spécialisés en tabacologie. Ces troubles sont d’autant plus sévères et répétés que le niveau de dépendance est plus élevé. La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 5 - septembre-octobre 2006 8/11/06 10:19:58 Un tel fait a conduit Lagrue à poser la question : “La nicotine est-elle un antidépresseur ?” (66). Si son pouvoir addictogène paraît en lui-même assez restreint, l’association aux IMAO présents dans la fumée de tabac (bêtacarbolines) ou relevant d’une production endogène à partir d’autres produits présents dans cette dernière donne à cet ensemble un puissant pouvoir addictogène (67) dont les déficits d’apport sont sources de “craving” et de syndrome de manque affectant le pronostic de la tentative d’arrêt. Parmi les effets secondaires du sevrage, les troubles anxiodépressifs tiennent la première place, ce qui doit conduire le tabacologue à évaluer avec précision l’existence ou le risque d’émergence de ces troubles avant ou pendant le sevrage. L’évaluation initiale de la situation est d’abord clinique, mais elle peut être aidée par l’usage des efficaces tests psychométriques déjà évoqués. Leur prise en charge relève de l’utilisation de médicaments psychotropes dont l’arrêt doit être très progressif et accompagné par les TCC (68, 69). La prévention et la correction des troubles anxiodépressifs, un enjeu majeur de toute thérapie d’aide à l’arrêt du tabagisme, imposent une réflexion sur les modalités thérapeutiques, laquelle peut être aidée par des algorythmes décisionnels (13). Au-delà, un tel fait souligne la nécessité d’une intervention multicomposante sur fond d’analyse initiale exhaustive de la situation tabagique et de suivi régulier. Ainsi, le sevrage tabagique ne peut représenter un “tout-en-soi” mais doit, à l’évidence, s’inscrire dans une intervention globale étalée dans le temps, personnalisée, qui est propre au soin en addictologie, et reconnaît au médecin un rôle d’acteur décisif dans la prise O en charge (70). 11. Tosh JY, Humfleet GL, Munoz RF, Reus VI, Hartz DT, Hall SM. Development of major depression after treatment for smoking cessation. Am J Psychiatry 2000;157:368-74. 12. Hitman B, Borrelli B, McChargue DE, Spring B, Niaura R. History of depression and smoking cessation outcome: a meta-analysis. 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