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D OSSIER
thématique
Transplantation
combinée
Coordinateur : Y. Calmus
Double greffe : cœur-rein
Combined heart and kidney transplantation
●●E.Vermes*, M.L. Hillion*, K. Dahan**, P. Grimbert**, P. Lang**,
D. ­Loisance*, M. Kirsch*
RÉSUMÉ
S U M M A RY
Le nombre de transplantations cœur-rein ne cesse d’augmenter
depuis le succès de la première transplantation combinée
réalisée en 1986. Cependant, en raison de la pénurie des
donneurs, il est essentiel d’évaluer ces patients pour les sélectionner au mieux. Cette sélection passe par une détermination
rigoureuse des pronostics cardiaque et rénal par une équipe
pluridisciplinaire comprenant des néphrologues, des cardiologues et des chirurgiens.
Plusieurs équipes ont maintenant bien démontré que l’incidence
des rejets aigus cardiaques est significativement moindre chez
les transplantés cœur-rein comparativement aux transplantés
cœur seul. Une étude plus récente semble montrer le même
constat pour les rejets rénaux par rapport aux transplantations
rénales seules. L’incidence de la maladie coronaire du greffon
apparaît également moindre dans cette population. La survie
des patients n’est cependant pas affectée et reste très similaire
à la survie des transplantés cardiaques seuls.
During the past 15 years, the number
of combined heart-kidney has expanded.
Because of the critical shortage of organs,
it is crucial to evaluate very carefully
potential recipients. This process evaluation includes renal and cardiologic
evaluation.
Combined heart-kidney transplantations
have demonstrated excellent results.The
rate of acute heart and kidney rejection and angiographic CAV seem lower
in combined heart-kidney recipients
compared with isolated heart recipients.
Moreover, the rate of acute kidney rejection seems also to be lower in this specific
population compared with isolated kidney
recipients.
Mots-clés : Transplantation – Rein – Cœur – Chirurgie –
Biopsie rénale – Dialyse.
Keywords: Transplantation – Kidney –
Heart – Surgery – Renal biopsies – Dialysis.
HISTORIQUE
* Service de chirurgie thoracique et cardio­
vasculaire, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
** Service de néphrologie et de transplantation
rénale, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
L’histoire de la transplantation
remonte au début du xxe siècle avec
les premiers travaux d’Alexis Carel sur
l’animal en 1902. Mais ce n’est qu’en
décembre 1954, à Brigham que réussira
la première transplantation rénale chez
l’homme, entre deux frères jumeaux
monozygotes. La première transplantation rénale réalisée chez deux frères
jumeaux dizygotes, contemporaine des
progrès de la recherche sur le système
immunitaire, suivra 5 ans plus tard.
En 1967 sera réalisée la première greffe
cardiaque humaine en Afrique du Sud (1).
150
En Europe, la première transplantation
cardiaque sera réalisée en 1968 par
l’équipe française du Pr Cabrol.
La première double greffe combinée
cœur-rein sera accomplie 11 ans plus
tard, en 1978. Malheureusement, le
patient décédera à 15 jours d’un sepsis,
sans évidence de rejet cardiaque ou rénal.
C’est en 1986 que la première transplantation cœur-rein sera réalisée avec
succès aux États-Unis (2) et, en 1988, en
France (3) par l’équipe du Pr Cachera,
soit 20 ans après la première transplantation cardiaque.
Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2009
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À partir des années 1990, les greffes
multi-organes telles que rein-pancréas,
cœur-poumon, cœur-foie et rein-foie
ont connu une expansion croissante.
De janvier 1988 à novembre 2006, il a
été rapporté par l’UNOS (l’organisme
chargé de répertorier l’ensemble des
transplantations dans le monde) un total
de 448 transplantations combinées cœurrein dont 125 en France.
SÉLECTION DES CANDIDATS
À UNE TRANSPLANTATION CŒUR-REIN
La sélection des patients à une greffe
combinée cœur-rein nécessite une
étroite collaboration entre le centre de
transplantation rénale et celui de transplantation cardiaque. Cette sélection est
essentielle tant pour garantir une survie
prolongée de grande qualité chez les
patients greffés que pour une utilisation
optimale des rares greffons disponibles.
Cette sélection passe par l’identification
de deux grands types de patients.
✓✓ Les patients candidats à une transplantation rénale qui présentent une
cardiopathie concomitante. Le rôle du
cardiologue est ici prépondérant afin
d’évaluer le pronostic du patient pour
envisager ou non une greffe cardiaque
associée à une greffe rénale.
✓✓ Les patients candidats à une transplantation cardiaque qui présentent de
façon concomitante une insuffisance
rénale. Le rôle du néphrologue est
dans ce cas prépondérant pour évaluer
la nécessité ou non d’associer à la greffe
cardiaque une greffe rénale.
Patients candidats
à la transplantation rénale
avec cardiopathie concomitante
Il s’agit le plus souvent de patients ayant
une insuffisance rénale justifiant une
transplantation rénale (néphropathies
hypertensives et vasculaires, néphro­
pathies diabétiques, néphro­p athies
interstitielles chroniques, glomérulonéphrites, etc.), adressés par le néphro­
logue au cardiologue afin de poser
l’indication d’une greffe de cœur associée. Le rôle du cardiologue est d’évaluer
de façon précise le pronostic individuel
du patient, étant entendu qu’une double
greffe ne sera proposée que si le patient
est à haut risque cardiaque.
●● “Pré-requis” ●
pour une transplantation cardiaque
Un patient candidat à la greffe doit
avant tout être demandeur et motivé,
avoir une cardiopathie sévère irréversible malgré un traitement médical
optimal et non médical (défibrillateur
et resynchronisation inclus), être au-delà
de toute possibilité de chirurgie alternative (remplacement valvulaire, pontage
aorto-coronaire, résection ventriculaire)
et être âgé de moins de 65 ans.
●● Évaluation d’un patient ●
à haut risque
Plusieurs critères cliniques et para­
cliniques sont à notre disposition pour
évaluer le pronostic du patient insuffisant
cardiaque. La capacité fonctionnelle est
un indicateur pronostique fort chez un
patient insuffisant cardiaque. Elle peut
être évaluée de façon subjective par la
classe fonctionnelle de la New York Heart
Association (NYHA) mais surtout de
façon objective par une épreuve d’effort.
L’épreuve d’effort avec détermination de
la consommation maximale de l’oxygène
(VO2) reste un facteur prédictif puissant
d’événements pour guider l’indication de
transplantation cardiaque. D.M. Mancini
et al. (4) ont été les premiers à démontrer
l’intérêt pronostique de la VO2 pour identifier des candidats à la transplantation
cardiaque. Dans cette étude, les cas de
114 patients en insuffisance cardiaque
chronique, sélectionnés entre 1986
et 1989, ont été séparés en trois groupes :
● groupe 1 : patients ayant une VO maxi2
male inférieure ou égale à 14 ml/­kg/­mn
et acceptés pour la transplantation
cardiaque (n = 35) ;
● groupe 2 : patients avec une VO maxi2
male supérieure à 14 ml/kg/mn non indiquée pour la greffe (n = 52) ;
● groupe 3 : patients ayant une VO
2
inférieure ou égale à 14 ml/kg/mn, mais
récusés pour la greffe pour des causes
extracardiaques (n = 27).
151
La survie à 1 an a été significativement
meilleure dans le groupe 2 comparativement aux groupes 1 et 3.
En reprenant l’ensemble de la cohorte de
cette étude, les patients avec un pic de
VO2 inférieur à 10 ml/kg/mn avaient une
survie à 1 an significativement plus basse
que ceux ayant une VO2 supérieure à
14 ml/kg/mn. Pour ces derniers, la survie
à 1 an était similaire à la survie après la
greffe. Des recommandations avaient
découlé de cette étude, stipulant qu’une
VO2 inférieur à 10 ml/kg/mn indiquait
une transplantation cardiaque et que
cette indication était probable quand le
pic de VO2 était inférieur à 14 ml/­kg/­mn,
en insistant sur le fait que le seuil ventilatoire devait être atteint, garantissant un
effort maximal. Cependant, cette étude
avait été réalisée avant l’avènement des
bêtabloquants. L.R. Peterson et al. ont
donc réévalué l’utilité du pic de VO2
inférieur à 14 ml/­kg/mn comme indicateur de transplantation cardiaque chez les
patients sous bêtabloquants (5). Sur une
cohorte de 540 patients en insuffisance
cardiaque, les sujets sous bêtabloquants
avec un pic de VO2 strictement supérieur
à 12 ml/kg/mn ou ceux incapables de
tolérer les bêtabloquants avec un pic de
VO2 inférieur à 14 ml/­kg/­mn sont les
patients qui tirent avantage de la transplantation cardiaque. Des recommandations récentes ont été publiées par la
Société internationale de transplantation
du cœur et du poumon sur l’intérêt de la
VO2 pour guider l’indication de transplantation cardiaque. En classe 1, niveau
de preuve B, apparaissent les patients
traités par bêtabloquants avec un pic de
VO2 inférieur ou égal à 12 ml/kg/­mn et
les patients intolérants aux bêtabloquants avec un pic de VO2 inférieur à
14 ml/­kg/­mn (6).
La fraction d’éjection ventriculaire
gauche est largement utilisée comme
indicateur prédictif de survie chez les
patients insuffisants cardiaques. Cependant, elle ne permet pas à elle seule,
d’établir une distinction suffisante entre
les patients à haut risque de ceux à bas
risque.
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Des paramètres hémodynamiques
doivent également être associés par la
réalisation d’un cathétérisme cardiaque
droit sous traitement médical maximal.
Les patients ayant une élévation de la
pression télédiastolique du ventricule
gauche (VG), de la pression capillaire,
une diminution du volume d’éjection
systolique, une diminution du débit
cardiaque et une augmentation des
résistances vasculaires pulmonaires sont
également des patients à haut risque (7).
D’autres outils de stratification ont été
validés de façon prospective et sont
disponibles chez les patients insuffisants cardiaques. Il s’agit notamment
du Heart Failure Survival Score (HFSS)
qui a été le premier modèle de stratification du risque pour prédire la survie chez
les sujets insuffisants cardiaques (8).
Ce score est dérivé d’une cohorte de
patients transplantés entre 1986 et 1991
et entre 1993 et 1995. Seuls 10 % des
patients étaient sous bêtabloquants. Les
facteurs prédictifs de mortalité incluaient
l’origine ischémique de l’insuffisance
cardiaque, la fréquence cardiaque au
repos, la ­fraction d’éjection, la durée
du QRS supérieur à 120 ms, la pression artérielle moyenne au repos, la
natrémie et le pic de VO 2. Le calcul
du HFSS est effectué à partir d’une
équation tenant compte de toutes ces
variables. La survie à 1 an des patients
avec bas risque (HFSS ≥ 8,10), risque
modéré (7,2 < HFSS < 8,09) et haut
risque (HFSS < 7,19) était de 93 %,
72 % et 43 % respectivement. Depuis
l’avènement des thérapeutiques
modernes – bêtabloquants, antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine II,
inhibiteurs de l’enzyme de conversion
[IEC] –, le HFSS a été réexaminé chez
les patients traités selon les recommandations actuelles (9). Il ressort que la
survie à 1 an des patients avec risque
HFSS modéré sous bêtabloquants est
comparable à la survie à 1 an postgreffe.
Il est donc recommandé que les patients
sous bêtabloquants avec un risque
modéré doivent avoir un suivi rapproché
plutôt que d’être d’emblée proposés en
liste de transplantation cardiaque.
Le BNP (Brain Natriuretic Peptide) a été
adjoint à la liste des indicateurs pronostiques de l’insuffisance cardiaque. Il est
sécrété par des cavités ventriculaires en
réponse à une augmentation du volume
intraventriculaire et de la pression. Le
BNP ou NT proBNP est un puissant
facteur prédictif de mortalité dans l’insuffisance cardiaque avancée. Cependant,
peu d’études ont évalué le BNP chez les
candidats à la transplantation cardiaque.
M. Rothenburger et al. ont évalué les cas
de 550 patients avec cardiopathie dilatée
et ischémique. Le taux de NT proBNP
chez les patients candidats à la greffe était
significativement plus élevé (229,03 mg/
ml versus 493 ng/ml [p < 0,001]) [10].
Cependant, aucune étude n’a actuellement évalué l’intérêt pronostique du BNP
chez un patient candidat à une double
transplantation cœur-rein, d’autant que
l’insuffisance rénale peut totalement
modifier les taux de BNP.
En pratique, un patient candidat à une
transplantation rénale adressé au cardiologue doit subir un bilan cardiologique
complet afin d’évaluer au mieux son
pronostic. Cette évaluation comprend :
● une évaluation clinique avec la gêne
fonctionnelle NYHA ;
● une échographie cardiaque afin
d’évaluer la fraction d’éjection VG, les
diamètres ventriculaires, les pressions
de remplissage, les valvulopathies éventuelles, la fonction ventriculaire droite
et les pressions pulmonaires ;
● un cathétérisme cardiaque droit afin de
mesurer la pression capillaire, le gradient
transpulmonaire, les pressions pulmonaires et les résistances pulmonaires ;
● une épreuve d’effort avec mesure de
la VO2 ;
● un dosage du BNP ;
● une coronarographie ou IRM afin
d’évaluer le caractère ischémique de la
cardiopathie.
La décision d’une double greffe cœurrein se fera en fonction du pronostic
cardiaque estimé du patient. Si ce dernier
est à haut risque cardiaque, l’inscription
sur liste de transplantation cœur-rein sera
légitime. Si, en revanche, il présente
152
un risque modéré, il n’est peut-être pas
licite dans ce cas de proposer d’emblée
une transplantation cœur-rein. Mais il
est indispensable, si l’attente sur liste
de transplantation rénale se prolonge, de
réévaluer très régulièrement les patients,
particulièrement s’il s’agit d’une cardiopathie ischémique.
Il est maintenant bien établi que 50 %
des cas de décès chez les patients
dialysés sont d’origine cardio-vasculaire. Il existe une prévalence élevée
d’athérosclérose chez les patients insuffisants rénaux. Cette athérosclérose accélérée est liée à un épaississement de la
média, une infiltration marquée par des
macrophages activés et un taux élevé de
calcifications (11), ce qui contribue à
l’instabilité de la plaque et à l’augmentation du risque de rupture et d’accidents
thrombo-occlusifs. Il est donc essentiel
d’évaluer très régulièrement par échographie-dobutamine ou coronarographie
l’évolutivité coronaire de ces patients.
Patients candidats
à la transplantation cardiaque
avec néphropathie concomitante
Le patient candidat à une greffe
cardiaque, qui présente une insuffisance
rénale même modérée, doit être adressé
à un néphrologue afin d’évaluer la justification d’une double greffe cœur-rein.
En effet, quelle que soit son origine,
l’insuffisance rénale va être considérablement aggravée par la procédure
chirurgicale (arrêt cardiaque, circulation
extracorporelle, etc.) et par le traitement
immunosuppresseur prescrit au patient,
en particulier par les médicaments de la
classe des anticalcineurines (ciclosporine, tacrolimus) [12], le risque étant
la survenue d’une insuffisance rénale
terminale justifiant un traitement par
épuration extrarénale. Ces indications
dites “préemptives” de transplantation
rénale associée à la transplantation
cardiaque rendent compte d’une situation fréquente puisqu’on estime que,
actuellement, moins de 60 % des patients
inscrits pour une double transplantation
cœur-rein sont hémodialysés avant la
transplantation.
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●● Évaluation néphrologique ●
du patient
L’évaluation du patient a pour objectif
d’estimer la sévérité de l’insuffisance
rénale et son degré de réversibilité. En
effet, une partie de l’insuffisance rénale
du patient insuffisant cardiaque peut
être d’origine hémodynamique, aiguë
ou subaiguë et réversible, secondaire au
bas débit cardiaque et aux traitements
cardiologiques (IEC, antagonistes des
récepteurs de l’angiotensine II, diurétiques et anti-aldostérones). Il est
cependant fondamental de ne pas sousestimer la part organique de l’insuffisance rénale chronique de ces malades.
Pour cela, il existe plusieurs outils, plus
ou moins sensibles et spécifiques, dont
le plus performant reste l’évaluation
histologique du parenchyme rénal.
L’insuffisance rénale chronique correspond à une diminution persistante de
la fonction rénale, par diminution du
nombre de néphrons fonctionnels.
L’esti­mation par la clairance de la créatinine et/ou dans le meilleur des cas la
mesure précise du débit de filtration
glomérulaire (DFG) sont une première
étape d’éva­luation de la fonction rénale
du patient (13). Chez le sujet présentant une insuffisance rénale avancée
(clairance de la créatinine inférieure
à 30 ml/­mn) ou terminale (épuration
extrarénale), en attente d’une greffe du
cœur, l’indi­cation d’une double greffe
semble presque évidente. En revanche,
chez le malade présentant une insuffisance rénale modérée (clairance de la
créatinine entre 30 et 60 ml/­mn), des
explorations complémentaires sont
indiquées.
Le débit de protéinurie est également un
marqueur d’atteinte rénale organique.
Ainsi, les recommandations américaines distinguent clairement un stade
initial (stade 1) de la maladie rénale
chronique où le DFG est considéré
comme normal et où l’anomalie de la
fonction rénale ne se manifeste que par
des anomalies histologiques et/ou une
protéinurie élevée (14). L’importance
de la protéinurie est un indicateur de
l’altération de la perméabilité et de la
sévérité des lésions glomérulaires. La
quantité de protéinurie est également
l’un des meilleurs prédicteurs de la
progression vers l’insuffisance rénale
chronique (15). La protéinurie est donc
un outil essentiel dans l’évaluation du
risque de développer une insuffisance
rénale terminale en post-transplantation
cardiaque.
L’échographie rénale couplée au
Doppler permet également de rechercher des stigmates de maladie rénale
chronique. Les anomalies alors
retrouvées à l’échographie sont une
diminution de la taille des reins, une
dédifférenciation cortico-médullaire,
reflet de l’atrophie du cortex en rapport
avec la réduction néphronique et, enfin,
au Doppler, une augmentation des index
de résistance périphérique (16). L’évaluation radiologique de la fibrose reste
cependant très imparfaite. En effet,
l’échographie est un examen très opérateur-dépendant, la taille des reins est
variable d’un individu à l’autre et les
mesures des index de résistance intrarénaux sont extrêmement fluctuantes en
fonction de la volémie et de la tension
artérielle du patient.
La biopsie rénale, réalisée pour obtenir
une évaluation précise des lésions
histologiques parenchymateuses,
reste l’examen de référence. Les indications de la biopsie en prégreffe de
cœur chez le malade présentant des
signes de maladie rénale chronique
doivent être les plus larges possibles.
La biopsie rénale sera réalisée par voie
transpariétale ou le plus souvent par
voie transjugulaire en raison de troubles
de l’hémostase primaire ou secondaire
(syndrome urémique, cardiopathie
ischémique traitée par antiagrégant
plaquettaire, cardiopathie valvulaire
traitée par anticoagulant, etc.). L’analyse histologique du fragment de
biopsie permet en premier lieu d’analyser le type de lésions (néphropathie
interstitielle, glomérulaire, vasculaire,
etc.), mais surtout de quantifier ces
lésions par le pourcentage de fibrose
153
interstitielle, de sclérose glomérulaire
(nombre de “pains à cacheter”), par
l’épaisseur de l’intima des vaisseaux de
moyen calibre et enfin par l’importance
des dépôts hyalins artériolaires (17).
En pratique, il n’y a actuellement
aucune recommandation précise quant
au niveau d’insuffisance rénale chronique justifiant une greffe rénale chez
le patient en attente d’une transplantation cardiaque. Cependant, en raison
des lésions néphrologiques induites,
d’une part, par la procédure chirurgicale et, d’autre part, par le traitement
immuno­suppresseur, il est indispensable
de prévoir une double transplantation
cœur-rein en cas d’altération, même
modérée, de la fonction rénale. Il peut
ainsi être considéré comme parfaitement justifié d’envisager une double
transplantation coeur-rein si :
● il existe une insuffisance rénale chronique avérée définie par une clairance
de la créatinine ou par un DFG mesuré
inférieur à 50 ml/mn/1,73 m2, d’autant
plus s’il y a des signes d’évolutivité de
la maladie rénale telle qu’une protéinurie supérieure au gramme ;
● les lésions histologiques parenchymateuses sont significatives quel que soit
le niveau de l’insuffisance rénale, c’està-dire plus de 30 % de fibrose interstitielle et/ou plus de 30 % de “pains à
cacheter” sur le fragment analysable.
RÉSULTATS DE LA TRANSPLANTATION
CŒUR-REIN
Les premières équipes ayant rapporté
leur expérience de la transplantation
combinée cœur-rein l’ont fait sur un
petit nombre de patients (18-21), à
l’exception d’une étude multicentrique (22), et ont démontré une survie
à court terme très similaire à la transplantation cardiaque seule. J. Narula
et al., dans une étude multicentrique
incluant 42 centres et 56 patients,
ont rapporté une survie à 1 an de
76 % et à 2 ans de 67 %, données
similaires à celles observées chez
14 340 transplantés cardiaques isolés
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durant la même période (83 % et 79 %
[p = 0,20]) [22]. Dans une étude monocentrique française, la survie à long
terme a été étudiée dans une cohorte
de 12 patients transplantés cœur-rein
comparés à 24 patients transplantés
cardiaques seuls. La survie à 1, 5
et 12 ans est très similaire dans les
deux cas (66 %, 55 % et 28 % versus
66 %, 44 % et 33 %, respectivement
[p = 0,66]) [23]. Plus récemment, cette
même équipe a rapporté les résultats
de la plus grande étude multicentrique
portant sur 67 patients transplantés
cœur-rein (24). La survie globale à 1,
5 et 10 ans est similaire à celle observée
chez 2 981 transplantés cardiaques seuls
durant la même période (62 %, 53 % et
46 % versus 71 %, 60 % et 47 %, respectivement [p = 0,6]).
Dans l’ensemble de ces études, il
semble très souvent se dégager une
incidence statistiquement moindre
des rejets cardiaques dans la population des transplantés cœur-rein. Dans
l’étude de J. Narula et al., l’incidence
des rejets cardiaques de grade supérieur ou égal à 2 est significativement
plus basse que chez les greffés seuls
(17,9 % versus 27,6 % [p = 0,02]) [22].
Dans l’étude multicentrique française,
seuls 12 patients (17,9 %) ont présenté
un rejet cardiaque aigu (grade ≥ 1b)
et 9 patients (13,4 %) un rejet aigu
rénal (24). J.L. Hermsen et al. ont
démontré que la survenue du premier
épisode de rejet cardiaque et rénal est
significativement retardée chez les
patients transplantés cœur-rein comparativement aux transplantés cardiaques
seuls et rénaux seuls (20). Une étude
récente, provenant de l’UNOS et
portant sur des patients transplantés de
janvier 1994 à octobre 2005, démontre
que les greffons cardiaques, du foie et
du rein sont protégés contre le rejet et
protègent les autres organes quand ils
sont transplantés simultanément (25).
Parmi les transplantés cardiaques, les
greffés cœur-rein ont 2 fois moins
de rejet cardiaque que les greffés
cardiaques seuls (26 % versus 56 %
[p < 0,001]). Parmi les greffés rénaux,
la transplantation combinée cœur-rein
et rein-foie offre une réduction significative du nombre de rejets rénaux à
1 an par rapport aux greffés rénaux seuls
(17 % et 15 % respectivement versus
24 % [p = 0,032]). Plusieurs éléments
sont susceptibles d’expliquer cette
plus faible incidence du rejet, comme
le degré d’immunosuppression, souvent
plus élevé dans les doubles greffes, la
masse antigénique transplantée ou l’effet
immunomodulateur du greffon rénal sur
le greffon cardiaque. Les données de
J.D. Mezrich et al. (26) fournisssent
quelques éléments de compréhension.
Dans un modèle de souris miniatures
transplantées cœur-rein, les auteurs ont
démontré que les éléments cellulaires
radiosensibles présents dans le greffon
rénal étaient responsables de l’induction de tolérance ; de telles cellules
radiosensibles peuvent dériver vers le
thymus et induire une tolérance à l’antigène donneur de l’hôte. Le mécanisme
de tolérance dans ce modèle implique
l’induction de cellules T régulatrices
CD4 et CD24 (27). Le mécanisme expliquant l’immunomodulation du greffon
cardiaque sur le greffon rénal est plus
largement incompris. Il est probable
qu’il soit différent du modèle du foie
ou du rein en raison de la plus faible
masse antigénique du myocarde.
R
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CONCLUSION
Les résultats de la greffe combinée
cœur-rein sont globalement satisfaisants
et n’induisent pas de surmortalité par
rapport aux greffes cardiaques isolées.
Ces résultats incitent donc à poursuivre
le développement de cette activité. La
sélection des candidats est une étape
fondamentale qui requiert des évaluations cardiaque et rénale optimales.
La fréquence des néphropathies chroniques observées après transplantation
cardiaque doit inciter à un dépistage
précoce d’une néphropathie sousjacente, en particulier par un recours
large à l’évaluation histologique, afin
d’élargir à bon escient les indications
d’une double transplantation.
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Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2009
D OSSIER
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