Souvenirs de SHAW Field, par Georges Contrasty

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Souvenirs de SHAW Field, par Georges Contrasty
C.F.P.N.A 1er Février 1943 - 16 Janvier 1946 “Ils GRANDIRONT”.
Souvenirs de SHAW Field, par Georges Contrasty (12 ème détachement)
A Shaw Field, les « French Cadets » non-officiers retrouvent tant soit peu la vie « US Army » qu'ils
avaient connue à leur arrivée à Craig Field. Les logements sont plus spartiates qu'à Hawthorne
Field. Ilsretrouvent la cafétéria et ses consignes « Take anything you like and as much as you like,
but you must eat it all ». Ce n'est pas le « Cadet Mess » de Hawthorne, où d'accortes jeunes filles les
servaient à table. En weekend, une chose qui, à la fois, les amuse et les intrigue est la ronde de
certains « American Cadets » en tenue de ville, autour du terre-plein d'où s'élève le mât du drapeau.
Us marchent rigidement, en faisant parfois des gestes insolites. On pose des questions et on apprend
que ces cadets purgent leurs « demerits », soit punitions accumulées durant la semaine et purgées
par tant d'heures « Around the Flag». Ah oui! Les gestes insolites : haltes, garde-à-vous, saluts à la
Bannière Étoilée, têtes droites ou gauches avec salut, etc…font partie de la pénalité On avait, paraitil, voulu soumettre les « French Cadets » fautifs à ce régime pénal, mais vu le cirque que certains
créèrent, il fut décidé de coller un pensum au délinquant, en l'occurrence, comme mentionné plus
loin : « Vous m'écrirez tant de fois... (motif) ».
Nos moniteurs sont maintenant des lieutenants de l'US Army Air Corps, à-peu près de nos âges. Le
commandant de notre « School Flight » est un capitaine très relaxe, qui déguste toujours un Coca
Cola bien frappé, durant le « briefing » matinal, quand nous volons dans l'avant-midi. Dans un stage
de deux mois, chaque cadet, qui termine son « Basic Training » avec succès, ajoute dans les 80
heures de vol à son actif, ce qui le familiarise avec le train d'atterrissage escamotable, les
communications en « basic English » avec la tour de contrôle, la navigation cross-country, le
pilotage sans visibilité (instruments), le vol de nuit, le vol en formation et aussi la voltige (eh oui!
Même les futurs pilotes de bombardement la pratique et l'AT-6 s'y prête merveilleusement bien).
Le stage se déroule normalement, parsemé de certains épisodes marrants pour les uns et navrants
pour les autres.
Un AT-6 fait son approche d'atterrissage le train rentré. Malgré la sirène du train qui hurle et les
appels de la tour de contrôle, le cadet nonchalant se pose carrément sur le ventre. La glissade de la
carlingue sur le béton de la piste fait un bruit déchirant, accompagné d'un nuage de poussière et
d'étincelles. Le zinc est bon pour la ferraille. Bien qu'éberlué par ce fâcheux incident, le pauvre
cadet s'en tire indemne. Mais il est éliminé illico, sans « check ».
Parti en vol aux instruments avec son moniteur, un autre cadet vit une aventure palpitante. Au
décollage, il constate avec horreur que ça branle dans le manche. Pourquoi ? Parce que dans le poste
de pilotage arrière de l'AT-6, place normale pour le vol aux instruments, le manche est amovible.
Donc, le pauvre découvre que ce fameux manche est sorti de son socle. Par intercom et dans son
anglais primaire, il crie à son moniteur: « Sir! Sir! I have ze stik in my hand ». Décontracté, le
moniteur lui répond: « That's OK.That's where il should be ». Alors désespéré de cette réponse, le
pauvre cadet frappe l'épaule du moniteur avec le manche rétif, en criant: « Sir! Ze stik is out ». Le
moniteur comprend alors vite la situation, saisit son manche et termine le décollage. Cependant, le
cadet se fait sévèrement réprimander pour ne pas avoir eu la présence d'esprit de couper les gaz et
d'avorter le décollage. Il a droit à un « check » qui le déclare « OK, for the time being ».
Durant un exercice de vol de nuit, le capitaine commandant notre « Flight », perché dans une tour
de contrôle mobile, illuminée comme un édifice de Son & Lumière, dirige le vol de ses cadets qui
tournent en rond au-dessus de la base, dans quatre zones de 3 altitudes chacune. A tour de rôle, il
invite un élève à faire un atterrissage. Donc, un certain soir, alors que nous menons notre ronde
nocturne, en attendant d'être appelés à faire un atterrissage, nous entendons, via radio, la voix
nonchalante et traînante de notre capitaine disant en français poli: « L'avion qui sortez par le poste
de police, revenez à la tour, s'il vous plait ». B le répète plusieurs fois, car il semble que le zinc
continue sa progression vers le poste de police.
Pourquoi cette confusion? Parce que le fameux poste, qui est aussi brillamment illuminé que la tour,
se trouve en fin de piste, alors que la tour de contrôle campe au début de la piste. Finalement, le
pilote en herbe comprend, fait demi-tour et rejoint la tour selon les consignes données. Cependant le
lendemain, le cadet trop illuminé passe un examen de la vue, et subit un petit « check » nocturne.
On ne se rappelle pas quel fut le dénouement.
Par un bel après-midi de novembre, le reporter des épisodes précédents, alors cadet lui-même,
s'envole pour se livrer à divers exercices aériens. Son moniteur lui obtempère d'être de retour dans
une heure pour un vol aux instruments Loin de la base, notre cadet fait du rase-vagues sur une
rivière, ce qui a pour effet d'effrayer les canards et autres sauvagines. Puis, il monte à l'attaque de
petits cumulus flottant paresseusement dans le ciel bleu et les harcèle sous tous les angles. E se
prend pour un chasseur, même s'il se destine au bombardement. Il fait tant et si bien que l'heure
passe vite. Quand il constate qu'il va être en retard, sa voltige lui a fait perdre ses points de repères.
Il se retrouve au-dessus d'une ville qu'il reconnaît située à une quarantaine de milles au nord-est de
Shaw Field. Bien qu'il mette aussitôt plein gaz et le cap sur la base, il se retrouve penaud devant son
moniteur avec 20 minutes de retard. Ce dernier lui dit en serrant les dents, signe qu'il était loin d'être
joyeux: « Un tel, pour demain, vous m'écrirez mille fois – I shall not keep my instructor waiting »,
sans préciser la langue. Donc, le délinquant choisit d'écrire son pensum en français : « Ferai pas
poiroter mon moniteur ». Le lendemain, il présente le fruit de ses élucubrations au moniteur qui,
suspicieux, va montrer le pensum à un moniteur connaissant le français. Ce dernier lui dit: « It's OK
». Cependant, ce moniteur bilingue prend plus tard à part le cadet coupable et lui demande: «
Poiroter, qu'est-ce que ça veut dire ». Ce jour-là, ce moniteur compréhensif ajoute un autre mot à
son vocabulaire français..
Shaw Field a le privilège ou l'infortune d'avoir un Commandant complètement mordu des revues.
Donc, certains samedis matin, nous avons droit à un défilé maison. La majorité de l'effectif de la
base est censée y participer. Le parcours aller et retour est d'environ 5 km. N'oublions pas que la
ségrégation des Noirs est alors en vigueur. En tête du défilé, la fanfare blanche bat la marche d'airs
bien connus qui invitent à la danse, suivie du personnel des divers services. Puis, viennent les «
Americans Cadets » (très nombreux), puis nous, les « French Cadets » et, enfin, les « Colored »,
c'est-à-dire les Noirs. Leur fanfare ferme le défilé et est censée jouer en harmonie avec la fanfare
blanche en tête. C'est un brin cacophonique, mais nous prenons un bain bénéfique de musique
martiale. Quand nous arrivons à la hauteur de la mini-tribune, au commandement « Tête gauche,
gauche (ou droite), nos têtes pivotent en unisson vers le Commandant de la base, flanqué de son
état-major, qui nous rend fièrement le salut. Après le défilé, nous plaisantons sur l'ordre dans le
lequel les participants sont placés. Nous en déduisons que le commandement américain blanc nous
classe juste au-dessus des Américains noirs, vu que nous précédons ces derniers.
En rétrospective, c'est vraiment à Shaw Field que les cadets du 12eme Bombardement firent un
stage sérieux et productif certes, mais aussi parfois très marrant.
© Georges Contrasty – 2003.