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13-Journal-octobre-cor_Mise en page 1 22/09/15 13:44 Page110
JOURNAL
d’une image qu’en l’inscrivant dans
sa propre mémoire iconographique.
Reste que Dagen a fait un gros
oubli. La photo d’Aylan, le cadavre
d’un enfant sur une plage, était involontairement accompagnée en page
cinq du même journal d’une photo
publicitaire pour Gucci. On y voyait
un corps féminin étendu lascivement
sur une plage de sable doré avec un
sac Gucci accroché aux doigts et des
vêtements en résille sur les avantbras. Cette photo de plage, qui exhibe
la richesse de Gucci et présente une
érotique d’un autre âge, a donc été
publiée le même jour que celle d’Aylan, deux pages plus loin dans le
journal. Même dans ce quotidien
longtemps iconoclaste, il n’y a plus le
tableau, la photo unique : on est renvoyé d’une photo à l’autre, dans la
société des images en continu.
Ces deux photos (de plage) n’ont
rien à voir entre elles : un corps de
mort, un corps de plaisir et d’or, Éros
et Thanatos. Certes la rédaction s’est
excusée discrètement le lendemain,
mais ce n’est pas une simple
bévue ou un lapsus : cette photo
venait corriger la première et montrer
que deux mondes se trouvaient d’un
côté et de l’autre de la mer. Pas
besoin d’en rajouter sur l’iconographie occidentale pour saisir les résonances de l’image insupportable : on
était d’autant plus ému que la juxtaposition de ces deux photos anti-
AYLAN ET GUCCI :
L’INSUPPORTABLE
La photo du cadavre d’Aylan
Kurdi, l’enfant syrien échoué sur une
plage turque, qui a été publiée en
première page du Monde le vendredi
4 septembre 2015, est dans toutes les
mémoires. Elle a déjà donné lieu à
mille commentaires dont ceux de Philippe Dagen, le critique d’art du journal, le 12 septembre. Après avoir souligné les « caractéristiques visuelles »
de l’image (les couleurs du cadavre
vêtu de bleu et de rouge, la lumière
sur la chevelure, les vagues grises,
tout cela faisant contraste), il insiste
sur la puissance émotionnelle du lieu
(une plage) et sur les vêtements à
l’occidentale de l’enfant, avant de
rappeler les œuvres picturales et
photographiques auxquelles l’image
fait écho. Et de citer Giotto, Bruegel
l’Ancien, Rubens et surtout Nicolas
Poussin à propos du Massacre des
innocents (par Hérode). Et de
remettre en mémoire à propos des
victimes d’atrocités : Guernica, le
Charnier et l’Enlèvement des Sabines
de Picasso. Enfin, il s’étonne que
« montrer un drame du monde
musulman s’offre à une lecture selon
l’iconographie du christianisme »,
comme ce fut déjà le cas pour la
Pietà du Kosovo en 1990 et la
Madone de Bentalha en 1997. L’Occident ne pourrait ainsi s’émouvoir
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