Droits d`enregistrement et sentences arbitrales

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Droits d`enregistrement et sentences arbitrales
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
Droits d’enregistrement et
sentences arbitrales
Yves Herinckx
Avocat (Bruxelles), solicitor (England and Wales), conseiller suppléant
à la cour d’appel de Bruxelles1
Résumé
L’exequatur en Belgique d’une sentence arbitrale belge ou étrangère donne lieu à
un droit d’enregistrement de 3%. Le droit est exigible à charge des deux parties, le
gagnant n’étant toutefois tenu envers le fisc qu’à concurrence de la moitié des sommes
qu’il aura pu recouvrer. Les droits d’enregistrement ne font pas partie des frais d’arbitrage liquidés et répartis par les arbitres ; le tribunal arbitral n’a pas le pouvoir de se
prononcer sur ce poste. Ils font partie des dépens de la procédure judiciaire qui aboutit à l’exequatur mais, cette procédure étant unilatérale, il n’est pas certain que l’ordonnance d’exequatur puisse prononcer une condamnation du débiteur aux dépens.
Ils ne peuvent pas être qualifiés de frais d’exécution. Le créancier de la sentence qui
a payé les droits d’enregistrement peut les récupérer à charge du débiteur par le biais
d’une subrogation légale dans les droits du fisc, mais il devra le cas échéant diligenter
une procédure judiciaire à cette fin devant les tribunaux du domicile du débiteur.
Lorsqu’il s’agit d’une sentence belge, son annulation ou l’infirmation de son exequatur entraînent la restitution des droits d’enregistrement ; s’il s’agit d’une sentence
étrangère, son annulation permettra ou non, selon les circonstances, la restitution
des droits.
Sentence – Exequatur – Droits d’enregistrement – Frais et dépens – Annulation
Summary
The enforcement in Belgium of an arbitral award, whether local or foreign, triggers a
3% registration duty. The duty is payable by both parties jointly. The winner’s liability
to the tax authorities, however, is capped at one half of the amounts actually collected
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www.herinckx.be.
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on the award. The registration duties are not included in the costs of the arbitration
allocated by the arbitrators ; the arbitral tribunal does not have jurisdiction as to this
item of costs. The duties constitute costs of the judicial enforcement procedure but,
because this procedure is conducted ex parte, it is doubtful whether the court may
make a cost order against the debtor. The duties cannot be characterised as “enforcement expenses” (as defined under the Judicial Code). The winner who has paid the
duties may recover them against the debtor by way of subrogation to the rights of the
tax authorities ; this, however, may require new proceedings before the State courts
of the debtor’s country. In the case of a Belgian award, if the enforcement decision
is reversed or if the award is set aside, the duties will be refundable ; in the case of a
foreign award which is set aside, the duties may or may not be refunded depending on
the circumstances.
Award – Enforcement – Registration duties – Costs – Annulment
1. Les règles fiscales
1. L’exequatur d’une sentence arbitrale portant condamnation à une somme
d’argent donne lieu à un droit d’enregistrement de 3%, dit « droit de condamnation ». Aux termes de l’article 148, alinéa 1er du Code des droits d’enregistrement,
« Les exequatur des sentences arbitrales […] sont considérés, pour l’application du
présent Code, comme formant un tout avec l’acte auquel ils se rapportent et sont
assujettis aux mêmes droits que les jugements et arrêts rendus en Belgique »2 . La
simple existence d’une sentence n’entraîne pas en elle-même l’obligation de payer
le droit de condamnation ; une sentence arbitrale, au contraire des jugements et
arrêts, n’est pas un acte obligatoirement enregistrable. Le dépôt de la sentence
au greffe du tribunal de première instance3, ou son exécution volontaire, sont
également sans conséquence à cet égard. Ce n’est que l’exequatur de la sentence
2
3
Sur le sujet en général, voir F. Werdefroy, Registratierechten 2010-2011, Malines, Kluwer, 2011, en particulier t. I, no 114 et t. II, no 1201 ; A. Culot, « Les jugements et arrêts obligatoirement enregistrables », Rec.
gén.enr.not. 2011, p. 135, no 26.265 ; A. Mayeur, Cours de droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe,
SPF Finances, 2010, p. 324 et seq. ; D. Matray, J. Dascotte et F. Remacle, « Conséquences fiscales des
sentences arbitrales en particulier en ce qui concerne les clauses de garantie de passif » in coll., Arbitrage et
Fiscalité, Actes du colloque du CEPANI du 4 décembre 2001, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 79 ; I. Richelle,
« Les droits d’enregistrement sur les jugements et arrêts après la loi du 22 décembre 1989 », Act.dr. 1992,
p. 793 ; M. Donnay, « Droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe », Rép.not., t. XV, liv. I, éd. 1990,
no 238 et seq. ; E. et A. Genin, Commentaire du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe,
2e éd., Bruxelles, Van Buggenhoudt, 1950, no 1579 et seq.
C.jud., art. 1702, paragraphe 2 (version 1972), et art. 1713, § 8 (version 2013).
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qui rend les droits d’enregistrement exigibles4. Un jugement qui reconnaît la sentence, ou qui rejette un recours en annulation, sans en autoriser expressément
l’exécution – c’est-à-dire sans revêtir la sentence de la formule exécutoire – ne
constitue pas un exequatur et ne donne pas lieu au droit de condamnation5.
C’est une spécialité belge – et italienne : aucun autre pays ne semble appliquer de
taxes similaires sur l’exécution des sentences arbitrales6.
2. Les droits sont calculés au taux de 3% sur le montant de la condamnation « en
principal, […] abstraction faite des intérêts dont le montant n’est pas chiffré par le
juge et des dépens »7. La référence au « juge » doit se lire comme visant l’« arbitre »
lorsqu’il s’agit d’une sentence arbitrale. Les intérêts ne sont en principe pas inclus
dans la base de calcul, sauf lorsqu’il sont chiffrés dans la sentence arbitrale, c’està-dire lorsque la sentence contient le résultat du calcul des intérêts. Lorsqu’une
sentence fournit simplement les éléments nécessaires au calcul (montant de base
en principal, taux applicable et date de départ) sans toutefois effectuer le calcul,
comme c’est généralement le cas, le droit de 3% n’est pas dû sur les intérêts même
si ceux-ci peuvent être déterminés sur la seule base des éléments contenus dans
la sentence8.
Les frais de l’arbitrage – honoraires des arbitres, frais des experts et des témoins,
rémunération de l’institution d’arbitrage, et frais de défense des parties – font
partie des dépens visés par l’article 142 du Code des droits d’enregistrement, et
ne doivent pas être inclus dans le calcul des droits. Les frais de défense, en particulier, font partie des dépens devant les cours et tribunaux, où ils sont couverts
par le biais de l’indemnité de procédure qui est « une intervention forfaitaire
4
5
6
7
8
Sur la procédure d’exequatur des sentences arbitrales en général, voir H. Van Houtte et E. Valgaeren,
« De exequatur procedure van arbitrage-uitspraken », RDC 1997, p. 275 ; B. Hanotiau et B. Duquesne,
« L’exécution en Belgique des sentences arbitrales belges et étrangères », JT 1997, p. 305 ; E. Krings, « L’exécution des sentences arbitrales », RDIDC 1976, p. 181.
Sur la distinction de ces concepts, voir C.jud., art. 1719, § 1er, et 1720, § 1er (version 2013). Le rejet de la
requête en exequatur n’entraîne bien entendu pas non plus la perception des droits : Genin, o.c., no 1583.
Guide CCI des procédures nationales pour la reconnaissance et l’exécution des sentences relevant de la
Convention de New York, Bull. CIArb. CCI 2012, suppl. spéc., question no 20.
C.enr., art. 142, alinéa 2. Les sentences qui feraient titre d’une convention translative d’immeuble ne sont pas
soumises au droit de 3% mais au droit de titre applicable à la convention concernée ; cette règle ne trouvera
quasiment jamais d’application pratique en matière d’arbitrage et nous l’ignorerons dans la suite de cette
étude. Pour la même raison, nous mentionnons pour mémoire uniquement que les sentences prononçant une
condamnation à la remise de « valeurs mobilières » sont assimilées aux condamnations à une somme d’argent.
Peu importe en pratique la prétendue assimilation, obsolète selon nous, des devises étrangères à des marchandises fongibles et donc à des valeurs mobilières au sens de cette disposition (F. Werdefroy, o.c., t. II, no 1202).
F. Werdefroy, o.c., t. II, no 1242 et 1243 ; A. Mayeur, o.c., no 495 ; circ. no 4, 3 janvier 1990, Rec.gén.enr.not.
1990, p. 150, no 23.818, spéc. no 5.
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dans les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause »9. En
arbitrage ces frais sont habituellement remboursés par le perdant à concurrence
de leur montant réel plutôt que de manière forfaitaire10, mais pour le reste l’objet
de ce remboursement n’est pas différent de celui de l’indemnité de procédure, ce
qui impose la qualification de dépens pour l’application de l’article 142. La pratique des receveurs de l’enregistrement n’est pas toujours totalement rigoureuse à
cet égard, et il importe d’être attentif et de bien vérifier leurs décomptes.
La sentence est exonérée de droits d’enregistrement si le montant de la condamnation ne dépasse pas 12.500 €11.
La pratique administrative, la jurisprudence et la doctrine ont développé un
ensemble de règles détaillées pour déterminer le montant des droits dus sur les
jugements et arrêts – par exemple, lorsque le juge constate des créances réciproques, pour déterminer si les droits doivent se calculer sur le montant cumulé
des créances ou sur le solde net après compensation, ou lorsqu’il y a lieu de convertir des condamnations exprimées en devises12 . Toutes ces règles s’appliquent de la
même manière lorsqu’il s’agit de sentences arbitrales exequaturées.
3. L’ordonnance d’exequatur est transmise dans les dix jours par le greffe au
receveur de l’enregistrement, avec une copie de la sentence13. Le receveur effectue
l’enregistrement en débet, c’est-à-dire sans avoir reçu le paiement préalable des
droits, et envoie par recommandé une demande de paiement au débiteur14. Les
droits sont dus dans le mois de l’envoi de la demande. Le défaut de paiement dans
le délai entraîne de plein droit une amende, dont le montant est égal à l’intérêt
légal sur les droits impayés avec un minimum de 10% et un maximum de 50%15.
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C.jud., art. 1018, 6°, et 1022, alinéa 1er.
O. Caprasse et F. Henry, « La répétibilité des frais de conseils dans l’arbitrage national et international »,
JT 2008, p. 561 ; H. Van Houtte, « Partijkosten in CEPINA-arbitrage », Liber Amicorum Guy Keutgen,
Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 391 ; D. De Meulemeester et H. Verbist, Arbitrage in de praktijk, Gand,
Bruylant, 2013, no 738.
C.enr., art. 143, alinéa 2.
F. Werdefroy, o.c., t. II, no 1229 et 1247 ; Rép.RJ, no E142.
C.enr., art. 23, 32, 3°, et 35, alinéa 2.
C.enr., art. 5, alinéa 1er, et 35, alinéas 2 et 5.
C.enr., art. 41, 3°, et arrêté royal du 11 janvier 1940 relatif à l’exécution du Code des droits d’enregistrement,
d’hypothèque et de greffe, art. 11 et annexe. L’amende est égale au montant des droits lorsque l’infraction
est commise dans l’intention d’éluder ou de permettre d’éluder l’impôt (ibid.) ; l’on voit mal comment cette
règle pourrait trouver application en matière de droit de condamnation, alors qu’il s’agit d’un enregistrement
effectué d’office en débet par le receveur et que l’infraction consiste simplement à ne pas payer à temps.
L’amende n’est due qu’une seule fois par les deux parties ensemble, plutôt qu’individuellement par chacune
des parties ; comp. C.enr., art. 203.
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L’amende est augmentée de 50% si le receveur doit décerner une contrainte en
vue du recouvrement des droits16. A cela s’ajoutent les intérêts de retard sur les
droits et les amendes impayés, calculés au taux de l’intérêt légal en matière fiscale
soit 7%17.
Le Code prévoit que l’amende est due indivisiblement par les parties. Il est admis,
néanmoins, que le délai d’un mois prend cours pour chaque partie séparément
à la date à laquelle la demande de paiement lui est adressée, et qu’une partie
n’est redevable de l’amende que si les droits restent impayés à l’échéance qui lui
est applicable (voir infra, no 6 et note 30). De même, l’amende n’est due par le
créancier de la condamnation que dans la mesure où il est lui-même redevable
des droits d’enregistrement ; aussi longtemps que le créancier n’a rien perçu en
exécution de la sentence (voir infra, no 4), il n’est pas exposé à une amende18.
4. Les droits sont dus tant par le débiteur que par le créancier de la condamnation19. Le Code parle respectivement du défendeur et du demandeur, par facilité de langage ; suivant la configuration et l’issue de la procédure arbitrale, il
peut s’agir de défendeurs ou de demandeurs au principal, sur reconvention ou en
intervention. Nous préférerons ci-dessous utiliser les expressions « débiteur » et
« créancier ».
Le débiteur de la condamnation est en toute hypothèse redevable des droits d’enregistrement envers le fisc. S’il y a plusieurs débiteurs et qu’ils ont été condamnés
solidairement par le tribunal arbitral, ils sont tenus solidairement envers le fisc
également ; si leur condamnation n’est pas solidaire, ils ne sont tenus envers le fisc
que chacun pour leur part20.
Le créancier de la condamnation est lui aussi redevable des droits d’enregistrement envers le fisc, mais à concurrence seulement de la moitié des sommes qu’il
aura effectivement recouvrées en exécution de la sentence21. Cette limitation vise
à éviter qu’une partie qui a gagné son procès, mais dont l’adversaire est insolvable ou ne s’exécute pas, doive néanmoins prendre en charge les droits d’enregistrement. De telles victoires à la Pyrrhus n’étaient auparavant pas rares et le
législateur a décidé, par deux modifications successives adoptées en 1986 et 1989,
18
19
Arrêté royal du 11 janvier 1940, art. 13.
C.enr., art. 223 ; loi du 5 mai 1865 relative au prêt à l’intérêt, art. 2, § 2.
F. Werdefroy, o.c., t. I, no 199-1.
Le Conseil des ministres du 24 octobre 2013 a annoncé (après la clôture de la présente étude) la suppression
prochaine de la possibilité pour le fisc de recouvrer le droit de condamnation à charge du créancier.
20
C.enr., art. 35, alinéa 3, 1°.
21
C.enr., art. 35, alinéa 3, 2°.
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d’introduire ce mécanisme de plafonnement22 . En pratique, le plafonnement n’a
d’effet qu’aussi longtemps que le créancier n’a pas été en mesure de récupérer au
moins 6% du montant de la condamnation. Il devra dans ce cas, à supposer que le
débiteur n’ait pas payé les droits d’enregistrement, rétrocéder au fisc la moitié de
ce qu’il aura perçu, et pourra conserver l’autre moitié. Dès que son taux de récupération atteint 6%, la moitié des sommes recouvrées dépassera les 3% de droits
d’enregistrement et le créancier sera redevable de la totalité des droits.
5. La charge de la preuve de ce que le créancier a effectivement récupéré semble,
selon une doctrine assez floue sur cette question, peser sur le receveur de l’enregistrement23. Cette thèse est discutable : l’on peut, il est vrai, soutenir que le fisc
doit démontrer l’exigibilité des droits d’enregistrement qu’il réclame, conformément à l’article 1315, alinéa 1er du Code civil, mais il nous paraît que l’on peut
encore mieux considérer que le créancier de la condamnation est en principe
tenu au paiement des droits et doit lui-même, s’il veut échapper à cette dette,
démontrer pourquoi il en est libre, conformément à l’alinéa 2 du même article.
C’est l’approche qu’a suivie la Cour de cassation dans une affaire comparable,
relative à l’obligation des entrepreneurs du secteur du bâtiment de prélever en
faveur de l’ONSS une retenue de 35% sur les factures de leurs sous-traitants, en
vertu de l’article 30bis, § 4, de la loi du 27 juin 1969 tel qu’en vigueur à l’époque.
Les entrepreneurs sont dispensés d’effectuer cette retenue si le sous-traitant n’a
pas de dette envers l’ONSS à la date du paiement. Un entrepreneur, condamné
pour ne pas avoir effectué la retenue prévue, soutenait dans son pourvoi qu’il
appartenait à l’ONSS de prouver sa créance, et donc de prouver que le sous-traitant était, à la date de paiement des factures, signalé comme débiteur dans la
base de données publiée par l’ONSS à cette fin ; la cour d’appel avait au contraire
considéré qu’il appartenait à l’entrepreneur de prouver sa consultation de la base
de données et l’absence de signalement du sous-traitant. La Cour de cassation
rejeta le pourvoi au motif que « Conformément au second alinéa de l’article 1315
du Code civil, l’entrepreneur qui se prétend libéré de l’obligation de retenue et de
versement […] a la charge de prouver ces circonstances »24.
Nous ajouterons que cette approche se justifie aussi par des considérations pragmatiques de collaboration à la preuve. Ce sont en effet les parties qui savent si la
sentence a été exécutée, et à concurrence de quel montant ; le receveur de l’enre M. Baltus, « Le nouveau régime du droit d’enregistrement des jugements et arrêts », JT 1986, p. 661, no 2 et
« Droit d’enregistrement des jugements et arrêts », JT 1991, p. 207, no 2.
23
M. Baltus, o.c. (« Droit d’enregistrement… »), no 5 ; F. Werdefroy, o.c., t. I, no 224 et 225 ; contra :
I. Richelle, o.c., p. 799, et J. Caeymaex, « L’enregistrement des arrêts et jugements », JLMB 1990, p. 319.
24
Cass. 18 février 2013, S.12.0004.F, juridat.
22
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gistrement n’a souvent aucune autre source d’information possible que les parties
elles-mêmes.
Lorsque l’exécution de la sentence exequaturée donne lieu à une saisie, l’huissier
doit bloquer les sommes qu’il encaisse jusqu’à ce que le fisc lui confirme que les
droits d’enregistrement ont été payés25. L’administration admet cependant que
l’huissier transfère sans attendre au créancier la moitié du produit de la saisie, vu
le mécanisme de plafonnement décrit plus haut26.
6. Les travaux préparatoires indiquent que le débiteur et le créancier de la
condamnation sont tenus solidairement au paiement des droits d’enregistrement,
sous réserve du plafonnement dont bénéficie le créancier27. Cette qualification
est controversée : certains auteurs ainsi que l’administration suivent la thèse de
la solidarité28, d’autres auteurs et la cour d’appel de Liège y voient plutôt des obligations in solidum, en l’absence de mention expresse de la solidarité dans le texte
de la loi29. Cette dernière analyse nous paraît exacte : s’il s’agissait de solidarité, la
demande de paiement adressée par le fisc à l’une des parties ferait courir le délai
d’un mois à l’égard de l’autre partie également, compte tenu des effets secondaires attachés à la solidarité mais pas au caractère in solidum des obligations30.
Or le défaut de paiement à l’échéance de ce délai donne lieu à amende, et il n’est
pas concevable que le législateur ait voulu sanctionner de cette manière une partie à qui aucune demande de paiement n’aurait été adressée et qui ne serait donc
pas au courant de l’échéance. Les travaux préparatoires confirment d’ailleurs que
« le délai de paiement d’un mois […] ne commence à courir à l’égard du bénéficiaire du jugement ou de l’arrêt qu’à compter de l’envoi de l’avis de paiement par
lettre recommandée à son adresse. L’envoi de l’avis de paiement au condamné
reste sans influence à son égard »31.
C.enr., art. 184bis.
Décision administrative du 23 mai 2001, no E.E./98.459, Rép.RJ, no E35/al. 3-2°/01-01 ; E. Dirix, « Art. 150
W.Reg. » in coll., Voorrechten en hypotheken. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en
rechtsleer, Malines, Kluwer, f. mob., no 9.
27
Projet de loi portant des dispositions fiscales, Doc.parl. Sénat, 1989-90, Exposé des motifs, no 806-1, pp. 31
et 32 ; Rapport, no 806-3, p. 35 ; Ch., Rapport, no 1026/5, p. 4.
28
F. Werdefroy, o.c., t. I, no 221 ; Rép.RJ, no E35/03-01, citant civ. Anvers 27 juin 2001.
29
I. Richelle, o.c., p. 796 ; Liège 19 mars 2008, Rec.gén.enr.not. 2008, p. 285, no 25.970.
30
H. De Page et P. Van Ommeslaghe, Traité, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 2013, vol. III, no 1252
et 1275.
31
Exposé des motifs, l.c., p. 32.
25
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L’amende, dans la mesure où elle est due par les deux parties, constitue en
revanche une obligation indivisible32 .
7. La Cour constitutionnelle a récemment examiné, dans son arrêt no 80/2013 du
6 juin 2013, la compatibilité du droit de condamnation avec le principe d’égalité
et de non discrimination. La première des deux questions préjudicielles posées à
la Cour – qui est la seule à nous intéresser ici – portait sur l’éventuelle discrimination résultant du fait que le droit de condamnation est un droit proportionnel
de 3%, alors que le coût du service rendu par la justice aux parties ne diffère pas
en fonction du montant des condamnations. La Cour a considéré que le droit de
condamnation n’est pas une rétribution, ce qui eût imposé qu’un rapport raisonnable existe entre le coût ou la valeur du service fourni et le montant dû par le
redevable, mais est au contraire un impôt destiné à couvrir de manière générale
les dépenses des pouvoirs publics, et constitue une rémunération in abstracto du
service rendu par la justice. Les articles 10 et 11 de la Constitution n’obligent dès
lors pas le législateur à aligner le calcul de ce droit sur le coût du service rendu
par la justice33.
La Cour de justice de l’Union européenne a de même jugé, dans une affaire relative à l’étendue des immunités fiscales dont bénéficie la Commission, que le droit
de condamnation constitue un impôt destiné à pourvoir aux charges générales
des pouvoirs publics et n’est pas la simple rémunération du service public fourni
par la justice34.
Nous déduisons de la motivation de ces deux arrêts que l’application d’un droit
d’enregistrement de 3% aux sentences arbitrales exequaturées ne peut encourir aucun reproche d’inconstitutionnalité. Certes, le même droit est dû tant sur
les sentences arbitrales exequaturées que sur les jugements et arrêts rendus par
l’ordre judiciaire, alors que les destinataires d’une sentence arbitrale ont précisément évité de recourir au service public de la justice, surtout lorsqu’il s’agit
de sentences étrangères pour lesquelles les tribunaux belges n’ont eu aucune
fonction de juge d’appui. L’on pourrait donc imaginer un argument d’inconstitutionnalité basé sur le traitement identique de situations fondamentalement différentes, les parties à une procédure arbitrale, qui n’ont pas utilisé le service public
de la justice, devant payer le même prix que les utilisateurs du service. Mais ce
n’est pas l’existence de la sentence qui rend exigible le droit d’enregistrement ; ce
n’est que l’ordonnance d’exequatur, rendue par le pouvoir judiciaire, qui a cette
C.enr., art. 41.
C.civ. 6 juin 2013, no 80/2013, B.6, B.8, B.10 et B.16.2.
34
CJUE 26 octobre 2006, Communauté européenne v. Etat belge, C-199/05, no 25 à 29.
32
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conséquence. Il y a donc bien un lien entre l’intervention du service public de
la justice et l’imposition. Cette intervention est limitée il est vrai, l’essentiel du
travail – c’est-à-dire la résolution du litige – ayant été effectué par les arbitres. Il
se déduit toutefois de l’arrêt de la Cour constitutionnelle que le niveau du droit
de condamnation ne doit pas être proportionnel à l’ampleur et au coût du travail
judiciaire. Et de toute manière, la charge de travail que représente une ordonnance d’exequatur n’est probablement pas très différente de celle qu’entraîne par
exemple un jugement de condamnation par défaut, qui donne lieu lui aussi au
droit d’enregistrement de 3%.
2.
Frais d’arbitrage ?
8. Le Code des droits d’enregistrement permet au fisc de réclamer le paiement
des droits à chacune des parties, dans les limites décrites plus haut, mais ne prévoit rien quant à la répartition finale entre les parties de la charge du paiement.
Les recours contributoires entre parties ne concernent pas le fisc.
La suite de la présente étude portera principalement sur ces recours contributoires : celle des parties qui a payé les droits d’enregistrement peut-elle les récupérer à charge de l’autre, et comment ? Nous commencerons par examiner si les
droits d’enregistrement font partie des frais de l’arbitrage, et si les arbitres ont
corrélativement le pouvoir d’en attribuer la charge à l’une ou l’autre partie.
9. L’article 1713, § 6, nouveau du Code judiciaire prévoit que les arbitres liquident
et allouent les frais d’arbitrage. Les frais comprennent, selon cette disposition,
« les honoraires et frais des arbitres et les honoraires et frais des conseils et représentants des parties, les coûts des services rendus par l’institution chargée de
l’administration de l’arbitrage et tous autres frais découlant de la procédure arbitrale ». Le Conseil d’Etat avait recommandé que l’exposé des motifs explicite la
notion d’« autres frais »35, ce qui ne fut malheureusement pas fait.
Avant la réforme de 2013, la sixième partie du Code judiciaire ne contenait
aucune disposition expresse quant aux frais de l’arbitrage, mais il a toujours été
admis que les arbitres avaient le pouvoir de les liquider et de les allouer36.
La plupart des règlements d’arbitrage prévoient des règles analogues. Ainsi, l’article 34, paragraphes 1 et 2 du Règlement d’arbitrage 2013 du CEPANI dispose que
Doc.parl. Ch. 2012-13, Avis du Conseil d’Etat, no 2743/01, p. 102.
G. Keutgen et G.‑A. Dal, L’arbitrage en droit belge et international, Bruxelles, Bruylant, 2006, t. I, no 324
et 368.
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« Les frais d’arbitrage comprennent les honoraires et frais des arbitres ainsi que
les frais administratifs du CEPANI » et que « Les frais des parties comprennent
notamment les frais exposés par elles pour leur défense et ceux liés à l’administration de la preuve à l’aide d’experts et de témoins ». L’article 37, paragraphe 1
du Règlement d’arbitrage 2012 de la CCI prévoit que « Les frais de l’arbitrage
comprennent les honoraires et frais des arbitres et les frais administratifs de la
CCI […], les honoraires et frais des experts nommés par le tribunal arbitral ainsi
que les frais raisonnables exposés par les parties pour leur défense à l’occasion de
l’arbitrage ». La définition figurant à l’article 40, paragraphe 2 du règlement d’arbitrage 2010 de la CNUDCI précise que « Les ‘frais’ comprennent uniquement »
divers postes, dont aucun n’est susceptible de viser les droits d’enregistrement.
Aucune de ces dispositions ne permet d’inclure les droits d’enregistrement parmi
les frais de l’arbitrage37. La pratique est en ce sens : les parties ne réclament pas,
et les arbitres n’incluent pas, les 3% de droit de condamnation dans le calcul des
frais qui sont liquidés par les sentences arbitrales. Il est vrai que la formule « tous
autres frais découlant de la procédure arbitrale » utilisée par l’article 1713, § 6,
nouveau du Code judiciaire est large, mais nous ne pensons pas qu’elle puisse
être interprétée différemment : les droits d’enregistrement ne découlent pas de la
procédure arbitrale elle-même mais de la procédure d’exequatur ultérieure, et la
volonté du législateur était d’aligner la loi belge sur les législations étrangères les
plus modernes en matière d’arbitrage – qui n’incluent généralement pas les frais
d’exécution de la sentence parmi les frais de l’arbitrage – plutôt que d’introduire
trop d’idiosyncrasies locales.
10. Il ne serait d’ailleurs généralement pas opportun que les arbitres se prononcent sur la prise en charge des droits d’enregistrement dans la sentence qui
contient la condamnation au principal. L’on ignore en effet à ce moment si la
sentence sera exequaturée et, si oui, laquelle des deux parties paiera les droits.
Une décision conditionnelle, par laquelle le tribunal arbitral condamnerait la
partie perdante à indemniser la partie gagnante s’il y a exequatur et si c’est cette
dernière partie qui a payé les droits d’enregistrement, ne sera généralement pas
opportune non plus ; il est impossible de savoir à l’avance si une demande d’exequatur sera justifiée ou sera abusive parce que faite précipitamment alors que la
J. Waincymer, Procedure and Evidence in International Arbitration, La Haye, Kluwer, 2012, no 15.12.20.
Dans le même sens, les frais d’avocat exposés pour l’exécution de la sentence ne font en principe pas partie
des frais de l’arbitrage : G.B. Born, International Commercial Arbitration, La Haye, Kluwer, 2009, p. 2493 ;
B. Hanotiau, « The parties costs of arbitration » in coll., Dossier of the ICC Institute of World Business Law :
Evaluation of Damages in International Arbitration, Paris, ICC, 2006, p. 213, no 1.
37
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
sentence allait être exécutée volontairement, auquel cas les droits devraient être
mis à charge du créancier téméraire plutôt que du débiteur condamné38.
11. Les arbitres pourraient-ils statuer sur la question par une sentence ultérieure,
après l’exequatur de leur sentence principale ?
Une réponse négative nous paraît s’imposer, parce que l’allocation des droits
d’enregistrement ne relève pas de la compétence des arbitres39. L’étendue de leur
compétence découle de la convention d’arbitrage et de la portée que les parties
ont voulu lui donner. Rien n’interdit certes aux parties de confier également cet
aspect du litige aux arbitres, mais en l’absence (constante en pratique) de disposition expresse sur le sujet dans la convention d’arbitrage, celle-ci doit être
interprétée en recherchant la volonté implicite des parties. Plusieurs motifs liés à
l’efficacité de la procédure permettent de présumer que les parties n’ont pas voulu
inclure une telle question dans le champ de la convention d’arbitrage, et ont au
contraire préféré que les frais d’exécution de la sentence relèvent de la juridiction
des tribunaux étatiques devant lesquels les procédures d’exécution sont poursuivies.
Ces deux compétences s’excluent en effet l’une l’autre : si les arbitres sont compétents, le défendeur peut invoquer l’exception d’arbitrage et les tribunaux étatiques sont alors tenus de se dessaisir de la question40. Considérer que les arbitres
peuvent condamner le débiteur de la sentence à rembourser les droits d’enregistrement payés par le créancier revient donc à dire que le tribunal qui ordonne
l’exequatur ne peut pas simultanément prononcer une condamnation aux dépens
portant sur ces droits d’enregistrement41. Or, du point de vue de l’efficacité procédurale, le tribunal de l’exequatur sera généralement beaucoup mieux placé que
les arbitres pour trancher la question.
En premier lieu, la problématique des droits d’enregistrement ne surgit qu’au
stade de l’exécution, c’est-à-dire après que la sentence ait été rendue. S’il s’agit
d’une sentence finale qui a tranché tous les points en litige, les arbitres sont des-
K. Cox, « De olifant in de porseleinwinkel : tergende en roekeloze tenuitvoerlegging of vernietiging van arbitrale uitspraken », [email protected], 2006/1, p. 97, no 8.
39
Selon J. Fry, S. Greenberg et F. Mazza, The Secretariat’s Guide to ICC Arbitration, Paris, ICC, 2012,
no 3-1491, « there appears to be a general consensus that any costs incurred after the rendering of the award
(e.g. during enforcement proceedings) are not recoverable within the arbitration ». Voir également J. Waincymer, o.c., no 15.12.25.
40
C.jud., art. 1679, paragraphe 1 (version 1972), et art. 1682, § 1 (version 2013) ; Convention de New York du
10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, art. II, paragraphe 3.
41
Voir infra, paragraphes 13 et seq.
38
b-Arbitra 2/2013 BRUYLANT
285
286Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
saisis et n’ont plus le pouvoir de se prononcer42 . Il faudrait donc lancer une nouvelle procédure d’arbitrage, et constituer un nouveau tribunal arbitral qui ne sera
pas nécessairement composé des mêmes arbitres. C’est inutilement lourd.
Cet inconvénient n’existe pas lorsqu’il s’agit d’une sentence partielle et que le
tribunal arbitral est encore en fonction – mais le cas sera relativement peu fréquent en pratique, s’agissant par hypothèse d’une sentence de condamnation de
sommes. L’inconvénient peut également être évité si le créancier a demandé au
tribunal arbitral de réserver à statuer sur le remboursement des éventuels droits
d’enregistrement ; la sentence qui admet une telle réserve n’est pas finale et le
tribunal reste en fonction, avec le pouvoir d’encore statuer ultérieurement sur
la question. Mais cette façon de procéder retardera la clôture définitive de la
procédure et ne nous paraît certainement pas souhaitable de manière générale.
Le tribunal arbitral ne pourra en toute hypothèse pas se maintenir en fonction
au-delà du délai qui lui a été imparti43.
En second lieu, le retour devant des arbitres crée un risque de mouvement perpétuel : la nouvelle sentence rendue à propos des droits d’enregistrement relatifs à
la sentence principale sera à son tout susceptible d’être exequaturée et de donner
lieu à des droits d’enregistrement44, qui pourront faire l’objet d’une troisième sentence, et ainsi de suite : litis finiri oportet, dit-on aux Pays-Bas45.
12. La base juridique de l’obligation de rembourser les droits d’enregistrement
au créancier de la sentence, d’autre part, ne se trouvera généralement pas dans le
contrat contenant la clause d’arbitrage : cette obligation découle des articles 1017
C.jud., art. 1714, § 1er (version 2013) ; T. Giovannini, « When do arbitrators become functus officio ? »,
Liber amicorum en l’honneur de Serge Lazareff, Paris, Pedone, 2011, p. 305 ; Ph. Fouchard, E. Gaillard
et B. Goldman, Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, La Haye, Kluwer,
1999, no 738-1 et 1414 ; G.B. Born, o.c., pp. 2518 et seq. ; N. Blackaby, C. Partasides, A. Redfern et
J.M.H. Hunter, Redfern and Hunter on International Arbitration, Oxford University Press, 2009, no 9.18 ;
Th. Clay, « Le rôle de l’arbitre dans l’exécution de la sentence arbitrale », Bull. CIArb. CCI, 2009, no 1, p. 47,
no 1.
43
C.jud., art. 1713, § 2 (version 2013) ; B. Hanotiau, « L’obligation pour l’arbitre de respecter les délais d’arbitrage », JT 1999, p. 720 ; Cass. 2 juillet 1948, Pas. 1948, I, 420 ; Liège 28 avril 2011, R.G. no 2010/rg/227,
juridat.
44
A moins que l’on considère – ce qui paraît défendable – que l’objet de la deuxième sentence ne porte que sur
des dépens (au sens de l’art.142, alinéa 2 du Code des droits d’enregistrement) de la première sentence, et que
la deuxième sentence est pour cette raison exonérée de droits.
45
Il faut qu’un procès ait une fin. L’adage serait, selon le président du Collège des procureurs généraux néerlandais Hans Brouwer, apocryphe et aurait été inventé par les Néerlandais plutôt que par les Romains
(« Wanneer stopt de waarheidsvinding ? », contribution à la Jaarvergadering Nederlandse Vereniging voor
Rechtspraak du 6 octobre 2008, www.om.nl/actueel/toespraken).
42
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
à 1019 du Code judiciaire46, et de l’article 1251, 3° du Code civil47. Il est peu probable – mais ce sera bien entendu chaque fois une question d’espèce – que les
droits d’enregistrement constituent un dommage indemnisable sur la base du
contrat faisant l’objet du litige48.
Ceci conforte l’interprétation proposée ci-dessus, selon laquelle la portée d’une
convention d’arbitrage ne s’étend en principe pas à l’allocation des droits d’enregistrement dus suite à l’exequatur de la sentence.
3. Dépens de la procédure d’exequatur ?
13. Les articles 1018, alinéa 1er, 1° et 1019 du Code judiciaire incluent les droits
d’enregistrement parmi les dépens49. En application de ces dispositions, le droit
de condamnation relatif à une sentence arbitrale exequaturée fait partie des
dépens de la procédure judiciaire qui aboutit à l’exequatur. L’article 1017, alinéa 1er du même Code impose au juge de prononcer même d’office la condamnation aux dépens contre la partie qui a succombé. Il semble s’en déduire une solution simple : l’ordonnance d’exequatur doit condamner aux dépens le débiteur
contre qui l’exécution de la sentence arbitrale est poursuivie, ce qui permettra
au créancier de recouvrer à charge du débiteur les droits d’enregistrement que ce
créancier aurait payé au fisc. La condamnation aux dépens figurant dans l’ordonnance d’exequatur constitue un titre exécutoire suffisant pour le recouvrement
des droits d’enregistrement, et une nouvelle procédure à cette fin est superflue.
La difficulté est que l’ordonnance d’exequatur est rendue sur requête unilatérale50. Or l’on connaît la controverse relative à la possibilité de prononcer une
condamnation aux dépens lorsque la procédure est unilatérale. Certains considèrent qu’une procédure unilatérale n’implique par définition qu’une seule partie, le requérant, de sorte qu’il n’y a pas de partie succombante qui puisse être
Voir infra, paragraphes 13 et seq.
Voir infra, paragraphes 17 et seq.
48
B. Hanotiau, l.c. (« The parties costs… »), note que les frais de procédures judiciaires parallèles à l’arbitrage
(par exemple en vue de l’obtention de mesures provisoires ou conservatoires), qui ne constituent pas des frais
de l’arbitrage proprement dit, peuvent le cas échéant être recouvrés dans le cadre de la procédure arbitrale en
tant que dommages et intérêts.
49
Bruxelles 3 octobre 1995, RW 1995-96, p. 543.
50
C.jud., art. 1710, paragraphe 1, et 1719, paragraphe 1 (version 1972, la requête étant soumise au président du
tribunal de première instance), et art. 1720 (version 2013, la requête étant soumise au tribunal de première
instance).
46
47
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288Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
condamnée aux dépens sur la base de l’article 1017, alinéa 1er – la discussion porte
habituellement sur l’indemnité de procédure, mais tous les postes de dépens
visés à l’article 1018 sont en jeu51. D’autres soutiennent au contraire l’idée que,
dans certains types de procédures unilatérales, il existe en réalité un adversaire,
fût-il virtuel, qui peut être condamné aux dépens ; c’est la figure procédurale de
l’inversion du contentieux, dont la procédure d’exequatur constitue une illustration52 . La jurisprudence est aussi divisée que la doctrine et nous n’aurons pas la
prétention de trancher ici la controverse.
La pratique habituelle des présidents de tribunaux de première instance, à notre
connaissance, est de ne pas inclure de condamnation aux dépens dans les ordonnances d’exequatur. A Bruxelles autant qu’à Anvers et à Liège, la pratique semble
systématique.
14. Si le débiteur contre qui l’exequatur est accordé fait opposition à l’ordonnance53, la procédure devient contradictoire et le jugement rendu sur opposition,
à supposer qu’il confirme l’exequatur, pourra condamner le débiteur aux dépens
sans difficulté procédurale particulière puisque celui-ci aura succombé dans son
opposition.
Si l’ordonnance octroie l’exequatur, sans toutefois accorder la condamnation aux
dépens que le créancier a par hypothèse demandée, et que le débiteur ne fait pas
opposition, la situation du créancier est inconfortable. Pour les arbitrages enta-
J.-Fr. van Drooghenbroeck et B. De Coninck, « La loi du 21 avril 2007 sur la répétibilité des frais et
honoraires d’avocat », JT 2008, p. 37, no 41 ; I. Samoy et V. Sagaert, « De wet van 21 april 2007 betreffende
de verhaalbaarheid van kosten en erelonen van een advocaat », RW 2007-08, p. 674, no 36 ; S. Voet, « Enkele
praktische knelpunten bij de toepassing van de wet van 21 april 2007 betreffende de verhaalbaarheid van
kosten en erelonen van advocaten », RW 2007-08, p. 1129, no 6 ; P. Taelman et S. Voet, « De verhaalbaarheid
van de advocatenhonoraria : analyse van een aantal knelpunten na één jaar toepassing » in coll., Les lois de
procédure de 2007… revisited !, Bruges, La Charte, 2009, p. 125, no 13 et seq. ; Bruxelles 7 janvier 2013, JLMB
2013, p. 987 ; Anvers 3 février 2010, RDJP 2010, p. 227 ; Bruxelles, 9 juin 2008, RW 2008-09, p. 872 ; Civ. Mons
7 novembre 2012, JLMB 2013, p. 1337 ; civ. Tournai (sais.) 3 février 2009, JT 2009, p. 216 ; civ. Bruges (sais.)
22 janvier 2008, RW 2008-09, p. 121 ; civ. Courtrai 27 mai 1977, RW 1979-80, col. 1709 (concernant une
demande d’exequatur d’un jugement étranger).
52
H. Boularbah, Requête unilatérale et inversion du contentieux, Bruxelles, Larcier, 2010, no 183 et 770 et
seq. ; B. Allemeersch, « Geen rechtsplegingsvergoeding voor procedures op eenzijdig verzoekschrift ? »,
RW 2008-09, p. 872 ; H. Boularbah, « Requête unilatérale et indemnité de procédure », JT 2008, p. 367 ;
J. Laenens, « Gerechtskosten en de procedure op eenzijdig verzoekschrift », RW 1979-80, col. 1710 ; Liège
29 avril 2008, JT 2008, p. 366 ; civ. Bruxelles (sais.) 19 janvier 2009, JT 2009, p. 217 ; civ. Malines 27 novembre
2008, RDJP 2009, p. 211.
53
C.jud., art. 1712, paragraphe 1, et 1722 (version 1972), et art. 1033 (version 2013) ; Doc.parl. Ch. 2012-13,
Exposé des motifs, no 2743/01, p. 43.
51
BRUYLANT
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Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
més avant le 1er septembre 201354, le créancier peut faire appel sur la question
des dépens et la procédure d’appel sera contradictoire55. Mais si la cour d’appel
prend le parti, dans la controverse exposée au paragraphe 13, qu’une condamnation aux dépens n’a pas lieu d’être dans une procédure sur requête unilatérale,
le fait que la procédure soit entretemps devenue contradictoire ne résoudra rien :
la cour devra constater que l’ordonnance rendue par le président du tribunal de
première instance était bien jugée, et devra déclarer l’appel non fondé ; le débiteur
n’ayant pas succombé devant la cour d’appel, il ne pourra pas y être condamné
aux dépens non plus56. Pour les arbitrages entamés depuis la réforme de 2013, le
seul recours ouvert au créancier est le pourvoi en cassation57 – c’est lourd, mais
cela pourrait être une excellente occasion de faire trancher cette embarrassante
controverse.
L’on voit mal quelle considération logique peut justifier que le débiteur d’une sentence arbitrale exequaturée doive être condamné à supporter les droits d’enregistrement s’il a fait en vain opposition à l’ordonnance d’exequatur, et ne puisse pas
l’être en l’absence d’opposition. C’est la sentence et son exequatur qui donnent
lieu aux droits d’enregistrement ; le fait qu’une opposition ait été introduite et
rejetée ne change rien à l’existence ou au montant de la dette fiscale. Il n’y a
dès lors aucune raison de déplacer la charge de cette dette d’une partie vers
l’autre selon qu’il y ait eu ou non opposition. La thèse selon laquelle les dépens ne
peuvent être accordés dans une procédure sur requête unilatérale aboutit donc
à une différence de traitement qui nous paraît contraire aux articles 10 et 11 de
la Constitution. Nous en tirons un argument en faveur de la thèse qui constate
l’existence d’un adversaire virtuel dans certains types de procédures unilatérales
et y admet la condamnation aux dépens de cet adversaire absent.
15. La récupération à charge du débiteur des droits d’enregistrement que le
créancier a payés devrait donc selon nous pouvoir se faire par le biais d’une
condamnation aux dépens qui figure dans l’ordonnance d’exequatur. Vu la pra La réforme du droit de l’arbitrage effectuée par la loi du 24 juin 2013 ne s’applique qu’aux arbitrages qui ont
commencé à partir de l’entrée en vigueur de la loi, c’est-à-dire en principe ceux dans lesquels la demande
d’arbitrage a été reçue par le défendeur à partir du 1er septembre 2013. Les procédures judiciaires auxquelles
donne lieu un arbitrage « ancien » restent soumises aux règles du Code judiciaire dans leur version antérieure
à la réforme de 2013, même si la sentence dont l’exequatur est demandé est rendue après le 1er septembre
2013 (loi du 24 juin 2013 modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative à l’arbitrage, art. 59 et 60, et
C.jud., art. 1702 nouveau).
55
C.jud., art. 1711, paragraphe 1, et 1721, dérogeant au droit commun de l’art. 1031.
56
Cass. 26 septembre 1983, Pas. 1984, I, 72 ; Gand 18 juin 1998, TGR 1998, p. 175 ; J. Laenens, K. Broeckx,
D. Scheers et P. Thiriar, Handboek gerechtelijk recht, 3e éd., Anvers, Intersentia, 2008, no 1180 et 1181.
57
C.jud., art. 1680, § 5 (version 2013) ; Doc.parl. Ch. 2012-13, Exposé des motifs, no 2743/01, p. 14.
54
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289
290Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
tique en sens contraire des présidents de tribunaux de première instance, et la
controverse persistante sur la possibilité même d’une telle condamnation aux
dépens, nous examinerons ci-dessous deux bases juridiques alternatives, étant
l’article 1024 du Code judiciaire relatif aux frais d’exécution et la subrogation
dans les droits du fisc.
4.
Frais d’exécution ?
16. L’article 1024 du Code judiciaire dispose que « Les frais d’exécution incombent
à la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie ». Il s’agit, par opposition
aux dépens qui concernent les frais exposés pour obtenir un jugement, des frais
« ultérieurs à l’obtention du titre et mis en œuvre pour l’exécution de celui-ci »58.
Le jugement ou l’arrêt dont l’exécution est poursuivie constitue un titre suffisant
pour la récupération des frais d’exécution, sans qu’une condamnation distincte
ou une procédure de taxation soient requises59.
Dans une procédure judiciaire, les droits d’enregistrement ne sont pas des frais
d’exécution : ils sont dus en raison de l’existence même du jugement, indépendamment de toute mise à exécution de celui-ci. Lorsqu’il s’agit d’une sentence
arbitrale, en revanche, les droits d’enregistrement ne sont dus que si un exequatur
en est obtenu. Peut-on en déduire qu’ils constituent dans ce cas des frais d’exécution60? Nous ne le pensons pas, précisément parce que les droits sont encourus
sur l’ordonnance d’exequatur plutôt que sur la sentence elle-même. Certes, l’exequatur relève de l’exécution de la sentence, mais les articles 1017 à 1024 du Code
judiciaire (qui constituent le Titre IV « Des frais et dépens » du Livre II « L’instance » du Code) concernent le volet judiciaire et pas le volet arbitral de la procédure61; l’article 1024 concerne les frais d’exécution de l’ordonnance d’exequatur,
pas les frais d’exécution de la sentence. Une ordonnance d’exequatur, de même
qu’un jugement, ne constitue pas un acte de sa propre exécution. Elle pourra être
suivie de saisies qui seront alors des mesures d’exécution, mais avant d’en arriver
G. de Leval, Eléments de procédure civile, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, no 342. Le même auteur avait
précédemment écrit qu’il s’agit des « frais inhérents et nécessaires à la procédure d’exécution forcée » : G. de
Leval, Traité des saisies, Faculté de droit de Liège, 1988, no 223.A(d).
59
G. de Leval, l.c. (« Eléments… ») ; civ. Liège 21 décembre 2007, RDJP 2009, p. 48.
60
J. Laenens, l.c., pose la question de savoir si les frais d’une procédure d’exequatur peuvent être qualifiés de
frais d’exécution, et la laisse ouverte.
61
Pour la non-application de l’article 1022 à la procédure arbitrale, voir les références citées à la note 10.
58
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
là une ordonnance d’exequatur n’est pas différente d’un jugement de condamnation : elle est un titre exécutoire, elle n’est pas encore une mesure d’exécution62 .
Il nous semble également que les qualifications de dépens et de frais d’exécution
sont mutuellement exclusives. Le Code judiciaire prévoit que la charge des premiers est allouée par le juge, qui peut dans certains cas les compenser, tandis que
la charge des seconds pèse nécessairement sur la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie63; les deux régimes sont incompatibles, de sorte qu’il ne peut
pas y avoir de chevauchement entre le concept de dépens et celui de frais d’exécution64. Les droits d’enregistrement étant expressément classés par le Code dans
la catégorie des dépens65, ils ne peuvent pas être également des frais d’exécution.
5.
Subrogation ?
17. Plusieurs auteurs, principalement fiscalistes, enseignent que le créancier
d’une condamnation qui a payé les droits d’enregistrement est subrogé dans les
droits du fisc contre le débiteur, sur la base de l’article 1251, 3° du Code civil66.
L’analyse est exacte. En cas de coobligation in solidum67, celui des coobligés qui
L’art. 30 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, qui interdit de procéder à des
voies d’exécution pendant le sursis, n’empêche pas les créanciers d’encore obtenir un titre exécutoire, ce qui
confirme la distinction entre l’obtention du titre et l’exécution proprement dite : E. Dirix et R. Jansen, « De
positie van de schuldeisers en het lot van lopende overeenkomsten » in coll., Gerechtelijke reorganisatie,
Getest, gewikt en gewogen, Anvers, Intersentia, 2010, p. 157, no 10 ; I. Verougstraete, « Rechten en garanties van de schuldeisers – De lopende overeenkomsten », in coll., La loi relative à la continuité des entreprises, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2010, p. 143, nr. 19 ; S. Brijs et R. Lindemans, « Over het verkrijgen
van een uitvoerbare titel in het kader van de WCO », RDC 2013, p. 723, nos 2 à 4.
63
C.jud. art. 1017, alinéa 4, et 1024.
64
Contra : D. Mougenot, « Dépens et frais d’exécution », note sous Anvers 20 novembre 2006, RDJP 2007,
p. 294, pour qui le coût de l’expédition d’un jugement fait à la fois partie des frais d’exécution et, en application de l’article 1018, alinéa 1er, 3°, des dépens. Pour M. Baltus, o.c. (« Le nouveau régime… »), no 22, et
E. Dirix, o.c., no 10, les droits d’enregistrement payés par le créancier d’un jugement de condamnation sont
en toute hypothèse des frais d’exécution, ce qui nous paraît inexact vu que les droits sont dus indépendamment de toute mise à exécution de la condamnation, et même si celle-ci n’est pas (encore) exécutoire en
raison de l’effet suspensif d’un appel ou d’une opposition (C.jud., art. 1397).
65
C.jud., art. 1018, alinéa 1er, 1°, et 1019.
66
F. Werdefroy, o.c., t. I, no 497-5 ; M. Donnay, o.c., no 545-2 ; M. Baltus, l.c. ; E. Dirix, o.c., no 10.
67
De même qu’en cas de solidarité, de sorte que la question de qualification discutée supra au paragraphe 6
est sans conséquence quant à l’existence d’un recours subrogatoire ; voir H. De Page et P. Van Ommeslaghe, o.c., vol. III, no 1256 ; M. Van Quickenborne, « Pluraliteit van schuldeisers en schuldenaars » in
coll., Bijzondere overeenkomsten. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer,
Malines, Kluwer, f. mob., no 104.
62
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291
292Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
a payé la dette peut exercer contre les autres un recours contributoire fondé sur
la subrogation légale68. La part contributoire du débiteur de la sentence portera
sur la totalité des droits ; le mécanisme mis en place par le Code des droits d’enregistrement – par lequel le débiteur de la condamnation est en toute hypothèse
redevable des droits envers le fisc, et le créancier ne l’est que dans la limite de la
moitié des recouvrements éventuels – et les travaux préparatoires69 démontrent
en effet que le débiteur est le redevable principal des droits, le créancier n’étant
tenu que de manière subsidiaire70.
18. Le recours subrogatoire présente néanmoins deux inconvénients71.
En premier lieu, lorsque plusieurs débiteurs font l’objet d’une même condamnation prononcée par la sentence arbitrale, le recours subrogatoire doit être divisé
même si les arbitres les ont condamnés solidairement. Leur dette envers le fisc est
solidaire, en vertu de l’article 31, alinéa 2, 1° du Code des droits d’enregistrement,
mais cette solidarité ne survit pas à la subrogation72 .
Cass. 17 juin 1982, RCJB 1986, p. 680 et note L. Cornelis, « L’obligation ‘in solidum’ et le recours entre
coobligés » ; H. De Page et P. Van Ommeslaghe, o.c., vol. III, no 1276, 1277 et 1481 ; M. Van Quickenborne, o.c., no 157 et seq. ; J.‑L. Fagnart, La causalité, Waterloo, Kluwer, 2009, no 469.
69
Les rapports de commissions, tant au Sénat qu’à la Chambre, précisent que le créancier de la condamnation
peut réclamer au débiteur les droits qu’il aurait été amené à payer : Projet de loi portant des dispositions
fiscales, Doc.parl. Sénat, 1989-90, Rapport, no 806-3, p. 36, Ch., Rapport, no 1026/5, p. 5.
70
La question de savoir si une décision de compensation des dépens, prise en application de l’article 1017,
alinéa 4 du Code judiciaire, a pour effet de modifier cette répartition et d’entraîner un partage de la charge
finale des droits d’enregistrement mériterait une étude approfondie, qui sort du cadre de la présente contribution.
71
Outre la subordination du créancier de la sentence vis-à-vis du fisc en application de l’article 1252 du Code
civil, aussi longtemps que les droits d’enregistrement n’ont pas été entièrement payés. En pratique ceci ne
change probablement rien ou pas grand-chose à la situation du créancier, vu le privilège que l’article 150 du
Code des droits d’enregistrement accorde de toute manière au fisc.
72
H. De Page et P. Van Ommeslaghe, o.c., vol. III, no 1277 (in fine) et 1481 ; S. Stijns, Verbintenissenrecht,
Bruges, La Charte, 2009, no 73 ; M. Van Quickenborne, o.c., no 154 ; L. Cornelis, o.c., no 13.
La solution n’est pas totalement certaine. Dans les cas de figure où la doctrine et la jurisprudence citées
ont établi la règle de la division des recours contributoires entre codébiteurs tenus in solidum, les obligations du solvens qui a payé la dette et de ceux contre qui il exerce son recours étaient chaque fois de même
nature, le solvens devant supporter sa propre part contributoire : responsabilité aquilienne des auteurs de
fautes concurrentes, le plus souvent, ou responsabilité des vendeurs successifs dans un chaîne de ventes
(Cass. 22 octobre 1993, RCJB 1996, p. 37, et note A. Meinertzhagen-Limpens, « Les ventes en chaîne,
la responsabilité ‘in solidum’ et le recours contributoire, une coexistence difficile »). L’hypothèse où, entre
celui qui a payé la dette d’une part, et ceux contre qui le recours est exercé d’autre part, le recours subrogatoire est fondé sur l’idée de garantie – c’est-à-dire, aux termes de l’article 1251, 3° du Code civil, lorsque
le solvens est tenu au paiement de la dette pour les autres plutôt qu’avec les autres (sur la distinction, voir
R.O. Dalcq, « Obligation ‘in solidum’ et subrogation », note sous Cass. 18 janvier 1979, RCJB 1980, p. 245,
no 9, et J.‑L. Fagnart, o.c., no 497 et 498) – ne semble pas avoir été examinée, et il nous paraît que la solution
68
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
En second lieu et surtout, l’exercice du recours subrogatoire ne peut pas se fonder
sur le titre dont le créancier dispose déjà, c’est-à-dire la sentence exequaturée, et
devra le cas échéant faire l’objet d’une nouvelle procédure. Certes, la subrogation
permet au subrogé d’utiliser à son profit le titre exécutoire dont le subrogeant
disposait contre le tiers débiteur73. Mais dans la configuration envisagée ici, le
subrogeant est le fisc et celui-ci ne bénéficiait pas d’un titre exécutoire : la sentence et son exequatur constituent un titre entre les parties à l’arbitrage, mais ne
sont pas un titre exécutoire du fisc contre le débiteur de la condamnation.
Pour les raisons exposées supra aux paragraphes 11 et 12, nous pensons que cette
nouvelle procédure ne rentre en principe pas dans le champ de la convention
d’arbitrage, et devra être portée devant les tribunaux étatiques. Si le débiteur
est domicilié à l’étranger, les tribunaux belges ne seront pas compétents : une
demande basée sur la subrogation dans une créance fiscale n’est en effet fondée
ni sur une obligation contractuelle, ni sur un fait dommageable, ni sur une obligation quasi contractuelle, de sorte que l’article 96 du Code de droit international
privé ne pourra pas être invoqué et que seule la règle générale de l’article 5 du
même Code (compétence internationale fondée sur le domicile ou la résidence
habituelle du défendeur) sera applicable. Aucune des hypothèses de compétence
générale n’est pas nécessairement transposable à cette hypothèse. Un récent arrêt de la Cour de cassation
(14 février 2013, C.11.0793.F, juridat) pourrait indiquer que le solvens ne doit pas, dans une telle hypothèse,
diviser son recours : il s’agissait d’un accident dont étaient responsables d’une part la Ville de Bruxelles en
tant que gardienne de la voirie, et d’autre part deux entreprises de travaux publics dont des fautes avaient
entraîné le vice de la voirie. La cour d’appel avait fixé les parts contributoires respectives à 20% pour la Ville
et 40% pour chacun des deux entrepreneurs, et avait accueilli le recours contributoire de la Ville – qui avait
indemnisé la victime – contre le premier entrepreneur seulement, à concurrence de 40%. L’arrêt fut cassé en
ce qu’il laissait une part de 20% à charge du gardien de la chose, au motif que la présomption de responsabilité du fait des choses ne bénéficie qu’à la victime et pas aux coresponsables, et en ce qu’il rejetait le recours
contre le second entrepreneur sur la base de l’immunité des employeurs en cas d’accident de travail. La Cour
de cassation écrit que « contre le tiers dont la faute a causé le vice, ce gardien possède un recours pour le
montant total du dommage » ; or il y avait en l’espèce deux tiers dont les fautes concurrentes avaient causé
le vice. Faut-il en déduire que la Cour a voulu autoriser un « recours pour le montant total du dommage »
contre chacun des deux, c’est-à-dire sans division ? L’arrêt le suggère mais laisse, nous semble-t-il, la question
ouverte – et ceci dans un contexte où « Sur chacune de ces questions, la solution ne trouve un fondement
certain que dans des choix guidés par le bon sens et l’équité. D’un point de vue purement technique, elle ne
s’impose en effet nullement comme la seule possible » (P.-A. Foriers, « Observations sur les arrêts de la Cour
de cassation des 28 avril 2006 et 4 février 2008 ou les limites des raisonnements techniques en droit », Liber
amicorum Jean-Luc Fagnart, Louvain-la-Neuve, Anthémis, 2008, p. 515, no 9).
73
H. De Page et P. Van Ommeslaghe, o.c., vol. III, no 1492 ; W. van Gerven et S. Covemaeker, Verbintenissenrecht, 2e éd., Louvain, Acco, 2006, p. 625 ; Gand 16 mai 1995, RW 1995-96, p. 582.
b-Arbitra 2/2013 BRUYLANT
293
294Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
spéciale prévues par le Règlement Bruxelles I74 ne pourra non plus être invoquée,
et il faudra ici aussi retomber sur la règle générale du lieu du domicile du défendeur. La solution est loin d’être idéale.
6. Restitution des droits en cas d’annulation
de la sentence ou de son exequatur
19. L’« infirmation totale ou partielle d’un jugement ou arrêt par une autre décision judiciaire passée en force de chose jugée » entraîne la restitution du droit
de condamnation qui avait été perçu sur le jugement ou l’arrêt en question, aux
termes de l’article 210 du Code des droits d’enregistrement. L’amende due en cas
de retard de paiement n’est jamais restituable75. Les conditions d’application de
la restitution font l’objet d’une jurisprudence judiciaire et administrative abondante, incluant même deux arrêts de la Cour de cassation76. Rien, ou très peu,
ne semble toutefois avoir été écrit lorsqu’il s’agit de sentences arbitrales exequaturées. On trouve uniquement un arrêt de la cour d’appel d’Anvers qui confirme
que la simple introduction d’un recours en annulation de la sentence et en opposition à son exequatur ne suffit pas à obtenir la restitution des droits de condamnation77; cela allait sans dire, puisque la même règle vaut pour les droits dus sur
un jugement, dont l’exigibilité n’est pas suspendue par l’existence d’un appel ou
d’une opposition.
Règlement no 44/2001 du 22 décembre 2000, art. 5 à 7 ; règlement no 1215/2012 du 12 décembre 2012, art. 7
à 9. Le Règlement Bruxelles I n’est pas applicable en matière fiscale (art. 1, paragraphe 1, de ses deux versions
successives). Suite à l’arrêt F-Tex de la Cour de justice (CJUE 19 avril 2012, F-Tex SIA c. Lietuvos-Anglijos
UAB Jadecloud-Vilma, C-213/10), il faut toutefois considérer que cette exception ne s’applique pas lorsqu’une demande porte sur une créance d’impôts mais est introduite par une personne subrogée dans cette
créance plutôt que par le fisc lui-même. L’arrêt F-Tex concernait une demande de remboursement d’un paiement fait par un futur failli en période suspecte et annulable en vertu du droit de la faillite allemand (les
faillites sont, de même que la matière fiscale, exclues du champ d’application du Règlement Bruxelles I). La
demande n’était cependant pas introduite par le curateur – auquel cas elle aurait indubitablement été exclue
du champ d’application du Règlement – mais par un tiers à qui le curateur avait cédé sa créance de remboursement. La Cour a jugé que, dans ces circonstances, la demande était couverte par le Règlement.
75
Civ. Gand 27 mai 2009, et Civ. Bruges 21 mai 2001, cités dans Rép.RJ, no E210/12-01 et 12-02 ; A. Mayeur, o.c.,
no 570.
76
Cass. 4 novembre 2004, C.03.0505.F, Pas. 2004, p. 1730 ; Cass. 23 mai 2003, C.00.0465.N, Pas. 2003, p. 1057 ;
F. Werdefroy, o.c., t. I, no 409 et seq. ; Rép.RJ, no E210.
77
Anvers 11 juin 2001, RDJP 2001, p. 70.
74
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
Différents cas de figure peuvent se présenter : l’ordonnance d’exequatur ellemême peut être infirmée ; la sentence peut être annulée par une décision judiciaire belge, si le siège de l’arbitrage était en Belgique ; enfin, la sentence étrangère
peut être annulée dans son pays d’origine78. Ces hypothèses peuvent se réaliser
simultanément, par exemple lorsque l’annulation d’une sentence belge est poursuivie dans le cadre de l’opposition à l’exequatur. Lorsqu’il s’agit d’une sentence
étrangère, l’exequatur et le recours en annulation suivront nécessairement des
procédures différentes.
20. L’hypothèse de l’infirmation de l’ordonnance d’exequatur79 ne pose pas de
difficulté particulière. C’est cette ordonnance qui a donné naissance à la dette de
droits d’enregistrement – la sentence n’est en effet pas soumise aux droits si elle
n’est pas exequaturée – et la décision judiciaire qui réforme ou met à néant l’ordonnance correspond, dès qu’elle est passée en force de chose jugée, aux termes
exprès de l’article 210. Les droits sont donc restituables.
L’annulation d’une sentence belge ne devrait selon nous pas poser plus de difficultés. Le jugement ou l’arrêt d’annulation rend ipso facto caduque la décision
d’exequatur. Cette conséquence immédiate de l’annulation est exprimée par
l’article 1714, paragraphe 2 du Code judiciaire dans sa version antérieure à la
réforme de 2013 : « La décision par laquelle la sentence a été revêtue de la formule
exécutoire est sans effet dans la mesure ou la sentence arbitrale a été annulée ».
La loi du 24 juin 2013 modifiant la sixième partie du Code judiciaire relative
à l’arbitrage n’a pas repris la formule, mais celle-ci nous paraît relever de l’évidence : la cohérence de l’ordre juridique ne peut pas, entre les mêmes parties, à
la fois admettre qu’une sentence soit nulle et permettre qu’elle soit exécutoire80.
Nous n’examinerons pas l’hypothèse, trop théorique, que vise l’art.1712, § 3, nouveau du Code judiciaire,
c’est-à-dire le cas où l’exequatur d’une sentence d’accord-parties devient sans effet en raison de l’annulation
de l’accord sous-jacent.
79
C’est pour être bref que nous parlons systématiquement d’« ordonnance » d’exequatur, sachant qu’après
opposition (ou appel, lorsque la réforme de 2013 n’est pas encore applicable) il peut aussi bien s’agir d’un
jugement ou d’un arrêt.
80
Les motifs d’annulation d’une sentence visés à l’article 1717, § 3, nouveau du Code judiciaire correspondent
presque mot pour mot aux motifs de refus d’exequatur visés à l’art.1721, § 1, sauf une exception : le fait que la
sentence ait été « obtenue par fraude » est repris dans la liste des motifs d’annulation mais pas dans celle des
motifs de refus d’exequatur. Nous n’y voyons rien d’autre qu’une inadvertance de plume, et ne voulons pas en
déduire la conclusion manifestement absurde qu’une sentence annulée parce qu’obtenue par fraude resterait
néanmoins susceptible d’exécution forcée.
78
b-Arbitra 2/2013 BRUYLANT
295
296Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
Les droits d’enregistrement, ici aussi, sont restituables dès que l’annulation de la
sentence est passée en force de chose jugée81.
Le fait qu’une sentence belge se heurte à un refus d’exequatur à l’étranger ne permet pas, en revanche, la restitution des droits payés en Belgique82 .
21. Le sort d’une sentence étrangère annulée dans son pays d’origine après avoir
été exequaturée en Belgique est beaucoup plus incertain.
Le droit français considère qu’une sentence arbitrale internationale est « anationale », n’est pas dépendante de l’ordre juridique de son état d’origine, et reste
susceptible de reconnaissance et d’exécution malgré son éventuelle annulation
dans son pays d’origine ; il revient aux seuls tribunaux devant lesquels l’exécution est poursuivie d’examiner, selon les critères du for, si les conditions de
reconnaissance et d’exécution sont remplies. L’arrêt Putrabali de la Cour de cassation française exprime cette théorie de manière remarquablement claire : « la
sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est
une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard
des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont
demandées »83.
D’autres droits étrangers reconnaissent au juge de l’exequatur le pouvoir de ne
pas reconnaître un jugement d’annulation prononcé dans le pays d’origine de la
sentence, en particulier lorsque la procédure d’annulation y a été partiale, et d’ordonner dans ce cas l’exequatur de la sentence malgré son annulation84 .
L’arrêt de la cour d’appel d’Anvers cité à la note 77 confirme cette analyse en mentionnant que l’appelant (qui
réclamait l’annulation de la sentence rendue contre lui) aura éventuellement (gebeurlijk) droit à la restitution
des droits.
82
Une décision administrative du 23 décembre 1975 confirme qu’un jugement étranger qui refuse l’exequatur
d’un jugement belge ne justifie pas la restitution des droits d’enregistrement perçus sur le jugement belge
(décision no E.E./84.112, Rép.RJ, no E210/10‑01 et Rec.gén.enr.not. 1976, p. 256, no 22.065).
83
Cass. fr. 1re civ. 27 juin 2007, Putrabali Adyamulia v. Rena Holding, no 05-18.053, Rev.arb. 2007, p. 507, note
E. Gaillard ; Cass. fr. 1re civ. 23 mars 1994, Hilmarton, Rev.arb. 1994, p. 327, note Ch. Jarrosson.
84
En Angleterre : Yukos Capital SARL v. OJSC Rosneft Oil Company [2012] EWCA Civ 855 (27 juin 2012), no 133
et 135 ; Dallah Real Estate and Tourism Holding Company v. The Ministry of Religious Affairs, Government
of Pakistan [2010] UKSC 46 (3 novembre 2010), no 128 et seq. Aux Pays-Bas : Amsterdam 18 septembre 2012,
Maximov v. Novolipetsky Metallurgichesky Kombinat, et Amsterdam 28 avril 2009, Yukos Capital v. Rosneft
(pourvoi en cassation déclaré irrecevable par le Hoge Raad 25 juin 2010, no 09/02566), www.rechtspraak.nl.
Aux Etat-Unis : Baker Marine (Nigeria) Ltd v. Chevron (Nigeria) Ltd, 191 F.3d 194 (2nd Cir. 1999) ; TermoRio
SA ESP v. Electranta SP, 487 F.3d 928 (DC Cir. 2007) ; Corporaciòn Mexicana de Mantenimiento Integral
(Commisa) v. Pemex-Exploraciòn y Producciòn, www.pacer.gov, case number 1 : 10-cv-00206 (NYSD 27 août
2013) ; une décision plus ancienne se rapprochait du droit français : Chromalloy Aeroservices v. Arab Republic of Egypt, 939 F.Supp 907 (DDC 1996). Contra, en Suisse : Trib. féd. 8 décembre 2003, 4P.173/2003, Bull.
ASA, 2005, p. 119.
81
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
Le droit belge antérieur à la réforme de 2013 permettait l’exequatur d’une sentence annulée, et la doctrine donnait à cette approche la même justification théorique que celle qui prévaut en France85. Si une annulation obtenue à l’étranger
n’empêchait pas l’exequatur ultérieur de la sentence en Belgique, il fallait en
déduire comme corollaire qu’un exequatur déjà accordé en Belgique ne devenait
pas caduc en raison d’une annulation prononcée ensuite à l’étranger. Et il s’en
déduisait comme second corollaire que l’annulation étrangère n’entraînait pas la
restitution des droits d’enregistrement : dans l’ordre juridique belge, la sentence
restait reconnue et exequaturée.
22. Depuis la loi du 24 juin 2013, l’article 1721 du Code judiciaire inclut parmi
les motifs de refus d’exequatur le fait que la sentence ait été « annulée […] par
un tribunal du pays dans lequel ou en vertu de la loi duquel elle a été rendue »86.
Les travaux préparatoires ne s’expliquent pas sur la portée de cette disposition,
et certains premiers commentaires de doctrine suggèrent qu’elle ne doit pas être
interprétée littéralement et qu’elle laisse au juge sa liberté d’appréciation antérieure87. Mais posons, pour les besoins du sujet qui nous occupe ici, que l’annulation dans le pays d’origine empêche tout exequatur en Belgique88. Quid dans
ce cas d’une annulation prononcée après qu’un exequatur ait déjà été accordé en
Belgique et ait donné lieu au paiement des droits d’enregistrement ?
Deux analyses paraissent possibles : soit l’on considère que la décision d’annulation ne peut pas être reconnue en Belgique parce qu’elle est inconciliable avec
Pour un exposé du cadre théorique de la controverse, voir dans A.J. van den Berg (ed.), ICCA Congress
Series No. 16 (Geneva 2011), La Haye, Kluwer, 2012, les rapports de W.M. Reisman, « Tribunals and Courts :
An Interpretation of the Architecture of International Commercial Arbitration », p. 17, E. Gaillard, « International Arbitration as a Transnational System of Justice », p. 66, et L.G. Radicati Di Brozolo, « The
Control System of Arbitral Awards : A Pro-Arbitration Critique of Michael Reisman’s ‘Architecture of International Commercial Arbitration’ », p. 74.
85
Ph. Colle et H. Boularbah, « De invloed van het bestaan van mogelijke nietigheidsgronden op het
exequatur van een buitenlandse scheidsrechelijke uitspraak », Liber amicorum Jozef Van Den Heuvel, Kluwer,
Anvers, 1999, no 13 ; G. Keutgen et G.‑A. Dal, o.c., t. II, no 1005 ; B. Hanotiau et O. Caprasse, « L’annulation des sentences arbitrales », JT 2004, p. 413, no 110 et 111 ; B. Hanotiau et B. Duquesne, o.c., no 17 ;
civ. Bruxelles 6 décembre 1988, Sonatrach v. Ford, Bacon and Davis, Ann.dr.Liège 1990, p. 267. Contra :
P. Wautelet et R. Vermeersch, « Questions particulières du droit de l’exécution des sentences et plus
généralement des décisions des arbitres » in coll., La sentence arbitrale, Actes du colloque du CEPANI 40 du
30 novembre 2006, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 97, spéc. p. 132.
86
C.jud., art. 1721, § 1er, a), vi). L’art. 1697, § 1er, a), iii), prévoit une disposition analogue quant à l’annulation de
mesures provisoires ordonnées par des arbitres.
87
G. Matray, « Belgium Adopts a New Law on Arbitration », www.kluwerarbitrationblog.com, 4 juillet 2013.
88
Si la thèse inverse devait être adoptée, il est clair que l’annulation étrangère, qui est alors sans effet sur l’exequatur belge, ne pourra pas entraîner la restitution des droits d’enregistrement.
b-Arbitra 2/2013 BRUYLANT
297
298Rechtsleer/Aufsätze
Yves Herinckx
l’exequatur antérieur, soit l’on considère que le titre constitué par la décision
d’exequatur perd son actualité en raison de l’annulation de la sentence qui en
était l’objet.
La reconnaissance de la décision judiciaire étrangère, qui a prononcé l’annulation
de la sentence, devra s’apprécier sur la base des articles 22 et suivants du Code
de droit international privé. S’agissant d’une décision rendue en matière d’arbitrage, le règlement Bruxelles I et la Convention de Lugano ne s’appliquent en effet
pas89. L’article 25, § 1er, 5° du Code fait obstacle à la reconnaissance d’un jugement
étranger qui est inconciliable avec une décision rendue en Belgique. Or l’annulation paraît inconciliable avec l’ordonnance d’exequatur : une sentence ne peut
pas être simultanément nulle et exécutoire. C’est exactement ce qu’a décidé la
Cour de cassation française dans son second arrêt Hilmarton90. Dans l’affaire qui
a donné lieu à l’arrêt, une sentence arbitrale rendue en Suisse avait été annulée
en Suisse mais exequaturée en France ; suite à l’annulation, la procédure arbitrale
fut recommencée et une seconde sentence suisse fut rendue, en sens contraire de
la sentence annulée. La seconde sentence fut également exequaturée en France,
et la Cour a cassé ce second exequatur au motif que « l’existence d’une décision
française irrévocable [c’est-à-dire l’exequatur de la première sentence] portant
sur le même objet entre les mêmes parties faisait obstacle à toute reconnaissance
en France d’une décision judiciaire ou arbitrale rendue à l’étranger incompatible
avec elle ».
L’analyse inverse s’appuie sur l’idée qu’une décision d’exequatur a pour seul objet
de donner force exécutoire à la sentence, et ne statue pas sur le fond du litige ;
le juge qui accorde l’exequatur ne substitue pas sa propre décision à celle des
arbitres et ne fait que revêtir la sentence de la formule exécutoire, selon l’expression utilisée par le Code judiciaire91. La sentence arbitrale n’est pas convertie en une décision judiciaire92 . Si la sentence sous-jacente est annulée, dès lors,
Règlement no 44/2001 du 22 décembre 2000, art. 1er, paragraphe 2, d) ; règlement no 1215/2012 du 12 décembre
2012, art. 1er, paragraphe 2, d) et considérant 12 ; convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, art. 1er,
paragraphe 2, d). Les traités bilatéraux en matière de reconnaissance des jugements sont toutefois susceptibles de s’appliquer.
90
Cass. fr. 1re civ. 10 juin 1997, Hilmarton, Rev.arb. 1997, p. 376, note Ph. Fouchard. L’affaire Putrabali a également donné lieu à un second arrêt dans le même sens : Cass.fr. 1re civ. 29 juin 2007, Putrabali Adyamulia v.
Rena Holding, no 06-13.293, Rev.arb. 2007, p. 515.
91
C.jud., art. 1710, § 1er (version 1972) et 1719, § 1er (version 2013).
92
Contrairement à la solution qui prévaut dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, par exemple, l’exequatur est
considéré comme une décision de confirmation de la sentence par laquelle celle-ci est reduced to judgment ou
converted into a judgment, le jugement se substituant à la sentence par une forme de novation (Federal Arbi89
BRUYLANT
b-Arbitra 2/2013
Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
l’exequatur perd son objet et c’est son actualité en tant que titre exécutoire qui
disparaît93.
Les deux approches paraissent l’une et l’autre exactes. La première a le mérite
de respecter l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision d’exequatur94, et
de ne pas vouloir concilier l’inconciliable95. La seconde a le mérite d’aussi offrir
une solution, indispensable, à la problématique plus générale de l’exequatur d’une
décision judiciaire étrangère qui est ensuite réformée dans son pays d’origine par
le biais d’un recours extraordinaire ; l’on sait en effet que, tant en vertu du Code
de droit international privé que du droit européen, il suffit pour bénéficier de
l’exequatur qu’une décision ne soit plus susceptible de recours ordinaires96.
23. La contrariété de ces deux approches, également exactes, doit selon nous se
résoudre de la manière suivante (ceci toujours moyennant le postulat que l’ar-
93
94
95
96
tration Act, 9 U.S.C. § 9 et 207) ; ceci a notamment pour conséquence que le taux d’intérêt de retard exigible
après l’exequatur n’est plus le taux fixé par les arbitres mais devient le taux de droit commun applicable aux
judgment debts (S. Reisberg et K. Pauley, « An Arbitrator’s Authority to Award Interest on an Award until
‘Date of Payment’ : Problems and Limitations », Int.A.L.R. 2013, p. 25, spéc. p. 28), et qu’un exequatur au second
degré – c’est-à-dire l’exequatur d’un jugement étranger qui a exequaturé une sentence – est possible également
(T.B. Robinson, « The Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards as Foreign Judgments in the
United States », Am.Rev.Int’l Arb. 2013, p. 63).
En Angleterre, les art. 66(2) et 101(3) de l’Arbitration Act 1996 disposent que, lors de l’exécution d’une
sentence, « judgment may be entered in terms of the award », et le jugement rendu sur cette base est une décision de condamnation prononcée par les tribunaux judiciaires plutôt qu’un simple exequatur de la sentence
arbitrale : ASM Shipping Ltd. of India v. TTMI Ltd. of England [2007] EWHC 927 (Comm) (20 avril 2007),
no 26 ; C. Tevendale et A. Cannon, « Chapter 26 : Enforcement of Awards » in J.D.M. Lew e.a. (eds), Arbitration in England, La Haye, Kluwer, 2013, p. 563, no 26-9 et 26-37.
H. Boularbah, o.c. (« Requête unilatérale et inversion… »), no 1000. Sur la perte d’actualité d’un titre
exécutoire ultérieurement contredit par une autre décision judiciaire, voir E. Dirix et K. Broeckx, Beslag,
3e éd., Malines, Kluwer, 2010, no 545 ; G. Closset-Marchal, L. du Castillon et J. Van Compernolle,
« Saisies – généralités », RPDB, Compl., t. VIII, Bruxelles, Bruylant, 1995, no 568 et seq. ; G. de Leval, o.c.
(« Traité… »), no 231.C ; Anvers 11 janvier 2011, RDJP 2012, p. 35 ; Liège 15 mars 2007, JLMB 2008, p. 61 ; Civ.
Gand (sais.) 8 mars 2011, RW 2012-13, p. 953.
C.jud., art. 24 et 26 ; H. Boularbah, o.c. (« Requête unilatérale et inversion… »), no 989 et 996.
Sur la notion de décisions inconciliables, voir CJUE 4 février 1988, Hoffmann v. Krieg, 145/86, no 22 ; CJUE
6 juin 2002, Italian Leather v. WECO Polstermöbel, C-80/00, no 40 ; J. Erauw, Internationaal Privaatrecht,
Malines, Kluwer, 2009, no 178 ; I. Couwenberg, « Tenuitvoerlegging in België van buitenlandse beslissingen »
in coll., Betekenen en uitvoeren over de grenzen heen, Anvers, Intersentia, 2008, p. 77, no 249 ; H. Storme,
« Artikel 25, Gronden voor weigering van de erkenning of de uitvoerbaarverklaring » in coll., Le Code de droit
international privé commenté, Bruxelles, Intersentia / Bruylant, 2006, p. 136, spéc. p. 146 ; P. Wautelet, « Le
nouveau régime des décisions étrangères dans le Code de droit international privé », RDJP 2004, p. 208, no 23.
Code de DIP, art. 25, § 1er, 4°; règlement no 44/2001 du 22 décembre 2000, art. 46, paragraphe 1 ; règlement
no 1215/2012 du 12 décembre 2012, art. 51, paragraphe 1 ; convention de Lugano du 30 octobre 2007, art. 46,
paragraphe 1.
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ticle 1721 nouveau du Code judiciaire fait obstacle à l’exequatur d’une sentence
précédemment annulée) : l’annulation dans son pays d’origine d’une sentence
déjà exequaturée en Belgique fait perdre à la décision d’exequatur son objet et
son actualité, sauf si le fondement de l’annulation est inconciliable avec la solution donnée par le juge de l’exequatur aux points litigieux qui lui ont été soumis
(ou, lorsque la Convention de Genève s’applique, si le fondement de l’annulation
ne fait pas partie des cas visés à l’art. 9, paragraphe 1, de la Convention97).
Supposons par exemple la configuration suivante : le défendeur soutient devant
les arbitres qu’il n’est pas lié par la convention d’arbitrage, conclue par sa société-mère mais dont il n’est pas lui-même signataire ; les arbitres rejettent l’exception et condamnent le défendeur ; la sentence est exequaturée en Belgique ; le
défendeur fait opposition en invoquant le même moyen comme motif de refus
d’exécution ; le tribunal examine le moyen mais le rejette et confirme l’exequatur ;
le défendeur poursuit également, toujours sur la base du même moyen, l’annulation de la sentence dans le pays d’origine et y obtient finalement gain de cause.
Les deux décisions judiciaires sont inconciliables quant au même point litigieux
qui leur était soumis. L’article 25, § 1er, 5° du Code de droit international privé, et
l’autorité de chose jugée attachée au jugement belge qui a décidé que le défendeur
était lié par la convention d’arbitrage, ne permettent pas de donner effet en Belgique à une décision judiciaire étrangère qui décide que le défendeur n’était pas
lié par cette convention.
Adaptons l’exemple en supprimant l’opposition à l’exequatur, le défendeur ayant
laissé s’écouler le délai sans réagir. L’ordonnance d’exequatur est rendue sur
requête unilatérale et n’examine pas si la convention d’arbitrage liait ou non le
défendeur. Il n’y a dans ce cas rien d’inconciliable entre ce qu’ont respectivement
décidé le juge belge de l’exequatur et le juge étranger de l’annulation.
Imaginons une situation plus complexe : une sentence arbitrale est rendue à
Dubai et les arbitres négligent de signer toutes les pages de la sentence, en violation de l’article 212, paragraphe 7 du Code civil des Emirats98. Le défendeur
tente sur cette base de s’opposer à l’exequatur de la sentence en Belgique, mais
en vain parce que le tribunal, tout en reconnaissant l’irrégularité au regard du
droit émirati, considère que cette irrégularité n’a pas eu d’incidence sur la sen Convention européenne sur l’arbitrage commercial international, faite à Genève le 21 avril 1961. L’article 9,
paragraphe 1, de la Convention prévoit que l’annulation d’une sentence dans un Etat contractant ne peut
justifier le refus d’exequatur dans un autre Etat contractant que si l’annulation est fondée sur certains types
de motifs limitativement énumérés.
98
S. Abdallah, « The Formalities of an Arbitration Award », www.tamimi.com/en/magazine/law-update/
section-7/february-5/the-formalities-of-an-arbitration-award.html.
97
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Articles/Doctrine
Droits d’enregistrement et sentences arbitrales
tence99. La sentence est ensuite annulée à Dubai où l’irrégularité formelle est
un motif d’annulation absolu, indépendamment de toute incidence concrète sur
la sentence. Nous pensons – tout en avouant une certaine perplexité – que les
deux décisions ne sont pas inconciliables : elles appliquent simplement chacune
les règles de droit, différentes, qui s’imposent à elles.
La solution que nous proposons est basée sur la portée que la Cour de cassation
donne à l’autorité de la chose jugée qui, selon une formule constante, « s’attache à
ce que le juge a décidé sur un point litigieux et à ce qui, en raison de la contestation portée devant lui et soumise à la contradiction des parties, constitue, fût-ce
implicitement, le fondement nécessaire de sa décision »100. Une décision d’exequatur n’implique pas que tous les moyens d’annulation possibles et imaginables
aient été implicitement rejetés, et ne puissent plus ultérieurement être invoqués
dans un autre contexte à peine de violer l’autorité de chose jugée de cette décision. La décision a autorité de chose jugée quant aux moyens qui ont été soumis
au juge et tranchés par lui ; elle ne l’a pas en ce qui concerne les questions que le
juge n’a pas abordées.
24. Cette digression nous ramène à notre sujet, la restitution des droits d’enregistrement après annulation de la sentence dans son pays d’origine. Sur la base de
l’analyse que nous proposons ci-dessus, une telle annulation aboutit en principe
à rendre caduc l’exequatur de la sentence et constitue, au sens de l’article 210 du
Code des droits d’enregistrement, une infirmation de la sentence exequaturée.
L’exequatur est en effet considéré par l’article 148 du même Code « comme formant un tout » avec la sentence. Les droits d’enregistrement devront donc être
restitués dès que la décision d’annulation sera passée en force de chose jugée,
c’est-à-dire dès qu’elle ne sera plus susceptible d’opposition ou d’appel (ou de
recours ordinaire équivalent) dans son pays d’origine101.
Ce n’est que dans les cas où la décision d’annulation, en raison d’un fondement
inconciliable avec la solution donnée par le juge de l’exequatur aux points litigieux qui lui avaient été soumis (ou sur la base de l’article 9, paragraphe 1 de la
Convention de Genève), ne sera pas reconnue en Belgique et n’affectera dès lors
pas la force exécutoire de la sentence, que les droits d’enregistrements ne seront
pas restituables.
C.jud., art. 1721, § 1er, a), v) (version 2013).
Notamment Cass. 8 mars 2013, C.12.0322.N, juridat ; Cass. 4 décembre 2008, C.07.0412.F, Pas. 2008, p. 2834 ;
Cass. 29 janvier 2007, C.04.0600.F, Pas. 2007, p. 195. Pour une analyse approfondie de cette jurisprudence,
voir J.-Fr. van Drooghenbroeck, « Faire l’économie de la contradiction », RCJB 2013, p. 203, no 31 et seq.
101
C.jud., art. 28.
99
100
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7.Conclusion
25. La Belgique est l’un des rares pays qui soumettent l’exequatur des sentences
arbitrales à une charge fiscale significative. C’est un incitant à l’exécution volontaire des sentences. Les droits d’enregistrement ont ainsi le mérite, paradoxal, de
contribuer à l’efficacité de l’arbitrage.
Les droits ne sont dus qu’en cas d’exequatur de la sentence, alors que dans le cas
d’une procédure judiciaire ils sont dus en toute hypothèse, même si le jugement
ne donne pas lieu à exécution forcée. C’est un avantage de coût comparatif en
faveur de l’arbitrage, qui peut – parfois largement – compenser le coût des honoraires des arbitres102 . De ce point de vue également, les droits d’enregistrement
ont le mérite paradoxal de contribuer à l’attrait de l’arbitrage.
Le sujet des droits d’enregistrement dus sur les sentences arbitrales est a priori
anodin. Son examen, toutefois, provoque diverses questions qui suscitent plus de
curiosité : étendue de la compétence des arbitres quant aux litiges qui découlent
de leur sentence, sort des dépens dans les procédures sur requête unilatérale,
effets de la subrogation légale, et conséquences de l’annulation d’une sentence
dans son pays d’origine sur son exequatur en Belgique. Le lecteur voudra bien,
nous l’espérons, ne pas nous tenir rigueur de l’avoir dès lors promené d’une
digression à l’autre.
Dans le cas d’un arbitrage CEPANI avec un arbitre unique, le coût des droits d’enregistrement dépasse celui
des honoraires de l’arbitre (en supposant qu’ils soient fixés à mi-chemin des montants minimum et maximum
prévus par le barème) et des frais administratifs du CEPANI dès que l’enjeu du litige (en le supposant égal au
montant de la condamnation) atteint 255.000 €. Avec trois arbitres, le seuil est de 6.157.000 € (mais, dès que
l’enjeu atteint 812.000 €, l’économie de droits d’enregistrements couvre déjà la moitié des honoraires et des
frais administratifs).
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