1 CHAPITRE IV LA FONDATION La lettre de P
Transcription
1 CHAPITRE IV LA FONDATION La lettre de P
CHAPITRE IV LA FONDATION La lettre de P. Cléophas à Dom Sébastien Wyart était datée du 19 janvier 1890. Or c’est le 31 octobre 1890 que les premiers Trappistes arrivèrent en Terre Sainte. Les choses allèrent donc très vite malgré bien des handicaps. I- NOTRE DAME DES ÎLES ET LE PROJET DE KIMBERLEY EN AUSTRALIE. C’est à divers titres que les missions des Pères Trappistes en Nouvelle Calédonie puis en Australie méritent un certain développement. Plusieurs religieux de Latroun sont passés par ces fondations de l’Abbaye de Sept-Fons, tel, par exemple, le P. Alphonse Tachon (18471928.) À cela s’ajoutent des raisons chronologiques et historiques qui permettent de mieux comprendre la complexité de la fondation de Latroun. C’est au premier Chapitre Général de Dom Sébastien Wyart tenu en septembre1888 à l’Abbaye de Sept-Fons que la décision fut prise de transférer Notre Dame des Iles (Nouvelle Calédonie) en Palestine1. Cependant dès 1889, cette décision était infirmée par le paragraphe (5) de la première session du Chapitre général2. C’est le Chapitre Général de 1990 qui décidera définitivement d’une fondation en Palestine; fondation qui devra prendre le nom de Notre Dame des Douleurs et dont P. M. Cléophas sera supérieur3. En effet, le 31 janvier 1890, les religieux de Nouvelle Calédonie sont de retour en France et ils arrivent à Marseille. Ils apprennent alors de leur supérieur Dom Ambroise Janny qui les avait précédés que la Congrégation de la Propagande désirait une fondation en Australie et que la mission de Nouvelle Calédonie devait y être transférée. Il n’était donc plus question d’un transfert en Terre Sainte. Qu’en était-il donc de la Nouvelle Calédonie ? 1 Cf. N° 8 Locutum est de quadam fundatione prope Jérusalem in terra Palestina. Omnes equidem patres consentiunt, sed deficiunt religiosi prompti: ideo omnes conveniunt litteras esse mittendas ad monasterium Novae Caledoniae, ut sciatur an religiosi Novae Caledoniae forent dispositi ad acceptandam istam fundationem in Palestina. « Tous les Pères approuvent une fondation en Terre Sainte, près de Jérusalem; cependant les sujets manquent pour la réaliser. Aussi il a été convenu qu'on enverrait une lettre au monastère de Nouvelle-Calédonie pour leur demander s'ils seraient disposés à accepter leur transfert en Palestine. » HERMANS V., Actes des Chapitres Généraux des Congrégations Trappistes au XIXe siècle, 1835-1891, p. 291-292. 2 Ibid., p. 294, 5° In hoc consentiunt patres capitulares ut respondeatur negative pro fundatione monasterii in Palestina. 3 Le 18 septembre, le Chapitre se réunit et voici le No 5 du procès verbal : Le Révérendissime Dom Vicaire général expose aux Révérends Pères Capitulants qu'il a été sollicité par de nombreux cardinaux, évêques et laïcs, et surtout par l'Illustrissime Patriarche de Jérusalem, de fonder un monastère en Palestine. Tous les assistants applaudissent à cette proposition et émettent le voeu que ce monastère soit au plus tôt érigé dans ces lieux sanctifiés par la vie et la mort de notre Sauveur, qu'il soit sous la Paternité immédiate de Sept-Fons, qu'il porte le nom de Notre-Dame des Sept-Douleurs et que le Révérend Père Marie Cléophas en soit le Supérieur. Cf. Ibid., p. 296, 5° Exponitur a RD Vicario générali se a multis cardinalibus, sive ab episcopis, sive laicis et praesertim ab ill.mo Patriarcha hierosolymitano sollicitatum fuisse ut monasterium nostri Ordinis haberet in Palestina. Cuncti adsistentes maximo cum plausu propositum audiunt et votum emittunt ut in honore D.N.J.C. qui propter nostram salutem descendit de coelis et in hac nobilissima terra et nasci et vitam mortalem agere et mori voluit valde optatum monasterium citius erigatur sub paternitate monasterii de Septem Fontibus subque nomme B. M. de Septem Doloribus et eidem ut superior detur RP Maria Cleophas. Cf. Abbaye de Sept- Fons, Ephémérides... Septembre 1890. 1 La Nouvelle Calédonie. C’est en 1877, sous l’abbatiat de Dom Jean de Durat (1865-1881) qu’avait été fondée en Nouvelle Calédonie : Notre Dame des Iles4. En 1876, le Vicaire Apostolique Mgr Vitte avait fait les premières démarches près de l'abbé de Sept-Fons et le Pape Pie IX avait décidé la fondation et même décrété le choix du vocable. Nous détenons un assez grand nombre de renseignements sur cette fondation et son histoire grâce à la correspondance de P. Alphonse Tachon qui lui-même rejoindra Latroun en 1900. Le monastère de Nouvelle Calédonie est érigé en abbaye avant même sa fondation et le 11 février 18775 a lieu à Sept-Fons la bénédiction abbatiale de Dom Ambroise Janny6, premier abbé de Notre Dame des Iles. Le 15 mars, l'abbé accompagné de douze moines embarque à Bordeaux. Ils sont à Nouméa le 9 juillet et s’installent à Wagap. En 1878 et les années suivantes Sept-Fons envoie bien quelques religieux mais on peut lire dans les Actes des Chapitres Généraux de Sept-Fons que dès septembre 1879 Dom Ambroise demande à émigrer à Sydney où lui est proposé un magnifique monastère, gratuitement et en bon état7... La proposition est acceptée mais reste sans suite. Or c’est à cette époque que la Nouvelle Calédonie va vivre de très graves troubles politiques : la grande révolte qui va de juin 1878 à juin 1879. De nombreux Canaques sont mécontents car la colonisation grignote leurs terres, profane leurs lieux sacrés et les traite parfois en êtres inférieurs. Des incidents ont régulièrement lieu. En 1877, à cause de la sécheresse, le bétail des colons détruit les cultures indigènes sur les terres limitrophes de la pénitentiaire et parfois dans les tribus. De plus, en décembre débute la délimitation des tribus de la région de La Foa. C'est alors que le libéré Chêne, sa femme mélanésienne et leur fils sont assassinés le 19 juin 1878, entraînant l'arrestation des chefs de la région. Les 25 et 26 juin, Ataï et ses guerriers attaquent La Foa et Bouloupari et libèrent les chefs. Ils massacrent aussi une centaine d'Européens et détruisent tout sur leur passage. Mais le 27 juin, le lieutenant de vaisseau Servan obtient le ralliement du chef de guerre Nondo, de Canala, qui trouve là l'occasion de se battre contre des ennemis héréditaires. Désormais les Canaques choisissent leur camp suivant leurs alliances traditionnelles et une majorité de tribus rejoint les Français. Les combats continuent et s'étendent, malgré la mort d'Ataï le 1er septembre. D'autres foyers de révolte se déclarent sur la côte ouest car beaucoup de tribus se soulèvent par peur des représailles. En février 1879, le gouverneur Olry promet le pardon aux insurgés qui se rendront. Le 3 juin, l'état de siège est levé entre Bouloupari et Bourail. Le bilan des troubles est très lourd : Plus de 1000 morts dont 200 Européens et 800 à 1000 Canaques. Plus de 1500 d'entre eux sont déportés, certains à Tahiti. Beaucoup de colons sont ruinés et les autorités s'interrogent un moment sur l'avenir de la colonie. 4 Ibid., p. 273. [6] Fundatio in Nova Caledonia, capituli anni praeteriti proposita et unanimi plausu acceptata, in hujus anni decursu completa est. Duodecim nempe fratres, inter quos abbas, per spéciale decretum a summo Pontifice concessum, apud Septem Fontes benedictus, profecti sunt fluctibus commissi Burdigalae die 17 martii et quinta julii post felicem navigationem Noumeae applicuerunt. Nomen novi mo-nasterii ab ipso Pio IX indictum fuit: Beata Maria Insularum. 5 C’est le 11 février, qu’avait eu lieu, à Lourdes, la première des 18 apparitions de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous 6 Frère de P. Félix et de P. Jean-Marie Janny. 7 Ibid., p. 277. [11] RD Ambrosius abbas B. M. de Insulis postulat a capitule licentiam migrandi de suo praesenti monasterio in Nova Caledonia ad proximam regionem Sidney nuncupatam, ubi illi offertur permagiiificum monasterium, et quidem gratis cum omnis generis commodis, si praevideat nimiis molestiis se gravandum fore in incepto monasterio; assentit huic petitioni capitulum générale. 2 On comprend alors facilement que Dom Ambroise qui n’est en Nouvelle Calédonie que depuis le 9 juillet 1877 demande au Chapitre de 1879 un transfert vers l’Australie. L’agitation politique donnait à craindre que la colonisation de l’île dût être abandonnée. Il faut ajouter à cela qu’à Wagap la vie était particulièrement difficile d’après ce que l’on peut lire dans la correspondance du Père Alphonse Tachon. Cinq ans et demie après l’arrivée des Trappistes, en février 1883 il écrit : Nous sommes donc réduits à neuf8[...], Sans être malades, nous sommes tous mal portants. Si nous étions réduits à nous seuls nous ne pourrions rien faire. Nous avons quatre forçats9 qui ont leur faiblesse, mais il serait difficile de trouver mieux parmi leurs compagnons. Ensuite une vingtaine de jeunes qui travaillent sous la conduite de P. Prieur. Ils nous rendent de grands services mais ils sont inconstants et volages [...] Cette année, maigre récolte de riz. Les sauterelles n’ayant presque rien laissé. [...] Le riz réussit, mais nous craignons les sauterelles. J’ai dû interrompre ma lettre pour repousser une nouvelle invasion. Les caféiers sont à Tiwaka, à une bonne heure de marche de Wagap. Le terrain est excellent alors qu’à Wagap c’est un terrain sablonneux, très mauvais en cas de sécheresse. Peut-être irions-nous nous fixer à Tiwaka.10. (Photo 01) Six ans plus tard, la communauté, bien affaiblie, tentait un transfert du monastère à Tiwaka. C’était au début de l’année 1888. Le P. Alphonse Tachon dans une lettre du 25 juillet 1889 nous parle de ce changement de lieu et du nouveau monastère. Nous voilà donc à Pouanga. Pouanga est situé près de la grande rivière de Ti-Waka, à six ou sept Km de son embouchure. On avait commencé un monastère en pierre, de grandes proportions. Par économie et pour gagner du temps on abandonna ce projet et on construisit un monastère en planches peintes en blanc et recouvert de zinc. En été on y étouffe, en hiver on grelotte. Pouanga est au centre de nos cultures[...] Nous cultivons en grand le maïs, le tabac, le riz etc... Nous avons deux à trois cents têtes de bétails à l’état sauvage, qui ne rapporte rien 11[...] Le P. Tachon parle de douze cents hectares de terrain [...] on pensait être bientôt à flot et se mettre complètement à la règle quand les événements se sont précipités. On apprend alors, toujours par le P. Alphonse Tachon, qu’en novembre 1888 arrive une lettre du Vicaire Général de l’Ordre12 dont il donne le contenu. On ne peut et on ne veut plus nous envoyer ni hommes ni argent. On nous propose d’abandonner la fondation de Nouvelle Calédonie qui ne pourra jamais se recruter, et qui est trop éloignée, pour aller en commencer une nouvelle en Palestine, fondation demandée et préparée par un saint prêtre des Lieux Saints et qui est vivement appuyée par le comité des pèlerinage de pénitence. Le 8 Le P. Abbé : Dom Ambroise, son frère : P. Jean-Marie, P. Hilaire : prieur, P. Théophile : chargé du troupeau, P. Gérard : chargé des boeufs de labour, P. Alphonse à la mission, F. Vincent à la cuisine, F. Constant au réfectoire, basse-cour, F. Justin : boulangerie, couture, forge. 9 Le bagne de Nouvelle-Calédonie fut institué par la loi de 1854. C'est le 9 mai 1864 que commença la « transportation », les premiers « transportés », 248 hommes, débarquent de l'Ephigénie. En mars 1872, la France exile en Nouvelle Calédonie les prisonniers politiques de la Commune. A partir de 1885, le gouvernement envoie des « relégués », récidivistes ayant purgé leur peine mais désormais condamnés à rester à perpétuité dans le bagne du Territoire. Le dernier convoi arrive en 1897.Le bagne est fermé en 1922. Après l'insurrection de La Commune en 1871, des « communards » furent déportés en Calédonie. Amnistiés le 3 mars 1879, les déportés de la Commune regagnèrent la Métropole dans leur quasi totalité. La France déporta également à partir de 1871 des Kabyles qui s'étaient opposés à la conquête de l'Algérie. Les bagnards étaient employés aux travaux d'intérêt général de la colonisation. Ils participèrent à l’exploitation de forêts et à l'ouverture de routes. Ils travaillaient aux constructions et projets divers de l'administration pénitentiaire. Ils furent en outre utilisés pour des intérêts privés. En 1866, le Gouverneur Guillain créa les « assignés », condamnés distingués par leur bonne conduite et qui étaient autorisés à travailler chez les particuliers. C’est de ces « assignés » dont parle le P. Alphonse Tachon. 10 Lettre du P. Alphonse Tachon du 14 février 1883, Archives de Latroun. 11 Lettre du P. Alphonse Tachon du 25 juillet 1889, Archives de Latroun 12 Dom Sébastien Wyart était abbé de Sept-Fons et Vicaire général de l’Ordre depuis le 28 octobre 1887 et la décision de transférer la communauté de Notre Dame des Iles en Terre Sainte avait été prise en septembre 1888. 3 P. Tachon ajoute que : (Dom Ambroise Janny) croyant obéir à un ordre part à Nouméa, soit disant pour consulter Monseigneur, mais avec des projets plus arrêtés semble-t-il. Le 8 décembre 1988, Dom Ambroise part pour la France et n’informe sa communauté par télégramme qu’après son embarquement. Il arrive à Sept-Fons le 1er février 1889 et s’embarque le 1er mars pour la Terre Sainte afin d’y trouver un emplacement. On peut lire dans un document anonyme de l’Abbaye de Latroun13 : Lors de ce voyage, a-t-il contacté Mgr Poyet, a-t-il rencontré l’Abbé Viallet qui était encore dans son ermitage d’Amouas ? Aucun document n’en fait foi. Une chose est certaine, c’est que Dom Ambroise revient à Sept-Fons déçu. Il avait visité quatre ou cinq sites qu’on lui avait proposés, mais aucune de ces offres ne lui sembla réunir les conditions indispensables pour la création d’un monastère Trappiste. Après quelques jours de repos à Sept-Fons, il partit pour Lille afin de rendre compte de son voyage au Comité catholique14. Cependant la correspondance du P. Alphonse Tachon nous fournit un renseignement particulièrement éclairant. Il ne dit nullement que Dom Ambroise n’a rien trouvé en Palestine et qu’il est revenu déçu : Il (Dom Ambroise) s’arrête à une propriété, non loin de Jaffa, qui vaudra près de cinq cent mille francs. Le marché est à peu près conclu. On a déjà choisi le jour pour poser la première pierre en présence du consul de France, lorsque soudain arrive un télégramme du R. P. Vicaire Général 15 : «il faut suspendre toutes démarches jusqu’à ce qu’arrivent de nouvelles instructions de Lille. » On a attendu ces instructions, on a attendu encore et rien n’est arrivé. Notre R. P. abbé est retourné en France sans avoir rien conclu 16. C’est alors que Dom Ambroise presse son prieur de vendre la propriété. Divers tractations sont menées et finalement elle est achetée pour 70 000 francs par l’évêché de Nouméa désireux de continuer l’oeuvre missionnaire des Trappistes. Or en septembre, le Chapitre Général répondra négativement à la question d’une fondation en Terre Sainte. On comprend que la raison de cette mise entre parenthèses de la fondation en Terre Sainte était due uniquement à des questions financières. Le Comité Catholique de Lille ne pouvait ou ne souhaitait pas soutenir une entreprise de 500 000 Frs. La suite des événements le prouvera amplement. Dans sa lettre du 19 janvier 1890 le P. Cléophas traitant du projet de financement de Latroun parlera en ce qui concerne le Comité Catholique du Nord de la simple possibilité d’une somme de 40 à 50 000 fr17. Nous sommes très loin des 500 000 fr de la propriété que le P. Ambroise Janny avait trouvée près de Jaffa.. Les Trappistes de Nouvelles Calédonie se trouvent alors dans une situation particulièrement complexe. Le P. Tachon écrit : Ainsi nous voilà sans gîte en Calédonie et avec rien en Palestine probablement18. Après une dernière nuit passée à Wagap le 8 décembre 1889, c’est le départ pour la France. Le 31 janvier 1890, les religieux sont à Marseille et retrouvent leur supérieur Dom Ambroise Janny qu’ils n’ont pas revu depuis un an. C’est alors qu’intervient la proposition d’une fondation en Australie. C’est en Australie et non plus en Palestine que se ferait le transfert de la communauté. Dom Ambroise Janny et le P. Tachon partent pour Rome en vue de cette fondation demandée par le Cardinal Moran19 de Sydney et le Cardinal Siméoni, Préfet de la Congrégation de la Propagande. Quant aux autres frères ils retournent à Sept-Fons. Ils ne sont que six et très vieillis. Le 2, fête de la Purification, ils sont reçus au chapitre et dans le discours de bienvenue, « on les console, car 13 Un moine d’el-Latroun, Histoire de l’Abbaye d’El-Latroun , 1890-1960, 157p. Document dactylographié tiré à peu d’exemplaires (Le document n’est pas toujours fiable quant aux renseignements qu’il donne) 14 Ibid. p. 11. 15 Il s’agit de Dom Sébastien Wyart, Abbé de Sept-Fons. 16 Lettre du P. Alphonse Tachon du 25 juillet 1889, Archives de Latroun. 17 Cf. supra, Chapitre III, p. 16. 18 Lettre du P. Alphonse Tachon du 25 juillet 1889, Archives de Latroun. 19 En 1885, le navire la Liguria, amène à l’Australie son premier cardinal, Mgr Moran. Le cardinal a réussi à se faire accompagner, depuis Londres, de deux Lazaristes irlandais : MM. O’Callaghan et Boyle. 4 ils sont très désolés, d'avoir abandonné cette fondation qu'ils aimaient beaucoup.20 » À 80 ans, P. Alphonse Tachon regrettait encore en pleurant ses Canaques: « C'était trop beau. » L’Australie. En ce qui concerne la fondation d’Australie, il faut bien dire que l’Abbé de Sept-Fons n’en n’eut pas l’initiative. En 1895 parlant de cette affaire Dom Sébastien Wyart dira : II y a sept ou huit ans , j'étais à Rome, le jour de la Saint Joachim. J'eus le bonheur d'assister à l'une de ces réunions intimes, où Léon XIII s'entretient familièrement avec ses cardinaux et les prélats présents à Rome. Le Souverain Pontife, après avoir parlé de diverses choses, se tourna vers son Eminence le cardinal Préfet de la Propagande et lui demanda s'il n'avait rien de nouveau à lui apprendre. « Si, répondit le cardinal, je viens de recevoir des lettres du cardinal de Sydney et de l'évêque de Perth suppliant Sa Sainteté d'envoyer des missionnaires bénédictins dans le Kimberley, immense territoire réservé par le gouvernement pour l'habitation des sauvages, à l'exclusion des blancs, les missionnaires exceptés. » Léon XIII et tous les prélats présents furent d'avis qu'il fallait satisfaire ce désir légitime [...]. Plusieurs se tournèrent vers moi; je fis un signe négatif, trouvant l'entreprise irréalisable. « Je ne pensais plus à cette fondation, quand, quelques années plus tard, Dom Ambroise, abbé de la Trappe de la Nouvelle-Calédonie, vint à Rome pour exposer l'impossibilité où nos Pères étaient de continuer leur mission sur cette terre ingrate. Aussitôt, le cardinal Préfet de la Propagande profita de la circonstance et demanda que la mission de la Nouvelle-Calédonie fut transférée en Australie. Il fut décidé que Dom Ambroise irait s'entendre avec le cardinal de Sydney et l'évêque de Perth dans le diocèse duquel se trouve le Kimberley. L'établissement, à Beagle-Bay, du monastère de Notre-Dame du Sacré-Cœur fut le résultat de cette démarche. » (Photo 02) Une Lettre du P. Tachon datée du 1er mars 1890 et écrite à Brindisi nous apprend son départ pour l’Australie : Je m’embarque demain dimanche sur le Britania, bateau anglais à quatre mats de plus de cent cinquante mètres. Nous partirons lundi à deux heures du matin. Nous avons quitté Rome à 1h et demie du soir et nous sommes arrivés à Naples à 7 h trois quarts et à Brindisi ce matin samedi à 8 h et demie.21 Nous laissons maintenant l’histoire de Beagle-Bay que nous retrouverons plus tard. Ce sera en 1900 que la maison d’Australie sera fermée. Tous les religieux rentreront à SeptFons ou en Palestine, sauf deux religieux et 4 convers. L'Abbé de Sept-Fons sera autorisé à supprimer la maison. II- LA TERRE SAINTE : DERNIERES DEMARCHES. Quand le P. Alphonse se prépare à partir pour l’Australie, la question d’une fondation en Palestine semble donc éliminée. Le Chapitre général de septembre 1889 s’est prononcé négativement du fait d’une impossibilité d’obtenir un financement de la part des Comités Catholiques du Nord22, et Sept-Fons n’est certainement pas en mesure de fournir les sommes 20 Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides... FICHAUX, Dom Sébastien Wyart... ; Lille, Paris, 1910, p. 523-524. 22 On sait par la lettre du P. Alphonse Tachon (16 février 1890) qu’il faillit en être de même pour la fondation d’ Australie. « [...] Hélas au moment où nous venions de recevoir les derniers avis, les dernières promesses et les dernières bénédictions du cardinal Siméoni, une lettre arrive de France nous disant : Cette fondation n’est pas possible, n’y songez plus ! Quant à moi, on me laissait libre de rester au monastère des Catacombes ou de revenir à Sept-Fons [...]. On attendait dans le calme et la prière lorsque, tout à coup, arrive le R. P. vicaire général. Sur sa demande je lui expose tout ce qui paraissait devoir s’opposer à cette fondation, et lorsque tout paraissait désespéré, après une nuit de prière et un nouvel entretien avec le cardinal, il revient nous dire : C’est 21 5 nécessaires. Les frères de Nouvelle Calédonie qui auraient pu constituer l’équipe fondatrice sont maintenant destinés à l’Australie. Or c’est précisément à cette époque, en janvier 1890, que le P. Cléophas écrit à Dom Sébastien Wyart. Cette lettre parait maintenant plus claire si l’on considère l’ensemble de la situation. Le texte fort long que le P. Cléophas consacre à la possibilité financière se justifie parfaitement23. La proposition du P. Cléophas restait la dernière chance offerte à Dom Wyart de créer une fondation en Palestine. Malgré les difficultés qu’il entrevoyait très certainement, il accepta d’entrer dans le projet du P. Cléophas. Dom Sébastien Wyart, dans un voyage qu'il fit à Rome, peu après, exposa son projet de fondation au Saint-Père. Léon XIII l'approuva avec bienveillance et adressa le postulateur au Préfet de la Propagande, le cardinal Siméoni, qui fit dépendre son approbation du consentement du Patriarche de Jérusalem, Mgr Piavi, qui était à Rome à ce moment24. Il était bien connu du public que Mgr Piavi n'était pas bien disposé envers le grand nombre et la diversité des ordres religieux en Palestine, ni à l’égard de la concurrence qui s'en suivait naturellement. Il était resté dévoué à l’Ordre franciscain qu'il représentait, et il croyait que les fils et les filles de saint François n'avaient pas besoin du secours des autres pour suffire aux besoins de la Terre Sainte. Ce n'est pas sans inquiétude que Dom Sébastien annonça sa visite au Patriarche, mais il reçut une réception des plus cordiales. « J'ai toujours éprouvé une grande sympathie et une sincère admiration pour les Trappistes, dit Mgr Piavi, et je regarde comme un honneur et un mérite de les avoir introduits en Syrie et de m'être occupé de leur établissement à Akbès, près d'Alep25. Vous serez les bienvenus dans mon diocèse... ». Cependant je crois devoir vous dire que vous feriez une grosse faute que vous regretteriez plus tard, si en ayant libre choix, vous vous arrêtiez à un endroit sans avenir dans une situation si défavorable et un climat si difficile. Je puis vous offrir quelque chose de beaucoup mieux. Mgr Piavi pensait au domaine de Rafat. Rafat est situé à 7 km au sud d'Amouas, ayant peu d'altitude, plus de fraîcheur et un climat plus sec, situé au milieu de la belle vallée du Sorec. L'immense propriété avait plusieurs sources abondantes, de grands champs cultivés dans la plaine, des coteaux modérés bien convenables à la vigne, et un monticule au milieu, en face du célèbre Beth-Shémésh, où l'Arche d'Alliance, tirée par des boeufs, s'arrêta près du rocher26. Ce lieu entouré de localités qui ont encore leur nom biblique, offrait une situation idéale pour la construction d'un monastère. De plus, le tracé du futur chemin de fer JaffaJérusalem passait dans son voisinage immédiat (Photo 03). La propriété appartenait au Patriarcat latin de Jérusalem, mais elle était louée à un fermier qui la cultivait avec peu de soins et ne payait qu'un petit loyer. En terminant, le Patriarche dit à Dom Wyart : « Le tout vaut plus d’un demi million, et sous vos mains habiles, il aura tôt fait de doubler de valeur, mais notre caisse a besoin d'argent et pour 300.000 Frs vous pouvez la prendre. » fini, Dieu veut cette fondation. Partez pour l’évangélisation de ces pauvres noirs. Il n’y a plus à revenir là dessus. Allez vous mettre entièrement à la disposition de Nos Seigneurs d’Australie. » 23 Cf. supra, ch. III. 24 Mgr Ludovico Piavi, Patriarche de Jérusalem depuis le 28 Août 1889, était parti pour Rome le 23 Juin 1890. 25 En Octobre 1876, Mgr L. Piavi avait été élu archevêque de Sussia, délégué apostolique et vicaire apostolique d’Alep. Il y restera jusqu’à son élection au Patriarcat de Jérusalem en 1889. Craignant une expulsion, à la suite des lois de 1880, le R.P. abbé de N.D. des Neiges, Dom Polycarpe Marthoud, s'en fut en Syrie pour y fonder un refuge, qui fut établi sous le vocable de N.-D. du Sacré-Coeur dans les montagnes de l'Amanus, région d'Alep, alors en Turquie, près de la petite ville d'Akbès. Un groupe de religieux arriva en mai 1882 avec le R.P. abbé qui demeura comme supérieur, et donna l'année suivante sa démission d'abbé des Neiges. Des bâtiments provisoires furent construits très pauvrement; on érigea aussi un orphelinat pour les enfants du voisinage. 26 1 Sa 6 :13. 6 Cette proposition fit une profonde impression sur Dom Sébastien. En effet, s'il voulait prévoir pour l'avenir de cette fondation, il ne pouvait pas hésiter. Quelques jours après, un prêtre de Jérusalem qui avait accompagné le Patriarche durant son voyage et qui se trouvait aussi à Rome, reçut la visite de l'Abbé qui voulait se renseigner avec plus de précision avant de prendre une décision définitive. On lui confirma tout le bien qu'on lui avait dit de Rafat. Donc du côté des autorités, il n'y avait plus la moindre difficulté à surmonter et avec une bonne administration, un bon résultat financier était assuré. Mais dans le choix de l'emplacement, Amouas n'était pas à oublié. Il est vrai que son climat était quelque peu défectueux, sans être pour autant dangereux. Les habitants et la famille de l'hôtelier avec ses employés ainsi que le P. Cléophas lui-même pouvaient en rendre témoignage. Le terrain n'était pas bien étendu, mais pourtant assez grand pour un début sérieux. On pourrait l'agrandir plus tard en achetant les terres voisines, quand le monastère aurait acquis la confiance des indigènes, au lieu de s'en tenir à la résistance comme au début des négociations Cependant une autre considération, certainement plus déterminante, devait influencer la décision, à savoir : l'idée directrice de l’Abbé Viallet ; pour lui il ne s'agissait pas de trouver une place en Palestine où un monastère de Trappistes pouvait s'implanter dans les meilleures conditions. Il voulait refaire de Nicopolis, tant vénéré par les chrétiens des premiers siècles, un lieu de prière et de culte. Dom Sébastien resta longtemps indécis. Malgré les instances du cardinal Préfet de la Propagande et les avances du Patriarche, il hésitait à refuser l'offre plus modeste mais plus idéale du P. Cléophas. Il semblait à l’Abbé de Sept-Fons que la propriété d'El-Athroun que proposait le P. Cléophas était préférable à bien des points de vue. L’argument de l’Emmaüs du soir de Pâques était un d’un grand poids aux yeux de Dom Wyart. Qui plus est, la propriété d'El-Athroun avait l’énorme avantage de comprendre des bâtiments qui pourraient abriter provisoirement la jeune Communauté. Une circonstance imprévue précipita la décision ou mieux la dicta. Le Patriarche déclara que la vente prochaine de Rafat, soit aux Trappistes, soit à un autre acheteur, était une affaire décidée et que le paiement comptant du prix était la condition principale. Ni Dom Sébastien, ni le P. Cléophas n’étaient en mesure de disposer de cette somme. On se retrouvait face à la même question qui, quelques temps auparavant, avait arrêté Dom Ambroise Janny et avait entraîné l’abandon du projet de Terre Sainte. Le Père Abbé demanda donc l'autorisation de faire un essai de fondation avec une colonie dans la propriété d’El-Athroun, et il examinerait alors si les circonstances lui permettaient de prendre possession de Rafât, beaucoup plus grand et plus beau. En considération de cet état de choses, il fut consenti à la fondation du monastère d'El-Athroun. C’est d’ailleurs dans ce sens que le contrat avait été établi entre l’Abbé Viallet et les propriétaires de l’hôtel Howard : les Frères Batato. Si après un an d’essai, le lieu ne convenait pas au but proposé, le contrat serait résilié. Cela avait l’avantage de donner le temps aux acquéreurs de trouver les fonds nécessaires mais aussi aux vendeurs de rassembler et d’acheter un plus grand nombre de terrains dont ils n’étaient pas encore propriétaires27. Tout étant en place, Dom Sébastien profita de sa présence à Rome pour demander à la Congrégation de la Propagande l'érection canonique de la fondation de Sept-Fons en Terre Sainte. La demande fut agréée et le document officiel envoyé de Rome à Sept-Fons au mois de septembre 1890. Nous en donnons la traduction : 27 L’acte d’achat définitif de la propriété des frères Batato, d’une valeur de 129.000 F, sera signé le 31 août 1891 par Dom Ignace Binaut successeur du P. Cléophas comme supérieur de la communauté. 7 Sacrée Congrégation de la Propagande, protocole, No. 4099 Rome, septembre 1890, Révérendissime Père, La supplique que Votre Paternité Révérendissime à présentée à cette Sacrée Congrégation sur l'utilité d'ériger une maison en Palestine, afin de recueillir des orphelins qui seraient appliqués à la culture des terres et à l'apprentissage de métiers, a reçu un accueil très favorable de cette même Congrégation. Par ce moyen, les adolescents seront, non seulement soustraits aux embûches des non catholiques, mais encore ils seront instruits des préceptes de la foi et initiés aux bonnes moeurs. Aussi, nous vous accordons volontiers l'autorisation sollicitée afin, qu'avec l'assentiment du Patriarche de Jérusalem, vous puissiez réaliser ce projet. Nous prions Dieu qu'il vous assiste, vous et vos religieux, qu'il comble de ses bienfaits les sollicitudes et les travaux que vous entreprenez pour l'accroissement de notre sainte religion. Animé de cet espoir, je vous souhaite tous les biens et toutes les faveurs du Seigneur. Jean, Cardinal Siméoni, Préfet. Le secrétaire: Torani28 Le Chapitre Général de Septembre 1890 décidera officiellement de la fondation en Terre Sainte. Cependant dès le 27 août, Dom Sébastien avait écrit au Ministre des Affaires Etrangères pour lui annoncer la création d'un monastère de Trappistes en Terre Sainte et lui demander des subsides pour aider à son installation. C’est Gabriel Hanotaux29 lui-même encore ministre plénipotentiaire par intérim qui lui répond : Paris, le 29 septembre 1890 Monsieur le Supérieur Général, Vous avez bien voulu m'annoncer, le 27 août dernier, que vous vous proposiez de fonder en Palestine un établissement comprenant un institut agricole et un orphelinat. Vous ajoutiez que votre intention était de conserver à cette oeuvre un caractère essentiellement français et, qu'en vous efforçant de propager la connaissance de notre langue, en même temps que l'enseignement des meilleures méthodes de cultures, vous auriez surtout pour but de travailler au développement de l'influence française en Terre Sainte. Dans ces conditions, je ne puis que donner mon approbation à un projet qui a déjà reçu, d'autre part, l'assentiment du Saint-Siège. Comme tous les établissements catholiques d'Orient, cette institution se trouvera naturellement placée sous le Protectorat de la France. Je vous prie d'inviter les religieux de la nouvelle mission à se conformer exactement aux avis de notre Consul à Jérusalem dans toutes les questions qui pourraient s'élever entre eux et les autorités locales, ou les autres Communautés; en revanche, ils pourront compter que le concours du Consulat ne leur fera pas défaut. 28 Archives de l’Abbaye de Sept-Fons. Gabriel HANOTAUX (1853-1944) Diplomate, historien et député en 1886, il fut ministre des Affaires Etrangères dans deux cabinets en 1894 (Ch. Dupuy et Ribot) et de 1896 à 1898 (Méline). Il a publié divers ouvrages historiques dont le plus important est l'Histoire du cardinal de Richelieu. Élu à l'Académie française le 1er avril 1897, en remplacement de Paul Challemel-Lacour, Gabriel Hanotaux a été reçu le 24 mars 1898 par le vicomte Melchior de Vogüé. 29 8 Vous avez bien voulu m'entretenir également de votre désir d'obtenir de mon département un subside pour l'organisation de votre oeuvre. Je ne dispose actuellement d'aucune somme à laquelle il me soit possible de donner cette affectation. Mais en vue des exercices ultérieurs, vous me trouverez prêt, si les fonds de secours mis à notre disposition par le Parlement le permettent, à examiner dans quelle mesure il me serait possible de venir en aide à l'installation de l'établissement dont il s'agit, Je serai heureux, dans tous les cas, de vous accorder pour le voyage de vos religieux à bord des Messageries Maritimes toutes les facilités prévues par le cahier des charges de cette Société. Recevez, Monsieur le Supérieur Général, les assurances de ma considération la plus distinguée. Pour le Ministre, et par autorisation, le Ministre plénipotentiaire chargé p.i. de la direction des Affaires Politiques. G. Hanotaux30. En septembre 1890, les Abbés de la Congrégation sont réunis dans l'abbaye bourbonnaise pour le Chapitre général. Des questions importantes doivent y être traitées; l'union des trois Congrégations, la fondation de Palestine, la participation aux fêtes de Saint Bernard en 1891. Paray le Monial célébrait les fêtes du jubilé accordé à la cité du SacréCœur par Léon XIII. L'importance de ce Chapitre, les solennités de Paray, expliquent la convocation des aumôniers des religieuses à cette réunion. Voici la liste des personnalités présentes31 : Le Révérendissime Père Dom Sébastien Wyart, Abbé de Sept-Fons et Vicaire général, Dom Eugène, abbé du Port du Salut, Dom François, abbé du Mont des Olives, Dom Hilaire, abbé de la Grâce Dieu, Dom Bonaventure, abbé de Mariastern, Dom Antoine, abbé de Chambarand, Père Polycarpe, aumônier de nos Soeurs à Avesnières, Père Nicolas, aumônier à Oelenberg, Père Fabien, aumônier à Saint-Clément-les-Mâçon, Père Symphorien, aumônier à Saint-Joseph d'Ubexy. Le 16 septembre32, fête transférée de la Sainte-Croix, Dom Sébastien entouré de tous les Abbés, prononce au Chapitre une exhortation sur la valeur de la Croix et l'obligation qu'ont les religieux de l'aimer et de la porter de tout leur coeur. Le lendemain, Dom Bonaventure, abbé de Mariastern, parle au Chapitre puis les Abbés et la Communauté se rendent à l'église où Dom Hilaire, Abbé de la Grâce Dieu, chante la messe du Saint-Esprit ; une grave décision est à prendre, et les Supérieurs iront en pèlerinage à Paray le Monial33. Le 18, toute la communauté, tous les Abbés et autres Pères se réunissent à nouveau: Il s’agit de recevoir le P. Marie Cléophas. N. R. Père fait une chaleureuse exhortation sur 30 Archives de l’Abbaye de Sept-Fons. Le Chapitre Général de 1889 avait décidé qu’il n’y aurait pas de Chapitre Général en 1890, Et cependant cette réunion fortuite de 1890 a eu valeur de vrai Chapitre Général. On en trouve les Actes dûment registrés et signés. Cf. HERMANS V., Actes des Chapitres Généraux des Congrégations Trappistes au XIXe siècle, 1835-1891, p. 294, 12°, et p. 295. 32 Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides commencées le 1er octobre de l’an de Grâce 1887, cf. septembre 1890. 33 Il s’agit du 200 ème anniversaire de la mort de Ste Marguerite-Marie Alacoque : née le 22 juillet 1647, rappelée à Dieu le 17 octobre 1690. Le 18 septembre 1864, Pie IX avait proclamé Marguerite-Marie, Bienheureuse. 31 9 l’obligation de dépouiller le vieil homme et de revêtir le nouveau faisant ressortir les grands avantages que nous trouvons pour cela dans la vie monastique34. Et voici le n° [5] du procès verbal35: « Le Révérendissime Dom Vicaire général expose aux Révérends Pères Capitulants qu'il a été sollicité par de nombreux cardinaux, évêques et laïcs, et surtout par l'Illustrissime Patriarche de Jérusalem, de fonder un monastère en Palestine. Tous les assistants applaudissent à cette proposition et émettent le voeu que ce monastère soit au plus tôt érigé dans ces lieux sanctifiés par la vie et la mort de notre Sauveur, qu'il soit sous la Paternité immédiate de Sept-Fons, qu'il porte le nom de Notre-Dame des Sept Douleurs et que le Révérend Père Marie Cléophas en soit le Supérieur. » Cette nomination de l’Abbé Viallet comme supérieur de la future communauté n’a pas été sans poser de difficultés dans le développement de la fondation. Le Père Cléophas n’avait certes pas fait de Noviciat et n’appartenait donc pas à l’Ordre, mais cela n’autorise certainement pas, V. Hermans à affirmer dans une note portant sur le Chapitre de 1890 : « Quant à ce Cléophas Viallet, soi-disant supérieur de la fondation de Palestine, il n’appartient nullement à l’Ordre36. » Certes l’Abbé Viallet n’appartenait pas à l’Ordre, mais l’on peut cependant lire dans les Ephémérides de Sept-Fons : « Après avoir donné le St habit au novice (P. Cléophas) Dom Sébastien lui dit, qu’en son nom et au nom de tous les abbés présents, en vertu des pouvoirs spéciaux qu’il a, il le nomme supérieur de la Maison qui doit se fonder en Palestine37. » Les pouvoirs spéciaux que Dom Sébastien avait certainement reçus du Saint Siège lui permettaient parfaitement de nommer le P. Cléophas Supérieur de sa future fondation. Qui plus est, nous sommes en 1890, l’union de l’Ordre n’est pas réalisée, quant au Droit Canonique il n’est pas encore codifié. C’est le 3 octobre que Mgr de Dreux-Brézé, évêque de Moulins38, vint bénir les fondateurs avant leur départ. Il célébra la messe pour eux et donna un sermon au Chapitre. On peut lire, toujours dans les Ephémérides de Sept-Fons, que Dom Sébastien pria alors Dom Cléophas supérieur de la Croisade de dire à Mgr au nom de ses frères et en son nom ce qu’il éprouvait et ce qu’il ferait39. Après la réponse du P. Cléophas, l’évêque de Moulins exprima le désir de connaître le nom des futurs fondateurs. Le même jour trois frères destinés à la fondation prirent l’habit40. Avec l’expression : Supérieur de la Croisade, l’historien des mentalités ne manquera pas de souligner un vocabulaire très représentatif d’une époque. Ceci permet de mieux saisir l’esprit dans lequel s’est édifiée la fondation de Terre Sainte. Le mot de « Croisade » est fréquemment utilisé dans le contexte et on le trouve associé à des expressions telles que : « Enfants dévoués du saint-siège et de la France. » Il s’agit cependant bien plus d’un genre littéraire que d’une idéologie. La piété intérieure restera toujours le véritable mobile du départ vers l’Orient, même si elle s’exprime dans un langage lié aux conditions politiques et religieuses de la France du XIXe siècle. 34 Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides...Ibid. 5° Exponitur a RD Vicario général! se a multis cardinalibus, sive ab episcopis, sive laicis et praesertim ab ill.mo Patriarcha hierosolymitano sollicitatum fuisse ut monasterium nostri Ordinis haberet in Palestina. Cuncti adsistentes maximo cum plausu propositum audiunt et votum emittunt ut in honore D.N.J.C. qui propter nostram salutem descendit de coelis et in hac nobilissima terra et nasci et vitam mortalem agere et mori voluit valde optatum monasterium citius erigatur sub paternitate monasterii de Septem Fontibus subque nomine B. M. de Septem Doloribus et eidem ut superior detur RP Maria Cleophas. HERMANS V., Actes des Chapitres Généraux des Congrégations Trappistes au XIXe siècle, 1835-1891, p. 291-292. 36 Cf. HERMANS V., op. cit., p. 295, note 3. 37 Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides... 18 septembre 1890. 38 Pierre-Simon-Louis-Marie de Dreux-Brézé (1811-1893) avait été installé le 30 avril 1850. 39 Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides... 3 octobre 1890. 40 F. Elie Durot, F. Eustache Pyotte et F. Thomas Mignot. 35 10 C’est le 15 octobre que les Ephémérides de Sept-Fons signalent le départ en Palestine du P. Cléophas avec un premier groupe de fondateurs. Dom Sébastien Wyart les accompagne à Paray-le-Monial, ils partiront de là pour Lyon, puis Marseille où ils s’embarqueront le 19 octobre sur le « Faber. » Le deuxième groupe quittera Sept-Fons le 28 octobre à la suite du P. Benoît-Joseph Bernigaud, Prieur de la fondation, et s’embarquera le 29. III – LES FONDATEURS 1er groupe: P. Cléophas Viallet, Dom Laurent Laîné, abbé émérite de la Grâce-Dieu, F. Gabriel Bernigaud, F. Maurice Bénistant, F. Marie-Joseph Delamasure, prêtre. Ces trois derniers étaient novices choristes. F. Hilarion Malmazet, profès convers, ancien zouave pontifical, puis venaient cinq novices convers : F. Sérapion Swinkels, hollandais, F. Galgan Holthuisen, hollandais, F. Macaire Vial, *F. Thomas Mignot, * F. Pierre Christen, allemand. 2ème groupe : P. Benoît-Joseph Bernigaud, prêtre, P. Romaric Joly, profès du Mont-des-Cats, Trois novices choristes : F. Henri Trébault, du Port-du-Salut, F. Elie Durot, F. Eustache Pyotte, Deux novices convers : F. Jérôme Van Luyk, hollandais, F. Paulin Colinge. Dans la présentation que nous allons donner des fondateurs nous fournirons davantage de détails sur ceux qui ne resteront pas à Latroun. En revanche nous aurons l’occasion de revenir sur ceux qui y demeureront jusqu’à leur mort et qui contribueront à l’édification progressive du monastère. En ce qui concerne le P. Cléophas/Abbé J.-B. Viallet, il a déjà été largement présenté dans les chapitres précédents. DOM LAURENT LAINE (22 janvier 1829 – 4 novembre 1899) (Photo 04) Né le 22 janvier 1829 à Thignonville dans le Loiret, Phileas Maximilien Lainé était fils de Louis Auguste Lainé d’abord boisselier puis instituteur et de Françoise Bayle. Il est ordonné prêtre le 17 mai 1856 pour le diocèse d’Orléans. Il est nommé professeur au petit séminaire de La Chapelle Saint Mesmin (Loiret.) Il entre à la Trappe de N.-D. de Sept-Fons le 28 juillet 1860 et reçoit l’habit des choristes le 10 août. Il est formé sous l’abbatiat de Dom 11 Stanislas Lapierre (1845-1865.) Il prononce ses voeux simples le 15 août 1861 et ses voeux solennels le 7 juin 1868. Il a alors 39 ans et Dom Stanislas le nomme Père Maître des novices de choeur. En 1873, il est envoyé à N.-D. de la Grâce-Dieu à Vercel (Doubs) et stabilié dans cette abbaye le 29 avril 1874. Mais en 1880, la communauté de La Grâce-Dieu qui était abbaye depuis 184741, doit de nouveau prendre le chemin de l'exil. Les décrets anticléricaux du 19 mars 1879 sont mis à exécution42. En fait, il y eut toujours des religieux à La Grâce-Dieu43. On permit au Père Abbé, dom Malachie, très âgé, d'y rester avec quelques frères convers pour s'occuper de la scierie et du moulin. Mais la plus grande partie de la Communauté dût se retirer. C'est ainsi qu'en 1882 une petite fondation fut créée en Autriche par les exilés de la Grâce-Dieu. Il s’agit de N.-D. de la Providence à Neudorf. Le Père Albéric Chevreuil en fut le Prieur jusqu'en juin 1884 et c’est le Père Laurent Lainé qui le remplaça. Huit mois après son arrivée à Neudorf, il transporta la Communauté à Landpreïs, toujours en Autriche, après avoir eu à soutenir d'interminables procès avec le propriétaire de la maison de Neudorf. À la mort de dom Malachie, le 1er mars 1887, l'abbé de Sept-Fons dom Sébastien Wyart demande à dom Laurent, alors à Landpreïs, de ramener son monde à La Grâce-Dieu pour participer à l'élection du nouvel abbé. La situation en France semblait autoriser ce retour. Néanmoins, pour ne pas donner l'éveil, procède-t-on avec prudence; c'est par groupes de trois ou quatre et à une ou deux semaines d'intervalle que la Communauté de Landpreïs rentre à La Grâce-Dieu. Dom Laurent est élu abbé le 29 avril 188744. Il reçoit la bénédiction abbatiale à sa maison-mère de Sept-Fons à l'occasion du Chapitre général de la Congrégation, le 14 septembre 188745. Le 5 mai 1890, probablement pour des raisons de santé, Dom Laurent présente sa démission à Dom Sébastien Wyart. S'étant démis de sa charge, il se retire à Sept-Fons. C’est alors âgé de 61 ans qu’il fait partie du groupe fondateur qui accompagne le P. Cléophas. Il arrive en Palestine le 31 octobre 1890. Il y demeurera huit ans46 et la quittera définitivement en avril 1898 dans des circonstances que nous évoquerons plus loin. Le 5 mai 1898 il ira se fixer au Port du Salut où il moura un an plus tard le 5 novembre 1899, âgé de 70 ans. 41 Au Chapitre de 1847, une supplique est adressée au Pape pour l’érection du Val-Sainte-Marie en abbaye. Le Chapitre demande que lui soit donné le nom de la Grâce-Dieu. Cf. HERMANS V., Actes des chapitres généraux... p. 302 (3- Postulatio ad SS. DD. Papam, pro erectione Prioratuum Montis Cattorum et Vallis S. Mariae in abbatias.) 42 « Dès le 19 mars 1879, Jules Ferry, ministre de l'Instruction Publique de 1879 à 1880, puis ensuite Président du Conseil, dépose sur le bureau de la Chambre deux projets de loi [...]. Un article particulièrement menaçant (l'art. 7) interdisait tout enseignement et toute direction d'école aux membres des congrégations non autorisées. Pendant plus de deux ans, à travers plusieurs changements de ministères, la question ne cessa de s'envenimer. La menace qui visait primitivement les Jésuites dégénérait en menace contre toutes les congrégations non autorisées. Il fut décidé en mars 1880 que toute congrégation qui ne ferait pas dans le délai de trois mois une demande régulière d'autorisation encourait l'application des lois en vigueur. Devant la résistance unanime des religieux soutenus par les évêques et le Pape, Jules Ferry, alors Président du Conseil, n'hésita pas devant des procédés exorbitants. Il confia aux autorités administratives et à la police le soin de procéder à l'expulsion des religieux qui ne s'étaient pas mis en règle... » LATREILLE A. et RÉMOND R., Histoire du catholicisme en France , Ed. Spes, p. 456-459. 43 LOCATELLI R., LASSUS F., LANGROGNET J.-L., L’Abbaye cistercienne, Notre-Dame de la Grâce-Dieu, 1139-1939, Annales littéraires de l’université de Besançon 392, Diffusion les Belles-Lettres, Paris, 1989., p. 125-126. 44 Il est le troisième abbé de La Grâce-Dieu après la révolution : Dom Benoît Michel, 39e abbé de La Grâce-Dieu et 1er depuis sa renaissance (24 août 1848-15 novembre 1870), Dom Malachie lui succéda le 21 janvier 1871. 45 Les armes de Dom Laurent Lainé se lisent : De gueules au gril de Saint Laurent d'argent (patron religieux de l’Abbé) 46 Huit ans et non deux ans comme cela est écrit dans l’ouvrage précédemment cité : LOCATELLI R. et alii, L’Abbaye cistercienne, Notre-Dame de la Grâce-Dieu, p. 125. 12 Formé à la vie cistercienne sous le gouvernement de Dom Stanislas Lapierre dans le plus pur esprit rancéen, dom Laurent a toujours montré par rapport à la Règle des tendances au rigorisme. Pour nous donner une idée de l'esprit du Sept-Fons de son temps, il aimait à raconter le trait suivant : « Un jour, étant Père Maître, je vois venir un de mes novices, le Frère Jérôme, devenu depuis abbé de Sept-Fons47 et vicaire général de l'Ordre, qui me dit : "Mon Père, le jeûne me fatigue énormément ; il me semble par moments que je vais tomber d'inanition. Si j'avais, le matin, un petit bout de pain, gros... tenez, comme mon pouce, je crois que je pourrais tenir." "Mon pauvre ami, lui répondis-je, je ne puis vous accorder cela de mon autorité, mais je vous promets d'en parler au R.P. abbé, pas plus tard qu'aujourd'hui." J'allai donc trouver dom Stanislas, continuait-il, et lui exposai le cas de mon novice. Après m'avoir écouté jusqu'au bout, il prononça sous forme d'arrêt : "Dites-lui que s'il ne peut pas jeûner, il s'en aille !48 » F. GABRIEL BERNIGAUD (23 AVRIL 1869 – 19 AVRIL 1944) (Photo 05) Philippe Bernigaud était né le 23 avril 1869 à Charolles (Saône et Loire.) Il était frère de P. Benoît-Joseph et de Dom Symphorien. D’abord séminariste, il avait pris l’habit des choristes à Sept-Fons le 12 octobre 1889 sous le nom de F. Gabriel. Il arrive à 21 ans à Latroun avec le premier groupe fondateur. Il sera de retour en France, trois mois et demi plus tard, en février 1891. Il fait profession simple à Sept-Fons le 11 juillet 1897. Puis se fixe à Chimay où il prend le nom de F. Alphonse. Il y prononce ses voeux solennels le 16 juillet 1900. Sous l’abbatiat de Dom Anselme Le Bail (1913-1956) il joue un rôle important dans l’édification de la bibliothèque de Scourmont49. Dom Anselme consacra en effet beaucoup d'efforts à la création d'une des plus belles bibliothèques monastiques de l'Ordre, qui compta dès lors toutes les grandes collections, comme la patrologie grecque et la patrologie latine, la collection des Conciles de Mansi, les Grands dictionnaires, comme celui de Spiritualité, les Acta Sanctorum des Bollandistes. Sachant se faire aider en ce domaine comme dans tous les autres, il confia la constitution des divers secteurs de la bibliothèque à plusieurs personnes compétentes. Le département d'Écriture Sainte relevait du père Alphonse Bernigaud et du père Benoît Attout. Le P. Alphonse est décédé le 19 avril 1944 dans un hôpital proche de son monastère. F. MAURICE BENISTANT (15 DECEMBRE 1869 - ?) Fernand Bénistant était né le 15 décembre 1869 à Fives (Nord) Après l’exercice de la profession d’employé de commerce, il entre à Sept-Fons et prend l’habit des choristes le 8 décembre 1889 sous le nom de F. Maurice. C’est donc lui aussi à l’âge de 21 ans qu’il arrive à Latroun. Il repartira pour la France en février 1891. Il passera aux frères convers et quittera l’Ordre. F. MARIE-JOSEPH DELAMASURE (26 FEVRIER 1845 - ?) Paul Delamasure était né à Tourcoing (Nord) le 26 février 1845. Ordonné prêtre il entre à Sept-Fons et reçoit l’habit le 24 mars 1890 sous le nom de F. Marie-Joseph. C’est donc âgé de 45 ans qu’il arrive à Latroun avec le Père Cléophas et le premier groupe des fondateurs. Mais lui aussi retourne en Europe dès février 1891. Il fait profession simple à Sept-Fons le 25 mars 1891 et profession solennelle le 1er juin 1894. Le 3 mars 1895 il part de Sept-Fons avec Dom Ambroise Janny et d’autre religieux pour la fondation de Beagle Bay en 47 Il s’agissait de Jérôme Guénat, abbé de Sept-Fons de 1882 à 1887. LOCATELLI R. et alii, Ibid., p. 126. 49 VEILLEUX A., Un grand formateur monastique, Dom Anselme Le Bail (1878-1956) ; abbé de Scourmont 1913-1956), Collectanea Cisterciensia, 63, (2001). 48 13 Australie50. P. Alphonse Tachon en fait mention dans une lettre du 25 juillet 1895 : « Nous sommes trois à présent qui nous occupons de la mission : P. Marie-Joseph et P. Narcisse.51 » Mais dans une note d’une lettre datée du 27 janvier 1896, le P. Tachon signale : « P. Joseph rentre en France le 2 mars 189652». Rentré à Sept-Fons, il quittera l’Ordre. F. HILARION MALMAZET (13 AVRIL 1831 – 1907) Léon Malzamet était né à Dompnac en Ardèche le 13 avril 1831. Comme Dom Sébastien Wyart et le Père Cléophas, il fut zouave pontifical. Il entre à Sept-Fons en 1871. Ce qui correspond à la dissolution de la légion des Volontaires de l’Ouest par le gouvernement. Il reçoit l’habit des frères convers le 3 avril 1880 sous le nom de F. Hilarion. C’est alors la période des expulsions. Dom Jean de Durat veut assurer un refuge aux membres de sa communauté. En Espagne, le marquis Pico de Valesco cède sa propriété de Valverde, comme refuge provisoire pour le temps qui sera nécessaire. Le 11 juillet 1880, le F. Hilarion part pour l’Espagne sous la conduite de Dom Symphorien, sous-prieur de Sept-Fons. Dans ce même groupe, on trouve les Pères Benoît-Joseph, Théodule, Benjamin et le frère Elie. En 1881, après les expulsions de 1880, le P. Abbé estime qu’il est urgent d’organiser à l’étranger un refuge, où la communauté entière serait reconstituée. C’est en Croatie qu’il va réaliser son projet. Il acheta le 21 août 1881, pour la somme de 220 000 Frs une terre magnifique appartenant à deux négociants d’origine française, les frères Gilbert et Alexandre Perrin53.Dès le 8 octobre 1881 huit religieux de Sept-Fons s’y rendaient. C’est le 15 novembre suivant que les Pères qui avaient été rappelés d’Espagne et ceux qui étaient dispersés en Bourbonnais, partirent s’installer en Croatie sous la conduite du P. Abbé lui-même. C’est donc en novembre 1881 que le F. Hilarion se rend à Resica en Croatie54. Le frère Hilarion fit profession simple et probablement profession solennelle à Resica 55. C’est âgé de 59 ans qu’il fait partie du premier groupe de fondateurs. Le frère Hilarion restera à Latroun jusqu’à sa mort survenue le 7 juin 1907 à l’âge de 76 ans. F. SERAPION SWINKELS (21 janvier 1863 - ?) Jean Swinkels était né à Asten en Hollande, le 21 janvier 1863. Après avoir exercé la profession de brasseur, il entre à Sept-Fons et prend l’habit des frères convers le 18 décembre 1889 sous le nom de F. Sérapion. C’est un an après qu’il est choisi pour faire partie du groupe fondateur de Latroun. Il est âgé de 27 ans. Il quittera le monastère le 3 mars 1893. F. GALGAN HOLTHUISEN (3 MAI 1867 – 17 FÉVRIER 1935) Geisbertus Holthuisen était né le 3 mai 1867 à Heinkenrand en Hollande. Tailleur de profession, il entre à Sept-Fons le 6 décembre 1889 et prend l’habit des convers le 18 sous le nom de F. Galgan. Il arrive en Palestine à 23 ans. Il fera profession simple le 16 janvier 1892 et profession solennelle le 21 janvier 1896. Il mourra à Latroun le 17 février 1935 à l’âge de 68 ans. 50 L’Union cistercienne, septembre 1895, T. II, n° 15, p. 315. Lettre du P. Alphonse Tachon du 25 juillet 1895, Archives de Latroun. 52 Lettre du P. Alphonse Tachon du 27 janvier1896, Archives de Latroun. 53 On peut avoir une idée de la situation financière de l’Abbaye de Sept-Fons à cette époque si l’on sait que pour devenir acquéreur Dom Jean fut obligé de vendre la ferme de la Chaume aux vaches, de création récente, et d’une contenance de 109 hectares, au prix de 245 000 frs. Cf. BEAUMONT E., Sept-Fons Moderne et contemporain, (1789-1936), Abbaye de Sept-Fons, 1938, p.153... 54 Ils ne devaient y rester que treize ans. Le 11 mars 1894 la propriété de Resica fut vendue pour 180 000 frs. La somme revint à l’Abbaye de Sept-Fons, mais les religieux furent rappelés à Trois-Fontaines, près de Rome. 55 Les dates des professions ne sont pas indiquées dans le Registre de Latroun. 51 14 F. MACAIRE VIAL (28 AOUT 1851- ?) Jean Vial était né le 28 août 1851 à Saint-Savin en Isère. Jardinier de profession, il entre à Sept-Fons et prend l’habit des convers le 10 août 1889 sous le nom de F. Macaire. Il arrive en Palestine à l’âge de 39 ans. Il quittera Latroun et l’Ordre en 1891. F. THOMAS MIGNOT (2 JUIN 1866 – 5 AOÛT 1939) (Photo 06) Marie-François Auguste Mignaud était né le 21 juin 1866 à Paris. Il exerce le métier de photographe avant d’entrer à Sept-Fons où il prend l’habit des convers le 3 octobre 1890. Il arrive à 24 ans à Latroun le 11 décembre 1890. F. Thomas fera profession simple le 3 octobre 1892 et profession solennelle le 11 mai 1901. Il restera à Latroun où il fut longtemps cuisinier. Il meurt le 5 août 1939 à l’âge de 73 ans. F. PIERRE CHRISTEN (7 MARS 1855 - ?) F. Pierre Christen était né le 3 février 1832 à Meinheim en Pusse orientale. Il entre à Mariawald où il prend l’habit des convers en 1861. L’Abbaye de Mariawald fut construite en 1480 par des cisterciens. Pendant plus de trois siècles, les moines s'occupèrent des pèlerins de passage. Le monastère connut ses premières vicissitudes en 1795, au moment où la révolution française entreprit de chasser les moines de leur monastère. Après être passé entre les mains de plusieurs propriétaires, le monastère fut finalement racheté par les cisterciens trappistes de l'Abbaye d'Oelenberg en 1860, qui entreprirent de le reconstruire. C’est certainement à cette époque que l’on peut situer l’entrée du F. Pierre Christen. Mais les travaux furent interrompus par le « Kulturkampf » prussien et les moines ne furent plus autorisés à vivre au monastère de 1875 à 1887. F. Pierre va alors se réfugier à Marija Zvijezdaen en Bosnie Un monastère fondé en 1872 par le P. François Pfanner moine de Mariawald avait été reconnu et affilié à l'Ordre par le Chapitre de la Congrégation de Sept Fons56. F. Pierre Christen serait resté à Marija Zvijezdaen jusqu’en 1890, date où on le trouve à Sept-Fons. Les registres ne signalent cependant ni profession solennelle ni profession simple. C’est âgé de 36 ans qu’il arrive en Palestine le 11 décembre 1890 en compagnie du F. Thomas Mignot. Il retournera en Europe avec le P. Cléophas en février 1891 et partira en Afrique pour Marianhill57. P. BENOIT-JOSEPH BERNIGAUD (23 JANVIER 1859 – 28 AVRIL 1900) (Photo 04) Jean-Marie Bernigaud était né à Charolles en Saône et Loire le 23 janvier 1859. Il entre à Sept-Fons et prend l’habit des choristes le 14 février 1876. Il fait profession simple le 56 À peine vingt ans plus tard, au moment du Chapitre d'Union de 1892, elle comptait 131 membres profès (après avoir entre-temps fondé Marianhill, en Afrique du Sud, en 1882, et Zemoniko, en Dalmatie, en 1888), et elle atteint le nombre de 198 en 1913, tout juste avant la première Guerre Mondiale... L'un des très rares points sur lesquels tous en Bosnie, -- Serbes orthodoxes, Musulmans et Catholiques - semblent être d'accord, est le rôle extraordinaire qu'a joué cette communauté trappiste dans la construction de la Bosnie moderne. Les moines ont été les premiers à y apporter les formes d'agriculture et d'industrie alors utilisées en Europe. Ils construisirent le premier barrage hydroélectrique, ouvrirent le premier hôpital, fondèrent le premier orphelinat où passèrent 4500 orphelins. Ces activités étaient celles d'une communauté de moines consacrés d'abord à la prière et à la vie commune dans le cloître, dans une région où se côtoyaient Orthodoxes, Catholiques et Musulmans Cf. Chapitre à la Communauté de Scourmont, 11 mars 2001, Marija Zvijezda : exemple d'une communauté courageuse. 57 Marianhill fut fondée par Mariastern en Afrique du Sud en 1882. Le monastère prospéra et en 1885 fut élevé au rang d'abbaye. Le P. François Pfanner fut le premier abbé, élu le 11 avril 1885, il fut béni le 27 décembre. La communauté se transforma rapidement en communauté missionnaire et prit une grande extension; il y eut plus de 300 religieux. Une congrégation de religieuses fut fondée qui s'adjoignit aux moines pour l'apostolat. Devant la déviation qui se manifestait, l'Ordre essaya de réagir; il y eut en particulier deux visites extraordinaires, l'une par le R.P. Dom François Strung et l'autre par le R.P. Dom Obrecht, qui ne réussirent pas à ramener les religieux à un minimum de vie monastique. En 1908 la maison fut séparée de l'Ordre et érigée en congrégation missionnaire. 15 23 février 1878. Le 11 juillet 1880 il part pour la fondation de Valverde en Espagne avec son frère Dom Symphorien. Il fait profession solennelle le 17 avril 1881 à Sept-Fons. Le 7 novembre 1886 il est envoyé à Resica en Croatie58. Il revient à Sept-Fons en1887. Durant son temps à Sept-Fons il occupe par deux fois la fonction de Père Maître. Envoyé en Palestine, il y arrive le 12 décembre 1890 ; il est alors âgé de 31 ans. Nous verrons qu’il occupera plusieurs fois la charge de prieur claustral. Il meurt d’un incident cardiaque à l’hôpital St Louis de Jérusalem le 28 avril 1900 à l’âge de 41 ans. P. ROMARIC JOLY (15 MARS 1870 – 2 FEVRIER 1948) (Photo 07) Michel Joly était né le 15 mars 1870 à Remiremont dans les Vosges. Entré à l’Abbaye du Monts des Cats le 22 novembre 1886, il y prend l’habit des choristes le 28 sous le nom de F. Romaric. Il fit profession simple le 8 décembre 1888. Il est alors envoyé à Latroun avec le groupe du P. Benoît-Joseph et arrive en Palestine le 12 décembre 1890. Il fait profession solennelle le 19 mars 1892 à Latroun et est ordonné prêtre le 23 août 1893. Comme nous aurons l’occasion de le constater il jouera un rôle important dans les débuts du monastère. Il était cependant d’une santé délicate. Il doit faire un séjour de repos en France d’avril 1902 à fin 1904. Enfin, pour la même raison, il doit quitter définitivement Latroun le 17 juin 1907. Il est stabilié à Sept-Fons le 8 décembre 1908. Dom Chautard lui confia dès son arrivée la fonction d’aumônier du monastère d’Ubexy, il y restera durant quarante ans. Tant sur le plan spirituel que temporel il apporta beaucoup par sa présence. Ses aptitudes administratives servirent les intérêts du monastère. Dom Chautard avait une grande confiance dans le savoirfaire et l’expérience du Père Romaric. C’est lui qui était aumônier quand le monastère d’Ubexy en 1935 accepta de recevoir une postulante libanaise : Sr Hélène59. Le Père Romaric qui avait quelque peu oublié la langue arabe, se remit à l’étudier, afin de pouvoir entendre les confessions de cette aspirante. Il mourra le 20 février 1948 à l’âge de 78 ans60. P. HENRI TREBAULT (27 JUILLET 1870- 20 AVRIL 1956) Henri Trébault était né à Vergéal (Ille et Vilaine) le 21 juillet 1870. Il entre à la Trappe de Port-du-Salut le 1er août 1888 et prend l’habit des choristes le 14 du même mois. Il fait profession simple le 6 septembre 1890. C’est le 12 décembre 1890 qu’il arrive à Latroun dans le groupe du P. Benoît-Joseph. Il est alors âgé de 20 ans. De son propre aveu il trouva la vie à Latroun très difficile « Quitter une maison où tout fonctionne régulièrement et se retrouver dans une maison de formation où tout est à créer et où l’on manque presque de tout, c’est une grosse épreuve » Une lettre de Dom Ignace Binaut61 datée du 5 août 1891 nous apprend que le F. Henri est à l’hôpital : « Un peu de fièvre dans la communauté. Le P. Henri, de Port du Salut, à l’hôpital de Jaffa avec la typhoïde. Presque convalescent, le pauvre Père ne pourra guère supporter le climat. » En effet, le P. Henri ne restera en Palestine que 18 mois. Ayant été réformé à la demande de son abbé, Dom Eugène, il rentrera en Europe le 4 mai 1892. et retournera à Port-du-Salut62. Il fait profession solennelle le 8 septembre 1893. Il achève ses études et sera ordonné prêtre à Laval le 19 décembre 1896. Il restera très longtemps sousPrieur de son monastère. En 1954, alors qu’il est déjà jubilaire de profession et d’ordination presbytérale, il est sollicité par Latroun pour relater ses souvenirs concernant la fondation et les débuts du monastère. Il le fait avec joie et donne dans une lettre datée du 13 août 1954 un grand nombre de renseignement sur les fondateurs tel P. Cléophas ou encore Dom Laurent 58 Rappelons que la fondation existe depuis 1881. Il s’agit de la soeur de F. Guy et de P. Nivard Khoury moines de l’Abbaye Latroun. 60 Vers la mi-février1948 devenu presque aveugle et n’ayant plus toute sa lucidité, le P. Romaric tomba de la fenêtre de sa chambre pendant la nuit. La chute fut très grave, relevé, il restera dans le coma jusqu’à sa mort. 61 Nous verrons au chapitre suivant le rôle de Dom Ignace dans les débuts de Latroun. 62 Le 18 mai 1892. 59 16 Lainé63. Il est décédé à Port-du-Salut le 20 avril 1956. Il fut le dernier survivant des fondateurs de Latroun et certainement à 86 ans le doyen d’âge de son monastère. F. ELIE DUROT (9 AVRIL 1970 – 26 SEPTEMBRE 1894) Elie Durot était né le 9 avril 1970 à Wellen (Belgique.) Il s’oriente vers le séminaire et étudie aux Facultés Catholiques de Lille. Mais il entre à l’Abbaye de Sept-Fons et prend l’habit des choristes le 3 octobre 1890. Il est envoyé en Palestine et part avec le groupe du P. Benoît-Joseph. Il arrive en Terre Sainte le 12 décembre 1890. Il fera profession simple à Latroun le 1er novembre 1892. Profès simple, il se verra confié la charge du dispensaire. Il meurt accidentellement d’hydrocution le 26 septembre 1894 à l’âge de 24 ans. Son memento des défunts signale ses grandes qualités humaines et spirituelles64. F. EUSTACHE PYOTTE (7 AVRIL 1870 - ?) Auguste Pyotte était né le 7 avril 1870 à Dunkerque. Il entre au séminaire et reçoit la tonsure. Il prend l’habit des choristes à la Trappe de Sept-Fons le 3 octobre 1890 sous le nom de fr. Eustache. Il est désigné pour participer à la fondation de Palestine. Il arrive avec le groupe du P. Benoît-Joseph le 12 décembre 1890. Il est âgé de 20 ans. Il retourne en France en février 1891 avec le P. Cléophas. Il quitte l’Ordre et entre dans le clergé diocésain à Cambrai. F. JEROME VAN LUYK (12 JUIN 1872 – 7 JUIN 1942) (Photo 08) Johannes Van Luyk était né le 12 juin 1872 à Tilburg en Hollande. Il entre à Sept-Fons le 13 août 1889 et prend l’habit des convers le 22 août sous le nom de fr. Jérôme. Il est envoyé en Palestine et arrive le 12 décembre 1890 avec le P. Benoît-Joseph. Il fera profession simple le 15 octobre 1891 et profession solennelle le 21 janvier 1896 à Latroun. Il meurt le 7 juin 1942 à l’âge de 70 ans. Frère Jérôme est arrivé à 18 ans à Latroun, il y vivra 52 ans Il sera chargé de la vacherie et de la fromagerie et restera jusqu’à sa mort la cheville ouvrière de la plupart des constructions du monastère. F. PAULIN COLINGE (7 MARS 1855 – 24 0CTOBRE 1941) Edouard Colinge était né le 7 mars 1855 à Conliège dans le Jura. Il entre à Sept-Fons et prend l’habit des convers le 7 juillet 1890. Envoyé en Palestine il y arrive avec le groupe du 12 décembre 1890. Il est alors âgé de 35 ans. Il fera profession simple en 1892 et profession solennelle le 21 janvier 1896. F. Paulin occupera les fonctions de sous-cellérier et de caviste. Il meurt à Latroun en 1941 à l’age de 86 ans. TABLEAU RECAPITULATIF DES FONDATEURS Sigle, Ø = n’appartient pas à l’Ordre. P = Prêtre, Dom = Ancien Abbé, P.S.Ch. = Profession solennelle comme choriste. P.s.Ch. = Profession simple comme choriste. P.S.Co. = Profession solennelle comme convers, P.s.Co. = Profession simple comme convers. N. Ch. = Novices 63 Lettre du P. Henri Trébault du 13 août 1954, Archives de Latroun. On utilisera plus loin ce précieux document pour juger des débuts et des difficultés de la première communauté. 64 - 25 Septembre - Au Patriarcat de Jérusalem, en l'an de grâce 1894, la mort du frère ELIE DUROT, acolyte. Brillant élève aux Facultés Catholiques de Lille, il renonça, aux avantages du siècle pour embrasser notre vie de prière et de pénitence. Envoyé en Palestine pour y contribuer a la fondation de notre .monastère de Notre Dame des Sept Douleurs, les fatigues et les épreuves du début, loin de l'abattre, étaient un stipulant pour sa ferveur. Il se distingua surtout, par son zèle pour l'office divin, sa charité envers ses frères, ainsi qu'envers les pauvres malades qui recevaient ses soins au dispensaire dont il avait la charge. La .mort vint le ravir prématurément aux espérances que sa communauté fondait sur ses vertus et ses qualités éminentes. Il était âgé de 24 ans. 17 choristes, N. Co. = Novices convers. Signe (–) sur fond vert = N’est pas mort à Latroun. Signe (+) sur fond rose = Est mort à Latroun. La dernière colonne sur fond gris donne l’âge d’arrivée. Le premier groupe arrive en Terre Sainte le 31 octobre 1890. (Il est indiqué en bleu sur fond gris.) Le deuxième groupe arrive le 12 décembre 1890. (Il est indiqué en rouge sur fond bleu.) 1ER GROUPE P. Cléophas Viallet Ø Dom Laurent Laîné P - 53 P P.S.Ch. - 61 F. Gabriel Bernigaud N. Ch - 21 F. Maurice Bénistant N. Ch. - 21 N. Ch. - 45 F. Marie-Joseph Delamasure P F. Hilarion Malmazet + 59 P.S.Co F. Sérapion Swinkels N. Co F. Galgan Holthuis N. Co. F. Macaire Vial N. Co. F. Thomas Mignot N. Co. F. Pierre Christen N.Co. - 5 8 TOTAL 1ER GROUPE (11) 3 2 1 3 - 27 + 23 - 39 + 24 35 3 2EME GROUPE P.Benoît-Joseph Bernigaud + 31 P P.S.Ch. P. Romaric Joly P.S.Ch. F. Henri Trébault N. Ch. F. Elie Durot N. Ch. F. Eustache Pyotte N. Ch - 20 - 20 + 20 - 20 F. Jérôme Van Luyk N. Co. + 18 F. Paulin Colinge N. Co. + 35 TOTAL 1ER ET 2EME GROUPE 18 fondateurs 1 4 2 1 3 Profès sol. 1 1 Profès sp 6 13 novices 7 11 7 18 IV- LE VOYAGE Dom Sébastien échelonna sur le parcours des voyageurs trois pèlerinages qui devaient, leur donner de nouvelles forces pour affronter les épreuves à venir. Le premier fut Paray-leMonial, à 30 kilomètres de Sept-Fons. Le Père Abbé les accompagna et leur fit ses adieux. Le lendemain, les pèlerins se rendaient à Lyon, à Notre-Dame de Fourvières, c'était la deuxième étape. Enfin, avant d'arriver à Marseille, ils s'arrêtèrent à Pont-Saint-Esprit où la soeur du Père Cléophas était Visitandine. Dom Laurent Lainé nous a laissé une relation détaillée de cette première étape65. Marseille, 9 heures du matin, le 18 octobre 1890, en la fête de Saint Luc, (que la tradition assigne comme compagnon de Saint Cléophas à Emmaüs.) Très Révérend Père, Le Révérend Père Cléophas a voulu me donner la joie de me charger de vous donner le récit de notre pérégrination de Paray à Marseille; c'est un acte d'obéissance qui ne me donnera guère de mérite. Partie toute inondée des grâces si abondantes reçues dans la matinée de Paray, emportant dans l'intimité du cœur le souvenir tout chaud de vos pieuses paroles, de vos paternels conseils et de vos ardentes affections, la petite caravane est arrivée pleine de santé, de courage et de foi, le même jour à Lyon. Reçue au séminaire pour la collation, après une première visite à Notre-Dame de Fourvières, elle en a gravi de nouveau les degrés le lendemain matin. A 5 heures et demie, les prêtres disaient la sainte messe et les non-prêtres recevaient Nôtre-Seigneur dans la Sainte Eucharistie. Munis d'une bonne et forte soupe, nous nous sommes rendus à la gare où le Révérend Père a traité de l'embarquement pour hommes et bagages avec l'administration qui s'est montrée très bienveillante et a mis un compartiment à notre disposition. Pendant l'arrêt à la station de La Palud, je crois, deux têtes bien vénérables apparurent à la portière, celle du Révérend Père Abbé d'Aiguebelle et celle de son Prieur qui se rendaient à la Visitation de Pont-Saint Esprit pour y présider à une prise d'habit et à la fête de la Bienheureuse Marguerite-Marie. Le compartiment était plein, et force fut aux survenants de se caser ailleurs. La séparation ne fut pas longue et on se rejoignit aux pieds du Sacré-Cœur à l'église de la Visitation de Pont-Saint-Esprit. On se mit sans retard à organiser la fête du lendemain et à composer la tablette des officiers: Officiant : Révérend Père Abbé d'Aiguebelle, Assistant : R.P. Cléophas, Diacre : un prêtre des environs, sous-diacre : F. Marie-Joseph, maître des cérémonies : P. Prieur d'Aiguebelle, thuriféraire : F. Gabriel, porte-mitres : F. Galgan, porte-crosse : F. Sérapion, porte-bougeoir : F. Hilarion, porte-livre : F. Macaire, porte-bannière de la Palestine : F. Maurice. 65 Lettre de Dom Laurent Lainé du 18 octobre 1890, Archives de Sept-Fons. 19 J'ajoute : et l'autre ne portait rien : c'est le P. Laurent, récusé pour cause d'incompétence. Quand la tablette fut terminée, le Révérend Père Abbé d'Aiguebelle s'est écrié: « Eh bien maintenant la réunion est faite. » Après la collation, chacun reçut son billet de logement, qui à l'aumônerie, qui à la cure, qui chez un vénérable notaire. Je ne vous dirai rien de la fête du lendemain que rendirent magnifique et la cérémonie pontificale et la beauté des chants et 1'affluence du clergé et des fidèles et le magnifique sermon de M. Le Curé de Pont-Saint-Esprit. La piété n'y perdit rien, car tout se passa dans le calme le plus religieux on s'est senti toute la journée pressé contre le Coeur tout aimant de Jésus. La bannière de la fondation fut à l'honneur avant d'avoir été à la peine, car, portée en triomphe dans la procession, elle demeura exposée aux regards à l'église pendant toute la journée. Le départ eut lieu à 2 heures du soir et l'arrivée à Marseille aujourd'hui à 4 heures et demie du matin. De la gare, nous sommes montés directement à Notre-Dame de la Garde où tout le monde a dit sa messe ou communié. La note dominante du voyage jusqu'aujourd'hui c'est la piété et la ferveur. C'est une vraie gâterie. Dans cette succession non interrompue de grâces, nous avons fait une large part à Sept-Fons dont la générosité a été si magnifique pour les frères pèlerins, et les adieux si pleins d'affection. Que le Sacré-Coeur lui donne, en retour, au plus haut degré le désir de s'immoler pour Dieu. Votre meilleure bénédiction, mon très Révérend Père. f. Laurent. P. Cléophas et son groupe s'embarquent sur « le Faber » le 19 octobre, pour Alexandrie; à cette nouvelle étape, Dom Laurent continue la relation du voyage dans une seconde lettre adressée à Sept-Fons66. J.M.J. Pensionnat des Frères des Ecoles chrétiennes, Ramleh / Egypte, Lundi 27 octobre 1890. Très Révérend Père, Partis le dimanche matin de Marseille, nous sommes arrivés à Alexandrie le samedi à 4 heures du soir et nous avons passé la nuit à bord. Le lendemain dimanche, messe à 3 heures et demie du matin à bord et déjeuner. Notre Révérend Père nous a fait ensuite débarquer et conduire au chemin de fer qui nous a laissés à Ramleh où nous avons été accueillis au mieux chez les Frères des Ecoles chrétiennes. Bonne et délicieuse nuit qui nous a tout à fait remis des fatigues inévitables de la traversée. Nous rentrerons à bord demain soir pour Jaffa. Pour que vous puissiez mieux nous suivre pendant la traversée, je vous adresse notre règlement du bord sur une feuille que je voudrais plus convenable, mais à défaut de propreté, elle aura l'avantage d'être l'original même: REGLEMENT DU BORD POUR LES TRAPPISTES DE TERRE SAINTE Octobre 1890 4 h. 4 h. 30 5 h. 45 7 h. 66 lever, oraison messe, action de grâces, soins de propreté prime, premier chapelet, café tierce, sexte, étude de l'Evangile, des Psaumes ou de la Règle Lettre de Dom Laurent Lainé du 27 octobre 1890, Archives de Sept-Fons. 20 8 h. 9 h. 11 h. 12 h. 1 h. 3 h. 3 h. 45 5 h. 7 h. 30 8 none, deuxième chapelet, continuation de l'étude déjeuner, intervalle lecture instructive et édifiante, angélus repos facultatif lecture spirituelle, vêpres, intervalle, correspondance chemin de croix, complies matines et laudes dîner, intervalle troisième chapelet, litanies, angélus coucher Notre Révérend Père a pu commencer à dire la messe dans la salle à manger le lundi, et nous l'avons eue tous les jours aussi, et tous les jours tous ont fait la sainte Communion. On ne sonnait pas à l'élévation pour ne pas réveiller les passagers des cabines, mais plusieurs d'entre eux tiraient leurs rideaux et y assistaient. Le lundi 20, la mer se fâcha un peu, nous jeta de l'eau dans les jambes et quelquefois sur la tête, à tribord, nous obligeant à tout saisir pour que le centre de gravité ne fut pas déplacé et ne fit pas culbuter la pauvre humanité; tous n'y arrivaient pas et, plusieurs après une douche d'eau salée, allaient encore se prosterner au milieu du pont qui semblait être devenu notre chapitre; et, voyez comme on est méchant: les pauvres victimes n'excitaient que le rire des spectateurs. Ce jour-là, le maître-queux comme on disait autrefois, maître d'hôtel aujourd'hui, se vit repasser tous ses plats intacts. Quelques-uns même poussèrent la générosité jusqu'à faire aux poissons une aumône qu'ils n'avaient pas reçue. Deux des nôtres seuls ne furent pas éprouvés: le Révérend Père et le Frère Sérapion. Les plus éprouvés furent F. Marie-Joseph et F. Galgan. Le mardi, la mer se calma et le soir nous chantâmes, à 8 heures du soir, sous un beau ciel étoilé, un magnifique « Ave Maris Stella » et le « Magnificat », au grand contentement des passagers. Le vendredi, nous eûmes de forts grains et on fut obligé de lier les assiettes et les verres; peu de convives à table et beaucoup de bouches ouvertes au-dessus du bastingage. Le samedi, temps superbe. Alexandrie nous apparaît de loin avec ses phares et son immense circuit sur les rivages de la Méditerranée; un pilote monte à bord et nous conduit au port d'abordage où le roulis cesse. Le lendemain matin dimanche, à 5 heures, on entend du bord la belle sonnerie de l'église Sainte Catherine qui chante l'Angélus et domine tous les bruits de cette immense cité musulmane. Oh que c'est beau cet appel des coeurs à Marie sur les rivages turcs. Auxilium christianorum, ora semper pro nobis. Je dois ajouter que nous avons pu faire tous nos exercices communs, indiqués par notre règlement, en toute liberté, sur le pont du navire; je le dis pour nos Frères qui doivent nous arriver et qui, en ayant soin de choisir leur moment et en évitant toute occasion de froissement, pourront comme nous vaquer en commun à tous leurs exercices et sanctifier leur journée. Je m'arrête, mon très Révérend Père, car chargé par notre Révérend Père Cléophas de vous faire le récit de notre petite odyssée, je veux cependant lui laisser place, pour qu'au milieu de ses occupations, il vous donne quelques lignes plus autorisées et plus officielles. Donnez votre bénédiction au pauvre secrétaire et veuillez lui conserver une place dans vos affections. f. Laurent. Le mardi 28 octobre, nos voyageurs rembarquent sur le « Faber » pour la dernière étape de leur voyage: Alexandrie-Jaffa. Enfin, le 31, on arrive en vue de la Terre Sainte et bientôt on entre dans le port de Jaffa. 21 Après les formalités de la douane, on charge aussitôt les bagages sur deux voitures de louage, Pères et Frères s'installent tant bien que mal au milieu des caisses et des malles et on prend le chemin d'El-Athroun. Le trajet de 30 kilomètres fut long et laborieux. Aux montées qui précèdent le village de Qoubab et aux environs immédiats du monastère, il fallu venir en aide aux chevaux à bout de souffle. On arriva finalement au terme du voyage. Mais déjà, une déception attendait les fondateurs: les aménagements que l'entrepreneur devait faire aux bâtiments pendant l'absence du Père Cléophas étaient loin d'être achevés. Le Père Estrate67, offrit aux Pères et Frères de loger jusqu'à la fin des travaux à Amouas, dans l'ermitage qu'avait occupé l'abbé Viallet68. La place était mesurée, mais chacun s'accommoda du mieux qu'il put du gîte que lui offrait la divine Providence. Après quelques jours de repos à Amouas, tout le monde se mit à l'oeuvre pour achever les aménagements de l'hôtel Batato. Du 14 au 22 novembre, il y eut un intermède, et la petite Communauté alla visiter les Lieux Saints de Jérusalem et de Bethléem. Dom Laurent Lainé nous a laissé le récit de ce premier pèlerinage69 : Amouas, le 28 novembre 1890. Très Révérend Père, Chargé par le Révérend Père de vous donner la suite de notre voyage, je suis embarrassé, car je ne me rappelle plus si je vous ai écrit de Jaffa ou d'Amouas, ou même d'Alexandrie. Quoiqu'il en soit, partis d'Amouas le vendredi 14, vers midi, nous sommes arrivés à Jérusalem à 5 heures du soir et immédiatement nous sommes allés au Saint-Sépulcre faire une première visite. De là, nous sommes allés prendre l'hospitalité pour 8 jours à NotreDame de France, établissement destiné à recevoir les pèlerins français. Le samedi matin, nous sommes allés dire la messe et communier à Sainte-Anne, occupée par les Pères Blancs de Mgr Lavigerie; c'est là qu'a été conçue sans tache la Très Sainte Vierge Marie, c'est là que demeuraient Sainte Anne et Saint Joachim. Le soir, nous nous sommes rendus au Patriarcat latin où le Vicaire nous a reçus de la façon la plus honnête. Le soir, nous visitâmes en détail le Saint-Sépulcre. Le dimanche matin, les messes furent dites, l'une à l'autel du Stabat, l'autre à l'autel du Crucifiement. Lundi, messes et communions au tombeau de Saint Etienne chez les Pères Dominicains français70. Le soir, visite au tombeau de la Sainte Vierge et à la grotte de Gethsémani71, et nous sommes allés passer la nuit au Saint-Sépulcre; nous avons eu la consolation immense de célébrer nos messes sur le Saint Sépulcre même. Le soir, nous prenons le chemin de Bethléem où il nous est donné, le lendemain, de pouvoir célébrer la messe à la Crèche. 67 Cf. Chapitre III, p. 12. La communauté comprenait le 1er groupe moins deux frères (F. Thomas Mignot, F. Pierre Christen) qui arriveront la veille (11 décembre) de l’arrivée du second groupe (12 décembre) : (P. Cléophas Viallet, Dom Laurent Laîné, F. Gabriel Bernigaud, F. Maurice Bénistant, F. Marie-Joseph Delamasure, F. Hilarion Malmazet, F. Sérapion Swinkels, F. Galgan Holthuis, F. Macaire Vial). Les neuf membres de cette première communauté restèrent dans l’ancien ermitage du P. Cléophas jusqu’au 14 novembre à midi. Ils partirent alors pour Jérusalem. 69 Lettre de Dom Laurent Lainé du 28 novembre 1890, Archives de Sept-Fons. 70 HAMME Liévin de, Guide-Indicateur des Sancruaires et lieux historiques de la Terre Sainte, Jérusalem, Seconde partie, 1887. p. 455 parle encore des ruines d'une ancienne chapelle. 71 Pour l'historique du lieu, cf. Vincent H. et Abel F.-M., Jérusalem, recherche de topographie,.. .d'archéologie et d'histoire, tome II, Jérusalem nouvelle; ch. XIII, les sanctuaires primitifs du Mont des Oliviers, p. 328. L'état en 1891 est décrit dans le Guide-indicateur, éd. cit., p. 328. 68 22 Le jeudi, nous escaladons le Mont des Oliviers et célébrons la sainte messe à l'Ascension72, et de là, à Bethphagé et à Béthanie. Vendredi, messes à l'Ecce homo73. Vers 3 heures, nous nous sommes joints au groupe qui faisait le chemin de la Croix et parcourûmes avec lui toutes les stations dans les rues de la ville. Une pensée qui ne devait guère trouver place dans mon cerveau en cette si solennelle action, me harcelait contre mon gré. La première station, condamnation de Notre-Seigneur, se trouve au milieu de la cour de la caserne turque74. Tout le groupe, religieux, hommes, femmes, se met tranquillement à genoux, baise la terre, récite les prières, et pas une parole, pas un rire de la part d'une centaine de soldats turcs qui se trouvaient là. Je me disais si on faisait cela dans la cour de la caserne du Prince Eugène à Paris ! Pauvre France ! Pauvre France ! Samedi matin, messe à Saint-Sauveur et retour à Amouas, Je m'arrête ici. Le Révérend Père se réserve le reste. Nous soupirons après l'arrivée de nos Frères retardataires. Aucun religieux de Sept-Fons n'a été oublié à Jérusalem et à Bethléem. Votre meilleure bénédiction. f. Laurent. V- EN TERRE SAINTE Comme on peut le lire, les frères logèrent huit jours à l’hôtellerie de Notre-Dame de France des Pères Assomptionnistes dont la construction n'était pas encore achevée. Il était bien difficile et même impossible d’installer la petite communauté dans ce qui n’était encore qu’un hôtel. Les Communautés religieuses de Jérusalem et des environs firent un bon accueil aux arrivants. Au Patriarcat, Mgr Poyet75 fut très heureux de l’arrivée des Trappistes en Terre Sainte. De retour à Amouas, on se remit avec ardeur aux aménagements, et bientôt les travaux les plus urgents furent terminés. On allait pouvoir enfin s'installer et occuper le monastère. Les formalités du contrat de propriété étant en bonne voie le 20 novembre, le Père Cléophas écrit à Dom Sébastien : Vous avez dû recevoir la dépêche annonçant la signature du contrat de vente qui pour le moment est déguisé pour le public en un contrat de location, jusqu’à ce qu’on ait pu acheter tous les terrains compris dans le contrat de vente sous-seing privé et qui n’appartiennent pas encore au vendeur. Alors seulement le contrat privé sera remplacé par un contrat public devant le gouvernement turc. Cela ne nous empêchera pas de nous installer mardi prochain dans l’hôtel et ses dépendances et de commencer l’exploitation agricole des terrains déjà acquis76. 72 Le Guide-indicateur, éd. cit., p. 348, précise bien que l'on pouvait, moyennant un bakchiche célébrer la messe en ce lieu qui appartient aux musulmans. 73 L'église et le couvent fondés par le P. Ratisbonne sont achevés depuis 1868. Cf., Guide-indicateur, éd. cit., p. 176. 74 Guide-indicateur, éd. cit., p. 182, L'emplacement du Prétoire de Pilate et du Lithostrotos est devenu en grande partie la cour actuelle de la caserne turque. Outre le Prétoire et le Lithostrotos, cette caserne renferme encore le lieu ou N.-S. fut couronné d'épines. (Photo 09) 75 Mgr Poyet avait accueilli les Trappistes à leur arrivée à Jaffa. Jusqu'à la fin de sa vie, il entretint d'excellentes relations avec eux. À sa mort, il légua au monastère de Latroun sa bibliothèque. On peut trouver dans la Bibliothèque du monastère de nombreux ouvrages portant la marque : Ex Libris, L.–V. Poyet, Protonotari Apostolici. On remarque en particulier un ouvrage du P. Marie-Joseph de GERAMB qui fut Abbé et Procureur Général de la Trappe : Pèlerinage à Jérusalem et au Mont Sinaï. Mgr Poyet a inscrit de sa plume la dédicace suivante : Souvenir de l’arrivée à Jaffa, le 31 oct. 1890, des premiers trappistes de Sept—Fons, avec leur R. P. Prieur, Dom Marie Cléophas, Jérusalem le 31 oct. 1890. 76 Lettre du P. Cléophas à Dom Sébastien du 20 novembre1890, Archives de Sept-Fons. 23 Un billet récapitulant les dépenses accompagnait la lettre de P. Cléophas77 : Contrat sous-seing privé : 500 hectares et trois maisons : hôtel des Machabés, le caravansérail arabe et la maison neuve au dessous des ruines moyennant 160.000 francs dont 100.000 versés (créance du Carmel et argent) et 60.000 à verser le jour de la signature du contrat public. Nous pouvons lire en note : Dépenses payées 22.000 francs de constructions déjà commencées (la chapelle etc...) les dépenses peuvent être portées à 27 ou 30.000 francs. Payer également : 40.000 francs pour frais de voyage et de transport (religieux et matériel), frais de douanes, achat de matériel, installation et dépenses de nourriture jusqu'à l'automne. Il reste donc toujours à trouver jusqu'à l'automne une centaine de mille francs (60.000 d'achat de propriété et 40.000 francs pour matériel agricole, bestiaux et nourriture du tout.) Concourront à ces dépenses nouvelles : le gouvernement français, la propagation de la foi et la charité des fidèles... Ce document que le P. Cléophas joint à sa lettre du 20 novembre 1890 nous donne bon nombre de renseignements sur l’achat de la propriété, sur les conditions financières des fondateurs et sur les dépenses engagées. Si l’on se base sur les équivalences de monnaies données par Mme Elizabeth Antébi dans son ouvrage consacré au Baron de Rothschild78, 346 000 francs de l’époque correspondent à environ 1.000.000 $ d’aujourd’hui. On peut donc estimer l’achat de la propriété à environ 460.000 $.79 Mais l’on doit constater que sur cette somme très importante pour l’époque, rien n’est encore payé par la maison fondatrice. 100.000 F (287.000 $) sont pris en charge par le Carmel de Bethléem et 60.000 F (173.000 $) restent à payer le jour de la signature définitive. On apprend aussi que des travaux importants ont été commencés, en particulier la chapelle, le tout a été payé 30.000 F auquel doit s’ajouter un ensemble de frais généraux atteignant déjà la somme de 40.000 F. Ce qui donne un total de 70.000 F. soit 200.000 $ d’aujourd’hui. Il faut bien dire que cette dernière somme semble assez disproportionnée par rapport à l’achat des terrains. Dix jours plus tard, le P. Cléophas écrit précipitamment à Dom Sébastien. Cette seconde lettre fait mention d'un différend avec Mgr Delannoy, évêque d’Aire80. L’évêque d’Aire, pour un temps à Sept-Fons, avait donné de mauvais renseignements sur la propriété d’El-Athroun qui, à son avis, ne correspondait pas aux besoins réels d’une communauté monastique. On verra plus loin combien les premiers temps y furent en effet difficiles. Il est bien possible que ces rumeurs soient la cause de la réticence des Comités du Nord à financer la nouvelle fondation. Du moins c’est ce que pensait le P. Cléophas. Dans une seconde partie du document, le P. Cléophas va rectifier les jugements portés sur la propriété en rapportant l’avis d’un excellent connaisseur tant des terrains que des vignes : Gérard Ermens, le directeur de la colonie Rothschild : Rishon-Le-Zion, située à quelques kilomètres de la propriété d'El-Athroun. 77 Document accompagnant la lettre du P. Cléophas du 20 novembre 1890, Archives de Sept-Fons. ANTEBI E., Edmond de Rothschild, l’homme qui racheta la Terre sainte, Ed. du Rocher, 2003. cf. p. 185. 79 Soit environ 383.000 € ou 2,51 millions de F. 80 Mgr Delannoy, né à Templeuve, dans le Nord, précédemment évêque de l'Ile Bourbon à La Réunion connu un long épiscopat à Aire de1876 à 1905. Grand ami de Dom Sébastien, il était venu à Sept-Fons et était resté du 28 au 30 octobre. Souffrant, il avait dû revenir pour se reposer du 11 au 25 novembre. C'est le 28 que le 2 ème groupe avait quitté Sept-Fons avec le P. Benoît-Joseph. Cf. Abbaye de Sept-Fons, Ephémérides... 78 24 Le 1er décembre 1890, Mon Révérendissime et bien cher Père, Je profite du passage d'une occasion pour ajouter quelques mots à ma lettre d'hier. Ils vous arriveront probablement par la valise consulaire? ne soyez donc pas étonné d'y voir le timbre de Paris. Je regrette les paroles de l'excellent évêque d'Aire au sujet des témoins, pour deux raisons : 1) Parce que je suis toujours péniblement affecté de voir un évêque, et surtout un évêque aussi sympathique que Mgr Delannoy, émettre une opinion inexacte du tout au tout. 2) Parce que cette opinion dont j'ai trouvé un écho dans votre lettre et celle de P. Benoît-Joseph, en a trouvé probablement ailleurs et sera venue au travers des efforts de M. de Caulaincourt au congrès de Lille, efforts qui n'auraient peut-être pas produit un résultat merveilleux mais... (?) St. Joseph est bien puissant, nous l'invoquons bien tous les jours; il aurait donc très bien pu faire un miracle à Lille. Dans tous les cas, il y a là un tort très probable, sinon absolument certain, que Mgr d'Aire a fait à la fondation, et qu'il est tenu de réparer au plus tôt. N'auriez-vous pas une occasion favorable de bien faire connaître le cas? Oui, merci. Et maintenant je puis vous dire que j'ai vu le directeur agricole de la colonie de Rothschild, notre voisine (à 4 heures de marche), c'est un ancien officier de chasseurs d'Afrique, ancien élève de l'école d'agriculture, etc...81 Il estime nos terrains excellents et regrette que le Baron ait reculé devant leur achat, à cause de la proximité de la grande route, continuellement sillonnée d'arabes qui n'aiment pas les juifs, et aussi parce que cela aurait attiré l'attention,; cependant, il n'avait pas encore complètement renoncé et attendait une occasion favorable. Il s'étendait beaucoup (le directeur agricole) sur la variété de cultures que permettait la situation exceptionnelle du terrain, à cause des mouvements du sol, variant l'exposition de la manière la plus heureuse, etc... Il est convaincu, lui aussi, qu'il n'y a qu'à creuser n'importe où pour trouver de l'eau. Il s'agit seulement de bien choisir pour avoir à creuser le moins possible et pouvoir arroser facilement. Il nous donnera, ainsi que le caviste82 (un Bordelais) attaché à la colonie, tous les renseignements et tous les plants qui ont très bien réussi chez eux, et qui réussiront encore mieux chez nous, parce qu'eux n'ont que du sable qu'ils sont obligés de traiter à grand renfort de fumier. Cette année-ci, ils ont fait 1.200 hectolitres de vin, avec des vignes dont la majeure partie a trois et quatre ans et les plus vieilles six ans. Ce vin est excellent; ils peuvent même imiter avec lui le Porto et le Malaga, etc... L'opinion que le terrain est excellent est partagée par tout le monde ici, sans compter les FF. Hilaire et Macaire qui ont déjà commencé le jardin en défonçant avec une ardeur centuplée par la vue de la terre grasse et noire qu'ils remuent depuis huit jours plus profondément qu'elle ne l'a jamais été, etc... Gérard Ermens était ancien élève de l’Ecole d'horticulture de Versailles. Il succédait à Justin Dugourd choisi par Netter qui lui aussi sortait de l'école de Versailles. G. Ermens avait travaillé au Sénégal avec le général Faidherbe dans le but d'aclimater des plantes venues d'Algérie puis au Caire où il avait créé les jardins de l’Ezbekhieh. C’est lui qui avait introduit les cépages français au Cachemire. Engagé par le baron de Rothschild en 1887 il avait fait venir du Cachemire les premières boutures de cépages, pour éviter la contagion du phylloxéra français. Cf. ANTEBI E., Edmond de Rothschild..., p.201-202. On trouvera un article de G. Ermens dans La Nature. Revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie., Volume 1881, p. 328-530, La vallée du Kashmyr et les jardins maraichers flottants du lac de Srinagar. 82 Le maître de chais de Rishon-Le-Zion était en effet Dupuis, un Bordelais. Tout le matériel, des tonneaux au pressoir, était importé de France. En 1890 avait commencé la véritable installation des caves de Rishon construites par un ingénieur des Ponts et Chaussées, Adolphe Starkmeth. Cf. ANTEBI E., ibid., p. 247. 81 25 J'espère pouvoir procéder à l'installation de la communauté le 8 décembre: l'Immaculée Conception; qu'en pensez-vous? Est-ce assez de bonheur...Mais nous la prierons bien. Fiât, fiât... Que votre meilleure bénédiction m'apporte toujours la grâce de Jésus Crucifié, au plus humble et au plus aimant de vos fils. f. Marie-Cléophas 1) Ergo le f. Théodule... le frère Théodule... Encore une fois merci... N.B.- Il y aurait opportunité à pousser en avant M. de Burgnon ou tout autre. J'ai appris hier qu'il n'y aurait rien d'étonnant à ce que tous les terrains fussent achetés et par conséquent le contrat public fait dans deux ou trois mois... Cela me parait bien court... Mais si par cas c’était vrai. Cette première collaboration avec la colonie juive est importante pour la suite de l’histoire de la fondation. On constatera qu’il ne s’agissait là que d’un commencement et que le succès du vignoble de Latroun n’est pas étranger au travail des pionniers des colonies du baron de Rothschild. On se souvient que les travaux d’aménagement du monastère avaient repris le 22 novembre. Comme l’avait prévu le P. Cléophas, le 8 décembre 1890, la communauté prend possession du monastère. Le Père Cléophas décrit lui-même à Dom Sébastien Wyart la cérémonie de la fondation et de l'installation: Jaffa, 9 décembre 1890, Mon Révérendissime et bien cher Père, Comme je vous l'annonçais dans ma dernière lettre, nous avons eu le bonheur de pouvoir faire notre installation solennelle à l'hôtel d'El-Athroun pour la belle fête de notre grande et chère Patronne et Protectrice éclatante. Avant-hier, nous avons dit la messe de Communauté à l'ermitage et, après le repas, nous avons transporté le Très Saint-Sacrement à El-Athroun où tout était prêt pour le recevoir aussi convenablement que le permet notre pauvreté. La procession était modeste : les religieux de choeur précédaient sur un rang, portant les vases sacrés dans leurs étuis, ils étaient en tenue de travail, je les suivais, portant Notre-Seigneur contre ma poitrine qui battait bien fort et, pour la première fois en Terre Sainte, j'avais revêtu coule et chaperon. Nos bons Frères suivaient, portant eux aussi des objets destinés au culte. Nous avons déposé le Saint-Sacrement dans le tabernacle, puis tout le monde a revêtu coule et chaperon et nous avons récité solennellement les 1ères Vêpres de la fête. Elles ont été suivies de la bénédiction solennelle du Très Saint-Sacrement, puis nous avons achevé l'installation du dortoir et du réfectoire, qui du reste était déjà fort avancée. Il ne restait qu'à placer traversins et couvertures et à placer le repas sur les tables. Dimanche étant jour de deux repas, ce repas du soir se composait d'une salade de pommes de terre, de cresson et d'oignons avec un dessert d'olives préparées à la maison et excellentes. Après cela, le Bon Dieu a bien voulu arroser largement notre fondation pour la faire mieux germer et il a continué pendant la nuit. Le lendemain à 2 heures, matines dans la nouvelle chapelle, etc... A prime, chapitre et allocution d'installation sur la fête du jour, avec force reconnaissance à Notre-Seigneur pour son divin Coeur, à Notre-Dame Immaculée et à Saint Joseph pour tant de bienfaits, y compris la pluie qui avait cessé le matin et qui n'est revenue qu'après la grand messe. Immédiatement après le dîner, à midi, je reçois une voiture de Jaffa avec une dépêche m'annonçant pour le soir l'arrivée de deux Trappistes par « le Faber. » Je pars 26 immédiatement sur la voiture de l'excellent aumônier de l'hôpital de Jaffa par un temps de grand orage qui a empêché tous les bateaux de débarquer; hier soir, avec émotion, j'ai eu la douleur de voir « le Faber » montrer le bout de son nez au large, et reprendre aussitôt la route de Haïpha et Beyrouth83, emportant nos chers enfants qui ne pourront pas être ici avant vendredi, et encore, dans le cas où la mer viendrait à se calmer, ce qui est du reste probable. Ce chiffre de deux m'a d'abord étonné, mais j'ai ensuite supposé que les six autres arriveraient lundi prochain par les Messageries parties le 6 décembre de Marseille; du reste, tout est prêt pour les recevoir et le plus tôt sera le mieux pour notre impatience, car impatience il y a chez tous, je l'avoue en toute sincérité et je ne puis m'empêcher de la partager. Dans quelques instants, je repars pour le monastère et je vous griffonne à la hâte ces quelques lignes avant de monter en voiture. Les santés sont excellentes, j'ai presque envie de dire inquiétantes, car je suis obligé d'augmenter de 6 ou 9 kilos par semaine la quantité de pain; mais j'en suis enchanté et demande tous les jours au Bon Dieu la continuation de cet excellent état. L'installation a entraîné quelques accrocs au silence, mais on a énormément travaillé en revanche et la piété ne laisse rien à désirer. Vive à jamais le Sacré-Coeur, Notre-Dame, Saint Joseph, et toujours en avant pour Dieu et aussi pour la France. Votre meilleure bénédiction aux plus aimants de vos fils. f. Marie Cléophas. PS- F. Sérapion a eu pendant quelques jours le sang à la tête; je ne savais pas qu'il y était sujet et cela m'a d'abord inquiété; sous un autre rapport, quand j'ai su ce qu'il en était, je n'ai pas voulu le faire saigner; je me suis contenté de lui faire prendre un bain carabiné et très chaud de sel et de cendres et, grâce à Notre-Dame, le remède a réussi et la crise était entièrement finie pour l'installation. Les deux religieux auxquels fait allusion le Père Cléophas dans cette lettre, étaient F. Thomas Mignot et F. Pierre Christen, tous deux convers, partis faire leurs adieux à leurs familles. Ils avaient manqué le départ à Marseille et avaient dû attendre un prochain bateau. Ils arrivèrent le 11 décembre à Latroun et les six religieux du deuxième groupe rejoignirent leurs frères le lendemain 12. Tout le monde était donc réuni. Mais faute de place, les derniers arrivés allèrent pérégriner à Jérusalem et attendirent à Notre-Dame de France l'achèvement des travaux. Ils revinrent à Latroun un peu avant Noël. En ce jour de fête, Père Cléophas proclama solennellement au Chapitre que la vie régulière était inaugurée. Elle devait se continuer jusqu'en 1915, date d'expulsion de la Communauté par les Turcs. 83 Il s’agissait d’un phénomène habituel causé par le très mauvais état du port. On en trouve une description dans l’ouvrage du R. P. de Damas, En Orient **, Voyage en Judée, Paris, 1885, p. 19, p. 22. « Ses maisons blanches gracieusement étagées, les minarets de ses mosquées, des palmiers heureusement disséminés parmi ses constructions, sa base de rochers abrupts qui brise les flots, forment un ensemble agréable à l'œil du voyageur stationnant en pleine mer. Mais lorsqu’on s'en approche, le spectacle change. Le port à demi ensablé est un étroit bassin de douze à quinze mètres de largeur, capable d'abriter seulement quelques barques et de grandes felouques, et des récifs en défendent l'accès.... A cette époque, je ne voyais pas sans inquiétude la mer déferler violemment sur la plage, car souvent elle est trop mauvaise pour permettre au navire de stopper devant la ville. Alors le bateau passe rapide, il entraîne impitoyablement le malheureux voyageur que ses affaires appelaient à Jaffa, et semble narguer le pèlerin qui croyait partir ce jour-là et se voit forcé d'attendre quinze fois vingt-quatre heures un nouveau bateau et aussi le caprice favorable de la mer. » (Photo 10) 27 La communauté de Latroun était née. On se souvient que la lettre du P. Cléophas à Dom Sébastien Wyart était datée du 19 janvier 189084. Une année ne s’était donc pas écoulée entre la rédaction du projet et sa réalisation. Cela pose la question du rôle exact du P. Cléophas dans la création de la fondation. Il ne faut pas cependant accorder trop d’importance à cette question qui semble avoir davantage préoccupé les historiens de Latroun qui nous ont précédés. Dans l’ensemble de ce que l’on peut lire dans les textes archivés, il se dégage une gêne à reconnaître un rôle fondateur à un homme qui n’appartenait pas à l’Ordre. Un conférencier anonyme de l’Abbaye de Sept-Fons va même jusqu’à écrire en août 1946 : « L’ermite (P. Cléophas) va tenir tout le devant de la scène au moment de la fondation d’El-Athroun. On ne verra que lui, bien que son rôle se réduisait à peu de chose. Pour les esprits superficiels il est le fondateur du monastère, en réalité il n’a fait qu’amorcer les négociations pour l’achat du terrain et accompagner les premiers religieux. 85» Plusieurs brochures présentant l’Abbaye de Latroun ne font d’ailleurs aucune mention du P. Cléophas mais attribuent la fondation plutôt à Monsieur de Caulaincourt et aux Comités du Nord86. Il faut dire en premier lieu que la fondation de Latroun s’insère dans un vaste courant historique celui de l’expansion missionnaire de l’Eglise Catholique à la fin du XIX e siècle87. A cela il faut ajouter que, dans le cas des lieux saints, l’élan missionnaire se double d’une politique étrangère des états européens visant à déstabiliser l’empire Ottoman. C’est dans ce cadre qu’apparaît le Patriarcat latin en 1847 et que les ordres religieux affluent en Terre Sainte. C’est en 1880 que Mgr Poyet, prêtre du Patriarcat de Jérusalem fait une première démarche auprès de l’Abbé de Sept-Fons Dom Jean de Durat, en faveur d’une fondation en Terre Sainte. Ce sera seulement en 1888 que Dom Sébastien Wyart prendra la décision de transférer le monastère de Nouvelle-Calédonie en Palestine. L’affaire est alors entre les mains de Dom Ambroise Janny et le projet avorte faute d’une aide financière des Comités Catholiques du Nord. Alors que les Trappistes quittent la Nouvelle Calédonie, ils ne savent où aller et l’essai en Australie décidé de justesse ne sera guère plus subventionné. En septembre 1889 le projet de Palestine semble définitivement abandonné faute de capitaux et de personnel. C’est alors qu’intervient l’Abbé Viallet. Loin d’être un élément accidentel, il sera le véritable fondateur de Latroun avec Dom Sébastien Wyart. Il faut bien dire qu’il a une meilleure connaissance du terrain et bien plus de détermination que Dom Ambroise Janny. Il est fermement convaincu de l’authenticité d’Emmaüs Nicopolis et de la nécessité d’une communauté de prière en ce lieu. Il ne s’agit donc plus d’une simple fondation en Terre Sainte mais d’un objectif bien plus ciblé : Emmaüs Nicopolis où le P. Cléophas avait déjà son ermitage. Le point déterminant fut que le Carmel de Bethléem était propriétaire et qu’il consentit un prêt financier de plus de 62 % sur une somme très importante à l’époque. Ni Sept- Fons, ni les Comités du Nord de Monsieur de Caulaincourt, n’étaient de toute façon en 84 Cf. chapitre III, p.11. Notre-Dame de Sept-Fons en Terre-Sainte, Conférence donnée en août 1946, document dactylographié avec des annotations de Dom Paul Couvreur. 18 p. Archives de Sept-Fons. 86 DELANNOY Charles, La Trappe d’El-Athroun (Palestine), 8 p., Imp. Feron-Vrau, 1912, p. 3. Paris. « On se mit donc à l’oeuvre sans retard, et un Comité composé des catholiques les plus éminents de France, fut formé, sous la présidence du Comte de Caulaincourt, pour aider les débuts et subvenir aux premières dépenses. L’Abbaye de Sept-Fons eut l’honneur et la charge d’organiser la fondation et de fournir le personnel appelé à devenir le noyau de la communauté naissante.... Les religieux qui le composé (le monastère) étaient tous des hommes de coeur, jeunes encore pour la plupart... » (Charles Delannoy était le pseudonyme de Dom Paul Couvreur.) 87 Cf. Chapitre II. 85 28 mesure d’acquérir du terrain en Terre Sainte en ces temps où les prix grimpaient de jour en jour. Il suffit pour s’en convaincre de revenir à l’ouvrage d’Elizabeth Antéby pour voir les sommes engagées par le baron de Rothschild à la même époque pour établir les colonies juives. On sait combien l’emplacement d’un monastère est important dans la tradition monastique. Emmaüs était un haut lieu de la spiritualité chrétienne et le choix était excellent. Dès sa lettre à Dom Sébastien, le Père Cléophas insistait longuement sur l’authenticité d’Emmaüs-Nicopolis88. Malheureusement pour le P. Cléophas, cette authenticité était plus que contestée à l’époque. En soulevant cette question, l’Abbé Viallet ne savait pas qu’il allait devoir affronter les franciscains tout puissants en Terre Sainte qui eux défendaient avec acharnement un autre Emmaüs celui de Qobèbeh89. Or il se trouvait que le nouveau Patriarche de Jérusalem Mgr Piavi était précisément franciscain. 88 89 Cf. chapitre III, p. 17. Le Guide-Indicateur, éd. cit., p. 251-256. 29