Gestes locaux en pathologie sportive

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Gestes locaux en pathologie sportive
Revue du Rhumatisme 74 (2007) 602–607
http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Gestes locaux en pathologie sportive : anesthésiques, glucocorticoïdes
Local injection procedures in sports injury: anaesthetics, corticosteroids
Virginie Legréa,*, Thierry Boyerb, Olivier Fichezc
b
a
Service de rhumatologie, hôpital La Conception, 13005 Marseille, France
Service de rhumatologie, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France
c
Le Saint-Louis, place Pierre-Coullet, 83700 Saint-Raphaël, France
Reçu le 23 décembre 2006 ; accepté le 13 mars 2007
Disponible sur internet le 19 avril 2007
Mots clés : Infiltration corticoïdes ; Anesthésiques locaux ; Sports
Keywords: Injection corticosteroid; Local anaesthetic; Sports
1. Introduction
Les « infiltrations » ou injections locales de produits actifs
en intra-articulaire, périarticulaire ou péritendineux sont de pratique courante en thérapeutique rhumatologique et sportive.
Elles sont particulièrement réclamées en milieu sportif, motivées par un désir de soulagement rapide pour une reprise précoce de l’entraînement et de la compétition. Les corticoïdes, les
plus fréquemment et les plus anciennement utilisés, sont toutefois discutés dans la pathologie mécanique arthrosique et tendineuse. Les anesthésiques locaux sont parfois injectés localement sur un site douloureux pour pouvoir participer à une
compétition. Depuis quelques années, les injections d’acide
hyaluronique connaissent un succès important dans la pathologie articulaire cartilagineuse. Il n’y a cependant, aucune étude
contrôlée dans le domaine du sport, probablement en raison de
la difficulté d’appliquer une randomisation à des athlètes de
haut niveau, et de les cantonner à une seule thérapeutique.
2. Spécificités du sportif
L’extrapolation des indications et résultats des injections
obtenus dans la pathologie inflammatoire ou arthrosique au
milieu sportif doit être prudente, et tenir compte des spécifici* Auteur
correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (V. Legré).
1169-8330/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.rhum.2007.03.004
tés du traitement des athlètes : indications soumises à la précocité des lésions et de la demande de prise en charge, fréquence
des injections chez un même athlète, surmenage et traumatismes des tendons et articulations, difficulté d’obtenir un repos
après injection, pression exercée par l’entourage sportif, restriction d’utilisation des corticoïdes en compétition.
2.1. Indications des gestes articulaires : arthrose,
chondropathies
L’indication classique des infiltrations articulaires repose
sur une définition radiologique de l’arthrose, basée sur le pincement articulaire et la présence d’ostéophytes, ne reflétant que
tardivement la dégradation cartilagineuse qui a débuté longtemps auparavant. Or, c’est dans le milieu sportif que l’on est
le plus souvent amené à traiter précocement des arthralgies à
radiographies standard normales, attribuées à une chondropathie, après avoir éliminé toute autre lésion. Une question délicate se pose d’emblée : peut-on assimiler la chondropathie du
sportif à un état préarthrosique ou une arthrose et la traiter
comme telle avec des infiltrations de médicaments ou dispositifs qui ne sont autorisés que dans l’arthrose ? La plupart des
auteurs estiment que chez les patients symptomatiques, la mise
en évidence de lésions macroscopiques du cartilage devrait les
faire considérer comme des arthroses débutantes [1]. Cependant, seules des études longitudinales permettront de déterminer celles qui évolueront vers des arthroses avérées.
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En pratique : en l’absence de traitement codifié des douleurs articulaires chez les sportifs, force est d’extrapoler la
conduite des infiltrations locales dans les indications arthrosiques, à la pratique en milieu sportif. La mise en évidence de la
chondropathie est cependant nécessaire avant d’attaquer le traitement spécifique (arthroscanner, IRM encore peu fiable,
découverte arthroscopique). Les indications des gestes locaux
restent limitées aux articulations symptomatiques, et il n’y a
actuellement pas de place pour les gestes locaux dits préventifs
de l’arthrose (en particulier les injections d’acide hyaluronique). Il convient, même si la demande est pressante, de respecter la hiérarchie des traitements préalables aux infiltrations,
c’est-à-dire les traitements non pharmacologiques (repos sportif
en poussée, rééducation…), et pharmacologiques (antalgiques,
AINS).
Un diagnostic précis de l’origine des douleurs articulaires
est particulièrement important en pratique sportive, afin de ne
pas méconnaître d’autres pathologies (arthrite ou enthésopathie
rhumatismale inaugurale, fracture de fatigue…), et de ne pas
nuire au patient ou masquer une pathologie évolutive en pratiquant prématurément et intempestivement une infiltration
locale.
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3. Techniques des injections articulaires et péritendineuses
3.1. Information et consentement éclairé des patients
Conformément à la loi du 29 juillet 1999, une information
pertinente et personnalisée, comportant les effets secondaires et
les complications possibles, doit être délivrée au patient afin
d’obtenir son consentement. Malgré les difficultés d’application en milieu sportif, du fait de situations nécessitant des traitements rapides, cette consigne, devrait être respectée, car les
exigences des divers partenaires envers le médecin sont importantes. Des documents standard concernant les injections cortisoniques sont proposés par la Société française de rhumatologie, en complément des explications orales [3]. Quand cela est
possible, il est préférable de laisser un temps de réflexion de
quelques jours au patient.
3.2. Modalités des injections
3.2.1. Asepsie
Les infiltrations doivent être faites dans de bonnes conditions d’asepsie, avec des modalités bien définies [3], qui sont
applicables quel que soit le produit injecté. Les injections « au
vestiaire » doivent être évitées.
2.2. Législation antidopage
Dans le sport de haut niveau, l’utilisation de substances susceptibles d’améliorer les performances du sportif, de présenter
un risque pour sa santé, ou contraires à l’esprit sportif, est
interdite par le code de l’Agence mondiale antidopage AMA
(article 4–3–1). Parmi les substances interdites, figurent les
glucocorticoïdes, par voie systémique (orale, rectale, parentérale) ou locale (autre que dermatologique) en compétition.
Les corticoïdes en topique sont autorisés, ainsi que les anesthésiques et l’acide hyaluronique. Dans certaines conditions, si le
médecin juge que les corticoïdes sont nécessaires pour traiter
l’athlète (asthme…), une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) peut être demandée par le médecin et le sportif, au plus tard 21 jours avant la compétition, avec possibilité
d’effet rétroactif en cas de pathologie aiguë. Dans le cas d’infiltrations locales cortisoniques, une procédure allégée d’AUT est
établie, sous forme d’un imprimé confidentiel rempli par le
médecin et l’athlète, mentionnant le produit injecté, sa dose,
l’indication, et adressée à la fédération sportive internationale
concernée, ou à l’Organisation nationale antidopage. L’athlète
peut faire effectuer son infiltration dès que l’organisme a reçu
le formulaire d’AUT. Une attestation sera fournie au sportif en
prévision de contrôle antidopage. Le formulaire d’AUT allégée
est disponible sur le site www.wada-ama.org/fr.
Les corticoïdes, ainsi que certains anesthésiques, sont décelables dans les urines. Cependant, les doses et la voie d’administration ne peuvent être évaluées. Étant donné qu’il y a un
passage systémique des corticoïdes quelle que soit la voie
d’administration, y compris la voie dermique autorisée, certains utiliseraient les corticoïdes en pommade comme alibi
pour masquer une prise générale de corticoïdes [2].
3.2.2. Injections articulaires
Pour qu’une infiltration intra-articulaire ait une efficacité et
une rapidité d’action maximale, il est nécessaire que le produit
soit réellement injecté dans l’articulation et non dans les tissus
périarticulaires. En cas d’épanchement articulaire, l’injection
est souvent facile ; l’aspiration de liquide articulaire, qui sera
confié pour analyse biologique confirmant la nature mécanique
des lésions, permet de s’assurer de la bonne position de
l’aiguille. Les choses sont moins aisées en l’absence
d’hydarthrose : 30 % des infiltrations de genoux secs, réalisées
par des seniors, sont incorrectes comme l’ont montré plusieurs
travaux récents avec contrôle arthrographique [4] ou arthroscopique [5]. Cela explique au minimum la mauvaise efficacité de
certaines infiltrations (bien qu’il y ait diffusion du corticoïde),
et parfois leur mauvaise tolérance (en particulier en cas d’injection d’un viscosupplément). Rappelons par principe que l’indication logique d’une infiltration cortisonique reste la poussée
inflammatoire d’une articulation, qui comporte habituellement
une hydarthrose facilitant le geste, et que la meilleure indication d’une viscosupplémentation est une articulation sèche,
dont l’injection est plus aléatoire. Certaines infiltrations réputées délicates (hanche, épaule) sont réalisées sous contrôle
échographique ou radioscopique avec injection de produit de
contraste. Pour le genou, les infiltrations sont habituellement
faites sans ce contrôle. La meilleure voie démontrée est la
voie latéropatellaire externe, genou en extension (Fig. 1).
3.2.3. Injections bursales et péritendineuses
Elles sont cortisoniques et doivent obéir à des règles strictes :
● ne jamais injecter en intratendineux, sous peine de favoriser
une rupture tendineuse. L’injection dans un tendon sain est
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4.1.3. Quels produits ?
Plusieurs anesthésiques sont utilisables en intra- ou périarticulaire (Tableau 1) : la lidocaïne, la rovipacaïne, la mépivacaïne, la bupivacaïne. Cependant, la bupivacaine suspectée de
chondrotoxicité aussi bien in vitro qu’in vivo, ne serait pas
recommandée en intra-articulaire [6]. La lidocaïne a un effet
moins prolongé que les autres produits. Elle serait plus efficace
lorsqu’elle est réchauffée à 40 °C. Les formes adrénalinées des
anesthésiques locaux ont une durée d’action plus prolongée
(sauf la rovipacaïne), mais contiennent des sulfites allergisants.
Fig. 1. Voie latéropatellaire externe, genou en extension.
classiquement facile à éviter, puisqu’il y a une forte résistance à l’injection, qui amène à modifier la position de
l’aiguille avant d’injecter le produit actif. Cependant, dans
le cas de tendons lésés, la dilacération des fibres peut induire
en erreur en opposant moins de résistance à l’injection. Le
risque d’aggravation lésionnelle est alors réel, en particulier
avec les corticoïdes qui ont un effet atrophiant (triamcinolone). L’utilisation de l’échographie pour guider de telles
injections prend un intérêt croissant ;
● dans les infiltrations des bursites, l’asepsie doit être draconienne en raison de risques particulièrement élevés de surinfection.
4. Produits d’infiltration
4.1. Injections d’anesthésiques locaux
4.1.1. Indications
● En milieu sportif professionnel, tous les moyens d’amélioration rapide des douleurs tendinoarticulaires sont recherchés pour permettre un retour précoce à la compétition. Il
est notoire que les injections anesthésiantes articulaires ou
péritendineuses sont utilisées dans le but d’éviter les contreperformances liées à une lésion douloureuse, ou de permettre la participation à une compétition malgré une atteinte
douloureuse ostéoarticulaire ;
● par ailleurs, les tests anesthésiques fournissent une aide au
diagnostic dans certaines douleurs atypiques, en particulier
lorsque le diagnostic hésite entre une douleur d’origine articulaire et une douleur projetée d’origine neurologique
(coxopathie–cruralgie, test de Neer…).
4.1.2. Mode d’action
Les anesthésiques locaux effacent la douleur en inhibant la
perméabilité membranaire des fibres nerveuses aux ions
sodium, stoppant les potentiels d’action cellulaires des neurones nociceptifs, et réalisant un blocage local réversible de
l’influx nerveux.
4.1.4. Risques
Les anesthésiques locaux sont utilisés sans réserve, d’une
part, parce qu’ils ne sont pas interdits par la réglementation
antidopage (à l’exception de la cocaïne), d’autre part, parce
qu’ils sont jugés inoffensifs par la plupart des médecins et
des sportifs. Les effets secondaires sont très rares, en dehors
des surdosages et des injections intravasculaires accidentelles.
Ces dernières sont prévenues par une aspiration soigneuse
avant injection.
● Il n’y a quasiment pas d’effet indésirable local, et les effets
systémiques sont rares chez des sujets sportifs exempts de
pathologie cardiorespiratoire ou neurologique (troubles de
conduction, épilepsie…). Les accidents allergiques sont
exceptionnels, en dehors des formes adrénalinées qui
contiennent des sulfites ;
● en revanche, l’aggravation de lésions préexistantes est à
redouter lors d’une compétition précédée par une anesthésie
locale, en forçant une articulation ou un tendon lésé, où le
signe d’alerte qu’est la douleur est provisoirement supprimé
par l’anesthésique. Si certains sites d’injection ne semblent
pas à risque (acromioclaviculaires, côtes, doigts, hématomes
de la crête iliaque), le risque de séquelles à long terme n’est
pas connu pour d’autres localisations [7]. Un bon diagnostic
préalable est donc indispensable, afin d’éliminer toute lésion
susceptible de s’aggraver, telle qu’une rupture tendineuse
partielle, une fissure osseuse méconnue… ;
● par ailleurs, le risque d’asepsie est à bien mesurer : compte
tenu de la durée d’action limitée de l’anesthésique (quelques
heures), ces injections sont souvent réalisées sur le site de la
compétition, et des précautions d’asepsie particulièrement
draconiennes s’imposent, surtout en cas d’injection intraarticulaire ou bursale.
Tableau 1
Principaux anesthésiques locaux pour infiltration
Molécule
Lidocaïne
Bupivacaïne
Rovipacaïne
Mépivacaïne
Nom commercial
Xylocaïne, lidocaïne
1 % et 2 %
Marcaïne
0,25 % et 0,5 %
Naropeine
2 %, 5 %
Carbocaïne
1 % et 2 %
Délai d'action
1–4 minutes
Durée d'action
1–4 minutes
10–20 minutes
3–5 heures
3–5 heures
1–3 heures
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Une équipe australienne a analysé l’efficacité et les conséquences d’injections locales d’anesthésiques dans des équipes
professionnelles de football : sur 268 lésions anesthésiées, 17
complications dont six majeures (aggravation de lésions
existantes : ruptures tendineuses, ostéolyse claviculaire, tendinopathies chronicisées ; bursite septique) ont été recensées,
sans toutefois compromettre la carrière professionnelle des
joueurs. Dix pour cent des joueurs ont pu participer aux matchs
grâce à ces injections. Les auteurs recommandent cette technique uniquement lorsque la balance bénéfice/risque a été
bien pesée à la fois par le médecin et l’athlète. [7].
4.2. Infiltrations cortisoniques
En pathologie sportive, il n’y a pas d’essai contrôlé validant
l’efficacité et la tolérance de ces infiltrations. Les résultats
obtenus dans la littérature rhumatologique sont bons pour les
pathologies inflammatoires, mais plus mitigés pour les atteintes
mécaniques, proches de celles observées en pathologie sportive. Selon un groupe de réflexion de la Société française de
médecine du sport mené par le Pr Rochcongar, la place des
infiltrations cortisoniques peut se justifier pour certaines pathologies intra-articulaires ou capsuloligamentaires, mais apparaît
plus discutable pour le traitement des tendinopathies [8].
4.2.1. Mode d’action
L’intérêt des infiltrations cortisoniques locales est d’obtenir
une concentration maximum du corticoïde sur le site inflammatoire en réduisant les effets secondaires généraux du produit.
Le mode d’action des corticoïdes serait une action directe sur
le noyau des cellules synoviales avec réduction de la synthèse
des dérivés pro-inflammatoires [9].
4.2.2. Produits cortisoniques (Tableau 2)
Les plus employés en France sont des produits peu solubles
cristallins de longue durée d’action (un à six semaines) : dérivés de la bêtaméthasone (Diprostène, Célestène®), cortivazol
(Altim®). L’action est retardée, sauf pour certains produits
(Diprostène, Célestène chronodose®) qui ont également une
action rapide du fait de l’intégration d’une forme soluble
(phosphate disodique) L’hexacétonide de triamcinolone
(Hexatrione®) a une action prolongée et très atrophiante sur
les villosités synoviales qui le fait assimiler à une synovior-
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thèse, et réserver strictement à l’usage intra-articulaire.
L’acétonide de triamcinolone (Kenacort retard®), très utilisé
aux États-Unis, a une action intermédiaire, avec un effet atrophiant sur les tissus conjonctifs qui le font éviter dans les localisations superficielles. Des produits solubles d’action rapide
mais plus brève sont utilisables en pathologie rachidienne ou
péritendineuse superficielle (prednisolone, hydrocortisone).
4.2.3. Efficacité
L’efficacité clinique est reconnue à très court terme, par un
effet antalgique et anti-inflammatoire. L’apparition de récidives
douloureuses étant retrouvée dans la plupart des publications, il
ne semble pas y avoir d’effet thérapeutique sur la lésion ellemême [8]. Les effets des corticoïdes sur les performances sportives n’ont jamais été démontrés. En dehors de l’action symptomatique sur la douleur, et des effets euphorisants possibles
(excitation du système nerveux central), il n’a pas été montré
d’amélioration objective des performances à l’épreuve d’effort
jusqu’à consommation maximale d’oxygène [10].
4.3. Infiltrations cortisoniques intra-articulaires
Bien que les infiltrations de corticoïdes soient pratiquées avec
enthousiasme en rhumatologie, depuis de nombreuses années, la
preuve de leur efficacité est difficile à démontrer. La simple
ponction de liquide et l’injection placebo (sérum physiologique)
semblent avoir un effet important. Gossec et Dougados [11], se
référant aux méta-analyses de la littérature dans la gonarthrose,
concluent à l’efficacité des infiltrations de corticoïdes uniquement à court terme, l’effet n’étant pas supérieur au placebo
(dont l’action est loin d’être négligeable) après une à quatre
semaines selon les auteurs. Cela est confirmé par une métaanalyse récente de la Cochrane database [12]. Cependant, ces
études utilisent des corticoïdes variés, d’action plus ou moins
prolongée, avec des schémas restreints (le plus souvent en injection unique) qui ne correspondent pas à la pratique quotidienne.
À l’inverse, l’étude randomisée de Raynaud et al. [13] montre
une amélioration clinique à long terme. Dans la coxarthrose,
l’efficacité des corticoïdes locaux a été récemment validée [14].
Dans la pathologie sportive, l’utilisation des corticoïdes
locaux, calquée sur celle de l’arthrose, est d’une utilité reconnue, mais n’est pas validée.
Tableau 2
Principaux produits d’infiltration cortisonique
Molécule
Nom commercial
Indication
Cristaux
Bêtaméthasone
Diprostène
Célestène chronodose
Altim
Hydrocortancyl 25 mg
125 mg
Hydrocortisone
Dépo-Médrol
Kénacort 40 mg
80 mg
Hexatrione
A, PA, PT
+
A, PA, PT + épidural
A, PA, PT,
épidural + intrathécal
+
41,5
25
A
A
++
+++
50
Cortivazol
Acétate de prednisolone
Acétate d'hydrocortisone
Méthylprednisolone
Acétonide de triamcinolone
Hexacétonide de triamcinolone
Puissance antiinflammatoire (1 ml)
46,5
Durée d'action
3–6 semaines
1–6 semaines
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En pratique : on réalise une à trois infiltrations à un minimum de huit jours d’intervalle (délai dépendant des symptômes
et du produit), en cas d’efficacité incomplète après la première
injection. La posologie varie entre 1/4 et 2 ml selon la taille et
le siège de l’injection. Le repos articulaire postinfiltration de 24
à 48 heures, (validé seulement pour la PR), paraît être un complément thérapeutique logique, surtout en pratique sportive.
4.4. Corticoïdes périarticulaires
Les séquelles cicatricielles douloureuses après lésions capsuloligamentaires, fréquentes en pathologie sportive, bénéficient souvent d’infiltrations périarticulaires avec un repos de
quelques jours [15]. Les « périméniscites », correspondant à
l’inflammation de la synoviale périméniscale, irritée par une
lésion méniscale et/ou par les lésions cartilagineuses adjacentes, sont traitées par une infiltration « locodolenti ». Elle est
réalisée sur le genou fléchi à 90°, en utilisant une aiguille
fine qui va être introduite à la partie moyenne de l’interligne
interne et pénétrer dans l’articulation en se glissant entre
condyle et plateau. L’efficacité de ces infiltrations, utiles en
pratique quotidienne, n’a pas été évaluée.
éviter de les fragiliser par une infiltration (tendon d’Achille,
tendon rotulien).
En pratique : l’évolution naturelle d’une tendinopathie se
faisant habituellement vers la guérison en 12 mois [18], les
infiltrations cortisoniques ne sont justifiées chez le sportif que
lorsqu’il faut passer un cap hyperalgique empêchant tout protocole de rééducation. Les corticoïdes retards, notamment fluorés (notion non prouvée), et en particulier les dérivés de la
triamcinolone, sont classiquement à éviter pour les infiltrations
superficielles en raison du risque d’atrophie du tissu souscutané. La dose de produit cortisonique injecté ne doit pas
être excessive (1 ml tout au plus). À la différence des injections
articulaires, la répétition des infiltrations péritendineuses est à
éviter, car une aggravation à long terme est classique [18].
Le repos postinfiltration devrait être supérieur à dix jours,
avec reprise sportive seulement lorsque la douleur a disparu,
sous couvert d’un reconditionnement tendineux dont la base
repose sur les techniques excentriques.
Des thérapeutiques locales d’avenir sont à l’étude : injections de sang autologue [22], monoxyde d’azote [23].
4.5.1. Complications des infiltrations cortisoniques
4.5. Corticoïdes dans les tendinopathies
● L’intérêt des infiltrations cortisoniques dans le traitement
des tendinopathies chroniques est très discuté, car des études histologiques ont montré au sein de ces « tendinites »,
qu’il n’y avait pas d’inflammation, mais plutôt une réaction
vasculaire et fibroblastique accompagnée de dégénérescence
hyaline focale [16]. Aussi, les ténosynovites semblent représenter la meilleure indication des infiltrations cortisoniques ;
● l’épicondylalgie et la tendinopathie achilléenne sont les sites
les plus étudiés, de par leur grande fréquence. L’efficacité
est reconnue à court terme (deux à six semaines) pour
l’épicondylite [17], et reste discutée pour la tendinopathie
d’Achille. À long terme, les infiltrations sont décevantes,
voire délétères, particulièrement si elles sont répétées ou utilisent un corticoïde atrophiant. En effet, une importante
étude randomisée comparant l’efficacité d’une à trois infiltrations péritendineuses de triamcinolone versus rééducation + physiothérapie versus repos (wait and see policy) a
été menée chez 185 patients atteints d’épicondylite. Jusqu’à
six semaines les corticoïdes étaient supérieurs, mais à six
mois, le groupe non infiltré avait une meilleure évolution
[18]. Cette notion est confirmée par d’autres études, avec
une récidive à trois mois après infiltration dans plus de
50 % des cas, quel que soit le corticoïde injecté, associé
ou non à un anesthésique local [19,20] ;
● certains sites tendineux ne devraient pas être infiltrés chez le
sportif, lorsqu’ils sont à proximité d’un relief osseux, source
potentielle de rupture tendineuse par phénomène de
balayage : long biceps, tibial postérieur, cubital antérieur et
cubital postérieur, long extenseur du pouce, grand palmaire
[21]. D’autres sont soumis à des contraintes telles, qu’il faut
4.5.1.1. Effets secondaires locaux. Le risque septique représente la crainte essentielle du praticien. Toutes infiltrations
confondues, le risque est estimé entre 1/10 000 et 1/70 000.
Le staphylocoque est en cause dans 50 % des cas. Les douleurs
lors de l’injection sont souvent liées à une difficulté technique.
Les douleurs différées surviennent chez 8 à 18 % des cas, en
moyenne trois heures après l’infiltration et sont peu durables.
Une réaction de la synoviale aux microcristaux des formes cristallisées de corticoïdes a été incriminée [3]. Une dépigmentation cutanée lentement réversible peut s’observer au site
d’injection dans les infiltrations superficielles. L’atrophie cutanée, sous-cutanée ou musculaire s’observe surtout avec les
dérivés de la triamcinolone qui ont un fort pouvoir atrophiant.
L’hexatrione, en particulier, peut donner des lipoatrophies
spectaculaires, et ne devra être indiqué que pour les épanchements articulaires rebelles avec un pansement compressif pour
éviter le reflux dans les tissus périarticulaires. Des calcifications apatitiques peuvent s’observer avec ce produit, ce qui
l’a fait contre-indiquer dans les infiltrations intradiscales.
L’effet délétère des corticoïdes sur le cartilage n’est pas
démontré. Seules des injections à doses très élevées et répétées
chez le lapin ont entraîné une dégradation articulaire. Chez
l’homme, les infiltrations, ne semblent pas entraîner de détérioration articulaire à long terme. Raynaud et al. [13], comparant
une série de 34 patients infiltrés tous les trois mois pendant deux
ans avec de l’acétonide de triamcinolone (Kénacort®) à un
groupe témoin du même effectif infiltré avec du sérum physiologique ont conclu à l’innocuité du corticoïde sur le cartilage
(évaluation radiographique à deux ans). En revanche, le risque
de rupture tendineuse est réel, majoré en cas de faute technique
(injection intratendineuse injection de tendons à risque, répétition des injections, non-respect d’un repos postinjection) ou
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d’utilisation de corticoïdes atrophiants. Le risque de nécrose
osseuse après infiltration est faible, de l’ordre de 1/10 000
[24]. En raison de l’ancienneté de cette donnée, et du retard
connu du diagnostic radiologique d’ostéonécrose, il est difficile
de savoir si la lésion n’était pas préexistante au geste, et s’il
s’agit d’une complication générale de l’hypercorticisme.
L’ostéonécrose reste, en l’absence d’études avec données IRM,
une contre-indication classique des infiltrations cortisoniques.
4.5.1.2. Effets secondaires généraux. Des réactions allergiques
aux excipients des produits retard sont rares mais possibles.
Une bonne tolérance à des infiltrations antérieures ne met pas
à l’abri de ces réactions allergiques. Le passage des corticoïdes
dans la circulation sanguine peut entraîner des conséquences
systémiques connues sous le nom de syndrome de Tachon
[25]. Des flushs faciaux surviennent dans 10 % des cas, cédant
en 24 à 48 heures. La décompensation d’un diabète ou d’une
HTA est rare mais possible. Des doses trop élevées ou des
infiltrations trop rapprochées (en particulier pour la triamcinolone dont la durée d’élimination est supérieure à deux mois)
peuvent entraîner un syndrome de Cushing. Des manifestations
neurologiques à type d’insomnie, d’accès maniaques ou
dépressifs peuvent survenir chez des patients prédisposés.
Chez le sujet sportif, la freination de l’axe hypothalamohypophysosurrénalien, objectivée par la diminution du cortisol
plasmatique, est décrite après des injections répétées, mais
peut s’observer après une seule infiltration cortisonique [26],
et persister jusqu’à quatre semaines après l’infiltration. Elle
pourrait comporter des risques, et avoir des conséquences
négatives sur les performances, en réduisant les capacités de
réponse corticotrope au stress de l’athlète et à l’effort physique
intense [2].
5. Conclusion
Les gestes locaux sont d’un apport précieux en pathologie
sportive, mais leur pratique doit s’adapter aux spécificités du
sportif. Les exigences de l’athlète sont importantes, et ne doivent pas faire perdre de vue les risques iatrogènes, en particulier des corticoïdes locaux. Dans un contexte de vide scientifique total concernant l’effet et la tolérance des injections
locales chez le sportif, les recommandations s’appuient pour
l’instant sur les données de la littérature obtenues dans la
pathologie rhumatologique mécanique.
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