Actions collectives en droit de la concurrence

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Actions collectives en droit de la concurrence
Atelier de la Concurrence
Rapport de la Conférence
de Charles Navarro, secrétaire WEKO
Actions collectives:
OUTIL NÉCESSAIRE OU ANIMAL EXOTIQUE ?
Présentations:
Une réglementation européenne pour l’action de groupe: raisons
d’être et blocages
Monique Goyens, BEUC, Bureau européen des unions de consommateurs
Actions collectives: Des excès américains en Suisse?
Prof. Dr. Patrick L. Krauskopf, ZHAW, KWP Avocats & Associés
Les entreprises face à l‘action de groupe: quelques considérations
Jean-Hugues Busslinger, Centre Patronal
Les actions collectives: épine dans le pied ou piqûre vitaminée pour
une autorité de la concurrence?
Dr. Olivier Schaller, COMCO
Remplissant le vide dans l’ordre juridique en Europe: envers un
système de recouvrement collectif de dommages
Pierre Bos, BarentsKrans, New York State Bar Association
Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
Actions collectives:
OUTIL NÉCESSAIRE OU ANIMAL EXOTIQUE ?
Grâce aux «Class Actions», les clients lésés peuvent grouper leurs intérêts et prétentions contre
l’auteur du dommage. Leur force fait peur et fascine en même temps. Les demandes d’indemnités
grotesques aux Etats-Unis sont effrayantes. Selon les droits suisse et de l’Europe continentale, les
consommateurs ne sont guère en mesure d’être indemnisés pour les dommages subis par le
comportement de grandes entreprises. Les XIIème Ateliers de la concurrence réuniront des experts,
des défenseurs des consommateurs ainsi que des politiciens qui analyseront les faiblesses de la loi
suisse actuelle et présenteront des solutions qui pourraient être mises en place.
2 Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
I.
La problématique
Monsieur Mathieu Fleury, Secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs (FRC)
Mathieu Fleury a fourni quelques exemples d’actions récentes de la FRC en guise d’introduction. Il
est premièrement revenu sur l’action menée en vue de l’indemnisation des victimes suisses de la
faillite de la banque américaine Lehman Brothers. Il s’est félicité du résultat qui a été l’obtention d’une
compensation financière pour plus de 70 % des victimes par le biais de négociations. Il a toutefois
souligné que l’accès à la justice aurait été difficile et que la solution juridique de résolution du litige
n’avait pas été aisée à identifier. A l’instar, lors de l’annulation du concert de Prince à Genève, bon
nombre de consommateurs se sont retrouvés en possession de billets désormais inutiles. La FRC
s’était alors retrouvée confrontée à une impossibilité pour ceux-ci d’obtenir le remboursement des
billets par la voie judiciaire. Monsieur Fleury s’est également félicité de la signature par près de 70%
des parlementaires suisses de la nouvelle Charte des consommateurs. Il a vu en cela un signal
positif sur le plan politique. Mais comment faire lorsque les dommages ne sont pas de même
importance ou lorsque les délais de prescription divergent ? Comment concilier l’action collective
avec la tradition juridique suisse sans risque de dérives « à l’américaine » ?
Voici les questions qui ont été posées aux invités de ce premier séminaire d’études juridiques de la
FRC consacré aux actions collectives.
II.
Les Conférences
Une réglementation européenne pour l’action de groupe : raisons d’être et blocages
Madame Monique Goyens, Directrice du Bureau européen des Unions de Consommateurs (BEUC)
Monique Goyens a apporté les expériences et perspectives européennes en matière d’actions
collectives visant à protéger les consommateurs. Ainsi, elle a rappelé que 16 Etats membres de
l’Union européenne connaissent déjà un système d’action collective qui a permis d’aboutir,
notamment au Portugal, à une défense des consommateurs plus efficace. Madame Goyens a
souligné qu’une action collective aboutit à un meilleur accès à la justice pour les petits
consommateurs. En effet, souvent le dommage subi représente un montant très bas tel que le
consommateur lésé ne pourra faire valoir sa prétention, le coût de l’accès à la justice étant
considérablement plus élevé. Le regroupement de tous ces dommages en une seule demande
3 Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
permettrait ainsi de rééquilibrer la balance. Elle constate toutefois un blocage politique certain au
niveau des institutions européennes. Plusieurs hypothèses de réglementation ont été présentées, et
pourtant, l’adoption d’un système d’action collective peine à voir le jour. Après avoir suggéré
l’adoption d’une directive européenne, la rumeur rapporte que ce serait la voie de la recommandation
qui semble l’emporter. « Une recommandation de la Commission européenne serait un enterrement
de 1ère classe » a souligné Monique Goyens. Elle salue toutefois les discussions en cours sur cette
question au niveau politique. Pour le BEUC, la demande principale est une garantie d’accès à une
justice nationale et transfrontalière qui permettent aux consommateurs lésés d’obtenir justice, quel
que soit le litige. Pour ce faire, les organisations de défense des consommateurs doivent disposer
d’une faculté « d’opting out » et d’un financement adéquat.
Les actions collectives en droit de la concurrence : épine dans le pied ou piqûre vitaminée pour une
autorité de la concurrence
Docteur Olivier Schaller, Vice-directeur du Secrétariat de la Commission de la concurrence
Olivier Schaller a présenté l’impact d’un système d’action collective sur les activités des autorités de
la concurrence et la mise en œuvre du droit des cartels. Il a d’abord tiré un bilan négatif du droit civil
cartellaire. Les raisons sont principalement l’absence de règles juridiques claires et les difficultés
liées au calcul du dommage. De plus, le consommateur ne dispose pas de la légitimité active en
matière cartellaire. Les actions collectives permettraient sur ce point un rééquilibrage du rapport de
force quant à la restitution de la rente cartellaire qui reviendrait directement au lésé. Toutefois, la
Commission de la concurrence a à cœur de protéger le programme de clémence. Cet instrument a
permis aux autorités de la concurrence de détecter la plupart des cartels qu’elle a démantelés à ce
jour. Il permet à l’entreprise qui dénonce la première un cartel auquel elle a pris part, de se voir
exempté de l’amende administrative. Dans ce contexte, une politique de confidentialité stricte est
maintenue ce qui rend difficile l’accès aux preuves récoltées par la Commission de la concurrence
dans le cadre d’actions réparatrices subséquentes. Par ailleurs des entreprises pourraient se voir
dissuadées de recourir au programme de clémence, si par la suite, elles risquent de devoir payer de
substantielles indemnités au civil. « Les procédures administratives et civiles doivent cohabiter, sans
se mettre de bâtons dans les roues » a rappelé Olivier Schaller. Les autorités de la concurrence
voient néanmoins d’un bon œil les actions collectives car elles pourraient permettre le
développement « d’avocats plaignants », ce qui renforcerait la détection et la lutte des restrictions à
la concurrence. Le projet de révision de la loi sur les cartels actuellement en consultation au
parlement propose des modifications du droit civil cartellaire, notamment, l’octroi de la légitimité
active aux consommateurs.
4 Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
Les entreprises face à l’action de groupe : quelques considérations
Monsieur Jean-Hugues Busslinger, Directeur du département de la politique générale du Centre
patronal
Jean-Hugues Busslinger a relativisé la nécessité de l’introduction d’un système d’action collective en
Suisse. Il a souligné que d’autres instruments, comme la consorité, existent déjà pour joindre des
causes qui présentent des problématiques similaires. Il par ailleurs rappelé que pour sa plus grande
partie, le tissu économique suisse est constitué par des PME. Leur opposer un grand groupe de
lésés reviendrait à créer une inégalité en leur défaveur. De plus, on a constaté qu’aux Etats-Unis,
des chantages étaient exercées lors d’actions collectives pour obliger les entreprises à transiger.
Dans le cadre de l’introduction du Code de procédure civil suisse, le législateur n’a pas désiré
adopter ce système en considérant qu’un recouvrement collectif des dommages était contraire à
l’ordre juridique suisse. De plus « il ne faut pas criminaliser les entreprises » a insisté Jean-Hugues
Busslinger. Le chantage n’est par ailleurs pas le seul risque lié aux actions collectives. L’introduction
de dommages punitifs est également à craindre. Enfin, l’argument affirmant qu’un consommateur ne
peut accéder à la justice du fait de la disproportion entre son dommage et les frais nécessaires à son
action en justice doit selon lui être rejeté ; si le consommateur en fait une question de principe et
s’estime véritablement lésé, il ne peut s’affirmer dissuadé à cause des avances de frais dans la
mesure où, s’il obtient gain de cause, la partie adverse devra les lui restituer.
Actions collectives : des excès américains en Suisse ?
Prof. Dr. Patrick L. Krauskopf, Avocat et Professeur à la ZHAW School of Management and Law
Patrick Krauskopf a soulevé la question des dérives du système américain qui constituent une des
principales craintes quant à l’introduction des actions collectives en suisse. Toutefois, les conditions
nécessaires à la mise en œuvre d’une action collective ne vont pas de pair avec des exagérations
peu désirées en Suisse, comme les dommages et intérêts punitifs (punitiv damages) ou la faculté
pour l’avocat de participer à l’indemnité (contegency fees). Ainsi, il a rappelé que l’opportunité de
donner suite à une action collective au détriment d’une multitude d’actions individuelles prend en
premier lieu en compte l’objet de la demande. La partie qui introduit l’action et représente ainsi le
collectif doit avoir subi un dommage typique qui l’identifie aux autres membres de la « class ». Sur la
question du montant des indemnités, la culture américaine est différente dans la mesure où l’on
considère que l’entreprise doit être éduquée par des jurés. Dans certains cas, l’indemnité que devra
payer l’entreprise se chiffre en millions alors que le montant que touchera chaque victime ne s’élève
qu’à quelques dizaines de dollars. C’est le grand nombre de victimes qui mène à des amendes
élevés. Le sentiment que les indemnités sont disproportionnées par rapport au dommage n’est donc
pas systématiquement fondé. Ainsi Patrick Krauskopf a-t-il affirmé, « la réticence à l’introduction des
actions collectives en Suisse relève plus d’une conception sociale que d’un blocage juridique ».
5 Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
Remplissant le vide dans l’ordre juridique en Europe : envers un système de recouvrement collectif
des dommages
Maître Pierre-Vincent Bos, Avocat chez BarrentsKrans (Pays-Bas)
Pierre-Vincent Bos s’est penché sur deux objets. Dans un premier temps, il a mis en exergue les
différences d’approche entre l’ordre juridique de l’Europe continentale et celui des Etats-Unis. Il a
notamment rappelé que le contenu d’une requête en justice est sensiblement plus faible aux EtatsUnis qu’en Europe, ce qui facilite l’ouverture des actions réparatrices. D’autres systèmes
procéduraux viennent également appuyer une mise en œuvre des actions collectives comme le PreTrial Discovery. Cette institution permet au demandeur de requérir de la partie adverse qu’elle lui
fournisse tous les documents écrits qui pourraient lui permettre d’établir les faits. Mais, « la class
action à l’américaine n’est pas le seul moyen de mettre en œuvre des actions collectives » a signalé
Pierre-Vincent Bos. Il a dans un deuxième temps fait part de son expérience en matière de follow on
actions, c’est-à-dire des actions intervenants après une décision de l’autorité. Il rappelé que le
demandeur individuel qui a été lésé par une restriction à la concurrence possède une créance
découlant de l’obligation légale de réparer. Ainsi peut-il la céder à un tiers. Des entreprises
spécialisées dans le rachat de ces créances sont donc en activité et agissent dans une certaine
mesure en représentation d’un collectif. Il enfin rappelé que contrairement au système américain, il
n’existe pas de véritable « industrie du procès » permettant notamment le financement des actions
en justice. C’est principalement sur ces deux points que Pierre-Vincent Bos identifie un problème en
rapport avec le recouvrement collectif des dommages.
III.
Le débat
Animé par Monsieur Pascal Schouwey, journaliste
Le débat s’est en premier lieu concentré sur la question de la valeur préventive des actions
collectives. Tant le public que les intervenants se sont entendu sur le fait que les lésions causées aux
consommateurs sont néfastes pour l’économie. Les opinions sur la prévention divergent. Madame
Goyens et Monsieur Fleury ont insisté sur le fait que les actions collectives font peser un risque
financier certain sur les entreprises qui est propre à les dissuader de léser les consommateurs. JeanHugues Busslinger a été interpelé sur ce point et a formulé sa crainte de voir les entreprises subir
des pressions visant à les obliger à transiger. Il a insisté sur le fait que le consommateur qui s’estime
lésé semble bénéficier d’un a priori favorable systématique. Interpellé sur la question du programme
de clémence, Olivier Schaller, rejoint par Patrick Krauskopf a insisté sur la vocation curative de ce
dernier. Il a expliqué à ce sujet que les autorités de la concurrence ne désirent pas sacrifier un
système qui permet de lutter efficacement contre les restrictions à la concurrence pour un autre qui
n’a pas encore fait ses preuves.
6 Rapport de la Conférence: XII Atelier de la Concurrence
Les conférences ont majoritairement postulé que l’action collective constituait un gain d’efficacité,
tant dans l’administration de la justice que dans la prévention. Le débat s’est dans un deuxième
temps consacré à la question de l’efficacité. Celle-ci est immédiatement contestée à la lumière des
exagérations que l’on rencontre aux Etats-Unis. Pierre-Vincent Bos, rejoignant les propos de Patrick
Krauskopf a rappelé que ce n’est pas l’institution du recouvrement collectif des dommages qui est la
source de ces exagérations, mais les incitatifs que le droit américain a mis en place pour les
favoriser. Ce débat a également opposé Monique Goyens et Mathieu Fleury à Jean-Hugues
Busslinger. Ce dernier a mentionné l’importance du nombre de membre dans le fonctionnement de
l’association et craint de voir ces dernières être tentées d’appeler à l’action de groupe dans le but de
renforcer leurs effectifs. Mathieu Fleury a rappelé en réponse les efforts conséquents que la FRC a
du faire pour jouir d’une bonne réputation, car les associations de défense des consommateurs
doivent leur liberté d’action à cette réputation et il n’est nullement dans leur intérêt de la perdre.
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En résumé, l’introduction d’un système de recouvrement collectif des dommages a rencontré un accueil majoritairement
positif. Bien entendu, les craintes des entreprises de se voir attaquées de manière abusive sont compréhensibles, bien
que celles-ci soutiennent la répression de celles qui violent la loi. Pour les autorités, la détection des restrictions à la
concurrence qui nuisent à l’économie et aux consommateurs est primordial ; l’introduction d’un système d’action
collective ne doit pas affaiblir cet objectif. Toutefois, dans un ordre juridique où le droit de la consommation n’autorise que
peu de possibilités pour la réparation des lésions subies par le consommateur, il est nécessaire de mettre en place des
institutions pouvant remédier à cette faiblesse. Sur la question des dérives américaines, il n’est pas antinomique
d’envisager l’introduction d’un système d’action collective efficace, mais qui cependant respecte la tradition juridique et
les limites de l’ordre public suisse.
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