dessalement d`eaux saumatres : nanofiltration ou osmose inverse
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dessalement d`eaux saumatres : nanofiltration ou osmose inverse
DESSALEMENT D’EAUX SAUMATRES : NANOFILTRATION OU OSMOSE INVERSE. COMPARAISON TECHNICO-ECONOMIQUE A. LHASSANI1*, H. DACH1,2, M. PONTIÉ2, C. K. DIAWARA3, J. LEPARC4, S. JARIRI5 1- Université de Fès, Faculté des Sciences et Techniques de Fès, Laboratoire de Chimie Appliquée. BP 2202, FES, Maroc, Tél. : +212 65 74 35 70, Fax : +212 55 60 82 14, E-mail : [email protected] 2- Université d’Angers, Groupe Analyses et Procédés, 2 Bd Lavoisier, 49045 Angers cedex 1, France 3- Université Cheikh Anta Diop, Laboratoire de Chimie Analytique et Minérale, BP 5005 Dakar, Sénégal 4-Veolia Water, Anjou Recherche, Chemin de la Digue, BP 76, 78603 Maisons - Laffitte, France 5- Office National de l’Eau Potable, Rabat, Maroc Résumé Les procédés à membranes sont issus d’un secteur technologique en constante évolution ; Le besoin en eau douce a été le moteur de développement des procédés à membranes en compétition avec les procédés classiques. Ces nouvelles technologies sont actuellement considérées comme l’alternative la plus efficace en particulier pour la préparation de l’eau destinée à la consommation humaine à partir de l’eau de mer et des eaux saumâtres. Un nouveau marché du dessalement s’ouvre aujourd’hui, il s’agit de celui des eaux saumâtres (salinité totale de 2 à 10g/L). Il nécessite la mise en œuvre d’un dessalement partiel et sélectif. Dans cette étude pilote, il s’agit en particulier de comparer les performances des deux opérations de nanofiltration (NF) et d’osmose inverse (OI) en terme de consommation énergétique, de productivité et de sélectivité. Des essais réalisés, à l’échelle du pilote industriel, sur des eaux saumâtres du Maroc en utilisant différents modules de membranes spiralées fournies par les sociétés Dow. Les résultats de cette étude pilote ont permis de déterminer les limites d’application des membranes de NF et prouver la meilleure efficacité de la NF pour le dessalement des eaux saumâtres (salinité totale d’environ 4 g/L). Mots clés : Nanofiltration, Osmose inverse, Dessalement, Eaux saumâtres. 1. Introduction Le marché du dessalement est en plein essor dans le monde en particulier au Maroc où de grands projets sont en cours, il concerne surtout la préparation de l’eau destinée à la consommation humaine à partir de l’eau de mer et des eaux saumâtres. Actuellement les procédés les plus développés et les plus utilisés en dessalement restent la distillation et l’osmose inverse, mais ces derniers sont très consommateurs d’énergie. En distillation le coût énergétique est proportionnel à la quantité d’eau traitée, en osmose inverse et pour toutes les techniques à membranes le coût de traitement est fonction de la quantité de sel éliminé. Contrairement aux eaux de mer dont la composition reste relativement constante (salinité totale comprise entre 35 et 45g/L), les eaux saumâtres ont une salinité totale nettement inferieure (salinité totale comprise entre 1 et 10 g/L) avec des compositions très variables. Pour cette raison elles nécessitent des traitements très spécifiques. Ce travail est consacré à une étude pilote du dessalement d’eaux saumâtres au Maroc, afin de prouver sur les plans MSAS'2008 120 technique et énergétique, l’efficacité de la nanofiltration par rapport à celle de l’osmose inverse actuellement utilisée. 2. Théorie Le transport d’ions au travers d’une membrane peut être décrit par la thermodynamique des systèmes irréversibles afin de rendre compte du couplage entre le flux de solvant et flux de soluté. Le modèle de Kedem-Katchalsky relate le couplage des flux et des forces mis en jeu. Pour un système à seulement deux composantes, un solvant et un soluté, ce couplage s’exprime par les équations suivantes: Jv = LP (∆P - σ ∆Π) Js = Ps (C0 - CP) + (1- σ) JvCm (1) (2) avec Jv et Js respectivement les flux de solvant et de soluté, ∆P et ∆Π respectivement la pression transmembranaire et la différence de pression osmotique de part et d’autre de la membrane (en bar), C0, CP et Cm respectivement les concentrations d’alimentation, du perméat et dans la membrane, LP est la perméabilité hydraulique, σ le coefficient de réflexion de la membrane, Ps la perméabilité au soluté (m.s-1). On définit le produit (σ ∆Π) comme la pression de démarrage (ou encore appelée pression critique, notée Pc) (en bar). Ainsi qu’observé dans l’équation intégrée du modèle SKK Eq.(2), le flux de soluté apparaît comme la somme d’un terme de diffusion et d’un terme de convection : Js = Jdiff + Jv Cconv = Cp Jv (3) où Jdiff est le flux de soluté transporté par diffusion et Cconv la concentration de soluté dans le perméat du à la convection. Il est alors possible d’écrire la concentration du perméat de la manière suivante : CP = Jdiff + Cconv Jv (4) Ainsi en portant la concentration d’un soluté dans le perméat, CP en fonction de l’inverse du flux de perméation, JV on obtient une droite dont l’ordonnée à l’origine permet de connaître la concentration dans le perméat due à la convection et la pente permet de déterminer le flux dû à la diffusion. Cette représentation permet de distinguer et de quantifier expérimentalement les deux types de flux [1, 2]. 3. Matériel et Méthodes Pour réaliser les tests sur terrain, nous avons utilisé un pilote semi industriel (figure 1) fourni par le groupe Veolia-water. Ce pilote comporte un réservoir d’alimentation de 2,6 m3 (1) ; d’une unité Pilote NF/OI (2) équipée d’un tube de pression avec un module spiralé 4’’ pour une membrane de 7,6 m2 et d’un système de refroidissement (3). 121 MSAS'2008 . Figure 1 : Pilote semi-industriel de NF/OI Membranes étudiées Il s’agit de deux membranes de NF et d’une membrane d'OI planes et spiralées composites de types NF90, NF200 et BW30 (Tableau 1) commercialisées par la société Dow Filmtec. Tableau 1 : propriétés des membranes utilisées Membrane Type Fabriquant Couche active Support NF90 NF Dow Filmtec Polyamide Polysulfone BW30LE OI Dow Fimtec Polyamide Polysulfone Paramètres de fonctionnement Le flux de perméat Jv, déduit des mesures expérimentales est donnée par la relation : Jv = V/t*S (5) avec V le volume recueilli dans un temps t et S la surface de la membrane La perméabilité Lp, est un paramètre caractéristique de la membrane déduit à partir de la relation de poiseuille : Jv = Lp. (ΔP - ΔΠ ) (6) Le taux de conversion Y est donné par le rapport de débit de perméat Qp sur le débit d’alimentation Qa : Y = Qp / Qa * 100 (7) Le taux de rétention observé est calculé à partir de la relation suivante : Robs = [1-(Cp / C0)] * 100 MSAS'2008 122 (8) Caractéristiques de l’eau étudiée Il s’agit d’eau saumâtre de Maroc dont les caractéristiques physico-chimiques sont représentées dans le tableau 2. Tableau 2 : Caractéristiques physico-chimiques de l’eau brute pH TDS(ppm) - Cl (ppm) - NO (ppm) Eau brute Normes OMS 7,9 3500 1250 6,5 -8,5 1000 250 20 50 1,1 1,5 500 200 384 600 500 200 3 - F (ppm) 2- SO (ppm) 4 Dureté (ppm) + Na (ppm) Perméabilité hydraulique des membranes Ce test consiste à déterminer la perméabilité des membranes à l’eau brute. Pour les deux membranes l’évolution du flux de perméat avec la différence de pression transmembranaire, comme illustrée sur la figure 2, est linéaire conformément à la loi de poiseuille. Les perméabilités hydrauliques pour cette eau, et la pression critique de démarrage ont été déterminées, les résultats obtenus sont regroupés dans le tableau 3. Tableau 3: perméabilité hydraulique (Lp) à l’eau brute et pression critique (Pc), pour les membranes NF90 et BW30LE. Membrane Lp (L.h‐1.m‐2.bar‐1) Pc (bar) NF90 7,55 1,1 BW30 LE 3,53 2,2 L’ordre de perméabilité obtenu est le suivant : NF90 > BW30LE. La membrane de NF est plus perméable, à l’eau brute que la membrane d’OI. Cette différence est directement liée à leur différence de diamètre de pore peut être attribuée au couplage des mécanismes de transferts convectif et diffusif en NF ; en effet le transfert de l’eau devient plus important dans la mesure où il provient de la somme de deux mécanismes de transfert [1]. L’extrapolation à Jv = 0 de l’évolution de la perméabilité des différentes membranes à la solution saline permet d’estimer la pression de démarrage au-delà de laquelle la filtration a bien lieu. Pour la membrane de NF, le flux de solvant est mesuré lorsque la pression transmembranaire atteint une pression critique de 1,1 bar. Avec la BW30LE, il est nécessaire 123 MSAS'2008 d’appliquer une Pc supérieure à 2,2 bars, qui est due à la pression osmotique. La valeur de la pression osmotique théorique qui est de 2,7 bar. 120 y = 7,55x - 8,04 R2 = 0,98 NF90 BW30LE 100 80 Jv(L.h-1.m-2) 60 40 y = 3,53x - 7,33 20 R2 = 0,99 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 Pression(bar) Pression (bar) Figure 2 : Évolution des flux de perméat en fonction de la différence de pression transmembranaire pour les membranes NF90 et BW30LE (Eau brut, T=28°C) Réduction de la salinité totale dans l’eau brute Nous avons étudié le taux d’abattement des sels présents dans l’eau brute à différentes pressions et à trois taux de conversion (figure 3). Cette figure montre que la rétention augmente proportionnellement avec la pression pour les deux membranes. L’élévation de la pression augmente le flux du solvant, il s’en suit que le perméat est plus dilué [3]. On constate aussi que l’augmentation du taux de conversion entraîne une diminution du taux de rétention. Ceci est la conséquence de l’apparition de la couche de polarisation aux forts taux de conversion, en effet l’augmentation de la pression entraînerait une augmentation de la concentration au voisinage de la membrane et donc le transfert du soluté [1]. Il ya aussi l’effet du transfert convectif qui devient majoritaire, le flux du soluté augmente avec le flux de solvant. MSAS'2008 124 100 90 a 80 70 Robs % 60 50 40 30 Y=15% Y=45% 20 Y=75% 10 0 0 5 10 15 20 Pression (bar) Pression(bar) 100 90 70 Robs % 80 b 60 50 40 Y=15% 30 Y=45% 20 Y=75% 10 0 0 5 10 15 20 Pression (bar) Pression (bar) Figure3: Évolution des taux de rétention en fonction de la pression transmembranaire pour les membranes NF90 (a) et BW30LE (b) Sélectivité et Rétention des ions Cl-, F- et NO3 Nous avons étudié la sélectivité des membranes NF90 et BW30LE vis à vis des ions Cl-, F- et NO3 – présents dans l’eau brute afin de mettre en évidence l’influence de leur propriété physico-chimiques et des conditions opératoires (Tableau 4). On note que la rétention des ions fluorures, chlorures et nitrates par la BW30LE est plus élevée. L’ordre de rétention obtenu est le suivant F- > Cl- > NO3 – c’est le même que celui des énergies d’hydratation [4]. En nanofiltration la sélectivité entre les ions est beaucoup plus marquée. Ceci est d’autant plus vrai que la pression est plus faible. Le passage des sels et la sélectivité sont plus importants à faible pression, où les paramètres chimiques sont 125 MSAS'2008 prédominants. La rétention est plus importante à forte pression où le phénomène de convection l’emporte sur celui de diffusion. Tableau 4 : résultats de rétention des anions Cl-, F- et NO3– présents dans l’eau brute par les membranes NF90 et BW30LE à différents taux de conversion Membrane Y% Domaine Robs(%) Cl- F- NO3- 15% 86-92 86-95 71-86 45% 66-84 74-89 60-80 75% 25-54 70-84 56-69 15% 90-94 91-95 85-92 45% 70-86 80-92 78-87 75% 41-79 78-90 73-86 NF90 BW30LE Conclusion Cette étude pilote est consacrée au dessalement d’une eau saumâtre réelle de salinité totale ( ≈ 4g/L), afin de prouver sur les plans technique et énergétique, l’efficacité de la NF par rapport à l’osmose inverse. Ainsi l’opération de NF s’est avérée efficace, elle permet un dessalement partiel et sélectif des eaux saumâtres à faible coût énergétique et présenttant une diminution des volumes de concentrât rejetés. D’autre part l’opération de la NF permet un couplage avec les énergies renouvelables (photovoltaïque et éolienne) pour un développement durable du dessalement des eaux saumâtres. Références [1] A. Lhassani ., Mécanismes de transfert des ions en nanofiltration : Application au dessalement sélectif des eaux saumâtres. 2002, Thèse Univ, Fès. [2] M. Pontié, O. Sarr, M. Rumeau, Evaluation des possibilités de déssalement d’une eau saumâtre par osmose inverse et par nanofiltration,1997, L’eau, l’industrie, les nuisances, 210, 57-63. [3] A.L. Ahmad, B.S. Ooi, A. Wahab Mohammad , J.P. Choudhoury, Development of a highly hydrophilic nanofiltration membrane for desalination and water treatment, 2004, Desalination, 168, 215-221. [4] A. Lhassani, M. Rumeau, D. Benjelloun, M. Pontie, 2001, selective demineralization of water by nanofiltration application to the defluorination of brackich water, Wat. Res, 35 n°13, 3260-3264. MSAS'2008 126 [5] H.M. Krieg, S.J. Modise, K. Keizer, H.W.J.P Neomagus, Salt rejection in nanofiltration for single and binary salt mixtures in view of sulphate removal, Desalination, 171 (2004) 205215. Remerciements Nous tenons à remercier le Middle East Desalination Research Center (MEDRC) pour son soutien financier au projet de recherche (n° 04 –AS-005) et les partenaires industriels VeoliaWater (France) et l’ONEP (Maroc) pour la réalisation de cette étude. 127 MSAS'2008