Potentiel d`étude de la base ACT

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Potentiel d`étude de la base ACT
ARTICLE ORIGINAL
ORIGINAL ARTICLE
J Pharm Clin 2007 ; 26 (4) : 261-6
Potentiel d’étude de la base ACT-IP :
illustration avec les interactions médicamenteuses
Study potential of the ACT-IP database: illustration with drug interactions
R. ROUBILLE1,9*, B. CHARPIAT2,9, L. ESCOFFIER3,9, P. BEDOUCH4,9, M. JUSTE5,9, F.-X. ROSE6,9, B. ALLENET7,9, O. CONORT8,9
1
Service pharmacie, Centre hospitalier Lucien Hussel, Vienne
Service pharmacie, Hôpital de la Croix-Rousse, Hospices civils de Lyon
Centre hospitalier de Mayenne
4
Département de pharmacie,Centre hospitalo-universitaire de Grenoble
5
Service pharmacie, Centre hospitalier Auban-Moët, Epernay
6
Service pharmacie-CRIM, Hôtel-Dieu, Centre hospitalo-universitaire de Rennes
7
Laboratoire de pharmacie clinique et biotechnique, Faculté de pharmacie UJF, La Tronche
8
Service pharmacie, Hôpital Cochin, Assistance publique des hôpitaux de Paris
9
Groupe de travail « Standardisation et valorisation des activités de pharmacie clinique » de la Société française de pharmacie clinique
<[email protected]>
2
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3
Résumé. La base de données ACT-IP de la Société française de pharmacie clinique, destinée à recueillir et analyser
les interventions pharmaceutiques réalisées lors de l’analyse des prescriptions, offre un potentiel d’étude et de
recherche important. A partir d’un échantillon de problèmes médicamenteux et des interventions pharmaceutiques
réalisées, les objectifs de cet article sont de préciser les perspectives de travail avec cette base et les conditions à
respecter pour que cette recherche puisse être menée de façon optimale. Pour illustrer ce propos, l’exemple des
interactions médicamenteuses (IM) a été choisi. Ainsi, au sein d’un panel de 1 800 interventions pharmaceutiques,
226 ont concerné une IM. Leur analyse a permis d’identifier : 1) trois conséquences de ces IM les plus souvent
signalées : inefficacité thérapeutique par inhibition de l’absorption digestive, risque hémorragique et risque de
syndrome sérotoninergique ; 2) une diversité de la fréquence, de la nature des interactions enregistrées et un degré
d’acceptation médical différent en fonction des centres participants ; 3) des interactions tellement fréquentes qu’elles
ne font plus l’objet d’un enregistrement dans la base bien qu’à l’origine d’intervention pharmaceutique ; 4) d’autres IM
elles aussi très fréquentes ne faisant l’objet ni d’intervention pharmaceutique ni d’enregistrement. De ce constat, il
ressort que l’exploitation des informations contenues dans la base ACT-IP à des fins de recherche épidémiologique
devra être entourée de précautions telles que la nécessité d’obtenir pour chaque centre participant des informations
descriptives relatives aux pratiques de l’analyse de prescription et s’assurer du caractère exhaustif des informations
enregistrées.
doi: 10.1684/jpc.2007.0071
Mots clés : interventions pharmaceutiques, interactions médicamenteuses, pharmacie clinique, recherche
Abstract. The ACT-IP database of the French Society of Clinical Pharmacy has significant research potential. Based on
a sample of drug related problems linked to the interaction and from the analysis of the pharmaceutical interventions
carried out, the objectives of this article are to detail our research approach and the conditions which need to be
fulfilled to ensure the efficiency of the study. As an illustration, the example of drug interactions (DI) was chosen. From a
panel of 1800 pharmaceutical interventions, 226 concerned a DI. Their analysis led to the identification of: 1) three
consequences of these DIs which were most frequently mentioned: treatment inefficiency by inhibition of the digestive
absorption, risk of haemorrage and risk of the serotoninergic syndrome; 2) a diversity in the frequency, in the nature of
recorded interactions and a rate of medical acceptance which varied in the various centres involved in the research; 3)
interactions so frequent that they were not recorded in the data base although they did generate pharmaceutical
intervention; 4) other DI’s, also very frequent, which did not give rise either to intervention or to recording. We were
thus able to determine that great care should be taken when exploiting the information contained in the ACT-IP data
base for epidemiological research; for instance, the need to obtain for each centre involved descriptive information
linked to the practices of prescription analysis and the need to guarantee the exhaustive nature of the information
recorded.
Key words: pharmaceutical interventions, drug interaction, clinical pharmacy, research
* Correspondance et tirés à part : R. Roubille
J Pharm Clin, vol. 26, n° 4, décembre 2007
261
R. Roubille, et al.
E
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n 2003, la Société française de pharmacie clinique
(SFPC) [1] a défini comme une priorité la standardisation et la valorisation des activités d’analyse de
prescription par le pharmacien à l’hôpital. Un groupe
constitué de praticiens exerçant dans 6 établissements
publics de santé, 4 centres hospitalo-universitaires et 2
centres hospitaliers, a élaboré et validé un outil destiné à
coder les problèmes liés à la thérapeutique médicamenteuse et les interventions que peuvent effectuer les pharmaciens au cours de l’analyse et de la validation des prescriptions à l’hôpital [2]. Cet outil permet aussi de recueillir
le taux d’acceptation par les équipes médicales des
interventions. Il a ensuite fait l’objet d’une validation
multicentrique par 12 pharmaciens travaillant dans divers
hôpitaux francophones [3]. La diffusion de l’outil a été
complétée par la création d’une base de données, ACT-IP,
destinée à recueillir et analyser les interventions pharmaceutiques réalisées [4]. Chaque centre participant a ensuite intégré les données dont il disposait dans cette base.
A un niveau local, l’usage de cet outil constitue un moyen
de réaliser le bilan de l’activité de pharmacie clinique à
l’intention des médecins et de la direction de l’établissement. Cependant, dans l’hypothèse où l’emploi de cette
base tendrait à se généraliser, la compilation des données
de tous les centres utilisateurs offre des perspectives de
recherche de nature épidémiologique. A partir d’un
échantillon de problèmes médicamenteux et d’interventions pharmaceutiques constitué avec cette base, les objectifs de cet article sont de présenter les perspectives en
terme de recherche et de plan d’action qu’offre l’analyse
du contenu de cette base de données et de préciser les
conditions à respecter, les obstacles à surmonter et les
pièges à éviter pour que cette recherche puisse être
menée de façon optimale. Nous illustrerons notre propos
à travers l’exemple des interactions médicamenteuses
(IM).
Matériel et méthode
Pour chaque hôpital, nous avons échantillonné par tirage
au sort 300 problèmes liés au médicament et les interventions pharmaceutiques qu’ils ont générés. De cet échantillon constitué de 1 800 interventions, nous avons extrait
celles relatives aux IM. Nous avons étudié la part des IM
au sein de l’échantillon de chaque centre. Nous avons
recensé les conséquences potentielles de celles les plus
fréquemment signalées et les interventions réalisées. Les
taux d’acceptation par les équipes médicales ont été
analysés. Nous avons cherché s’il existait des différences
entre les centres pour les évènements observés les plus
fréquemment.
Résultats
Sur les 1 800 problèmes analysés, 226 (12,5%) ont
concerné une IM. La répartition du pourcentage d’IM
signalées par centre est présentée dans le tableau 1. La
répartition de la nature des IM selon la classification du
référentiel national proposé par le Groupe de travail
interactions médicamenteuses de l’Afssaps (GTIAM) ainsi
262
que leur devenir sont montrés dans le tableau 2. Pour cinq
centres, la catégorie « précaution d’emploi » est la plus
importante alors que pour le sixième, la catégorie « association déconseillée » est prépondérante. Les trois risques
les plus fréquemment signalés ainsi que les médicaments
concernés et le devenir de l’intervention sont décrits dans
le tableau 3. Pour un centre, le type d’interaction « inhibition de l’absorption digestive » n’est retrouvé qu’une seule
fois (sels de fer + lévothyroxine) alors que pour les autres,
il est mentionné à plusieurs reprises. Le risque de syndrome sérotoninergique apparaît 29 fois et est le fait de
deux centres. L’augmentation du risque hémorragique est
rapportée par cinq centres. Le taux d’acceptation est
important pour les interactions mettant en jeu l’inhibition
de l’absorption digestive ou le risque hémorragique. En
revanche, il est plus faible en ce qui concerne le risque de
syndrome sérotoninergique. Les médecins ont modifié
la prescription dans 62,3 % des cas. La prescription est
restée inchangée pour 13,7 % des avis émis et le devenir
de l’intervention n’a pas été renseigné pour 24% des
interventions. Le tableau 4 présente la répartition des
interventions pharmaceutiques en fonction des centres.
Les interventions pour « suivi thérapeutique » sont les plus
fréquentes, notamment pour trois centres. Pour deux autres
centres, ce sont « arrêt » et « substitution / échange ». La
proposition de « suivi thérapeutique » se rapporte majoritairement aux anticoagulants oraux. Elle est suivie par
« l’optimisation des modalités d’administration » en lien
avec la prévention de l’inhibition de l’absorption digestive.
Discussion
Les IM augmentent la morbidité et la mortalité et sont
responsables d’hospitalisations [5-9]. En France les études concernant les IM sont rares. Elles ont surtout porté sur
des patients traités en ambulatoires [10, 11] ou bien sur
des ordonnances de ville qui ont été analysées par des
médecins ou des pharmaciens hospitaliers à la suite d’une
hospitalisation des patients concernés [5, 12-14]. La
recherche et le signalement des IM constituent une part
significative du travail du pharmacien lors de l’analyse et
la validation des prescriptions. Cependant, nous n’avons
pas trouvé de travaux français spécifiques à la nature et à
la fréquence des IM rencontrées à l’hôpital. Ce domaine
est encore peu exploré. Quelques équipes de pharmaciens ayant développé l’analyse de prescriptions au sein
de leur hôpital respectif rapportent des fréquences d’interventions concernant les IM [15-22]. Cependant, ces équipes sont encore peu nombreuses. De plus, ces travaux
donnent peu de détails sur la nature des IM les plus
fréquemment rencontrées. Les sources documentaires employées pour argumenter les interventions pharmaceutiques ne sont généralement pas citées. Les conditions
d’intervention et le mode de communication sont peu
détaillés.
La première perspective qu’offre la généralisation de
l’emploi de cette base est une connaissance des IM les
plus fréquemment signalées dans quelques hôpitaux français. Sur cette connaissance viennent se greffer de multiples opportunités. Il en est ainsi de l’analyse des données
concernant les similitudes et les différences quant à la
J Pharm Clin, vol. 26, n° 4, décembre 2007
Potentiel d’étude de la base ACT-IP
Tableau 1. Répartition du pourcentage d’interactions médicamenteuses (IM) signalées par centre (le caractère gras indique la
nature de l’interaction la plus fréquemment enregistrée par centre).
Centres
Type interaction
IM mentionnée uniquement dans un RCPa
À prendre en compte (n = 25)
Précaution d’emploi (n = 122)
Association déconseillée (n = 59)
Contre-indication (n = 11)
Publiées mais non répertoriées GTIAM (n = 5)
Total : 226
1
2
3
4
5
6
0
3
5
2
2
0
12 (4 %)
0
8
18
2
1
0
29 (9,7 %)
4
4
4
14
6
0
32 (10,7 %)
0
5
28
12
0
2
47 (15,7 %)
0
3
29
13
1
3
49 (16,3 %)
0
2
38
16
1
0
57 (19 %)
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a
Il s’agit du RCP de la spécialité Ultra-Levure® qui mentionne dans la rubrique interaction médicamenteuse « De par sa nature fongique, ne pas associer ce
médicament à un antifongique oral ou systémique ».
Tableau 2. Répartition de la nature des interactions médicamenteuses (IM) selon la classification du référentiel national de
l’Afssaps ainsi que leur devenir.
Type d’interaction
À prendre en compte
Précaution d’emploi
Association déconseillée
Contre-indication
Mentionnée dans un RCP
Publiée mais non répertoriée par le GTIAM
Total
a
Nombre d’interventions (%)
Aa
Rb
NRc
25 (11 %)
122 (54 %)
59 (26,1 %)
11 (4,9 %)
4 (1,8 %)
5 (2,2 %)
226 (100 %)
20
72
36
8
2
3
141
0
21
4
0
2
2
31
5
29
19
3
0
0
54
Acceptée. b Refusée. c Non renseignée.
Tableau 3. Les trois risques les plus fréquemment signalés ainsi que les médicaments concernés et le devenir de l’intervention.
Mécanisme et/ou risque de l’interaction
Inefficacité par inhibition de l’absorption
digestive
Risque hémorragie
Risque de syndrome sérotoninergique
Autres
Médicaments
Nombre d’interventions
Aa
Rb
NRc
Sels de Fe ou de Ca / fluoroquinolones,
lévothyroxine, biphosphonates
Fluindione/Ains/hbpm-avk/amiodarone
Tramadol / Antidépresseurs Inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine
Amiodarone, digoxine, vérapamil, diltiazem,
amitriptyline, carbamazépine, lévodopa,
neuroleptiques
40 (3 “arrêt”, 37 “optimisations de prise”)
35
1
4
37 (6 “arrêt”, 29 “suivi thérapeutique”)
29 (2 “substitution /échange”, 27 “suivi
thérapeutique”)
120
23
10
1
17
13
2
73
12
35
226
141
31
54
Total
a
Acceptée.
b
c
Refusée. Non renseignée.
Tableau 4. Répartition des interventions pharmaceutiques en fonction des centres.
Intervention
Arrêt
Substitution Echange
Choix de la voie d’administration
Suivi thérapeutique
Optimisation modalités d’administration
Adaptation de posologie
Total
J Pharm Clin, vol. 26, n° 4, décembre 2007
Nombre (%)
32 (14,2 %)
37 (16,4 %)
0 (0 %)
106 (46,8 %)
47 (20,8 %)
4 (1,8 %)
226 (100 %)
Centre
1
2
3
4
5
6
3
0
0
7
2
0
12
0
2
0
5
22
0
29
20
4
0
1
6
1
32
2
8
0
33
3
1
47
6
4
0
29
9
1
49
1
19
0
31
5
1
57
263
R. Roubille, et al.
nature des interactions signalées par les six équipes.
Compte tenu de la taille limitée de l’échantillon étudié, la
discussion sera illustrée avec les trois types d’interactions
les plus fréquemment signalées.
de PPSB et de vitamine K, utilisation de concentrés globulaires [28, 29]. Le suivi de ces indicateurs sentinelles est
l’un des moyens d’apprécier l’impact des interventions
pharmaceutiques dans le domaine des IM.
Interactions médicamenteuses
concernant l'inhibition de l'absorption
avec risque d'inefficacité thérapeutique
Interactions médicamenteuses avec augmentation
du risque de syndrome sérotoninergique
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C’est le cas de l’inhibition de l’absorption d’un médicament au niveau du tube digestif par un autre médicament.
Ce type d’interaction est le plus souvent classé dans la
rubrique « précautions d’emploi » dans le résumé caractéristique produit (RCP). Elle concerne dans notre échantillon les fluoroquinolones, les biphosphonates et les hormones thyroïdiennes qui peuvent voir leur activité réduite.
Pour un centre, il n’y a pas d’interactions concernant les
fluoroquinolones administrées par voie orale. Interrogé
sur les raisons de ce constat, le pharmacien a précisé que
cette association et les précautions à prendre étaient très
fréquemment signalées aux médecins et infirmières oralement, directement en service clinique. Cependant, compte
tenu de cette fréquence, elle ne fait plus l’objet d’une
codification ni d’un enregistrement.
Des travaux menés à l’étranger ont montré que les fluoroquinolones administrées par voie orale étaient fréquemment associées à des médicaments pouvant réduire très
significativement leur biodisponibilité [17, 23]. La participation d’un grand nombre d’établissements à la base
SFPC permettrait d’infirmer ou de confirmer ces observations. Si, comme cela est possible, cette observation est
confirmée, il faudrait alors tenir compte des données
émergentes comme l’impact sur l’évolution des résistances
ou le signalement d’échecs thérapeutiques [24-26]. Il
pourrait alors s’ensuivre une révision du libellé du Thésaurus de l’Afssaps [27]. En effet, la terminologie adoptée
dans ce thésaurus n’attire pas l’attention sur les risques
encourus et la mention « si possible » qui vient compléter
le « prendre à distance plus de 2 heures » de certains RCP
tend encore plus à limiter la portée du message et donc à
minimiser les risques encourus.
Nos observations ainsi que ces données soulignent la
difficulté en milieu hospitalier de faire préciser les horaires
de traitement sur les prescriptions. Elles devraient ainsi
nous inciter à définir avec médecins et infirmières une
politique de prévention de ce type d’interaction. Cette
politique peut notamment faire appel à des messages
d’alertes ou bien à des plans de prises pré-établis pour
ceux qui disposent de logiciels de prescription et d’administration. Elle doit passer aussi par une révision systématique des traitements des malades en réévaluant la pertinence de la prescription d’un pansement gastrique
concomitante à un traitement par fluoroquinolone.
Interactions médicamenteuses avec augmentation
du risque hémorragique
Tous les centres, sauf celui pour lequel les IM ne représentent que 4 % des interventions, ont signalé des interactions avec risque hémorragique associé aux AVK et/ou
AINS et/ou héparine. Si cette observation se confirmait à
plus grande échelle, il serait intéressant de mesurer l’impact des interventions pharmaceutiques. Cela pourrait
notamment passer par le suivi d’indicateurs sentinelles en
relation avec des évènements hémorragiques tels que
INR > 4, TCA supérieurs à 3 fois le témoin, consommation
264
La troisième IM la plus fréquemment signalée concerne les
associations connues comme pouvant entraîner la survenue d’un syndrome sérotoninergique comme c’est le cas
de la prescription de tramadol avec un médicament
inhibiteur de la recapture de la sérotonine. De récentes
revues de la littérature montrent que les signes cliniques du
syndrome sérotoninergique sont bien identifiés [30-32].
Ces articles indiquent qu’il a le plus souvent une cause
médicamenteuse et que les médicaments les plus fréquemment mis en jeu sont des psychotropes. Cependant, une
étude réalisée en Grande Bretagne a montré que 85 %
des médecins interrogés n’étaient pas familiers avec ce
syndrome [33]. Il semble donc que le risque soit mal
apprécié. Par ailleurs, l’incidence de sa survenue n’est
pas connue et il est bien souvent non diagnostiqué par les
cliniciens. Il se résout spontanément après arrêt des médicaments mais le devenir peut être sévère et entraîner le
décès du patient. Riechelmann [34, 35] a montré que
l’association tramadol avec inhibiteur de la recapture de
la sérotonine était une association très fréquemment rencontrée à l’hôpital chez les patients atteints de cancer. Ce
constat est surprenant car il a été souligné que ce type
d’association est illogique sur un plan pharmacologique
et entraîne une diminution de l’effet antalgique, diminution plus marquée chez les métaboliseurs lents du cytochrome P450 2D6 [36-38].
Dans l’échantillon que nous avons étudié, il s’agit de la
troisième interaction la plus fréquemment signalée. Cependant, cette interaction relève de deux centres sur les
six hôpitaux. L’origine de l’effet centre est due au fait que
les autres hôpitaux ont renoncé à signaler cette indication
qui était non suivie d’une modification thérapeutique de
manière systématique. Sur les deux centres qui ont signalé
cette IM avec ses conséquences potentielles, on observe
qu’un centre obtient toujours une modification de la thérapeutique alors que pour l’autre, elle est systématiquement
refusée. Les raisons conduisant les cliniciens des services
concernés à avoir des attitudes différentes mériteraient
d’être étudiées. On ne peut s’empêcher d’évoquer les
hypothèses citées plus haut, notamment sur l’ignorance
des médecins des risques encourus par le patient et la
fréquence exacte de survenue de ce syndrome. Nous
avons cependant noté que pour le centre où cet avis était
toujours refusé, les avis pharmaceutiques étaient émis à
distance. En revanche, pour le centre où ils sont acceptés,
le pharmacien travaillait au sein même de l’unité de soins.
Là encore, des variables explicatives sont à rechercher sur
ces différences de comportement des prescripteurs vis-àvis des interventions des pharmaciens.
L’analyse de l’échantillon concernant les IM a montré à la
fois des différences entre centres tant sur la fréquence des
IM signalées que sur la nature de celles-ci et des divergences de réaction des médecins dans le cadre des modifications de leurs prescriptions. Au regard de ces premiers
résultats, on devine que les perspectives de recherche sont
multiples. Néanmoins, l’un des pièges à éviter sera de
présenter les informations contenues dans cette base sans
J Pharm Clin, vol. 26, n° 4, décembre 2007
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Potentiel d’étude de la base ACT-IP
les rapprocher des pratiques de chaque centre. Ainsi
l’analyse des données collectées par centre et la comparaison entre centres devront être complétées par une
analyse de variables descriptives. Celles-ci devraient porter sur le mode de travail (analyse de prescription faite à
la pharmacie ou au sein des unités de soins), nature des
relations professionnelles et mode de communication,
informatisation de la prescription, attitude systématique,
etc. La relation entre bases documentaires employées (le
Thésaurus de l’Afssaps [27], le dictionnaire Vidal [39],
Thériaque [40], le supplément IM de la revue Prescrire
[41] par exemple) et la nature, la fréquence des interventions réalisées. De même, le degré d’acceptation des
cliniciens pourrait faire l’objet d’une attention particulière.
Il serait par ailleurs souhaitable, pour obtenir une épidémiologie fiable, que les centres qui voudront s’associer à
des travaux multicentriques s’engagent à saisir la totalité
des interventions réalisées. Cela évitera un biais dû aux
données manquantes tel qu’il a été identifié lors de la
discussion sur les interactions par inhibition de l’absorption digestive. Si toutefois cela s’avère impossible, il
faudra que les équipes associées précisent s’il y a des
domaines dans lesquels elles ont arrêté une politique de
non intervention ou de non saisie de fiches et si oui, de
préciser les interactions concernées.
L’étude du devenir des interactions montre que pour 24 %
d’entre elles, il n’est pas connu. Ce chiffre met en lumière
la difficulté d’obtenir cette information. Il est possible que
cela soit lié au taux de rotation des patients, - plus il est
élevé, plus cette information peut s’avérer manquante- ou
au rythme avec lequel l’analyse des prescriptions est
réalisée. Si le pharmacien passe une fois par semaine,
une certaine proportion des patients aura quitté le service
la semaine suivante.
Le contenu de 31 avis pharmaceutiques sur les 226 émis,
soit 14 %, a été refusé par les médecins. Là encore, une
identification de variables explicatives est nécessaire pour
optimiser les résultats de la recherche. A notre connaissance, le devenir des interactions pharmaceutiques dans
le domaine des IM n’a pas été étudié. Ainsi, on ne connaît
rien du comportement des médecins quand on leur propose un avis pharmaceutique qui s’appuie sur un document de référence comme le thésaurus de l’Afssaps. Il
serait intéressant d’observer par exemple si le niveau de
contrainte a un impact sur la décision de modifier ou non
une prescription.
L’analyse des taux d’acceptation, la nature des relations,
le mode de communication, la pertinence des interactions
signalées, l’information qui complète l’avis pharmaceutique constituent autant d’axes de recherche possibles. La
mise en commun des données à travers la base de la SFPC
offre un potentiel d’études important. La nécessité de telles
études, a été soulignée dans un récent éditorial du Journal
de pharmacie clinique dont le comité de rédaction encourage les lecteurs à la soumission de résultats de travaux
ayant une approche multicentrique [42]. Ces travaux
pourront porter aussi bien sur les classes médicamenteuses que le type de service de soins par exemple. Ils
doivent conduire à identifier la nature des interactions les
plus fréquemment acceptées, les services concernés et les
différences entre disciplines médicales, si elles existent, et
d’étudier le devenir des avis pharmaceutiques. La mise en
évidence des différences contribuera à la recherche de
variables explicatives. L’ensemble de cette recherche
J Pharm Clin, vol. 26, n° 4, décembre 2007
aidera à préciser les conditions optimales dans lesquelles
doivent être émis les avis pharmaceutiques dans chacun
des items concernés [43]. La confrontation du contenu de
la nature des interventions réalisées aux données récentes
de la littérature devrait permettre d’identifier des insuffisances comme des interactions jamais signalées ou bien
encore des interventions non pertinentes et ainsi enclencher des actions correctrices et des plans de formation.
Conclusion
A travers l’exemple des IM, nous avons montré que
l’analyse des données contenues dans la base ACT-IP de
la Société française de pharmacie clinique présente un
potentiel de recherche important. Elle offre des perspectives d’analyse à différents échelons (local, régional ou
national). Elle devrait nous permettre d’identifier les risques les plus fréquents et les médicaments les plus souvent
impliqués. Cela doit aider à dégager des priorités dans
les plans d’action à mettre en œuvre tant sur un plan local,
par l’intermédiaire de la commission du médicament par
exemple, que sur un plan national par l’intermédiaire de
la société savante qui soutient ce travail. Le développement de son emploi permettra d’argumenter et de valoriser le travail des pharmacies hospitalières, notamment
dans le cadre des contrats de bon usage. Néanmoins,
l’analyse de ces données devra s’entourer de précautions.
Ainsi, il faudra recueillir des informations descriptives
relatives aux pratiques de l’analyse de prescription. L’obstacle à surmonter sera l’obtention d’un recueil exhaustif de
la part des centres qui souhaiteront voir leurs données
intégrées à une analyse multicentrique.
Conflits d'intérêt : aucun
La réalisation de ce travail a bénéficié du soutien de la
Société française de pharmacie clinique. Pour ce travail,
chacun des auteurs a saisi les données dans la base. Le
traitement des données et l’écriture de l’article ont été
réalisés par R. Roubille et B. Charpiat. Le paragraphe
« discussion » résulte d’une réflexion collective. Le manuscrit a été relu et corrigé par tous les auteurs. ■
Remerciements
Madame Boucquin et Madame Barreto du centre de documentation de la Pharmacie Centrale des Hospices Civils de Lyon pour
leur active participation à la recherche bibliographique et Madame Badoil pour la mise en forme de ce manuscrit.
Références
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