m-Conduire et promouvoir un ensemble musical amateur

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m-Conduire et promouvoir un ensemble musical amateur
C.E.F.E.D.E.M. Bretagne Pays de la Loire Conduire et Promouvoir un Ensemble Musical Amateur Juin 2007 – M 07 Jérémie Clot
1 I. Sommaire I. SOMMAIRE 2 II. INTRODUCTION 3 III. QU’EST­CE QU’UN ENSEMBLE MUSICAL AMATEUR ? 5 ü Définitions ü Proposition de définition selon l’Académie Française 5 5 IV. QUELS GROUPES, DANS QUELS BUTS, AVEC QUI ? 5 ü Cadre associatif, Ensembles pérennes ou éphémères ü L’ensemble amateur, son rôle fédérateur 6 7 V. QU’EST­CE QU’UN « CHEF » ? 8 ü Pourquoi j’ai voulu diriger 8 VI. EMERGENCE D’UN ORCHESTRE DEMOCRATIQUE ? ü ü ü ü ü Avant propos : « L’expérience de Persimfans » Programme participatif Le Collectif au service du Savoir L’ensemble musical amateur comme vecteur social Conclusion VII. LES COMPETENCES DU CHEF ü ü ü ü 10 11 13 14 14 15 Didactiques et Pédagogiques Educatives et Formatives Musicales Fonctionnelles 15 16 17 17 VIII.ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE ET CULTUREL : LE PROGRAMME ü ü ü ü ü ü 10 Patrimoine musical Création & (re)Découverte comme actes novateurs Comment partager une œuvre avec des élèves ? Culture & Pouvoir Fonder un projet pour autrui Conclusion 18 19 19 20 20 21 22 IX. LE CONCERT, MOMENT PRIVILEGIE 22 X. LIENS AVEC LES AUTRES ARTS 23 XI. CONCLUSION 24 XII. BIBLIOGRAPHIE ET AUTRES SOURCES 25 XIII.REMERCIEMENTS 26 XIV.ANNEXES 27
2 II. Introduction C’est à l’âge de huit ans et demi que j’ai débuté l’apprentissage du tuba et quelques mois plus tard le manque de tubistes a fait que j’ai été enrôlé, sans trop comprendre ce qui m’arrivait, au sein d’un orchestre d’harmonie. Je n’ai donc jamais eu vraiment le temps de me poser la question de savoir s’il est important pour un musicien de jouer, ou non, avec d’autres musiciens. Mais, en lisant aujourd’hui sur un bulletin des Enseignements Elémentaire et Secondaire, que « Jouer ensemble est, pour la grande majorité des élèves, le but poursuivi et la modalité future de leur pratique musicale 1 » je réalise pleinement l’importance de la pratique musicale en groupe. Jusqu’ici, toute ma vie de musicien, amateur puis professionnel, a gravité autour de la pratique d’ensembles dans lesquels j’ai évolué en prenant tout naturellement du plaisir sans réaliser véritablement que l’un des objectifs majeurs d’un musicien doit être de pouvoir jouer avec d’autres musiciens, de partager des moments forts avec eux, de s’enrichir au contact des autres, et cela, quelque soit leur niveau, leur âge ou leur personnalité. Certains acteurs passent, même furtivement, derrière la caméra à un moment ou un autre de leur carrière. Ce n’est pas qu’ils renient leur vocation première, mais peut­être saisissent­ils tout simplement une chance qui leur est offerte de pouvoir mettre à profit leur expérience, au service non seulement d’une autre discipline, mais aussi au service des autres. « Acteur » d’orchestre ou d’ensembles divers je le suis et je le demeure mais, en parallèle, j’ai l’opportunité, et cela depuis quelques années déjà, de gérer des ensembles amateurs, orchestres et chœurs, regroupant jeunes et moins jeunes. L’élaboration de ce mémoire m’apporte l'occasion d’analyser et comprendre les difficultés liées à la conduite et à la gestion d’un ensemble musical amateur. Partant de la conviction que l'époque du Chef­Roi, c'est­à­dire d'un Chef tout puissant face aux musiciens est révolue jusqu'où peut­on laisser le groupe de musiciens s'autogérer et s'autoévaluer dans sa pratique, et même devenir participatif y compris dans le choix des programmes ? Et dans ce cas de gestion démocratique d'un ensemble, quelle place reste­t­il au Chef qui doit, bien entendu, éviter autant l'écueil d'un Chef devenu simple figurant, que la prise de pouvoir anarchique par les musiciens qu'il est sensé guider ? Même s’il m’est difficile 1 Bulletin Officiel n°30 : Enseignements Elémentaire et Secondaire p1511
3 d’avoir du recul pour juger un contexte dans lequel je suis totalement immergé, cet approfondissement est pour moi la première étape de ma réflexion et de ma remise en question mais il me conforte également. La lecture des nombreux ouvrages auxquels je fais référence tout au long de ces pages, m’a permis de recueillir une importante quantité d’éléments nouveaux qu’il me reste à approfondir et je commence déjà à imaginer comment les mettre en application.
4 III. Qu’est­ce qu’un ensemble musical amateur ? ü Définitions proposées par l’Académie Française dans son dictionnaire consultable en ligne 2 : Ensemble : « L’un avec l’autre, les uns avec les autres » ; « Unir ses efforts » ; « Réunir, s’harmoniser » Amateur : « personne qui pratique un art ou un sport sans en faire profession ni en tirer profit » ; « personne qui a un goût particulier pour une chose et qui la recherche » ; « personne qui dans ses activités, montre de la légèreté ou de la désinvolture » Musical : « relatif à la musique » ü Proposition de définition selon l’Académie Française Un ensemble musical amateur est une réunion de personnes, ayant un goût commun pour la musique et recherchant une pratique au sein d’un groupe convivial et qui unissent leurs efforts en harmonie pour se produire en concert en y trouvant un bonheur simple et désintéressé. IV. Quels groupes, dans quels buts, avec qui ? Selon le dossier bimensuel n°65 du Ministère de la Culture et de la Communication sur la pratique musicale amateur 3 , les musiciens amateurs représentent cinq millions de français de plus de 15 ans ; 56% d’entre eux jouent seuls et 44% pratiquent la musique au sein d’un ensemble (recensement d’avril 2000). Jacques Favart assure que la musique amateur « occupe une place importante dans le développement personnel de beaucoup de gens 4 […] » Cette affirmation du président de l’Association Départementale d'Informations et Actions Musicales 2 Académie Française : Dictionnaire en ligne Ministère de la Culture et de la Communication : La Pratique Musicale Amateur 4 Favart Jacques : Lettre d’information p10
3 5 (ADIAM), doit nous faire réfléchir sur ce que sont les groupes musicaux amateurs. Ce sont les orchestres symphoniques, les orchestres d’harmonie, les big band, les chœurs etc. qui sont constitués le plus souvent d’un chef et de musiciens instrumentistes ou chanteurs. On trouve également des formations plus restreintes tels que des groupes de musique actuelle, ou groupes de musique amplifiée qui elles, n’ont pas de chef, mais qui se regroupent autour d’un « leader ». Les groupes amateurs sont le plus souvent ouverts à tout musicien, expérimenté ou non, désireux de pratiquer au sein d’un ensemble. Il n’y a en général aucun concours ou examen, niveau instrumental ou critères artistiques requis, pour participer à ces ensembles. Chaque groupe musical a ses propres particularités, et le répertoire comme l’instrument, conditionnent le choix au groupe. L’on rencontre généralement, au sein de ces ensembles, une population liée à la ville ou à un quartier, retrouvant par conséquent des amis ou voisins… et des amitiés se créent parmi les participants. Le plus souvent, ces groupes musicaux se retrouvent pour participer à la vie associative du quartier, de la ville, ou de leur environnement proche pour faire de la musique avec leurs voisins ou leurs amis et pour se produire devant d’autres voisins ou amis… Il semblerait donc qu’il existe une vocation sociale très forte. Toute cette mosaïque de personnalités diverses représente effectivement « beaucoup de gens » qui, acteurs ou spectateurs, donnent à la musique « une place importante dans leur développement personnel 5 ». L’ensemble amateur est un des modes privilégiés d’appropriation des patrimoines musicaux et, par ailleurs, un vivier de la pratique professionnelle. Il pourrait être intéressant de savoir si la musique et la pratique en amateur ne sont pas également, pour bon nombre d’entre eux, la première étape de la rencontre avec la musique. ü Cadre associatif, Ensembles pérennes ou éphémères A cette étape de mon travail de recherches, il m’a paru nécessaire de m’intéresser de plus près aux règles qui régissent de nombreux ensembles musicaux amateurs. Ils sont, pour une grande majorité, regroupés au sein d’associations loi 1901, donc à but non lucratif. Le fonctionnement interne de l’association est géré par un bureau composé d’un président, d’un trésorier, d’un secrétaire et de tout autre membre précisé dans les statuts de l’association. Ce 5 Favart Jacques : Lettre d’information p10
6 bureau est bénévole mais peut, le cas échéant, faire appel à des membres extérieurs pour sa gestion. Le statut associatif donne une certaine force au groupe et implique de ce fait, une vie associative, avec des relations humaines fortes. Là encore, je retrouve « la place importante dans le développement personnel », bienfait corollaire, certes dans ce cas, mais découlant incontestablement du mode de fonctionnement du groupe musical amateur ou professionnel. Chaque activité de l’association est présentée à l’extérieur, au nom du groupe, et devient ainsi une forme d’élément unificateur. Il existe également une autre forme d’ensembles musicaux tout aussi pérenne mais sans statut juridique particulier. On les retrouve régulièrement aux fêtes de la musique, à des manifestations folkloriques… Les ensembles musicaux éphémères tout aussi informels, se créent, souvent spontanément pour une occasion ponctuelle comme également la fête de la musique mais aussi des événements familiaux, des soirées diverses… ü L’ensemble amateur, son rôle fédérateur D’avoir approfondi les subtilités du tissu associatif m’a incité à pousser la réflexion sur l’importance de l’ensemble amateur dans le cadre d’une institution constituée et académique. J’en conclus qu’il convient de s’efforcer de placer la pratique musicale amateur collective comme un « secteur déterminant pour l’avenir de la vie musicale, […] qui constitue un objectif majeur et aujourd’hui clairement réaffirmé de la politique du Ministère de la Culture et de la Communication, à la mesure des enjeux artistique, social […] qu’ils représentent. 6 » J’ai été amené à constater que si l’ensemble musical est partie prenante d’une école de musique ou d’un conservatoire, c’est probablement sur la vitrine médiatique de l’établissement que son impact se fait principalement percevoir. La pratique collective peut donc, à mon avis, devenir un des centres d’apprentissage de la musique car elle est liée autant avec la formation musicale qu’avec le cours d’instrument, comme on peut l’observer actuellement au Conservatoire de Nantes dans le cadre de la Petite Fanfare pour les débutants. Par ailleurs, la pratique collective donne une place et une cohésion au sein de l’équipe 6 Ministère de la Culture et de la Communication : La Pratique Musicale Amateur
7 pédagogique, en faisant, par exemple, travailler des morceaux d’ensemble, participer une classe, un(des) professeur(s) etc. On ne peut pas nier que l’ensemble musical amateur soit également un facteur de motivation pour les élèves, grâce à l’émulation qu’elle suscite, ni qu’elle contribue au développement des compétences de chaque participant. En effet, les premiers à être sous le charme du groupe constitué qui se produit en concert sont les enfants, même les très jeunes. Ils sont séduits par le spectacle qu’ils découvrent, rêvent et ambitionnent d’en faire partie. Cela les stimulera pour s’en donner les moyens. L’ensemble musical amateur est également un lien étroit entre les générations. Il n’est pas rare que plusieurs membres de la même famille se côtoient au sein d’un même groupe. V. Qu’est­ce qu’un « Chef » ? Chef : « Personne à laquelle on reconnaît le premier rang pour guider un groupe, pour orienter son action » ­ « Celui, qui assure la direction matérielle et morale 7 ». Conductor : (terme probablement plus approprié à la musique) : “ The conductor, in a group of performers, is the manager who detains the ability for pointing out the tempo by beating time, indicating phrasing, dynamics and style by gesture and facial expression 8 ” . Qui peut se traduire comme suit : « Le chef, dans un ensemble d’interprètes, est le responsable capable d’indiquer le tempo en battant la mesure ; indiquant le phrasé, les nuances et le style, par une gestique et une expression faciale ». ü Pourquoi j’ai voulu diriger Ce ne sont pas des évènements mais plutôt une succession d’émotions qui m’ont incité à vouloir conduire des ensembles divers. Il m’est très difficile d’en formuler la synthèse car c’est le résultat d’un long cheminement intérieur, de réflexions confuses, de doutes, de remises en cause personnelles et de non­dits. C’est une excellente chose que je sois amené ici à, premièrement me poser la question, et, deuxièmement à chercher des réponses. 7 8 Académie Française : Dictionnaire en ligne Harrap’s : Dictionnaire
8 J’ai déjà expliqué que je suis tubiste et que j’entends bien le rester et ce, par choix personnel, et que je suis également musicien d’orchestre. Si j’ai voulu passer « de l’autre côté de la scène », c’est au départ je pense avec le recul, parce que j’étais malheureux de n’être pas pris au sérieux parce que je « n’étais que » tubiste. J’espérais que le prestige de la baguette rejaillirait sur le tubiste et que l’on me regarderait différemment. Il me semble effectivement que depuis quelques temps les gens me dévisagent autrement. Mais est­ce vraiment le cas ou n’est­ce qu’une impression ? Est­ce je ressens que l’on me regarde autrement parce que je souhaite qu’il en soit ainsi ? Et du reste, en imaginant que ce soit vrai, est­ce que cette reconnaissance des autres augmente ma valeur intrinsèque ? Est­ce réellement moi que les gens regardent ou simplement la fonction de « chef » ? S’il y avait un autre chef à ma place, serait­il regardé de la même façon ? Quelle importance dois­je donner au regard des autres pour conduire ma vie ? Une autre raison qui m’a donné envie de conduire des ensembles était le désir – probablement chimérique ? – de monter mes propres projets musicaux voulant décider du choix du répertoire plutôt que d’être obligé de le subir. Aujourd’hui que je suis en conditions réelles, je dois me demander : « un chef doit­il s’arroger les pleins pouvoirs et tout gouverner tout seul ? Si j’avais souffert d’endurer les choix des autres, n’était­ce pas absurde de vouloir reproduire une situation identique aux détriments d’autres musiciens ? Par ailleurs, le choix d’un répertoire ou d’un programme est­il toujours subordonné aux seules fantaisies du chef ? N’y aurait­t­il pas d’autres critères incontournables ? Dans le même état d’esprit, j’avais envie de faire découvrir à d’autres, les temps forts musicaux que j’avais vécus moi­même. Mais, était­ce là encore une bonne chose que de penser que ce qui avait été bien pour moi le serait forcément pour autrui… Je confesse également avoir eu, dans mon adolescence, une vision surdimensionnée de mon ego. Est­ce toujours le cas ? Ou bien, suis­je revenu à une plus juste considération des choses ? Ces raisons et peut­être d’autres que j’ai encore du mal à cerner, expliquent en partie pourquoi j’ai désiré tenir le destin d’ensembles musicaux entre mes mains et pourquoi j’ai saisi les opportunités qui m’ont été offertes. Mais, peu à peu, je suis amené à me reconsidérer et à reconsidérer ma façon de penser, aidé en cela par les lectures, les recherches et deux années d’enseignement au sein du
9 CEFEDEM. La pédagogie qui nous y est enseignée ne devrait­elle pas nous aider autant à nous auto éduquer qu’à instruire les autres ? VI. Emergence d’un orchestre démocratique ? ü Avant propos : « L’expérience de Persimfans » De nombreux documents font référence à « L’expérience de Persimfans » (Per viy Simfonicheskiy Ansamble Dirizhora). Persimfans était un orchestre moscovite sans chef qui exista de 1922 à 1932. Darius Milhaud avait observé que « les musiciens étaient libres d’émettre leurs opinions et leurs critiques pendant les répétitions […] Cette expérience avait pleinement réussi, mais c’était une gageure politique et un chef aurait obtenu les mêmes résultats et, sans aucun doute, plus rapidement 9 ». Cet ensemble qui a vécu pendant 10 ans a démontré à tous qu’il était possible d’avoir un orchestre sans chef. Mais toutes les sommités qui ont eu l’occasion de travailler avec cet orchestre ont donné un avis très proche de celui de Darius Milhaud, à savoir « ça fonctionne plutôt bien, mais il y a une vraie perte de temps ». J’ai été profondément interpellé par cette expérimentation que j’étais à cent lieues d’imaginer possible. Comment concevoir un orchestre sans chef ? Les musiciens, quels que soient les chefs qu’ils ont en face d’eux, ne doivent­ils pas s’appliquer à leur obéir scrupuleusement ? Comment supposer que des musiciens, guidés par la baguette, souhaitent se passer de son soutien ? Les premiers apprentissages musicaux ordonnent de suivre le chef et de faire ce que le chef commande, sans tenir compte de son propre ressenti artistique selon le vieil adage « Le chef a toujours raison… ». Si l’on s’arrête à ce principe, ne risque­t­on pas de placer l’orchestre au rang de « dictature musicale », avec hégémonie du chef. « L’expérience de Persimfans » permet­elle de reconsidérer ce point de vue et de se demander s’il ne serait pas plus altruiste que le choix musical et le choix de l’interprétation soient davantage le résultat d’une concertation entre les musiciens et le chef ? Chacun ne pourrait­il pas, comme dans cet orchestre, avoir la possibilité d’exprimer sa pensée librement et 9 Propos recueillies par Liébert Georges : Ni empereur ni roi chef d’orchestre p133
10 spontanément sans être totalement assujetti au chef détenteur de la vérité ? Le chef ne doit­il pas oublier qu’il ne fait pas la musique mais qu’il contribue à la faire faire. Y’a­t­il actuellement des ensembles qui fonctionnent selon « L’expérience de Persimfans » ? Malgré mes recherches, je n’ai pas réussi à savoir si la programmation et le choix des invités solistes avaient été ou non le fruit de concertations et si les musiciens se concertaient uniquement pendant les temps de répétition. Comment utiliser cette expérience en l’adaptant à l’un des ensembles dont j’ai la charge ? J’ai commencé tout d’abord par considérer le programme. C’est illusoire de penser qu’il puisse convenir à tout le monde mais il faut faire en sorte qu’il plaise à la grande majorité et qu’il ne soit pas le choix d’un tout petit nombre d’heureux élus s’arrogeant le droit de décider de l’avenir du groupe tout entier. Pour ce faire, j’ai imaginé pour l’élaboration du programme d’effectuer une expérience allant de ce sens. ü Programme participatif Ici, je tente d’expliquer mon expérience personnelle avec l’orchestre d’harmonie que j’ai en charge. Elle est le résultat du cheminement de ma réflexion éclairée par les recherches et les lectures inhérentes à ce mémoire. L’orchestre, au même titre que beaucoup d’orchestres amateurs a une programmation annuelle musicale de trois concerts avec trois thèmes musicaux différents. Au cours du traditionnel week­end de stage des vacances d’hiver en février dernier auquel participait la majorité des musiciens, j’ai imaginé de mettre en place un type de fonctionnement novateur pour le choix des programmes de l’année musicale 2007/2008. J’ai essayé de rendre ce choix plus démocratique afin que chacun participe à l’élaboration de la musique qu’il va jouer et qu’il trouve un réel plaisir à venir à chaque répétition. Sachant que le concert de juin 2008 doit s’effectuer obligatoirement avec les chœurs d’enfants de l’école de musique et que les œuvres nous seraient plus ou moins imposées, il nous restait à définir celles de décembre 2007 et mars 2008. Pour décembre 2007, j’ai proposé deux programmes aux musiciens : je leur ai fait écouter des CD’s et ils ont voté, rien de bien compliqué ! Pour élaborer le programme de mars 2008, j’ai partagé les musiciens en cinq groupes et chacun d’entre eux devait trouver plusieurs thèmes de concert. Après la
11 mise en commun des thèmes choisis ils ont voté et sélectionné les trois idées suivantes : musique de l’Est, musique celte, musique pour soli ou solistes. Ensuite, quatre groupes avec chacun un poste de radio et des CD’s de démonstrations des éditeurs ont listé des titres d’œuvres pour chaque thème. Le cinquième groupe, quant à lui, étudiait le listing des partitions en stock. J’avais remis à chacun des groupes un tableau (cf. annexes 1 à 3) sur lequel ils devaient indiquer, en plus du titre des œuvres sélectionnées, leur durée, leur prix et leur niveau de complexité comme indiqué sur les catalogues afin de respecter le budget alloué, le temps du concert et la difficulté par rapport aux capacités de l’orchestre. Au bout d’une heure de recherches, nous avons mis en commun les choix proposés selon les thèmes, écouté tous ensemble les extraits musicaux afin de finaliser les trois sélections et un ultime vote pour le programme définitif. Ce programme élaboré avec des œuvres majeures, des pièces de notre patrimoine, des compositions originales et contemporaines, des transcriptions, des pièces de style est une surprenante mosaïque musicale. L’ensemble de toutes ces recherches a été effectué dans une ambiance aussi détendue que studieuse, le samedi soir, entre 20h et 22h15. Avant de mettre cette expérience en place, j’en avais parlé avec des collègues amateurs ou professionnels et si beaucoup d’entre eux avaient trouvé l’idée intéressante, aucun n’avait pensé qu’elle était matériellement réalisable et plusieurs fois j’avais entendu le mot « anarchie ». Néanmoins, malgré la crainte de l’échec, j’ai persévéré dans ma volonté de tenter l’expérience et je suis heureux que, contre toute attente, elle ait abouti. Elle est pour moi un premier pas vers « l’anti­autocratie ». Cependant, j’émets un bémol sur cette première expérience car je ne suis pas certain que chacun à l’intérieur des groupes ait pu s’exprimer librement et faire passer ses idées. Les fortes personnalités ont forcément dominé les plus faibles, le point de vue des musiciens avertis a prédominé sur celui des débutants et les différences de niveaux de culture musicale se sont fait sentir. Si le fond et l’expérience me semblent intéressants, la forme est à retravailler et il faudrait parvenir à terme à ce que la mise en place de ce programme démocratique permette réellement à chacun d’y trouver son compte.
12 Si la conception du programme a été un travail collectif, la question est de savoir comment, toujours dans le sens de « L’expérience de Persimfans », faire que chacun, en répétition, participe à l’élaboration musicale des morceaux. ü Le Collectif au service du Savoir On pourrait supposer que l’hégémonie du chef ne soit pas à prouver, et pourtant, il arrive que certains se soient fait limoger par leurs musiciens. Il doit accepter que ce n’est pas seulement lui qui détient la connaissance. Tout le monde possède du savoir qu’il appartient au chef d’exploiter, de canaliser, de fédérer et d’imaginer comment en tirer profit. Le chef doit être conscient que, dans un orchestre ou un choeur, les musiciens ressentent quand la répétition s’est bien déroulée, quand les morceaux sont acquis, quand le concert s’annonce sous les meilleurs auspices, ou au contraire, tous les efforts qui restent à fournir pour améliorer, peaufiner, parfaire le travail. Fort de cela, il m’arrive, pendant les répétitions, de laisser du temps aux instrumentistes/choristes pour dire ce qu’ils perçoivent, ce qui pour eux est acquis, là où il faut progresser et ce, toujours de manière constructive. Si au début c’était toujours les mêmes deux ou trois personnes qui osaient dire les choses, depuis, peu à peu, d’autres prennent la parole… J’ai à cœur de persévérer afin de développer leur esprit critique et analytique. Le résultat dépend également de l’osmose qui règne au sein de groupe. J’ai enfin une observation à formuler à l’issue de cette expérience, suite à des remarques de personnes qui ne comprenaient pas « pourquoi je leur demandais de faire mon travail… » Les musiciens amateurs ne recherchent­ils pas pour la plupart leur plaisir avant tout ? Peut­on considérer que le fait de les investir dans le déroulement des répétitions représente pour eux un effort de travail inadéquat ? Leur ai­je suffisamment expliqué le fond de ma démarche ? Si je ressens que, là encore, l’idée est intéressante, la forme quant à elle n’apparaît pas tout à fait au point. A l’issue de leur participation à ces démarches collectives, les musiciens ont éprouvé et exprimé leur satisfaction de se sentir beaucoup plus impliqués dans l’œuvre commune. Cette symbiose spontanée m’a conduit à m’interroger sur les enjeux sociaux qui pouvaient en découler.
13 ü L’ensemble musical amateur comme vecteur social « Je veux aujourd’hui affirmer la reconnaissance par mon ministère des pratiques en amateur comme une composante majeure, citoyenne autant qu’artistique, de la vie culturelle de notre pays 10 ». Pour le musicien amateur, la musique est certes une passion, un plaisir, un loisir important dans sa vie, mais n’est­ce pas, et c’est peut­être parfois l’essentiel, un moyen de rencontrer d’autres personnes ayant le même centre d’intérêt ? La pratique amateur, qu’elle soit instrumentale ou vocale, a besoin de convivialité, de contacts humains, d’une ambiance chaleureuse et d’un esprit de groupe qui sont la base de la cohésion sociale. Ne s’agirait­il pas pour autant que chacun puisse y trouver sa place au sein de cette mini société, de s’y sentir heureux et d’y demeurer ? « De par leur convivialité, les pratiques amateurs contribuent fortement à créer ou à restaurer le lien social. Ces pratiques sont vecteurs d’identités d’un groupe, des lieux de rencontre et de reconnaissance des diversités et des métissages, des terrains d’intégration 11 . » L’instrument une fois dans sa boîte, les partitions rangées, la salle devient le lieu privilégié où l’on se retrouve autour d’une collation. Les réunions préparatoires des concerts et autres manifestations, les week­ends musicaux, les concerts, les repas sont autant de moments de convivialité dont aucun chef ne doit nier l’importance. Jouer dans un ensemble musical n’est pas une fin en soi mais une ouverture vers les autres et la musique doit en rester le lien propice. Mes expériences personnelles, que ce soit en France ou hors de nos frontières, lorsqu’il m’a été permis d’y évoluer, m’en avaient déjà convaincu. Mais, depuis deux ans que je progresse dans un univers qui m’apporte la connaissance d’autres populations d’instrumentistes que celles auxquelles j’étais habitué, j’ai touché du doigt la force de l’impact de la musique dans notre culture ; je ne pensais pas que c’était à ce point… ü Conclusion « Jouer ensemble est, pour la grande majorité des élèves, le but poursuivi et la modalité future de leur pratique musicale 12 . » Je pense, de plus, que l’ensemble de ces expériences, au delà de la pratique musicale, tend à prouver concrètement 10 Favart Jacques : Lettre d’information p10 Ministère de la Culture et de la Communication : La Pratique Musicale Amateur 12 Bulletin Officiel n°30 : Enseignements Elémentaire et Secondaire p1511
11 14 qu’une forme de démocratie participative est concevable. Elle est constructive et fédérative et, grâce à elle, non seulement le musicien pratique son art, mais l’humain s’épanouit et apporte sa pierre à l’édifice du groupe. Pour mettre à profit l’ensemble de ces travaux collectifs au service du groupe, je me suis demandé quelles étaient les compétences nécessaires inhérentes au chef. VII. Les compétences du chef ü Didactiques et Pédagogiques « La didactique est l'ensemble des techniques d'enseignement et d'apprentissage des matières scolaires. 13 ». Dans un groupe amateur, les musiciens recherchent le plus souvent la finalité ultime : le concert. Selon François Lombard, professeur des Sciences de l’Education à l’Université de Genève, la démarche de projet n’est pas une fin en soi, mais un détour pour confronter des élèves à des obstacles et provoquer des situations d’apprentissage. Or, dans un projet, on est enclin à viser tout d’abord l’efficacité comme enjeu fort, au détriment de l’apprentissage en lui­même. Doit­on comprendre par là que le professeur se doit donc de prendre quelques précautions afin de réussir une pédagogie de projet ? Si oui, il doit tout d’abord s’assurer de la faisabilité de l’objectif commun, tout en restant attentif à ce que chacun y trouve son compte dans la facilité ou la difficulté. Outre une originalité nécessaire dont il doit faire preuve pour intéresser les participants et à terme l’auditoire, il doit veiller constamment à la bonne marche du projet. Il doit se montrer vigilant, ne pas imposer systématiquement sa propre vision des choses, provoquer les critiques les accepter, en tenir compte et les coordonner. Le professeur doit savoir analyser autant le but que les moyens pour y parvenir et responsabiliser chacun. Il doit aussi donner à l’élève le goût d’apprendre, d’aller plus loin et de se perfectionner par lui­même. N’est­il pas important également de ne pas négliger l’humain ? Selon Isabelle Filliozat psychologue clinicienne et psychothérapeute, « ce qui fait la différence ce ne sont pas seulement nos compétences techniques, mais nos capacités à gérer 13 Académie Française : Dictionnaire en ligne
15 nos affects et à communiquer 14 . » En effet, professeurs d’art, nous nous adressons à la sensibilité artistique et émotionnelle de chacun. Animer une réunion, parler en public, vaincre la timidité, répondre à l’agressivité, s’affirmer, donner son avis, écouter, comprendre les réactions d’autrui, motiver une équipe et se motiver soi­ même, accueillir des émotions, faire face à l’adversité et au changement, résoudre des conflits sont autant de gageures auxquelles nous nous trouvons confrontés au quotidien. Si non, n’est­ce pas une entreprise vouée à l’échec ? Puisque chacun est unique, chacun n’a t­il donc pas son chemin tout à fait particulier à vivre, même à l’intérieur d’un groupe ? S’obstiner à tout gérer pour les autres ne relèverait­il pas d’un mouvement de toute­puissance camouflé derrière une apparence de don et de générosité ? Comment gérer cette ambivalence entre l’individu et le groupe, l’individu dans le groupe, l’individu au service du groupe, le groupe au service de l’individu ? ü Educatives et Formatives L’important, c’est que l’apprenant puisse utiliser avec profit, à des fins éducatives et formatives, les ressources de son environnement, exprimer ses besoins et devenir autonome dans son approche des savoirs. Il doit pouvoir s’auto­ évaluer, gérer ses compétences et ainsi se former « tout au long de sa vie. » L’enseignant est un accompagnateur qui enseigne comment apprendre en guidant l’apprenant vers une prise de conscience et une autonomie. Le groupe est donc acteur de sa propre formation et utilise les moyens proposés par le professeur. Chacun des membres s’auto­évalue, gère ses compétences et utilise ainsi tous les outils nécessaires pour se former. Egalement, ce qui est important, c’est d’édifier une relation d’échange entre le professeur et le groupe afin que le groupe construise sa propre opinion et ses propres valeurs. Le professeur mobilise les anciens acquis de l’ensemble et structure les nouvelles connaissances par le biais du débat, par exemple. L’enseignant établit ainsi une relation pédagogique forte avec les musiciens, et le groupe reste avant tout acteur de son propre apprentissage. 14 Filliozat Isabelle : L’Intelligence du Cœur p10
16 ü Musicales « Le chef d’orchestre, doit voir et entendre, il doit être agile et vigoureux, connaître la composition, la nature et l’étendue des instruments, savoir lire la partition et posséder, en outre, du talent spécial…15
». J’aime beaucoup cette phrase d’Hector Berlioz qui résume pleinement, selon moi, les qualités intrinsèques du chef d’un point de vue musical. Berlioz, dans son livre, évoque également ce qu’il ressent et plus spécifiquement le talent spécial qui se résume parfois simplement à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui du bon sens… et je suis convaincu également qu’en plus de toutes les compétences musicales et gestuelles, « il faut savoir ce que la musique veut dire pour savoir ce que l’on veut dire par elle 16 ». ü Fonctionnelles J’ai commencé à suivre des cours de direction qui ont très rapidement complété mes connaissances « de terrain ». Mes premiers balbutiements de chef de chœur/orchestre ont été réalisés au feeling en copiant mes chefs « préférés », prenant de chacun d’eux ce que je lui trouvais de meilleur, selon mes propres critères, évidemment. Lorsque mes lectures m’ont permis de « rencontrer » Pierre Boulez, je l’ai choisi comme maître à penser et à diriger et je me suis efforcé de suivre ses préceptes, en attendant de recevoir, l’an prochain une véritable formation académique. Ainsi, selon la pédagogie de Pierre Boulez dont je commence à m’imprégner, et afin d’amener le groupe musical amateur au concert dans les meilleures conditions musicales et humaines possibles, je dois, en plus de l’ensemble des exigences précédemment évoquées, savoir gérer le temps qui m’est imparti entre la première répétition et la générale. Il s’agit donc, avant toute chose de procéder à une première lecture complète de l’œuvre pour donner aux musiciens lecteurs une vue d’ensemble de la pièce. Il peut être intéressant pendant cette phase de donner quelques indications à haute voix, comme des repères et cela, sans s’arrêter de jouer. A un ensemble de non­ lecteurs, il est possible de faire écouter les passage de l’œuvre à travailler grâce à un compact­disc. 15 16 Berlioz Hector : Le Chef d’Orchestre, théorie de son art p9 Harnoncourt Nikolaus : Dialogue musical p102
17 Chaque passage travaillé doit être ensuite enchaîné avec ce qui précède et ce qui suit pour replacer l’ensemble dans une semi­globalité. Vers la fin de la répétition, il convient de prendre le temps de jouer la pièce une ou plusieurs fois selon la longueur. Cela donne une notion de continuité aux musiciens, notamment après une période de travail durant laquelle le morceau a été découpé en sections. Comme pour un cours, le musicien, quelque soit son niveau, doit savoir ce qu’il a à travailler pour la séance suivante. Ensuite, il faut savoir gérer le niveau d’avancement du travail pour la représentation. Selon Pierre Boulez, il faut être juste prêt. Il ne faut pas être « surprêt » : prévoir un trop grand nombre de répétitions ne nous permet pas de « garder la fraîcheur nécessaire à l’exécution. Sinon la fatigue et le désintérêt s’installent, c’est l’over­rehearsal 17 ». Je suis également partisan d’une initiation en amont par pupitre, pour favoriser un apprentissage plus rapide et plus efficace et qui offre à tout l’ensemble la possibilité de travailler simultanément et de gagner du temps. Cette gestion du travail par pupitre doit varier en fonction de la difficulté du programme. Une fois les problèmes techniques résolus, il est possible d’effectuer un travail d’interprétation plus abouti. Il ne faut pas se servir des répétitions de pupitre que pour voir les notes. Le travail en pupitre permet aussi, et surtout, d’instiller un autre niveau d’écoute, à une échelle plus réduite. C’est important aussi bien musicalement que techniquement. Le rôle du chef lui impose une réflexion et une attention vigilantes sur la (ou les) méthode(s) qui doivent lui permettre de gérer le groupe avec efficacité et de le guider jusqu’à l’objectif fixé, généralement le concert. VIII. Enseignement Artistique et Culturel : le programme L’éducation artistique en général et celle de la musique en particulier ont pour mission de développer le sens esthétique et la sensibilité ainsi que d’éveiller la curiosité à travers le plaisir de l’expérimentation et la connaissance d’œuvres de références. Le programme en est pour moi un des moyens essentiels mais je garde toutefois constamment présente à l’esprit cette mise en garde d’Hector Berlioz dont j’ai déjà eu l’opportunité de constater le bien­fondé : « Des chefs d’orchestre 17 Boulez Pierre : Conversations sur la direction d’orchestre p117
18 un peu trop ambitieux font jouer des œuvres difficiles à leur orchestre, ce qui donne des résultats désastreux 18 ». ü Patrimoine musical Que nous le voulions ou non, ne sommes­nous pas détenteurs non seulement de notre héritage judéo­chrétien et de celui de la Rome et de la Grèce antiques mais également attirés par les cultures du monde ? Pourrions­nous nier que nous ne recevons pas de ce fait des traditions fortes qui influencent notre culture en général et la musique en particulier ? André Malraux voulait « rendre accessibles les plus grandes œuvres au plus grand nombre d’hommes ». Utilisant bien modestement mais avec profit ce précepte, je m’efforce de faire perdurer les œuvres des compositeurs qui nous ont apporté à travers leur littérature musicale l’héritage de nos ancêtres en les partageant avec les élèves. Ces compositeurs ont su en leur temps dépasser la critique et il est important que les étudiants puissent être en contact avec eux afin de puiser aux sources du Savoir et ainsi construire leurs connaissances par eux­mêmes, dans les meilleures conditions possibles. ü Création & (re)Découverte comme actes novateurs Notre patrimoine si vaste soit­il n’est pas pour autant figé et comme le souhaite Jacques Favart « un grand pas serait franchi si un nombre croissant d’amateurs pouvait s’approprier des œuvres peu connues du répertoire et s’ouvrir de façon plus marquée à la création contemporaine 19 ». En cela, il rejoint René Koering surintendant de la musique, Euterp­Opéra national et Orchestre national de Montpellier, qui ne comprend pas « […] comment une société soi­disant aussi intelligente que la nôtre s’acharne à créer des programmes dans lesquels des orchestres jouent systématiquement les mêmes symphonies, année après année. Cette situation, dont nous portons la responsabilité, me semble assez lamentable même si elle est, pour partie, le résultat de considérations financières 20 . » Les créations contemporaines seront, qui plus est, le témoignage de notre temps auprès des générations futures. 18 Berlioz Hector ; Le Chef d’Orchestre, théorie de son art p10 Favart Jacques : Lettre d’information p11 20 Koering René : Forum européen des orchestres p42
19 19 ü Comment partager une œuvre avec des élèves ? Un des devoirs du pédagogue est d’expliquer, même sommairement, la pièce que les musiciens vont découvrir ou redécouvrir. En faire écouter un enregistrement pour avoir une « vue d’ensemble », l’analyser et l’expliquer succinctement, décrypter les effets musicaux, raconter une anecdote sur le compositeur, sur l’œuvre, etc. sont autant de moyens qui aident à mieux appréhender la pièce. Je passe quelques instants dès que je ressens que le besoin s’en fait sentir, à sensibiliser les musiciens sur le compositeur, sur les pièces qu’il a composées, sur son époque et l’Histoire de France et/ou de l’Europe de son temps. Il est je pense, primordial pour un élève, d’acquérir une culture musicale qui lui donne envie de faire plus que « jouer la partition le mieux possible ». Je reste convaincu que pour jouer la partition avec le meilleur rendu possible, une connaissance du compositeur et de la pièce sont nécessaires. L’an dernier, au cours de répétitions d’orchestre où je faisais jouer « Finlandia » j’avais expliqué que Jean Sibelius, assez proche de nous puisqu’il était décédé en 1957 à l’âge de 92 ans, avait composé, pour un congrès international de journalistes en 1899, ce poème symphonique soulevant les valeurs de la Finlande, que cette pièce, lors de sa première exécution, avait connu un triomphe absolu et qu’elle était devenue, pendant la guerre, un second hymne national. Puis, j’avais expliqué les deux principaux leitmotivs : le premier, le thème de l’« oppression » interprété au départ par les instruments graves de l’orchestre et entrecoupé de silences représentant le « sisu » art de vivre typiquement finlandais traduit par une force tranquille une obstination à survivre dans une terre pauvre et gelée six mois de l’année et exprimant également la solitude propre aux Finlandais ; le deuxième leitmotiv traduisant l’appel à la révolte contre l’ogre russe et à la non­soumission. Ainsi, la lecture n’a plus été uniquement le décryptage de notes et de rythmes mais plutôt la mise en adéquation d’un texte et de son expression stylistique. ü Culture & Pouvoir Pour revenir sur la gestion des associations musicales, j’ai appris que, afin de pouvoir équilibrer leur trésorerie, les associations font très souvent appel au mécénat, quelquefois des sponsors mais, le plus souvent, des municipalités. Elles ont donc des obligations vis à vis des collectivités qui les subventionnent. Pour un
20 ensemble musical, ces impératifs sont le plus souvent de participer aux fêtes communales, inaugurations, commémorations etc. L’ensemble doit donc satisfaire aux demandes des élus et produire, le cas échéant, un programme spécifique. Par exemple, il m’a été demandé d’élaborer un programme autour de Charlie Chaplin pour l’inauguration d’une salle portant son nom, ou encore de travailler sur les musiques de différents pays pour parcourir musicalement « le voyage autour du monde en 80 jours » à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Jules Verne. Cependant, dans toute programmation musicale, même si nous devons tenir compte des desiderata de nos soutiens ne nous faut­il pas néanmoins concevoir un programme cohérent autour du ou des thèmes qui nous sont imposés ? ü Fonder un projet pour autrui Comme je l’ai exprimé précédemment, j’ai eu envie à une époque, de faire connaître à des élèves des temps forts de moments musicaux que j’avais expérimentés personnellement pour les partager avec eux, pensant que ce que j’avais vécu, d’autres devaient le vivre également. J’étais convaincu que ce qui avait été bien pour moi devait l’être forcément pour eux. Je me suis rendu compte peu à peu que le désir de chacun lui est tout à fait personnel. Décider arbitrairement de ce qui doit convenir aux autres en fonction de notre propre ressenti et de nos propres critères n’est­il pas une entreprise souvent vouée à l’échec dans le temps ? Beaucoup de ceux qui prennent cette direction ne vivent­ ils pas une sorte d’impuissance à suivre la tâche qu’ils se sont fixée ? Et cependant, je pense qu’il est du devoir des pédagogues que nous sommes d’apporter d’autres formes de culture musicale aux personnes dont nous avons la charge. Nous devons, le mieux et le plus souvent possible, leur faire découvrir notre patrimoine et notre héritage, éveiller leur curiosité et faire naître en eux le désir de s’informer. L’ensemble musical et le fait d’y appartenir ne peuvent, par ailleurs, que les y aider. J’aime à mentionner ici cette remarque de Pierre Dupont qui fut chef de la musique de la Garde Républicaine de 1927 à 1945 et qui écrivait alors : « Si imparfaits soient­ils les groupements d’harmonie […] se trouvent
21 appelés à exercer une mission vulgarisatrice et éducative sur les masses populaires. Ils constituent le véritable conservatoire du peuple 21 . » ü Conclusion Le programme qu’il soit décidé arbitrairement ou qu’il soit le résultat d’une concertation, représente néanmoins une certaine gageure. Il doit tenir compte de l’intérêt des musiciens/interprètes, du public, du chef, des moyens financiers, du stock de partitions déjà existant, des desiderata des partenaires financiers etc. Le programme se doit également d’essayer d’apporter au plus grand nombre une culture musicale plus étendue et doit surtout être élaboré, afin que chacun s’y reconnaisse, dans un esprit de citoyenneté. Il faut pour cela qu’il puisse être préparé, autant que faire se peut, en collaboration et en concertation avec les personnes qui vont être les acteurs non seulement au moment des concerts mais également tout au long de l’année pendant les répétitions pour leur plus grand plaisir. Si le chef ne doit pas dominer arbitrairement le choix du programme car il ne maîtrise pas tout, comme par exemple le désir de ses musiciens, il se doit néanmoins de partager et de transmettre ses savoirs et ses connaissances. Il est quand même expert dans sa discipline… IX. Le concert, moment privilégié Le moment de la réalisation doit être un moment particulièrement fort qui alimente la motivation des participants en plaçant l’œuvre musicale au centre de leur apprentissage. Il est pour moi et pour la majorité des musiciens (j’en connais néanmoins pour qui ce n’est pas forcément le cas…), un moment privilégié. Il s’agit de restituer le travail de l’ensemble et se doit d’être de la meilleure qualité musicale possible. Pour que le concert soit de qualité, le chef doit demander aux musiciens un maximum de concentration pendant les répétitions, concentration qui perdurera tout naturellement pendant l’exécution du concert. Je suis toujours très vigilant, en répétition, à veiller à ce que l’on continue de jouer quoiqu’il arrive. Que ce soit un mauvais départ, un manque d’attention ou un événement extérieur on se rattrape, 21 Aubert Louis & Landowski Marcel : L’Orchestre, p117
22 puis, le cas échéant, ensuite, on s’arrête et on travaille le problème. Les répétitions sont faites non seulement pour travailler le « futur » moment du concert mais aussi pour se mettre en condition et essayer, au mieux, d’anticiper tout ce qui peut arriver. Le concert, s’il est un moment privilégié pour les musiciens, l’est également pour le public. Ici, je souhaite évoquer la magie du concert éducatif qui permet de faire découvrir aux jeunes enfants le monde mystérieux de la musique. Le concert éducatif où les musiciens instrumentistes ou choristes se mettent à la portée des enfants est un élément déclencheur qui incite le jeune public à fréquenter, par la suite, l’univers musical. X. Liens avec les autres arts Les relations avec les autres ensembles musicaux, la bibliothèque, la troupe de théâtre, le cirque, la danse, les expositions… sont autant de moyens d’échanges « il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui » suggérait Michel de Montaigne au XVI e siècle. Cette maxime est toujours d’actualité et je suis convaincu que, dans un esprit d’ouverture culturel, nous devons nous produire autant que faire se peut avec d’autres ensembles pour échanger nos cultures artistiques propres. N’existe­t­il pas un lien étroit entre tous les arts et ce lien, ne devons­nous pas nous efforcer de développer ? Rechercher et communiquer l’ensemble de leurs richesses n’est­il pas un des devoirs du pédagogue ? En application pratique et dans le cadre de ma formation au CEFEDEM, je coordonne un concert regroupant trois ensembles vocaux et un orchestre d’harmonie amateurs. Ils interprèteront des chœurs d’opéra et des bandes originales de musiques de films. Pendant l’exécution de ces bandes originales, des extraits des films correspondants seront vidéo projetés, associant ainsi la musique et le septième art.
23 XI. Conclusion L’élaboration de ce mémoire a apporté au musicien que je suis l’opportunité de m’enrichir par la lecture d’ouvrages de références et a entraîné ma pensée à cheminer à travers un ensemble de questions diverses. Cela m’a incité à m’auto évaluer par rapport à ma fonction de chef et tout ce qui en découle, ainsi que vis­ à­vis de mes compétences musicales et didactiques. J’ai pris davantage conscience de mon engagement envers le groupe social, engagement qui lui permet de se développer vers une culture plus fédérative et un partage équitable des valeurs au bénéfice de tous. J’ai également pris conscience qu’autrui n’est pas moi et que ce qui est bien pour moi, selon mes propres critères, n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux pour les autres. Ce mémoire est également pour moi le résultat d’un travail bénéfique qui me permet d’améliorer mes relations à tous les niveaux avec les personnes auxquelles je suis quotidiennement confronté et à mettre en application la globalité de l’enseignement du CEFEDEM. A la lueur de cet enseignement, j’ai acquis une plus grande ouverture d’esprit grâce à la lecture de nombreux ouvrages et documents qui m’ont entraîné à réfléchir sur la pédagogie et principalement la pédagogie de groupe préconisée entre autres, par exemple, par Célestin Freinet. L’obligation de mettre par écrit tout ce que je ressentais ou pensais savoir, m’a permis d’analyser mon travail, mes objectifs et les moyens pour y parvenir. J’ai compris, en rencontrant de nouvelles personnes, l’importance du travail en groupe, de l’esprit d’équipe et de la mutualisation des savoirs. J’ai découvert un répertoire musical plus élargi. Ma façon de jouer, de concevoir, d’interpréter la musique s’est rénovée grâce à une analyse plus fouillée des œuvres. Enfin, d’avoir rédigé ce mémoire m’a conforté dans ma volonté de prendre des cours au conservatoire d’Evry l’an prochain, pour me perfectionner dans la direction, la conduite et la promotion d’un ensemble musical amateur.
24 XII. Bibliographie et autres sources Aubert (Louis) & Landowski (Marcel), L’Orchestre, Vendôme : Presses Universitaires de France, 1951 Berlioz (Hector), Le Chef d’Orchestre, Théorie de son Art, Arles : Actes Sud, 1855 Boulez (Pierre), Conversations sur la direction d’orchestre, Paris : Plume, 1989 Charvet (Pierre), Comment parler de musique aux enfants, Paris : Adam Biro, 2003 Crousier (Claude), le musicien et le groupe, Paris : Cité de la musique, 2001 Filliozat (Isabelle), L’Intelligence du Cœur, La Flèche : Jean­Claude Lattès, 1997 Gumplowicz (Philippe), Les Travaux d’Orphée, Paris : Aubier, 1987 et 2001 Harnoncourt (Nikolaus), Dialogue musical, Paris : Arcades Gallimard, 1984 Liébert (Georges), Ni empereur ni roi chef d’orchestre, Evreux : Gallimard, 1990 Maury (Liliane), Freinet et la Pédagogie, Paris : Presses Universitaires de France, 1988 Peyré (Pierre), Compétences sociales et relations à autrui, Paris : L’Harmattant, 2000 Strasbourg 22,23,24,25 juin 2005, Forum Européen des Orchestres, Strasbourg : AFO éditions, mai 2006 Vermeil (Jean), Conversations de Pierre Boulez sur la direction d’orchestre, Paris : Plume, 1989 Vuillemin (Dominique), L’apprentissage de la musique, Paris : Seuil, 1997 Favart (Jacques), Lettre d’information du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques en amateurs, pour une politique globale, Paris : 22 juillet 1998 Lombard (François), http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/index.php, Genève, 2002 Ministère de la Culture et de la Communication, La Pratique Musicale Amateur, Paris : 26 avril 2000 – n°65 Ministère de la Culture et de la Communication, Charte de l’enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre, Paris : 2001 Ministère de la Culture et de la Communication, Schéma d’orientation directeur, Paris : Mars 2004 Bulletin Officiel n°30, Enseignements Elémentaire et Secondaire, Paris : 27 juillet 2006 CEFEDEM Rhône­Alpes, Le métier de professeur de musique dans le secteur spécialisé, Lyon : 2003 Académie Française, Dictionnaire de l’Académie Française, 9 ème édition, Paris, 1992 Harrap’s Shorter Dictionnaire, Dictionnaire Anglais­Français/Français­Anglais, Paris, New­York, Edinburgh : Bordas, 1993
25 XIII. Remerciements J’aimerais remercier toutes les personnes qui m’on encouragé à mener à bien la rédaction de ce mémoire, avec une attention particulière pour Monsieur Laurent Goassert qui a accepté la tâche plutôt fastidieuse de la relecture, mais également qui a bien voulu annoter en marge, des conseils, des remarques et des consignes qui m’ont permis d’aller plus loin dans mon travail de recherche et dans mes réflexions personnelles.
26 XIV. Annexes
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