Interview Lionel Tran – Final
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Interview Lionel Tran – Final
Lionel Tran : « L’écriture est un espace d’exposition et de mise en jeu maximales. » L’ auteur lyonnais me reçoit dans les locaux des Artisans de la Fiction, à la Croix-Rousse, où il anime des ateliers d’écritures dans la mouvance de la creative writing. Peut-on qualifier votre œuvre d’autobiographique ? Je n’ai jamais voulu faire de l’autobiographie. Ce n’est pas un champ qui m’intéresse. Je travaille à partir de mon expérience, mais je ne veux pas la restituer telle quelle. Ca ne m’intéresse pas. Je l’ancre dans un contexte plus général – générationnel, sociologique, historique –, je la recrée, comme je l’ai fait avec Sida Mental. Je ne voulais pas seulement y raconter mes misères d’enfant, mes premières expériences sexuelles. Je pars de moi, puis j’ajoute des axes humains universels. Vos textes se caractérisent avant tout par une écriture blanche. Comment avezvous forgé ce style ? Par défaut. Quand j’écris, je retravaille énormément le texte. Mon écriture a tendance à s’apurer, à devenir plus directe, plus dure au fil des réécritures. Je m’inspire aussi des auteurs qui m’ont marqué, comme Hubert Selby Jr., qui a une écriture qui donne très peu de recul au lecteur. Il y a aussi tout un travail d’épures successives. Il se produit alors un effet d’amenuisement qui permet de toucher quelque chose de l’ordre du réel, du photogramme. On remarque d’ailleurs votre propension à disperser les mots sur la page. Pour vous, la littérature est un art visuel ? Je pense que oui. Je n’ai pas fait ça délibérément. Au début, je me disais que c’était une arnaque, que j’allais vendre aux lecteurs des pages quasiment blanches. Pourtant, je le fais toujours, car ça produit un effet de suspension, d’intériorité, de pensée. Dans l’adaptation d’Une trop bruyante solitude, il s’agissait de recréer un espace mental instauré par le monologue du narrateur. Il y a une dimension sensible, il s’agit de faire vivre au lecteur les palpitations de cet espace mental. Vous animez également des ateliers d’écriture. Quelle conception de la littérature y inculquez-vous à vos apprentis ? Le fait d’animer des ateliers d’écriture répond à un besoin profond : dans les thèmes qui reviennent régulièrement dans mon œuvre, il y a la question de la transmission qui est fondamentale dans mon expérience. Je me suis lancé dans l’écriture sans avoir fait d’études de lettres, en tant qu’autodidacte complet, et ça a été vraiment éprouvant. Devenir formateur m’a permis d’apaiser mon rapport à l’écriture et au monde. Comment en êtes-vous venu vous-même à l’acte d’écrire ? Je crois que c’est parce que j’ai toujours voulu faire un travail créatif, personnel, et l’écriture était pour moi ce qu’il y avait de plus effrayant et insurmontable. C’est un espace d’exposition et de mise en jeu maximales. A chaque fois que je pars sur un projet de livre, il faut que je me dise que ça • Lionel Tran devant ses cours. Photo Sacha Rosset ne va pas être possible, que c’est trop douloureux, que ça va trop m’exposer, et c’est à ce moment que je sens qu’il y a vraiment un projet. Il faut qu’il y ait du danger, sinon l’écriture n’en vaut pas la peine. L’écriture relèverait alors d’une forme de masochisme ? Ca a plus à voir avec la performance qu’avec le masochisme. Quand on fait une performance, qu’on se fout à poil sur une place publique devant des gens qu’on ne connaît pas, sans vouloir forcément faire de la provocation, ça demande un sacré courage. Il faut qu’il y ait un enjeu, un risque, pour que le projet soit intéressant, et quand c’est le cas, ça fout la trouille, alors on travaille sur autre chose, jusqu’au moment où il faut y aller pour de bon. Parce qu’une fois que c’est engagé, il faut aller au bout. • Propos recueillis par Sacha Rosset.