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Les cadrans solaires de l’hémisphère Sud et les attitudes mentales d’un résidant du Nord par André E. Bouchard Dès mon premier voyage dans l’hémisphère Sud en 1973, (j’avais fait un tour de l’Amérique latine), j’ai pris concrètement conscience des différences d’appréciation de certaines réalités, selon que l’on vit dans l’hémisphère Nord ou dans celui du Sud. Si certaines réalités sont fondamentales (l’inversion respective des saisons par exemple), d’autres sont arbitraires, relèvent du langage et dépendent d’une activité de définition (la positivité ou la négativité des latitudes par rapport à l’équateur, entre autres choses). D’autres voyages, en Afrique, en Asie et en Océanie m’ont amené à constituer un dossier et à vouloir répondre à cette simple question: Un cadran solaire de l’hémisphère Nord peut-il fonctionner dans l’hémisphère Sud? Que la réponse soit positive ou négative, j’ai voulu en savoir les tenants et les aboutissants. Pour cela, j’ai reformulé ma question de deux façons différentes: - quels sont les exercices mentaux à développer pour comprendre et adapter l’application de la gnomonique en hémisphère Sud? - quelles sont, par rapport à l’équateur, les conditions d’utilisation des connaissances en gnomonique nécessaires et transférables d’un hémisphère à un autre? Je vais tenter d’illustrer succinctement toutes les subtilités de ces questions à l’aide de cadrans de l’hémisphère Sud. Position du soleil dans l’hémisphère Sud 6 Le Gnomoniste Un rappel de quelques notions ou définitions, en faisant les corrections nécessaires pour l’hémisphère Sud, me suggère les représentations mentales qu’il faut appliquer pour les exercer! L'azimut solaire est l'angle mesuré dans le sens des aiguilles d'une montre entre le point cardinal Sud (dans l'hémisphère nord) ou Nord (dans l'hémisphère sud) et la projection sur le plan horizontal local de la droite reliant la terre au soleil. D’ordinaire l'azimut solaire est négatif le matin (direction Est), nul ou égal à 180° à midi et positif l'après-midi (direction Ouest), sur tout le globe. Il diffère de l'azimut géographique, lequel est toujours mesuré dans le sens des aiguilles d'une montre à partir du Nord, indépendamment de l'hémisphère du point d'observation Nous savons que la déclinaison solaire est l'angle formé par la droite reliant la terre au soleil et le plan équatorial (positif vers le nord). La déclinaison est égale à zéro aux équinoxes et varie de + 23,45° (22 juin) à - 23,45° (22 décembre). C’est le contraire dans le sud. Oublions les représentations connues de l’hémisphère Nord, pour lesquelles les équinoxes sont les deux dates de l'année où le soleil traverse le plan équatorial : sa déclinaison est alors nulle et les durées du jour et de la nuit sont égales. L'équinoxe d'automne intervient vers le 22 septembre et l'équinoxe de printemps vers le 22 mars. En effet, dans l'hémisphère Sud, le solstice d'été (vers le 21 décembre) est la période au cours de laquelle la durée qui sépare le lever et le coucher du soleil cesse de croître (maximum 16 h 8 mn). Le solstice d'hiver (vers le 21 juin) est la période au cours de laquelle cette durée cesse de décroître (minimum 8h 12mn). Heureusement pour moi, deux définitions gardent les mêmes référents quelque soit l’hémisphère considéré. La hauteur solaire est l'angle entre la droite joignant le centre du disque solaire au point d'observation et le plan horizontal passant par le point d'observation; et le Zénith est le point le plus élevé de l'hémisphère céleste, se trouvant directement à la verticale de l'observateur. André E. Bouchard Volume XIII numéro 4, décembre 2006 Et qu’en est-il des référents géographiques? Si l'équateur est une ligne fictive de séparation entre l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud, définie par un plan perpendiculaire à l'axe des pôles, par définition on admet les descriptions suivantes: que le. méridien est le plan du lieu passant par l'axe des pôles; que la latitude est l'éloignement par rapport à l'équateur, mesuré en degrés d'arc le long du méridien du lieu (en degrés Nord ou en degrés Sud), et que la longitude est l'éloignement par rapport au méridien d'origine, mesuré en degrés d'arc le long de l'équateur (en degrés Est ou en degrés Ouest). Le fuseau horaire est une bande de 15° de longitude de large s'étendant du pôle nord au pôle sud, permettant de décomposer le globe terrestre en 24 tranches horaires. Chaque fuseau est centré sur un méridien multiple de 15°. Le méridien d’origine est celui de Greenwich, qui définit le Temps Universel. Ce fuseau occupe les longitudes +7,5° à -7,5°. Chaque pays utilise en principe l’heure du fuseau le plus proche en longitude. Le méridien est positif à l’Est de celui de Greenwich, et négatif à l’Ouest du méridien d’origine. Pour bien me situer par rapport à ma ville de l’hémisphère Nord (Montréal: lat. 45,5° N; long. 73,5° O), je choisis quelques exemples de villes situées dans l’hémisphère Sud. Commençons par ce que nous appelons l’Amérique du Sud, située à l’Ouest du méridien d’origine: l’hémisphère Sud comprend presque tout le Brésil et tous les pays à partir du sud de la Bolivie et du sud de l’Ecuador. Voici 5 exemples tirés de 3 pays: -en Argentine (-3h par rapport au méridien d’origine), nous avons Buenos Aires (-34°36’ Sud; 58°27’ Ouest); -au Brésil (-2h), Rio de Janeiro (-22°54’ S: 43°, 13’ O) et Sao Paulo (-23°,32’ S; 46°, 37’ O); -et au Chili (-4h), avec Santiago (-33°,27’ S; 70°,40’ O). Voici d’autres villes, toutes situées à l’Est du méridien d’origine. -En Afrique du Sud (+2h par rapport au méridien 0°): Johannesburg (-26°13’ S; 28°2’ E); Cape Town (-33°55’ S; 18°22’ E). - En Australie (+10h): Sydney (-33°52’ S; 151°,13’ E), Melbourne (-37°49’ S; 144°19’ E); et Hobart, en Tasmania (-42° 53’ S; 147° 19’ E). –En New Zealand (+12h): j’ai choisi 3 villes: Auckland (-36° 52’ S; 174° 46’ E), Wellington (-41° 19’ S; 174° 46’ E), et Christ Church (-43° 32’ S; 172°58’ E).À la lumière de ces quelques exemples, on peut déjà imaginer les subtilités dont il faut tenir compte Volume XIIIavant numérod’appliquer 4, décembre 2006 mes connaissances de gnomonique à des cadrans situés dans l’hémisphère Sud. Pour ne rien vous cacher, je me sens déjà comme un lanceur de disque (un droitier) qui se sert de sa main droite pour projeter son objet circulaire le plus loin possible. Mais à cause d’une impossibilité quelconque, je dois réapprendre les mêmes gestes, la concentration mentale, la rotation inversée du corps sur lui-même, la souplesse inutilisée de l’autre bras, la «dextérité» efficace de ma main gauche! Tout pour faire penser qu’il existe un mythe tenace réservé aux vertus de l’athlète ambidextre… Mais continuons notre exploration, et passons aux applications pratiques! L'heure solaire est l'heure de la journée déterminée par le mouvement apparent du Soleil, égale à 12 h au midi vrai. Pour obtenir l'heure légale, il faut lui additionner l'équation du temps, la correction de longitude et éventuellement l'heure d'été. Le midi vrai ou midi solaire est l'heure locale à laquelle le soleil passe au méridien du point d'observation; et l'angle horaire du Soleil est l'angle formé entre la projection du soleil sur le plan équatorial à un moment donné et la projection du Soleil sur ce même plan au midi vrai. Encore quelques notions, et nous sommes prêts à les visualiser pour les mieux comprendre. Nous dirons qu’un cadran solaire est un appareil avec une surface portant des divisions correspondant aux heures du jour et qui, d'après la projection de l'ombre d'une tige éclairée par le soleil, indique l'heure. Par convention en français, nous avons deux définitions renvoyant à des réalités distinctes: le style est une tige dont l’ombre marque l’heure sur un cadran solaire. Ainsi le style est parallèle à l’axe des pôles de la Terre. Par contre, un gnomon est un cadran solaire primitif, constitué d'une simple tige dont l'ombre se projette sur une surface plane, une invention attribuée au philosophe grec Anaximandre de Milet, 6 siècles avant notre ère. Comme la Terre est sur une orbite elliptique et sa vitesse au cours de l’année n’est pas constante. l'équation du temps indique la correction qui permet de passer du temps solaire vrai (du jour) au temps solaire moyen. Cette correction varie de + ou - 16 minutes au cours de l'année. Cela veut dire que le Soleil peut passer au méridien avec 16 minutes d'avance ou de retard par rapport au temps moyen. André E. Bouchard Le Gnomoniste 7 -Un rappel des caractéristiques d’un cadran de l’hémisphère Sud -Les cadrans -L'angle de l’azimut solaire est mesuré dans le sens des aiguilles d'une montre dans l'hémisphère nord et dans le sens contraire dans l'hémisphère sud, en utilisant les projections sur le plan horizontal du point d'observation Le style des cadrans solaires situés dans l’hémisphère austral pointe vers le pôle Sud céleste; on s’assurera sans peine la nuit qu’il n’y a pas l’équivalent de l’étoile Polaire brillant à cet endroit. Les remarques soulevées dans la partie précédente sur l’utilisation du gnomon sont toujours valables. Par exemple à Melbourne (en Australie), dont la latitude vaut sensiblement -37° 49’ Sud; 144° 58’ Est, il est préférable de tracer le méridien du lieu lorsque le la déclinaison du Soleil est voisine de +23° 26’, donc en juin. -Dans l’hémisphère Sud, les latitudes sont négatives. Examinons donc le parcours du soleil entre les tropiques et l’équateur selon le zénith d’un lieu. Rappelons qu’entre l’équateur et le tropique du Capricorne, tant que la déclinaison du Soleil est inférieure à la latitude du lieu, le Soleil culmine au Sud. Puis le Soleil passe au zénith du lieu lorsque sa déclinaison est égale à la latitude du lieu. Enfin dès que la déclinaison devient supérieure à la latitude du lieu, Le Soleil culmine au Nord. Pour les lieux situés au Sud du tropique du Capricone, le Soleil culmine toujours au Nord. La relation donnant la hauteur du soleil à midi solaire est toujours utilisable, à condition de respecter le signe de la latitude. Par exemple, pour φ = 17°, le 21 décembre (δ= -23°26’), la hauteur du Soleil est égale à 90°- φ + δ, soit 83°34’ (le Soleil culmine au Sud). Si le Soleil culmine au Nord, donc si sa déclinaison est inférieure à la latitude du lieu, on utilise la relation 90°+ φ – δ. Ainsi le 21 juin (δ = + 23° 26’), la hauteur du Soleil vaut 49° 34’. -Les saisons sont inversées dans l'hémisphère Sud. S y d n e y 8 Le cadran horizontal présente dans l’hémisphère Sud une particularité notable : les heures du matin sont situées à droite (donc vers l’Ouest), tandis que les heures de l’après-midi sont situées à gauche (vers l’Est). L’ombre du style polaire, qui fait avec le méridien un angle égal à la latitude du lieu, pointe vers le Sud géographique à midi.(Voir le cadran ci-dessous) En ce qui concerne les cadrans verticaux, c’est la face Nord qui est éclairée le pus souvent, surtout si l’on est proche du tropique du Capricorne. L’ombre du style tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, ce qui est l’inverse pour la face sud. Comme toujours entre les tropiques, la ligne midi existe pour les deux faces. En ce qui concerne les cadrans armillaires, la lecture des chiffres se fait aussi de droite à gauche: de 6 h à 12 h à 6 h. Un cadran de Melbourne en Australie Le Gnomoniste André E. Bouchard Volume XIII numéro 4, décembre 2006 -La visualisation d’une nomenclature de caractéristiques d’un cadran horizontal dans l’hémisphère Sud est quasi semblable à celui du Nord... En se souvenant –qu’à midi au solstice d’été: nous sommes vers le 21 décembre; et –qu’à midi au solstice d’hiver: nous sommes vers le 21 juin... Un cadran de Pretoria en Afrique du Sud Volume XIII numéro 4, décembre 2006 Au fond, le tout n’est peut-être qu’une question de perception, qui sait? Si je dessine un cadran et que j’utilise un miroir pour créer son jumeau inversé pour l’hémisphère Sud (à la manière de Léonard de Vinci), j’arrive à me représenter le croisement des représentations des espaces et des temps. Mais je n’ai pas encore éclairci une énigme persistante : ce dédoublement de la représentation des contraires conduit-elle à l’inspiration vers des modes homogènes? Ces paradoxes offrent-ils un paradigme nouveau entre la dyade d’observations? Par la théorisation de ce problème, je reprends à mon compte un constat de la théorie de la relativité : plutôt que de prétendre étudier ce qui se passe là-bas dehors, l’observateur relativiste que je suis ne peut étudier les événements qu’auprès de moi-même, selon les répercussions sur mes instruments d’observation. Alors en ce domaine, l’implication devient un mode de production des connaissances, apparaissant comme deux foyers virtuels de savoir en gnomonique qui passent tous deux par l’expérience. Ce faisant, je m’appuie sur ma durée d’homme ordinaire, sur ma connaissance des codes sociaux, et sur mes projets et intentions de vie. Mais cette approche me laisse un champ de recherche et peut devenir un socle pour les insights sur les cadrans. Car je me demande quels sont les effets de ces contorsions sur les deux hémisphères (gauche et droit) du cerveau? André E. Bouchard Le Gnomoniste 9