La responsabilité de la personne publique peut-elle être

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La responsabilité de la personne publique peut-elle être
CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS
La responsabilité de la personne
publique peut-elle être engagée
en cas de faute personnelle
d’un de ses agents?
Responsabilité extracontractuelle ■ Existence ■ Faute détachable du service et personnelle de l’agent ■ Hypothèse de faute non dépourvue de
tout lien avec le service ■ Escroquerie d’un maire en matière de marchés
publics.
CE (3/8 SSR) 2 mars 2007, Société Banque française commerciale de l’Océan indien,
req. n° 283257 – M. Touvet, Rapp. – M. Séners, C. du G. – SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Gatineau, Av.
Résumé
L’escroquerie commise par un
maire en matière de marchés
publics constitue une faute détachable du service et donc personnelle. Toutefois, la victime
peut rechercher la responsabilité de la personne publique,
même si celle-ci est non fautive,
si la faute de l’agent n’est pas
dépourvue de tout lien avec le
service. Dans ce cas, la personne
publique pourra engager une
action récursoire contre son
agent.
CONCLUSIONS
François SÉNERS, commissaire du gouvernement
La commune de Saint-Paul, à la Réunion,
assurait en régie, jusqu’en 1989, l’entretien
de sa voirie communale. La nouvelle municipalité a, par la suite, décidé de procéder par
marchés à bons de commande pour la réalisation de ces travaux. C’est dans ce cadre
que le maire a signé en 1991, avec une
entreprise de travaux publics, un marché
portant sur la réfection de certaines voies qui
a donné lieu à une escroquerie organisée
par le maire et le dirigeant de l’entreprise. Le
maire a signé en 1992 et 1993 plusieurs certificats administratifs établissant que la
société de travaux publics avait réalisé plus
de 800 000 F de travaux. Ces certificats ont
permis à l’entreprise d’obtenir tout d’abord
des avances bancaires auprès de la Banque
française commerciale de l’Océan indien
(BFCOI), puis un financement par cession
des créances détenues sur la commune, en
application de la loi Dailly du 2 janvier 1981
facilitant le crédit aux entreprises 1. La
banque a cherché, sans succès, à obtenir de
la commune le mandatement des sommes
qui lui étaient dues. C’est après la mise en
redressement judiciaire puis en liquidation
de la société de travaux publics que le pot
aux roses a été découvert : les travaux certifiés ne correspondaient pas à la réalité des
prestations de l’entreprise, dont la plupart
avaient été surfacturées, et les certificats
délivrés par le maire étaient frauduleux. L’élu
et le dirigeant de l’entreprise ont été poursuivis en justice pour escroquerie et la commune a refusé d’honorer les créances de la
banque.
Une escroquerie organisée
que la fraude à laquelle le maire s’était
livré, à l’insu des services municipaux,
avait été perpétrée dans le but d’un enrichissement personnel ainsi que l’avait établi le juge pénal et que, dans ces conditions, la faute personnelle commise était
détachable du service et ne pouvait pas
engager la responsabilité de la collectivité.
La BFCOI a tout d’abord tenté, en vain,
d’obtenir du tribunal administratif de SaintDenis-de-la-Réunion qu’il contraigne la
commune à mandater en sa faveur les
sommes mentionnées par les certificats
administratifs, puis elle s’est placée sur le
terrain indemnitaire en réclamant à la commune réparation du préjudice financier
dont elle était victime. La commune a
refusé d’admettre sa responsabilité en
imputant la totalité de la faute aux agissements personnels de son ancien maire.
Saisi du litige, le tribunal administratif a
donné raison à la banque en jugeant que
si, en délivrant des certificats administratifs
de complaisance, l’ancien maire avait commis une faute personnelle, cette faute,
commise à l’occasion de l’exercice des
fonctions municipales, engageait néanmoins la responsabilité de la commune.
Les premiers juges ont accordé à la
banque une indemnité d’un peu plus de
574 000 F (87 500 €). Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel de
Bordeaux a inversé la solution : elle a jugé
Vous êtes saisis du pourvoi en cassation
de la banque qui soutient que la cour a
commis une erreur de droit ou une erreur
de qualification juridique des faits. Selon le
pourvoi, la cour ne pouvait pas écarter la
responsabilité de la commune sans rechercher si la faute personnelle de l’ancien
maire, dont l’existence n’est pas contestée,
était ou non dépourvue de tout lien avec le
service. Dans l’hypothèse où vous admettriez que la cour a, au moins implicitement,
considéré que la faute personnelle était
dépourvue de tout lien avec le service, la
BFCOI estime que l’arrêt serait entaché
d’erreur de qualification juridique comme
d’ailleurs d’insuffisance de motivation.
L’affaire vous donne l’occasion de rappeler les principes jurisprudentiels qui encadrent les règles d’imputabilité d’un préjudice causé par l’administration et ses
agents.
BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53
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1 Aujourd’hui article L. 313-23 et s. du code monétaire et
financier.
Une faute détachable
du service ?
CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS
Bien que soucieuse de ne pas confondre
les fautes personnelles des agents publics et
celles qui sont imputables à l’administration,
selon la distinction issue de la jurisprudence
Lepeltier 2, la jurisprudence s’est laissée guider par le souci de faciliter l’indemnisation
des victimes devant le juge administratif. Elle
s’est construite, pour ce motif, autour de la
notion de faute rattachable aux fonctions
dévolues à l’agent impliqué : lorsque ce rattachement est admis, la victime peut obtenir
réparation de son préjudice directement
auprès de l’administration qui avait autorité
sur l’agent, alors même que ce dernier a
commis une faute personnelle. Il n’en va
autrement que si la faute personnelle n’est
pas rattachable au service, ce qui implique,
compte tenu des développements de la
jurisprudence, qu’elle soit dépourvue de tout
lien avec lui.
Cette jurisprudence est issue des arrêts
Époux Lemonnier 3, Mlle Quesnel 4 et Dame
veuve Paumier 5, qui concernent les fautes
personnelles commises dans le service ou à
l’occasion de celui-ci, et des arrêts Mlle
Mimeur, Defaux et Besthelsemer 6 qui en ont
étendu la portée aux fautes commises hors
service. Dans tous les cas, dès lors que la
faute personnelle de l’agent n’est pas dépourvue de lien avec le service, la victime peut
obtenir réparation directement auprès de l’administration, à charge pour celle-ci, si elle le
souhaite, de se retourner vers l’agent fautif
pour obtenir le reversement de la part d’indemnité imputable à sa propre faute 7. Seule
la faute personnelle de l’agent public dénuée
de tout lien avec le service exclut la condamnation de la collectivité publique dont dépend
cet agent et impose à la victime de rechercher
la responsabilité civile du fautif devant le juge
judiciaire 8.
révèle un comportement inexcusable au
regard des impératifs de la déontologie de la
fonction publique ne fait pas obstacle à ce
que la victime obtienne réparation auprès de
la collectivité lorsque la faute n’est pas
dépourvue de tout lien avec le service. L’appréciation portée sur la gravité de la faute
personnelle ou son caractère inexcusable
n’intervient, le cas échéant, que dans le
cadre des actions récursoires exercées
devant le juge administratif, soit dans l’hypothèse où la collectivité réclame, sur le fondement de la jurisprudence Laruelle, que
l’agent supporte sa juste part de la dette, soit
dans l’hypothèse où l’agent condamné au
civil vient, à l’inverse, réclamer un partage de
responsabilité avec son employeur 9.
Le caractère radical de la ligne selon
laquelle la victime peut demander réparation
à l’employeur public à raison d’une faute
personnelle non dépourvue de tout lien avec
le service est parfaitement illustré par la décision Ministre de la Défense c/ Époux Raszewski du 18 novembre 1988 10 qui concernait le cas, encore plus choquant que celui
qui vous est aujourd’hui soumis, d’un gendarme qui s’était livré, hors service, à des
activités criminelles : il a été jugé que les
crimes, qui constituaient à l’évidence des
fautes personnelles, n’étaient pas dépourvus de tout lien avec le service dès lors que
l’intéressé, qui avait agi dans sa circonscription, participait aux enquêtes et était ainsi
informé de leur progression, ce qui lui avait
permis d’échapper un temps aux recherches
et de prolonger la durée de ses activités coupables. On peut aussi citer, au même degré
de gravité de la faute, l’arrêt Commune de
Chonville-Malaumont du 27 février 1981 11
où a été reconnue l’imputabilité à la collectivité des dégâts occasionnés par un sapeurpompier ayant mis le feu à une grange en y
jetant une cigarette allumée au cours d’une
tournée de service.
des travaux, a été perpétrée dans le but d’un
enrichissement personnel ; que, dans ces
conditions, il a commis une faute personnelle
détachable du service, qui n’est pas de nature
à engager la responsabilité de la collectivité ».
Il n’y a que deux façons d’interpréter cette
motivation : soit la cour a entendu juger que la
nature du motif qui a inspiré le délit suffisait à
écarter l’imputabilité du dommage à la commune et, dans ce cas, elle a commis l’erreur
de droit consistant à ne pas avoir recherché si
la faute personnelle était dépourvue de tout
lien avec le service, soit, si l’on admet que la
cour a implicitement procédé à cette
recherche et considéré, tout aussi implicitement, qu’il n’existait aucun lien entre la faute
et le service, l’arrêt est entaché d’insuffisance
de motivation et d’erreur de qualification juridique des faits. Il était en effet constant que le
maire avait commis les actes répréhensibles
dans l’exercice de ses fonctions, en usant des
moyens et prérogatives attachés à son rôle
exécutif, et qu’en particulier la banque avait
été abusée par des certificats ayant l’apparence de documents administratifs authentiques et sincères, signés par le maire en
exercice et revêtus du cachet de la mairie. Il
était impossible dans ce contexte, en dépit du
caractère personnel de l’escroquerie, de
dénier l’existence d’un lien entre la faute et le
service municipal.
Vous ne pourrez donc que censurer l’arrêt
sur l’un ou l’autre de ces deux terrains, selon
l’interprétation des motifs que vous privilégierez.
Statuant, par application de l’article L. 821-2
du code de justice administrative, sur les
conclusions d’appel, vous serez conduits à
juger, pour les motifs qui viennent d’être indiqués, que la faute personnelle de l’ancien
maire n’était pas dépourvue, dans les circonstances de l’espèce, de tout lien avec le service, comme l’avait parfaitement jugé en première instance le tribunal administratif.
Une action récursoire possible
Un lien entre la faute et le service
La victime non fautive
Le cadre d’analyse étant rappelé, nous
n’avons aucune hésitation à vous inviter à
accueillir la demande de cassation. La cour a
jugé « que la fraude à laquelle le maire s’est
livré avec la complicité de l’entrepreneur, et
pour l’organisation de laquelle il a établi au
profit de ce dernier, à l’insu des services techniques de la commune, des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation
Il vous restera alors à apprécier si c’est à
bon droit que le tribunal a jugé que la BFCOI
n’avait pas commis d’imprudences susceptibles de lui faire porter l’entière responsabilité des pertes financières qu’elle a subies.
La commune soutient qu’aux dates auxquelles la banque a accordé des avances à
l’entreprise de travaux publics, puis accepté
de reprendre les créances de cette entreprise, une enquête judiciaire portant sur les
malversations commises par l’ancien maire
était déjà en cours et que la presse en avait
abondamment rendu compte. Mais ce n’est
pas corroboré par les éléments dont vous
disposez au terme de l’instruction : il est
Une faute rattachable au service
Contrairement à la présentation qui
parfois faite de cette jurisprudence, la
constance que la faute personnelle
l’agent soit d’une gravité particulière
2
est
cirde
ou
TC 30 juillet 1873 : GAJA 15e éd., n° 2.
CE 26 juillet 1918 : Rec., p. 761, concl. L. Blum ; GAJA 15e
éd., n° 33.
4 CE 21 avril 1937 : Rec., p. 413.
5 CE 25 novembre 1955 : Rec., p. 564.
6 CE Ass. 18 novembre 1949 : Rec., p. 492, 493 et 494.
7 CE Ass. 28 juillet 1951, Laruelle : Rec., p. 461 ; GAJA 15e
éd., n° 69 ; RDP 1951.1087, note M. Waline.
8 CE 4 janvier 1964, Ministre de la Construction c/ Époux
Cavaudeau : Rec., p. 12 ; TC 14 janvier 1980, Techer c/
Pahon : Rec., p. 504.
p. 457 ; CE Ass. 12 avril 2002, Papon : Rec., p. 139, concl.
S. Boissard : GAJA 15e éd., n° 115.
10 Rec., p. 416.
11 Rec., p. 116.
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3
9 CE S. 3 décembre 1948, Commune de Berre l’Étang : Rec.,
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tribunal correctionnel, circonstance qui ne
plaide pas en faveur de la thèse selon
laquelle elle avait connaissance des malversations dès l’origine.
Nous ne pensons donc pas que vous
puissiez infirmer le jugement de première
instance mettant le préjudice, dont l’évaluation n’est pas remise en cause, à la charge
de la commune de Saint-Paul. Il appartient à
cette dernière d’exercer à l’encontre de son
ancien maire une action récursoire tendant à
lui faire supporter la charge de l’indemnité
résultant de sa faute. Si telle est bien votre
analyse, vous devrez rejeter la demande de
frais irrépétibles présentée par cette collectivité et vous pourrez, en revanche, faire droit
à celle de la BFCOI, dans une limite que
nous vous proposons de fixer à 3 000 €. Par
ces motifs, nous concluons à l’annulation de
l’arrêt attaqué, au rejet des conclusions présentées en appel et en cassation par la commune de Saint-Paul et à ce que la somme de
3 000 € soit mise à la charge de cette collectivité en application de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative. ■
correspondant aux attestations ; que par un
jugement du 4 novembre 1998, devenu définitif,
le tribunal de Saint-Denis-de-la-Réunion a
confirmé le bien-fondé du refus de la commune
de mandater ces sommes, en l’absence de réalisation des travaux ; que la BFCOI a alors
demandé à la commune de Saint-Paul d’indemniser les conséquences de la faute commise par
le maire de Saint-Paul en attestant des dettes qui
ne correspondaient à aucun service fait ; que le
tribunal administratif, saisi par la BFCOI du refus
de la commune, a, le 4 juillet 2001, condamné
celle-ci à verser à la BFCOI une indemnité de
574 104,24 F (87 521,63 €) ; que la cour administrative d’appel de Bordeaux a infirmé ce jugement en se fondant sur ce que la faute commise
par le maire de Saint-Paul constituait une faute
personnelle détachable du service, insusceptible
d’engager la responsabilité de la commune ; que
la BFCOI se pourvoit en cassation contre cet
arrêt ;
Considérant que la victime non fautive d’un
préjudice causé par l’agent d’une administration
peut, dès lors que le comportement de cet agent
n’est pas dépourvu de tout lien avec le service,
demander au juge administratif de condamner
cette administration à réparer intégralement ce
préjudice, quand bien même aucune faute ne
pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute
personnelle commise par l’agent, laquelle, par
sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service ; que cette dernière circonstance permet seulement à l’administration, ainsi
condamnée à assumer les conséquences de
cette faute personnelle, d’engager une action
récursoire à l’encontre de son agent ;
Considérant qu’après avoir relevé que le
maire de Saint-Paul a établi des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation
de travaux sur des chemins communaux par la
société EBTPE, la cour administrative d’appel en
a déduit qu’en raison du but d’enrichissement
personnel pour lequel le maire a agi, la faute
commise par lui est une faute personnelle détachable du service qui ne serait pas de nature à
engager la responsabilité de la commune ; qu’en
se fondant sur ce que la gravité de la faute commise par le maire de Saint-Paul lui conférait un
caractère personnel détachable du service pour
en déduire que la commune ne pouvait être
condamnée à en réparer les conséquences,
sans rechercher si cette faute était ou non
dépourvue de tout lien avec le service, la cour
administrative d’appel de Bordeaux a donc commis une erreur de droit ; que la BFCOI est dès
lors fondée à demander l’annulation de l’arrêt
attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de
l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice
administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant que si la circonstance que les travaux n’ont pas été réalisés interdisait à la commune d’émettre un mandat de versement des
sommes en cause à la BFCOI, ainsi que l’a jugé
le tribunal administratif de Saint-Denis-de-laRéunion le 4 novembre 1998, elle ne prive pas la
BFCOI de la possibilité de rechercher la responsabilité de la commune à raison de l’établissement des fausses attestations sur le fondement
desquelles elle a acquis les créances que détenait apparemment la société EBTPE sur la commune ;
Considérant que c’est avec l’autorité et les
moyens que lui conféraient ses fonctions que le
maire de Saint-Paul a émis les fausses attestations qui ont causé le préjudice subi par la
BFCOI ; que la faute ainsi commise, alors même
que sa gravité lui conférerait le caractère d’une
faute personnelle détachable du service, n’est
donc pas dépourvue de tout lien avec celui-ci, ce
qui autorise sa victime à demander au juge
administratif de condamner la commune de
Saint-Paul à en assumer l’entière réparation,
sans préjudice d’une éventuelle action récursoire de la commune à l’encontre de M. Moussa
Cassam, qui était maire à l’époque des faits ;
Considérant que la commune soutient que la
BFCOI aurait fait preuve, en acceptant d’acquérir les créances détenues par la société EBTPE,
d’imprudences de nature à faire disparaître toute
responsabilité de la commune ; que si une
enquête, qui d’ailleurs concernait à l’origine des
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exact que l’enquête de gendarmerie qui a
révélé l’escroquerie et conduit à la mise en
cause du maire et du dirigeant de l’entreprise avait débuté fin novembre 1992, quatre
mois avant la cession des créances à la
banque, mais, contrairement à ce qui est
affirmé par la commune, aucune pièce ne
révèle une quelconque publicité donnée à
cette affaire pendant l’instruction judiciaire.
La condamnation par le tribunal correctionnel n’est intervenue que le 15 mars 1994,
soit un an après les cessions de créances, et
on peut d’ailleurs relever que la BFCOI ne
s’était pas constituée partie civile devant le
DÉCISION
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet 2005 et
23 novembre 2005 au secrétariat du contentieux
du Conseil d’État présentés pour la Banque française commerciale de l’Océan indien […] ; la
Banque française commerciale de l’Océan
indien demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’arrêt du 12 avril 2005 par lequel la
cour administrative d’appel de Bordeaux, faisant
droit à la requête de la commune de Saint-Paul,
a annulé le jugement du 4 juillet 2001 du tribunal
administratif de Saint-Denis de la Réunion
condamnant la commune à verser à la société
BFCOI la somme de 87 521,62 € en réparation
du préjudice résultant pour la société de la faute
commise par le maire de Saint-Paul dans la délivrance de certificats administratifs relatifs à la
réalisation de travaux ;
2°) de mettre à la charge de la commune de
Saint-Paul la somme de 5 000 € en application
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
[…]
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune
de Saint-Paul a conclu le 14 mars 1991 avec la
société EBTPE un marché public de travaux
confiant à l’entreprise la réalisation de travaux de
voirie ; que, les 2 avril 1992 et 22 mars 1993, la
société EBTPE a cédé l’intégralité de sa créance
sur la commune correspondant à ces travaux à
la Banque française commerciale de l’Océan
Indien (BFCOI) en application de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ; que
le maire de Saint-Paul a établi les 31 mars 1992,
7 décembre 1992, 26 janvier 1993 et 25 février
1993 des attestations administratives certifiant
que la commune devait à la société EBTPE différentes sommes pour un montant total de
820 148,96 F (125 030,90 €) correspondant à la
réalisation des travaux de réfection et d’aménagement de chemins communaux ; que la BFCOI,
au vu de ces attestations, a consenti à l’entreprise EBTPE une avance égale à 70 % des
sommes certifiées ; que la BFCOI n’a pu obtenir
de la commune le mandatement des sommes
CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS
faits différents, avait été diligentée par le parquet
avant l’acquisition opérée par la BFCOI le
22 mars 1993, la condamnation du maire n’a été
acquise que par un jugement du tribunal correctionnel du 15 mars 1994 ; que la commune ne
produit aucun document à l’appui de son allégation selon laquelle la mise en cause du maire
avait fait l’objet de nombreux articles de presse
dès l’automne 1992 ; que les certificats signés
par le maire présentent l’apparence de certificats
attestant la réalisation de travaux effectués pour
la commune, sans qu’on puisse considérer que
l’absence d’un visa ou l’indication de la raison
sociale de l’entreprise de travaux publics aurait
dû susciter la méfiance de la BFCOI ; qu’ainsi il
ne résulte pas de l’instruction que la BFCOI
aurait commis des imprudences susceptibles
d’atténuer la responsabilité de la commune ;
Considérant que le préjudice invoqué par la
BFCOI n’est pas sérieusement contesté et doit
être regardé comme établi ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Paul n’est pas
fondée à soutenir que c’est à tort que, par le
jugement du 4 juillet 2001, le tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion l’a condamnée
à verser à la BFCOI une indemnité de
574 104,24 F (87 521,63 €) en réparation du préjudice subi par elle en raison de la faute commise par son maire en établissant des certificats
attestant faussement de la réalisation de travaux ;
Considérant que, par voie de conséquence,
les conclusions de la commune de Saint-Paul
tendant à l’application de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative doivent être reje-
tées ; qu’en revanche, il sera mis à la charge de
la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 €
qu’elle versera à la BFCOI sur le fondement des
mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative
d’appel de Bordeaux en date du 12 avril 2005 est
annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées devant
cette cour et devant le Conseil d’État par la commune de Saint-Paul sont rejetées.
Article 3: Il est mis à la charge de la commune
de Saint-Paul la somme de 5000 € qu’elle versera
à la Banque française commerciale de l’Océan
indien en application de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative.
[…] ■
OBSERVATIONS
L’affaire est intéressante à plusieurs titres, notamment parce qu’elle montre que la responsabilité de la
personne publique est engagée en cas d’escroquerie
commise par ses responsables en matière de marchés
publics. Et l’intérêt juridique de l’affaire est précisément de montrer que ce n’est pas parce qu’une faute
de l’agent est détachable du service et donc personnelle que la responsabilité de la personne publique ne
peut être engagée.
Deux notions doivent être distinguées, celle de la
faute détachable du service d’une part et celle de la
faute non dépourvue de tout lien avec le service d’autre
part.
Lorsque la faute de l’agent est d’une particulière gravité, elle peut être regardée comme détachable du service et donc personnelle à l’agent. La fraude aux marchés publics ne découle bien évidemment pas du
fonctionnement du service public. Elle est, par sa gravité et son extranéité, détachable du service et ainsi
personnelle à l’agent. La conséquence n’est pas nécessairement que la responsabilité de la personne
publique puisse être engagée. La conséquence est que
si cette responsabilité de la personne publique est
engagée, cette dernière pourra se retourner contre
l’agent, en formant une action récursoire contre lui. En
tout état de cause, la responsabilité personnelle de
l’agent pourra être mise en cause, soit directement par
la victime devant le juge judiciaire, soit par une action
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récursoire de la personne publique si la victime a
engagé la responsabilité de cette dernière. Et précisément, la possibilité de rechercher la responsabilité de
la personne publique dépend de la seconde notion : la
faute est-elle dépourvue de tout lien avec le service ?
Si la faute est dépourvue de tout lien avec le service,
il n’est pas possible pour la victime de rechercher la
responsabilité de la personne publique. En revanche,
si cette faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le
service, la responsabilité de la personne publique,
même si elle est absolument non fautive, pourra être
recherchée devant le juge administratif. Il appartiendra
alors à cette personne publique de se retourner contre
l’agent.
Cette jurisprudence vise à protéger la victime de l’insolvabilité possible du coupable. Dès lors que sa faute
personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le
service, le Conseil d’État permet d’engager la responsabilité de la personne publique dont il relève. Et en
l’espèce, il a paru clair au juge que le service public
avait permis à la faute de se constituer, le maire ayant
commis son escroquerie dans l’exercice de ses fonctions et en usant de sa qualité et des moyens mis à sa
disposition par la commune. ■
R. S.
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