La responsabilité de la personne publique peut-elle être
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La responsabilité de la personne publique peut-elle être
CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS La responsabilité de la personne publique peut-elle être engagée en cas de faute personnelle d’un de ses agents? Responsabilité extracontractuelle ■ Existence ■ Faute détachable du service et personnelle de l’agent ■ Hypothèse de faute non dépourvue de tout lien avec le service ■ Escroquerie d’un maire en matière de marchés publics. CE (3/8 SSR) 2 mars 2007, Société Banque française commerciale de l’Océan indien, req. n° 283257 – M. Touvet, Rapp. – M. Séners, C. du G. – SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Gatineau, Av. Résumé L’escroquerie commise par un maire en matière de marchés publics constitue une faute détachable du service et donc personnelle. Toutefois, la victime peut rechercher la responsabilité de la personne publique, même si celle-ci est non fautive, si la faute de l’agent n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. Dans ce cas, la personne publique pourra engager une action récursoire contre son agent. CONCLUSIONS François SÉNERS, commissaire du gouvernement La commune de Saint-Paul, à la Réunion, assurait en régie, jusqu’en 1989, l’entretien de sa voirie communale. La nouvelle municipalité a, par la suite, décidé de procéder par marchés à bons de commande pour la réalisation de ces travaux. C’est dans ce cadre que le maire a signé en 1991, avec une entreprise de travaux publics, un marché portant sur la réfection de certaines voies qui a donné lieu à une escroquerie organisée par le maire et le dirigeant de l’entreprise. Le maire a signé en 1992 et 1993 plusieurs certificats administratifs établissant que la société de travaux publics avait réalisé plus de 800 000 F de travaux. Ces certificats ont permis à l’entreprise d’obtenir tout d’abord des avances bancaires auprès de la Banque française commerciale de l’Océan indien (BFCOI), puis un financement par cession des créances détenues sur la commune, en application de la loi Dailly du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises 1. La banque a cherché, sans succès, à obtenir de la commune le mandatement des sommes qui lui étaient dues. C’est après la mise en redressement judiciaire puis en liquidation de la société de travaux publics que le pot aux roses a été découvert : les travaux certifiés ne correspondaient pas à la réalité des prestations de l’entreprise, dont la plupart avaient été surfacturées, et les certificats délivrés par le maire étaient frauduleux. L’élu et le dirigeant de l’entreprise ont été poursuivis en justice pour escroquerie et la commune a refusé d’honorer les créances de la banque. Une escroquerie organisée que la fraude à laquelle le maire s’était livré, à l’insu des services municipaux, avait été perpétrée dans le but d’un enrichissement personnel ainsi que l’avait établi le juge pénal et que, dans ces conditions, la faute personnelle commise était détachable du service et ne pouvait pas engager la responsabilité de la collectivité. La BFCOI a tout d’abord tenté, en vain, d’obtenir du tribunal administratif de SaintDenis-de-la-Réunion qu’il contraigne la commune à mandater en sa faveur les sommes mentionnées par les certificats administratifs, puis elle s’est placée sur le terrain indemnitaire en réclamant à la commune réparation du préjudice financier dont elle était victime. La commune a refusé d’admettre sa responsabilité en imputant la totalité de la faute aux agissements personnels de son ancien maire. Saisi du litige, le tribunal administratif a donné raison à la banque en jugeant que si, en délivrant des certificats administratifs de complaisance, l’ancien maire avait commis une faute personnelle, cette faute, commise à l’occasion de l’exercice des fonctions municipales, engageait néanmoins la responsabilité de la commune. Les premiers juges ont accordé à la banque une indemnité d’un peu plus de 574 000 F (87 500 €). Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel de Bordeaux a inversé la solution : elle a jugé Vous êtes saisis du pourvoi en cassation de la banque qui soutient que la cour a commis une erreur de droit ou une erreur de qualification juridique des faits. Selon le pourvoi, la cour ne pouvait pas écarter la responsabilité de la commune sans rechercher si la faute personnelle de l’ancien maire, dont l’existence n’est pas contestée, était ou non dépourvue de tout lien avec le service. Dans l’hypothèse où vous admettriez que la cour a, au moins implicitement, considéré que la faute personnelle était dépourvue de tout lien avec le service, la BFCOI estime que l’arrêt serait entaché d’erreur de qualification juridique comme d’ailleurs d’insuffisance de motivation. L’affaire vous donne l’occasion de rappeler les principes jurisprudentiels qui encadrent les règles d’imputabilité d’un préjudice causé par l’administration et ses agents. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53 313 1 Aujourd’hui article L. 313-23 et s. du code monétaire et financier. Une faute détachable du service ? CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS Bien que soucieuse de ne pas confondre les fautes personnelles des agents publics et celles qui sont imputables à l’administration, selon la distinction issue de la jurisprudence Lepeltier 2, la jurisprudence s’est laissée guider par le souci de faciliter l’indemnisation des victimes devant le juge administratif. Elle s’est construite, pour ce motif, autour de la notion de faute rattachable aux fonctions dévolues à l’agent impliqué : lorsque ce rattachement est admis, la victime peut obtenir réparation de son préjudice directement auprès de l’administration qui avait autorité sur l’agent, alors même que ce dernier a commis une faute personnelle. Il n’en va autrement que si la faute personnelle n’est pas rattachable au service, ce qui implique, compte tenu des développements de la jurisprudence, qu’elle soit dépourvue de tout lien avec lui. Cette jurisprudence est issue des arrêts Époux Lemonnier 3, Mlle Quesnel 4 et Dame veuve Paumier 5, qui concernent les fautes personnelles commises dans le service ou à l’occasion de celui-ci, et des arrêts Mlle Mimeur, Defaux et Besthelsemer 6 qui en ont étendu la portée aux fautes commises hors service. Dans tous les cas, dès lors que la faute personnelle de l’agent n’est pas dépourvue de lien avec le service, la victime peut obtenir réparation directement auprès de l’administration, à charge pour celle-ci, si elle le souhaite, de se retourner vers l’agent fautif pour obtenir le reversement de la part d’indemnité imputable à sa propre faute 7. Seule la faute personnelle de l’agent public dénuée de tout lien avec le service exclut la condamnation de la collectivité publique dont dépend cet agent et impose à la victime de rechercher la responsabilité civile du fautif devant le juge judiciaire 8. révèle un comportement inexcusable au regard des impératifs de la déontologie de la fonction publique ne fait pas obstacle à ce que la victime obtienne réparation auprès de la collectivité lorsque la faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. L’appréciation portée sur la gravité de la faute personnelle ou son caractère inexcusable n’intervient, le cas échéant, que dans le cadre des actions récursoires exercées devant le juge administratif, soit dans l’hypothèse où la collectivité réclame, sur le fondement de la jurisprudence Laruelle, que l’agent supporte sa juste part de la dette, soit dans l’hypothèse où l’agent condamné au civil vient, à l’inverse, réclamer un partage de responsabilité avec son employeur 9. Le caractère radical de la ligne selon laquelle la victime peut demander réparation à l’employeur public à raison d’une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service est parfaitement illustré par la décision Ministre de la Défense c/ Époux Raszewski du 18 novembre 1988 10 qui concernait le cas, encore plus choquant que celui qui vous est aujourd’hui soumis, d’un gendarme qui s’était livré, hors service, à des activités criminelles : il a été jugé que les crimes, qui constituaient à l’évidence des fautes personnelles, n’étaient pas dépourvus de tout lien avec le service dès lors que l’intéressé, qui avait agi dans sa circonscription, participait aux enquêtes et était ainsi informé de leur progression, ce qui lui avait permis d’échapper un temps aux recherches et de prolonger la durée de ses activités coupables. On peut aussi citer, au même degré de gravité de la faute, l’arrêt Commune de Chonville-Malaumont du 27 février 1981 11 où a été reconnue l’imputabilité à la collectivité des dégâts occasionnés par un sapeurpompier ayant mis le feu à une grange en y jetant une cigarette allumée au cours d’une tournée de service. des travaux, a été perpétrée dans le but d’un enrichissement personnel ; que, dans ces conditions, il a commis une faute personnelle détachable du service, qui n’est pas de nature à engager la responsabilité de la collectivité ». Il n’y a que deux façons d’interpréter cette motivation : soit la cour a entendu juger que la nature du motif qui a inspiré le délit suffisait à écarter l’imputabilité du dommage à la commune et, dans ce cas, elle a commis l’erreur de droit consistant à ne pas avoir recherché si la faute personnelle était dépourvue de tout lien avec le service, soit, si l’on admet que la cour a implicitement procédé à cette recherche et considéré, tout aussi implicitement, qu’il n’existait aucun lien entre la faute et le service, l’arrêt est entaché d’insuffisance de motivation et d’erreur de qualification juridique des faits. Il était en effet constant que le maire avait commis les actes répréhensibles dans l’exercice de ses fonctions, en usant des moyens et prérogatives attachés à son rôle exécutif, et qu’en particulier la banque avait été abusée par des certificats ayant l’apparence de documents administratifs authentiques et sincères, signés par le maire en exercice et revêtus du cachet de la mairie. Il était impossible dans ce contexte, en dépit du caractère personnel de l’escroquerie, de dénier l’existence d’un lien entre la faute et le service municipal. Vous ne pourrez donc que censurer l’arrêt sur l’un ou l’autre de ces deux terrains, selon l’interprétation des motifs que vous privilégierez. Statuant, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, sur les conclusions d’appel, vous serez conduits à juger, pour les motifs qui viennent d’être indiqués, que la faute personnelle de l’ancien maire n’était pas dépourvue, dans les circonstances de l’espèce, de tout lien avec le service, comme l’avait parfaitement jugé en première instance le tribunal administratif. Une action récursoire possible Un lien entre la faute et le service La victime non fautive Le cadre d’analyse étant rappelé, nous n’avons aucune hésitation à vous inviter à accueillir la demande de cassation. La cour a jugé « que la fraude à laquelle le maire s’est livré avec la complicité de l’entrepreneur, et pour l’organisation de laquelle il a établi au profit de ce dernier, à l’insu des services techniques de la commune, des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation Il vous restera alors à apprécier si c’est à bon droit que le tribunal a jugé que la BFCOI n’avait pas commis d’imprudences susceptibles de lui faire porter l’entière responsabilité des pertes financières qu’elle a subies. La commune soutient qu’aux dates auxquelles la banque a accordé des avances à l’entreprise de travaux publics, puis accepté de reprendre les créances de cette entreprise, une enquête judiciaire portant sur les malversations commises par l’ancien maire était déjà en cours et que la presse en avait abondamment rendu compte. Mais ce n’est pas corroboré par les éléments dont vous disposez au terme de l’instruction : il est Une faute rattachable au service Contrairement à la présentation qui parfois faite de cette jurisprudence, la constance que la faute personnelle l’agent soit d’une gravité particulière 2 est cirde ou TC 30 juillet 1873 : GAJA 15e éd., n° 2. CE 26 juillet 1918 : Rec., p. 761, concl. L. Blum ; GAJA 15e éd., n° 33. 4 CE 21 avril 1937 : Rec., p. 413. 5 CE 25 novembre 1955 : Rec., p. 564. 6 CE Ass. 18 novembre 1949 : Rec., p. 492, 493 et 494. 7 CE Ass. 28 juillet 1951, Laruelle : Rec., p. 461 ; GAJA 15e éd., n° 69 ; RDP 1951.1087, note M. Waline. 8 CE 4 janvier 1964, Ministre de la Construction c/ Époux Cavaudeau : Rec., p. 12 ; TC 14 janvier 1980, Techer c/ Pahon : Rec., p. 504. p. 457 ; CE Ass. 12 avril 2002, Papon : Rec., p. 139, concl. S. Boissard : GAJA 15e éd., n° 115. 10 Rec., p. 416. 11 Rec., p. 116. 314 BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53 3 9 CE S. 3 décembre 1948, Commune de Berre l’Étang : Rec., CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS tribunal correctionnel, circonstance qui ne plaide pas en faveur de la thèse selon laquelle elle avait connaissance des malversations dès l’origine. Nous ne pensons donc pas que vous puissiez infirmer le jugement de première instance mettant le préjudice, dont l’évaluation n’est pas remise en cause, à la charge de la commune de Saint-Paul. Il appartient à cette dernière d’exercer à l’encontre de son ancien maire une action récursoire tendant à lui faire supporter la charge de l’indemnité résultant de sa faute. Si telle est bien votre analyse, vous devrez rejeter la demande de frais irrépétibles présentée par cette collectivité et vous pourrez, en revanche, faire droit à celle de la BFCOI, dans une limite que nous vous proposons de fixer à 3 000 €. Par ces motifs, nous concluons à l’annulation de l’arrêt attaqué, au rejet des conclusions présentées en appel et en cassation par la commune de Saint-Paul et à ce que la somme de 3 000 € soit mise à la charge de cette collectivité en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ■ correspondant aux attestations ; que par un jugement du 4 novembre 1998, devenu définitif, le tribunal de Saint-Denis-de-la-Réunion a confirmé le bien-fondé du refus de la commune de mandater ces sommes, en l’absence de réalisation des travaux ; que la BFCOI a alors demandé à la commune de Saint-Paul d’indemniser les conséquences de la faute commise par le maire de Saint-Paul en attestant des dettes qui ne correspondaient à aucun service fait ; que le tribunal administratif, saisi par la BFCOI du refus de la commune, a, le 4 juillet 2001, condamné celle-ci à verser à la BFCOI une indemnité de 574 104,24 F (87 521,63 €) ; que la cour administrative d’appel de Bordeaux a infirmé ce jugement en se fondant sur ce que la faute commise par le maire de Saint-Paul constituait une faute personnelle détachable du service, insusceptible d’engager la responsabilité de la commune ; que la BFCOI se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; Considérant que la victime non fautive d’un préjudice causé par l’agent d’une administration peut, dès lors que le comportement de cet agent n’est pas dépourvu de tout lien avec le service, demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l’agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service ; que cette dernière circonstance permet seulement à l’administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d’engager une action récursoire à l’encontre de son agent ; Considérant qu’après avoir relevé que le maire de Saint-Paul a établi des certificats administratifs attestant faussement de la réalisation de travaux sur des chemins communaux par la société EBTPE, la cour administrative d’appel en a déduit qu’en raison du but d’enrichissement personnel pour lequel le maire a agi, la faute commise par lui est une faute personnelle détachable du service qui ne serait pas de nature à engager la responsabilité de la commune ; qu’en se fondant sur ce que la gravité de la faute commise par le maire de Saint-Paul lui conférait un caractère personnel détachable du service pour en déduire que la commune ne pouvait être condamnée à en réparer les conséquences, sans rechercher si cette faute était ou non dépourvue de tout lien avec le service, la cour administrative d’appel de Bordeaux a donc commis une erreur de droit ; que la BFCOI est dès lors fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ; Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ; Considérant que si la circonstance que les travaux n’ont pas été réalisés interdisait à la commune d’émettre un mandat de versement des sommes en cause à la BFCOI, ainsi que l’a jugé le tribunal administratif de Saint-Denis-de-laRéunion le 4 novembre 1998, elle ne prive pas la BFCOI de la possibilité de rechercher la responsabilité de la commune à raison de l’établissement des fausses attestations sur le fondement desquelles elle a acquis les créances que détenait apparemment la société EBTPE sur la commune ; Considérant que c’est avec l’autorité et les moyens que lui conféraient ses fonctions que le maire de Saint-Paul a émis les fausses attestations qui ont causé le préjudice subi par la BFCOI ; que la faute ainsi commise, alors même que sa gravité lui conférerait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, n’est donc pas dépourvue de tout lien avec celui-ci, ce qui autorise sa victime à demander au juge administratif de condamner la commune de Saint-Paul à en assumer l’entière réparation, sans préjudice d’une éventuelle action récursoire de la commune à l’encontre de M. Moussa Cassam, qui était maire à l’époque des faits ; Considérant que la commune soutient que la BFCOI aurait fait preuve, en acceptant d’acquérir les créances détenues par la société EBTPE, d’imprudences de nature à faire disparaître toute responsabilité de la commune ; que si une enquête, qui d’ailleurs concernait à l’origine des BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53 315 exact que l’enquête de gendarmerie qui a révélé l’escroquerie et conduit à la mise en cause du maire et du dirigeant de l’entreprise avait débuté fin novembre 1992, quatre mois avant la cession des créances à la banque, mais, contrairement à ce qui est affirmé par la commune, aucune pièce ne révèle une quelconque publicité donnée à cette affaire pendant l’instruction judiciaire. La condamnation par le tribunal correctionnel n’est intervenue que le 15 mars 1994, soit un an après les cessions de créances, et on peut d’ailleurs relever que la BFCOI ne s’était pas constituée partie civile devant le DÉCISION Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juillet 2005 et 23 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État présentés pour la Banque française commerciale de l’Océan indien […] ; la Banque française commerciale de l’Océan indien demande au Conseil d’État : 1°) d’annuler l’arrêt du 12 avril 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, faisant droit à la requête de la commune de Saint-Paul, a annulé le jugement du 4 juillet 2001 du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion condamnant la commune à verser à la société BFCOI la somme de 87 521,62 € en réparation du préjudice résultant pour la société de la faute commise par le maire de Saint-Paul dans la délivrance de certificats administratifs relatifs à la réalisation de travaux ; 2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 € en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; […] Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Saint-Paul a conclu le 14 mars 1991 avec la société EBTPE un marché public de travaux confiant à l’entreprise la réalisation de travaux de voirie ; que, les 2 avril 1992 et 22 mars 1993, la société EBTPE a cédé l’intégralité de sa créance sur la commune correspondant à ces travaux à la Banque française commerciale de l’Océan Indien (BFCOI) en application de la loi du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ; que le maire de Saint-Paul a établi les 31 mars 1992, 7 décembre 1992, 26 janvier 1993 et 25 février 1993 des attestations administratives certifiant que la commune devait à la société EBTPE différentes sommes pour un montant total de 820 148,96 F (125 030,90 €) correspondant à la réalisation des travaux de réfection et d’aménagement de chemins communaux ; que la BFCOI, au vu de ces attestations, a consenti à l’entreprise EBTPE une avance égale à 70 % des sommes certifiées ; que la BFCOI n’a pu obtenir de la commune le mandatement des sommes CONTENTIEUX DES CONTRATS PUBLICS faits différents, avait été diligentée par le parquet avant l’acquisition opérée par la BFCOI le 22 mars 1993, la condamnation du maire n’a été acquise que par un jugement du tribunal correctionnel du 15 mars 1994 ; que la commune ne produit aucun document à l’appui de son allégation selon laquelle la mise en cause du maire avait fait l’objet de nombreux articles de presse dès l’automne 1992 ; que les certificats signés par le maire présentent l’apparence de certificats attestant la réalisation de travaux effectués pour la commune, sans qu’on puisse considérer que l’absence d’un visa ou l’indication de la raison sociale de l’entreprise de travaux publics aurait dû susciter la méfiance de la BFCOI ; qu’ainsi il ne résulte pas de l’instruction que la BFCOI aurait commis des imprudences susceptibles d’atténuer la responsabilité de la commune ; Considérant que le préjudice invoqué par la BFCOI n’est pas sérieusement contesté et doit être regardé comme établi ; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Paul n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 4 juillet 2001, le tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion l’a condamnée à verser à la BFCOI une indemnité de 574 104,24 F (87 521,63 €) en réparation du préjudice subi par elle en raison de la faute commise par son maire en établissant des certificats attestant faussement de la réalisation de travaux ; Considérant que, par voie de conséquence, les conclusions de la commune de Saint-Paul tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être reje- tées ; qu’en revanche, il sera mis à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5 000 € qu’elle versera à la BFCOI sur le fondement des mêmes dispositions ; DÉCIDE : Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 12 avril 2005 est annulé. Article 2 : Les conclusions présentées devant cette cour et devant le Conseil d’État par la commune de Saint-Paul sont rejetées. Article 3: Il est mis à la charge de la commune de Saint-Paul la somme de 5000 € qu’elle versera à la Banque française commerciale de l’Océan indien en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. […] ■ OBSERVATIONS L’affaire est intéressante à plusieurs titres, notamment parce qu’elle montre que la responsabilité de la personne publique est engagée en cas d’escroquerie commise par ses responsables en matière de marchés publics. Et l’intérêt juridique de l’affaire est précisément de montrer que ce n’est pas parce qu’une faute de l’agent est détachable du service et donc personnelle que la responsabilité de la personne publique ne peut être engagée. Deux notions doivent être distinguées, celle de la faute détachable du service d’une part et celle de la faute non dépourvue de tout lien avec le service d’autre part. Lorsque la faute de l’agent est d’une particulière gravité, elle peut être regardée comme détachable du service et donc personnelle à l’agent. La fraude aux marchés publics ne découle bien évidemment pas du fonctionnement du service public. Elle est, par sa gravité et son extranéité, détachable du service et ainsi personnelle à l’agent. La conséquence n’est pas nécessairement que la responsabilité de la personne publique puisse être engagée. La conséquence est que si cette responsabilité de la personne publique est engagée, cette dernière pourra se retourner contre l’agent, en formant une action récursoire contre lui. En tout état de cause, la responsabilité personnelle de l’agent pourra être mise en cause, soit directement par la victime devant le juge judiciaire, soit par une action 316 récursoire de la personne publique si la victime a engagé la responsabilité de cette dernière. Et précisément, la possibilité de rechercher la responsabilité de la personne publique dépend de la seconde notion : la faute est-elle dépourvue de tout lien avec le service ? Si la faute est dépourvue de tout lien avec le service, il n’est pas possible pour la victime de rechercher la responsabilité de la personne publique. En revanche, si cette faute n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, la responsabilité de la personne publique, même si elle est absolument non fautive, pourra être recherchée devant le juge administratif. Il appartiendra alors à cette personne publique de se retourner contre l’agent. Cette jurisprudence vise à protéger la victime de l’insolvabilité possible du coupable. Dès lors que sa faute personnelle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service, le Conseil d’État permet d’engager la responsabilité de la personne publique dont il relève. Et en l’espèce, il a paru clair au juge que le service public avait permis à la faute de se constituer, le maire ayant commis son escroquerie dans l’exercice de ses fonctions et en usant de sa qualité et des moyens mis à sa disposition par la commune. ■ R. S. BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53