Enseignement musical et démocratisation

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Enseignement musical et démocratisation
Enseignement musical et
démocratisation
LE « PLAN MUSIQUE » EN ILLE-ET-VILAINE A TRAVERS LES EXEMPLES DU
CONSERVATOIRE DE RENNES ET DE L'ASSOCIATION LA BOUEZE
Hélène BEAUVALLET
Mémoire de 4e année
Séminaire : Action Publique Locale
Sous la direction de Philippe Leroy
2010 - 2011
Remerciements
Je tiens à remercier sincèrement toutes les personnes qui ont accepté de
m'accorder du temps lors d'entretiens et au détour de conversations diverses, elles ont
constitué une étape passionnante de mon travail de recherche!
Je voudrais remercier M. Philippe Leroy, mon directeur de mémoire, pour son
suivi, sa patience, ses conseils bibliographiques avisés et la qualité du séminaire
« Action publique Locale ».
Mille mercis à mes amis, mes parents, Emma et Bastien pour leur joie de vivre,
leur bonne humeur et leur soutien quotidien, sans qui rien n'aurait été possible.
Un immense merci à Renaud et maman pour leur aide précieuse à la relecture.
A Ulla et Jean-Luc,
qui m'ont donné le goût d'apprendre
la musique pour la vie.
« Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un apprentissage de la recherche. Il est donc
nécessairement inabouti et présente des imperfections et des insuffisances. Par
ailleurs, l'IEP n'entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses
contenues dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme relevant de la
seule responsabilité de l'auteur. »
Sommaire
Introduction............................................................................................................................6
I. Le « Plan Musique » du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: un objectif de démocratisation
affiché...................................................................................................................................21
A. Décryptage institutionnel............................................................................................22
1. Historique de la démocratisation culturelle: une affaire d'État...............................22
2. L'enseignement musical dans un contexte de décentralisation et le rôle du
département.................................................................................................................26
B. Le « Plan Musique »: programme phare du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à visée
de démocratisation...........................................................................................................29
1. Cas particulier de l'Ille-et-Vilaine...........................................................................30
2. La politique d'enseignement artistique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: Le
« Plan Musique »........................................................................................................32
a. Écoles de musique et musiciens intervenants.....................................................32
b. Le Conservatoire et la Bouèze comme exemples...............................................34
C. La démocratisation: un discours politique?.......................................................36
a)Objectif du plan: la « démocratisation » de l'enseignement musical.................36
b) La démocratisation: limites d'un concept...........................................................39
II. La perception de la démocratisation par les acteurs du monde de l'enseignement
musical..................................................................................................................................43
A. La démocratisation à travers le référentiel des directeurs de structures.....................44
1. Liens avec les institutions, perceptions et objectifs................................................44
2. Mise en œuvre de l'objectif de démocratisation......................................................47
a. Des politiques concrètes.....................................................................................48
b. Référentiels distincts et complémentarités entre le Conservatoire et la Bouèze.
................................................................................................................................52
B. Professeurs de musique et démocratisation................................................................54
1. Les professeurs de musique: un groupe hétérogène...............................................54
2. Statut spécifique des musiciens intervenants dans un objectif de démocratisation.
.....................................................................................................................................58
C. Le public comme notion fondamentale face à l'idée de démocratisation...................60
1. Le public des écoles de musique.............................................................................60
2. La notion de public.................................................................................................62
III. Entre culture et enseignement: Les méthodes d'apprentissage.......................................64
A. Les méthodes d'apprentissage de la musique: une clé pour comprendre une
démocratisation difficile..................................................................................................64
1. Le solfège, ou comment faire fuir des « publics »..................................................65
2. Une rigidité qui ferme des portes............................................................................69
B. Paradoxe de l'articulation entre école et enseignement musical.................................73
1. La démocratisation par l'école................................................................................73
2. Un apprentissage scolaire de la musique anti-démocratique?................................78
Conclusion............................................................................................................................82
Bibliographie........................................................................................................................87
Annexes................................................................................................................................89
I. ENTRETIENS EFFECTUES.......................................................................................89
Entretiens exploratoires:.............................................................................................89
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Introduction
Si j'ai choisi de travailler sur la musique, c'est d'abord par passion. Qu'elle soit
traditionnelle, classique, « amplifiée1 », pratiquée individuellement ou en groupe, sur
une grande scène ou au coin d'une rue, j'ai toujours été attirée par l'univers musical et
toutes les passions que peut transmettre la musique. Cette fascination m'a poussée
jeune à apprendre à jouer du piano, que j'ai pratiqué pendant douze ans, à découvrir
la musique bretonne et les fest-noz à travers l'accordéon diatonique, et aujourd'hui à
tenter d'apprendre la guitare, instrument qui comparé aux précédents, dans une vie
étudiante mouvementée, est beaucoup plus accessible et commun, y compris aux
quatre coins du monde!
L'apprentissage de la musique est pour moi synonyme de découverte, de plaisir,
de rencontres, de fêtes.. mais il semble que cette définition se trouve loin d'être
universelle. En effet si pour certains la musique est restée un loisir, si d'autres en ont
fait leur métier, pour la plupart elle reste un vague souvenir peu enthousiasment de
cours de flûte à bec au collège, où trente flûtes stridentes vous déchirent les tympans
sans suivre de mélodie véritablement transcendante. De nombreuses personnes
gardent le souvenir d'un apprentissage exigent, perçu plutôt comme un fardeau,
imposé par ses parents dès le plus jeune âge, souvent dans une logique de
reproduction sociale. S'il est bien entendu ici que tout le monde ne peut pas et ne doit
pas être passionné de musique, l'enseignement musical est-il pour autant accessible à
tous ceux qui le souhaiteraient?
Selon JC. Wallach2, « Le phénomène de « musicalisation » de la société française
semble ne pas devoir connaître de limites ». Néanmoins aujourd'hui toujours plus de
foyers disposent d'appareils pour écouter de la musique, mais les foyers disposant
d'instruments pour en faire sont beaucoup moins nombreux, et les chiffres diffèrent
1 Terme utilisé dans les Conservatoire.
2 JC. Wallach, La culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle.(page
93)
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significativement en fonction des milieux sociaux3. Ainsi selon Michel Scheider4 ,
« s'il fallait définir l’enjeu des dix prochaines années, je dirais : passer de l’avoir
(de biens musicaux) à l’être musicien ; transformer la consommation passive et
indifférenciée en pratique musicale. »
Il est frappant de constater que, par exemple, à l'Institut d'Étude Politiques de
Rennes, le nombre d'étudiants sachant jouer du piano est proportionnellement
beaucoup plus important que le nombre d'adolescents qui jouaient du piano dans le
collège où j'étais scolarisée. Dans une enquête menée par Olivier Donnat sur les
pratiques culturelles des français en 1997, il est possible de voir par exemple que sur
100 personnes sachant jouer du piano, 50 appartenaient à une famille dont le chef de
famille entrait dans la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures,
et 12 appartenaient à une famille dont le chef de famille entrait dans la catégorie des
ouvriers non qualifiés...
Selon O. Donnat: « un quart des français sait jouer d'un instrument de musique,
[et] le fait que cette proportion est nettement plus élevée chez les plus jeunes (60%
chez les 15-19 ans) et qu'elle décline régulièrement dès qu'on dépasse la génération
des 25-34 ans indique les progrès continus de l'éducation musicale depuis plusieurs
décennies, dans le cadre scolaire et dans celui du temps libre ». Il reste néanmoins
évident que le phénomène de reproduction sociale, face à la décision de faire
apprendre la musique ou non à son enfant, est toujours d'actualité.
Les « progrès continus de l'éducation musicale5 » semblent éloignés de la vision
relativement caricaturale, mais cependant loin d'être infondée, d'une pratique élitiste,
fondée sur des méthodes d'apprentissage très formelles et ayant peu évolué depuis de
nombreuses années, vision qui apparaît très ancrée dans les esprits. Selon le viceprésident du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, délégué à la culture, si l'on compare le
chemin parcouru par l'école depuis 30 ans pour s'adapter à de nouveaux publics, où
les modes d'apprentissage se sont diversifiés, « dans un Conservatoire ou une école
de musique, on apprend toujours comme il y a 40 ans ». Si ces propos méritent d'être
3 État et musique... p.155
4 Cité dans État et musique page 159
5 O.Donnat, Les pratiques culturelles des français Enquête 1997
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précisés et nuancés, ils ont le mérite d'être clairs et d'ouvrir un débat intéressant. A
partir de ce constat, existe-t-il une réaction des pouvoirs publics? Quelles institutions
se trouvent compétentes pour agir dans le domaine de l'enseignement musical?
Agissent-elles et de quelle manière? Comment le large et controversé débat sur la
démocratisation culturelle se traduit-il dans le domaine spécifique de l'enseignement
musical, l'éveil musical, la sensibilisation et l'apprentissage en lui même?
En Ille-et-Vilaine, le Conseil Général a mis en place un « Plan Musique ». Il nait
en 1989, de la rencontre entre Pierre Méhaignerie, alors président du Conseil Général
d'Ille-et-Vilaine, avec un inspecteur général de la musique qui souhaitait
expérimenter un projet musical, A. Dubost. Le Plan Musique s'appelait alors « plan
départemental de développement de l’enseignement musical. ». Il s'est ensuite
intitulé « Musique en Ille-et-Vilaine », avant de devenir le « Plan Musique ». Mais au
delà des changements de nom, ce sont avant tout les objectifs visés par ce plan qui se
sont vus modifiés au fil des années, et notamment lors des changements de majorité
politique au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. L'actuel délégué à la culture du
Conseil Général d'Ille-et-Vilaine explique ainsi: « Nous avons hérité d'un Plan
Musique. Nous n'allons pas l'arrêter, beaucoup de choses ont été mises en place ce
serait difficile. Le réorienter, c'est ce que nous avons essayé de faire depuis sept
ans. »
Il est aujourd'hui clairement affiché par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine que
l'objectif du Plan Musique lancé en 2006 , qui subventionne 37 écoles de musique sur
le département et 46 postes de musiciens intervenants, est de « démocratiser
l'enseignement musical: permettre au plus grand nombre de suivre un enseignement
musical, notamment en direction des publics les plus éloignés de la pratique
artistique6. » Les objectifs initiaux du plan étaient de parvenir à une couverture
maximale du territoire départemental en terme d'offre d'enseignement musical, afin
de rendre possible l'accès au plus grand nombre à un enseignement, une expression
ou une pratique musicale, quel que soit leur lieu de résidence, et de mettre en place
un dispositif de sensibilisation à la musique à l'école. A ces objectifs s'ajoutent et sont
mis en avant, des critères de plus en plus précis pour tenter d'atteindre l'objectif de
6 Source; site internet du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine.
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démocratisation énoncé.
Mais que signifie « démocratiser »? « Mettre à la portée de tout le monde, rendre
accessible », nous dit le dictionnaire. Cependant cette définition ne se suffit pas à
elle-même, la « démocratisation » est un concept qui fait débat et qu'il est intéressant
d'approfondir. Les élus, les musiciens, les directeurs de structures, les professeurs de
musique, les élèves... ont-ils tous la même perception de la « démocratisation »?
« La démocratisation culturelle: « mot valise » ou mot d'ordre? » interrogeait
Alice Chamblas en titre de son mémoire7, qui démontre que la démocratisation
culturelle apparaît finalement plutôt aujourd'hui comme un « mot valise »8. Le
concept a pu se voir reformulé, on parle par exemple aujourd'hui au niveau de la ville
de Rennes plutôt d' « élargissement social des publics », mais une définition peu
précise du terme reste toujours problématique. « Derrière ce terme d' « élargissement
social des publics », beaucoup plus d'élus et de décideurs se reconnaissent, mais ça
n'est pas pour autant qu'ils l'ont mieux défini. C'est souvent ce que l'on retrouve en
sociologie, derrière un terme: plus les termes sont polysémiques, plus ils font
l'unanimité parce que tout le monde peut y mettre le contenu qu'il souhaite.»9
J.C Wallach, dans dans son essai sur les limites de la démocratisation culturelle 10,
dénonce lui une « démocratisation culturelle, dont personne ne parle mais à laquelle
tout le monde se réfère », dénonçant l'imprécision d'un terme que beaucoup utilisent
comme référence. En ce qui concerne la politique culturelle menée par A. Malraux,
il précise que l’expression « démocratisation de la culture » n’est pas toujours
employée en tant que telle, mais remet dans tous les cas sérieusement en cause la
politique menée. « A défaut de s’exprimer en termes de démocratisation, André
Malraux s’exprime donc en termes d’ « accès du plus grand nombre » à la culture.
Pour lui, il suffit de mettre l’œuvre en présence du public pour que le miracle
s’accomplisse. Cette conception messianique de l’art et de la culture produit une
7 Mémoire de 4ème Année, A. Chamblas La démocratisation culturelle: « mot valise » ou mot
d'ordre? 2007
8 Mais si la démocratisation culturelle comme l'entendait A. Malraux est dépassée, A. Chamblas
montre que la démocratisation culturelle « sous son sens courant est toujours au centre des
politiques culturelles […] C'est un nouveau mot d'ordre. » (page 90)
9 Entretien (F.Jedrzejak)
10 JC. Wallach, La culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle. Page 30
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véritable occultation de la question des dimensions sociales des conditions de cet
accès. » Les limites d'une démocratisation de la culture axée uniquement sur
l'ouverture de l'accès aux grandes œuvres sont ici dénoncées, cet accès ne se suffisant
pas à lui-même.
« Traduire l'expression « rendre accessible » dans les mots d'aujourd'hui, c'est
évoquer l'aménagement du territoire, la réduction des inégalités géographiques
d'accès à la culture, la multiplication de l'offre en postulant que cela agira
parallèlement sur la demande. »11
Nous entrons ici au cœur du débat sur la démocratisation que nous tenterons de
développer au fil de ce mémoire à travers l'exemple du Plan Musique mis en place en
Ille-et-Vilaine, qui peut ici se révéler comme une illustration concrète de la
problématique de la démocratisation culturelle, appliquée au domaine spécifique de
l'enseignement musical.
Lorsque l'on parle de démocratisation culturelle il est important de distinguer
deux concepts souvent confondus sous le terme générique de démocratisation
culturelle: d'une part la démocratisation culturelle, et d'autre part la démocratie
culturelle.12
- La démocratisation culturelle peut se définir comme le processus d'accès aux
œuvres légitimes, elle correspond à la diffusion d'œuvres artistiques connues, dans le
but de « rendre accessible à tous les œuvres de l'humanité », comme l'avait affirmé
André Malraux lorsqu'il était ministre des Affaires Culturelles.
- La démocratie culturelle quand à elle est un processus un peu différent, qui
consiste à dire que chacun, dans une société démocratique, transparente, doit avoir la
possibilité non seulement d'avoir accès aux œuvres, mais également de pouvoir luimême se construire à travers les pratiques artistiques.
11 JC Wallach (page 27)
12 Jean Caune, Entre démocratisation et démocratie culturelle: quelle politique pour le théâtre?
Conférence midi, 10 février 2011
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Dans le cas de la démocratisation de l'enseignement musical, force est de
constater que c'est plutôt le concept de « démocratie culturelle » qu'il est intéressant
d'analyser si l'on s'intéresse aux pratiques musicales quotidiennes de tout un chacun.
En effet nous parlerons surtout ici, même ci cela est tout a fait lié à la compréhension
et à l'appréciation des grandes œuvres musicales, de la possibilité offerte à chacun de
s'épanouir à travers la pratique musicale, possibilité incluse dans l'idée générale de
démocratie culturelle.
Cependant, le terme de démocratisation culturelle étant celui utilisé
génériquement dans les textes nous nous verrons contraints au cours de ce travail de
parler de démocratisation pour traduire l'idée de démocratie culturelle. Ainsi, tout en
gardant en tête
la distinction entre démocratie culturelle et démocratisation
culturelle, le terme de « démocratisation culturelle » regroupe ces deux acceptations.
Mise en perspective du sujet par rapport aux travaux existants
Si de nombreux travaux traitent de la démocratisation culturelle en général, peu
d'ouvrages se penchent spécifiquement sur la démocratisation dans le domaine de
l'éducation artistique, et de l'éducation musicale de façon encore plus précise. Il
apparaît ici intéressant d'essayer d'établir un lien entre un débat déjà très étoffé autour
du concept de démocratisation, et une politique publique locale précise, à savoir le
Plan Musique en Ille-et-Vilaine, visant un objectif clairement défini de
démocratisation.
Dans le domaine de la musique, nous reviendrons au cours de la première partie
sur la « Politique démocratique de la musique13 » menée par Maurice Fleuret,
directeur général de la musique dans les années 1980.
Pour Maurice Fleuret, « La création artistique n'est pas l'ornement de la société,
elle en est la conscience. »14
13 Titre d'un ouvrage de A. Veitl et N. Duchemin, 2000 (Maurice Fleuret: une politique
démocratique de la musique 1981-1986.
14 Cité au début de l'ouvrage de A. Veitl et N.Duchemin.
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Cadre théorique
Concernant les cadres théoriques que j'ai privilégiés pour encadrer ma démarche
de recherche, il m'a semblé que l'approche organisationnelle des politiques publiques
était celle qui correspondait le mieux aux enjeux de mon sujet.
L'approche organisationnelle en tant que posture « invite à considérer l'action
publique dans son ensemble, autrement dit à ne pas réduire celle-ci aux programmes
ayant un contenu, une orientation normative et une dimension coercitive en vue de la
résolution de problèmes particuliers sur un secteur donné, mais à traquer cette
action publique, à la déceler et à la révéler telle qu'elle se donne à voire dans le
travail quotidien, plus routinier, plus « ordinaire » des acteurs engagés dans sa mise
en œuvre et dans les relations qu'ils entretiennent entre eux 15. » Ainsi je tenterai au
cours de mon travail de ne pas me contenter d'analyser un programme ayant comme
orientation normative la démocratisation, et mettant en place un certain nombre de
critères pour sanctionner sa réussite ou non, mais d'observer la façon dont cette
orientation se traduit quotidiennement pour les acteurs concernés par cette action
publique, la façon dont ces acteurs la mettent en œuvre et interagissent entre eux. Il
s'agit de comprendre ici comment s'articulent dans les faits l'orientation normative de
départ et l'action réelle des acteurs, « l'action « quotidienne». »
Michel Crozier fut le premier en France à s'appuyer sur la posture
organisationnelle. Au delà d'une posture, l'approche organisationnelle est aussi
vectrice d'une méthodologie particulière. La méthode d'analyse et d'interprétation
propre à cette posture passe avant tout par l'importance accordée aux acteurs, qui
sont appréhendés prioritairement par rapport aux structures, même si ces dernières ne
sont pas oubliées.
15 Dictionnaire des politiques publiques, Presses Sciences Po, 2004
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Les acteurs ici concernés par la démocratisation de l'enseignement musical seront
principalement les élus, les directeurs d'établissements d'enseignement musical, les
professeurs de musique, les musiciens intervenants, les élèves et les publics
potentiels.
Revenons à l'approche organisationnelle en tant que méthodologie: cette
approche favorise « « un cadre interprétatif qui se construit à partir du vécu des
acteurs de l'espace d'action considéré » [Friedberg, 1993]. Ainsi, les enquêtes ne
sont pas conçues comme des dispositifs permettant de vérifier (pour les infirmer ou
les confirmer) des hypothèses formulées en amont: elles visent à utiliser le terrain
pour découvrir les modes de fonctionnement collectifs à l'œuvre et leurs
fondements. » Le travail empirique occupe donc une place fondamentale. Il est en
majeure partie basé sur des entretiens avec les acteurs concernés, entretiens qui
conduisent à élaborer une réflexion plus théorique et à émettre des hypothèses issues
d'un premier travail de terrain.
Si je me suis appuyée sur l'approche organisationnelle pour effectuer mon travail
de recherche, il est cependant nécessaire de préciser que je n'ai pas toujours suivi
précisément cette méthodologie. En effet, au vu des contraintes de temps imparties,
et de difficultés d'organisation, je n'ai pas rencontré, il me semble, un nombre assez
important d'acteurs concernés par la démocratisation de l'enseignement musical, et
précisément par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine, pour prétendre avoir élaboré une
réflexion théorique suffisamment étoffée. Enfin cette réflexion théorique ne s'est pas
faite intégralement à la suite du travail empirique. Il m'a été nécessaire d'émettre des
hypothèses préalablement aux entretiens que j'ai pu effectuer, celles-ci ont évolué au
fil de la recherche.
L'approche organisationnelle constitue donc un cadre théorique privilégié pour
mon travail de recherche. Cependant, par des apports différents, des distinctions et il
me semble des complémentarités, les approches cognitives des politiques publiques
ont également influencé ma recherche. En effet les approches cognitives et
normatives attachent une importance particulière dans leur analyse des politiques
publiques aux « croyances, représentations dominantes et idées plus ou moins
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partagées par les acteurs publics et privés concernés », des aspects qui me semblent
primordiaux à analyser lorsque l'on s'intéresse à la démocratisation en matière
d'enseignement musical.
Quelles sont les représentations dominantes des acteurs concernés par
l'enseignement musical? Que pensent-ils de la démocratisation? La perçoivent-ils
dans leur quotidien? Quelles croyances se créent dans les différentes structures
autour de l'idée de « démocratisation »?
Objet d'analyse empirique
Le Plan Musique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine s'est révélé être la politique
publique centrale de ma recherche. En effet il constitue il me semble un exemple tout
à fait intéressant et accessible d'une politique publique à visée de démocratisation
dans le domaine particulier de l'enseignement musical. Cet enseignement de la
musique présente des caractéristiques propres à approfondir.
Les débats sont vifs autour de la politique culturelle du Conseil Général d'Ille-etVilaine actuellement, et le « Plan Musique » en constitue une facette révélatrice.
L'actualité est également très mouvementé en ce qui concerne l'échelle
départementale, menacée par la réforme des collectivités territoriales. En ce sens
l'analyse d'une politique publique particulière se situe au carrefour d'enjeux
passionnants qu'elle permet de mieux appréhender, en observant ici par exemple
l'impact de la politique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine sur l'enseignement de la
musique.
De nombreuses écoles de musique sont concernées par le Plan Musique, 37
exactement. Il apparaissait évidemment impossible de s'intéresser à la perception et à
la mise en œuvre de l'objectif de démocratisation du Plan Musique dans chacune de
ces 37 écoles. Partie de l'idée d'une comparaison entre l'apprentissage de la musique
classique et traditionnelle, j'ai souhaité au début comparer les deux établissements
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d'enseignement musical subventionnés par le Plan Musique à Rennes16: Le
Conservatoire de Rennes et l'association la Bouèze. Cependant il s'est avéré
qu'effectuer une comparaison stricte entre le Conservatoire National à rayonnement
régional et l'association de musique traditionnelle la Bouèze était difficile, voire peu
pertinent, étant donné de trop grandes différences entre les deux structures. Comme
nous le rappelle le langage courant « il faut comparer ce qui est comparable ». Or un
Conservatoire tel que celui de Rennes (qui accueille 1400 élèves et est installé rue
Hoche à Rennes depuis plus de 100 ans), peut difficilement être comparé directement
à une association de musique traditionnelle telle que la Bouèze (qui, née il y a 30 ans,
accueille désormais 300 élèves.)
Cependant la compréhension de ces deux structures, aussi distinctes qu'elles
soient, apporte de nombreux éléments face à la problématique de démocratisation en
matière d'enseignement de la musique, centrale ici. Les divergences idéologiques, les
points de vue distincts rencontrés au sein de ces deux structures, mais aussi les
complémentarités indéniables qui les rejoignent se sont révélés au cour de l'enquête
extrêmement intéressantes.
Présentation de l'enquête et méthode de travail
Le travail de recherche à commencé avant tout par un travail bibliographique, un
travail assez large au départ, avec pour objectif la définition du sujet autour de
notions clés. Il a été nécessaire dans un premier temps de dégager les prénotions
autour du sujet, afin de prendre conscience de la subjectivité de celles-ci. Les
premières « questions de départ » émergent alors: Quels acteurs peuvent agir sur le
développement de l'apprentissage musical? à travers quelles institutions 17? Quels
acteurs ont intérêt à faire développer des pratiques d'apprentissage musical à finalité
de démocratisation/ ou bien à finalité de non-démocratisation? Comment se
caractérise l'opposition, si elle existe, entre acteurs culturels et acteurs politiques face
à l'enseignement musical? Dans quelle mesure le gouffre entre musique classique et
16 Se référer à l'annexe: carte des écoles de musique en Ille-et-Vilaine.
17 Question préalable nécéssaire, mais qui n'est pas une véritable question de fond.
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musique traditionnelle est-il créateur de déséquilibres. Ces nombreuses questions
ouvrant à de trop nombreuses problématiques, une des étape les plus difficiles du
travail de recherche à été de recentrer les questionnements.
Il s'agit dans ce travail d'étudier un processus, c'est-à-dire comprendre comment
les acteurs interagissent entre eux, quels sont les jeux d'acteurs qui peuvent être
analysés, quelles dynamiques observe-t-on, et quels sont les représentations de ces
acteurs pour agir. Les premières hypothèses émergent, qui s'avèrerons être totalement
reformulées par la suite.
La réalisation de deux entretiens exploratoires, avec une professeur de piano et
avec le coordinateur pédagogique de l'association la Bouèze, a permis d'ouvrir la voie
au travail de terrain, dans une démarche d'appréhension du terrain d'enquête, avant
une définition précise des limites du sujet et une formulation des hypothèses. Ils ont
offert une opportunité d'interroger la pertinence du sujet, et de disposer d'éléments
factuels avantageux pour la suite des entretiens.
Ayant quelque peu tardée à choisir mon terrain d'enquête précis, c'est finalement,
la politique menée par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement
musical, le « Plan Musique » que j'ai définie comme axe privilégié d'étude. En effet
cette politique publique recoupe très nettement la problématique de la
démocratisation de l'enseignement musical que je souhaitais analyser, en affichant
comme objectif primordial celui de démocratisation. Entre, d'un côté des politiques
d'éducation musicale au sein des structures scolaires issues de décisions nationales,
qui s'éloignent donc des dynamiques locales, qui nous intéressent ici, et de l'autre,
une offre privée d'enseignement musical aussi diverse que variée et peu coordonnée,
(professeur indépendant etc.), il m'est apparu plus pertinent de m'intéresser à un
niveau intermédiaire à l'action d'une collectivité territoriale: le département. Après
avoir pensé aux Côtes d'Armor, j'ai finalement préféré l'Ille-et-Vilaine, pour des
raisons de facilité d'accès au terrain, et surtout pour une actualité sur le sujet plus
fournie. Le Plan Musique fait de l'Ille-et-Vilaine un département pionnier en matière
d'intérêt porté à l'enseignement musical. La dynamique de décentralisation à l'œuvre
depuis plusieurs décennies, ainsi que la question actuelle de la réforme territoriale,
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placent le département au cœur d'enjeux aussi complexes qu'intéressants.
Concernant le terrain d'enquête, par delà le choix du Conseil Général d'Ille-etVilaine j'ai choisi, comme expliqué précédemment, de centrer mes entretiens autour
des deux écoles de musique subventionnées par le Plan Musique à Rennes, l'une
publique et l'autre le type associatif, le Conservatoire et la Bouèze. Ainsi mes
entretiens se sont déroulés avec des personnes dirigeant ces établissements
d'enseignement musical, des professeur de musique, musiciens et élèves. S'ajoutent à
cela évidemment les entretiens réalisés avec l'élu du Conseil Général délégué à la
culture, et la Chargée de mission musique du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine.
Les entretiens constituent le matériau empirique de ce travail de recherche. Ils ont
été menées selon une méthode semi-directive, ce qui signifie qu'ils ne sont pas une
série de questions/réponses brèves et concises, mais des axes sont donnés à
l'interlocuteur, lui laissant largement la possibilité de s'exprimer. Il s'agit d'entretiens
compréhensifs, qui visent à comprendre des représentations sociales. Les axes
d'entretiens sont les mêmes qui ont été donnée presque à chaque fois.
La retranscription intégrale de tous les entretiens, longue mais fructueuse, a
donné lieu ensuite à une organisation des points documentés sous la forme d'un
tableau présenté en annexe, il est établi en fonction des hypothèses posées. Ce
tableau a été
réalisé dans le but de faciliter l'analyse en offrant une vision
transversale des différents éléments soulevés par chaque acteur, et dans le but
également de présenter une vision très synthétique dans de cadre d'un travail de
longue haleine où il est facile de se perdre. Le tableau récapitule la fonction/ statut
des personnes interrogées, leur objectif global et le public visé par leur action, leur
liens avec les institutions, et en particulier le Conseil Général d'Ile-et-Vilaine, leur
définition et leur perception de la démocratisation, la mise en œuvre ou non de de
l'objectif de démocratisation dans leur activité quotidienne, les liens qu'ils établissent
entre démocratisation et méthodes d'apprentissage, les difficultés ressenties face à
l'idée de démocratisation, les indices majeurs de démocratisation qui peuvent se
détacher des entretiens, et enfin une dernière colonne est consacrée à une analyse
sémantique, comptabilisant l'occurrence du terme « démocratisation » ou ses dérivés
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au cours des entretiens. 18
Problématisation du sujet:
Comment se traduit l'idée de démocratisation culturelle dans le monde particulier
de l'enseignement musical? Quel rôle joue le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, à
Rennes par exemple, sur la démocratisation de l'enseignement musical et comment
les acteurs concernés par les politiques publiques d'enseignement musical
prétendues à visée de « démocratisation » (Directeurs de structures, professeurs
de musique, élèves musiciens) perçoivent-ils et mettent-ils en œuvre l'idée de
démocratisation avancée par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à travers son
« Plan Musique »? Quel sont les facteurs qui pourraient bloquer une éventuelle
démocratisation de l'éducation musicale?
Hypothèse 1) : La démocratisation est un terme « fourre-tout », qui entraine des
perceptions différentes selon les acteurs concernés. Ces distinctions d'acceptation du
terme sont à l'origine de dysfonctionnements dans la mise en œuvre d'une politique
publique telle que le « Plan Musique ». Ainsi il est possible d'observer un manque de
coordination et de cohésion idéologique dans la réalité, et un fossé omniprésent entre
les discours et les faits. Un manque d'articulation et une relative sclérose caractérise
l'enseignement musical aujourd'hui, rendant les effets de la démocratisation de
l'enseignement musical difficilement perceptibles.
Hypothèse 2) : L' « Échec de la démocratisation culturelle » communément
admis aujourd'hui se retrouve dans le domaine particulier de l'enseignement musical.
18 Se référer à l'annexe 3: tableau.
2011
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L'étude de ce domaine permet une appréhension des enjeux de la démocratisation
culturelle par le bais d'un domaine spécifique. Cependant l'enseignement musical, à
la croisée des chemins entre le monde de la culture et le monde de l'éducation
présente des caractéristiques particulières intéressantes. Dans le sens où il recoupe
démocratisation de l'éducation et démocratisation de la culture, les tentatives de
démocratisation par l'école constituent l'aspect primordial de la démocratisation de
l'enseignement musical.
Hypothèse 3): Un politique publique telle que le Plan Musique en Ille-et-Vilaine
semble négliger l'importance des méthodes d'apprentissage de la musique et la
diversification des pratiques face à l'objectif affirmé de démocratisation. Les facteurs
bloquant un processus de démocratisation sont nombreux. Parmi eux les méthodes
d'apprentissage de la musique utilisés au jour d'aujourd'hui dans les écoles de
musique, Conservatoires et associations peuvent constituer un frein à l'élargissement
des publics.
Nous analyserons la validité de ces hypothèses au fil du travail qui suit, en nous
intéressant dans un premier temps au Plan Musique en Ille-et-Vilaine, caractérisé par
un objectif de démocratisation. Nous observerons dans une deuxième partie les
différentes perceptions de cet objectif de la part des acteurs du monde musical
concerné et la mise en application de cette politique, avant de constater dans une
troisième partie que les méthodes d'apprentissage de la musique, dans un
enseignement musical à la croisée des chemins entre culture et éducation, constituent
un élément clé de la démocratisation.
2011
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I. Le « Plan Musique » du
Conseil Général d'Ille-etVilaine: un objectif de
démocratisation affiché
Au delà de l'accessibilité d'un enjeu local, l'échelle départementale et l'analyse de
l'action du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement musical
présentent, dans un contexte de décentralisation, un intérêt tout particulier. Le « Plan
Musique » mis en place par le Conseil Général fait du département d'Ille-et-Vilaine
un des départements pionniers en matière de politique publique d'enseignement
musical. Dans ce processus de décentralisation, comment se traduit le principe de
démocratisation énoncé initialement à l'échelle nationale? Peut-on constater une
harmonie des politiques de démocratisation entre les différentes échelles
territoriales? Dans quelle mesure le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine trouve-t-il sa
place face à un objectif de démocratisation de l'enseignement musical? Enfin et
surtout que doit-on véritablement entendre à travers le terme de démocratisation
avancé par les pouvoirs publics? Autant de questions que nous allons tenter d’éclairer
dans cette première partie, tout d’abord à l’aide d’un décryptage institutionnel
nécessaire à la compréhension de ces problématiques. Nous développerons ensuite
les caractéristiques du « Plan Musique » comme programme phare du Conseil
Général d’Ille-et-Vilaine, avant de nous attacher enfin à la perception et à l’utilisation
du terme de démocratisation par une collectivité territoriale telle que le Conseil
Général et les limites de ce terme.
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A. Décryptage institutionnel
Les
compétences
institutionnelles
en
matière
de
politique
publique
d'enseignement musical restent assez floues, dans la mesure où l'enseignement
musical, souvent rattaché à la culture19, constitue une compétence imputable à
diverses collectivités. Comme nous le verrons ici, l'idée de démocratisation culturelle
est souvent associée à la naissance du ministère des Affaires culturelles, donc à un
enjeu national. Cependant la décentralisation a délocalisé la problématique des
politiques culturelles vers les collectivités territoriales, et le concept de
démocratisation se retrouve aujourd'hui dans les politiques menées localement,
notamment par les Conseils Généraux.
1. Historique de la démocratisation culturelle: une affaire
d'État.
En 1959 est crée le ministère des affaires culturelles, dont la direction est confiée
à André Malraux. C'est à ce moment qu'apparaît dans le discours politique l'idée
d'accès à la culture pour tous, dans un contexte d'interventionnisme de l'État dans le
domaine culturel. Selon un processus historique l'État a constitué un moteur de la
définition des politiques culturelles, dans un système français articulé autour d'un
État central. Le décret du 10 mai 1982, année ou Jack Lang est alors ministre de la
culture, définit les attributions du ministère de la culture comme telles: « Le
ministère chargé de la culture a pour mission de permettre à tous les français de
cultiver leur capacité d'inventer et de créer, d'exprimer librement leurs talents et de
recevoir la formation artistique de leur choix. »20 L'État a originellement en France
défini les politiques culturelles et imposé leur existence, en leur assignant des
finalités.
Les politiques publiques de la culture menées à partir du début des années 1960
19 Nous approfondirons par la suite les enjeux d'un enseignement musical situé à la frontière entre
le domaine de la culture et celui de l'éducation.
20 JC Wallach p.61
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ont doté la France d'un réseau dense d'équipements et d'initiatives dans tous les
domaines relevant de la culture en tant que champ d'action publique21, même si,
comme nous le rappelle JC. Wallach dans son essai sur les limites de la
démocratisation culturelle, « Malgré cela et qu’on le veuille ou non, les politiques
conduites par l'État depuis le début des années 1960 ont bien plus été des politiques
de l’art que des politiques de la culture. Ses services se sont bien plus attachés à
soutenir la production et les professionnels concernés (les artistes et tous ceux qui
participent à la production matérielle des œuvres et à leur diffusion) qu’à se
préoccuper véritablement de la question des publics. »
22
Se pose ici un problème
central, à savoir l'arbitrage entre les politiques de l'art et les politiques de la culture,
trop souvent confondues. L'art, source de questionnement et à la fois d'affirmation et
de certitude peut diviser, quand la culture, en tant que construction, peut rassembler.
Ainsi « en ne s’acharnant plus à confondre l’art et la culture ainsi que les
politiques de l’un et celles de l’autre, on peut s’engager dans des cheminements
visant à accomplir le seul objectif qui vaille : offrir l’opportunité et
l’accompagnement. Sans opportunité, il n’y a pas de désir possible et sans
accompagnement, c’est la réalisation du désir qui n’est guère envisageable. »23
Transposé dans le domaine spécifique de la musique, il s'agit alors d'offrir
l'opportunité d'écouter et de découvrir tous types de musique, accompagnée de
l'opportunité
de
pouvoir
bénéficier
d'un
accompagnement
pour
favoriser
l'apprentissage de la musique de ceux qui le souhaitent. Mais parmi la vaste étendue
des politiques culturelles quelle place a occupé historiquement la musique?
Durant les quelques années qui suivent la création du ministère des affaires
culturelles, d'un point de vue administratif la musique est noyée dans la direction des
beaux-arts, parmi le théâtre, les lettres... Face au peu d'intérêt porté par le ministère
des affaires culturelles à la musique, une commission est réunie à partir de 1962,
réunissant deux présidents ni l'un ni l'autre musiciens, G. Picon, philosophe et
historien d'art, et E. Biasini, haut fonctionnaire du ministère, directeur du théâtre, de
21 JC. Wallach (...)
22 JC. Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 60
23 Idem page 98
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la musique et des lettres24, les trois étant regroupés. Mais les résultats de la
commission ne bouleverserons pas le monde musical. Peu d'efforts sont donc faits en
ce début des années 1960 pour mettre en valeur la musique, ce dont se défendra A.
Malraux alors chargé des Affaires culturelles:
« « Après tout, Messieurs, on ne m’a pas attendu pour ne rien faire pour la
musique » tonnait André Malraux de sa voix caverneuse et solennelle, avec une
cinglante ironie, à la tribune de l’assemblée. »25
L'année 1966 est crée un nouveau « service de la musique » par le ministère des
affaires culturelles.26 En 1970, la musique devient enfin autonome et une certaine
importance lui est reconnue avec la création d'une direction indépendante au sein du
ministère des affaires culturelles: la direction de la musique, de l'art lyrique et de la
danse.27 Les directeurs généraux de la musique vont ainsi se succéder, dont les noms
de certains resterons gravés dans les mémoires du monde musical. Marcel
Landowski, directeur général de la musique jusqu'en 1974 lance un « Plan de dix
ans » définissant les grands objectifs à atteindre concernant la politique musicale de
sa direction, dans un contexte de polémique et de nombreux débats autour de la place
de la musique et des objectifs de la politique musicale au sein du ministère des
affaires culturelles. « A défaut d'adoucir les mœurs, la musique, en ce moment,
déchaîne les passions »28 affirme M. Fleuret en mai 1966. Maurice Fleuret quant à
lui, directeur général de la musique de 1982 à 1986, marque fortement les esprits de
part la politique nouvelle qu'il mène durant 5 ans. Cette politique de la musique se
caractérise notamment par une réorganisation administrative à l'intérieur de la
direction de la musique, bousculant les relations hiérarchiques et favorisant les
dynamiques de groupe29, par la prise en considération de la pluralité des pratiques
musicales, instaurée dans les lieux d'enseignement, et par une tentative de
concertation avec la pluralité des acteurs de la politique musicale. A. Veitl et N.
24 Etat, Musique et culture, ministère de la culture et de la communication, p.52
25 Idem, page 52
26 Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique, page 35
27 Source: site du ministère de la culture.
28 M. Fleuret, dans Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique.
29 Idem
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Duchemin30 font l'éloge d'une politique de la musique qui cherche à faire coopérer
tous les acteurs. Par ailleurs le « souci de pluralisme et de participation de tous les
acteurs aux actions en faveur de la musique est indissociable de la décentralisation
alors engagée. […] Le développement de la musique en France ne peut donc plus
s’effectuer « d’en haut », par le moyen de la planification. L'État doit prendre en
compte, dans l’élaboration même de sa politique musicale comme dans ses
réalisations, l’ensemble des partenaires concernés : les collectivités territoriales, les
divers professionnels de la musique, sans oublier les musiciens amateurs. »31 L'enjeu
de coordination entre la politique musicale du ministère de la culture et les politiques
des collectivités territoriales est ici mis en avant, accompagné de l'idée de favoriser
des politiques musicales locales, ancrées territorialement.
Les politiques de la musique sont inclues dans les domaines de l'art et de la
culture, pour lesquels le découpage en blocs de compétences
se trouve peu
approprié. En effet, comme l'explique JC Wallach, « Dans les champs de l’art et de
la culture, les questions juridiques et institutionnelles de la définition et de la
répartition des compétences entre collectivités publiques ne se pose pas ou peu : de
l'État à la commune, elles disposent toutes de compétences très larges et, ainsi,
d’une forte capacité d’action. […] Le champ culturel ne se prête pas à un découpage
en « blocs de compétence », selon l’expression consacrée. Les politiques publiques
de l’art et celles de la culture sont, dans la quasi-totalité des secteurs, des
« politiques partenariales ». En jargon de spécialistes, cela se traduit par des «
financements croisés », c’est-à-dire que tel ou tel équipement ou projet bénéficie de
subventions accordées par plusieurs collectivités publiques. »32
Malgré des compétences peu définies entre l'État et les collectivités dans le
champs culturel, les collectivités locales ont longtemps été tenues à distance par
l'État et le ministère central des affaires culturelles concernant les décisions
essentielles, prises au niveau national. Mais ce schéma a considérablement changé au
cours des dernières décennies. Il est nécessaire de noter tout d'abord que, selon une
étude datant de 1996, les collectivités territoriales sont devenues aujourd'hui le
30 Dans leur ouvrage Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique.
31 Idem, page 324/327
32 JC Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 113
2011
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premier financeur public de la culture en France33. La part du ministère de la culture
s'élève à seulement un quart des dépenses culturelles publiques. De manière générale
aujourd'hui, dans la mise en œuvre des politiques publiques, 75% vient de l'action
des collectivités territoriales, contre 25 % de l'action de l'État. On a donc assisté à un
renversement dans le processus de mise en œuvre des politiques publiques. Les
collectivités territoriales se sont dotées d'outils d'expertise, comme nous le verrons à
travers l'exemple du Plan Musique en Ille-et-Vilaine, elles présentent de nouvelles
capacités d'initiative et d'intervention, à une échelle locale parfois mieux adaptée que
l'échelle étatique. Les collectivité territoriales occupent donc une place fondamentale
dans les processus d'action publique dans le champs culturel, dans un contexte de
décentralisation accentué depuis plusieurs décennies.
2. L'enseignement musical dans un contexte de
décentralisation et le rôle du département.
Les politiques publiques concernant l'enseignement musical sont à restituer dans
une dynamique de décentralisation commencée dans les années 1970, 1980.
La décentralisation a permis d'augmenter très fortement la qualité des politiques
publiques en France, en améliorant l'efficacité et la proximité, même si il est
nécessaire de s'interroger sur l'essoufflement du processus complexe de
décentralisation aujourd'hui34. Ainsi, des collectivité territoriales telles que les
départements ont pu mettre en place des politiques publiques souvent plus adaptées à
la réalité concrète des territoires.
Il est intéressant ici lorsque l'on parle de décentralisation de se pencher sur la
distinction entre « politique territoriale » et « politique territorialisée »35, dans
33 JC Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle
34 Conférence séminaire Patrick Le Galès
35 Conférence séminaire Marc Rouzeau
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l'objectif de mieux comprendre les interactions entre les collectivités territoriales et
l'État. Il existe en effet une nuance entre ces deux concepts36:
- Politique territoriale: Dans le cas d'une politique « territoriale », l'intérêt général
se constitue au niveau local. L'initiative appartient au local, dans une logique que l'on
pourrait caractériser d'une logique de « bottom-up »
-Politique territorialisée: Dans ce cas, il s'agit d'une action locale qui est initiée,
prescrite au niveau national. La mise en place d'une action publique locale se fait
suite à la légitimation d'un point de vue national. Une politique territorialisée fait
l'objet d'une impulsion par le centre, mais cette impulsion donne lieu à des
ajustements en fonction des contextes locaux37.
Concernant le problème qui nous intéresse ici, à savoir la décentralisation des
enseignements artistiques, et en particulier des enseignements musicaux, il est
possible de parler, dans un premier temps, d'une politique plutôt territorialisée.
Effectivement dans un rapport datant de juillet 2008 sur la décentralisation des
enseignements artistiques, C. Morin-Desailly parle d'une politique nationale qui est
appliquée, soutenue et mise en œuvre par les collectivités territoriales. Le rapport
d'information explique ainsi: « La « territorialisation » de la politique des
enseignements artistiques, qui aboutit à un maillage dense des établissements,
notamment dans le domaine de l'enseignement musical, résulte d'une volonté
politique forte de l'État. Toutefois, cette politique nationale a été relayée par les
collectivités territoriales, principalement les communes, et portée grâce à leur
financements. Il en résulte un héritage riche, mais empreint d'une certaine opacité
quant aux responsabilités des différentes collectivités publiques. »38 Cet extrait du
rapport illustre à la fois le rôle des collectivités territoriales, sans qui finalement rien
n'aurait été possible, et le paysage relativement flou et aléatoire de l'enseignement
musical, dont les compétences s'éparpillent entre les diverses collectivités.
36 Autès M. "Le sens du territoire", Recherche et prévisions, N°39, 1995.
37 Conférence du Séminaire Action Locale par M Rouzeau. On doit cette distinction entre politique
territoriale et politique territorialisée à Michel Autès.
38 Rapport d'information de la commision des affaires culturelles décentralisation des
enseignements artistiques: des préconisations pour orchestrer la sortie de crise. Juillet 2008
2011
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Cependant si la décentralisation a ouvert de nouvelles portes à l'enseignement
musical, certaines dynamiques, notamment de création de nouvelles écoles de
musique agrées, ont aussi pu avoir des conséquences contre-productives sur les
opportunités d'enseignement musical. En effet, dotées de nouvelles compétences,
certaines collectivités se sont mises à développer de nombreuses initiatives, telle que
la création d'écoles de musique intercommunales par exemple, mais en créant de
toutes pièces de nouvelles structures sans véritablement tenir compte des petites
structure préexistantes, fragilisant de fait le tissu associatif au niveau local. R. Pinc,
musicien et professeur de musique dans les Côtes d'Armor, dénonce le soutien à
l'associatif qui a diminué petit à petit avec l'arrivée des conseil généraux dans le
domaine culturel, soutient qui a basculé vers des grosses structures comme las
Conservatoires ou des grandes écoles de musique. Dans les Côtes d'Armor par
exemple le Conseil Général a mis en place des structures comme l'ADDM 39, qui est
aujourd'hui Itinéraire Bis, et qui a en fait court-circuité de nombreuses associations
en instaurant de nouvelles normes difficiles à mettre en œuvre pour les associations,
dans l'enseignement musical notamment. ( Comme par exemple l'obligation d'avoir
un diplôme d'État pour enseigner la musique. ) Ainsi « sous couvert d'une grosse
aide publique pour la culture, ils phagocytaient toutes les associations ». R. Pinc
affirme néanmoins que « La décentralisation c'est vraiment une très bonne chose,
après tout dépend de comment elle est faite. Là ça a trop dérivé vers le massacre
d'associations. De ce point de vue là, même si ça partait d'une bonne intention, ça a
été mal fait. »40
L'article 63 de la loi du 22 juillet 1983 stipule que « les établissements
d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique relèvent de
l'initiative et de la responsabilité des communes, des départements et des régions »41 ,
la répartition des compétences n'est donc pas précisée, comme nous l'avons vu
précédemment. Cependant en 1984, la création d'un réseau d'écoles de musique
départementales
concrétise
les
initiatives
des
départements
en
matière
39 Association pour le développement de la danse et de la musique en Côtes d'Armor
40 Entretien Musicien professeur de musique et élu.
41 Loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition
des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, dans Rapport
d'information de la commission des affaires culturelles décentralisation des enseignements
artistiques: des préconisations pour orchestrer la sortie de crise. Juillet 2008
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d'enseignement musical.42 La loi de décentralisation de 2004 a par ailleurs obligé les
départements à mettre en place un schéma sur l'éducation artistique au sens large.
Le département se voit aujourd'hui menacé par la réforme des collectivités
territoriales, qui vise théoriquement à clarifier les compétences, à simplifier les
échelons, en évitant la possibilité de financements croisés confus. Mais la
suppression des financements croisés signifie effectivement une simplification, mais
également une diminution des financements dans les faits. Au Conseil Général d'Illeet-Vilaine, la question de la réforme territoriale laisse de nombreuses interrogations
en suspens concernant le futur proche des activités du Conseil Général. Par ailleurs le
budget du Conseil Général a dors et déjà été fortement contraint en 2009, ce qui s'est
traduit par une baisse de 10% des subventions pour le Plan Musique, qui cependant à
été relativement épargné par rapport à d'autres secteurs, selon la chargée de mission
musique du Conseil Général.43
Ces quelques considérations historiques et institutionnelles visent à mieux
appréhender une politique publique spécifique menée par le Conseil Général d'Illeet-Vilaine en matière d'enseignement musical, le « Plan Musique », né en pleine
période de décentralisation dans le domaine des politiques publiques.
B. Le « Plan Musique »: programme
phare du Conseil Général d'Ille-etVilaine à visée de démocratisation.
Suivant une dynamique de décentralisation, davantage de compétences
culturelles se sont vues attribuées aux collectivités territoriales, et notamment aux
Conseils Généraux44. Du fait des indications relativement peu précises concernant
42 Idem
43 Entretien chargée de mission musique
44 Si l'enseignement musical n'est pas une compétence obligatoire du département, la loi de
décentralisation de 2004 oblige les départements à mettre en place un schéma sur l'éducation
artistique au sens large. L'enseignement musical est inclu dans une compétence intitulée
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l'enseignement musical, inclus dans un ensemble plus large qui est l'enseignement
artistique en général, l'intervention des conseils généraux en faveur de
l'enseignement musical varie en fonction des départements. En Ille-et-Vilaine,
l'enseignement musical s'est vu favorisé par une politique publique pionnière: le
« Plan Musique ». Ce plan a évolué depuis sa création, vers la recherche d'une
démocratisation accentuée de l'enseignement musical à l'échelle du département.
1. Cas particulier de l'Ille-et-Vilaine
Le département d'Ille-et-Vilaine a été un des deux premiers départements à
consacrer autant de budget à l'enseignement de la musique 45, il fait donc partie des
départements les plus investis dans l'enseignement musical46. Cet investissement se
traduit par le Plan Musique. Né en 1989 il est encore en place aujourd'hui, et a connu
reformulations et nouveautés au fil des années. La politique du Conseil Général
d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement musical, très volontariste, est reformulée,
recadrée suivant les différents « plans »47. Le dernier « Plan Musique » a été lancé en
2006, et il arrive aujourd'hui à terme, en 2011. Une évaluation de ce plan réalisée par
un cabinet d'expertise est en cours, dont les résultats devraient rester internes au
Conseil Général48. Suite à cela un nouveau plan sera mis en place à compter de 2012.
L'évaluation en cours du Plan Musique vise à définir si les objectifs de
démocratisation fixés par le Plan Musique, à travers des conventions signées entre le
Conseil Général et les différentes structures d'enseignement musical, ont été atteints
ou non au bout de cinq ans. Il peut apparaître dommage que les résultats de
l'évaluation ne soient établis que dans un futur très proche, à savoir avant l'automne
2011, et qu'ils ne puissent être rendus publics. Cependant l'intérêt de la présente
45
46
47
48
organisation et financement de l'enseignement artistique initial, compétence transférée par la loi
du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales aux régions et aux
départements.
Entretien M. Clérivet
Depuis la mise en place du Plan Musique, le département engage chaque année 4,2 millions
d'euros pour l'enseignement musical.
La politique du Conseil Général en matière d'enseignement musical s'intitulait à sa naissance
« Plan départemental de développement de l'enseignement musical », pour s'appeler ensuite
« Musiques en Ille-et-Vilaine, avant l'appellation d'aujourd'hui qu est celle de « Plan Musique ».
Entretien Chargée de mission musique au Conseil Général.
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recherche n'est pas d'évaluer une politique publique telle que le Plan Musique en Illeet-Vilaine, mais bien de comprendre les mécanismes et les jeux d'acteurs à l'œuvre
autour de cette politique, l'application, la mise en œuvre et la traduction concrète de
l'objectif de démocratisation par les acteurs concernés. La méconnaissance des
résultats de l'évaluation ne bloquera donc pas le travail de recherche.
Lorsque la volonté d'un investissement conséquent du Conseil Général d'Ille-etVilaine dans l'enseignement musical voit le jour en 1989, elle vient du président du
Conseil Général de l'époque, P. Méhaignerie et de l'inspecteur général de la musique
A. Dubost. Il est alors décidé de faire de l'enseignement musical un pilier de la
politique culturelle du département. Cet ancrage fort de la politique culturelle du
Conseil Général sur la musique se retrouve encore aujourd'hui, ce qui est remis en
cause par les élus actuels issu du bord politique opposé. Il est prudent de garder des
réserves dans un contexte d'opposition politique qui peut être parfois systématique
entre des conseils généraux successifs. L'actuel délégué à la culture du Conseil
Général d'Ille-et-Vilaine formule cependant des remarques intéressantes sur cette
place de premier plan accordée à la musique. Selon lui ce choix effectué de la
musique: « C’est un choix de classe, un choix de droite. Car la musique classique
pour une certaine partie de l’opinion, notamment celle de la majorité de l’époque,
c’était ça. Le théâtre, ou la danse, ou les autres expressions artistiques sont plus
porteuses d’interpellation du monde, de contestation du monde, que la musique, et
en plus la musique comme ils la conçoivent, c’est-à-dire un apprentissage musical
très très traditionnel49. »
Le point de vue est catégorique et peu enthousiaste sur la place de la musique
dans la société, ainsi que le rôle de contestation qu'elle peut aussi jouer, cependant il
soulève de nombreuses questions, dont le financement public principal d'un seul type
de musique, que l'on pourrait qualifier de musique classique, ou de musique
« académique50 », que l'on apprend dans le cadre d'un apprentissage musical « très
très traditionnel. » A l'heure actuelle 56% du budget de la culture en Ille-et-Vilaine
est accordé à la musique, ce que le délégué à la culture affirme être « un véritable
49 Entretien vice président du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, délégué à la culture.
50 Entretien Musicien (Ronan Pinc)
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scandale en terme de diversité et de choix51. » Il dénonce le soutien à une seule
pratique esthétique. Il faut néanmoins noter que, malgré une grande importance
occupée par celle-ci, le Plan Musique ne subventionne pas uniquement la pratique de
la musique classique, et que même à l'intérieur du Conservatoire par exemple il
existe la possibilité de découvrir d'autres esthétiques musicales que celle de la
musique classique. (Nous développerons cet aspect plus en détail par la suite.)
Un éclairage sur les dispositions précises du Plan Musique en Ille-et-Vilaine
s'impose afin de mieux en comprendre les enjeux.
2. La politique d'enseignement artistique du Conseil
Général d'Ille-et-Vilaine: Le « Plan Musique ».
Comment se caractérise le Plan Musique? Quelles structures subventionne-t-il?
C'est à ces questions que nous répondrons dans les paragraphes qui suivent.
a. Écoles de musique et musiciens intervenants.
Le Plan Musique lancé en 2006 se caractérise par deux grandes lignes directrices,
d'une par le soutien aux écoles de musique, et d'autre part le financement de l'action
des musiciens intervenants dans les écoles.
- A travers le soutien aux écoles de musique, ce sont 37 écoles de musique,
publiques ou associatives qui reçoivent des subventions du Conseil Général. Ces
écoles sont réparties sur tout le territoire du département, l'objectif étant aussi
d'éliminer les « zones blanches52 » sur le territoire en terme d'enseignement musical.
Environ 16 000 élèves se trouvent actuellement inscrits dans ces 37 écoles de
musique. Des conventions sont signées avec les écoles de musique, visant à prendre
en compte les objectifs établis par le Conseil Général: la démocratisation de
l'enseignement, le développement des politique tarifaires, la proximité des lieux
d'enseignement, la qualification des équipes pédagogiques, le développement de la
51 Idem 27
52 Entretien chargée de mission musique au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine.
2011
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pratique collective sous toutes ses formes 53...) Les aides au fonctionnement attribuées
aux écoles de musique varient en fonction des structures et de leurs caractéristiques
spécifiques (nature, taille), et une aide renforcée est attribuée à trois écoles de
musique traditionnelle (dont la Bouèze) et à douze écoles de musique se trouvant
dans des zones géographiques à forte dominante rurale54. Il est possible de remarquer
l'attention particulière portée à une répartition équilibrée de l'offre sur le territoire.
- Le second volet du plan concerne les musiciens intervenants. En effet, dans le
cadre du dispositif « musique à l'école », le Conseil Général subventionne l'action
des musiciens intervenants et des professeurs coordinateurs. Les musiciens
intervenants, communément appelés « Dumistes », car il possèdent comme diplôme
le DUMI (Diplôme universitaire de musicien intervenant), sont des musiciens
polyvalents qui interviennent dans les écoles et les collèges dans un objectif de
sensibilisation. Comme nous le verrons par la suite, lorsque l'on parle de
démocratisation aux acteurs de l'enseignement musical, ce sont les activités
d'intervention dans les écoles qui sont très souvent mises en avant.
Les musiciens intervenants à Rennes sont administrativement rattachés à la ville
de Rennes, mais leurs bulletins de payes sont intégralement financés par une
subvention que le Conseil Général verse à la ville de Rennes 55. Par ailleurs, chaque
musicien intervenant est rattaché à une structure, à une école de musique. Au
Conservatoire de Rennes, les musiciens intervenants sont au nombre de huit. Deux
musiciens intervenants travaillent au sein de l'association de musique traditionnelle la
Bouèze.
Enfin le Plan Musique en Ille-et-Vilaine subventionne également des postes de
coordinateurs, ces postes ayant pour objectif, sous la responsabilité des directeurs des
établissements d'enseignement musical, de préparer les partenariats et d'accompagner
la définition des actions des musiciens intervenants56.
53 Communiqué de presse du Conseil Général, janvier 2007
54 Idem
55 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. Cette subtilité
« administrativo-financière » pose la question de savoir ce qui se passerait pour les musiciens
intervenants en cas de révision du Plan Musique et de baisse des financements, à savoir si les
subventions seraient compensées par la ville de Rennes ou non.
56 Charte des musiciens intervenants en Ille-et-Vilaine.
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Le Plan Musique intervient sur des écoles du musique à travers tout le
département, de Cancale à Redon et de Montauban de Bretagne à Vitré57. Cependant
étant impossible dans le cadre de ce travail de recherche de s'intéresser à la
perception et à la mise en œuvre de l'objectif de démocratisation dans toutes ces
écoles, comme indiqué en introduction nous nous concentrerons ici sur les structures
subventionnés par le Plan Musique à Rennes.
b. Le Conservatoire et la Bouèze comme exemples.
Au niveau de la ville de Rennes, le Plan Musique du Conseil Général d'Ille-etVilaine subventionne deux structures d'enseignement musical, une école de type
public et une école de type associatif: le Conservatoire National de Région et
l'association la Bouèze. Ces deux structures sont très différentes et ne peuvent être
analysées en terme de stricte comparaison, mais elles présentent chacune des
caractéristiques propres intéressantes pour comprendre les enjeux de la
démocratisation de l'enseignement musical.
•
LE CONSERVATOIR DE RENNES
Le Conservatoire de Rennes est un Conservatoire à Rayonnement Régional, c'est
actuellement le seul en Bretagne. C'est un établissement d'enseignement artistique en
musique, danse et théâtre. Le Conservatoire de Rennes est donc une structure de
taille conséquente, dans laquelle sont employés 90 enseignants, et 25 personnels
administratifs et techniques. 1400 élèves sont inscrits au Conservatoire. Parmi ces
élèves, les trois quarts ont moins de 16 ans, et contrairement aux idées reçues à peine
10% des élèves se destineront par la suite à une carrière professionnelle 58.
L'établissement propose des études diplômantes, mais également des études non
diplômantes, à travers des initiations et des ateliers. Cependant la grande majorité des
activités proposées présentent comme limite d'âge conseillée 20 ans.59
57 Cf. annexe 2: carte des écoles de Musique en Ille-et-Vilaine.
58 Source: entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire.
59 Plaquette du Conservatoire de Rennes.
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Le Conservatoire de Rennes est installé depuis 102 ans rue Hoche, occupant une
place historique dans le paysage musical rennais. Il est financé à 10% par les droits
d'inscription, 10% viennent du financement de l'État via la DRAC 60 Bretagne, 60%
des financements sont assurés par la ville de Rennes, et le Conseil Général d'Ille-etVilaine participe à hauteur de 20%. Ce pourcentage constitue une part plus
importante dans le cas du Conservatoire de Rennes que dans d'autres Conservatoires,
ou les subventions des conseils généraux s'élèvent aux alentours de 10 ou 12%. 61
L'activité du Conservatoire est donc activement soutenue par le Conseil Général
d'Ile-et-Vilaine à travers le Plan Musique.
•
L'ASSOCIATION LA BOUEZE
L'association la Bouèze est née il y a 30 ans, de l'idée de faire vivre et de transmettre
le patrimoine oral de haute-Bretagne, à travers notamment la musique, le chant et la
danse. la Bouèze, qui regroupe une vingtaine de professeurs de musique dispense des
cours réguliers de musique traditionnelle et organise des stages à Rennes, mais aussi
dans diverses communes du département. Les bureaux de l'association se situent à
Rennes dans le quartier des Longs Champs, à la ferme des Gallets. Une des
particularités de la Bouèze en tant que structure d'enseignement musical est qu'elle
dispense des cours souvent collectifs, et sans apprentissage du solfège ou formation
musicale préalable nécessaire à la pratique instrumentale. Les cours sont collectifs et
ouverts à toutes les classes d'âge. En ce qui concerne l'intervention de musiciens dans
les écoles, la Bouèze travaillait déjà sur des activités de sensibilisation dans les
écoles avant la mise en place du statut de « Dumiste62 ». L'association présente donc
des caractéristique intéressante dans le cadre du « Plan Musique », du fait de sa
présence sur tout le territoire du département et son activité.
Ce sont donc ces deux écoles du musique, le Conservatoire de Rennes et la Bouèze,
60 Direction Régionale des Affaires Culturelles
61 Entretien avec le Responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. Ces chiffres
sont à prendre comme des ordres de grandeur.
62 Musiciens intervenants titulaires du DUMI (diplôme universitaire de musicien intervenant.)
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qui ont été choisies par le Plan Musique pour incarner l'objectif de démocratisation
de celui-ci, deux écoles définies comme « les plus structurantes » par la Chargée de
mission musique du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine63. Il est intéressant désormais de
s'interroger sur la formulation de l'objectif de démocratisation dans les politiques
culturelles, la signification et les limites de ce concept employé ici par le Conseil
Général d'Ille-et-Vilaine.
C. La démocratisation: un discours politique?
La démocratisation, vectrice d'une charge symbolique considérable, peut parfois
se percevoir comme un discours politique malléable utilisé comme légitimation des
politiques culturelles menées par les élus, cachant parfois une réalité moins utopiste
que le terme. Dans tous les cas, elle est source de nombreuses controverses, toujours
d'actualité.
a) Objectif du plan: la « démocratisation » de l'enseignement
musical.
A travers les deux volets du Plan Musique, à savoir le soutien aux écoles de
musique et le financement des postes de musiciens intervenants, le Conseil Général
d'Ille-et-Vilaine affirme un objectif fondamental, qui est celui d' « offrir à tous
l'égalité d'accès à une éducation artistique musicale et ainsi permettre au plus grand
nombre de s'inscrire dans une pratique autonome d'amateur 64. » La majorité
départementale actuelle entend « aller plus loin dans la démocratisation de l'accès à
l'enseignement musical en faisant porter l'effort sur les territoires et sur les publics
les plus éloignés de la pratique artistique, pour des raisons sociologiques et/ou
géographiques. » En gardant un plan dont l'initiative date de l'ancienne majorité, le
Conseil Général d'Ille-et-Vilaine actuel à redéfini et reformulé les objectifs du plan,
en cherchant à aller vers une plus grande démocratisation de l'enseignement musical.
63 Entretien Chargée de mission.
64 Communiqué de presse, janvier 2007
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Selon la chargée de mission musique du Conseil Général65, la démocratisation passe
aussi par l'élimination de « zones blanches » sur le territoire du département, et le
Plan Musique tend à inciter une meilleure répartition de l'offre d'enseignement
musical en Ille-et-Vilaine. On retrouve ici le rôle d'aménagement du territoire qui est
celui du département.
Le Conseil Général affirme donc cet objectif, et fait appel à un cabinet
d'expertise, pour évaluer cette politique, pour en mesurer le réel impact, constater si
les objectifs de démocratisation ont été atteints ou non. Comme l'affirme D. Wallon66,
« Les collectivités locales se sont dotés depuis longtemps de capacités d’expertise.
Elles savent qu’il leur appartient de prendre des risques. Elles savent aussi qu’elles
sont désormais les mieux placées pour « susciter la réactivité réciproque entre offre
artistique et demande sociale ». Les collectivités locales agissent et « se prennent en
main » conscientes de leurs capacités et de la pertinence de leur échelle d'action. Le
Conseil Général s 'attache donc aujourd'hui à évaluer son action de démocratisation
en matière d'enseignement musical. En ce sens, des critères d'évaluation ont été
définis, autour de la base des catégories socio-professionnelles. Pour les écoles de
musique, un taux est à atteindre au niveau des catégories socio-professionnelles du
territoire où elles exercent.67 Il s'avère plus précisément que l'indicateur mis en place
lors de la dernière convention, (2007-2011) est basé sur la nomenclature de l'INSEE 68
des professions et catégories socio-professionnelles de la famille de l'élève, mais des
regroupements ont été faits et l'indicateur de démocratisation prend en compte 3
catégories: la catégorie favorisée, moyennement favorisée et peu favorisée. Suite à
cela, il est défini par un des articles de la convention signée entre le Conseil Général
et le Conservatoire, que au début du plan un tel pourcentage de « peu favorisés » sont
inscrits au Conservatoire, et qu'à la fin du plan ce pourcentage ait augmenté de tant.
Cette méthode d'évaluation permet ainsi de disposer de chiffres précis sur une
évolution entre le début et la fin du Plan. Cependant JC. Wallach nous rappelle
65 Entretien Chargée de mission musique
66 Entretien cité dans JC Wallach, La culture, pour qui?
67 Entretien chargée de mission musique. Pas plus de présicions de la part du Conseil Général
d'ile-et-Vilaine ne m'ont été données sur la méthode d'évaluation du plan.
68 1) Agriculteurs exploitants 2) Artisans, commerçant et chefs d'entreprise, 3) Cadres et
professions intellectuelles supérieures, 4) Professions intermédiaires, 5) Employés 6) Ouvriers, 7)
Retraités, 8) Autres personnes sans activité professionnelle.
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pertinemment que « Nous ne nous méfions jamais assez de nos outils statistiques. Ils
sont très souvent pauvres. Plus exactement, ils décrivent ce que nous leur
demandons de décrire.69 » Il est possible de s'interroger sur les limites d'un tel outil
de « mesure » de la démocratisation . En effet il semble difficile de mesurer les
politiques de démocratisation mises en place par le Conservatoire de Rennes au vu
d'une évolution chiffrée très sommaire. Celle-ci ne prend en compte qu'un aspect des
mesures à visée de démocratisation mise en place par le Conservatoire qui est
l'indexation des tarifs d'inscription sur catégories socio-professionnelles des parents
des élèves inscrits. Concernant l'impact de la baisse des tarifs proportionnelle du
Conservatoire, celui-ci ne constitue qu'une partie du problème. « En schématisant on
pourrait être gratuit, je pense que nous aurions les mêmes usagers. »70 Nous
reviendrons par la suite sur les mesures prises par le Conservatoire de Rennes dans
un objectif de démocratisation.
Concentrons nous désormais sur une définition plus précise et une analyse
sémantique du terme de démocratisation. Le mot « démocratisation » revient
fréquemment dans l'entretien réalisé avec la chargée de mission musique du Conseil
Général pouvant être employé comme un « mot -valise » servant à légitimer en
continu l'action menée par le Conseil Général. En effet selon la chargée de mission
musique du Conseil Général la démocratisation se rattache à un objectif d'égalités
des chances et une fonction de lien social, et la démocratisation de l'enseignement
musical se défini par l' « ouverture à des publics qui n'ont pas forcément accès à
l'enseignement musical 71», courte définition qui peut éventuellement montrer une
utilisation du terme dans le langage courant de Conseil Général, la démocratisation
constituant le fil directeur des politiques culturelles menées par la majorité de gauche
actuellement au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine.
Le concept de démocratisation déchaîne davantage de passions chez le délégué à
la culture du Conseil Général, qui adopte une posture plus précise sur le sujet. Selon
D. LeBougeant « la démocratisation culturelle, c'est permettre à tout à chacun non
seulement d'avoir accès à une pratique artistique, mais c'est de permettre d'
69 JC. Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 44
70 Entretien.
71 Entretien.
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« éveiller le goût à » car on est trop sur l'offre, et on sait que cette offre est captée
par une très petite part de la population. 72» D. Le Bougeant développe une posture
critique sur la démocratisation culturelle, et ici la démocratisation de la musique telle
qu'elle à été fait, tout en utilisant dans le même temps le terme de démocratisation
pour caractériser et légitimer se propre action en matière de politiques culturelles. Il
dénonce également le « relativisme culturel » dans une situation qu'il caractérise d' «
échec de la démocratisation » : Il y a un discours que je ne supporte plus, c'est le
relativisme, c'est-à-dire dire que tout se vaut. […] Mais quand a-t-on donné les
moyens les codes? quand a-t-on donné les moyens à l'école? pour justement que les
classes populaires s'extraient de leur condition et qu'elles aient accès à d'autres
œuvres, et que 1) elles se sentent autorisées à y aller, et que 2) « on éveille une
sensibilité à ». Il n'y a pas de fatalité. »73
Qu'en est-il vraiment de l'idée de l' « échec de la démocratisation »? Les
différentes facettes et acceptions de la démocratisation tracent les limites d'un
concept complexe.
b) La démocratisation: limites d'un concept
Comme évoqué en introduction, le concept de démocratisation pose tout d'abord
problème de part la symbolique qu'il traduit, la polysémie qu'il cache et les
différentes acceptations qu'il entraîne. « Véhiculant des charges symboliques à ce
point fortes qu’ils [les mots « démocratie », « démocratisation », « populaire »]
peuvent créer l’illusion d’un consensus sur leur signification, ces mots ne sont
jamais définis. Tout semble se passer comme si il n’était pas nécessaire de le faire.
Or c’est bien là que le bât blesse : à force de ne pas être mis en débat, les mots du
type de ceux-là deviennent des « mots-valise » (Philippe Henry au cours d’une
réunion de travail), des mots derrière lesquels peuvent se cacher de multiples
réalités, c’est-à-dire une réalité, ou presque, par personne les prononçant. Le
72 Entretien Délégué à la Culture
73 Idem
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meilleur moyen d’occulter un débat est de jouer simultanément sur deux registres : il
faut à la fois ne pas le poser (donc l’évacuer par le silence) et accréditer l’idée qu’il
ne se pose pas, c’est-à-dire affirmer que les réalités évoquées sont universelles et
que la valeur intrinsèque de cette universalité, voire son caractère sacré pour
certains, disqualifie toute tentative de mise en débat. Malheureusement, il n’est est
rien. Il faut se rendre à cette évidence, « démocratie », « démocratisation »,
« populaire » sont des mots dont le sens varie dans le temps et dans l’espace. Ces
mots sont aussi des armes redoutables dans les luttes qui se développent dans le
champ du politique et, pour ce qui nous concerne ici, dans les champs de l’art et de
la culture. »74
Aujourd'hui il apparaît intéressant de se pencher sur l'
« échec de la
démocratisation » récurrent dans les débats autour des politiques culturelles. Contre
un « échec de la démocratisation » souvent appréhendé comme une évidence : L.
Fleury affirme que « la démocratisation de la culture a connu des espaces
d’incontestables réalisations, comme le montre les enquêtes s’intéressant aux
institutions culturelles. 75» « De la coexistence entre égalité de droit et inégalités de
fait procède la dénonciation par Marx de la contradiction entre « droits formels » et
« droits réels ». L'idéal de démocratisation de la culture a cherché à dépasser cette
contradiction.76 » Il est rappelé ici la charge symbolique que véhicule l'idéal de
démocratisation. Cependant L. Fleury précise également que « La démocratisation
de la culture a fourni une valeur de référence pour juger des politiques culturelles.
Cette conception des politiques insiste sur leur dimension instrumentale, plus que
constitutive d’un ordre politique et social et considère dès lors la question de la
culture en termes de coût et d’accessibilité. 77» Dans ce sens la démocratisation de la
culture se transforme en une question technique. Enfin l'auteur voit lui le discours
récurrent d’ « échec de la démocratisation » comme un discours « dissimulant mal
une
perspective
plus
idéologique
d’invalidation
du
projet
même
de
démocratisation.»
74
75
76
77
JC Wallach, La culture, pour qui? page 42
L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. page 73
Idem. Page 77
Idem. Page 79
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Il ne suffit pas de parler d'échec de la démocratisation, voire de constater celui-ci,
une réflexion plus profonde s'impose. En effet M. T François Poncet s'interroge:
« Quelle contribution apportons-nous aux débats en cours quand nous témoignons
de l’échec de la démocratisation de la culture ? » « L’enjeu aujourd’hui, c’est de
« régénérer la demande sociale de culture 78» c’est-à-dire de retrouver une
dynamique et une relation de sens comparables, toutes choses égales par ailleurs, à
celle qui s’est développée il y a plus de quarante ans. 79»
Les difficultés rencontrées face à l'idéal de démocratisation constituent le reflet
d'un problème de société profond qui s'étend bien plus loin que le domaine de la
culture. B. Gourdy, élève au Conservatoire de Rennes définit simplement la
démocratisation culturelle de la façon suivante: « La démocratisation culturelle, je
pense que c'est comme la démocratisation dans tous les domaines, c'est foireux dès
les début parce qu'on n'a pas réussi à bien changer la société, ça marche très
vaguement, mais vraiment très vaguement.80 »
J.C Wallach nous rappelle que dans les années 1960, 1970, on se trouvait dans un
contexte de « puissant mouvement de « mobilité sociale ascendante » comme disent
les sociologues, « tu seras pharmacien parce que papa ne l’était pas » chantait
Jacques Brel. Même si la profession choisie par notre Belge national n’est pas
véritablement représentative de ce qui se passe alors, (mais Jacques Brel n’était pas
sociologue !) la réalité est là. 81» Trente à quarante ans plus tard, l'ascenseur social
est tombé en panne. Dans ce contexte la culture correspond à un « élément
déterminant dans la mise en mouvement de la société française.82 »
La démocratisation culturelle, dans laquelle se retrouve la démocratisation de
l'enseignement de la musique qui nous intéresse dans cette étude, constitue un objet
de débat, et ce encore aujourd'hui, débat qui met en scène divers acteurs.
78Marie Thérèse François Poncet, entretient avec l’auteur, automne 2005
79
80
81
82
JC Wallach, La Culture, pour qui? page 12
Entretien élève en DEM (Diplôme d'études musicales) au Conservatoire de Rennes.
JC Wallach, La Culture, pour qui? Page 23
Idem. Page 24
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Dans l'évocation du jeux des acteurs sociaux impliqués dans la politique publique
de démocratisation de l'enseignement musical qu'est le Plan Musique, nous nous
sommes donc intéressés aux élus, et à la définition de l'objectif de démocratisation du
côté des pouvoirs publics. Il s'agit désormais de nous intéresser aux acteurs des
politiques d'enseignement musical non encore entrés en scène:
les directeurs
d'établissements d'enseignement musical, les professeurs de musique, les apprentis
musiciens... c'est-à-dire toutes les personnes engagées dans des démarches
professionnelles, militantes, amateur, dans le domaine de l'enseignement musical.
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II. La perception de la
démocratisation par les acteurs
du monde de l'enseignement
musical.
La « démocratisation » de l'enseignement musical est aujourd'hui l'objectif
primordial mis en avant par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine. Nous avons pu
constater que les controverses sont nombreuses autour du concept de démocratisation
employé par les élus dans la définition des politiques culturelles, et qu'il soulève des
interrogations aussi nombreuses que les acceptions variables du terme. Le Conseil
Général impose donc, à travers le Plan Musique, une démocratisation de
l'enseignement musical. Mais comment cet objectif se voit-t-il mis en œuvre
concrètement? Dans quelle mesure les structures d'enseignement musical, seules
maîtres à bord pour tenter de démocratiser l'accès et l'enseignement musical qu'elles
dispensent, tentent-elles d'appliquer cet objectif? Avant tout comment les directeurs
de structures et les professeurs de musique, perçoivent-ils cet objectif de
démocratisation? Quelle est leur propre vision de la démocratisation?
C'est ce que nous allons tenter d'analyser tout au long de cette deuxième
partie, en analysant tout d'abord, l'objectif de démocratisation à travers les
référentiels des directions des deux structures qui nous intéressent ici, à savoir le
Conservatoire et la Bouèze. Nous nous attacherons ensuite à l'analyse de la
démocratisation du point de vue des professeurs de musique, avant de développer la
notion de « public », indissociable de l'idée de démocratisation.
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A. La démocratisation à travers le
référentiel des directeurs de structures.
Les équipes de direction du Conservatoire de Rennes ou de la Bouèze sont
des acteurs de premier plan, face à la mise en œuvre de la politique publique à visée
de démocratisation du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: le Plan Musique. En effet
elles constituent l'articulation entre la politique publique qui est énoncée à l'échelle
du Conseil Général, par les élus, et la mise en place de cette politique au sein de leurs
structures d'enseignement musical.
« L'objectif de démocratisation imposé par le Conseil Général va s'articuler
par le projet d'établissement83 », explique un professeur de musique, c'est à la
direction que la définition de la politique de l'établissement appartient. Elle dépend
de la perception qu'ont les directeurs de l'objectif de démocratisation, perception qui
peut varier en fonction des structures. Ainsi les directeurs des écoles de musique sont
garants du lien avec les institutions, et l'objectif de démocratisation se traduit par les
politiques d'établissement qu'ils définissent.
1. Liens avec les institutions, perceptions et objectifs
Le Conseil Général définit des critères à respecter, qui se retrouvent dans les
conventions signées par les différentes parties. Le Conservatoire et la Bouèze sont
contraints de respecter les objectifs établis par la convention s'ils veulent continuer
de recevoir les subventions de la part du Conseil Général, subventions capitales pour
leur fonctionnement. Cependant ces subventions, malgré un Plan Musique qui se
termine cette année et qui n'est pas encore complètement évalué, ont dors et déjà été
revues à la baisse récemment dans un contexte de restrictions budgétaires du Conseil
Général d'Ile-et-Vilaine.
83 Entretien Professeur de musique du Conservatoire.
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Il apparaît très nettement, si on s'attache à une analyse sémantique des entretiens
réalisés, que le mot « démocratisation » et ses dérivés est beaucoup plus présent dans
le discours de l'équipe de direction du Conservatoire que dans celle de l'association la
Bouèze84.
Le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes rappelle que le
fait de parler de démocratisation est relativement nouveau, « une culture élitiste est
complètement battue en brèche maintenant par cet objectif de démocratisation. Il
aurait été aberrant, il y a encore même 50 ans, que l’on parle de démocratisation.
Alors qu’aujourd’hui cela paraît tellement évident ! »85 L'acception du terme est
positive, et heureusement, comme le souligne cette personne de l'équipe de direction
du Conservatoire, l'objectif actuel de démocratisation est partagé par les différents
financeurs du Conservatoire. Si la ville de Rennes parle plutôt d' « élargissement
social des publics » quand le Conseil Général et la DRAC 86 parlent de
démocratisation, c'est finalement le même objectif qui se trouve mis en avant par les
différentes collectivités. « On est sur cette orientation politique,[la démocratisation]
mais au sens noble, une orientation politique majeure qui nous est donnée tant par le
Conseil Général, que par la Ville de Rennes, que par l'État. Donc notre projet
d’établissement, il est fondé sur cette orientation. 87 »
La démocratisation est
appréhendée ici comme une démarche qui participe à « une politique publique noble,
qui est la question de la démocratisation de l’accès à la culture 88 » et elle se traduit
par un certain nombre de mesures sur lesquelles nous nous attarderons par la suite.
La démocratisation fait par conséquent, selon l'équipe de direction, partie
intégrante de la politique d'établissement menée par le Conservatoire de Rennes. Elle
ne se trouve pas pour autant explicitement perceptible à travers ces plaquettes de
diffusion, mis à part un ruban rose sur la bordure de la couverture indiquant « A
84 Le terme revient 12 fois sur un entretien d'une durée de 1h50 au Conservatoire de Rennes. Il
revient 2 fois sur un entretien d'une durée de 1h30 à la Bouèze.
85 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
86 DRAC: Direction Régionale des Affaires Culturelles
87 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
88 Idem
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portée de tous »89 Le mot d'introduction du directeur, B. Baumgartner au début de la
plaquette de présentation de l'établissement,, indique lui notamment que
« l'apprentissage d'un art est constitutif d'une démarche éducative. Il participe à la
formation de la personnalité, éveille la sensibilité, l'écoute, la concentration, la
mémoire et l'imagination, et développe une culture personnelle. » Mais l'idée de
démocratisation , d'accessibilité, n'apparaît pas dans cette présentation du
Conservatoire de Rennes. Concernant le ruban rose sur la droite des plaquettes du
Conservatoire actuellement, une anecdote racontée par la personne ayant réalisé ces
nouvelles plaquettes illustre assez bien les dynamiques et réactions des acteurs qui
peuvent surgir lorsque l'on parle d'accessibilité dans un établissement de renom tel
que le Conservatoire de Rennes. Elle explique en effet l'origine ce cette petite phase
et les réactions qu'elle a pu susciter au sein de certains professionnels du
Conservatoire: « On m’a reproché le ruban rose, on m’a reproché le « à portée de
tous ». Au départ, et j’assume totalement, c’était du brainstorming et j’ai trouvé que
c’était un joli jeu de mots avec portée. Voila, ça n’était pas plus que ça, mais pour
beaucoup d’enseignants, « non ça n’est pas à portée de tous, il faut quand même
faire ses preuves… ». Donc cette plaquette est un outil externe, mais moi ce qui m’a
intéressé aussi c’était de faire réagir en interne. » Ainsi il est possible de voir que
lorsque l'on parle de « démocratisation » ou plus simplement d'accessibilité, le
principe d'une ouverture de l'enseignement musical à tous, ne fait pas
systématiquement l'unanimité dans un établissement tel que le Conservatoire de
Rennes et peut encore être source de débats, y compris internes à l'établissement.
L'idée de « démocratiser » semble aujourd'hui tout à fait intégrée dans le vocabulaire
de l'équipe de direction du Conservatoire, ce qui caractérise l'entrée de la
démocratisation dans les structures les plus anciennes et institutionnalisées.
Cependant la présence d'un terme ne signifie pas intrinsèquement la réalisation du
principe qu'il véhicule.
Du côté de l'association la Bouèze, le terme de « démocratisation » est beaucoup
moins employé par les acteurs de l'association. Cela ne signifie pas que l'action de
89 Se référer à la dernière annexe.
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l'association en terme d'enseignement musical soit moins démocratique. Il est
possible, simplement, que les charges symboliques de l'élitisme de l'enseignement
musical pèsent beaucoup plus sur le Conservatoire que sur une association de
musique traditionnelle comme la Bouèze. En effet la Bouèze se trouve peu accusée
d'être une structure « élitiste »90, comme le fait remarquer un professeur de musique
de l'association. Selon le vice-président de l'association, « la démocratisation, c'est
ce que l'on fait ici tous les jours, à travers des cours de musique accessibles à tous,
une transmission intergénérationnelle, un lien social qui se crée à travers des
ateliers collectifs d'apprentissage de la musique...la démocratisation est un grand
mot qu'il faut appliquer concrètement. »
L'objectif de démocratisation présent dans le discours du Conseil Général d'Illeet-Vilaine se retrouve donc de façon différenciée à travers les discours des directeurs
de structures d'enseignement de la musique, comme le montre les exemples à Rennes
du Conservatoire et de la Bouèze. Mais maintenant que l'objectif de démocratisation
est avancé par la politique culturelle du Conseil Général avec le Plan Musique, « une
fois que nous avons l’orientation c’est bien, mais comment nous la déclinons, et
quels sont les actions ou les leviers que l’on a mis en place pour répondre à cet
objectif ? 91»
2. Mise en œuvre de l'objectif de démocratisation
La Bouèze et le Conservatoire, chaque structure à sa manière, semblent travailler
à une ouverture à des publics plus larges, et si il peut apparaître difficile de savoir si
c'est par idéologie ou dans un souci pratique de développement de leur activité. On
peut relever dans le cas du Conservatoire un certain nombre de mesures mises en
place pour répondre à l'objectif de démocratisation. Ces diverses mesures ne sont pas
à prendre comme un catalogue d'éléments indépendants, mais bien comme un
ensemble de procédés qui convergent vers un objectif noble, central, celui de la
démocratisation.92
90 Entretien professeur de musique.
91 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
92 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
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a. Des politiques concrètes
Au Conservatoire de Rennes, une des mesures à visée de démocratisation mise en
place est la tarification, c'est-à-dire une grille de tarifs d'inscriptions indexés sur les
catégories socio-professionnelles des parents des élèves inscrits au Conservatoire.
C'est cette mesure qui est a été définie dans la convention entre le Conseil Général et
le Conservatoire93, et qui va être évaluée par le biais de l'évaluation en cours du Plan
Musique par un cabinet d'expertise. Concernant la mise en place de la tarification, le
responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes souligne le fait que les
personnes extérieures à l'établissement, voire même une partie des personnes
travaillant au Conservatoire gardent une image préconçue d'un enseignement
artistique coûteux. « Lorsque l'on on parle de l’accès à un établissement comme le
nôtre, on dit « oui, c’est cher le Conservatoire. » On peut avoir cette idée là, cet
apriori là. Or depuis 2008 maintenant, on a une tarification qui est fondée sur le
quotient familial. Il existait avant un système, qui avait sans doute sa raison d’être,
qui permettait aux personnes éventuellement les plus démunies financièrement de
faire une demande d’aide municipale. Au mieux, (je parle de mémoire), c’était une
cinquantaine de familles qui faisaient la demande et qui obtenaient une aide
municipale. Depuis la mise en place de la tarification fondée sur le quotient familial,
on a près de 20% des familles qui bénéficient d’un tarif dégressif. Dont une
quarantaine qui payent le tarif minimum, qui très précisément pour un cycle 1, qui
est un cycle d’initiation au Conservatoire, si je prends le tarif de l’année en cours,
2010-2011, une année complète d’enseignement coûte 25 euros. Et ça, c’est
complètement méconnu par l’usager, on ne l’imagine même pas! La tarification est
un point important. Je ne suis pas sûr que l’on atteigne encore des objectifs très
mirobolants, parce qu'il est vrai que là encore en terme d’image préalable on se dit
« les personnes qui fréquentent un Conservatoire sont plutôt issues de milieux
favorisés », oui, je continue à dire que c’est clairement vrai, et ça n’est pas parce
que depuis 2008 on a mis en place le quotient familial qu’on va renverser les
tendances. Évidement. Ça n’est qu’un levier facilitateur qui permet de, mais ce n’est
pas une fin en soi. 94 » La posture adoptée par la direction du Conservatoire se trouve
93 La ville de Rennes fait aussi partie des signataires de la convention avec le Conservatoire et le
Conseil Général.
94 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire.
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être tout à fait consciente des limites que peut présenter le « levier » de la tarification,
tout en constatant les évolutions que cela à pu entraîner. Un élève du Conservatoire
avoue lui aussi être impressionné par les tarifs de l'enseignement de la musique au
Conservatoire: « c’est vraiment pas cher. Par rapport à des cours particuliers c’est
impressionnant. Les conditions sont beaucoup mieux mais c’est beaucoup beaucoup
moins cher.95 »
Suivant un objectif d'ouverture et d'élargissement des publics, il a également été
souhaité au Conservatoire de Rennes d'élargir le champs des esthétiques musicales
enseignés dans l'établissement. L'actuel directeur a souhaité élargir la palette des
disciplines proposées. Face à des a priori répandus autour des styles musicaux
enseignés au Conservatoire il est intéressant de citer une fois encore un des membre
de l'équipe de direction, entré relativement récemment au Conservatoire et n'étant pas
issu à l'origine d'une formation musicale: « A mon arrivée, [le directeur] a souhaité
élargir la palette des disciplines proposées. Là encore, mais moi le premier, avant
que je n'arrive, j’avais une vision très restrictive d’un établissement comme le
Conservatoire. Quand on dit Conservatoire on pense cours de violon, cours de
piano… on pense à ça d’abord. Quand on dit qu’au Conservatoire de Rennes on
peut faire de la musique assistée par ordinateur, quand on dit qu’on peut faire du
jazz, des percussions, de la flûte irlandaise, on enlève là encore un verrou, et l’a
priori tombe. Et quand on parle d’ouverture à des publics éloignés des pratiques
artistiques, on a peut être là, déjà, dans l’offre, des choses intéressantes, qui sortent
du côté piano, violon. Je n’ai rien contre le piano ni le violon, mais c’est important
d’ouvrir déjà à d’autres esthétiques et à d’autres instruments. Ça a été une volonté
très forte à l'arrivée du directeur, et il est vrai que le département de musiques
actuelles a été crée en l’an 2000, le département musiques traditionnelles a été crée
en l’an 2000, sur un autre registre, le département musiques anciennes a été crée en
à ce moment là aussi. Avec ces 3 exemples, on voit bien que dans l’offre des
esthétiques et des disciplines proposées, on permet, on crée une opportunité pour des
personnes qui ne se retrouvent pas dans le piano, le violon, de s’ouvrir vers autre
chose.96 » Ces propos renversent quelque peu certains a prioris particulièrement
95 Entretien avec un élève du Conservatoire de Rennes
96 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes
2011
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tenaces, présents jusque dans l'esprit des élus à la culture en charge du Plan Musique.
( Rappelons que l'actuel délégué à la culture contestait une politique de
l'enseignement musical qui subventionnait presque uniquement la musique classique,
négligeant les autres pratiques musicales.) Il convient toutefois d'être prudent face à
cette dynamique du Conservatoire de Rennes d'ouverture à de nouvelles esthétiques,
dynamique qui est perçue différemment en fonction du statut des acteurs concernés.
En effet selon un professeur de musique traditionnelle, au Conservatoire de Rennes
l'ouverture et le soutien à d'autres esthétiques musicales « se fait toujours dans la
lutte.97 » Et pour lui un indice de démocratisation à prendre en compte est la
diversités des esthétiques musicales enseignées au Conservatoire, « qui se doit d'être
à peu près équitable sur ces différentes esthétiques. Ensuite tout dépend des critères
d’évaluation derrière. Si c’est simplement sur le quantitatif, on peut faire dire tout et
n’importe quoi, après il faut aller voire sur du qualitatif, mais le qualitatif est
beaucoup plus compliqué à évaluer.98 »
Un autre aspect, énoncé par le Conseil Général à travers le Plan Musique 99, est
celui de l'incitation à la pratique collective de la musique. Un objectif que l'on
retrouve concrètement à travers l'activité de la Bouèze et du Conservatoire. Sur ce
point, il semble que les acteurs de l'enseignement musical, Conseil Général,
professeurs de musique mais aussi élèves, s'accordent tous pour affirmer que la
pratique collective présente un grand intérêt dans l'apprentissage musical, même si
elle ne peut être séparée d'une pratique individuelle nécessaire à toute progression.
Selon R. Pinc, musicien et professeur de musique, « cela développe beaucoup la
musicalité de travailler en groupe. De toute façon, après, il faut faire les deux,
travailler aussi seul, il ne faut pas privilégier l’un par rapport à l’autre. Après, pour
ouvrir à des publics plus larges, tout dépend comment c’est fait. Si ce sont des
ateliers en groupe comme ce qui est fait dans certaines écoles de musique 100, ce n’est
pas ça qui va démocratiser. Les ateliers plus détendus sont plus accessibles à tout le
monde.101 » Dans ce sens le simple fait de généraliser la pratique collective ne
97 Entretien avec un professeur du Conservatoire de Rennes.
98 Idem
99 Entretien chargée de mission musique du Conseil Général.
100R. Pinc parle ici de l'école de musique de Lamballe, dans les Côtes d'Armor.
101Entretien professeur de musique
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constitue pas obligatoirement un gage de démocratisation. Ensuite il semble que si la
pratique collective est rendue obligatoire par certains textes définissant l'activité du
Conservatoire102, tout dépend, dans quelle mesure les pratiques collectives sont
développées. « Il faut absolument travailler, tout seul, beaucoup, mais l’idéal c’est
quand même de jouer en groupe. Je pense que c’est l’erreur ici, on fait beaucoup
trop de musique tout seul dans son coin, et pas du tout suffisamment de concerts et
de choses en groupe, alors que c'est très intéressant. 103 » JL. Revault, ancien
professeur de musique traditionnelle à la Bouèze, affirme de la même manière que
pour les enseignants travaillant de manière collective comme ce qui se fait à la
Bouèze, qu'il faut rendre possible « des moments personnels de rencontre, parce que
c'est important et nécessaire, mais d’autres moments où l'apprentissage passe par
des rencontres, parce qu’on sait que les rencontres avec les autres c’est toujours
intéressant et ça permet de progresser.104 » Ainsi nous pouvons constater que sur le
point des pratiques collectives, les référentiels des équipes de direction de la Bouèze
et du Conservatoire s'accordent.
En ce qui concerne les politiques d'établissements mises en œuvre dans une
perspective de démocratisation, il y a eu une très grande activité par l'association
d’intervention dans les écoles, et ce avant que le métier de « dumiste » ne soit
véritablement structuré. « la Bouèze à été un laboratoire un peu pour l’intervention
dans les écoles au niveau de la musique traditionnelle, dans les années 1990105 »,
explique M. Clérivet, anciennement professeur de la Bouèze. Les grandes lignes qui
ressortent des discours des acteurs de la Bouèze, vont dans le sens d'une transmission
de la musique inter-générationnelle, à travers des ateliers souvent collectifs de
pratique instrumentale, sans formation musicale de type solfège préalable.
L'apprentissage passe avant tout par l'oralité.
102 Schéma d'orientation pédagogique des Conservatoires, Plan Musique
103 Entretien élève du Conservatoire en DEM (Diplôme d'études musicales.)
104 Entretien.
105 Entretien professeur de musique
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b. Référentiels distincts et complémentarités entre le
Conservatoire et la Bouèze.
Les deux structures d'enseignement musical que sont la Bouèze et le
Conservatoire se distinguent par des référentiels propres à chacun au sein des équipes
de direction, étant donné des objectifs assignés à l'enseignement musical et des
activités très différentes, dans des champs musicaux distincts, entre la musique
traditionnelle enseignée à la Bouèze
et la musique classique, qui malgré des
évolutions et une ouverture notoire vers d'autres esthétiques musicales, occupe
toujours une plan de premier plan au Conservatoire de Rennes. On observe
également, d'un côté un apprentissage qui passe par une « formation musicale106 »,
issue du solfège, obligatoire avant toute pratique instrumentale au Conservatoire,
quand la Bouèze privilégie elle, l'entrée dans l'apprentissage de la musique par
l'instrument, de manière plus directe et en préférant les sources orales aux sources
écrites de la musique. Ainsi les méthodes divergent fondamentalement, mais
l'objectif commun de transmission de la musique, anime cependant les acteurs de ces
deux structures. Et, si leurs activités se différencient ces deux structures ne sont pas,
pour le moins, complémentaires, notamment en ce qui concerne la formation des
professeurs de musique.
Il existait des liens auparavant entre le Conservatoire et la Bouèze qui ont été
coupés depuis quelques années, apparemment suite à des conflits de personnes107. D.
James, coordinateur pédagogique de la Bouèze, souligne les difficultés que cela
engendre en terme de formation des professeurs108. L'intérêt d'être relié au
Conservatoire est de former des jeunes professeurs; en effet, le Conservatoire de
Rennes occupe une place de premier plan dans le domaine de la formation
professionnelle. Il délivre les diplômes permettant de pouvoir par la suite enseigner
dans les écoles de musique. « Les Conservatoires109 occupent véritablement leur
place par rapport à des gens qui sont en « fin de second cycle », c’est-à-dire des
gens qui sont autonomes avec leur instrument, qui commencent à très bien se
106 Ce terme sera explicité dans la troisième partie
107 D'anciens piliers de l'association ont quittés la Bouèze en 2005 suite à des difficultés internes.
108 Entretien
109 Entretien professeur de musique traditionnelle.
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débrouiller, et qui viennent chercher du perfectionnement, qui cherchent à aller
beaucoup plus loin. ». Le responsable du pôle administratif du Conservatoire revient
lui aussi sur ce rôle central et sur la perspective d'excellence qui caractérise le
Conservatoire. « Bien sûr que nôtre raison d’être110 est l’excellence, malgré tout, je
ne suis pas en train de le nier, à un moment donné un Conservatoire à rayonnement
régional a pour mission de former des futurs professionnels de très très haut niveau,
et nous l’assumons pleinement. Et pour cela on fait le même tarif pour tout le
monde. Par contre notre mission première n’est pas de faire « l’initiation à comment
je pose mes doigts sur la flûte », ça n’est pas ça notre mission première. Et puis c’est
très bien nous avons la chance justement sur le bassin rennais d’avoir un vrai tissu
d’écoles municipales et d’écoles de musique, associatives ou municipales de très
bonne qualité. Trouvons plutôt des complémentarités, ne soyons pas en concurrence.
Mais pour cela, il faudrait aussi faire sortir de l’esprit d’un certain nombre
d’usagers que quand je viens au Conservatoire de Rennes, j’achète le signe extérieur
de réussite d’être au Conservatoire de Rennes. Et être dans une école municipale
« non ça n’est pas pour moi ». » La distinction entre pôle d'excellence et lieux
d'initiation à la musique semble relativement claire pour les directeurs de structures,
cependant la question de l'image véhiculée par les établissement reste
particulièrement prégnante, loin d'être résolue.
En ce sens les équipes de direction du Conservatoire et de la Bouèze s'accordent
également pour dire que la communication qui est faite autour de l'établissement
occupe un rôle central dans une perspective d'évolution des mentalités 111. Pour un des
responsables de la direction du Conservatoire, « on retombe sur le volet de la
communication. Car si nous communiquons davantage sur « faire un cycle 1 au
Conservatoire de Rennes ça peut coûter 25 euros », les gens qui viennent chercher le
signe extérieur de réussite, cela ne va pas les intéresser, d’être assimilé à ça. Je
schématise là encore, mais là où, aujourd’hui, on ne va pas au bout en terme de
communication, c’est circonscrit aux gens qui fréquentent le Conservatoire et qui en
parlent un peu autour d’eux, et encore c’est dans le meilleur des cas, parce que
concrètement je pense être assez lucide là-dessus : si on prend les 90 profs du
110 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire.
111 Entretiens vice-président de la Bouèze et responsable administratif du Conservatoire.
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Conservatoire, en les interrogeant un par un « faire un cycle 1 au Conservatoire
pour 25 euros c’est possible ou pas ? », je ne suis pas loin de penser que la majorité
vont dire non.112 » Nous arrivons ici sur une autre dynamique qui est la prise en
compte de l'objectif de démocratisation par les professeurs de musique, acteurs de
premier plan dans le domaine de l'enseignement musical. Car si, au Conservatoire
par exemple, le concept de démocratisation semble tout à fait maîtrisé et ancré dans
les esprits de l'équipe de direction, qu'en est-il de l'idée que se fait l'équipe
pédagogique de la « démocratisation de l'enseignement musical » ?
B. Professeurs de musique et
démocratisation
Dans la pratique concrète d'un apprentissage de la musique, une possible
démocratisation passe aussi par des acteurs de premier plan: les professeurs de
musique. Comment ces derniers perçoivent-ils la démocratisation énoncée par le
Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à travers le Plan Musique? Comment se coordonne
l'action des directeurs d'établissement avec celle des professeurs de leur équipe
pédagogique? Au sein du Conservatoire, une distinction semble établie entre deux
groupes ayant leur propre référentiel: les professeurs de musique « traditionnels » et
les musiciens intervenants.113
1. Les professeurs de musique: un groupe hétérogène
112 Entretien.
113 Nous intégrerons ici le statut de musicien intervenant à celui de professeur de musique,
employé comme terme générique.
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Regrouper les professeurs de musique en une seule et même catégorie peut
apparaître ici comme arbitraire, étant donnée les divergences de point de vue et de
méthode qui les caractérisent. C'est l'hétérogénéité de ce groupe qui en fait tout son
intérêt et sa complexité. Le statut des professeurs de musique, entre « artiste » et
« enseignant » est tout à fait particulier, tout comme leur utilisation ou non du terme
de démocratisation.
Aujourd'hui la formation des enseignants de musique a évoluée, et prête
davantage d'attention à une dimension plutôt de « conduite de projet114 », vers une
plus grande prise en compte du public qui a fait son cheminement, et continue
d'évoluer aujourd'hui. Cette évolution se fait lentement, car comme nous le rappelle
un des responsables de l'administration du Conservatoire de Rennes, il est difficile de
changer du jour au lendemain une profession qui a vécu avec certains codes,
certaines valeurs durant des décennies. « On ne peut pas demander à quelqu'un qui a
été formé sur la logique maître à disciple de se retrouver face à une classe de 25
élèves du quartier du Blosne115, ce n’est pas possible. Donc il y a aussi des
paramètres qu’on ne maîtrise pas. » Il convient de parvenir à articuler les nouveaux
objectifs de démocratisation alloués au Conservatoire avec des pratiques anciennes et
très établies d'enseignement de la musique classique 116. F. Jedrzejak souligne la
difficulté de parvenir à coordonner les actions de tous les professionnels du
Conservatoire de Rennes autour de l'objectif de démocratisation, notamment les
difficultés qui peuvent parfois être rencontrées entre des objectifs nouveaux et des
pratiques d'enseignement musical anciennes très ancrés dans les esprits 117. « Derrière
ce terme de la démocratisation on se dit « tout le monde va adhérer, c’est évident »,
mais quand on regarde un peu plus en détail attention, ça ne se décide pas. Et
surtout il faut toujours avoir en tête les multiples dimensions. […] Ne jetons pas la
pierre à des personnes qui ont vécues pendant 30 ans sur un mode de
fonctionnement et d’un seul coup on est en train de le modifier, et ils peuvent le
prendre comme une remise en question personnelle aussi. Quand on parle
114 Entretien professeur de musique
115 Quartier de la vile de Rennes réputé « sensible »
116 Rappelons que le Conservatoire de Rennes est installé depuis plus d'un siècle rue Hoche!
117 Entretien administratif du Conservatoire de Rennes.
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d’élargissement, « on va faire baisser la qualité », moi c’est ce que l’on me dit tous
les jours. » Il peut être difficile de remettre en cause la méthode avec laquelle on a
été formé, et celle qui a constitué la vie d'un professeur de musique pendant
longtemps. Aujourd'hui il est de plus en plus demandé aux professeurs de musique du
conservatoire de Rennes qui le souhaitent, de participer à des activité de médiation
culturelle, pour aller vers de nouveaux publics. « Cela n’est quand même pas
simple118, lorsque l’on a fait toute une carrière dans un Conservatoire, que l’on a
enseigné peut être pendant 30 ans, avec une culture de l’élitisme, et que d’un seul
coup on nous dit attention maintenant ça n’est plus du tout ce que l’on attend de
vous, c’est de faire de la médiation. « Comment ça, moi de la médiation ? Je ne suis
pas un animateur socioculturel ! » : C’est cela que l’on entend comme discours,
parce que chacun est ancré sur ce qu’il croit être son identité, et surtout sur le
caractère péjoratif d’ « aller vers », non « ce sont les autres qui doivent venir vers
moi, puisque c’est moi qui sait. Je schématise la situation, pour montrer des
tendances actuelles.»
Sur ce point de la position du professeur de musique qui va vers son public, vers
ses élèves, les perceptions des professeurs de musique issus de formations différentes
varient considérablement. En effet l'exemple est frappant ici de la distinction entre
les professeurs issus de formation classique et les professeurs issus du milieu de la
musique traditionnelle119. Pour les professeurs de musique traditionnelle de la Bouèze
il est courant que ce soit le professeur qui se déplace pour aller donner son cours de
musique, notamment dans des plus petites communes120. JL. Revault, professeur de
musique traditionnelle121, envisage le statut de professeur de musique comme
quelqu'un qui « apprend en apprenant », Selon lui « peu importe le projet de l'élève,
en tant que prof tu dois être capable de t’adapter à cette demande. [...] J’apprends
en apprenant, ce sont ça les mots clé de ce que je fais. » Il évoque une vision
différente selon lui de l'enseignement des professeurs de conservatoire: « au
118 Idem
119 Lorsque je parle de la musique traditionnelle tout au long de ce mémoire j'entends la musique
traditionnelle bretonne, qui est celle enseignée par l'association La Bouèze. (et également celle
enseignée dans un atelier du Conservatoire de Rennes.)
120 La Bouèze dispense des cours de musique traditionnelle à Rennes et dans 25 autres
communes, d'Ille-et-Vilaine et des Côtes d'Armor.
121 Entretien professeur de musique
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Conservatoire ils n'apprennent pas, ils savent!122 »
Dans une perspective plus large concernant les difficultés à modifier des
institutions, des corps de métier traditionnels, comme pourrait être considéré celui de
certains professeurs de conservatoire,
JC Wallach123 dénonce des corporatismes
présents chez les professionnels de la culture. « Pourquoi est-il si difficile de
généraliser certaines de ces initiatives ? Pour des raisons budgétaires bien sûr, mais
pas seulement. L’expérience montre que, bien plus souvent qu’on ne le pense, les
obstacles majeurs ne sont pas d’ordre financier. Ils découlent des habitudes acquises
(osons les mots qui fâchent : des corporatismes ou de certaines cultures de métier
traditionnelles) et, surtout, des difficultés considérables que les professionnels de la
culture rencontrent pour adapter les représentations qu’ils se font eux-mêmes
d’abord, de leurs publics ensuite. » La question de la représentation des publics
soulevée ici occupe une place importante, que nous développerons lorsque nous
parlerons des publics des établissements d'enseignement musical par la suite.
La représentation que les professeurs de musique se font des publics, ainsi que
leurs ambitions varie sensiblement d'un professeur à l'autre. A l'intérieur même d'un
établissement comme le conservatoire, les entretiens de recrutement des professeurs
sont assez révélateurs des différents profils de professeur de musique124. « Quand
nous recrutons un enseignant, je suis toujours frappé par le discours de présentation
qui est tenu par les candidats. En schématisant, certains accentuent beaucoup leur
volet carrière artistique, ils parlent de rayonnement, et ils disent que c’est important
que dans un établissement comme le Conservatoire de Rennes c’est important de
rayonner et que l’on parle du Conservatoire, et ce n’est pas faux, et y compris en
terme de démocratisation on a besoin de donner envie, et à des personnes éloignées
de certaines pratiques, mais pour autant est-ce qu’il faut réduire l’activité d’un
enseignant de Conservatoire à son activité artistique, j’en suis moins sur. Donc c’est
toujours un peu des compromis entre les deux. » Les professeurs de musique sont
aussi des artistes, et l'arbitrage entre leur visage d'artiste et leur visage d'enseignant
122 Entretien JL. Revault
123 JC Wallach, La Culture, pour qui?
124 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire.
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ne peut appartenir qu'à eux.
Cette double caractéristique des professeurs de musique fait de la profession sa
particularité. Selon B. Gourdy, élève au Conservatoire125, doute de la vocation
pédagogique des professeurs de musique: « Quelqu'un qui devient prof de musique,
en général, se préoccupe peu des institutions, du système, et lorsqu'il s'agit de lui
donner des ordres dans une institution ça ne marche pas trop. Ils sont profs vraiment
parce que ça leur sert à quelque chose, parce que c’est comme ça qu’ils peuvent le
mieux gérer leur vie pour faire le plus d’ensembles possibles, le plus de concerts
possibles… » Une vision assez négative se voit dépeinte ici, d'un enseignement qui
serait moins glorifiant par rapport à l'aspect artistique du statut de musicien. Mais
cette question se retrouve dans biens d'autres domaines que celui de la musique 126.
Cependant si cette négligence de l'aspect d'enseignement, de partage d'un savoir et de
transmission d'une passion peut être valable dans certains cas, j'ai l'espoir de croire
qu'ils ne l'est pas pour tous les professeurs, de musique ou non, et que certains en
plus de leur passion initiale sont animés du désir de transmettre et de partager leurs
savoirs.
Comme dans tout corps de métier, les professeurs de musique se divisent en
plusieurs branches. La distinction au Conservatoire de Rennes entre les professeurs
de musique enseignant dans l'enceinte du Conservatoire et les musiciens intervenants
est caractéristique d'une perception distincte de l'idée de démocratisation parmi les
différents acteurs du monde de l'enseignement musical.
2. Statut spécifique des musiciens intervenants dans un
objectif de démocratisation.
Dans une microsociété comme le conservatoire, il y a le « corps enseignant127 » ,
les administratifs, les élèves... En ce qui concerne les enseignants, une des personnes
de la direction du Conservatoire explique: « Je suis très attaché au fait de dire que
125 Entretien élève du conservatoire de Rennes
126 Je pense ici notamment à l'arbitrage entre activité d'enseignement et activité de recherche des
enseignants- chercheurs.
127 Entretien responsable administratif du Conservatoire.
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c’est le corps enseignant. Mais ce qui est intéressant, et eux-mêmes d’ailleurs le
vivent comme tel, c'est de voir que leurs relations s’appuient sur cette distinction, et
parfois ce cloisonnement. Il y a d’un côté les musiciens intervenants, et de l’autre
côté les vrais enseignants. Cependant dans un établissement comme le nôtre, il est
logique d’avoir des compétences différentes. Professeur de musique et musiciens
intervenants, attention on ne mélange pas, « c’est un peu les torchons et les
serviettes quand même ! » ça n’est pas le même métier. Alors que si on ne parle pas
d’une approche métier mais d’un objectif de résultat ou d’orientation comme on le
fait pour élargir socialement nos publics, chacun à sa place, et on peut jouer un rôle.
Et c’est ça qui est encore compliqué parfois à faire passer. 128» Néanmoins si on
cherche à relativiser une situation quelque peu négative et une non-reconnaissance de
la part des enseignants spécialisés du Conservatoire de l'activité des musiciens
intervenants, le temps d'adaptation d'un phénomène nouveau peu constituer une
éventuelle explication, et aujourd'hui de nouveaux projets du Conservatoire
parviennent désormais à rassembler professeurs et musiciens intervenants autour
d'une même activité. Le dispositif « classe orchestre » a récemment été mis en place
à Rennes: il vise à former un orchestre, à partir d'une initiation, avec les élèves d'une
classe de CE2. Sur ce projet, musiciens intervenants et professeurs se complètent,
comme le dit F. Jedrzejak129 : « C'est intéressent car sur ces projets là, on arrive à
ailler les musiciens plutôt « classiques » et les musiciens intervenants. C’est une
action, ou plutôt une « recherche –action », une expérimentation sur ce dispositif.
Finalement pour les professeurs, on observe des conceptions, perceptions très
diverses de la démocratisation, et surtout des méthodes d'apprentissage de la musique
préférables pour transmettre une passion, un savoir. Le terme même de
démocratisation ressort assez peu des entretiens avec les professeurs de musique,
mais cela reste une appréciation de vocabulaire. Les professeurs les plus investis, les
plus militants pour un changement de l'enseignement musical, pour un apprentissage
de la musique plus accessible que ce qu'il est aujourd'hui dans les Conservatoires ou
écoles de musique, finalement utilisent peu le terme de « démocratisation », même si
128 Idem
129 Entretien responsable administratif du Conservatoire.
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la symbolique, l'idée de fond est présente. Pour les professeurs de musique la
question du public se pose directement, c'est-à-dire le fait de savoir à qui ils
s'adressent, et à qui ils souhaitent s'adresser à travers leur activité d'enseignement de
la musique.
C. Le public comme notion fondamentale
face à l'idée de démocratisation
L'activité des professeurs de musique s'adresse à un public: celui des écoles de
musique, ici le Conservatoire et la Bouèze. Avant un retour rapide sur la notion de
public, il est intéressant, dans un idéal d'élargissement des publics intrinsèque à la
démocratisation, de constater une composition du public d'élèves musiciens de la
Bouèze radicalement différente de celle du Conservatoire.
1. Le public des écoles de musique
Le Plan Musique en Ille-et-Vilaine vise une population jeune, âgée de 0 à 16 ans.
Les tranches d'âge privilégiées du Conservatoire de Rennes entrent à peu près dans
cette case. Un tableau des « âges conseillés » peut se trouver dans la plaquette de
présentation du Conservatoire de Rennes: il s'avère que des tranches d'âge
relativement strictes y sont inscrites, et mis à part certains ateliers ou l'admission est
à négocier avec le professeur , au delà de 20, 22 ans le conservatoire ne vous ouvre
plus ses portes. Il en va tout autrement des tranches d'âges définies par l'association
de musique traditionnelle La Bouèze, qui accueille des groupe d'enfants jusqu'aux
groupes de retraités, relativement nombreux130. On retrouve au sein de la Bouèze
130 La Bouèze n'a pas été choisie par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine dans le cadre du Plan
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l'idée d'une musique populaire accessible à tous, et d'une transmission de la musique
inter-générationnelle. Mis à part à la Bouèze, l'offre d'enseignement musical
public131pour un public plus âgé que la vingtaine est peu répandue, et elle ne
constitue pas l'objectif premier du Plan Musique.
L'association La Bouèze attire des publics relativement hétérogènes. Elle pratique
des tarifs assez bas, ainsi, selon le vice-président, « nous nous préoccupons peu de
savoir d'où viennent les personnes inscrites au cours de musique, car elles sont
souvent issue de milieux très différents et le tarif est accessible et le même pour tout
le monde. » Un ancien élève de la Bouèze aujourd'hui professeur de musique raconte:
Moi quand j’ai commencé la musique, je voulais jouer de la musique et mes parents
n’avaient pas les moyens de me payer des cours particuliers qui étaient beaucoup
trop cher, et le fait d’avoir rencontré la Bouèze qui avait des tarifs quand même très
abordables. Les entretiens et statistiques rencontrés n'ont pas permis de dessiner les
contours d'un « profil type » de l'élève de musique traditionnelle à la Bouèze.
Concernant le public du conservatoire, un élève en fin de cycle 132 remarque qu'il
n'est selon lui « pas forcément riche, mais avec un important capital culturel. Je
pense que c’est l’équivalent plus ou moins du milieu social des classes
préparatoires, c’est-à-dire issu de catégorie moyenne/supérieure, si cela veut dire
quelque chose, avec des enfants de profs sur représentés. ». Il est peu
« sociologique » de chercher à établir des « profils types » du public d'un
établissement à partir d'un échantillon réduit d'entretiens et en l'absence de chiffres
précis, cependant il est amusant ici constater ici 133 qu'au conservatoire certaines
personnes appellent sur le ton de l'humour les enfants à la tenue vestimentaire
caractéristique d'un certain milieu social les « MST », sigle à travers lequel il faut
entendre les « Mocassins Serre-tête » mocassins pour les garçons et Serre-tête pour
les filles. Mais revenons désormais plus sérieusement à la notion plus générale de
public, centrale lorsque l'on parle de démocratisation.
musique sur le critère de l'enseignement qu'elle dispense à toutes les classes d'âge mais sur
d'autres critères.
131 Les adultes se retrouvent dans l'offre particulière privée d'enseignement musical.
132 Entretien élève du Conservatoire de Rennes
133 Anecdote issue d'un entretien.
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2. La notion de public
L. Fleury134 constate que le fait de parler de « public(s) » de la culture procède
d'une raison historique en France: l'existence de politiques publiques de la culture.
« Pourtant, peu d’analyses ont été menées sur la notion de public elle-même, sur son
sens et les enjeux qu’elle révèle dans un discours politique ou artistique qui l’allègue
sans cesse » affirme-t-il. Au cours de son raisonnement théorique l'auteur interpelle
la pertinence d'une notion, celle de « non-public ». Selon lui, « Lorsque l’on passe de
la notion de public potentiel à celle de « non-public », on passe imperceptiblement
d’un univers probabiliste à un univers certain. » Mais nous nous contenterons ici de
parler de public et de « public potentiel » pour désigner les personnes qui pourraient
être désireuses d'apprendre la musique mais n'y ont pas accès.
Pour JC Wallach135« S’attacher à inventer des réponses pertinentes au regard
des enjeux de société et de l’idéal républicain à la question de la mise en
mouvement de publics dits « éloignés de la culture » n’est pas une démarche
nouvelle. Ils sont nombreux celles et ceux qui se sont engagés dans cette voie en
assumant le risque de ne pas caresser les institutions de l’art et de la culture dans le
sens du poil d’une « excellence artistique » qui, c’est une question de survie, est
condamnée à ne s’intéresser et à ne s’adresser qu’à elle-même et aux cercles
restreints de ses nantis. » Nous retrouvons ici la difficulté soulevée par un des
membres de l'équipe de direction du Conservatoire de Rennes de s'opposer au
principe d'excellence véhiculé par le conservatoire solidement accroché dans les
esprits de nombreux « publics » du Conservatoire. Pour l'auteur136 « le public des
écoles de musique n’est pas dans ces établissements, il est à l’extérieur. En 1997,
25% des français âgés de 15 ans et plus déclaraient savoir jouer d’un instrument de
musique. C’est un chiffre considérable (il atteint 60% chez les 15-19 ans), à
rapprocher de cette « musicalisation de la société » dont il a déjà été question ici.
134 L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles
135 JC Wallach, La culture, pour qui? Pages 87/88
136 Idem
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Pour autant, 19% seulement de ceux qui affirment savoir jouer d’un instrument
déclarent avoir appris à le faire dans une école de musique. Ils sont 34% à indiquer
avoir appris seuls ou avec des amis et 10% avec l’un des parents. » (Source :
Olivier Donnat, les pratiques culturelles des français, enquête 1997, la
documentation française, Paris, 1998). Il est donc possible ici de parler d'un public
potentiel susceptible d'être intéressé par une offre d'enseignement musical. Les
modalités de cette offre, comme par exemple les méthodes d'apprentissage de la
pratique musicale utilisées dans les écoles de musique, peuvent peuvent être
considérées comme un facteur explicatif d'un « public potentiel » qui ne parvient pas
à se transformer en un simple public.
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III. Entre culture et enseignement:
Les méthodes d'apprentissage
L'enseignement de la musique se situe à l'intersection entre le domaine de la
culture et celui de l'enseignement. Rattaché à l'échelle départementale aux
compétences culturelles du Conseil Général, le terme même d'enseignement signifie
qu'il recoupe nécessairement certaines problématiques relevant du domaine de
l'éducation. En ce sens la question des méthodes d 'apprentissage de la musique,
question d'enseignement, apparaît comme cruciale lorsque l'on parle de
démocratisation de l'enseignement musical. C'est du moins ce qui ressort des
entretiens réalisés avec les amateurs de musique, les élèves musiciens, les
professeurs de musique, et même les directeurs d'établissements d'enseignement
musical. En effet si le terme de démocratisation n'est pas repris avec la même
intensité par ces acteurs, lorsque l'on parle plus simplement d'accessibilité à
l'enseignement de la musique une partie d'entre eux suggère une remise en question
des méthodes d'apprentissage aujourd'hui les plus rependues, l'apprentissage du
solfège notamment. Le Plan Musique favorise une sensibilisation à la musique
passant par l'école comme institution démocratique, mais le fossé qu'il reste à
franchir entre la sensibilisation et l'intégration dans le système d'enseignement
musical peut-il être comblé? De l' articulation entre l' école et les écoles de musique
découle un paradoxe, entre un idéal de démocratisation passant par l'école et un
apprentissage scolaire de la musique qui élimine certains.
A. Les méthodes d'apprentissage de la
musique: une clé pour comprendre une
démocratisation difficile.
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La question des méthodes d'apprentissage de la musique n'apparaît pas au sein du
Conseil Général d'Ille-et-Vilaine comme un élément déterminant, ou du moins il est
affirmé qu'il ne relève pas de ses compétences. Concernant l'enseignement de la
musique, la Chargée de mission Musique du département explique simplement que
« cela dépend des élèves »137, chacun privilégiant telle ou telle manière d'apprendre la
musique selon sa propre personnalité et ses propres capacités. Dans la définition de
l'objectif de démocratisation de l'enseignement musical par le Conseil Général, la
problématique des méthodes d'apprentissage en elles-mêmes est relativement
inexistante. Le vice-président du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine et délégué à la
culture D. Le Bougeant affirme dans ce sens que, dans la perspective de
démocratisation imposée par le Conseil Général, les objectifs sont définis, mais
ensuite « comment diversifie-t-on les publics à l'intérieur d'une école de musique?
Ça n'est pas à moi de leur dire, c'est à eux d'inventer des nouvelles pratiques, peut
être des nouvelles formes... 138» L'idée est cependant présente d'une probable
nécessité de réformer les modalités de l'enseignement musical pour parvenir à un
enseignement plus accessible et plus démocratique.
En effet inventer de nouvelles formes d'apprentissage de la musique, c'est ce qui
se révèlerait être un indicateur de démocratisation pour plusieurs professeurs de
musique et élèves musiciens. L'apprentissage de la musique passant par le solfège
notamment se voit particulièrement remis en cause par certains acteurs du monde de
l'enseignement de la musique.
1. Le solfège, ou comment faire fuir des « publics »
Le solfège139, est souvent dans les écoles de musique une étape préalable imposée
avant la découverte de la pratique instrumentale en elle-même, ce contre quoi se bat
137Entretien chargée de mission musique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine
138Entretien délégué à la culture du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine
139Définition du dictionnaire, Larousse: « (Nom masculin, de l'italien solfeggio, de sol et de fa,
notes de musique.) Discipline qui est à la base de l'enseignement musical et qui permet la
connaissance et la mémorisation des signes de notation tout en développant l'audition pour une
appréciation exacte des sons et des intervalles.
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par exemple U. Nousianen140, professeur indépendante de piano à Rennes. Pourtant
issue d'une formation musicale classique, ancienne concertiste, elle préconise un
apprentissage de la lecture des notes simultané avec l'apprentissage de l'instrument,
ce qui pour elle n'est absolument pas incompatible. Un professeur de musique
explique de la même manière: « Certains professeurs de musique râlent lorsqu'ils
sont obligés de faire du solfège avec leurs élèves, ce qui pourtant moi ne me semble
pas absurde. Tout mon bagage en solfège je l'ai appris en jouant de la flûte[...] je ne
comprends vraiment pas pourquoi des enfants de 6 ou 7 ans doivent suivre des cours
de solfège complètements déconnectés de ce que ça donne au niveau de leur
instrument141 » D'origine finlandaise, U. Nousianen constate que des méthodes
d'apprentissage sans solfège préalable sont davantage utilisées dans d'autre pays
voisins européens et fonctionnent très bien. De son point de vue l'apprentissage du
solfège constitue un facteur d'exclusion pour certaines personnes du processus
d'apprentissage de la musique, beaucoup abandonnant l'idée d'apprendre à jouer d'un
instrument au contact des normes rigides et complexes du solfège qu'il leur est
imposé de maîtriser avant de pouvoir commencer la pratique instrumentale à
proprement parler. Son point de vue se trouve en partie conforté
par la part
importante de ses élèves pianistes qui, exclus du Conservatoire ou frustrés des
méthodes d'apprentissage qui y sont privilégiées, suivent des cours avec elle,
recherchant un apprentissage plus ouvert et plus souple. Cette professeur s'alarme
également de voire le nombre considérable de personnes abandonnant l'apprentissage
de la musique au cours d'une première année de solfège, ou de « formation
musicale. »142
« Formation musicale » est le concept qui a remplacé aujourd'hui le solfège au
Conservatoire de Rennes, terme plus général qui se veut moins rébarbatif. « La
volonté c'est de ne pas enfermer le solfège dans simplement le solfège, c'est-à-dire
l'apprentissage d'une écriture « solfégique », mais d'apporter une véritable
formation musicale, rythmique, d'écoute et culturelle 143. » La Formation musicale
140Entretien professeur de piano
141Entretien professeur de musique traditionnelle au Conservatoire de Rennes
142Selon ses sources au Conservatoire de musique de Fougères, sur 200 élèves qui entrent
chaque année, seulement 30 poursuivrons par la suite. (Entretien)
143Entretien avec un professeur de musique du Conservatoire.
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reste cependant obligatoire pour la très grande majorité des études musicales
dispensées au Conservatoire, sauf pour l'intégration de certains ateliers, comme par
exemple l'atelier de musiques traditionnelles. Un professeur de musique de cet atelier
explique que pour faire de la musique traditionnelle au Conservatoire il n'y a pas
d'obligation de faire de la formation musicale classique: « ça a été de haute lutte
mais c'est indépendant 144», dit-il. « Pour nous, il n'y a pas d'apprentissage de
solfège. Nous avons mis en place une formation musicale traditionnelle, qui n'a rien
à voire avec la formation musicale classique, qui est basée sur de l'écoute des
sources, sur du chant, sur les concepts de transmission.145 » Pour M. Clérivet,
professeur de cet atelier, le principal problème véhiculé par le solfège est qu'il
correspond à une écriture hégémonique, celle d'une seule esthétique musicale, qui est
très utile dans certains cas mais dont on doit pouvoir s'affranchir. Il explique dans ce
sens: « Je me bats contre l'apprentissage du solfège, parce que porté par le solfège
vous n'avez pas qu'une écriture, mais avec elle également tout un concept musical
qui suit, c'est-à-dire une théorie musicale. Ce qui veut dire que cette écriture là a été
développée pour et en fonction de critères qui étaient propres à une esthétique: la
musique classique, académique, de l'Europe de l'Ouest, du milieu du 18ème siècle
jusqu'au milieu du 20ème siècle, ce qui ne représente rien du tout par rapport à
l'ensemble des pratiques musicales qui ont pu voir le jour.146 » Par ailleurs il ne remet
pas en cause le fait de passer par l'écriture pour l'apprentissage de la musique,
« s'interdire toute écriture, c'est empêcher certaines personnes d'accéder à la
musique, c'est presque anti-démocratique, » il est essentiel de ne pas se restreindre à
une seule méthode d'apprentissage de la musique. B. Gourdy nous rappelle ses
souvenir de solfège datant d'il y a seulement quelques années: « comme c’est super
élitiste le solfège quand tu t’en sors bien tout le monde t’aime bien, et quand tu t’en
sors pas t’es viré rapidement. Je pense que la moitié des gens qui lâchent c’est à
cause du solfège.147» La question du caractère élitiste, donc par définition accessible
à une minorité, véhiculé par le solfège est explicitement montrée ici.
En ce qui concerne l'association de musiques traditionnelles la Bouèze, ni le
144Entretien professeur de musique du Conservatoire
145Idem
146Idem
147Entretien élève musicien au Conservatoire.
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solfège ni la « formation musicale » n'entrent dans le vocabulaire de l'école de
musique. C'est en effet l'apprentissage à l'oreille qui est privilégié à la lecture de la
musique, même s'il n'est pas question de se refuser l'usage de l'écrit dans certains cas.
Selon B. Hommerie148 « le solfège est la grammaire, il doit arriver après la
parole » , c'est-à-dire que le solfège est une étape qui doit venir après la découverte
de l'instrument. Ces propos peuvent être illustrés par l'expérience d'un musicien
professionnel issu de la musique traditionnelle utilisant aujourd'hui le solfège mais ne
l'ayant découvert que tardivement: « J’ai appris sur le tas, autodidacte pour tout
[…] J’ai fait du solfège après, je me suis mis au solfège j’avais 27 ans. Il me semble
plus intéressant d’apprendre le solfège quand on sait qu’on en a besoin.
L’enseignement, même classique, devrait être dans ce sens là aussi à mon avis.
L'autodidaxie quant à elle reste encore aujourd'hui parfois dévalorisée dans le
monde musical. Comme le souligne JC Wallach. Dans son essai sur les limites de la
démocratisation culturelle, un musicien titulaire de n'importe quel prix de
Conservatoire, qu'il soit prestigieux ou non, est souvent davantage reconnu qu'un
musicien autodidacte149. Dans ce contexte d'institutionnalisation de l'apprentissage de
la musique l'auteur décrit l'autodidaxie comme un apprentissage buissonnier. « En
termes de modalités et de rythmes, les apprentissages instrumentaux et la
confrontation à un public se font ici dans des conditions radicalement différentes de
celles en vigueur dans les formes institutionnalisées de l’enseignement musical.
L’autodidaxie et toutes les modalités possibles et imaginables d’apprentissage
buissonnier, héritées de l’école de même nature, se mêlent dans la construction d’un
cheminement qui, plus souvent qu’on ne le croit, conduit à chercher les solutions aux
obstacles rencontrés dans ce solfège qui, quelques années plus tôt, avait constitué,
pour ces mêmes pratiquants, le dispositif parfaitement efficace de leur sélection par
l’échec de l’enseignement délivré par les écoles de musique. 150»
148Entretien vice président de association la Bouèze
149JC Wallach La Culture, pour qui? Page 102
150JC Wallach La Culture, pour qui? page 97
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2. Une rigidité qui ferme des portes
Ces formes institutionnalisées de l'enseignement musical décrites par JC Wallach
dessinent une rigidité globale dans l'apprentissage de la musique, qui bloque une
démocratisation de celui-ci. Une démocratisation passerait par l'ouverture à un public
plus large, grâce à un assouplissement des normes des écoles de musique et la
diversification des esthétiques et des pratiques proposées par ces établissements.
Pour JL Revault, professeur de musique traditionnelle, le côté institutionnel de
l'enseignement de la musique freine la volonté de nombreuses personnes d'apprendre
la musique. Le simple fait par exemple d'une seule offre d'apprentissage de la
musique régulière et cadrée laisse de côté de nombreuses possibilités et de nombreux
profils. « Ce n'est pas dans un cycle hebdomadaire qu’il faut travailler, il faut créer
d’autres méthodes. C’est-à-dire que l'enseignant par exemple serait disponible, et les
gens viendraient le voir à la carte, quand ils ont besoin. Mais ça ça n’existe pas ce
que je raconte là, je suis toujours dans l’utopie.151 »
Certaines esthétiques musicales se sont vues elles-mêmes transformées avec un
apprentissage musical institutionnalisé, pour le musicien R. Pinc, « Le jazz, se « dédémocratise » dans des contextes de Conservatoires, d'écoles de musique
rigides.152 » Dans un objectif de démocratisation l'assouplissement des structures
d'enseignement musical apparaît ici comme fondamental.
Les « tests153 » d'entrée au Conservatoire constituent un premier exemple de cette
rigidité. En effet, les futurs élèves musiciens se voient contraints de passer des tests
d'aptitude pour définir s'ils peuvent ou non entrer au Conservatoire. Un élève du
Conservatoire désormais en fin de cycle 3
154
fait remarquer l'absurdité qu'il perçoit
151Entretien professeur de musique.
152Entretien musicien.
153Le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes, conscient de la symbolique
véhiculée par le mot adopterai cependant volontiers un autre terme, dans l'idée de ne pas faire
de ces tests un blocage pour certaines personnes. (Entretien)
154Le DEM (diplôme d'études musicales) est un examen qui achève le 3ème cycle du cursus à
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dans le fait de passer un test: « C’est super drôle, tu dois passer un concours
d’aptitude pour ton instrument alors que tu n’as pas commencé à en faire. » Il est
précisé par le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes que ces
tests visent simplement à voir, par exemple, si la morphologie de l'enfant est
compatible avec l'instrument, à évaluer sa motivation etc., tout en reconnaissant
l'effet symbolique que peut représenter le mot « test » à l'entrée du Conservatoire. 155
Selon lui le fait de rendre ces tests d'entrée plus détendus constitue un gage de
démocratisation. « L’excellence ne vaut que si elle est une finalité, pas un critère
d’exclusion156 ». L'excellence qui se retrouve dans les différents examens des cursus
musicaux du Conservatoire pose question. En effet le critère d'excellence associé au
Conservatoire est une idée qui se dégage de plusieurs entretiens, quand il n'apparaît
pas du tout dans les discours tenus autour de la Bouèze, aussi bien par les personnes
extérieures à l'association que par les fondateurs eux-mêmes.
Les examens caractéristiques du cursus d'apprentissage du Conservatoire se
voient critiqués à plusieurs reprises face à l'idée de démocratisation, en ce qui
concerne le caractère d'exclusion qu'ils représentent, et d' « élagage157 » des élèves
aux fur et à mesure des années. Pour JL Revault, professeur de musique
traditionnelle, « dans les écoles de musique et les Conservatoires on sélectionne, et
on élimine aussi dans le temps. Au début, éveil musical, on prend tous les « pious
pious » et après on monte en cycles, on élague et on arrive au troisième cycle du
Conservatoire ou là on a des très bons musiciens. Mais pour moi c’est facile d’avoir
des très bons musiciens après avoir
viré tous les autres. C’est une lecture
pyramidale qui est complètement à l’inverse de mon projet d'enseignement de la
musique. » B. Gourdy, aujourd'hui élève en 3ème cycle, confirme cette dynamique:
« au Conservatoire on te dit: « si tu veux continuer il va falloir te donner vraiment
plus à fond, t’investir vraiment plus » et au bout d’un moment tu as des profs qui te
dise maintenant là si tu veux vraiment t’investir plus ce serait bien que tu arrêtes tes
études à côté parce que tu n'as plus le temps, donc il faut que tu choisisses. »
dominante instrumental du Conservatoire, qui se divise en 3 cycles.
155Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
156JC Wallach, La culture, pour qui? page 89
157 Entretien professeur de musique.
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Se pose ici le problème de l'excellence, mais aussi de la professionnalisation que
peut incarner le cursus musical de Conservatoire, alors que nous avons pourtant vu
précédemment que moins de 10% des élèves inscrits au Conservatoire se destinent
par la suite à une carrière professionnelle. Selon M. Clérivet, « on a toujours
tendance, en tout cas dans l’enseignement musical au Conservatoire, à vouloir en
former des professionnels. Et donc du coup à élaguer les autres, ceux que ça
n’intéresse pas de devenir professionnel. 158» Intervient ici la question de l'objectif
que l'on assigne à l'enseignement de la musique. En effet apprend-t-on la musique
dans une perspective d'accumulation de connaissances? dans un objectif de formation
et de professionnalisation? en poursuivant un épanouissement personnel et collectif,
Est-ce que l'on joue simplement pour se faire plaisir 159? « cette notion de plaisir elle
est là aussi. Et ça aussi c’est un mot qui souvent à été un petit peu tabou dans les
Conservatoires, on parlait d’exigence, on parlait de l‘élite, on parlait de travail…
mais la notion de plaisir ?160 » Pour une majorité des acteurs ici rencontrés du monde
de l'enseignement musical la notion de plaisir est à ne surtout pas oublier dans une
perspective d'un apprentissage démocratique et ouvert à tous, un apprentissage à
travers lequel chacun peut trouver sa place, qu'il se reconnaisse ou non dans un
système cadré, régulier, « scolaire ». Ce système rigide qui est celui principalement
subventionné aujourd'hui par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine à Rennes, à travers
l'enseignement proposé par le Conservatoire de Rennes161 , qui évolue pourtant vers
un fonctionnement qui se veut plus accessible, plus « démocratique ».
La démocratisation passe par une réflexion sur les méthodes d'apprentissage, et
sur l'utilisation des savoirs qui nous sont transmis par par l'Ecole, aussi bien l'Ecole
avec un grand « E » que les écoles de musique. Sur les objectifs et les compétences
du Conservatoire un acteur s'interroge: «
Mettons au cœur le plaisir et
l’interprétation, les qualités d’interprétation avant des qualités techniques. Sommesnous là d’abord pour former des techniciens, des gamins ou des jeunes qui sont
capables d’avoir une super maîtrise de l’instrument, ou est-ce qu’on est là pour
158Entretien professeur de musique du Conservatoire de Rennes.
159 Ces « objectifs » sont évidement liées les uns avec les autres.
160 Entretien (Jedrzedak)
161 Je parle ici uniquement du Conservatoire et non de la Bouèze, la part qu'il occupent dans les
subventions accordées par le Conseil Général restant considérablement plus importante.
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qu’ils nous procurent des émotions ? Et on retrouve un peu ici les liens intrinsèques
entre culture et éducation… A l’école est-ce que l’on nous apprend à être épanouis
avec notre savoir ou est-ce qu’on nous apprend à bachoter ?
162
» Les questions
concernant les méthodes de transmission des savoirs à l'école sont les mêmes qui se
posent ici en terme d'enseignement, de méthodes d'apprentissage. Elles sont
appréhendés très différemment entre le Conservatoire et la Bouèze, pourtant les deux
structures mettent en avant un idéal de démocratisation qui passe par l'école. La
Bouèze était, en effet, précurseur de la sensibilisation à la musique en intervenant
dans les écoles, et le Conservatoire, aujourd'hui, dans une perspective de
démocratisation, coordonne 8 musiciens intervenants, gère les « classes orchestre »...
présentant ce volet de la politique comme l'un des plus « démocratique ». Mais
paradoxalement c'est la reproduction d'un cadre « scolaire » dans l'enseignement de
la musique aujourd'hui qui est aussi un frein à sa démocratisation, les « bons élèves »
du système scolaire se retrouvant dans le système institutionnalisé de l'enseignement
musical.
162 Entretien.
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B. Paradoxe de l'articulation entre école
et enseignement musical.
L'école se trouve être par définition, l'institution la plus démocratique pour
l'enseignement de la musique, dans le sens où elle touche toute la population, tous
milieux sociaux confondus, « capital culturel » acquis au préalable ou non.
Nous ne nous intéressons pas ici à l'enseignement musical dispensé dans le cadre
de l'éducation nationale, selon des programmes discutés à l'échelle nationale et
enseignés dans les écoles et les collèges, mais bien à la politique culturelle du
Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, le Plan Musique, qui soutient la sensibilisation à la
musique grâce à l'action des musiciens intervenants dans les écoles et les collèges.
Nous avons pu constater précédemment que la sensibilisation à l'école est présenté
par les acteurs du champs de l'enseignement musical comme une mesure de
démocratisation tout à fait intéressante, permettant de toucher le public le plus large
possible. Désormais se pose la question de savoir ce qu'il advient du lien entre
sensibilisation et enseignement de la musique. Car si de nombreux enfants sont
touchés par les activités des musiciens intervenants, combien d'entre eux entrerons
par la suite dans les structures d'enseignement musical spécialisés subventionnées par
le Plan Musique? De l'articulation entre l'école et l'enseignement musical, lui même
partagé entre domaine de la culture et domaine de l'enseignement, découle un
paradoxe: les caractéristiques du système scolaire, et en particulier les cadres et
méthodes d'apprentissage de celui-ci, lorsqu'elles sont reproduites dans le contexte
d'un enseignement de la musique spécialisé, constituent un frein à l'ouverture de
l'enseignement musical à des publics plus larges.
1. La démocratisation par l'école
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D. Le Bougeant, délégué à la culture au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, remet
en cause un enseignement de la musique « classique », « académique », qui n'a pas
su renouveler ses méthodes et ses formes d'apprentissage avec le temps. Il affirme
par contre que l'école, elle, a fait ce chemin 163, prenant l'école comme modèle de
démocratisation. « Depuis 30 ans, dans les écoles, dans l’éducation nationale, les
enseignants ont été obligés de le faire, le public s’est diversifié, les modes
d’apprentissage se sont diversifiés, on n’apprend plus à l’école comme on apprenait
il y a 30 ans. Parce que les enfants ont changés, parce que par exemple internet est
arrivé, parce beaucoup a changé en 30 ans. Et pourtant, dans une école de musique
on apprend toujours comme il y a 40 ans. » De ces propos relativement schématiques
ressortent malgré tout des tendances actuelles, notamment la bulle de cristal qui
entoure l'enseignement musical « classique » du Conservatoire.
Mais si le Plan Musique en Ille-et-Vilaine subventionne de manière significative
l'activité du Conservatoire à Rennes, il subventionne également, comme nous l'avons
vu, l'action des musiciens intervenants164. Et ce volet du Plan Musique que
constituent les musiciens intervenants est pour le délégué à la culture du Conseil
Général le volet le plus intéressant du Plan Musique, car les interventions de
sensibilisation dans les écoles sont la seule solution pour toucher toutes les tranches
de la société, sans distinction. Il s'agit dans le cadre de ces interventions d' « éveiller
le goût à165 » , selon les termes de l'élu, pour attirer l'attention, sensibiliser. Il ne s'agit
pas ici à proprement parler « d'enseigner la musique », mais de donner envie à ceux
qui le souhaiterait d'apprendre la musique par ailleurs. « Notre rôle n'est pas dans
l' éducation musicale, il est dans la sensibilisation artistique.166 »
« Les musiciens intervenants sont les ambassadeurs du Plan Musique en Ille-etVilaine167» , leur activité même répond à l'objectif de démocratisation à travers la
découverte de différents instruments, différentes esthétiques musicales à l'école. Car
là encore il s'agit de ne pas privilégier une seule et unique esthétique musicale qui
serait la musique classique mais d'aborder différents styles et différentes pratiques.
163 Entretien délégué à la culture du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine.
164 Musiciens qui sont rattachés au Conservatoire en Ille-et-Vilaine
165Entretien délégué à la culture.
166Idem
167 Entretien responsable du Pôle administratif du Conservatoire de Rennes
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Un professeur de musique rappelle ici à propos de la démocratisation par l'action des
musiciens intervenants qu'il y a différents types d'interventions. Effectivement si les
interventions relèvent uniquement d'une présentation de la musique classique, cela ne
présente pas de réel intérêt de démocratisation selon lui168.
Le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine privilégie donc aujourd'hui des actions de
démocratisation passant par l'école, faisant ici encore de l'Ille-et-Vilaine un
département pionner en matière de politique de la musique. En ce sens le responsable
du pôle administratif du Conservatoire de Rennes rappelle que « dans le Plan
Musique en Ille-et-Vilaine, la musique à l’école est vraiment quelque chose de très
spécifique au département d’Ille-et-Vilaine. Ça a été fait dans d’autres départements,
mais là il y a une véritable volonté politique d’axer aussi cette orientation comme
étant une orientation forte.169 »
Le Conservatoire de Rennes est donc lié aux écoles à travers les interventions des
musiciens intervenants. Il est aussi, autour d'autres projets, directement liée au
ministère de l'éducation nationale, à travers notamment le dispositif des classes à
horaires aménagés, dispositif qui selon l'équipe de direction du Conservatoire est
assez emblématique de la volonté de démocratisation, en lien direct avec l'éducation.
Le dispositif des classes à horaires aménagées est un dispositif partenarial entre
l’éducation nationale et les collectivités locales, et en l’occurrence le Conservatoire,
pour permettre d’aménager l’emploi du temps des élèves sur le temps scolaire, et
qu’ils puissent bénéficier de plages qui sont figées dans leur emploi du temps
scolaire, d’enseignement au Conservatoire. En prenant cet exemple la direction du
Conservatoire explique que « c’est un intérêt d’un établissement comme le
Conservatoire, on voit bien qu’on est au cœur, on est à la croisée des acteurs publics
en matière de politique publique d’enseignement artistique, et certains vont dire de
politique
culturelle
[...]
L'enseignement
artistique
est-il
de
la
culture?
L'enseignement artistique est-il de l'éducation? On est à la croisée des chemins.
Des passerelles entre éducation et culture sont dors et déjà établies, d'autres
168 Entretien professeur de musique
169 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes.
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restent à construire. Le dispositif des classes à horaires aménagés est repris en
exemple dans plusieurs ouvrages. A l'échelle nationale, « une vraie solution ne peut
venir que d’une coopération étroite entre le ministère de l’éducation nationale et
celui des Affaires Culturelles, pour offrir un enseignement à la fois adapté à
l’éducation musicale du plus grand nombre et à la formation des professionnels. Un
excellent exemple d’une telle alliance réussie est celui des « classes à horaires
aménagés ». Cette formule, qui existait déjà dans l’Allemagne du XIXème siècle et
en Europe de l’Est, repousse le plus tard possible pour les jeunes élèves le choix
définitif d’une carrière professionnelle en leur permettant de mener de front des
études générales et une formation musicale intensive. Dès 1967, ce but est atteint
dans les Conservatoires de Reims et de Toulouse, puis dans beaucoup d’autres villes,
et le premier baccalauréat « musical » a lieu en 1973. Ce qui prouve qu’une
collaboration étroite est bien possible entre les enseignants de l’éducation nationale
et ceux des Conservatoires : une barrière psychologique est tombée de façon
irréversible, grâce à une volonté politique résolue. 170» Mais cet exemple s'intéresse
à l'enseignement musical dans but éventuel de professionnalisation, objectif qui ne
concerne en réalité qu'une petite partie du public potentiel de l'enseignement musical
et s'éloigne de la problématique d'un enseignement de la musique accessible à tous,
sur tout le territoire et pour toutes les classes d'âge.
A une échelle locale comme celle du département, l'action des musiciens
intervenants dans les écoles est constitutive d'une politique publique de proximité,
concrètement perceptible par tous. ( A Rennes sur l'année 2007-2008, ce sont 5500
élèves qui ont été touchés par au moins une intervention de musicien intervenant sur
les écoles du territoire rennais.) Cette politique va donc dans le sens « d'éveiller le
goût à » selon la formule du délégué à la culture du Conseil Général, en essayant de
toucher un maximum d'enfants. Mais maintenant, une fois que l'on a « éveillé le goût
à », dans quelle mesure les enfants, ou plutôt les parents des enfants concernant les
classes d'âges visée par l'action des musiciens intervenants, se sentent-ils légitimes de
franchir la porte du Conservatoire de Rennes, ou de telle ou telle école de musique?
Ne reste-il pas un certain nombre de verrous à supprimer entre l'étape de la
sensibilisation et l'intégration dans les structures d'enseignement musical spécialisé?
170 État et musique, page 61
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Un acteur du Conservatoire souligne une question qui ce pose alors: celle de savoir
quel est le véritable impact de l'intervention des « Dumistes », à travers le Plan
Musique, sur l'augmentation des élèves dans les écoles de musique et la
démocratisation de l'enseignant qui y est dispensé. « La difficulté que l’on rencontre
ici, c’est que nous n’avons pas d’appareil statistique à la hauteur de nos ambitions.
Ce qui serait intéressant serait de savoir, parmi tous ces enfants touchés par les
actions des musiciens intervenants, quels sont ceux qui, un moment donné, se
donnent le droit, ou se sentent légitimes pour venir frapper à la porte d’un
Conservatoire. Nous avons quelques cas individuels, mais que nous n'apprenons que
bien après, souvent, et c’est parce que la personne en parle, elle-même. Elle a
grandi, elle est adolescente, et en disant « ah ben oui, c’était tel musicien
intervenant qui m’avait donné le gout, et j’en avais parlé à mes parents, et c’est
comme ça que etc. » Mais nous n’arrivons pas, compte tenu du nombre d’enfants qui
sont touchés, à évaluer cette proportion.171 »
Les interventions de sensibilisation qui se déroulent en milieu scolaire sont donc
une formidable opportunité de toucher toute la population sans trop de distinction de
classes172. Elles présentent une approche ludique et ouverte de la musique, à travers
la présentation de différentes esthétiques. Le dispositif des musiciens intervenants se
trouve presque systématiquement cité lors des entretiens réalisés, pour donner des
exemples d'actions dans une perspective de démocratisation. Cependant rappelons
que le Plan Musique comporte deux volets: les musiciens intervenants et le soutient à
l'enseignement musical dispensé par les écoles de musique, par le Conservatoire.
Comment s'articulent ces deux volets? Il apparaît dans l'enquête que du point de vue
de plusieurs professeurs de musique, et élèves musiciens, ce sont explicitement les
méthodes d'apprentissage de la musique qui constituent un frein majeur à l'ouverture
de l'enseignement de la musique à de nouveaux publics. Et il est frappant de voir à
quel point les « cursus » musicaux d'apprentissage de la musique au Conservatoire
présentent des similitudes avec les cursus scolaires. ( A l'inverse de l'association la
Bouèze, où le schéma scolaire n'est pas du tout reproduit dans les cours de musique
171 Entretien
172 Il est a préciser que des différences sont a noter entre les écoles évidemment, mais il semble
que les actions des musiciens intervenant s'effectuent en priorité dans les « quartiers
sensibles » et les ZEP
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dispensés.) En ce sens, il peut apparaître regrettable que des élèves en difficultés ou
mal adaptés au système scolaire ne puissent connaître un épanouissement personnel à
travers un apprentissage de la musique extérieur à l'école. En suivant une métaphore
poussée à l'extrême, on pourrait dire que l'école, en prêtant un outil de
démocratisation sans égal à l'enseignement de la musique de part le public qu'elle
rassemble, formate dans le même temps l'enseignement musical en diffusant des
méthodes d 'apprentissage rigides, reprises comme étant légitimes et démocratiques.
2. Un apprentissage scolaire de la musique antidémocratique?
Il ne s'agit dans cette dernière partie aucunement de remettre en cause la fait que
l'école puisse représenter l'institution la plus démocratique pour favoriser un
apprentissage de la musique démocratique, en tant qu'institution obligatoire, gratuite
et ouverte à toute la population. Mais comme nous parlons ici d'un enseignement de
la musique subventionnée par le Plan Musique qui est dispensé en dehors de l'école,
il s'agit de s'interroger sur les méthodes d'apprentissage et le cadre de cet
enseignement, qui présente des similitudes flagrantes avec les méthodes
d 'apprentissage qui sont celles de l'école. En effet au vu de ce qui a pu ressortir de
l'enquête menée auprès de certains acteurs de l'enseignement musical concernés, des
méthodes d'apprentissage passant par des concours, des diplômes, des cycles... sur le
même modèle que l'école sont en partie à l'origine de la difficile démocratisation de
cet enseignement musical.
Le cursus d'études musicales du Conservatoire est formé d'un test d'aptitude à
l'entrée, de diplômes consécutifs par la suite, reproduisant un schéma scolaire qui
peut même se présenter comme encore plus rigide que celui rencontré à l'école. Tout
d'abord ce schéma privilégie un axe qui est celui de l'objectif d'une formation
sanctionnée par un diplôme, laissant de côtés des pratiques musicales « amateur »,
mot qui est à prendre ici au sens noble du terme, c'est-à-dire de celui qui aime, celui
qui est passionné, et non celui qui sous prétexte de ne pas rechercher l'obtention d'un
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diplôme ne serait pas autorisé à intégrer une structure telle que le Conservatoire,
presque entièrement financée par l'argent public et dotée de moyens, de locaux et de
ressources sans égal. Selon F. Burdan173 « dans les institutions d'enseignement
spécialisé de la musique, un des objectifs prioritaires est l'accession à « l'excellence
technique ». « La recherche d'excellence est décrétée comme un processus inscrit
dans le long terme, réclamant pugnacité et persévérance. » B. Gourdy, élève en
DEM174 au Conservatoire précise explicitement: « On ne reste au Conservatoire
finalement que si on vise le DEM175. »
JC Wallach s'alarme contre cette dynamique intrinsèque au système
d'enseignement musical actuel. En effet pour lui176, « ce n’est pas « démocratiser la
culture » que d’offrir au « plus grand nombre » l’attente de quelques-uns, donc la
relation que ce microcosme entretient avec la musique et avec l’usage qu’il en fait.
Pire, ce n’est pas de la « démocratisation », c’est de l’exclusion institutionnalisée.
Pour autant, respecter la diversité des attentes et des objectifs que chacun assigne à
sa pratique ne signifie pas brader les exigences artistiques et celles des processus
d’acquisition et de maîtrise des langages et des compétences techniques nécessaires.
Cela signifie simplement les replacer dans le contexte des démarches des personnes
et ne pas chercher à toute force à les faire passer sous les fourches caudines de
représentations et de pratiques de la musique prétendument universelles. »
Se pose le problème de pratiques musicales institutionnalisées et de méthodes
universalisées, dans un contexte où il existe au moins autant de méthodes qui seraient
envisageables que d'esthétiques musicales.
En ce sens, la sélection qui s'opère au fur et à mesure des années au
Conservatoire ne laisse de place que pour les plus persévérants, et ceux s'intégrant le
mieux dans les cadres du système. Dans le cas de l'école Bourdieu parle d'un langage
de l'école qui est celui d'une classe dominante, dans le monde de l'enseignement
musical on pourrait parler d'une forme d'apprentissage, d'une perception de la
173 F. Burdan L'authenticité musicienne à l'épreuve de la formation et de l'expérience
174 DEM: diplôme d'Etudes musicales
175 Entretien.
176 JC Wallach, La culture, pour qui?
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musique par le solfège et l'excellence qui fait de celle ci un loisir de luxe réservé à
une infime partie de la population qui en comprend les codes. Pour JC Wallach nous
nous trouvons ici face aux
« Enjeux de l’école et en termes d’affirmation du
contenu éducatif et culturel des loisirs proposés aux jeunes générations. Celles-ci se
voient imposer des emplois du temps quasi ministériels et confrontées aux
contraintes de la réussite (éducative, culturelle, sportive, etc.) à tout prix. ». Dans
une perspective de réussite scolaire ou non, le « bon » élève sera autorisé à pratiquer
la musique, en guise d'une acquisition supplémentaire de connaissances dans un
parcours de réussite, quand l'élève en difficulté s'en verra éloigné.
Il est possible de lire dans la plaquette de présentation du Conservatoire un
paragraphe concernant l'assiduité des élèves inscrits dans l'établissement très
révélateur: « Assiduité et absences: L'élève doit suivre l'intégralité des cours
auxquels il est inscrit. Il s'engage à assister de manière régulière, assidue et
ponctuelle. L'élève absent reste sous la responsabilité de ses parents ou tuteurs. En
cas d'absence de l'élève, l'accueil ou la scolarité du Conservatoire devra être
informé dans les meilleurs délais par écrit ou par téléphone, mais dans tous les cas
un mot d'excuse devra être remis à la scolarité. Un manque d'assiduité notoire
pourra conduire à la radiation de l'élève ». Le cadre scolaire d'encadrement de
l'enseignement se retrouve ici très nettement, jusqu'à l'utilisation de termes comme
« scolarité », « mot d'excuse. » Il paraît difficile dans un tel contexte d'envisager un
apprentissage de la musique au Conservatoire pour des enfants rencontrant déjà des
difficultés dans un un système scolaire auquel ils ne s'adaptent déjà pas très bien. Il
paraît évident qu'un enfant en échec scolaire (et non nécessairement jusqu'à ce stade
d'ailleurs) ne peut se retrouver et s'épanouir à travers un apprentissage aussi cadré ,
exigeant et compétitif. Il résulte de ces processus que ce sont les « bons élèves » du
système scolaire qui en majorité se retrouvent à bénéficier de l'offre d'enseignement
musical d'un conservatoire, suivant un système méritocratique individualiste177 qui
est une des analyses qui a caractérisé la démocratisation de l'enseignement en général
pendant plusieurs décennies. L'idée d'une élévation continue du niveau culturel de
l'ensemble de la nation ne semble par avoir atteint le domaine de l'enseignement de la
177 Rapport Langevin Wallas, 1947. Cours de P. Leroy, parcours scolaires, Inégalités scolaires et
inégalités sociales.
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musique. Malgré une volonté politique un peu différente en Ille-et-Vilaine à l'échelle
du département pour favoriser au moins la « sensibilisation » l'enseignement musical
ne s'intègre que de manière très superficielle dans le cadre de l'éducation nationale.
« L’école cherche à inculquer178 le « culte » de la culture, c’est-à-dire le « devoir
d’aimer » certaines œuvres, ne craignant pas l’oxymore entre devoir et aimer.
L’école occupe enfin une place d’autant plus paradoxale dans cette socialisation
culturelle qu’elle réserve une place marginale aux enseignements artistiques. » Il
s'avère que dans certains pays voisins, comme en Finlande179 par exemple, dans les
écoles deux heures de musique par jour font partie de l'emploi du temps des enfants,
et le temps scolaire est organisé de façon très différente, laissant un temps quotidien
disponible pour les loisirs des enfants comme la musique ou le sport, temps libre que
l'on perçoit parfois difficilement dans les emplois du temps quotidiens des élèves
français. Mais là se pose une toute autre question qui pourrait faire l'objet d'un
nouveau travail de recherche.
Rappelons pour terminer ici que la volonté de démocratisation de l'école passe
idéalement par l'adaptation de l'école à l'élève, et non l'adaptation de l'élève à l'école.
Dans le cadre de l'enseignement musical la même dynamique se retrouve, avec des
méthodes d'apprentissages qui doivent être capables de s'adapter à chacun, non des
publics qui se voient contraints de s'adapter à un cadre méthodologique à prétendue
universalité rigide. Facteur de blocage d'un élargissement des publics de
l'enseignement musical, ces méthodes ne sont pas à supprimer (supprimer le solfège
en soi serait il me semble une absurdité), mais à remodeler, reformuler, réinventer
pour enfin passer d'un enseignement de la musique « pour tous » , dans le sens
d'accessible dans les droits à tous, à un enseignement de la musique « avec tous », les
publics devenant les propres acteurs de leur épanouissement et de leur construction à
travers la pratique musicale.
178 L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles.
179 Entretien professeur de musique finlandaise.
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Conclusion
L'expression « démocratisation de l'enseignement musical » utilisée dans la
présente recherche tente de relier la problématique générale de la démocratisation de
la culture avec le domaine spécifique de l'enseignement musical au travers d’une une
politique publique : le Plan Musique, en Ille-et-Vilaine.
Cette politique menée par le Conseil Général permet d’appréhender un processus,
qui est celui de la traduction de l’idée de démocratisation culturelle dans le domaine
spécifique de l’enseignement musical, grâce à l’observation des deux exemples
étudiés ici qui sont le Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes et
l’association de Musique traditionnelle La Bouèze.
La « démocratisation » se révèle être un « mot-valise » dont les acceptions se
trouvent êtres presque aussi nombreuses que les acteurs du champ de l’enseignement
musical. Le terme est plus ou moins employé selon les structures. Au Conservatoire
il revient de manière beaucoup plus fréquente dans les discours de l’équipe de
direction qu’à La Bouèze. Mais ce qu’il est intéressant de constater au fil des débats
avec les acteurs, c’est que ce n’est pas toujours lorsque l’on aborde le débat autour
de la démocratisation que des réponses, pour favoriser une plus grande accessibilité
à l’enseignement musical, sont mises en avant. En effet le terme de démocratisation
se retrouve moins dans les discours des professeurs de musique que dans celui des
équipes de direction.
Certains d'entre eux ont une idée tout à fait précise d’un frein à l’ouverture, à
l’élargissement des publics de l’enseignement de la musique : les méthodes
d’apprentissage de la pratique musicale les plus répandues aujourd’hui dans les
écoles de musique ne peuvent permettre l’ouverture des publics préconisée par le
Plan Musique. Tout d’abord un apprentissage de la pratique musicale passant par un
apprentissage du solfège préalable à la pratique instrumentale, même si il est
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remplacé aujourd’hui par le terme plus large de « formation musicale », ne peut être
un gage de démocratisation de l’enseignement. L’observation de la réalité montre
effectivement que cette formation brise un certain nombre de vocations musicales qui
auraient pu se développer au sein d’écoles de musique subventionnées : les
abandons consécutifs à une « formation musicale » obligatoire se révèlent être
nombreux.
Sur ce point qui est celui des méthodes d’apprentissage de la musique,
l’observation de deux terrains très différents, La Bouèze et le Conservatoire, apporte
un éclairage intéressant. A des méthodes d’apprentissage très différenciées sont liés
des publics tout à fait différents. Sans porter ici aucun jugement de valeur en termes
d’esthétique musicale, il est intéressant de voir qu’une étude en cours réalisée par
JM. Pichon semble montrer que les personnes ayant appris la musique en passant par
le milieu de la musique traditionnelle jouent souvent tout au long de leur vie, quand
une partie importante les personnes issues d’une formation classique cessent la
pratique instrumentale lorsque se termine leur cursus d’apprentissage. Mais c’est une
autre piste de recherche qui s’ouvre ici…
Les méthodes d’apprentissage se relèvent donc être un élément essentiel à
prendre en compte lorsque l’on parle de démocratisation. Si cet aspect n’apparait pas
dans le Plan Musique, cela résulte du fait que chaque partie, chaque acteur du monde
de l’enseignement de la musique développe ces propres compétences, desquelles
ressort finalement une relative cohérence.
Il s'avère cependant que l'enseignement de la musique, à la croisée des chemins
entre culture et éducation, ne peut s'appréhender uniquement à travers le prisme de la
démocratisation culturelle. L’aspect pédagogique qui le rattache au domaine de
l'éducation ne peut être négligé dans une perspective de démocratisation de
l’enseignement de la musique, un enseignement qui doit, selon l’idéal de
démocratisation, pouvoir être accessible à tous. La distinction posée en introduction
entre « démocratisation culturelle » et « démocratie culturelle » retrouve sa place ici.
Il faut distinguer l’accès à tous, d’un point de vue pratique et financier des études
musicales dans une école telle que le Conservatoire, de la formation de chaque
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personne qui le souhaite à travers la pratique musicale. La construction par tous de
l’enseignement de la musique, selon un idéal de « démocratie culturelle » doit être
favorisée. Cette distinction définie dans le domaine plus large de la démocratisation
culturelle en général retrouve sa pertinence dans le domaine étudié ici de
l’enseignement musical. En subventionnant le Conservatoire, le plan musique permet
à tous de pouvoir financièrement accéder à l'excellence de la formation musicale.
Mais, selon la formule de JC. Wallach, « il est plus que temps de passer de l'
« élitaire pour tous » à « l'égalitaire avec tous ». Rendre accessible une excellence
de l'enseignement artistique à tous est une chose, que chacun puisse trouver la
possibilité de se réaliser à travers un enseignement artistique tel que celui de la
musique en est une autre. Pour l’auteur « Il s’agit de souligner l’urgence d'un (ré)
investissement des institutions artistiques dans les enjeux de nos devenir collectifs et
donc d’une redéfinition de leurs ambitions comme de leurs modalités d’action. »
Le Plan Musique est un exemple encourageant de volontarisme politique en
matière d’enseignement artistique, mais le discours politique qu’il véhicule
actuellement peut remettre en cause des financements historiques attribués à
certaines structures. Il est toujours prudent de conserver un avis réservé sur la
modification d’une politique publique qui, mise en place par une majorité politique,
doit être reprise par une autre. Suivant un axe tout à fait différent ici il pourrait être
intéressant se s’intéresser aux logiques proprement politiques à l’œuvre autour du
Plan Musique. Une enquête sur les processus et dynamiques de « politiquespoliticiennes » autour de l’exemple de cette politique publique ou d’une autre
politique à visée de démocratisation pourrait apporter un autre angle de vue à la
tentative d’analyse organisationnelle qui a été faite ici.
Enfin le Plan Musique œuvre pour un soutien de l’enseignement de la musique
accessible à tous, et avant tout pour un éveil musical à l’école, par le biais des
interventions des musiciens intervenants dans les écoles. Un paradoxe a été soulevé
autour de l’articulation entre l’école et l’enseignement spécialisé de la musique, et le
fossé non comblé entre un éveil dans le cadre scolaire, une sensibilisation, et
l’intégration dans une structure d’enseignement musical comme le conservatoire
pose question. Face aux enjeux de l’enseignement artistique à l’école, il serait
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intéressant suite à ce travail de recherche de s’interroger, dans une perspective plus
éloignée du champ des politiques culturelles, sur l’articulation entre le temps scolaire
et les loisirs extérieurs des élèves en France aujourd’hui.
La réalisation de ce présent mémoire a été source de nombreux aléas et
difficultés, et il me semble évident que lors d’un futur travail de recherche,
j’adopterai une méthodologie plus précise, et je m’attacherai davantage au respect
des contraintes de temps et d’organisation qu’il apparait fondamental de respecter au
vu de l’aboutissement d’un travail de recherche comme celui-ci. La définition tardive
de mon objet empirique a constitué notamment un blocage relatif du travail, et il me
semble qu’une définition plus précise de la problématique, afin de ne pas me perdre
entre divers axes d’études et de questionnement, aurais résolu un certains nombre de
difficultés rencontrées. Enfin j’aurais souhaité réaliser davantage d’entretiens avec
les acteurs du monde de l’enseignement musical, afin de pouvoir assoir mon travail
de recherche sur une palette d’entretiens plus représentative.
Si j’ai beaucoup appris au cours de la réalisation de ce travail de recherche… il
me semble que j’ai encore beaucoup à apprendre sur la méthodologie de la recherche
en sociologie. Mais l’apprentissage est l’histoire d’une vie !
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« La musique commence là où s'arrête le pouvoir des mots »
Richard Wagner, 1813-1883
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Bibliographie
Ouvrages imprimés
– Sous la dir. De L. BOUSSAGUET, S. JAQUOT, P. RAVINET, préface de P.
MULLER, Dictionnaire des politiques publiques, Presses Sciences Po, France,
2004
– CHAMBLAS A. La démocratisation culturelle: mot d'ordre ou « mot valise »?,
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– DARRE A. Musique et politique, les répertoires de l'identité, presses universitaires
de Rennes, 1996
– DONNAT O, Les pratiques culturelles des Français, Enquête 1997. Paris, La
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– DONNAT O. les français face à la culture, de l'exclusion à l'éclectisme, la
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– FLEURY L, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Paris, Armand
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– GANVERT G. L'enseignement de la musique en France, situation, problèmes.
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– LAHIRE B. La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi,
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– VEITL A. et DUCHEMIN N. Maurice Fleuret: Une politique démocratique de la
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– WALLACH J-C, La Culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation
culturelle. Toulouse, éditions de l'attribut, janvier 2006, 120 pages.
Articles de revues et périodiques
– AUTES M. Le sens du territoire, Recherche et prévisions, n°39, 1995
– BURDAN F. L'authenticité musicienne à l'épreuve de la formation et de
l'expérience, éducation et société, n°19, p.177-192. 2007
– COULANGEON P. Le rôle de l'école dans la démocratisation de l'accès aux arts,
revue de l'OFCE, Presses de Sciences Po, n°86, p. 155-159
– DELANNOI G. Portrait politique en musique, Presses de Sciences Po/Raisons
Politiques n°14 p.61-75. 2004
– DUBOST A. L'enseignement musical en Ille-et-Vilaine. La situation actuelle,
propositions pour un plan de développement sur 5 ans. Document Conseil général
35, 1989, 89 pages.
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– LE CROSNIER H. Désintermédiation et démocratie, quelques questions dans le
domaine culturel. Multitudes, n°19, p.143-160
– KRIKORIAN T. Vers un enseignement de la musique plus démocratique, mémoire
CEFEDEM Rhône-Aples 2010, 48 pages.
– MERLE P. La démocratisation de l 'école, le télémaque, P.135-148, 2004
Support numérique
- www.senat.fr. Travaux parlementaires, rapports d'information, par Mme C.
Morin-Desailly au nom de la commission des affaires culturelles.
Décentralisation des enseignements artistiques: des préconisations pour
orchestrer la sortie de crise. Juillet 2008
- www.culture.gouv.fr
- www.laboueze.com
- www.Conservatoire.rennes.fr
 Supports vidéo:
- CAUNE J. Entre démocratisation et démocratie culturelle: quelle politique
pour le théâtre? Conférence midi, 10 février 2011
- (Film) DURAND P.N. Et COTINIER H. It's not a gun, 2008 (Sur la création
d'une école de musique en Palestine.)
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Annexes
I. ENTRETIENS EFFECTUES
Entretiens exploratoires:
▪ Ulla NOUSIANEN, Professeur de piano indépendante à Rennes. Le
23 novembre 2010, à son lieu de travail. (1h30)
▪ Dylan JAMES, Coordinateur pédagogique de l'association la Bouèze.
Le 25 novembre 2010, à la ferme des Gallets à Rennes. (1h45)
Entretiens:
▪ Émilie MANIC, Chargée de mission musique au Conseil Général
d'Ille-et-Vilaine. Le 22 février 2011, dans son bureau aux archives de
Rennes. (40 min)
▪ Jean-Luc
REVAULT,
Professeur
de
musique
traditionnelle,
fonctionnaire de catégorie A, ancien employé de la Bouèze. Le 24
février 2011, dans un café à Dinan. (3h)
▪ Bertrand GOURDY, Élève en DEM (Diplôme d'études musicale) au
Conservatoire de Rennes. Le 10 mars 2011 au Conservatoire, à
Rennes. (30 min)
▪ Franck-Olivier JEDRZEJAK, Responsable du pôle administratif du
Conservatoire de Rennes. Le 30 mars 2011, au Conservatoire de
Rennes. (1h50)
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▪ Bernard HOMMERIE, Vice-président de l'association la Bouèze. Le 5
avril 2011 à la ferme des Gallets à Rennes. (1h30)
▪ Marc CLERIVET, Professeur de musique au Conservatoire de Rennes
et de Brest, enseignant à l'université de Rennes 2, Ethno-sociologue.
Le 14 avril 2011, à Brest. (1h)
▪ Didier LE BOUGEANT, Vice-président du Conseil Général d'Ille-etVilaine, délégué à la Culture. Le 22 avril 2011, au Conseil Général à
Rennes. (20 min)
▪ Ronan PINC, Musicien, élu remplaçant au Conseil Général des Côtes
d'Armor. Le 26 avril 2011, à Ruca (22). (1h15)
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