Enseignement musical et démocratisation
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Enseignement musical et démocratisation
Enseignement musical et démocratisation LE « PLAN MUSIQUE » EN ILLE-ET-VILAINE A TRAVERS LES EXEMPLES DU CONSERVATOIRE DE RENNES ET DE L'ASSOCIATION LA BOUEZE Hélène BEAUVALLET Mémoire de 4e année Séminaire : Action Publique Locale Sous la direction de Philippe Leroy 2010 - 2011 Remerciements Je tiens à remercier sincèrement toutes les personnes qui ont accepté de m'accorder du temps lors d'entretiens et au détour de conversations diverses, elles ont constitué une étape passionnante de mon travail de recherche! Je voudrais remercier M. Philippe Leroy, mon directeur de mémoire, pour son suivi, sa patience, ses conseils bibliographiques avisés et la qualité du séminaire « Action publique Locale ». Mille mercis à mes amis, mes parents, Emma et Bastien pour leur joie de vivre, leur bonne humeur et leur soutien quotidien, sans qui rien n'aurait été possible. Un immense merci à Renaud et maman pour leur aide précieuse à la relecture. A Ulla et Jean-Luc, qui m'ont donné le goût d'apprendre la musique pour la vie. « Ce travail s'inscrit dans le cadre d'un apprentissage de la recherche. Il est donc nécessairement inabouti et présente des imperfections et des insuffisances. Par ailleurs, l'IEP n'entend donner aucune approbation aux informations et aux analyses contenues dans ce mémoire. Elles doivent être considérées comme relevant de la seule responsabilité de l'auteur. » Sommaire Introduction............................................................................................................................6 I. Le « Plan Musique » du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: un objectif de démocratisation affiché...................................................................................................................................21 A. Décryptage institutionnel............................................................................................22 1. Historique de la démocratisation culturelle: une affaire d'État...............................22 2. L'enseignement musical dans un contexte de décentralisation et le rôle du département.................................................................................................................26 B. Le « Plan Musique »: programme phare du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à visée de démocratisation...........................................................................................................29 1. Cas particulier de l'Ille-et-Vilaine...........................................................................30 2. La politique d'enseignement artistique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: Le « Plan Musique »........................................................................................................32 a. Écoles de musique et musiciens intervenants.....................................................32 b. Le Conservatoire et la Bouèze comme exemples...............................................34 C. La démocratisation: un discours politique?.......................................................36 a)Objectif du plan: la « démocratisation » de l'enseignement musical.................36 b) La démocratisation: limites d'un concept...........................................................39 II. La perception de la démocratisation par les acteurs du monde de l'enseignement musical..................................................................................................................................43 A. La démocratisation à travers le référentiel des directeurs de structures.....................44 1. Liens avec les institutions, perceptions et objectifs................................................44 2. Mise en œuvre de l'objectif de démocratisation......................................................47 a. Des politiques concrètes.....................................................................................48 b. Référentiels distincts et complémentarités entre le Conservatoire et la Bouèze. ................................................................................................................................52 B. Professeurs de musique et démocratisation................................................................54 1. Les professeurs de musique: un groupe hétérogène...............................................54 2. Statut spécifique des musiciens intervenants dans un objectif de démocratisation. .....................................................................................................................................58 C. Le public comme notion fondamentale face à l'idée de démocratisation...................60 1. Le public des écoles de musique.............................................................................60 2. La notion de public.................................................................................................62 III. Entre culture et enseignement: Les méthodes d'apprentissage.......................................64 A. Les méthodes d'apprentissage de la musique: une clé pour comprendre une démocratisation difficile..................................................................................................64 1. Le solfège, ou comment faire fuir des « publics »..................................................65 2. Une rigidité qui ferme des portes............................................................................69 B. Paradoxe de l'articulation entre école et enseignement musical.................................73 1. La démocratisation par l'école................................................................................73 2. Un apprentissage scolaire de la musique anti-démocratique?................................78 Conclusion............................................................................................................................82 Bibliographie........................................................................................................................87 Annexes................................................................................................................................89 I. ENTRETIENS EFFECTUES.......................................................................................89 Entretiens exploratoires:.............................................................................................89 2011 4/89 Introduction Si j'ai choisi de travailler sur la musique, c'est d'abord par passion. Qu'elle soit traditionnelle, classique, « amplifiée1 », pratiquée individuellement ou en groupe, sur une grande scène ou au coin d'une rue, j'ai toujours été attirée par l'univers musical et toutes les passions que peut transmettre la musique. Cette fascination m'a poussée jeune à apprendre à jouer du piano, que j'ai pratiqué pendant douze ans, à découvrir la musique bretonne et les fest-noz à travers l'accordéon diatonique, et aujourd'hui à tenter d'apprendre la guitare, instrument qui comparé aux précédents, dans une vie étudiante mouvementée, est beaucoup plus accessible et commun, y compris aux quatre coins du monde! L'apprentissage de la musique est pour moi synonyme de découverte, de plaisir, de rencontres, de fêtes.. mais il semble que cette définition se trouve loin d'être universelle. En effet si pour certains la musique est restée un loisir, si d'autres en ont fait leur métier, pour la plupart elle reste un vague souvenir peu enthousiasment de cours de flûte à bec au collège, où trente flûtes stridentes vous déchirent les tympans sans suivre de mélodie véritablement transcendante. De nombreuses personnes gardent le souvenir d'un apprentissage exigent, perçu plutôt comme un fardeau, imposé par ses parents dès le plus jeune âge, souvent dans une logique de reproduction sociale. S'il est bien entendu ici que tout le monde ne peut pas et ne doit pas être passionné de musique, l'enseignement musical est-il pour autant accessible à tous ceux qui le souhaiteraient? Selon JC. Wallach2, « Le phénomène de « musicalisation » de la société française semble ne pas devoir connaître de limites ». Néanmoins aujourd'hui toujours plus de foyers disposent d'appareils pour écouter de la musique, mais les foyers disposant d'instruments pour en faire sont beaucoup moins nombreux, et les chiffres diffèrent 1 Terme utilisé dans les Conservatoire. 2 JC. Wallach, La culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle.(page 93) 2011 5/89 significativement en fonction des milieux sociaux3. Ainsi selon Michel Scheider4 , « s'il fallait définir l’enjeu des dix prochaines années, je dirais : passer de l’avoir (de biens musicaux) à l’être musicien ; transformer la consommation passive et indifférenciée en pratique musicale. » Il est frappant de constater que, par exemple, à l'Institut d'Étude Politiques de Rennes, le nombre d'étudiants sachant jouer du piano est proportionnellement beaucoup plus important que le nombre d'adolescents qui jouaient du piano dans le collège où j'étais scolarisée. Dans une enquête menée par Olivier Donnat sur les pratiques culturelles des français en 1997, il est possible de voir par exemple que sur 100 personnes sachant jouer du piano, 50 appartenaient à une famille dont le chef de famille entrait dans la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures, et 12 appartenaient à une famille dont le chef de famille entrait dans la catégorie des ouvriers non qualifiés... Selon O. Donnat: « un quart des français sait jouer d'un instrument de musique, [et] le fait que cette proportion est nettement plus élevée chez les plus jeunes (60% chez les 15-19 ans) et qu'elle décline régulièrement dès qu'on dépasse la génération des 25-34 ans indique les progrès continus de l'éducation musicale depuis plusieurs décennies, dans le cadre scolaire et dans celui du temps libre ». Il reste néanmoins évident que le phénomène de reproduction sociale, face à la décision de faire apprendre la musique ou non à son enfant, est toujours d'actualité. Les « progrès continus de l'éducation musicale5 » semblent éloignés de la vision relativement caricaturale, mais cependant loin d'être infondée, d'une pratique élitiste, fondée sur des méthodes d'apprentissage très formelles et ayant peu évolué depuis de nombreuses années, vision qui apparaît très ancrée dans les esprits. Selon le viceprésident du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, délégué à la culture, si l'on compare le chemin parcouru par l'école depuis 30 ans pour s'adapter à de nouveaux publics, où les modes d'apprentissage se sont diversifiés, « dans un Conservatoire ou une école de musique, on apprend toujours comme il y a 40 ans ». Si ces propos méritent d'être 3 État et musique... p.155 4 Cité dans État et musique page 159 5 O.Donnat, Les pratiques culturelles des français Enquête 1997 2011 6/89 précisés et nuancés, ils ont le mérite d'être clairs et d'ouvrir un débat intéressant. A partir de ce constat, existe-t-il une réaction des pouvoirs publics? Quelles institutions se trouvent compétentes pour agir dans le domaine de l'enseignement musical? Agissent-elles et de quelle manière? Comment le large et controversé débat sur la démocratisation culturelle se traduit-il dans le domaine spécifique de l'enseignement musical, l'éveil musical, la sensibilisation et l'apprentissage en lui même? En Ille-et-Vilaine, le Conseil Général a mis en place un « Plan Musique ». Il nait en 1989, de la rencontre entre Pierre Méhaignerie, alors président du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, avec un inspecteur général de la musique qui souhaitait expérimenter un projet musical, A. Dubost. Le Plan Musique s'appelait alors « plan départemental de développement de l’enseignement musical. ». Il s'est ensuite intitulé « Musique en Ille-et-Vilaine », avant de devenir le « Plan Musique ». Mais au delà des changements de nom, ce sont avant tout les objectifs visés par ce plan qui se sont vus modifiés au fil des années, et notamment lors des changements de majorité politique au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. L'actuel délégué à la culture du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine explique ainsi: « Nous avons hérité d'un Plan Musique. Nous n'allons pas l'arrêter, beaucoup de choses ont été mises en place ce serait difficile. Le réorienter, c'est ce que nous avons essayé de faire depuis sept ans. » Il est aujourd'hui clairement affiché par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine que l'objectif du Plan Musique lancé en 2006 , qui subventionne 37 écoles de musique sur le département et 46 postes de musiciens intervenants, est de « démocratiser l'enseignement musical: permettre au plus grand nombre de suivre un enseignement musical, notamment en direction des publics les plus éloignés de la pratique artistique6. » Les objectifs initiaux du plan étaient de parvenir à une couverture maximale du territoire départemental en terme d'offre d'enseignement musical, afin de rendre possible l'accès au plus grand nombre à un enseignement, une expression ou une pratique musicale, quel que soit leur lieu de résidence, et de mettre en place un dispositif de sensibilisation à la musique à l'école. A ces objectifs s'ajoutent et sont mis en avant, des critères de plus en plus précis pour tenter d'atteindre l'objectif de 6 Source; site internet du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. 2011 7/89 démocratisation énoncé. Mais que signifie « démocratiser »? « Mettre à la portée de tout le monde, rendre accessible », nous dit le dictionnaire. Cependant cette définition ne se suffit pas à elle-même, la « démocratisation » est un concept qui fait débat et qu'il est intéressant d'approfondir. Les élus, les musiciens, les directeurs de structures, les professeurs de musique, les élèves... ont-ils tous la même perception de la « démocratisation »? « La démocratisation culturelle: « mot valise » ou mot d'ordre? » interrogeait Alice Chamblas en titre de son mémoire7, qui démontre que la démocratisation culturelle apparaît finalement plutôt aujourd'hui comme un « mot valise »8. Le concept a pu se voir reformulé, on parle par exemple aujourd'hui au niveau de la ville de Rennes plutôt d' « élargissement social des publics », mais une définition peu précise du terme reste toujours problématique. « Derrière ce terme d' « élargissement social des publics », beaucoup plus d'élus et de décideurs se reconnaissent, mais ça n'est pas pour autant qu'ils l'ont mieux défini. C'est souvent ce que l'on retrouve en sociologie, derrière un terme: plus les termes sont polysémiques, plus ils font l'unanimité parce que tout le monde peut y mettre le contenu qu'il souhaite.»9 J.C Wallach, dans dans son essai sur les limites de la démocratisation culturelle 10, dénonce lui une « démocratisation culturelle, dont personne ne parle mais à laquelle tout le monde se réfère », dénonçant l'imprécision d'un terme que beaucoup utilisent comme référence. En ce qui concerne la politique culturelle menée par A. Malraux, il précise que l’expression « démocratisation de la culture » n’est pas toujours employée en tant que telle, mais remet dans tous les cas sérieusement en cause la politique menée. « A défaut de s’exprimer en termes de démocratisation, André Malraux s’exprime donc en termes d’ « accès du plus grand nombre » à la culture. Pour lui, il suffit de mettre l’œuvre en présence du public pour que le miracle s’accomplisse. Cette conception messianique de l’art et de la culture produit une 7 Mémoire de 4ème Année, A. Chamblas La démocratisation culturelle: « mot valise » ou mot d'ordre? 2007 8 Mais si la démocratisation culturelle comme l'entendait A. Malraux est dépassée, A. Chamblas montre que la démocratisation culturelle « sous son sens courant est toujours au centre des politiques culturelles […] C'est un nouveau mot d'ordre. » (page 90) 9 Entretien (F.Jedrzejak) 10 JC. Wallach, La culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle. Page 30 2011 8/89 véritable occultation de la question des dimensions sociales des conditions de cet accès. » Les limites d'une démocratisation de la culture axée uniquement sur l'ouverture de l'accès aux grandes œuvres sont ici dénoncées, cet accès ne se suffisant pas à lui-même. « Traduire l'expression « rendre accessible » dans les mots d'aujourd'hui, c'est évoquer l'aménagement du territoire, la réduction des inégalités géographiques d'accès à la culture, la multiplication de l'offre en postulant que cela agira parallèlement sur la demande. »11 Nous entrons ici au cœur du débat sur la démocratisation que nous tenterons de développer au fil de ce mémoire à travers l'exemple du Plan Musique mis en place en Ille-et-Vilaine, qui peut ici se révéler comme une illustration concrète de la problématique de la démocratisation culturelle, appliquée au domaine spécifique de l'enseignement musical. Lorsque l'on parle de démocratisation culturelle il est important de distinguer deux concepts souvent confondus sous le terme générique de démocratisation culturelle: d'une part la démocratisation culturelle, et d'autre part la démocratie culturelle.12 - La démocratisation culturelle peut se définir comme le processus d'accès aux œuvres légitimes, elle correspond à la diffusion d'œuvres artistiques connues, dans le but de « rendre accessible à tous les œuvres de l'humanité », comme l'avait affirmé André Malraux lorsqu'il était ministre des Affaires Culturelles. - La démocratie culturelle quand à elle est un processus un peu différent, qui consiste à dire que chacun, dans une société démocratique, transparente, doit avoir la possibilité non seulement d'avoir accès aux œuvres, mais également de pouvoir luimême se construire à travers les pratiques artistiques. 11 JC Wallach (page 27) 12 Jean Caune, Entre démocratisation et démocratie culturelle: quelle politique pour le théâtre? Conférence midi, 10 février 2011 2011 9/89 Dans le cas de la démocratisation de l'enseignement musical, force est de constater que c'est plutôt le concept de « démocratie culturelle » qu'il est intéressant d'analyser si l'on s'intéresse aux pratiques musicales quotidiennes de tout un chacun. En effet nous parlerons surtout ici, même ci cela est tout a fait lié à la compréhension et à l'appréciation des grandes œuvres musicales, de la possibilité offerte à chacun de s'épanouir à travers la pratique musicale, possibilité incluse dans l'idée générale de démocratie culturelle. Cependant, le terme de démocratisation culturelle étant celui utilisé génériquement dans les textes nous nous verrons contraints au cours de ce travail de parler de démocratisation pour traduire l'idée de démocratie culturelle. Ainsi, tout en gardant en tête la distinction entre démocratie culturelle et démocratisation culturelle, le terme de « démocratisation culturelle » regroupe ces deux acceptations. Mise en perspective du sujet par rapport aux travaux existants Si de nombreux travaux traitent de la démocratisation culturelle en général, peu d'ouvrages se penchent spécifiquement sur la démocratisation dans le domaine de l'éducation artistique, et de l'éducation musicale de façon encore plus précise. Il apparaît ici intéressant d'essayer d'établir un lien entre un débat déjà très étoffé autour du concept de démocratisation, et une politique publique locale précise, à savoir le Plan Musique en Ille-et-Vilaine, visant un objectif clairement défini de démocratisation. Dans le domaine de la musique, nous reviendrons au cours de la première partie sur la « Politique démocratique de la musique13 » menée par Maurice Fleuret, directeur général de la musique dans les années 1980. Pour Maurice Fleuret, « La création artistique n'est pas l'ornement de la société, elle en est la conscience. »14 13 Titre d'un ouvrage de A. Veitl et N. Duchemin, 2000 (Maurice Fleuret: une politique démocratique de la musique 1981-1986. 14 Cité au début de l'ouvrage de A. Veitl et N.Duchemin. 2011 10/89 Cadre théorique Concernant les cadres théoriques que j'ai privilégiés pour encadrer ma démarche de recherche, il m'a semblé que l'approche organisationnelle des politiques publiques était celle qui correspondait le mieux aux enjeux de mon sujet. L'approche organisationnelle en tant que posture « invite à considérer l'action publique dans son ensemble, autrement dit à ne pas réduire celle-ci aux programmes ayant un contenu, une orientation normative et une dimension coercitive en vue de la résolution de problèmes particuliers sur un secteur donné, mais à traquer cette action publique, à la déceler et à la révéler telle qu'elle se donne à voire dans le travail quotidien, plus routinier, plus « ordinaire » des acteurs engagés dans sa mise en œuvre et dans les relations qu'ils entretiennent entre eux 15. » Ainsi je tenterai au cours de mon travail de ne pas me contenter d'analyser un programme ayant comme orientation normative la démocratisation, et mettant en place un certain nombre de critères pour sanctionner sa réussite ou non, mais d'observer la façon dont cette orientation se traduit quotidiennement pour les acteurs concernés par cette action publique, la façon dont ces acteurs la mettent en œuvre et interagissent entre eux. Il s'agit de comprendre ici comment s'articulent dans les faits l'orientation normative de départ et l'action réelle des acteurs, « l'action « quotidienne». » Michel Crozier fut le premier en France à s'appuyer sur la posture organisationnelle. Au delà d'une posture, l'approche organisationnelle est aussi vectrice d'une méthodologie particulière. La méthode d'analyse et d'interprétation propre à cette posture passe avant tout par l'importance accordée aux acteurs, qui sont appréhendés prioritairement par rapport aux structures, même si ces dernières ne sont pas oubliées. 15 Dictionnaire des politiques publiques, Presses Sciences Po, 2004 2011 11/89 Les acteurs ici concernés par la démocratisation de l'enseignement musical seront principalement les élus, les directeurs d'établissements d'enseignement musical, les professeurs de musique, les musiciens intervenants, les élèves et les publics potentiels. Revenons à l'approche organisationnelle en tant que méthodologie: cette approche favorise « « un cadre interprétatif qui se construit à partir du vécu des acteurs de l'espace d'action considéré » [Friedberg, 1993]. Ainsi, les enquêtes ne sont pas conçues comme des dispositifs permettant de vérifier (pour les infirmer ou les confirmer) des hypothèses formulées en amont: elles visent à utiliser le terrain pour découvrir les modes de fonctionnement collectifs à l'œuvre et leurs fondements. » Le travail empirique occupe donc une place fondamentale. Il est en majeure partie basé sur des entretiens avec les acteurs concernés, entretiens qui conduisent à élaborer une réflexion plus théorique et à émettre des hypothèses issues d'un premier travail de terrain. Si je me suis appuyée sur l'approche organisationnelle pour effectuer mon travail de recherche, il est cependant nécessaire de préciser que je n'ai pas toujours suivi précisément cette méthodologie. En effet, au vu des contraintes de temps imparties, et de difficultés d'organisation, je n'ai pas rencontré, il me semble, un nombre assez important d'acteurs concernés par la démocratisation de l'enseignement musical, et précisément par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine, pour prétendre avoir élaboré une réflexion théorique suffisamment étoffée. Enfin cette réflexion théorique ne s'est pas faite intégralement à la suite du travail empirique. Il m'a été nécessaire d'émettre des hypothèses préalablement aux entretiens que j'ai pu effectuer, celles-ci ont évolué au fil de la recherche. L'approche organisationnelle constitue donc un cadre théorique privilégié pour mon travail de recherche. Cependant, par des apports différents, des distinctions et il me semble des complémentarités, les approches cognitives des politiques publiques ont également influencé ma recherche. En effet les approches cognitives et normatives attachent une importance particulière dans leur analyse des politiques publiques aux « croyances, représentations dominantes et idées plus ou moins 2011 12/89 partagées par les acteurs publics et privés concernés », des aspects qui me semblent primordiaux à analyser lorsque l'on s'intéresse à la démocratisation en matière d'enseignement musical. Quelles sont les représentations dominantes des acteurs concernés par l'enseignement musical? Que pensent-ils de la démocratisation? La perçoivent-ils dans leur quotidien? Quelles croyances se créent dans les différentes structures autour de l'idée de « démocratisation »? Objet d'analyse empirique Le Plan Musique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine s'est révélé être la politique publique centrale de ma recherche. En effet il constitue il me semble un exemple tout à fait intéressant et accessible d'une politique publique à visée de démocratisation dans le domaine particulier de l'enseignement musical. Cet enseignement de la musique présente des caractéristiques propres à approfondir. Les débats sont vifs autour de la politique culturelle du Conseil Général d'Ille-etVilaine actuellement, et le « Plan Musique » en constitue une facette révélatrice. L'actualité est également très mouvementé en ce qui concerne l'échelle départementale, menacée par la réforme des collectivités territoriales. En ce sens l'analyse d'une politique publique particulière se situe au carrefour d'enjeux passionnants qu'elle permet de mieux appréhender, en observant ici par exemple l'impact de la politique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine sur l'enseignement de la musique. De nombreuses écoles de musique sont concernées par le Plan Musique, 37 exactement. Il apparaissait évidemment impossible de s'intéresser à la perception et à la mise en œuvre de l'objectif de démocratisation du Plan Musique dans chacune de ces 37 écoles. Partie de l'idée d'une comparaison entre l'apprentissage de la musique classique et traditionnelle, j'ai souhaité au début comparer les deux établissements 2011 13/89 d'enseignement musical subventionnés par le Plan Musique à Rennes16: Le Conservatoire de Rennes et l'association la Bouèze. Cependant il s'est avéré qu'effectuer une comparaison stricte entre le Conservatoire National à rayonnement régional et l'association de musique traditionnelle la Bouèze était difficile, voire peu pertinent, étant donné de trop grandes différences entre les deux structures. Comme nous le rappelle le langage courant « il faut comparer ce qui est comparable ». Or un Conservatoire tel que celui de Rennes (qui accueille 1400 élèves et est installé rue Hoche à Rennes depuis plus de 100 ans), peut difficilement être comparé directement à une association de musique traditionnelle telle que la Bouèze (qui, née il y a 30 ans, accueille désormais 300 élèves.) Cependant la compréhension de ces deux structures, aussi distinctes qu'elles soient, apporte de nombreux éléments face à la problématique de démocratisation en matière d'enseignement de la musique, centrale ici. Les divergences idéologiques, les points de vue distincts rencontrés au sein de ces deux structures, mais aussi les complémentarités indéniables qui les rejoignent se sont révélés au cour de l'enquête extrêmement intéressantes. Présentation de l'enquête et méthode de travail Le travail de recherche à commencé avant tout par un travail bibliographique, un travail assez large au départ, avec pour objectif la définition du sujet autour de notions clés. Il a été nécessaire dans un premier temps de dégager les prénotions autour du sujet, afin de prendre conscience de la subjectivité de celles-ci. Les premières « questions de départ » émergent alors: Quels acteurs peuvent agir sur le développement de l'apprentissage musical? à travers quelles institutions 17? Quels acteurs ont intérêt à faire développer des pratiques d'apprentissage musical à finalité de démocratisation/ ou bien à finalité de non-démocratisation? Comment se caractérise l'opposition, si elle existe, entre acteurs culturels et acteurs politiques face à l'enseignement musical? Dans quelle mesure le gouffre entre musique classique et 16 Se référer à l'annexe: carte des écoles de musique en Ille-et-Vilaine. 17 Question préalable nécéssaire, mais qui n'est pas une véritable question de fond. 2011 14/89 musique traditionnelle est-il créateur de déséquilibres. Ces nombreuses questions ouvrant à de trop nombreuses problématiques, une des étape les plus difficiles du travail de recherche à été de recentrer les questionnements. Il s'agit dans ce travail d'étudier un processus, c'est-à-dire comprendre comment les acteurs interagissent entre eux, quels sont les jeux d'acteurs qui peuvent être analysés, quelles dynamiques observe-t-on, et quels sont les représentations de ces acteurs pour agir. Les premières hypothèses émergent, qui s'avèrerons être totalement reformulées par la suite. La réalisation de deux entretiens exploratoires, avec une professeur de piano et avec le coordinateur pédagogique de l'association la Bouèze, a permis d'ouvrir la voie au travail de terrain, dans une démarche d'appréhension du terrain d'enquête, avant une définition précise des limites du sujet et une formulation des hypothèses. Ils ont offert une opportunité d'interroger la pertinence du sujet, et de disposer d'éléments factuels avantageux pour la suite des entretiens. Ayant quelque peu tardée à choisir mon terrain d'enquête précis, c'est finalement, la politique menée par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement musical, le « Plan Musique » que j'ai définie comme axe privilégié d'étude. En effet cette politique publique recoupe très nettement la problématique de la démocratisation de l'enseignement musical que je souhaitais analyser, en affichant comme objectif primordial celui de démocratisation. Entre, d'un côté des politiques d'éducation musicale au sein des structures scolaires issues de décisions nationales, qui s'éloignent donc des dynamiques locales, qui nous intéressent ici, et de l'autre, une offre privée d'enseignement musical aussi diverse que variée et peu coordonnée, (professeur indépendant etc.), il m'est apparu plus pertinent de m'intéresser à un niveau intermédiaire à l'action d'une collectivité territoriale: le département. Après avoir pensé aux Côtes d'Armor, j'ai finalement préféré l'Ille-et-Vilaine, pour des raisons de facilité d'accès au terrain, et surtout pour une actualité sur le sujet plus fournie. Le Plan Musique fait de l'Ille-et-Vilaine un département pionnier en matière d'intérêt porté à l'enseignement musical. La dynamique de décentralisation à l'œuvre depuis plusieurs décennies, ainsi que la question actuelle de la réforme territoriale, 2011 15/89 placent le département au cœur d'enjeux aussi complexes qu'intéressants. Concernant le terrain d'enquête, par delà le choix du Conseil Général d'Ille-etVilaine j'ai choisi, comme expliqué précédemment, de centrer mes entretiens autour des deux écoles de musique subventionnées par le Plan Musique à Rennes, l'une publique et l'autre le type associatif, le Conservatoire et la Bouèze. Ainsi mes entretiens se sont déroulés avec des personnes dirigeant ces établissements d'enseignement musical, des professeur de musique, musiciens et élèves. S'ajoutent à cela évidemment les entretiens réalisés avec l'élu du Conseil Général délégué à la culture, et la Chargée de mission musique du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine. Les entretiens constituent le matériau empirique de ce travail de recherche. Ils ont été menées selon une méthode semi-directive, ce qui signifie qu'ils ne sont pas une série de questions/réponses brèves et concises, mais des axes sont donnés à l'interlocuteur, lui laissant largement la possibilité de s'exprimer. Il s'agit d'entretiens compréhensifs, qui visent à comprendre des représentations sociales. Les axes d'entretiens sont les mêmes qui ont été donnée presque à chaque fois. La retranscription intégrale de tous les entretiens, longue mais fructueuse, a donné lieu ensuite à une organisation des points documentés sous la forme d'un tableau présenté en annexe, il est établi en fonction des hypothèses posées. Ce tableau a été réalisé dans le but de faciliter l'analyse en offrant une vision transversale des différents éléments soulevés par chaque acteur, et dans le but également de présenter une vision très synthétique dans de cadre d'un travail de longue haleine où il est facile de se perdre. Le tableau récapitule la fonction/ statut des personnes interrogées, leur objectif global et le public visé par leur action, leur liens avec les institutions, et en particulier le Conseil Général d'Ile-et-Vilaine, leur définition et leur perception de la démocratisation, la mise en œuvre ou non de de l'objectif de démocratisation dans leur activité quotidienne, les liens qu'ils établissent entre démocratisation et méthodes d'apprentissage, les difficultés ressenties face à l'idée de démocratisation, les indices majeurs de démocratisation qui peuvent se détacher des entretiens, et enfin une dernière colonne est consacrée à une analyse sémantique, comptabilisant l'occurrence du terme « démocratisation » ou ses dérivés 2011 16/89 au cours des entretiens. 18 Problématisation du sujet: Comment se traduit l'idée de démocratisation culturelle dans le monde particulier de l'enseignement musical? Quel rôle joue le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, à Rennes par exemple, sur la démocratisation de l'enseignement musical et comment les acteurs concernés par les politiques publiques d'enseignement musical prétendues à visée de « démocratisation » (Directeurs de structures, professeurs de musique, élèves musiciens) perçoivent-ils et mettent-ils en œuvre l'idée de démocratisation avancée par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à travers son « Plan Musique »? Quel sont les facteurs qui pourraient bloquer une éventuelle démocratisation de l'éducation musicale? Hypothèse 1) : La démocratisation est un terme « fourre-tout », qui entraine des perceptions différentes selon les acteurs concernés. Ces distinctions d'acceptation du terme sont à l'origine de dysfonctionnements dans la mise en œuvre d'une politique publique telle que le « Plan Musique ». Ainsi il est possible d'observer un manque de coordination et de cohésion idéologique dans la réalité, et un fossé omniprésent entre les discours et les faits. Un manque d'articulation et une relative sclérose caractérise l'enseignement musical aujourd'hui, rendant les effets de la démocratisation de l'enseignement musical difficilement perceptibles. Hypothèse 2) : L' « Échec de la démocratisation culturelle » communément admis aujourd'hui se retrouve dans le domaine particulier de l'enseignement musical. 18 Se référer à l'annexe 3: tableau. 2011 17/89 L'étude de ce domaine permet une appréhension des enjeux de la démocratisation culturelle par le bais d'un domaine spécifique. Cependant l'enseignement musical, à la croisée des chemins entre le monde de la culture et le monde de l'éducation présente des caractéristiques particulières intéressantes. Dans le sens où il recoupe démocratisation de l'éducation et démocratisation de la culture, les tentatives de démocratisation par l'école constituent l'aspect primordial de la démocratisation de l'enseignement musical. Hypothèse 3): Un politique publique telle que le Plan Musique en Ille-et-Vilaine semble négliger l'importance des méthodes d'apprentissage de la musique et la diversification des pratiques face à l'objectif affirmé de démocratisation. Les facteurs bloquant un processus de démocratisation sont nombreux. Parmi eux les méthodes d'apprentissage de la musique utilisés au jour d'aujourd'hui dans les écoles de musique, Conservatoires et associations peuvent constituer un frein à l'élargissement des publics. Nous analyserons la validité de ces hypothèses au fil du travail qui suit, en nous intéressant dans un premier temps au Plan Musique en Ille-et-Vilaine, caractérisé par un objectif de démocratisation. Nous observerons dans une deuxième partie les différentes perceptions de cet objectif de la part des acteurs du monde musical concerné et la mise en application de cette politique, avant de constater dans une troisième partie que les méthodes d'apprentissage de la musique, dans un enseignement musical à la croisée des chemins entre culture et éducation, constituent un élément clé de la démocratisation. 2011 18/89 I. Le « Plan Musique » du Conseil Général d'Ille-etVilaine: un objectif de démocratisation affiché Au delà de l'accessibilité d'un enjeu local, l'échelle départementale et l'analyse de l'action du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement musical présentent, dans un contexte de décentralisation, un intérêt tout particulier. Le « Plan Musique » mis en place par le Conseil Général fait du département d'Ille-et-Vilaine un des départements pionniers en matière de politique publique d'enseignement musical. Dans ce processus de décentralisation, comment se traduit le principe de démocratisation énoncé initialement à l'échelle nationale? Peut-on constater une harmonie des politiques de démocratisation entre les différentes échelles territoriales? Dans quelle mesure le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine trouve-t-il sa place face à un objectif de démocratisation de l'enseignement musical? Enfin et surtout que doit-on véritablement entendre à travers le terme de démocratisation avancé par les pouvoirs publics? Autant de questions que nous allons tenter d’éclairer dans cette première partie, tout d’abord à l’aide d’un décryptage institutionnel nécessaire à la compréhension de ces problématiques. Nous développerons ensuite les caractéristiques du « Plan Musique » comme programme phare du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine, avant de nous attacher enfin à la perception et à l’utilisation du terme de démocratisation par une collectivité territoriale telle que le Conseil Général et les limites de ce terme. 2011 19/89 A. Décryptage institutionnel Les compétences institutionnelles en matière de politique publique d'enseignement musical restent assez floues, dans la mesure où l'enseignement musical, souvent rattaché à la culture19, constitue une compétence imputable à diverses collectivités. Comme nous le verrons ici, l'idée de démocratisation culturelle est souvent associée à la naissance du ministère des Affaires culturelles, donc à un enjeu national. Cependant la décentralisation a délocalisé la problématique des politiques culturelles vers les collectivités territoriales, et le concept de démocratisation se retrouve aujourd'hui dans les politiques menées localement, notamment par les Conseils Généraux. 1. Historique de la démocratisation culturelle: une affaire d'État. En 1959 est crée le ministère des affaires culturelles, dont la direction est confiée à André Malraux. C'est à ce moment qu'apparaît dans le discours politique l'idée d'accès à la culture pour tous, dans un contexte d'interventionnisme de l'État dans le domaine culturel. Selon un processus historique l'État a constitué un moteur de la définition des politiques culturelles, dans un système français articulé autour d'un État central. Le décret du 10 mai 1982, année ou Jack Lang est alors ministre de la culture, définit les attributions du ministère de la culture comme telles: « Le ministère chargé de la culture a pour mission de permettre à tous les français de cultiver leur capacité d'inventer et de créer, d'exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix. »20 L'État a originellement en France défini les politiques culturelles et imposé leur existence, en leur assignant des finalités. Les politiques publiques de la culture menées à partir du début des années 1960 19 Nous approfondirons par la suite les enjeux d'un enseignement musical situé à la frontière entre le domaine de la culture et celui de l'éducation. 20 JC Wallach p.61 2011 20/89 ont doté la France d'un réseau dense d'équipements et d'initiatives dans tous les domaines relevant de la culture en tant que champ d'action publique21, même si, comme nous le rappelle JC. Wallach dans son essai sur les limites de la démocratisation culturelle, « Malgré cela et qu’on le veuille ou non, les politiques conduites par l'État depuis le début des années 1960 ont bien plus été des politiques de l’art que des politiques de la culture. Ses services se sont bien plus attachés à soutenir la production et les professionnels concernés (les artistes et tous ceux qui participent à la production matérielle des œuvres et à leur diffusion) qu’à se préoccuper véritablement de la question des publics. » 22 Se pose ici un problème central, à savoir l'arbitrage entre les politiques de l'art et les politiques de la culture, trop souvent confondues. L'art, source de questionnement et à la fois d'affirmation et de certitude peut diviser, quand la culture, en tant que construction, peut rassembler. Ainsi « en ne s’acharnant plus à confondre l’art et la culture ainsi que les politiques de l’un et celles de l’autre, on peut s’engager dans des cheminements visant à accomplir le seul objectif qui vaille : offrir l’opportunité et l’accompagnement. Sans opportunité, il n’y a pas de désir possible et sans accompagnement, c’est la réalisation du désir qui n’est guère envisageable. »23 Transposé dans le domaine spécifique de la musique, il s'agit alors d'offrir l'opportunité d'écouter et de découvrir tous types de musique, accompagnée de l'opportunité de pouvoir bénéficier d'un accompagnement pour favoriser l'apprentissage de la musique de ceux qui le souhaitent. Mais parmi la vaste étendue des politiques culturelles quelle place a occupé historiquement la musique? Durant les quelques années qui suivent la création du ministère des affaires culturelles, d'un point de vue administratif la musique est noyée dans la direction des beaux-arts, parmi le théâtre, les lettres... Face au peu d'intérêt porté par le ministère des affaires culturelles à la musique, une commission est réunie à partir de 1962, réunissant deux présidents ni l'un ni l'autre musiciens, G. Picon, philosophe et historien d'art, et E. Biasini, haut fonctionnaire du ministère, directeur du théâtre, de 21 JC. Wallach (...) 22 JC. Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 60 23 Idem page 98 2011 21/89 la musique et des lettres24, les trois étant regroupés. Mais les résultats de la commission ne bouleverserons pas le monde musical. Peu d'efforts sont donc faits en ce début des années 1960 pour mettre en valeur la musique, ce dont se défendra A. Malraux alors chargé des Affaires culturelles: « « Après tout, Messieurs, on ne m’a pas attendu pour ne rien faire pour la musique » tonnait André Malraux de sa voix caverneuse et solennelle, avec une cinglante ironie, à la tribune de l’assemblée. »25 L'année 1966 est crée un nouveau « service de la musique » par le ministère des affaires culturelles.26 En 1970, la musique devient enfin autonome et une certaine importance lui est reconnue avec la création d'une direction indépendante au sein du ministère des affaires culturelles: la direction de la musique, de l'art lyrique et de la danse.27 Les directeurs généraux de la musique vont ainsi se succéder, dont les noms de certains resterons gravés dans les mémoires du monde musical. Marcel Landowski, directeur général de la musique jusqu'en 1974 lance un « Plan de dix ans » définissant les grands objectifs à atteindre concernant la politique musicale de sa direction, dans un contexte de polémique et de nombreux débats autour de la place de la musique et des objectifs de la politique musicale au sein du ministère des affaires culturelles. « A défaut d'adoucir les mœurs, la musique, en ce moment, déchaîne les passions »28 affirme M. Fleuret en mai 1966. Maurice Fleuret quant à lui, directeur général de la musique de 1982 à 1986, marque fortement les esprits de part la politique nouvelle qu'il mène durant 5 ans. Cette politique de la musique se caractérise notamment par une réorganisation administrative à l'intérieur de la direction de la musique, bousculant les relations hiérarchiques et favorisant les dynamiques de groupe29, par la prise en considération de la pluralité des pratiques musicales, instaurée dans les lieux d'enseignement, et par une tentative de concertation avec la pluralité des acteurs de la politique musicale. A. Veitl et N. 24 Etat, Musique et culture, ministère de la culture et de la communication, p.52 25 Idem, page 52 26 Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique, page 35 27 Source: site du ministère de la culture. 28 M. Fleuret, dans Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique. 29 Idem 2011 22/89 Duchemin30 font l'éloge d'une politique de la musique qui cherche à faire coopérer tous les acteurs. Par ailleurs le « souci de pluralisme et de participation de tous les acteurs aux actions en faveur de la musique est indissociable de la décentralisation alors engagée. […] Le développement de la musique en France ne peut donc plus s’effectuer « d’en haut », par le moyen de la planification. L'État doit prendre en compte, dans l’élaboration même de sa politique musicale comme dans ses réalisations, l’ensemble des partenaires concernés : les collectivités territoriales, les divers professionnels de la musique, sans oublier les musiciens amateurs. »31 L'enjeu de coordination entre la politique musicale du ministère de la culture et les politiques des collectivités territoriales est ici mis en avant, accompagné de l'idée de favoriser des politiques musicales locales, ancrées territorialement. Les politiques de la musique sont inclues dans les domaines de l'art et de la culture, pour lesquels le découpage en blocs de compétences se trouve peu approprié. En effet, comme l'explique JC Wallach, « Dans les champs de l’art et de la culture, les questions juridiques et institutionnelles de la définition et de la répartition des compétences entre collectivités publiques ne se pose pas ou peu : de l'État à la commune, elles disposent toutes de compétences très larges et, ainsi, d’une forte capacité d’action. […] Le champ culturel ne se prête pas à un découpage en « blocs de compétence », selon l’expression consacrée. Les politiques publiques de l’art et celles de la culture sont, dans la quasi-totalité des secteurs, des « politiques partenariales ». En jargon de spécialistes, cela se traduit par des « financements croisés », c’est-à-dire que tel ou tel équipement ou projet bénéficie de subventions accordées par plusieurs collectivités publiques. »32 Malgré des compétences peu définies entre l'État et les collectivités dans le champs culturel, les collectivités locales ont longtemps été tenues à distance par l'État et le ministère central des affaires culturelles concernant les décisions essentielles, prises au niveau national. Mais ce schéma a considérablement changé au cours des dernières décennies. Il est nécessaire de noter tout d'abord que, selon une étude datant de 1996, les collectivités territoriales sont devenues aujourd'hui le 30 Dans leur ouvrage Maurice Fleuret, une politique démocratique de la musique. 31 Idem, page 324/327 32 JC Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 113 2011 23/89 premier financeur public de la culture en France33. La part du ministère de la culture s'élève à seulement un quart des dépenses culturelles publiques. De manière générale aujourd'hui, dans la mise en œuvre des politiques publiques, 75% vient de l'action des collectivités territoriales, contre 25 % de l'action de l'État. On a donc assisté à un renversement dans le processus de mise en œuvre des politiques publiques. Les collectivités territoriales se sont dotées d'outils d'expertise, comme nous le verrons à travers l'exemple du Plan Musique en Ille-et-Vilaine, elles présentent de nouvelles capacités d'initiative et d'intervention, à une échelle locale parfois mieux adaptée que l'échelle étatique. Les collectivité territoriales occupent donc une place fondamentale dans les processus d'action publique dans le champs culturel, dans un contexte de décentralisation accentué depuis plusieurs décennies. 2. L'enseignement musical dans un contexte de décentralisation et le rôle du département. Les politiques publiques concernant l'enseignement musical sont à restituer dans une dynamique de décentralisation commencée dans les années 1970, 1980. La décentralisation a permis d'augmenter très fortement la qualité des politiques publiques en France, en améliorant l'efficacité et la proximité, même si il est nécessaire de s'interroger sur l'essoufflement du processus complexe de décentralisation aujourd'hui34. Ainsi, des collectivité territoriales telles que les départements ont pu mettre en place des politiques publiques souvent plus adaptées à la réalité concrète des territoires. Il est intéressant ici lorsque l'on parle de décentralisation de se pencher sur la distinction entre « politique territoriale » et « politique territorialisée »35, dans 33 JC Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle 34 Conférence séminaire Patrick Le Galès 35 Conférence séminaire Marc Rouzeau 2011 24/89 l'objectif de mieux comprendre les interactions entre les collectivités territoriales et l'État. Il existe en effet une nuance entre ces deux concepts36: - Politique territoriale: Dans le cas d'une politique « territoriale », l'intérêt général se constitue au niveau local. L'initiative appartient au local, dans une logique que l'on pourrait caractériser d'une logique de « bottom-up » -Politique territorialisée: Dans ce cas, il s'agit d'une action locale qui est initiée, prescrite au niveau national. La mise en place d'une action publique locale se fait suite à la légitimation d'un point de vue national. Une politique territorialisée fait l'objet d'une impulsion par le centre, mais cette impulsion donne lieu à des ajustements en fonction des contextes locaux37. Concernant le problème qui nous intéresse ici, à savoir la décentralisation des enseignements artistiques, et en particulier des enseignements musicaux, il est possible de parler, dans un premier temps, d'une politique plutôt territorialisée. Effectivement dans un rapport datant de juillet 2008 sur la décentralisation des enseignements artistiques, C. Morin-Desailly parle d'une politique nationale qui est appliquée, soutenue et mise en œuvre par les collectivités territoriales. Le rapport d'information explique ainsi: « La « territorialisation » de la politique des enseignements artistiques, qui aboutit à un maillage dense des établissements, notamment dans le domaine de l'enseignement musical, résulte d'une volonté politique forte de l'État. Toutefois, cette politique nationale a été relayée par les collectivités territoriales, principalement les communes, et portée grâce à leur financements. Il en résulte un héritage riche, mais empreint d'une certaine opacité quant aux responsabilités des différentes collectivités publiques. »38 Cet extrait du rapport illustre à la fois le rôle des collectivités territoriales, sans qui finalement rien n'aurait été possible, et le paysage relativement flou et aléatoire de l'enseignement musical, dont les compétences s'éparpillent entre les diverses collectivités. 36 Autès M. "Le sens du territoire", Recherche et prévisions, N°39, 1995. 37 Conférence du Séminaire Action Locale par M Rouzeau. On doit cette distinction entre politique territoriale et politique territorialisée à Michel Autès. 38 Rapport d'information de la commision des affaires culturelles décentralisation des enseignements artistiques: des préconisations pour orchestrer la sortie de crise. Juillet 2008 2011 25/89 Cependant si la décentralisation a ouvert de nouvelles portes à l'enseignement musical, certaines dynamiques, notamment de création de nouvelles écoles de musique agrées, ont aussi pu avoir des conséquences contre-productives sur les opportunités d'enseignement musical. En effet, dotées de nouvelles compétences, certaines collectivités se sont mises à développer de nombreuses initiatives, telle que la création d'écoles de musique intercommunales par exemple, mais en créant de toutes pièces de nouvelles structures sans véritablement tenir compte des petites structure préexistantes, fragilisant de fait le tissu associatif au niveau local. R. Pinc, musicien et professeur de musique dans les Côtes d'Armor, dénonce le soutien à l'associatif qui a diminué petit à petit avec l'arrivée des conseil généraux dans le domaine culturel, soutient qui a basculé vers des grosses structures comme las Conservatoires ou des grandes écoles de musique. Dans les Côtes d'Armor par exemple le Conseil Général a mis en place des structures comme l'ADDM 39, qui est aujourd'hui Itinéraire Bis, et qui a en fait court-circuité de nombreuses associations en instaurant de nouvelles normes difficiles à mettre en œuvre pour les associations, dans l'enseignement musical notamment. ( Comme par exemple l'obligation d'avoir un diplôme d'État pour enseigner la musique. ) Ainsi « sous couvert d'une grosse aide publique pour la culture, ils phagocytaient toutes les associations ». R. Pinc affirme néanmoins que « La décentralisation c'est vraiment une très bonne chose, après tout dépend de comment elle est faite. Là ça a trop dérivé vers le massacre d'associations. De ce point de vue là, même si ça partait d'une bonne intention, ça a été mal fait. »40 L'article 63 de la loi du 22 juillet 1983 stipule que « les établissements d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique relèvent de l'initiative et de la responsabilité des communes, des départements et des régions »41 , la répartition des compétences n'est donc pas précisée, comme nous l'avons vu précédemment. Cependant en 1984, la création d'un réseau d'écoles de musique départementales concrétise les initiatives des départements en matière 39 Association pour le développement de la danse et de la musique en Côtes d'Armor 40 Entretien Musicien professeur de musique et élu. 41 Loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n°83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, dans Rapport d'information de la commission des affaires culturelles décentralisation des enseignements artistiques: des préconisations pour orchestrer la sortie de crise. Juillet 2008 2011 26/89 d'enseignement musical.42 La loi de décentralisation de 2004 a par ailleurs obligé les départements à mettre en place un schéma sur l'éducation artistique au sens large. Le département se voit aujourd'hui menacé par la réforme des collectivités territoriales, qui vise théoriquement à clarifier les compétences, à simplifier les échelons, en évitant la possibilité de financements croisés confus. Mais la suppression des financements croisés signifie effectivement une simplification, mais également une diminution des financements dans les faits. Au Conseil Général d'Illeet-Vilaine, la question de la réforme territoriale laisse de nombreuses interrogations en suspens concernant le futur proche des activités du Conseil Général. Par ailleurs le budget du Conseil Général a dors et déjà été fortement contraint en 2009, ce qui s'est traduit par une baisse de 10% des subventions pour le Plan Musique, qui cependant à été relativement épargné par rapport à d'autres secteurs, selon la chargée de mission musique du Conseil Général.43 Ces quelques considérations historiques et institutionnelles visent à mieux appréhender une politique publique spécifique menée par le Conseil Général d'Illeet-Vilaine en matière d'enseignement musical, le « Plan Musique », né en pleine période de décentralisation dans le domaine des politiques publiques. B. Le « Plan Musique »: programme phare du Conseil Général d'Ille-etVilaine à visée de démocratisation. Suivant une dynamique de décentralisation, davantage de compétences culturelles se sont vues attribuées aux collectivités territoriales, et notamment aux Conseils Généraux44. Du fait des indications relativement peu précises concernant 42 Idem 43 Entretien chargée de mission musique 44 Si l'enseignement musical n'est pas une compétence obligatoire du département, la loi de décentralisation de 2004 oblige les départements à mettre en place un schéma sur l'éducation artistique au sens large. L'enseignement musical est inclu dans une compétence intitulée 2011 27/89 l'enseignement musical, inclus dans un ensemble plus large qui est l'enseignement artistique en général, l'intervention des conseils généraux en faveur de l'enseignement musical varie en fonction des départements. En Ille-et-Vilaine, l'enseignement musical s'est vu favorisé par une politique publique pionnière: le « Plan Musique ». Ce plan a évolué depuis sa création, vers la recherche d'une démocratisation accentuée de l'enseignement musical à l'échelle du département. 1. Cas particulier de l'Ille-et-Vilaine Le département d'Ille-et-Vilaine a été un des deux premiers départements à consacrer autant de budget à l'enseignement de la musique 45, il fait donc partie des départements les plus investis dans l'enseignement musical46. Cet investissement se traduit par le Plan Musique. Né en 1989 il est encore en place aujourd'hui, et a connu reformulations et nouveautés au fil des années. La politique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en matière d'enseignement musical, très volontariste, est reformulée, recadrée suivant les différents « plans »47. Le dernier « Plan Musique » a été lancé en 2006, et il arrive aujourd'hui à terme, en 2011. Une évaluation de ce plan réalisée par un cabinet d'expertise est en cours, dont les résultats devraient rester internes au Conseil Général48. Suite à cela un nouveau plan sera mis en place à compter de 2012. L'évaluation en cours du Plan Musique vise à définir si les objectifs de démocratisation fixés par le Plan Musique, à travers des conventions signées entre le Conseil Général et les différentes structures d'enseignement musical, ont été atteints ou non au bout de cinq ans. Il peut apparaître dommage que les résultats de l'évaluation ne soient établis que dans un futur très proche, à savoir avant l'automne 2011, et qu'ils ne puissent être rendus publics. Cependant l'intérêt de la présente 45 46 47 48 organisation et financement de l'enseignement artistique initial, compétence transférée par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales aux régions et aux départements. Entretien M. Clérivet Depuis la mise en place du Plan Musique, le département engage chaque année 4,2 millions d'euros pour l'enseignement musical. La politique du Conseil Général en matière d'enseignement musical s'intitulait à sa naissance « Plan départemental de développement de l'enseignement musical », pour s'appeler ensuite « Musiques en Ille-et-Vilaine, avant l'appellation d'aujourd'hui qu est celle de « Plan Musique ». Entretien Chargée de mission musique au Conseil Général. 2011 28/89 recherche n'est pas d'évaluer une politique publique telle que le Plan Musique en Illeet-Vilaine, mais bien de comprendre les mécanismes et les jeux d'acteurs à l'œuvre autour de cette politique, l'application, la mise en œuvre et la traduction concrète de l'objectif de démocratisation par les acteurs concernés. La méconnaissance des résultats de l'évaluation ne bloquera donc pas le travail de recherche. Lorsque la volonté d'un investissement conséquent du Conseil Général d'Ille-etVilaine dans l'enseignement musical voit le jour en 1989, elle vient du président du Conseil Général de l'époque, P. Méhaignerie et de l'inspecteur général de la musique A. Dubost. Il est alors décidé de faire de l'enseignement musical un pilier de la politique culturelle du département. Cet ancrage fort de la politique culturelle du Conseil Général sur la musique se retrouve encore aujourd'hui, ce qui est remis en cause par les élus actuels issu du bord politique opposé. Il est prudent de garder des réserves dans un contexte d'opposition politique qui peut être parfois systématique entre des conseils généraux successifs. L'actuel délégué à la culture du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine formule cependant des remarques intéressantes sur cette place de premier plan accordée à la musique. Selon lui ce choix effectué de la musique: « C’est un choix de classe, un choix de droite. Car la musique classique pour une certaine partie de l’opinion, notamment celle de la majorité de l’époque, c’était ça. Le théâtre, ou la danse, ou les autres expressions artistiques sont plus porteuses d’interpellation du monde, de contestation du monde, que la musique, et en plus la musique comme ils la conçoivent, c’est-à-dire un apprentissage musical très très traditionnel49. » Le point de vue est catégorique et peu enthousiaste sur la place de la musique dans la société, ainsi que le rôle de contestation qu'elle peut aussi jouer, cependant il soulève de nombreuses questions, dont le financement public principal d'un seul type de musique, que l'on pourrait qualifier de musique classique, ou de musique « académique50 », que l'on apprend dans le cadre d'un apprentissage musical « très très traditionnel. » A l'heure actuelle 56% du budget de la culture en Ille-et-Vilaine est accordé à la musique, ce que le délégué à la culture affirme être « un véritable 49 Entretien vice président du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, délégué à la culture. 50 Entretien Musicien (Ronan Pinc) 2011 29/89 scandale en terme de diversité et de choix51. » Il dénonce le soutien à une seule pratique esthétique. Il faut néanmoins noter que, malgré une grande importance occupée par celle-ci, le Plan Musique ne subventionne pas uniquement la pratique de la musique classique, et que même à l'intérieur du Conservatoire par exemple il existe la possibilité de découvrir d'autres esthétiques musicales que celle de la musique classique. (Nous développerons cet aspect plus en détail par la suite.) Un éclairage sur les dispositions précises du Plan Musique en Ille-et-Vilaine s'impose afin de mieux en comprendre les enjeux. 2. La politique d'enseignement artistique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: Le « Plan Musique ». Comment se caractérise le Plan Musique? Quelles structures subventionne-t-il? C'est à ces questions que nous répondrons dans les paragraphes qui suivent. a. Écoles de musique et musiciens intervenants. Le Plan Musique lancé en 2006 se caractérise par deux grandes lignes directrices, d'une par le soutien aux écoles de musique, et d'autre part le financement de l'action des musiciens intervenants dans les écoles. - A travers le soutien aux écoles de musique, ce sont 37 écoles de musique, publiques ou associatives qui reçoivent des subventions du Conseil Général. Ces écoles sont réparties sur tout le territoire du département, l'objectif étant aussi d'éliminer les « zones blanches52 » sur le territoire en terme d'enseignement musical. Environ 16 000 élèves se trouvent actuellement inscrits dans ces 37 écoles de musique. Des conventions sont signées avec les écoles de musique, visant à prendre en compte les objectifs établis par le Conseil Général: la démocratisation de l'enseignement, le développement des politique tarifaires, la proximité des lieux d'enseignement, la qualification des équipes pédagogiques, le développement de la 51 Idem 27 52 Entretien chargée de mission musique au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. 2011 30/89 pratique collective sous toutes ses formes 53...) Les aides au fonctionnement attribuées aux écoles de musique varient en fonction des structures et de leurs caractéristiques spécifiques (nature, taille), et une aide renforcée est attribuée à trois écoles de musique traditionnelle (dont la Bouèze) et à douze écoles de musique se trouvant dans des zones géographiques à forte dominante rurale54. Il est possible de remarquer l'attention particulière portée à une répartition équilibrée de l'offre sur le territoire. - Le second volet du plan concerne les musiciens intervenants. En effet, dans le cadre du dispositif « musique à l'école », le Conseil Général subventionne l'action des musiciens intervenants et des professeurs coordinateurs. Les musiciens intervenants, communément appelés « Dumistes », car il possèdent comme diplôme le DUMI (Diplôme universitaire de musicien intervenant), sont des musiciens polyvalents qui interviennent dans les écoles et les collèges dans un objectif de sensibilisation. Comme nous le verrons par la suite, lorsque l'on parle de démocratisation aux acteurs de l'enseignement musical, ce sont les activités d'intervention dans les écoles qui sont très souvent mises en avant. Les musiciens intervenants à Rennes sont administrativement rattachés à la ville de Rennes, mais leurs bulletins de payes sont intégralement financés par une subvention que le Conseil Général verse à la ville de Rennes 55. Par ailleurs, chaque musicien intervenant est rattaché à une structure, à une école de musique. Au Conservatoire de Rennes, les musiciens intervenants sont au nombre de huit. Deux musiciens intervenants travaillent au sein de l'association de musique traditionnelle la Bouèze. Enfin le Plan Musique en Ille-et-Vilaine subventionne également des postes de coordinateurs, ces postes ayant pour objectif, sous la responsabilité des directeurs des établissements d'enseignement musical, de préparer les partenariats et d'accompagner la définition des actions des musiciens intervenants56. 53 Communiqué de presse du Conseil Général, janvier 2007 54 Idem 55 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. Cette subtilité « administrativo-financière » pose la question de savoir ce qui se passerait pour les musiciens intervenants en cas de révision du Plan Musique et de baisse des financements, à savoir si les subventions seraient compensées par la ville de Rennes ou non. 56 Charte des musiciens intervenants en Ille-et-Vilaine. 2011 31/89 Le Plan Musique intervient sur des écoles du musique à travers tout le département, de Cancale à Redon et de Montauban de Bretagne à Vitré57. Cependant étant impossible dans le cadre de ce travail de recherche de s'intéresser à la perception et à la mise en œuvre de l'objectif de démocratisation dans toutes ces écoles, comme indiqué en introduction nous nous concentrerons ici sur les structures subventionnés par le Plan Musique à Rennes. b. Le Conservatoire et la Bouèze comme exemples. Au niveau de la ville de Rennes, le Plan Musique du Conseil Général d'Ille-etVilaine subventionne deux structures d'enseignement musical, une école de type public et une école de type associatif: le Conservatoire National de Région et l'association la Bouèze. Ces deux structures sont très différentes et ne peuvent être analysées en terme de stricte comparaison, mais elles présentent chacune des caractéristiques propres intéressantes pour comprendre les enjeux de la démocratisation de l'enseignement musical. • LE CONSERVATOIR DE RENNES Le Conservatoire de Rennes est un Conservatoire à Rayonnement Régional, c'est actuellement le seul en Bretagne. C'est un établissement d'enseignement artistique en musique, danse et théâtre. Le Conservatoire de Rennes est donc une structure de taille conséquente, dans laquelle sont employés 90 enseignants, et 25 personnels administratifs et techniques. 1400 élèves sont inscrits au Conservatoire. Parmi ces élèves, les trois quarts ont moins de 16 ans, et contrairement aux idées reçues à peine 10% des élèves se destineront par la suite à une carrière professionnelle 58. L'établissement propose des études diplômantes, mais également des études non diplômantes, à travers des initiations et des ateliers. Cependant la grande majorité des activités proposées présentent comme limite d'âge conseillée 20 ans.59 57 Cf. annexe 2: carte des écoles de Musique en Ille-et-Vilaine. 58 Source: entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire. 59 Plaquette du Conservatoire de Rennes. 2011 32/89 Le Conservatoire de Rennes est installé depuis 102 ans rue Hoche, occupant une place historique dans le paysage musical rennais. Il est financé à 10% par les droits d'inscription, 10% viennent du financement de l'État via la DRAC 60 Bretagne, 60% des financements sont assurés par la ville de Rennes, et le Conseil Général d'Ille-etVilaine participe à hauteur de 20%. Ce pourcentage constitue une part plus importante dans le cas du Conservatoire de Rennes que dans d'autres Conservatoires, ou les subventions des conseils généraux s'élèvent aux alentours de 10 ou 12%. 61 L'activité du Conservatoire est donc activement soutenue par le Conseil Général d'Ile-et-Vilaine à travers le Plan Musique. • L'ASSOCIATION LA BOUEZE L'association la Bouèze est née il y a 30 ans, de l'idée de faire vivre et de transmettre le patrimoine oral de haute-Bretagne, à travers notamment la musique, le chant et la danse. la Bouèze, qui regroupe une vingtaine de professeurs de musique dispense des cours réguliers de musique traditionnelle et organise des stages à Rennes, mais aussi dans diverses communes du département. Les bureaux de l'association se situent à Rennes dans le quartier des Longs Champs, à la ferme des Gallets. Une des particularités de la Bouèze en tant que structure d'enseignement musical est qu'elle dispense des cours souvent collectifs, et sans apprentissage du solfège ou formation musicale préalable nécessaire à la pratique instrumentale. Les cours sont collectifs et ouverts à toutes les classes d'âge. En ce qui concerne l'intervention de musiciens dans les écoles, la Bouèze travaillait déjà sur des activités de sensibilisation dans les écoles avant la mise en place du statut de « Dumiste62 ». L'association présente donc des caractéristique intéressante dans le cadre du « Plan Musique », du fait de sa présence sur tout le territoire du département et son activité. Ce sont donc ces deux écoles du musique, le Conservatoire de Rennes et la Bouèze, 60 Direction Régionale des Affaires Culturelles 61 Entretien avec le Responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. Ces chiffres sont à prendre comme des ordres de grandeur. 62 Musiciens intervenants titulaires du DUMI (diplôme universitaire de musicien intervenant.) 2011 33/89 qui ont été choisies par le Plan Musique pour incarner l'objectif de démocratisation de celui-ci, deux écoles définies comme « les plus structurantes » par la Chargée de mission musique du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine63. Il est intéressant désormais de s'interroger sur la formulation de l'objectif de démocratisation dans les politiques culturelles, la signification et les limites de ce concept employé ici par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. C. La démocratisation: un discours politique? La démocratisation, vectrice d'une charge symbolique considérable, peut parfois se percevoir comme un discours politique malléable utilisé comme légitimation des politiques culturelles menées par les élus, cachant parfois une réalité moins utopiste que le terme. Dans tous les cas, elle est source de nombreuses controverses, toujours d'actualité. a) Objectif du plan: la « démocratisation » de l'enseignement musical. A travers les deux volets du Plan Musique, à savoir le soutien aux écoles de musique et le financement des postes de musiciens intervenants, le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine affirme un objectif fondamental, qui est celui d' « offrir à tous l'égalité d'accès à une éducation artistique musicale et ainsi permettre au plus grand nombre de s'inscrire dans une pratique autonome d'amateur 64. » La majorité départementale actuelle entend « aller plus loin dans la démocratisation de l'accès à l'enseignement musical en faisant porter l'effort sur les territoires et sur les publics les plus éloignés de la pratique artistique, pour des raisons sociologiques et/ou géographiques. » En gardant un plan dont l'initiative date de l'ancienne majorité, le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine actuel à redéfini et reformulé les objectifs du plan, en cherchant à aller vers une plus grande démocratisation de l'enseignement musical. 63 Entretien Chargée de mission. 64 Communiqué de presse, janvier 2007 2011 34/89 Selon la chargée de mission musique du Conseil Général65, la démocratisation passe aussi par l'élimination de « zones blanches » sur le territoire du département, et le Plan Musique tend à inciter une meilleure répartition de l'offre d'enseignement musical en Ille-et-Vilaine. On retrouve ici le rôle d'aménagement du territoire qui est celui du département. Le Conseil Général affirme donc cet objectif, et fait appel à un cabinet d'expertise, pour évaluer cette politique, pour en mesurer le réel impact, constater si les objectifs de démocratisation ont été atteints ou non. Comme l'affirme D. Wallon66, « Les collectivités locales se sont dotés depuis longtemps de capacités d’expertise. Elles savent qu’il leur appartient de prendre des risques. Elles savent aussi qu’elles sont désormais les mieux placées pour « susciter la réactivité réciproque entre offre artistique et demande sociale ». Les collectivités locales agissent et « se prennent en main » conscientes de leurs capacités et de la pertinence de leur échelle d'action. Le Conseil Général s 'attache donc aujourd'hui à évaluer son action de démocratisation en matière d'enseignement musical. En ce sens, des critères d'évaluation ont été définis, autour de la base des catégories socio-professionnelles. Pour les écoles de musique, un taux est à atteindre au niveau des catégories socio-professionnelles du territoire où elles exercent.67 Il s'avère plus précisément que l'indicateur mis en place lors de la dernière convention, (2007-2011) est basé sur la nomenclature de l'INSEE 68 des professions et catégories socio-professionnelles de la famille de l'élève, mais des regroupements ont été faits et l'indicateur de démocratisation prend en compte 3 catégories: la catégorie favorisée, moyennement favorisée et peu favorisée. Suite à cela, il est défini par un des articles de la convention signée entre le Conseil Général et le Conservatoire, que au début du plan un tel pourcentage de « peu favorisés » sont inscrits au Conservatoire, et qu'à la fin du plan ce pourcentage ait augmenté de tant. Cette méthode d'évaluation permet ainsi de disposer de chiffres précis sur une évolution entre le début et la fin du Plan. Cependant JC. Wallach nous rappelle 65 Entretien Chargée de mission musique 66 Entretien cité dans JC Wallach, La culture, pour qui? 67 Entretien chargée de mission musique. Pas plus de présicions de la part du Conseil Général d'ile-et-Vilaine ne m'ont été données sur la méthode d'évaluation du plan. 68 1) Agriculteurs exploitants 2) Artisans, commerçant et chefs d'entreprise, 3) Cadres et professions intellectuelles supérieures, 4) Professions intermédiaires, 5) Employés 6) Ouvriers, 7) Retraités, 8) Autres personnes sans activité professionnelle. 2011 35/89 pertinemment que « Nous ne nous méfions jamais assez de nos outils statistiques. Ils sont très souvent pauvres. Plus exactement, ils décrivent ce que nous leur demandons de décrire.69 » Il est possible de s'interroger sur les limites d'un tel outil de « mesure » de la démocratisation . En effet il semble difficile de mesurer les politiques de démocratisation mises en place par le Conservatoire de Rennes au vu d'une évolution chiffrée très sommaire. Celle-ci ne prend en compte qu'un aspect des mesures à visée de démocratisation mise en place par le Conservatoire qui est l'indexation des tarifs d'inscription sur catégories socio-professionnelles des parents des élèves inscrits. Concernant l'impact de la baisse des tarifs proportionnelle du Conservatoire, celui-ci ne constitue qu'une partie du problème. « En schématisant on pourrait être gratuit, je pense que nous aurions les mêmes usagers. »70 Nous reviendrons par la suite sur les mesures prises par le Conservatoire de Rennes dans un objectif de démocratisation. Concentrons nous désormais sur une définition plus précise et une analyse sémantique du terme de démocratisation. Le mot « démocratisation » revient fréquemment dans l'entretien réalisé avec la chargée de mission musique du Conseil Général pouvant être employé comme un « mot -valise » servant à légitimer en continu l'action menée par le Conseil Général. En effet selon la chargée de mission musique du Conseil Général la démocratisation se rattache à un objectif d'égalités des chances et une fonction de lien social, et la démocratisation de l'enseignement musical se défini par l' « ouverture à des publics qui n'ont pas forcément accès à l'enseignement musical 71», courte définition qui peut éventuellement montrer une utilisation du terme dans le langage courant de Conseil Général, la démocratisation constituant le fil directeur des politiques culturelles menées par la majorité de gauche actuellement au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. Le concept de démocratisation déchaîne davantage de passions chez le délégué à la culture du Conseil Général, qui adopte une posture plus précise sur le sujet. Selon D. LeBougeant « la démocratisation culturelle, c'est permettre à tout à chacun non seulement d'avoir accès à une pratique artistique, mais c'est de permettre d' 69 JC. Wallach, Essai sur les limites de la démocratisation culturelle, page 44 70 Entretien. 71 Entretien. 2011 36/89 « éveiller le goût à » car on est trop sur l'offre, et on sait que cette offre est captée par une très petite part de la population. 72» D. Le Bougeant développe une posture critique sur la démocratisation culturelle, et ici la démocratisation de la musique telle qu'elle à été fait, tout en utilisant dans le même temps le terme de démocratisation pour caractériser et légitimer se propre action en matière de politiques culturelles. Il dénonce également le « relativisme culturel » dans une situation qu'il caractérise d' « échec de la démocratisation » : Il y a un discours que je ne supporte plus, c'est le relativisme, c'est-à-dire dire que tout se vaut. […] Mais quand a-t-on donné les moyens les codes? quand a-t-on donné les moyens à l'école? pour justement que les classes populaires s'extraient de leur condition et qu'elles aient accès à d'autres œuvres, et que 1) elles se sentent autorisées à y aller, et que 2) « on éveille une sensibilité à ». Il n'y a pas de fatalité. »73 Qu'en est-il vraiment de l'idée de l' « échec de la démocratisation »? Les différentes facettes et acceptions de la démocratisation tracent les limites d'un concept complexe. b) La démocratisation: limites d'un concept Comme évoqué en introduction, le concept de démocratisation pose tout d'abord problème de part la symbolique qu'il traduit, la polysémie qu'il cache et les différentes acceptations qu'il entraîne. « Véhiculant des charges symboliques à ce point fortes qu’ils [les mots « démocratie », « démocratisation », « populaire »] peuvent créer l’illusion d’un consensus sur leur signification, ces mots ne sont jamais définis. Tout semble se passer comme si il n’était pas nécessaire de le faire. Or c’est bien là que le bât blesse : à force de ne pas être mis en débat, les mots du type de ceux-là deviennent des « mots-valise » (Philippe Henry au cours d’une réunion de travail), des mots derrière lesquels peuvent se cacher de multiples réalités, c’est-à-dire une réalité, ou presque, par personne les prononçant. Le 72 Entretien Délégué à la Culture 73 Idem 2011 37/89 meilleur moyen d’occulter un débat est de jouer simultanément sur deux registres : il faut à la fois ne pas le poser (donc l’évacuer par le silence) et accréditer l’idée qu’il ne se pose pas, c’est-à-dire affirmer que les réalités évoquées sont universelles et que la valeur intrinsèque de cette universalité, voire son caractère sacré pour certains, disqualifie toute tentative de mise en débat. Malheureusement, il n’est est rien. Il faut se rendre à cette évidence, « démocratie », « démocratisation », « populaire » sont des mots dont le sens varie dans le temps et dans l’espace. Ces mots sont aussi des armes redoutables dans les luttes qui se développent dans le champ du politique et, pour ce qui nous concerne ici, dans les champs de l’art et de la culture. »74 Aujourd'hui il apparaît intéressant de se pencher sur l' « échec de la démocratisation » récurrent dans les débats autour des politiques culturelles. Contre un « échec de la démocratisation » souvent appréhendé comme une évidence : L. Fleury affirme que « la démocratisation de la culture a connu des espaces d’incontestables réalisations, comme le montre les enquêtes s’intéressant aux institutions culturelles. 75» « De la coexistence entre égalité de droit et inégalités de fait procède la dénonciation par Marx de la contradiction entre « droits formels » et « droits réels ». L'idéal de démocratisation de la culture a cherché à dépasser cette contradiction.76 » Il est rappelé ici la charge symbolique que véhicule l'idéal de démocratisation. Cependant L. Fleury précise également que « La démocratisation de la culture a fourni une valeur de référence pour juger des politiques culturelles. Cette conception des politiques insiste sur leur dimension instrumentale, plus que constitutive d’un ordre politique et social et considère dès lors la question de la culture en termes de coût et d’accessibilité. 77» Dans ce sens la démocratisation de la culture se transforme en une question technique. Enfin l'auteur voit lui le discours récurrent d’ « échec de la démocratisation » comme un discours « dissimulant mal une perspective plus idéologique d’invalidation du projet même de démocratisation.» 74 75 76 77 JC Wallach, La culture, pour qui? page 42 L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. page 73 Idem. Page 77 Idem. Page 79 2011 38/89 Il ne suffit pas de parler d'échec de la démocratisation, voire de constater celui-ci, une réflexion plus profonde s'impose. En effet M. T François Poncet s'interroge: « Quelle contribution apportons-nous aux débats en cours quand nous témoignons de l’échec de la démocratisation de la culture ? » « L’enjeu aujourd’hui, c’est de « régénérer la demande sociale de culture 78» c’est-à-dire de retrouver une dynamique et une relation de sens comparables, toutes choses égales par ailleurs, à celle qui s’est développée il y a plus de quarante ans. 79» Les difficultés rencontrées face à l'idéal de démocratisation constituent le reflet d'un problème de société profond qui s'étend bien plus loin que le domaine de la culture. B. Gourdy, élève au Conservatoire de Rennes définit simplement la démocratisation culturelle de la façon suivante: « La démocratisation culturelle, je pense que c'est comme la démocratisation dans tous les domaines, c'est foireux dès les début parce qu'on n'a pas réussi à bien changer la société, ça marche très vaguement, mais vraiment très vaguement.80 » J.C Wallach nous rappelle que dans les années 1960, 1970, on se trouvait dans un contexte de « puissant mouvement de « mobilité sociale ascendante » comme disent les sociologues, « tu seras pharmacien parce que papa ne l’était pas » chantait Jacques Brel. Même si la profession choisie par notre Belge national n’est pas véritablement représentative de ce qui se passe alors, (mais Jacques Brel n’était pas sociologue !) la réalité est là. 81» Trente à quarante ans plus tard, l'ascenseur social est tombé en panne. Dans ce contexte la culture correspond à un « élément déterminant dans la mise en mouvement de la société française.82 » La démocratisation culturelle, dans laquelle se retrouve la démocratisation de l'enseignement de la musique qui nous intéresse dans cette étude, constitue un objet de débat, et ce encore aujourd'hui, débat qui met en scène divers acteurs. 78Marie Thérèse François Poncet, entretient avec l’auteur, automne 2005 79 80 81 82 JC Wallach, La Culture, pour qui? page 12 Entretien élève en DEM (Diplôme d'études musicales) au Conservatoire de Rennes. JC Wallach, La Culture, pour qui? Page 23 Idem. Page 24 2011 39/89 Dans l'évocation du jeux des acteurs sociaux impliqués dans la politique publique de démocratisation de l'enseignement musical qu'est le Plan Musique, nous nous sommes donc intéressés aux élus, et à la définition de l'objectif de démocratisation du côté des pouvoirs publics. Il s'agit désormais de nous intéresser aux acteurs des politiques d'enseignement musical non encore entrés en scène: les directeurs d'établissements d'enseignement musical, les professeurs de musique, les apprentis musiciens... c'est-à-dire toutes les personnes engagées dans des démarches professionnelles, militantes, amateur, dans le domaine de l'enseignement musical. 2011 40/89 II. La perception de la démocratisation par les acteurs du monde de l'enseignement musical. La « démocratisation » de l'enseignement musical est aujourd'hui l'objectif primordial mis en avant par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine. Nous avons pu constater que les controverses sont nombreuses autour du concept de démocratisation employé par les élus dans la définition des politiques culturelles, et qu'il soulève des interrogations aussi nombreuses que les acceptions variables du terme. Le Conseil Général impose donc, à travers le Plan Musique, une démocratisation de l'enseignement musical. Mais comment cet objectif se voit-t-il mis en œuvre concrètement? Dans quelle mesure les structures d'enseignement musical, seules maîtres à bord pour tenter de démocratiser l'accès et l'enseignement musical qu'elles dispensent, tentent-elles d'appliquer cet objectif? Avant tout comment les directeurs de structures et les professeurs de musique, perçoivent-ils cet objectif de démocratisation? Quelle est leur propre vision de la démocratisation? C'est ce que nous allons tenter d'analyser tout au long de cette deuxième partie, en analysant tout d'abord, l'objectif de démocratisation à travers les référentiels des directions des deux structures qui nous intéressent ici, à savoir le Conservatoire et la Bouèze. Nous nous attacherons ensuite à l'analyse de la démocratisation du point de vue des professeurs de musique, avant de développer la notion de « public », indissociable de l'idée de démocratisation. 2011 41/89 A. La démocratisation à travers le référentiel des directeurs de structures. Les équipes de direction du Conservatoire de Rennes ou de la Bouèze sont des acteurs de premier plan, face à la mise en œuvre de la politique publique à visée de démocratisation du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine: le Plan Musique. En effet elles constituent l'articulation entre la politique publique qui est énoncée à l'échelle du Conseil Général, par les élus, et la mise en place de cette politique au sein de leurs structures d'enseignement musical. « L'objectif de démocratisation imposé par le Conseil Général va s'articuler par le projet d'établissement83 », explique un professeur de musique, c'est à la direction que la définition de la politique de l'établissement appartient. Elle dépend de la perception qu'ont les directeurs de l'objectif de démocratisation, perception qui peut varier en fonction des structures. Ainsi les directeurs des écoles de musique sont garants du lien avec les institutions, et l'objectif de démocratisation se traduit par les politiques d'établissement qu'ils définissent. 1. Liens avec les institutions, perceptions et objectifs Le Conseil Général définit des critères à respecter, qui se retrouvent dans les conventions signées par les différentes parties. Le Conservatoire et la Bouèze sont contraints de respecter les objectifs établis par la convention s'ils veulent continuer de recevoir les subventions de la part du Conseil Général, subventions capitales pour leur fonctionnement. Cependant ces subventions, malgré un Plan Musique qui se termine cette année et qui n'est pas encore complètement évalué, ont dors et déjà été revues à la baisse récemment dans un contexte de restrictions budgétaires du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine. 83 Entretien Professeur de musique du Conservatoire. 2011 42/89 Il apparaît très nettement, si on s'attache à une analyse sémantique des entretiens réalisés, que le mot « démocratisation » et ses dérivés est beaucoup plus présent dans le discours de l'équipe de direction du Conservatoire que dans celle de l'association la Bouèze84. Le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes rappelle que le fait de parler de démocratisation est relativement nouveau, « une culture élitiste est complètement battue en brèche maintenant par cet objectif de démocratisation. Il aurait été aberrant, il y a encore même 50 ans, que l’on parle de démocratisation. Alors qu’aujourd’hui cela paraît tellement évident ! »85 L'acception du terme est positive, et heureusement, comme le souligne cette personne de l'équipe de direction du Conservatoire, l'objectif actuel de démocratisation est partagé par les différents financeurs du Conservatoire. Si la ville de Rennes parle plutôt d' « élargissement social des publics » quand le Conseil Général et la DRAC 86 parlent de démocratisation, c'est finalement le même objectif qui se trouve mis en avant par les différentes collectivités. « On est sur cette orientation politique,[la démocratisation] mais au sens noble, une orientation politique majeure qui nous est donnée tant par le Conseil Général, que par la Ville de Rennes, que par l'État. Donc notre projet d’établissement, il est fondé sur cette orientation. 87 » La démocratisation est appréhendée ici comme une démarche qui participe à « une politique publique noble, qui est la question de la démocratisation de l’accès à la culture 88 » et elle se traduit par un certain nombre de mesures sur lesquelles nous nous attarderons par la suite. La démocratisation fait par conséquent, selon l'équipe de direction, partie intégrante de la politique d'établissement menée par le Conservatoire de Rennes. Elle ne se trouve pas pour autant explicitement perceptible à travers ces plaquettes de diffusion, mis à part un ruban rose sur la bordure de la couverture indiquant « A 84 Le terme revient 12 fois sur un entretien d'une durée de 1h50 au Conservatoire de Rennes. Il revient 2 fois sur un entretien d'une durée de 1h30 à la Bouèze. 85 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 86 DRAC: Direction Régionale des Affaires Culturelles 87 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 88 Idem 2011 43/89 portée de tous »89 Le mot d'introduction du directeur, B. Baumgartner au début de la plaquette de présentation de l'établissement,, indique lui notamment que « l'apprentissage d'un art est constitutif d'une démarche éducative. Il participe à la formation de la personnalité, éveille la sensibilité, l'écoute, la concentration, la mémoire et l'imagination, et développe une culture personnelle. » Mais l'idée de démocratisation , d'accessibilité, n'apparaît pas dans cette présentation du Conservatoire de Rennes. Concernant le ruban rose sur la droite des plaquettes du Conservatoire actuellement, une anecdote racontée par la personne ayant réalisé ces nouvelles plaquettes illustre assez bien les dynamiques et réactions des acteurs qui peuvent surgir lorsque l'on parle d'accessibilité dans un établissement de renom tel que le Conservatoire de Rennes. Elle explique en effet l'origine ce cette petite phase et les réactions qu'elle a pu susciter au sein de certains professionnels du Conservatoire: « On m’a reproché le ruban rose, on m’a reproché le « à portée de tous ». Au départ, et j’assume totalement, c’était du brainstorming et j’ai trouvé que c’était un joli jeu de mots avec portée. Voila, ça n’était pas plus que ça, mais pour beaucoup d’enseignants, « non ça n’est pas à portée de tous, il faut quand même faire ses preuves… ». Donc cette plaquette est un outil externe, mais moi ce qui m’a intéressé aussi c’était de faire réagir en interne. » Ainsi il est possible de voir que lorsque l'on parle de « démocratisation » ou plus simplement d'accessibilité, le principe d'une ouverture de l'enseignement musical à tous, ne fait pas systématiquement l'unanimité dans un établissement tel que le Conservatoire de Rennes et peut encore être source de débats, y compris internes à l'établissement. L'idée de « démocratiser » semble aujourd'hui tout à fait intégrée dans le vocabulaire de l'équipe de direction du Conservatoire, ce qui caractérise l'entrée de la démocratisation dans les structures les plus anciennes et institutionnalisées. Cependant la présence d'un terme ne signifie pas intrinsèquement la réalisation du principe qu'il véhicule. Du côté de l'association la Bouèze, le terme de « démocratisation » est beaucoup moins employé par les acteurs de l'association. Cela ne signifie pas que l'action de 89 Se référer à la dernière annexe. 2011 44/89 l'association en terme d'enseignement musical soit moins démocratique. Il est possible, simplement, que les charges symboliques de l'élitisme de l'enseignement musical pèsent beaucoup plus sur le Conservatoire que sur une association de musique traditionnelle comme la Bouèze. En effet la Bouèze se trouve peu accusée d'être une structure « élitiste »90, comme le fait remarquer un professeur de musique de l'association. Selon le vice-président de l'association, « la démocratisation, c'est ce que l'on fait ici tous les jours, à travers des cours de musique accessibles à tous, une transmission intergénérationnelle, un lien social qui se crée à travers des ateliers collectifs d'apprentissage de la musique...la démocratisation est un grand mot qu'il faut appliquer concrètement. » L'objectif de démocratisation présent dans le discours du Conseil Général d'Illeet-Vilaine se retrouve donc de façon différenciée à travers les discours des directeurs de structures d'enseignement de la musique, comme le montre les exemples à Rennes du Conservatoire et de la Bouèze. Mais maintenant que l'objectif de démocratisation est avancé par la politique culturelle du Conseil Général avec le Plan Musique, « une fois que nous avons l’orientation c’est bien, mais comment nous la déclinons, et quels sont les actions ou les leviers que l’on a mis en place pour répondre à cet objectif ? 91» 2. Mise en œuvre de l'objectif de démocratisation La Bouèze et le Conservatoire, chaque structure à sa manière, semblent travailler à une ouverture à des publics plus larges, et si il peut apparaître difficile de savoir si c'est par idéologie ou dans un souci pratique de développement de leur activité. On peut relever dans le cas du Conservatoire un certain nombre de mesures mises en place pour répondre à l'objectif de démocratisation. Ces diverses mesures ne sont pas à prendre comme un catalogue d'éléments indépendants, mais bien comme un ensemble de procédés qui convergent vers un objectif noble, central, celui de la démocratisation.92 90 Entretien professeur de musique. 91 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 92 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 2011 45/89 a. Des politiques concrètes Au Conservatoire de Rennes, une des mesures à visée de démocratisation mise en place est la tarification, c'est-à-dire une grille de tarifs d'inscriptions indexés sur les catégories socio-professionnelles des parents des élèves inscrits au Conservatoire. C'est cette mesure qui est a été définie dans la convention entre le Conseil Général et le Conservatoire93, et qui va être évaluée par le biais de l'évaluation en cours du Plan Musique par un cabinet d'expertise. Concernant la mise en place de la tarification, le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes souligne le fait que les personnes extérieures à l'établissement, voire même une partie des personnes travaillant au Conservatoire gardent une image préconçue d'un enseignement artistique coûteux. « Lorsque l'on on parle de l’accès à un établissement comme le nôtre, on dit « oui, c’est cher le Conservatoire. » On peut avoir cette idée là, cet apriori là. Or depuis 2008 maintenant, on a une tarification qui est fondée sur le quotient familial. Il existait avant un système, qui avait sans doute sa raison d’être, qui permettait aux personnes éventuellement les plus démunies financièrement de faire une demande d’aide municipale. Au mieux, (je parle de mémoire), c’était une cinquantaine de familles qui faisaient la demande et qui obtenaient une aide municipale. Depuis la mise en place de la tarification fondée sur le quotient familial, on a près de 20% des familles qui bénéficient d’un tarif dégressif. Dont une quarantaine qui payent le tarif minimum, qui très précisément pour un cycle 1, qui est un cycle d’initiation au Conservatoire, si je prends le tarif de l’année en cours, 2010-2011, une année complète d’enseignement coûte 25 euros. Et ça, c’est complètement méconnu par l’usager, on ne l’imagine même pas! La tarification est un point important. Je ne suis pas sûr que l’on atteigne encore des objectifs très mirobolants, parce qu'il est vrai que là encore en terme d’image préalable on se dit « les personnes qui fréquentent un Conservatoire sont plutôt issues de milieux favorisés », oui, je continue à dire que c’est clairement vrai, et ça n’est pas parce que depuis 2008 on a mis en place le quotient familial qu’on va renverser les tendances. Évidement. Ça n’est qu’un levier facilitateur qui permet de, mais ce n’est pas une fin en soi. 94 » La posture adoptée par la direction du Conservatoire se trouve 93 La ville de Rennes fait aussi partie des signataires de la convention avec le Conservatoire et le Conseil Général. 94 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire. 2011 46/89 être tout à fait consciente des limites que peut présenter le « levier » de la tarification, tout en constatant les évolutions que cela à pu entraîner. Un élève du Conservatoire avoue lui aussi être impressionné par les tarifs de l'enseignement de la musique au Conservatoire: « c’est vraiment pas cher. Par rapport à des cours particuliers c’est impressionnant. Les conditions sont beaucoup mieux mais c’est beaucoup beaucoup moins cher.95 » Suivant un objectif d'ouverture et d'élargissement des publics, il a également été souhaité au Conservatoire de Rennes d'élargir le champs des esthétiques musicales enseignés dans l'établissement. L'actuel directeur a souhaité élargir la palette des disciplines proposées. Face à des a priori répandus autour des styles musicaux enseignés au Conservatoire il est intéressant de citer une fois encore un des membre de l'équipe de direction, entré relativement récemment au Conservatoire et n'étant pas issu à l'origine d'une formation musicale: « A mon arrivée, [le directeur] a souhaité élargir la palette des disciplines proposées. Là encore, mais moi le premier, avant que je n'arrive, j’avais une vision très restrictive d’un établissement comme le Conservatoire. Quand on dit Conservatoire on pense cours de violon, cours de piano… on pense à ça d’abord. Quand on dit qu’au Conservatoire de Rennes on peut faire de la musique assistée par ordinateur, quand on dit qu’on peut faire du jazz, des percussions, de la flûte irlandaise, on enlève là encore un verrou, et l’a priori tombe. Et quand on parle d’ouverture à des publics éloignés des pratiques artistiques, on a peut être là, déjà, dans l’offre, des choses intéressantes, qui sortent du côté piano, violon. Je n’ai rien contre le piano ni le violon, mais c’est important d’ouvrir déjà à d’autres esthétiques et à d’autres instruments. Ça a été une volonté très forte à l'arrivée du directeur, et il est vrai que le département de musiques actuelles a été crée en l’an 2000, le département musiques traditionnelles a été crée en l’an 2000, sur un autre registre, le département musiques anciennes a été crée en à ce moment là aussi. Avec ces 3 exemples, on voit bien que dans l’offre des esthétiques et des disciplines proposées, on permet, on crée une opportunité pour des personnes qui ne se retrouvent pas dans le piano, le violon, de s’ouvrir vers autre chose.96 » Ces propos renversent quelque peu certains a prioris particulièrement 95 Entretien avec un élève du Conservatoire de Rennes 96 Entretien avec le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes 2011 47/89 tenaces, présents jusque dans l'esprit des élus à la culture en charge du Plan Musique. ( Rappelons que l'actuel délégué à la culture contestait une politique de l'enseignement musical qui subventionnait presque uniquement la musique classique, négligeant les autres pratiques musicales.) Il convient toutefois d'être prudent face à cette dynamique du Conservatoire de Rennes d'ouverture à de nouvelles esthétiques, dynamique qui est perçue différemment en fonction du statut des acteurs concernés. En effet selon un professeur de musique traditionnelle, au Conservatoire de Rennes l'ouverture et le soutien à d'autres esthétiques musicales « se fait toujours dans la lutte.97 » Et pour lui un indice de démocratisation à prendre en compte est la diversités des esthétiques musicales enseignées au Conservatoire, « qui se doit d'être à peu près équitable sur ces différentes esthétiques. Ensuite tout dépend des critères d’évaluation derrière. Si c’est simplement sur le quantitatif, on peut faire dire tout et n’importe quoi, après il faut aller voire sur du qualitatif, mais le qualitatif est beaucoup plus compliqué à évaluer.98 » Un autre aspect, énoncé par le Conseil Général à travers le Plan Musique 99, est celui de l'incitation à la pratique collective de la musique. Un objectif que l'on retrouve concrètement à travers l'activité de la Bouèze et du Conservatoire. Sur ce point, il semble que les acteurs de l'enseignement musical, Conseil Général, professeurs de musique mais aussi élèves, s'accordent tous pour affirmer que la pratique collective présente un grand intérêt dans l'apprentissage musical, même si elle ne peut être séparée d'une pratique individuelle nécessaire à toute progression. Selon R. Pinc, musicien et professeur de musique, « cela développe beaucoup la musicalité de travailler en groupe. De toute façon, après, il faut faire les deux, travailler aussi seul, il ne faut pas privilégier l’un par rapport à l’autre. Après, pour ouvrir à des publics plus larges, tout dépend comment c’est fait. Si ce sont des ateliers en groupe comme ce qui est fait dans certaines écoles de musique 100, ce n’est pas ça qui va démocratiser. Les ateliers plus détendus sont plus accessibles à tout le monde.101 » Dans ce sens le simple fait de généraliser la pratique collective ne 97 Entretien avec un professeur du Conservatoire de Rennes. 98 Idem 99 Entretien chargée de mission musique du Conseil Général. 100R. Pinc parle ici de l'école de musique de Lamballe, dans les Côtes d'Armor. 101Entretien professeur de musique 2011 48/89 constitue pas obligatoirement un gage de démocratisation. Ensuite il semble que si la pratique collective est rendue obligatoire par certains textes définissant l'activité du Conservatoire102, tout dépend, dans quelle mesure les pratiques collectives sont développées. « Il faut absolument travailler, tout seul, beaucoup, mais l’idéal c’est quand même de jouer en groupe. Je pense que c’est l’erreur ici, on fait beaucoup trop de musique tout seul dans son coin, et pas du tout suffisamment de concerts et de choses en groupe, alors que c'est très intéressant. 103 » JL. Revault, ancien professeur de musique traditionnelle à la Bouèze, affirme de la même manière que pour les enseignants travaillant de manière collective comme ce qui se fait à la Bouèze, qu'il faut rendre possible « des moments personnels de rencontre, parce que c'est important et nécessaire, mais d’autres moments où l'apprentissage passe par des rencontres, parce qu’on sait que les rencontres avec les autres c’est toujours intéressant et ça permet de progresser.104 » Ainsi nous pouvons constater que sur le point des pratiques collectives, les référentiels des équipes de direction de la Bouèze et du Conservatoire s'accordent. En ce qui concerne les politiques d'établissements mises en œuvre dans une perspective de démocratisation, il y a eu une très grande activité par l'association d’intervention dans les écoles, et ce avant que le métier de « dumiste » ne soit véritablement structuré. « la Bouèze à été un laboratoire un peu pour l’intervention dans les écoles au niveau de la musique traditionnelle, dans les années 1990105 », explique M. Clérivet, anciennement professeur de la Bouèze. Les grandes lignes qui ressortent des discours des acteurs de la Bouèze, vont dans le sens d'une transmission de la musique inter-générationnelle, à travers des ateliers souvent collectifs de pratique instrumentale, sans formation musicale de type solfège préalable. L'apprentissage passe avant tout par l'oralité. 102 Schéma d'orientation pédagogique des Conservatoires, Plan Musique 103 Entretien élève du Conservatoire en DEM (Diplôme d'études musicales.) 104 Entretien. 105 Entretien professeur de musique 2011 49/89 b. Référentiels distincts et complémentarités entre le Conservatoire et la Bouèze. Les deux structures d'enseignement musical que sont la Bouèze et le Conservatoire se distinguent par des référentiels propres à chacun au sein des équipes de direction, étant donné des objectifs assignés à l'enseignement musical et des activités très différentes, dans des champs musicaux distincts, entre la musique traditionnelle enseignée à la Bouèze et la musique classique, qui malgré des évolutions et une ouverture notoire vers d'autres esthétiques musicales, occupe toujours une plan de premier plan au Conservatoire de Rennes. On observe également, d'un côté un apprentissage qui passe par une « formation musicale106 », issue du solfège, obligatoire avant toute pratique instrumentale au Conservatoire, quand la Bouèze privilégie elle, l'entrée dans l'apprentissage de la musique par l'instrument, de manière plus directe et en préférant les sources orales aux sources écrites de la musique. Ainsi les méthodes divergent fondamentalement, mais l'objectif commun de transmission de la musique, anime cependant les acteurs de ces deux structures. Et, si leurs activités se différencient ces deux structures ne sont pas, pour le moins, complémentaires, notamment en ce qui concerne la formation des professeurs de musique. Il existait des liens auparavant entre le Conservatoire et la Bouèze qui ont été coupés depuis quelques années, apparemment suite à des conflits de personnes107. D. James, coordinateur pédagogique de la Bouèze, souligne les difficultés que cela engendre en terme de formation des professeurs108. L'intérêt d'être relié au Conservatoire est de former des jeunes professeurs; en effet, le Conservatoire de Rennes occupe une place de premier plan dans le domaine de la formation professionnelle. Il délivre les diplômes permettant de pouvoir par la suite enseigner dans les écoles de musique. « Les Conservatoires109 occupent véritablement leur place par rapport à des gens qui sont en « fin de second cycle », c’est-à-dire des gens qui sont autonomes avec leur instrument, qui commencent à très bien se 106 Ce terme sera explicité dans la troisième partie 107 D'anciens piliers de l'association ont quittés la Bouèze en 2005 suite à des difficultés internes. 108 Entretien 109 Entretien professeur de musique traditionnelle. 2011 50/89 débrouiller, et qui viennent chercher du perfectionnement, qui cherchent à aller beaucoup plus loin. ». Le responsable du pôle administratif du Conservatoire revient lui aussi sur ce rôle central et sur la perspective d'excellence qui caractérise le Conservatoire. « Bien sûr que nôtre raison d’être110 est l’excellence, malgré tout, je ne suis pas en train de le nier, à un moment donné un Conservatoire à rayonnement régional a pour mission de former des futurs professionnels de très très haut niveau, et nous l’assumons pleinement. Et pour cela on fait le même tarif pour tout le monde. Par contre notre mission première n’est pas de faire « l’initiation à comment je pose mes doigts sur la flûte », ça n’est pas ça notre mission première. Et puis c’est très bien nous avons la chance justement sur le bassin rennais d’avoir un vrai tissu d’écoles municipales et d’écoles de musique, associatives ou municipales de très bonne qualité. Trouvons plutôt des complémentarités, ne soyons pas en concurrence. Mais pour cela, il faudrait aussi faire sortir de l’esprit d’un certain nombre d’usagers que quand je viens au Conservatoire de Rennes, j’achète le signe extérieur de réussite d’être au Conservatoire de Rennes. Et être dans une école municipale « non ça n’est pas pour moi ». » La distinction entre pôle d'excellence et lieux d'initiation à la musique semble relativement claire pour les directeurs de structures, cependant la question de l'image véhiculée par les établissement reste particulièrement prégnante, loin d'être résolue. En ce sens les équipes de direction du Conservatoire et de la Bouèze s'accordent également pour dire que la communication qui est faite autour de l'établissement occupe un rôle central dans une perspective d'évolution des mentalités 111. Pour un des responsables de la direction du Conservatoire, « on retombe sur le volet de la communication. Car si nous communiquons davantage sur « faire un cycle 1 au Conservatoire de Rennes ça peut coûter 25 euros », les gens qui viennent chercher le signe extérieur de réussite, cela ne va pas les intéresser, d’être assimilé à ça. Je schématise là encore, mais là où, aujourd’hui, on ne va pas au bout en terme de communication, c’est circonscrit aux gens qui fréquentent le Conservatoire et qui en parlent un peu autour d’eux, et encore c’est dans le meilleur des cas, parce que concrètement je pense être assez lucide là-dessus : si on prend les 90 profs du 110 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire. 111 Entretiens vice-président de la Bouèze et responsable administratif du Conservatoire. 2011 51/89 Conservatoire, en les interrogeant un par un « faire un cycle 1 au Conservatoire pour 25 euros c’est possible ou pas ? », je ne suis pas loin de penser que la majorité vont dire non.112 » Nous arrivons ici sur une autre dynamique qui est la prise en compte de l'objectif de démocratisation par les professeurs de musique, acteurs de premier plan dans le domaine de l'enseignement musical. Car si, au Conservatoire par exemple, le concept de démocratisation semble tout à fait maîtrisé et ancré dans les esprits de l'équipe de direction, qu'en est-il de l'idée que se fait l'équipe pédagogique de la « démocratisation de l'enseignement musical » ? B. Professeurs de musique et démocratisation Dans la pratique concrète d'un apprentissage de la musique, une possible démocratisation passe aussi par des acteurs de premier plan: les professeurs de musique. Comment ces derniers perçoivent-ils la démocratisation énoncée par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine à travers le Plan Musique? Comment se coordonne l'action des directeurs d'établissement avec celle des professeurs de leur équipe pédagogique? Au sein du Conservatoire, une distinction semble établie entre deux groupes ayant leur propre référentiel: les professeurs de musique « traditionnels » et les musiciens intervenants.113 1. Les professeurs de musique: un groupe hétérogène 112 Entretien. 113 Nous intégrerons ici le statut de musicien intervenant à celui de professeur de musique, employé comme terme générique. 2011 52/89 Regrouper les professeurs de musique en une seule et même catégorie peut apparaître ici comme arbitraire, étant donnée les divergences de point de vue et de méthode qui les caractérisent. C'est l'hétérogénéité de ce groupe qui en fait tout son intérêt et sa complexité. Le statut des professeurs de musique, entre « artiste » et « enseignant » est tout à fait particulier, tout comme leur utilisation ou non du terme de démocratisation. Aujourd'hui la formation des enseignants de musique a évoluée, et prête davantage d'attention à une dimension plutôt de « conduite de projet114 », vers une plus grande prise en compte du public qui a fait son cheminement, et continue d'évoluer aujourd'hui. Cette évolution se fait lentement, car comme nous le rappelle un des responsables de l'administration du Conservatoire de Rennes, il est difficile de changer du jour au lendemain une profession qui a vécu avec certains codes, certaines valeurs durant des décennies. « On ne peut pas demander à quelqu'un qui a été formé sur la logique maître à disciple de se retrouver face à une classe de 25 élèves du quartier du Blosne115, ce n’est pas possible. Donc il y a aussi des paramètres qu’on ne maîtrise pas. » Il convient de parvenir à articuler les nouveaux objectifs de démocratisation alloués au Conservatoire avec des pratiques anciennes et très établies d'enseignement de la musique classique 116. F. Jedrzejak souligne la difficulté de parvenir à coordonner les actions de tous les professionnels du Conservatoire de Rennes autour de l'objectif de démocratisation, notamment les difficultés qui peuvent parfois être rencontrées entre des objectifs nouveaux et des pratiques d'enseignement musical anciennes très ancrés dans les esprits 117. « Derrière ce terme de la démocratisation on se dit « tout le monde va adhérer, c’est évident », mais quand on regarde un peu plus en détail attention, ça ne se décide pas. Et surtout il faut toujours avoir en tête les multiples dimensions. […] Ne jetons pas la pierre à des personnes qui ont vécues pendant 30 ans sur un mode de fonctionnement et d’un seul coup on est en train de le modifier, et ils peuvent le prendre comme une remise en question personnelle aussi. Quand on parle 114 Entretien professeur de musique 115 Quartier de la vile de Rennes réputé « sensible » 116 Rappelons que le Conservatoire de Rennes est installé depuis plus d'un siècle rue Hoche! 117 Entretien administratif du Conservatoire de Rennes. 2011 53/89 d’élargissement, « on va faire baisser la qualité », moi c’est ce que l’on me dit tous les jours. » Il peut être difficile de remettre en cause la méthode avec laquelle on a été formé, et celle qui a constitué la vie d'un professeur de musique pendant longtemps. Aujourd'hui il est de plus en plus demandé aux professeurs de musique du conservatoire de Rennes qui le souhaitent, de participer à des activité de médiation culturelle, pour aller vers de nouveaux publics. « Cela n’est quand même pas simple118, lorsque l’on a fait toute une carrière dans un Conservatoire, que l’on a enseigné peut être pendant 30 ans, avec une culture de l’élitisme, et que d’un seul coup on nous dit attention maintenant ça n’est plus du tout ce que l’on attend de vous, c’est de faire de la médiation. « Comment ça, moi de la médiation ? Je ne suis pas un animateur socioculturel ! » : C’est cela que l’on entend comme discours, parce que chacun est ancré sur ce qu’il croit être son identité, et surtout sur le caractère péjoratif d’ « aller vers », non « ce sont les autres qui doivent venir vers moi, puisque c’est moi qui sait. Je schématise la situation, pour montrer des tendances actuelles.» Sur ce point de la position du professeur de musique qui va vers son public, vers ses élèves, les perceptions des professeurs de musique issus de formations différentes varient considérablement. En effet l'exemple est frappant ici de la distinction entre les professeurs issus de formation classique et les professeurs issus du milieu de la musique traditionnelle119. Pour les professeurs de musique traditionnelle de la Bouèze il est courant que ce soit le professeur qui se déplace pour aller donner son cours de musique, notamment dans des plus petites communes120. JL. Revault, professeur de musique traditionnelle121, envisage le statut de professeur de musique comme quelqu'un qui « apprend en apprenant », Selon lui « peu importe le projet de l'élève, en tant que prof tu dois être capable de t’adapter à cette demande. [...] J’apprends en apprenant, ce sont ça les mots clé de ce que je fais. » Il évoque une vision différente selon lui de l'enseignement des professeurs de conservatoire: « au 118 Idem 119 Lorsque je parle de la musique traditionnelle tout au long de ce mémoire j'entends la musique traditionnelle bretonne, qui est celle enseignée par l'association La Bouèze. (et également celle enseignée dans un atelier du Conservatoire de Rennes.) 120 La Bouèze dispense des cours de musique traditionnelle à Rennes et dans 25 autres communes, d'Ille-et-Vilaine et des Côtes d'Armor. 121 Entretien professeur de musique 2011 54/89 Conservatoire ils n'apprennent pas, ils savent!122 » Dans une perspective plus large concernant les difficultés à modifier des institutions, des corps de métier traditionnels, comme pourrait être considéré celui de certains professeurs de conservatoire, JC Wallach123 dénonce des corporatismes présents chez les professionnels de la culture. « Pourquoi est-il si difficile de généraliser certaines de ces initiatives ? Pour des raisons budgétaires bien sûr, mais pas seulement. L’expérience montre que, bien plus souvent qu’on ne le pense, les obstacles majeurs ne sont pas d’ordre financier. Ils découlent des habitudes acquises (osons les mots qui fâchent : des corporatismes ou de certaines cultures de métier traditionnelles) et, surtout, des difficultés considérables que les professionnels de la culture rencontrent pour adapter les représentations qu’ils se font eux-mêmes d’abord, de leurs publics ensuite. » La question de la représentation des publics soulevée ici occupe une place importante, que nous développerons lorsque nous parlerons des publics des établissements d'enseignement musical par la suite. La représentation que les professeurs de musique se font des publics, ainsi que leurs ambitions varie sensiblement d'un professeur à l'autre. A l'intérieur même d'un établissement comme le conservatoire, les entretiens de recrutement des professeurs sont assez révélateurs des différents profils de professeur de musique124. « Quand nous recrutons un enseignant, je suis toujours frappé par le discours de présentation qui est tenu par les candidats. En schématisant, certains accentuent beaucoup leur volet carrière artistique, ils parlent de rayonnement, et ils disent que c’est important que dans un établissement comme le Conservatoire de Rennes c’est important de rayonner et que l’on parle du Conservatoire, et ce n’est pas faux, et y compris en terme de démocratisation on a besoin de donner envie, et à des personnes éloignées de certaines pratiques, mais pour autant est-ce qu’il faut réduire l’activité d’un enseignant de Conservatoire à son activité artistique, j’en suis moins sur. Donc c’est toujours un peu des compromis entre les deux. » Les professeurs de musique sont aussi des artistes, et l'arbitrage entre leur visage d'artiste et leur visage d'enseignant 122 Entretien JL. Revault 123 JC Wallach, La Culture, pour qui? 124 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire. 2011 55/89 ne peut appartenir qu'à eux. Cette double caractéristique des professeurs de musique fait de la profession sa particularité. Selon B. Gourdy, élève au Conservatoire125, doute de la vocation pédagogique des professeurs de musique: « Quelqu'un qui devient prof de musique, en général, se préoccupe peu des institutions, du système, et lorsqu'il s'agit de lui donner des ordres dans une institution ça ne marche pas trop. Ils sont profs vraiment parce que ça leur sert à quelque chose, parce que c’est comme ça qu’ils peuvent le mieux gérer leur vie pour faire le plus d’ensembles possibles, le plus de concerts possibles… » Une vision assez négative se voit dépeinte ici, d'un enseignement qui serait moins glorifiant par rapport à l'aspect artistique du statut de musicien. Mais cette question se retrouve dans biens d'autres domaines que celui de la musique 126. Cependant si cette négligence de l'aspect d'enseignement, de partage d'un savoir et de transmission d'une passion peut être valable dans certains cas, j'ai l'espoir de croire qu'ils ne l'est pas pour tous les professeurs, de musique ou non, et que certains en plus de leur passion initiale sont animés du désir de transmettre et de partager leurs savoirs. Comme dans tout corps de métier, les professeurs de musique se divisent en plusieurs branches. La distinction au Conservatoire de Rennes entre les professeurs de musique enseignant dans l'enceinte du Conservatoire et les musiciens intervenants est caractéristique d'une perception distincte de l'idée de démocratisation parmi les différents acteurs du monde de l'enseignement musical. 2. Statut spécifique des musiciens intervenants dans un objectif de démocratisation. Dans une microsociété comme le conservatoire, il y a le « corps enseignant127 » , les administratifs, les élèves... En ce qui concerne les enseignants, une des personnes de la direction du Conservatoire explique: « Je suis très attaché au fait de dire que 125 Entretien élève du conservatoire de Rennes 126 Je pense ici notamment à l'arbitrage entre activité d'enseignement et activité de recherche des enseignants- chercheurs. 127 Entretien responsable administratif du Conservatoire. 2011 56/89 c’est le corps enseignant. Mais ce qui est intéressant, et eux-mêmes d’ailleurs le vivent comme tel, c'est de voir que leurs relations s’appuient sur cette distinction, et parfois ce cloisonnement. Il y a d’un côté les musiciens intervenants, et de l’autre côté les vrais enseignants. Cependant dans un établissement comme le nôtre, il est logique d’avoir des compétences différentes. Professeur de musique et musiciens intervenants, attention on ne mélange pas, « c’est un peu les torchons et les serviettes quand même ! » ça n’est pas le même métier. Alors que si on ne parle pas d’une approche métier mais d’un objectif de résultat ou d’orientation comme on le fait pour élargir socialement nos publics, chacun à sa place, et on peut jouer un rôle. Et c’est ça qui est encore compliqué parfois à faire passer. 128» Néanmoins si on cherche à relativiser une situation quelque peu négative et une non-reconnaissance de la part des enseignants spécialisés du Conservatoire de l'activité des musiciens intervenants, le temps d'adaptation d'un phénomène nouveau peu constituer une éventuelle explication, et aujourd'hui de nouveaux projets du Conservatoire parviennent désormais à rassembler professeurs et musiciens intervenants autour d'une même activité. Le dispositif « classe orchestre » a récemment été mis en place à Rennes: il vise à former un orchestre, à partir d'une initiation, avec les élèves d'une classe de CE2. Sur ce projet, musiciens intervenants et professeurs se complètent, comme le dit F. Jedrzejak129 : « C'est intéressent car sur ces projets là, on arrive à ailler les musiciens plutôt « classiques » et les musiciens intervenants. C’est une action, ou plutôt une « recherche –action », une expérimentation sur ce dispositif. Finalement pour les professeurs, on observe des conceptions, perceptions très diverses de la démocratisation, et surtout des méthodes d'apprentissage de la musique préférables pour transmettre une passion, un savoir. Le terme même de démocratisation ressort assez peu des entretiens avec les professeurs de musique, mais cela reste une appréciation de vocabulaire. Les professeurs les plus investis, les plus militants pour un changement de l'enseignement musical, pour un apprentissage de la musique plus accessible que ce qu'il est aujourd'hui dans les Conservatoires ou écoles de musique, finalement utilisent peu le terme de « démocratisation », même si 128 Idem 129 Entretien responsable administratif du Conservatoire. 2011 57/89 la symbolique, l'idée de fond est présente. Pour les professeurs de musique la question du public se pose directement, c'est-à-dire le fait de savoir à qui ils s'adressent, et à qui ils souhaitent s'adresser à travers leur activité d'enseignement de la musique. C. Le public comme notion fondamentale face à l'idée de démocratisation L'activité des professeurs de musique s'adresse à un public: celui des écoles de musique, ici le Conservatoire et la Bouèze. Avant un retour rapide sur la notion de public, il est intéressant, dans un idéal d'élargissement des publics intrinsèque à la démocratisation, de constater une composition du public d'élèves musiciens de la Bouèze radicalement différente de celle du Conservatoire. 1. Le public des écoles de musique Le Plan Musique en Ille-et-Vilaine vise une population jeune, âgée de 0 à 16 ans. Les tranches d'âge privilégiées du Conservatoire de Rennes entrent à peu près dans cette case. Un tableau des « âges conseillés » peut se trouver dans la plaquette de présentation du Conservatoire de Rennes: il s'avère que des tranches d'âge relativement strictes y sont inscrites, et mis à part certains ateliers ou l'admission est à négocier avec le professeur , au delà de 20, 22 ans le conservatoire ne vous ouvre plus ses portes. Il en va tout autrement des tranches d'âges définies par l'association de musique traditionnelle La Bouèze, qui accueille des groupe d'enfants jusqu'aux groupes de retraités, relativement nombreux130. On retrouve au sein de la Bouèze 130 La Bouèze n'a pas été choisie par le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine dans le cadre du Plan 2011 58/89 l'idée d'une musique populaire accessible à tous, et d'une transmission de la musique inter-générationnelle. Mis à part à la Bouèze, l'offre d'enseignement musical public131pour un public plus âgé que la vingtaine est peu répandue, et elle ne constitue pas l'objectif premier du Plan Musique. L'association La Bouèze attire des publics relativement hétérogènes. Elle pratique des tarifs assez bas, ainsi, selon le vice-président, « nous nous préoccupons peu de savoir d'où viennent les personnes inscrites au cours de musique, car elles sont souvent issue de milieux très différents et le tarif est accessible et le même pour tout le monde. » Un ancien élève de la Bouèze aujourd'hui professeur de musique raconte: Moi quand j’ai commencé la musique, je voulais jouer de la musique et mes parents n’avaient pas les moyens de me payer des cours particuliers qui étaient beaucoup trop cher, et le fait d’avoir rencontré la Bouèze qui avait des tarifs quand même très abordables. Les entretiens et statistiques rencontrés n'ont pas permis de dessiner les contours d'un « profil type » de l'élève de musique traditionnelle à la Bouèze. Concernant le public du conservatoire, un élève en fin de cycle 132 remarque qu'il n'est selon lui « pas forcément riche, mais avec un important capital culturel. Je pense que c’est l’équivalent plus ou moins du milieu social des classes préparatoires, c’est-à-dire issu de catégorie moyenne/supérieure, si cela veut dire quelque chose, avec des enfants de profs sur représentés. ». Il est peu « sociologique » de chercher à établir des « profils types » du public d'un établissement à partir d'un échantillon réduit d'entretiens et en l'absence de chiffres précis, cependant il est amusant ici constater ici 133 qu'au conservatoire certaines personnes appellent sur le ton de l'humour les enfants à la tenue vestimentaire caractéristique d'un certain milieu social les « MST », sigle à travers lequel il faut entendre les « Mocassins Serre-tête » mocassins pour les garçons et Serre-tête pour les filles. Mais revenons désormais plus sérieusement à la notion plus générale de public, centrale lorsque l'on parle de démocratisation. musique sur le critère de l'enseignement qu'elle dispense à toutes les classes d'âge mais sur d'autres critères. 131 Les adultes se retrouvent dans l'offre particulière privée d'enseignement musical. 132 Entretien élève du Conservatoire de Rennes 133 Anecdote issue d'un entretien. 2011 59/89 2. La notion de public L. Fleury134 constate que le fait de parler de « public(s) » de la culture procède d'une raison historique en France: l'existence de politiques publiques de la culture. « Pourtant, peu d’analyses ont été menées sur la notion de public elle-même, sur son sens et les enjeux qu’elle révèle dans un discours politique ou artistique qui l’allègue sans cesse » affirme-t-il. Au cours de son raisonnement théorique l'auteur interpelle la pertinence d'une notion, celle de « non-public ». Selon lui, « Lorsque l’on passe de la notion de public potentiel à celle de « non-public », on passe imperceptiblement d’un univers probabiliste à un univers certain. » Mais nous nous contenterons ici de parler de public et de « public potentiel » pour désigner les personnes qui pourraient être désireuses d'apprendre la musique mais n'y ont pas accès. Pour JC Wallach135« S’attacher à inventer des réponses pertinentes au regard des enjeux de société et de l’idéal républicain à la question de la mise en mouvement de publics dits « éloignés de la culture » n’est pas une démarche nouvelle. Ils sont nombreux celles et ceux qui se sont engagés dans cette voie en assumant le risque de ne pas caresser les institutions de l’art et de la culture dans le sens du poil d’une « excellence artistique » qui, c’est une question de survie, est condamnée à ne s’intéresser et à ne s’adresser qu’à elle-même et aux cercles restreints de ses nantis. » Nous retrouvons ici la difficulté soulevée par un des membres de l'équipe de direction du Conservatoire de Rennes de s'opposer au principe d'excellence véhiculé par le conservatoire solidement accroché dans les esprits de nombreux « publics » du Conservatoire. Pour l'auteur136 « le public des écoles de musique n’est pas dans ces établissements, il est à l’extérieur. En 1997, 25% des français âgés de 15 ans et plus déclaraient savoir jouer d’un instrument de musique. C’est un chiffre considérable (il atteint 60% chez les 15-19 ans), à rapprocher de cette « musicalisation de la société » dont il a déjà été question ici. 134 L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles 135 JC Wallach, La culture, pour qui? Pages 87/88 136 Idem 2011 60/89 Pour autant, 19% seulement de ceux qui affirment savoir jouer d’un instrument déclarent avoir appris à le faire dans une école de musique. Ils sont 34% à indiquer avoir appris seuls ou avec des amis et 10% avec l’un des parents. » (Source : Olivier Donnat, les pratiques culturelles des français, enquête 1997, la documentation française, Paris, 1998). Il est donc possible ici de parler d'un public potentiel susceptible d'être intéressé par une offre d'enseignement musical. Les modalités de cette offre, comme par exemple les méthodes d'apprentissage de la pratique musicale utilisées dans les écoles de musique, peuvent peuvent être considérées comme un facteur explicatif d'un « public potentiel » qui ne parvient pas à se transformer en un simple public. 2011 61/89 III. Entre culture et enseignement: Les méthodes d'apprentissage L'enseignement de la musique se situe à l'intersection entre le domaine de la culture et celui de l'enseignement. Rattaché à l'échelle départementale aux compétences culturelles du Conseil Général, le terme même d'enseignement signifie qu'il recoupe nécessairement certaines problématiques relevant du domaine de l'éducation. En ce sens la question des méthodes d 'apprentissage de la musique, question d'enseignement, apparaît comme cruciale lorsque l'on parle de démocratisation de l'enseignement musical. C'est du moins ce qui ressort des entretiens réalisés avec les amateurs de musique, les élèves musiciens, les professeurs de musique, et même les directeurs d'établissements d'enseignement musical. En effet si le terme de démocratisation n'est pas repris avec la même intensité par ces acteurs, lorsque l'on parle plus simplement d'accessibilité à l'enseignement de la musique une partie d'entre eux suggère une remise en question des méthodes d'apprentissage aujourd'hui les plus rependues, l'apprentissage du solfège notamment. Le Plan Musique favorise une sensibilisation à la musique passant par l'école comme institution démocratique, mais le fossé qu'il reste à franchir entre la sensibilisation et l'intégration dans le système d'enseignement musical peut-il être comblé? De l' articulation entre l' école et les écoles de musique découle un paradoxe, entre un idéal de démocratisation passant par l'école et un apprentissage scolaire de la musique qui élimine certains. A. Les méthodes d'apprentissage de la musique: une clé pour comprendre une démocratisation difficile. 2011 62/89 La question des méthodes d'apprentissage de la musique n'apparaît pas au sein du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine comme un élément déterminant, ou du moins il est affirmé qu'il ne relève pas de ses compétences. Concernant l'enseignement de la musique, la Chargée de mission Musique du département explique simplement que « cela dépend des élèves »137, chacun privilégiant telle ou telle manière d'apprendre la musique selon sa propre personnalité et ses propres capacités. Dans la définition de l'objectif de démocratisation de l'enseignement musical par le Conseil Général, la problématique des méthodes d'apprentissage en elles-mêmes est relativement inexistante. Le vice-président du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine et délégué à la culture D. Le Bougeant affirme dans ce sens que, dans la perspective de démocratisation imposée par le Conseil Général, les objectifs sont définis, mais ensuite « comment diversifie-t-on les publics à l'intérieur d'une école de musique? Ça n'est pas à moi de leur dire, c'est à eux d'inventer des nouvelles pratiques, peut être des nouvelles formes... 138» L'idée est cependant présente d'une probable nécessité de réformer les modalités de l'enseignement musical pour parvenir à un enseignement plus accessible et plus démocratique. En effet inventer de nouvelles formes d'apprentissage de la musique, c'est ce qui se révèlerait être un indicateur de démocratisation pour plusieurs professeurs de musique et élèves musiciens. L'apprentissage de la musique passant par le solfège notamment se voit particulièrement remis en cause par certains acteurs du monde de l'enseignement de la musique. 1. Le solfège, ou comment faire fuir des « publics » Le solfège139, est souvent dans les écoles de musique une étape préalable imposée avant la découverte de la pratique instrumentale en elle-même, ce contre quoi se bat 137Entretien chargée de mission musique du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine 138Entretien délégué à la culture du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine 139Définition du dictionnaire, Larousse: « (Nom masculin, de l'italien solfeggio, de sol et de fa, notes de musique.) Discipline qui est à la base de l'enseignement musical et qui permet la connaissance et la mémorisation des signes de notation tout en développant l'audition pour une appréciation exacte des sons et des intervalles. 2011 63/89 par exemple U. Nousianen140, professeur indépendante de piano à Rennes. Pourtant issue d'une formation musicale classique, ancienne concertiste, elle préconise un apprentissage de la lecture des notes simultané avec l'apprentissage de l'instrument, ce qui pour elle n'est absolument pas incompatible. Un professeur de musique explique de la même manière: « Certains professeurs de musique râlent lorsqu'ils sont obligés de faire du solfège avec leurs élèves, ce qui pourtant moi ne me semble pas absurde. Tout mon bagage en solfège je l'ai appris en jouant de la flûte[...] je ne comprends vraiment pas pourquoi des enfants de 6 ou 7 ans doivent suivre des cours de solfège complètements déconnectés de ce que ça donne au niveau de leur instrument141 » D'origine finlandaise, U. Nousianen constate que des méthodes d'apprentissage sans solfège préalable sont davantage utilisées dans d'autre pays voisins européens et fonctionnent très bien. De son point de vue l'apprentissage du solfège constitue un facteur d'exclusion pour certaines personnes du processus d'apprentissage de la musique, beaucoup abandonnant l'idée d'apprendre à jouer d'un instrument au contact des normes rigides et complexes du solfège qu'il leur est imposé de maîtriser avant de pouvoir commencer la pratique instrumentale à proprement parler. Son point de vue se trouve en partie conforté par la part importante de ses élèves pianistes qui, exclus du Conservatoire ou frustrés des méthodes d'apprentissage qui y sont privilégiées, suivent des cours avec elle, recherchant un apprentissage plus ouvert et plus souple. Cette professeur s'alarme également de voire le nombre considérable de personnes abandonnant l'apprentissage de la musique au cours d'une première année de solfège, ou de « formation musicale. »142 « Formation musicale » est le concept qui a remplacé aujourd'hui le solfège au Conservatoire de Rennes, terme plus général qui se veut moins rébarbatif. « La volonté c'est de ne pas enfermer le solfège dans simplement le solfège, c'est-à-dire l'apprentissage d'une écriture « solfégique », mais d'apporter une véritable formation musicale, rythmique, d'écoute et culturelle 143. » La Formation musicale 140Entretien professeur de piano 141Entretien professeur de musique traditionnelle au Conservatoire de Rennes 142Selon ses sources au Conservatoire de musique de Fougères, sur 200 élèves qui entrent chaque année, seulement 30 poursuivrons par la suite. (Entretien) 143Entretien avec un professeur de musique du Conservatoire. 2011 64/89 reste cependant obligatoire pour la très grande majorité des études musicales dispensées au Conservatoire, sauf pour l'intégration de certains ateliers, comme par exemple l'atelier de musiques traditionnelles. Un professeur de musique de cet atelier explique que pour faire de la musique traditionnelle au Conservatoire il n'y a pas d'obligation de faire de la formation musicale classique: « ça a été de haute lutte mais c'est indépendant 144», dit-il. « Pour nous, il n'y a pas d'apprentissage de solfège. Nous avons mis en place une formation musicale traditionnelle, qui n'a rien à voire avec la formation musicale classique, qui est basée sur de l'écoute des sources, sur du chant, sur les concepts de transmission.145 » Pour M. Clérivet, professeur de cet atelier, le principal problème véhiculé par le solfège est qu'il correspond à une écriture hégémonique, celle d'une seule esthétique musicale, qui est très utile dans certains cas mais dont on doit pouvoir s'affranchir. Il explique dans ce sens: « Je me bats contre l'apprentissage du solfège, parce que porté par le solfège vous n'avez pas qu'une écriture, mais avec elle également tout un concept musical qui suit, c'est-à-dire une théorie musicale. Ce qui veut dire que cette écriture là a été développée pour et en fonction de critères qui étaient propres à une esthétique: la musique classique, académique, de l'Europe de l'Ouest, du milieu du 18ème siècle jusqu'au milieu du 20ème siècle, ce qui ne représente rien du tout par rapport à l'ensemble des pratiques musicales qui ont pu voir le jour.146 » Par ailleurs il ne remet pas en cause le fait de passer par l'écriture pour l'apprentissage de la musique, « s'interdire toute écriture, c'est empêcher certaines personnes d'accéder à la musique, c'est presque anti-démocratique, » il est essentiel de ne pas se restreindre à une seule méthode d'apprentissage de la musique. B. Gourdy nous rappelle ses souvenir de solfège datant d'il y a seulement quelques années: « comme c’est super élitiste le solfège quand tu t’en sors bien tout le monde t’aime bien, et quand tu t’en sors pas t’es viré rapidement. Je pense que la moitié des gens qui lâchent c’est à cause du solfège.147» La question du caractère élitiste, donc par définition accessible à une minorité, véhiculé par le solfège est explicitement montrée ici. En ce qui concerne l'association de musiques traditionnelles la Bouèze, ni le 144Entretien professeur de musique du Conservatoire 145Idem 146Idem 147Entretien élève musicien au Conservatoire. 2011 65/89 solfège ni la « formation musicale » n'entrent dans le vocabulaire de l'école de musique. C'est en effet l'apprentissage à l'oreille qui est privilégié à la lecture de la musique, même s'il n'est pas question de se refuser l'usage de l'écrit dans certains cas. Selon B. Hommerie148 « le solfège est la grammaire, il doit arriver après la parole » , c'est-à-dire que le solfège est une étape qui doit venir après la découverte de l'instrument. Ces propos peuvent être illustrés par l'expérience d'un musicien professionnel issu de la musique traditionnelle utilisant aujourd'hui le solfège mais ne l'ayant découvert que tardivement: « J’ai appris sur le tas, autodidacte pour tout […] J’ai fait du solfège après, je me suis mis au solfège j’avais 27 ans. Il me semble plus intéressant d’apprendre le solfège quand on sait qu’on en a besoin. L’enseignement, même classique, devrait être dans ce sens là aussi à mon avis. L'autodidaxie quant à elle reste encore aujourd'hui parfois dévalorisée dans le monde musical. Comme le souligne JC Wallach. Dans son essai sur les limites de la démocratisation culturelle, un musicien titulaire de n'importe quel prix de Conservatoire, qu'il soit prestigieux ou non, est souvent davantage reconnu qu'un musicien autodidacte149. Dans ce contexte d'institutionnalisation de l'apprentissage de la musique l'auteur décrit l'autodidaxie comme un apprentissage buissonnier. « En termes de modalités et de rythmes, les apprentissages instrumentaux et la confrontation à un public se font ici dans des conditions radicalement différentes de celles en vigueur dans les formes institutionnalisées de l’enseignement musical. L’autodidaxie et toutes les modalités possibles et imaginables d’apprentissage buissonnier, héritées de l’école de même nature, se mêlent dans la construction d’un cheminement qui, plus souvent qu’on ne le croit, conduit à chercher les solutions aux obstacles rencontrés dans ce solfège qui, quelques années plus tôt, avait constitué, pour ces mêmes pratiquants, le dispositif parfaitement efficace de leur sélection par l’échec de l’enseignement délivré par les écoles de musique. 150» 148Entretien vice président de association la Bouèze 149JC Wallach La Culture, pour qui? Page 102 150JC Wallach La Culture, pour qui? page 97 2011 66/89 2. Une rigidité qui ferme des portes Ces formes institutionnalisées de l'enseignement musical décrites par JC Wallach dessinent une rigidité globale dans l'apprentissage de la musique, qui bloque une démocratisation de celui-ci. Une démocratisation passerait par l'ouverture à un public plus large, grâce à un assouplissement des normes des écoles de musique et la diversification des esthétiques et des pratiques proposées par ces établissements. Pour JL Revault, professeur de musique traditionnelle, le côté institutionnel de l'enseignement de la musique freine la volonté de nombreuses personnes d'apprendre la musique. Le simple fait par exemple d'une seule offre d'apprentissage de la musique régulière et cadrée laisse de côté de nombreuses possibilités et de nombreux profils. « Ce n'est pas dans un cycle hebdomadaire qu’il faut travailler, il faut créer d’autres méthodes. C’est-à-dire que l'enseignant par exemple serait disponible, et les gens viendraient le voir à la carte, quand ils ont besoin. Mais ça ça n’existe pas ce que je raconte là, je suis toujours dans l’utopie.151 » Certaines esthétiques musicales se sont vues elles-mêmes transformées avec un apprentissage musical institutionnalisé, pour le musicien R. Pinc, « Le jazz, se « dédémocratise » dans des contextes de Conservatoires, d'écoles de musique rigides.152 » Dans un objectif de démocratisation l'assouplissement des structures d'enseignement musical apparaît ici comme fondamental. Les « tests153 » d'entrée au Conservatoire constituent un premier exemple de cette rigidité. En effet, les futurs élèves musiciens se voient contraints de passer des tests d'aptitude pour définir s'ils peuvent ou non entrer au Conservatoire. Un élève du Conservatoire désormais en fin de cycle 3 154 fait remarquer l'absurdité qu'il perçoit 151Entretien professeur de musique. 152Entretien musicien. 153Le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes, conscient de la symbolique véhiculée par le mot adopterai cependant volontiers un autre terme, dans l'idée de ne pas faire de ces tests un blocage pour certaines personnes. (Entretien) 154Le DEM (diplôme d'études musicales) est un examen qui achève le 3ème cycle du cursus à 2011 67/89 dans le fait de passer un test: « C’est super drôle, tu dois passer un concours d’aptitude pour ton instrument alors que tu n’as pas commencé à en faire. » Il est précisé par le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes que ces tests visent simplement à voir, par exemple, si la morphologie de l'enfant est compatible avec l'instrument, à évaluer sa motivation etc., tout en reconnaissant l'effet symbolique que peut représenter le mot « test » à l'entrée du Conservatoire. 155 Selon lui le fait de rendre ces tests d'entrée plus détendus constitue un gage de démocratisation. « L’excellence ne vaut que si elle est une finalité, pas un critère d’exclusion156 ». L'excellence qui se retrouve dans les différents examens des cursus musicaux du Conservatoire pose question. En effet le critère d'excellence associé au Conservatoire est une idée qui se dégage de plusieurs entretiens, quand il n'apparaît pas du tout dans les discours tenus autour de la Bouèze, aussi bien par les personnes extérieures à l'association que par les fondateurs eux-mêmes. Les examens caractéristiques du cursus d'apprentissage du Conservatoire se voient critiqués à plusieurs reprises face à l'idée de démocratisation, en ce qui concerne le caractère d'exclusion qu'ils représentent, et d' « élagage157 » des élèves aux fur et à mesure des années. Pour JL Revault, professeur de musique traditionnelle, « dans les écoles de musique et les Conservatoires on sélectionne, et on élimine aussi dans le temps. Au début, éveil musical, on prend tous les « pious pious » et après on monte en cycles, on élague et on arrive au troisième cycle du Conservatoire ou là on a des très bons musiciens. Mais pour moi c’est facile d’avoir des très bons musiciens après avoir viré tous les autres. C’est une lecture pyramidale qui est complètement à l’inverse de mon projet d'enseignement de la musique. » B. Gourdy, aujourd'hui élève en 3ème cycle, confirme cette dynamique: « au Conservatoire on te dit: « si tu veux continuer il va falloir te donner vraiment plus à fond, t’investir vraiment plus » et au bout d’un moment tu as des profs qui te dise maintenant là si tu veux vraiment t’investir plus ce serait bien que tu arrêtes tes études à côté parce que tu n'as plus le temps, donc il faut que tu choisisses. » dominante instrumental du Conservatoire, qui se divise en 3 cycles. 155Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 156JC Wallach, La culture, pour qui? page 89 157 Entretien professeur de musique. 2011 68/89 Se pose ici le problème de l'excellence, mais aussi de la professionnalisation que peut incarner le cursus musical de Conservatoire, alors que nous avons pourtant vu précédemment que moins de 10% des élèves inscrits au Conservatoire se destinent par la suite à une carrière professionnelle. Selon M. Clérivet, « on a toujours tendance, en tout cas dans l’enseignement musical au Conservatoire, à vouloir en former des professionnels. Et donc du coup à élaguer les autres, ceux que ça n’intéresse pas de devenir professionnel. 158» Intervient ici la question de l'objectif que l'on assigne à l'enseignement de la musique. En effet apprend-t-on la musique dans une perspective d'accumulation de connaissances? dans un objectif de formation et de professionnalisation? en poursuivant un épanouissement personnel et collectif, Est-ce que l'on joue simplement pour se faire plaisir 159? « cette notion de plaisir elle est là aussi. Et ça aussi c’est un mot qui souvent à été un petit peu tabou dans les Conservatoires, on parlait d’exigence, on parlait de l‘élite, on parlait de travail… mais la notion de plaisir ?160 » Pour une majorité des acteurs ici rencontrés du monde de l'enseignement musical la notion de plaisir est à ne surtout pas oublier dans une perspective d'un apprentissage démocratique et ouvert à tous, un apprentissage à travers lequel chacun peut trouver sa place, qu'il se reconnaisse ou non dans un système cadré, régulier, « scolaire ». Ce système rigide qui est celui principalement subventionné aujourd'hui par le Plan Musique en Ille-et-Vilaine à Rennes, à travers l'enseignement proposé par le Conservatoire de Rennes161 , qui évolue pourtant vers un fonctionnement qui se veut plus accessible, plus « démocratique ». La démocratisation passe par une réflexion sur les méthodes d'apprentissage, et sur l'utilisation des savoirs qui nous sont transmis par par l'Ecole, aussi bien l'Ecole avec un grand « E » que les écoles de musique. Sur les objectifs et les compétences du Conservatoire un acteur s'interroge: « Mettons au cœur le plaisir et l’interprétation, les qualités d’interprétation avant des qualités techniques. Sommesnous là d’abord pour former des techniciens, des gamins ou des jeunes qui sont capables d’avoir une super maîtrise de l’instrument, ou est-ce qu’on est là pour 158Entretien professeur de musique du Conservatoire de Rennes. 159 Ces « objectifs » sont évidement liées les uns avec les autres. 160 Entretien (Jedrzedak) 161 Je parle ici uniquement du Conservatoire et non de la Bouèze, la part qu'il occupent dans les subventions accordées par le Conseil Général restant considérablement plus importante. 2011 69/89 qu’ils nous procurent des émotions ? Et on retrouve un peu ici les liens intrinsèques entre culture et éducation… A l’école est-ce que l’on nous apprend à être épanouis avec notre savoir ou est-ce qu’on nous apprend à bachoter ? 162 » Les questions concernant les méthodes de transmission des savoirs à l'école sont les mêmes qui se posent ici en terme d'enseignement, de méthodes d'apprentissage. Elles sont appréhendés très différemment entre le Conservatoire et la Bouèze, pourtant les deux structures mettent en avant un idéal de démocratisation qui passe par l'école. La Bouèze était, en effet, précurseur de la sensibilisation à la musique en intervenant dans les écoles, et le Conservatoire, aujourd'hui, dans une perspective de démocratisation, coordonne 8 musiciens intervenants, gère les « classes orchestre »... présentant ce volet de la politique comme l'un des plus « démocratique ». Mais paradoxalement c'est la reproduction d'un cadre « scolaire » dans l'enseignement de la musique aujourd'hui qui est aussi un frein à sa démocratisation, les « bons élèves » du système scolaire se retrouvant dans le système institutionnalisé de l'enseignement musical. 162 Entretien. 2011 70/89 B. Paradoxe de l'articulation entre école et enseignement musical. L'école se trouve être par définition, l'institution la plus démocratique pour l'enseignement de la musique, dans le sens où elle touche toute la population, tous milieux sociaux confondus, « capital culturel » acquis au préalable ou non. Nous ne nous intéressons pas ici à l'enseignement musical dispensé dans le cadre de l'éducation nationale, selon des programmes discutés à l'échelle nationale et enseignés dans les écoles et les collèges, mais bien à la politique culturelle du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, le Plan Musique, qui soutient la sensibilisation à la musique grâce à l'action des musiciens intervenants dans les écoles et les collèges. Nous avons pu constater précédemment que la sensibilisation à l'école est présenté par les acteurs du champs de l'enseignement musical comme une mesure de démocratisation tout à fait intéressante, permettant de toucher le public le plus large possible. Désormais se pose la question de savoir ce qu'il advient du lien entre sensibilisation et enseignement de la musique. Car si de nombreux enfants sont touchés par les activités des musiciens intervenants, combien d'entre eux entrerons par la suite dans les structures d'enseignement musical spécialisés subventionnées par le Plan Musique? De l'articulation entre l'école et l'enseignement musical, lui même partagé entre domaine de la culture et domaine de l'enseignement, découle un paradoxe: les caractéristiques du système scolaire, et en particulier les cadres et méthodes d'apprentissage de celui-ci, lorsqu'elles sont reproduites dans le contexte d'un enseignement de la musique spécialisé, constituent un frein à l'ouverture de l'enseignement musical à des publics plus larges. 1. La démocratisation par l'école 2011 71/89 D. Le Bougeant, délégué à la culture au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine, remet en cause un enseignement de la musique « classique », « académique », qui n'a pas su renouveler ses méthodes et ses formes d'apprentissage avec le temps. Il affirme par contre que l'école, elle, a fait ce chemin 163, prenant l'école comme modèle de démocratisation. « Depuis 30 ans, dans les écoles, dans l’éducation nationale, les enseignants ont été obligés de le faire, le public s’est diversifié, les modes d’apprentissage se sont diversifiés, on n’apprend plus à l’école comme on apprenait il y a 30 ans. Parce que les enfants ont changés, parce que par exemple internet est arrivé, parce beaucoup a changé en 30 ans. Et pourtant, dans une école de musique on apprend toujours comme il y a 40 ans. » De ces propos relativement schématiques ressortent malgré tout des tendances actuelles, notamment la bulle de cristal qui entoure l'enseignement musical « classique » du Conservatoire. Mais si le Plan Musique en Ille-et-Vilaine subventionne de manière significative l'activité du Conservatoire à Rennes, il subventionne également, comme nous l'avons vu, l'action des musiciens intervenants164. Et ce volet du Plan Musique que constituent les musiciens intervenants est pour le délégué à la culture du Conseil Général le volet le plus intéressant du Plan Musique, car les interventions de sensibilisation dans les écoles sont la seule solution pour toucher toutes les tranches de la société, sans distinction. Il s'agit dans le cadre de ces interventions d' « éveiller le goût à165 » , selon les termes de l'élu, pour attirer l'attention, sensibiliser. Il ne s'agit pas ici à proprement parler « d'enseigner la musique », mais de donner envie à ceux qui le souhaiterait d'apprendre la musique par ailleurs. « Notre rôle n'est pas dans l' éducation musicale, il est dans la sensibilisation artistique.166 » « Les musiciens intervenants sont les ambassadeurs du Plan Musique en Ille-etVilaine167» , leur activité même répond à l'objectif de démocratisation à travers la découverte de différents instruments, différentes esthétiques musicales à l'école. Car là encore il s'agit de ne pas privilégier une seule et unique esthétique musicale qui serait la musique classique mais d'aborder différents styles et différentes pratiques. 163 Entretien délégué à la culture du Conseil Général d'Ile-et-Vilaine. 164 Musiciens qui sont rattachés au Conservatoire en Ille-et-Vilaine 165Entretien délégué à la culture. 166Idem 167 Entretien responsable du Pôle administratif du Conservatoire de Rennes 2011 72/89 Un professeur de musique rappelle ici à propos de la démocratisation par l'action des musiciens intervenants qu'il y a différents types d'interventions. Effectivement si les interventions relèvent uniquement d'une présentation de la musique classique, cela ne présente pas de réel intérêt de démocratisation selon lui168. Le Conseil Général d'Ille-et-Vilaine privilégie donc aujourd'hui des actions de démocratisation passant par l'école, faisant ici encore de l'Ille-et-Vilaine un département pionner en matière de politique de la musique. En ce sens le responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes rappelle que « dans le Plan Musique en Ille-et-Vilaine, la musique à l’école est vraiment quelque chose de très spécifique au département d’Ille-et-Vilaine. Ça a été fait dans d’autres départements, mais là il y a une véritable volonté politique d’axer aussi cette orientation comme étant une orientation forte.169 » Le Conservatoire de Rennes est donc lié aux écoles à travers les interventions des musiciens intervenants. Il est aussi, autour d'autres projets, directement liée au ministère de l'éducation nationale, à travers notamment le dispositif des classes à horaires aménagés, dispositif qui selon l'équipe de direction du Conservatoire est assez emblématique de la volonté de démocratisation, en lien direct avec l'éducation. Le dispositif des classes à horaires aménagées est un dispositif partenarial entre l’éducation nationale et les collectivités locales, et en l’occurrence le Conservatoire, pour permettre d’aménager l’emploi du temps des élèves sur le temps scolaire, et qu’ils puissent bénéficier de plages qui sont figées dans leur emploi du temps scolaire, d’enseignement au Conservatoire. En prenant cet exemple la direction du Conservatoire explique que « c’est un intérêt d’un établissement comme le Conservatoire, on voit bien qu’on est au cœur, on est à la croisée des acteurs publics en matière de politique publique d’enseignement artistique, et certains vont dire de politique culturelle [...] L'enseignement artistique est-il de la culture? L'enseignement artistique est-il de l'éducation? On est à la croisée des chemins. Des passerelles entre éducation et culture sont dors et déjà établies, d'autres 168 Entretien professeur de musique 169 Entretien responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. 2011 73/89 restent à construire. Le dispositif des classes à horaires aménagés est repris en exemple dans plusieurs ouvrages. A l'échelle nationale, « une vraie solution ne peut venir que d’une coopération étroite entre le ministère de l’éducation nationale et celui des Affaires Culturelles, pour offrir un enseignement à la fois adapté à l’éducation musicale du plus grand nombre et à la formation des professionnels. Un excellent exemple d’une telle alliance réussie est celui des « classes à horaires aménagés ». Cette formule, qui existait déjà dans l’Allemagne du XIXème siècle et en Europe de l’Est, repousse le plus tard possible pour les jeunes élèves le choix définitif d’une carrière professionnelle en leur permettant de mener de front des études générales et une formation musicale intensive. Dès 1967, ce but est atteint dans les Conservatoires de Reims et de Toulouse, puis dans beaucoup d’autres villes, et le premier baccalauréat « musical » a lieu en 1973. Ce qui prouve qu’une collaboration étroite est bien possible entre les enseignants de l’éducation nationale et ceux des Conservatoires : une barrière psychologique est tombée de façon irréversible, grâce à une volonté politique résolue. 170» Mais cet exemple s'intéresse à l'enseignement musical dans but éventuel de professionnalisation, objectif qui ne concerne en réalité qu'une petite partie du public potentiel de l'enseignement musical et s'éloigne de la problématique d'un enseignement de la musique accessible à tous, sur tout le territoire et pour toutes les classes d'âge. A une échelle locale comme celle du département, l'action des musiciens intervenants dans les écoles est constitutive d'une politique publique de proximité, concrètement perceptible par tous. ( A Rennes sur l'année 2007-2008, ce sont 5500 élèves qui ont été touchés par au moins une intervention de musicien intervenant sur les écoles du territoire rennais.) Cette politique va donc dans le sens « d'éveiller le goût à » selon la formule du délégué à la culture du Conseil Général, en essayant de toucher un maximum d'enfants. Mais maintenant, une fois que l'on a « éveillé le goût à », dans quelle mesure les enfants, ou plutôt les parents des enfants concernant les classes d'âges visée par l'action des musiciens intervenants, se sentent-ils légitimes de franchir la porte du Conservatoire de Rennes, ou de telle ou telle école de musique? Ne reste-il pas un certain nombre de verrous à supprimer entre l'étape de la sensibilisation et l'intégration dans les structures d'enseignement musical spécialisé? 170 État et musique, page 61 2011 74/89 Un acteur du Conservatoire souligne une question qui ce pose alors: celle de savoir quel est le véritable impact de l'intervention des « Dumistes », à travers le Plan Musique, sur l'augmentation des élèves dans les écoles de musique et la démocratisation de l'enseignant qui y est dispensé. « La difficulté que l’on rencontre ici, c’est que nous n’avons pas d’appareil statistique à la hauteur de nos ambitions. Ce qui serait intéressant serait de savoir, parmi tous ces enfants touchés par les actions des musiciens intervenants, quels sont ceux qui, un moment donné, se donnent le droit, ou se sentent légitimes pour venir frapper à la porte d’un Conservatoire. Nous avons quelques cas individuels, mais que nous n'apprenons que bien après, souvent, et c’est parce que la personne en parle, elle-même. Elle a grandi, elle est adolescente, et en disant « ah ben oui, c’était tel musicien intervenant qui m’avait donné le gout, et j’en avais parlé à mes parents, et c’est comme ça que etc. » Mais nous n’arrivons pas, compte tenu du nombre d’enfants qui sont touchés, à évaluer cette proportion.171 » Les interventions de sensibilisation qui se déroulent en milieu scolaire sont donc une formidable opportunité de toucher toute la population sans trop de distinction de classes172. Elles présentent une approche ludique et ouverte de la musique, à travers la présentation de différentes esthétiques. Le dispositif des musiciens intervenants se trouve presque systématiquement cité lors des entretiens réalisés, pour donner des exemples d'actions dans une perspective de démocratisation. Cependant rappelons que le Plan Musique comporte deux volets: les musiciens intervenants et le soutient à l'enseignement musical dispensé par les écoles de musique, par le Conservatoire. Comment s'articulent ces deux volets? Il apparaît dans l'enquête que du point de vue de plusieurs professeurs de musique, et élèves musiciens, ce sont explicitement les méthodes d'apprentissage de la musique qui constituent un frein majeur à l'ouverture de l'enseignement de la musique à de nouveaux publics. Et il est frappant de voir à quel point les « cursus » musicaux d'apprentissage de la musique au Conservatoire présentent des similitudes avec les cursus scolaires. ( A l'inverse de l'association la Bouèze, où le schéma scolaire n'est pas du tout reproduit dans les cours de musique 171 Entretien 172 Il est a préciser que des différences sont a noter entre les écoles évidemment, mais il semble que les actions des musiciens intervenant s'effectuent en priorité dans les « quartiers sensibles » et les ZEP 2011 75/89 dispensés.) En ce sens, il peut apparaître regrettable que des élèves en difficultés ou mal adaptés au système scolaire ne puissent connaître un épanouissement personnel à travers un apprentissage de la musique extérieur à l'école. En suivant une métaphore poussée à l'extrême, on pourrait dire que l'école, en prêtant un outil de démocratisation sans égal à l'enseignement de la musique de part le public qu'elle rassemble, formate dans le même temps l'enseignement musical en diffusant des méthodes d 'apprentissage rigides, reprises comme étant légitimes et démocratiques. 2. Un apprentissage scolaire de la musique antidémocratique? Il ne s'agit dans cette dernière partie aucunement de remettre en cause la fait que l'école puisse représenter l'institution la plus démocratique pour favoriser un apprentissage de la musique démocratique, en tant qu'institution obligatoire, gratuite et ouverte à toute la population. Mais comme nous parlons ici d'un enseignement de la musique subventionnée par le Plan Musique qui est dispensé en dehors de l'école, il s'agit de s'interroger sur les méthodes d'apprentissage et le cadre de cet enseignement, qui présente des similitudes flagrantes avec les méthodes d 'apprentissage qui sont celles de l'école. En effet au vu de ce qui a pu ressortir de l'enquête menée auprès de certains acteurs de l'enseignement musical concernés, des méthodes d'apprentissage passant par des concours, des diplômes, des cycles... sur le même modèle que l'école sont en partie à l'origine de la difficile démocratisation de cet enseignement musical. Le cursus d'études musicales du Conservatoire est formé d'un test d'aptitude à l'entrée, de diplômes consécutifs par la suite, reproduisant un schéma scolaire qui peut même se présenter comme encore plus rigide que celui rencontré à l'école. Tout d'abord ce schéma privilégie un axe qui est celui de l'objectif d'une formation sanctionnée par un diplôme, laissant de côtés des pratiques musicales « amateur », mot qui est à prendre ici au sens noble du terme, c'est-à-dire de celui qui aime, celui qui est passionné, et non celui qui sous prétexte de ne pas rechercher l'obtention d'un 2011 76/89 diplôme ne serait pas autorisé à intégrer une structure telle que le Conservatoire, presque entièrement financée par l'argent public et dotée de moyens, de locaux et de ressources sans égal. Selon F. Burdan173 « dans les institutions d'enseignement spécialisé de la musique, un des objectifs prioritaires est l'accession à « l'excellence technique ». « La recherche d'excellence est décrétée comme un processus inscrit dans le long terme, réclamant pugnacité et persévérance. » B. Gourdy, élève en DEM174 au Conservatoire précise explicitement: « On ne reste au Conservatoire finalement que si on vise le DEM175. » JC Wallach s'alarme contre cette dynamique intrinsèque au système d'enseignement musical actuel. En effet pour lui176, « ce n’est pas « démocratiser la culture » que d’offrir au « plus grand nombre » l’attente de quelques-uns, donc la relation que ce microcosme entretient avec la musique et avec l’usage qu’il en fait. Pire, ce n’est pas de la « démocratisation », c’est de l’exclusion institutionnalisée. Pour autant, respecter la diversité des attentes et des objectifs que chacun assigne à sa pratique ne signifie pas brader les exigences artistiques et celles des processus d’acquisition et de maîtrise des langages et des compétences techniques nécessaires. Cela signifie simplement les replacer dans le contexte des démarches des personnes et ne pas chercher à toute force à les faire passer sous les fourches caudines de représentations et de pratiques de la musique prétendument universelles. » Se pose le problème de pratiques musicales institutionnalisées et de méthodes universalisées, dans un contexte où il existe au moins autant de méthodes qui seraient envisageables que d'esthétiques musicales. En ce sens, la sélection qui s'opère au fur et à mesure des années au Conservatoire ne laisse de place que pour les plus persévérants, et ceux s'intégrant le mieux dans les cadres du système. Dans le cas de l'école Bourdieu parle d'un langage de l'école qui est celui d'une classe dominante, dans le monde de l'enseignement musical on pourrait parler d'une forme d'apprentissage, d'une perception de la 173 F. Burdan L'authenticité musicienne à l'épreuve de la formation et de l'expérience 174 DEM: diplôme d'Etudes musicales 175 Entretien. 176 JC Wallach, La culture, pour qui? 2011 77/89 musique par le solfège et l'excellence qui fait de celle ci un loisir de luxe réservé à une infime partie de la population qui en comprend les codes. Pour JC Wallach nous nous trouvons ici face aux « Enjeux de l’école et en termes d’affirmation du contenu éducatif et culturel des loisirs proposés aux jeunes générations. Celles-ci se voient imposer des emplois du temps quasi ministériels et confrontées aux contraintes de la réussite (éducative, culturelle, sportive, etc.) à tout prix. ». Dans une perspective de réussite scolaire ou non, le « bon » élève sera autorisé à pratiquer la musique, en guise d'une acquisition supplémentaire de connaissances dans un parcours de réussite, quand l'élève en difficulté s'en verra éloigné. Il est possible de lire dans la plaquette de présentation du Conservatoire un paragraphe concernant l'assiduité des élèves inscrits dans l'établissement très révélateur: « Assiduité et absences: L'élève doit suivre l'intégralité des cours auxquels il est inscrit. Il s'engage à assister de manière régulière, assidue et ponctuelle. L'élève absent reste sous la responsabilité de ses parents ou tuteurs. En cas d'absence de l'élève, l'accueil ou la scolarité du Conservatoire devra être informé dans les meilleurs délais par écrit ou par téléphone, mais dans tous les cas un mot d'excuse devra être remis à la scolarité. Un manque d'assiduité notoire pourra conduire à la radiation de l'élève ». Le cadre scolaire d'encadrement de l'enseignement se retrouve ici très nettement, jusqu'à l'utilisation de termes comme « scolarité », « mot d'excuse. » Il paraît difficile dans un tel contexte d'envisager un apprentissage de la musique au Conservatoire pour des enfants rencontrant déjà des difficultés dans un un système scolaire auquel ils ne s'adaptent déjà pas très bien. Il paraît évident qu'un enfant en échec scolaire (et non nécessairement jusqu'à ce stade d'ailleurs) ne peut se retrouver et s'épanouir à travers un apprentissage aussi cadré , exigeant et compétitif. Il résulte de ces processus que ce sont les « bons élèves » du système scolaire qui en majorité se retrouvent à bénéficier de l'offre d'enseignement musical d'un conservatoire, suivant un système méritocratique individualiste177 qui est une des analyses qui a caractérisé la démocratisation de l'enseignement en général pendant plusieurs décennies. L'idée d'une élévation continue du niveau culturel de l'ensemble de la nation ne semble par avoir atteint le domaine de l'enseignement de la 177 Rapport Langevin Wallas, 1947. Cours de P. Leroy, parcours scolaires, Inégalités scolaires et inégalités sociales. 2011 78/89 musique. Malgré une volonté politique un peu différente en Ille-et-Vilaine à l'échelle du département pour favoriser au moins la « sensibilisation » l'enseignement musical ne s'intègre que de manière très superficielle dans le cadre de l'éducation nationale. « L’école cherche à inculquer178 le « culte » de la culture, c’est-à-dire le « devoir d’aimer » certaines œuvres, ne craignant pas l’oxymore entre devoir et aimer. L’école occupe enfin une place d’autant plus paradoxale dans cette socialisation culturelle qu’elle réserve une place marginale aux enseignements artistiques. » Il s'avère que dans certains pays voisins, comme en Finlande179 par exemple, dans les écoles deux heures de musique par jour font partie de l'emploi du temps des enfants, et le temps scolaire est organisé de façon très différente, laissant un temps quotidien disponible pour les loisirs des enfants comme la musique ou le sport, temps libre que l'on perçoit parfois difficilement dans les emplois du temps quotidiens des élèves français. Mais là se pose une toute autre question qui pourrait faire l'objet d'un nouveau travail de recherche. Rappelons pour terminer ici que la volonté de démocratisation de l'école passe idéalement par l'adaptation de l'école à l'élève, et non l'adaptation de l'élève à l'école. Dans le cadre de l'enseignement musical la même dynamique se retrouve, avec des méthodes d'apprentissages qui doivent être capables de s'adapter à chacun, non des publics qui se voient contraints de s'adapter à un cadre méthodologique à prétendue universalité rigide. Facteur de blocage d'un élargissement des publics de l'enseignement musical, ces méthodes ne sont pas à supprimer (supprimer le solfège en soi serait il me semble une absurdité), mais à remodeler, reformuler, réinventer pour enfin passer d'un enseignement de la musique « pour tous » , dans le sens d'accessible dans les droits à tous, à un enseignement de la musique « avec tous », les publics devenant les propres acteurs de leur épanouissement et de leur construction à travers la pratique musicale. 178 L. Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles. 179 Entretien professeur de musique finlandaise. 2011 79/89 Conclusion L'expression « démocratisation de l'enseignement musical » utilisée dans la présente recherche tente de relier la problématique générale de la démocratisation de la culture avec le domaine spécifique de l'enseignement musical au travers d’une une politique publique : le Plan Musique, en Ille-et-Vilaine. Cette politique menée par le Conseil Général permet d’appréhender un processus, qui est celui de la traduction de l’idée de démocratisation culturelle dans le domaine spécifique de l’enseignement musical, grâce à l’observation des deux exemples étudiés ici qui sont le Conservatoire à Rayonnement Régional de Rennes et l’association de Musique traditionnelle La Bouèze. La « démocratisation » se révèle être un « mot-valise » dont les acceptions se trouvent êtres presque aussi nombreuses que les acteurs du champ de l’enseignement musical. Le terme est plus ou moins employé selon les structures. Au Conservatoire il revient de manière beaucoup plus fréquente dans les discours de l’équipe de direction qu’à La Bouèze. Mais ce qu’il est intéressant de constater au fil des débats avec les acteurs, c’est que ce n’est pas toujours lorsque l’on aborde le débat autour de la démocratisation que des réponses, pour favoriser une plus grande accessibilité à l’enseignement musical, sont mises en avant. En effet le terme de démocratisation se retrouve moins dans les discours des professeurs de musique que dans celui des équipes de direction. Certains d'entre eux ont une idée tout à fait précise d’un frein à l’ouverture, à l’élargissement des publics de l’enseignement de la musique : les méthodes d’apprentissage de la pratique musicale les plus répandues aujourd’hui dans les écoles de musique ne peuvent permettre l’ouverture des publics préconisée par le Plan Musique. Tout d’abord un apprentissage de la pratique musicale passant par un apprentissage du solfège préalable à la pratique instrumentale, même si il est 2011 80/89 remplacé aujourd’hui par le terme plus large de « formation musicale », ne peut être un gage de démocratisation de l’enseignement. L’observation de la réalité montre effectivement que cette formation brise un certain nombre de vocations musicales qui auraient pu se développer au sein d’écoles de musique subventionnées : les abandons consécutifs à une « formation musicale » obligatoire se révèlent être nombreux. Sur ce point qui est celui des méthodes d’apprentissage de la musique, l’observation de deux terrains très différents, La Bouèze et le Conservatoire, apporte un éclairage intéressant. A des méthodes d’apprentissage très différenciées sont liés des publics tout à fait différents. Sans porter ici aucun jugement de valeur en termes d’esthétique musicale, il est intéressant de voir qu’une étude en cours réalisée par JM. Pichon semble montrer que les personnes ayant appris la musique en passant par le milieu de la musique traditionnelle jouent souvent tout au long de leur vie, quand une partie importante les personnes issues d’une formation classique cessent la pratique instrumentale lorsque se termine leur cursus d’apprentissage. Mais c’est une autre piste de recherche qui s’ouvre ici… Les méthodes d’apprentissage se relèvent donc être un élément essentiel à prendre en compte lorsque l’on parle de démocratisation. Si cet aspect n’apparait pas dans le Plan Musique, cela résulte du fait que chaque partie, chaque acteur du monde de l’enseignement de la musique développe ces propres compétences, desquelles ressort finalement une relative cohérence. Il s'avère cependant que l'enseignement de la musique, à la croisée des chemins entre culture et éducation, ne peut s'appréhender uniquement à travers le prisme de la démocratisation culturelle. L’aspect pédagogique qui le rattache au domaine de l'éducation ne peut être négligé dans une perspective de démocratisation de l’enseignement de la musique, un enseignement qui doit, selon l’idéal de démocratisation, pouvoir être accessible à tous. La distinction posée en introduction entre « démocratisation culturelle » et « démocratie culturelle » retrouve sa place ici. Il faut distinguer l’accès à tous, d’un point de vue pratique et financier des études musicales dans une école telle que le Conservatoire, de la formation de chaque 2011 81/89 personne qui le souhaite à travers la pratique musicale. La construction par tous de l’enseignement de la musique, selon un idéal de « démocratie culturelle » doit être favorisée. Cette distinction définie dans le domaine plus large de la démocratisation culturelle en général retrouve sa pertinence dans le domaine étudié ici de l’enseignement musical. En subventionnant le Conservatoire, le plan musique permet à tous de pouvoir financièrement accéder à l'excellence de la formation musicale. Mais, selon la formule de JC. Wallach, « il est plus que temps de passer de l' « élitaire pour tous » à « l'égalitaire avec tous ». Rendre accessible une excellence de l'enseignement artistique à tous est une chose, que chacun puisse trouver la possibilité de se réaliser à travers un enseignement artistique tel que celui de la musique en est une autre. Pour l’auteur « Il s’agit de souligner l’urgence d'un (ré) investissement des institutions artistiques dans les enjeux de nos devenir collectifs et donc d’une redéfinition de leurs ambitions comme de leurs modalités d’action. » Le Plan Musique est un exemple encourageant de volontarisme politique en matière d’enseignement artistique, mais le discours politique qu’il véhicule actuellement peut remettre en cause des financements historiques attribués à certaines structures. Il est toujours prudent de conserver un avis réservé sur la modification d’une politique publique qui, mise en place par une majorité politique, doit être reprise par une autre. Suivant un axe tout à fait différent ici il pourrait être intéressant se s’intéresser aux logiques proprement politiques à l’œuvre autour du Plan Musique. Une enquête sur les processus et dynamiques de « politiquespoliticiennes » autour de l’exemple de cette politique publique ou d’une autre politique à visée de démocratisation pourrait apporter un autre angle de vue à la tentative d’analyse organisationnelle qui a été faite ici. Enfin le Plan Musique œuvre pour un soutien de l’enseignement de la musique accessible à tous, et avant tout pour un éveil musical à l’école, par le biais des interventions des musiciens intervenants dans les écoles. Un paradoxe a été soulevé autour de l’articulation entre l’école et l’enseignement spécialisé de la musique, et le fossé non comblé entre un éveil dans le cadre scolaire, une sensibilisation, et l’intégration dans une structure d’enseignement musical comme le conservatoire pose question. Face aux enjeux de l’enseignement artistique à l’école, il serait 2011 82/89 intéressant suite à ce travail de recherche de s’interroger, dans une perspective plus éloignée du champ des politiques culturelles, sur l’articulation entre le temps scolaire et les loisirs extérieurs des élèves en France aujourd’hui. La réalisation de ce présent mémoire a été source de nombreux aléas et difficultés, et il me semble évident que lors d’un futur travail de recherche, j’adopterai une méthodologie plus précise, et je m’attacherai davantage au respect des contraintes de temps et d’organisation qu’il apparait fondamental de respecter au vu de l’aboutissement d’un travail de recherche comme celui-ci. La définition tardive de mon objet empirique a constitué notamment un blocage relatif du travail, et il me semble qu’une définition plus précise de la problématique, afin de ne pas me perdre entre divers axes d’études et de questionnement, aurais résolu un certains nombre de difficultés rencontrées. Enfin j’aurais souhaité réaliser davantage d’entretiens avec les acteurs du monde de l’enseignement musical, afin de pouvoir assoir mon travail de recherche sur une palette d’entretiens plus représentative. Si j’ai beaucoup appris au cours de la réalisation de ce travail de recherche… il me semble que j’ai encore beaucoup à apprendre sur la méthodologie de la recherche en sociologie. Mais l’apprentissage est l’histoire d’une vie ! 2011 83/89 « La musique commence là où s'arrête le pouvoir des mots » Richard Wagner, 1813-1883 2011 84/89 Bibliographie Ouvrages imprimés – Sous la dir. De L. BOUSSAGUET, S. JAQUOT, P. RAVINET, préface de P. MULLER, Dictionnaire des politiques publiques, Presses Sciences Po, France, 2004 – CHAMBLAS A. La démocratisation culturelle: mot d'ordre ou « mot valise »?, mémoire Sciences Po Rennes, 2007, 96 pages. – DARRE A. Musique et politique, les répertoires de l'identité, presses universitaires de Rennes, 1996 – DONNAT O, Les pratiques culturelles des Français, Enquête 1997. Paris, La documentation française, juin 1998, 357 pages. – DONNAT O. les français face à la culture, de l'exclusion à l'éclectisme, la découverte, 1994, Paris 368 pages – FLEURY L, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Paris, Armand Colin, 2006, 127 pages. – GANVERT G. L'enseignement de la musique en France, situation, problèmes. L'Harmattan, Paris, 1999. 221 pages – LAHIRE B. La culture des individus, dissonances culturelles et distinction de soi, la découverte, Paris 2004. 2011 85/89 – Ministère de la culture et de la communication, Musique, Etat et culture, Paris, La Documentation française, 1992, 170 pages. – VEITL A. et DUCHEMIN N. Maurice Fleuret: Une politique démocratique de la musique, Paris, Comité d’histoire du Ministère de la culture, 2000, 471 pages. – WALLACH J-C, La Culture, pour qui? Essai sur les limites de la démocratisation culturelle. Toulouse, éditions de l'attribut, janvier 2006, 120 pages. Articles de revues et périodiques – AUTES M. Le sens du territoire, Recherche et prévisions, n°39, 1995 – BURDAN F. L'authenticité musicienne à l'épreuve de la formation et de l'expérience, éducation et société, n°19, p.177-192. 2007 – COULANGEON P. Le rôle de l'école dans la démocratisation de l'accès aux arts, revue de l'OFCE, Presses de Sciences Po, n°86, p. 155-159 – DELANNOI G. 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Entre démocratisation et démocratie culturelle: quelle politique pour le théâtre? Conférence midi, 10 février 2011 - (Film) DURAND P.N. Et COTINIER H. It's not a gun, 2008 (Sur la création d'une école de musique en Palestine.) 2011 87/89 Annexes I. ENTRETIENS EFFECTUES Entretiens exploratoires: ▪ Ulla NOUSIANEN, Professeur de piano indépendante à Rennes. Le 23 novembre 2010, à son lieu de travail. (1h30) ▪ Dylan JAMES, Coordinateur pédagogique de l'association la Bouèze. Le 25 novembre 2010, à la ferme des Gallets à Rennes. (1h45) Entretiens: ▪ Émilie MANIC, Chargée de mission musique au Conseil Général d'Ille-et-Vilaine. Le 22 février 2011, dans son bureau aux archives de Rennes. (40 min) ▪ Jean-Luc REVAULT, Professeur de musique traditionnelle, fonctionnaire de catégorie A, ancien employé de la Bouèze. Le 24 février 2011, dans un café à Dinan. (3h) ▪ Bertrand GOURDY, Élève en DEM (Diplôme d'études musicale) au Conservatoire de Rennes. Le 10 mars 2011 au Conservatoire, à Rennes. (30 min) ▪ Franck-Olivier JEDRZEJAK, Responsable du pôle administratif du Conservatoire de Rennes. Le 30 mars 2011, au Conservatoire de Rennes. (1h50) 2011 88/89 ▪ Bernard HOMMERIE, Vice-président de l'association la Bouèze. Le 5 avril 2011 à la ferme des Gallets à Rennes. (1h30) ▪ Marc CLERIVET, Professeur de musique au Conservatoire de Rennes et de Brest, enseignant à l'université de Rennes 2, Ethno-sociologue. Le 14 avril 2011, à Brest. (1h) ▪ Didier LE BOUGEANT, Vice-président du Conseil Général d'Ille-etVilaine, délégué à la Culture. Le 22 avril 2011, au Conseil Général à Rennes. (20 min) ▪ Ronan PINC, Musicien, élu remplaçant au Conseil Général des Côtes d'Armor. Le 26 avril 2011, à Ruca (22). (1h15) 2011 89/89