Première partie : Méthodologie

Transcription

Première partie : Méthodologie
Anémie en Tunisie
P R E M IE R E P A R T IE
M é t ho d o l o g i e
-9-
Anémie en Tunisie
- 10 -
Anémie en Tunisie
I.
1.
ENQUETE QUANTITATIVE
Sélection de l’échantillon de l’étude
Le tirage de l'échantillon et le plan de sondage ont été réalisés par l'Institut National des
Statistiques (INS).
1.1. Choix de l'échantillon
L'ampleur du problème de l'anémie dans la population tunisienne, sa répartition géographique
ainsi que les groupes cibles ont été définis par l'enquête nationale de nutrition 1996/97.
L'anémie touche essentiellement les enfants de moins de 5 ans et les femmes en âge de
procréer. Toutes les régions en sont affectées avec une légère prédominance dans le Sud
Ouest et le Grand Tunis (tableau I). Notre enquête a donc porté sur un échantillon aléatoire de
jeunes enfants de moins de 5 ans et de femmes âgées de 15 à 49 ans, originaires de deux
régions les plus à risque (figure 1), à savoir :
le Sud Ouest (gouvernorats de Gafsa, de Tozeur et de Kébili) où sévissent les prévalences
les plus élevées parmi les enfants et les femmes.
le Grand Tunis (gouvernorats de Tunis, de Ben Arous et d'Ariana) où les taux observés
reflètent la situation nationale.
ARIANA
TUNIS
BEN AROUS
GAFSA
TOZEUR
KEBILI
Figure 1
Situation géographique des
deux régions de l’étude
- 11 -
Anémie en Tunisie
1.2. Taille de l'échantillon
La formule suivante a été utilisée pour calculer la taille de l'échantillon à enquêter.
Taille de l'échantillon =
t ² xP ( 100 − P )
d²
P = pourcentage des individus anémiques dans la zone de l'étude.
t = niveau de probabilité que le pourcentage réel se situe à l'intérieur de la valeur retenue pour
la précision d.
d = niveau de précision exigé des résultats.
Dans le cas d'un sondage élémentaire et d'une précision de ± 5 pour cent, l'application directe
de la formule aux différents groupes cibles et pour les deux régions a donné les effectifs
suivants : 225 enfants âgés de moins de 5 ans et 292 femmes en âge de procréer pour la région
du Grand Tunis et respectivement, 193 et 185 pour la région du Sud Ouest.
L'unité de l'enquête sur le terrain étant le ménage, le calcul du nombre de ménages à contacter
pour couvrir l'effectif des enfants-échantillons, âgés de moins de 5 ans, a été réalisé à partir de
la base constituée par les résultats de l'enquête nationale sur la population et l'emploi (ENPE)
de 1999. Ce nombre couvre largement l'effectif des femmes-échantillons car il y a plus de
femmes âgées de 15 à 49 ans que de ménages et que d’enfants de moins de 5 ans.
Selon l'ENPE de 1999, le nombre moyen des jeunes enfants par ménage est de 0,35 dans le
Grand Tunis et de 0,47 dans le Sud Ouest. Il en résulte que le nombre de ménages à interroger
dans le cas d'un sondage élémentaire est de 643 ménages dans le Grand Tunis et de 411
ménages dans le Sud Ouest.
Le tirage de l’échantillon des ménages a été réalisé selon le procédé de sondage par grappes.
L’échantillon initial a donc été ajusté par un facteur de 2 pour tenir compte de l'effet de
grappes. Celles-ci correspondent aux districts pour les grandes villes, les autres communes et
les habitats agglomérés et aux zones naturelles pour les habitats dispersés.
Il est à rappeler qu’au moment de l’enquête sur le terrain et selon le découpage de l'INS, le
pays était divisé en 23 gouvernorats (un autre gouvernorat a été crée depuis, celui de
Manouba, qui faisait partie du Gouvernorat de l’Ariana). Chaque gouvernorat est stratifié
selon le milieu de résidence en :
−
grandes villes : il s'agit des grandes agglomérations urbaines dans le pays. Sont
considérées grandes villes, la ville de Tunis, la ville de Bizerte, la ville de Sousse, la ville
de Sfax, la ville de Kairouan et leurs banlieues respectives et le Grand Gabès ;
−
autres communes : il s'agit des communes autres que celles classées dans la catégorie des
grandes villes ;
- 12 -
Anémie en Tunisie
−
milieu non communal aggloméré : ce sont les agglomérations non communales classées
agglomérations principales lors du recensement de 1994 ;
−
milieu non communal dispersé : il s'agit des zones non communales en dehors des
agglomérations principales. Ces zones sont à habitats dispersés ou groupés dans des
petites agglomérations.
Tenant compte des ménages qui ne comprennent pas de jeunes enfants et de l'effet de grappes,
le nombre total des ménages à contacter était de 1300 ménages dans le Grand Tunis et de 820
ménages dans le Sud Ouest. En tablant sur un effectif de 20 ménages à enquêter par district
(le quota se situe généralement entre 20 et 30 ménages), le nombre de districts-échantillons
était de 65 unités dans le Grand Tunis et de 41 unités dans le Sud Ouest.
1.3.
Méthode de sondage
L'échantillon de l'enquête anémie a été tiré par sondage aléatoire à deux degrés. Au premier
degré, les grappes-échantillons sont tirées systématiquement
avec des probabilités
proportionnelles à leurs tailles en nombre de ménages recensés. Au second degré, les
ménages-échantillons sont sélectionnés dans chaque grappe retenue. A partir d'un point de
départ pris au hasard dans la grappe, 20 ménages successifs sont interrogés (méthode des
quotas). Les ménages qui n'ont pas de jeunes enfants ou de femmes en âge de procréer sont
éliminés de l'échantillon final.
Le nombre de districts de recensement ainsi que le nombre de ménages varient
considérablement d'un gouvernorat à un autre. L'échantillon n'étant pas autopondéré, une
pondération a été effectuée prenant en compte les taux de sondage différents dans chaque
strate de chaque gouvernorat. Chaque district échantillon aura son coefficient d'extrapolation
à l'échelle nationale. Ces coefficients, qui tiennent compte du plan de sondage, ont été établis
par l'INS. Une description détaillée de l'échantillon, de sa répartition par gouvernorat et par
strate ainsi que les coefficients d'extrapolation sont présentés à l'annexe 4.
1.4. Formule de calcul des coefficients d’extrapolation
Total des ménages de la strate S = N
Taille d'un district échantillon di = Ni
Nombre de district échantillon pour la strate = n
Au premier degré, la probabilité de tirer le district di dans la strate : S = nxNi
N
Au second degré, 20 ménages par district échantillon sont tirés. La probabilité du tirage au
second degré = 20 Ni
- 13 -
Anémie en Tunisie
Le taux de sondage définitif par strate =
nxNi 20 20 n
x
x
Ni
N
N
Le coefficient d'extrapolation pour le district di = N 20n
2. Définition des différents types d’anémie
L’anémie est par définition un état dans lequel la quantité de l’hémoglobine circulante est
abaissée au-dessous des limites fixées par l’OMS et qui sont définies en fonction de l’âge, du
sexe et de conditions physiologiques particulières comme la grossesse (19). Le diagnostic de
l’anémie commence donc par le dosage du taux d’hémoglobine circulante (figure 2). La
méthode de choix est la numération sanguine complète qui comprend le nombre de globules
rouges (GR), les taux de l’hémoglobine (Hb) et de l’hématocrite (Ht), le volume globulaire
moyen (VGM) et la teneur corpusculaire moyenne en Hb (TCMH). La détermination de la
formule sanguine a été réalisée sur du sang veineux, prélevé le matin à jeun, dans un tube
contenant de l’EDTA K2 (anticoagulant), à l’aide d’un compteur électronique (Coulter
Counter model T540 Beckman-Coulter).
En fonction de la TCMH, l’anémie peut-être classée en deux groupes : anémie hypochrome
quand la valeur de la TCMH est inférieure aux seuils limites recommandés et anémie
normochrome quand la valeur de la TCMH est dans la fourchette de la normalité (20, 21).
L’anémie hypochrome est souvent microcytaire et rarement normocytaire, alors que l’anémie
normochrome est normocytaire ou macrocytaire (figure 2). La baisse du VGM traduit une
microcytose alors que la macrocytose est confirmée pour des valeurs du VGM supérieures
aux seuils limites recommandés (20, 21).
ANEMIES
Hb<12 g/dl Femmes non enceintes
Hb<11 g/dl Femmes enceintes
Hb<11 g/dl Enfants
Hypochrome
Normochrome
TCMH<27 pg Femmes
TCMH<23 pg Enfants de 0 à 2 ans
TCMH<24 pg Enfants de 2 à 5 ans
TCMH>=27 pg Femmes
TCMH>=23 pg Enfants de 0 à 2 ans
TCMH>=24 pg Enfants de 2 à 5 ans
Microcytaire
VGM<80 fl Femmes
VGM<70 fl Enfants de 0 à 2 ans
VGM<75 fl Enfants de 2 à 5 ans
Normocytaire
Femmes :
VGM>=80 fl et VGM<100 fl
Enfants de 0 à 2 ans :
VGM>=70 fl et VGM<90 fl
Enfants de 2 à 5 ans :
VGM>=75 fl et VGM<90 fl
Figure 2 : classification de l’anémie
- 14 -
Macrocytaire
VGM>=100 fl Femmes
VGM>=90 fl Enfants de 0 à 2 ans
VGM>=90 fl Enfants de 2 à 5 ans
Anémie en Tunisie
2.1. Anémie hypochrome normocytaire ou microcytaire
Une anémie hypochrome normocytaire ou microcytaire peut être la conséquence d’une
carence en fer ou d’un processus inflammatoire, ou encore d’un défaut de synthèse de la
globine (thalassémies) ou enfin d’une sidéroblastose héréditaire ou acquise (figure 3). Chez
un même sujet, l’association de deux causes ou plus est fréquente.
Anémie hypochrome micro ou normocytaire
Carence en fer
Syndrome
inflammatoire
Thalassémies
Sidéroblastose
Figure 3 : étiologie de l’anémie hypochrome normocytaire ou microcytaire
Devant une anémie hypochrome normocytaire ou microcytaire, le bilan biologique est
essentiel car il permet d’en préciser le mécanisme. La carence en fer étant la cause la plus
fréquente et la plus vulnérable aux mesures d’intervention, elle a été recherchée en priorité.
2.1.1. Carence en fer
Chez tous les sujets anémiques, nous avons dosé les marqueurs sériques du statut en fer
suivants :
−
la ferritine, le fer et la transferrine dont le dosage a été réalisé sur du sérum obtenu par
centrifugation du sang total prélevé le matin à jeun chez les sujets anémiques. La ferritine
est dosée par immunoenzymologie, Kit Biochem Immunosystems, les standards étant
calibrés par rapport à l’étalon international OMS 80/602. Le fer sérique est dosé par
méthode colorimétrique à la Ferrozine, Kit et analyseur Synchron CX7- Beckman. La
transferrine est dosée par méthode immunoturbidimétrique, Kit et analyseur Synchron
CX7- Beckman. Les standards étant calibrés par rapport à l’étalon du BCR
(IRPPHS/CRM470) ;
−
la capacité totale de fixation du fer par la transferrine (CTF) est calculée à partir de la
concentration de transferrine :
CTF (µmol/l) = Concentration de la transferrine (g/l) x 25 (22)
−
le coefficient de saturation de la transferrine (CST) a été obtenu par le calcul suivant:
CST (%) = Fer sérique (µmol/l)/ CTF (µmol/l) x 100 (22)
Les valeurs seuils des indices biologiques pour diagnostiquer la carence en fer chez les
femmes et les enfants (22,23, 24) sont colligées sur le tableau II.
Tableau II : Critères biologiques de diagnostic d’une carence en fer
- 15 -
Anémie en Tunisie
Variables biologiques/Age
Déficit en fer
Ferritine
Enfants de 6 mois à 15 ans
<15 µg/l
Femmes
<20 µg/l
Fer sérique
Nourrissons et enfants
<11 µmol/l
Femmes
<8 µmol/l
Transferrine
Nourrissons et enfants
>4 g/l
Femmes
>3,2 g/l
Coefficient de saturation de la transferrine
2.1.2.
Enfants de 6 mois à 4 ans
<12 %
Femmes
<16 %
Syndrome inflammatoire
L’anémie peut survenir lors des infections ou des inflammations chroniques. Pour attester du
caractère inflammatoire de l’anémie, la protéine C réactive sérique a été dosée sur du sang
prélevé le matin à jeun sur tube sec. Les analyses ont été réalisées par la méthode
immunoturbidimétrique, grâce à un analyseur Synchron CX 7 de Beckman. Selon les normes
du Laboratoire de biologie clinique de l’INNTA, un taux supérieur à 6 mg/l traduit la
présence d’une inflammation.
2.1.3.
Syndrome thalassémique
Une étude complète de l’hémoglobine a été réalisée chez tous les sujets étudiés, à la recherche
des hémoglobinopathies potentielles. Cette analyse a été déterminée sur du sang veineux
recueilli le matin dans un tube renfermant de l’EDTA K2.
Il s’agit de :
-
une électrophorèse de l’Hb sur bande rigide d’acétate de cellulose à pH alcalin permettant
la séparation des différentes fractions normales et anormales de l’Hb (HbA2, HbF, HbS,
HbC, HbOarab, HbD, etc…) ;
-
une électrophorèse de l’Hb sur citrate agar à pH acide permettant de différencier les
fractions hémoglobiniques migrant au même niveau sur acétate de cellulose comme les
HbS, D et G d’une part, et les HbC, Oarab et E d’autre part ;
-
une isoélectrofocalisation (IEF) sur couche mince de polyacrylamide en présence
d’ampholines, plus résolutive pour confirmer les deux électrophorèses précédentes ;
-
le dosage de l’HbA2 et des fractions anormales a été réalisé par élution sans coloration
après électrophorèse sur bande souple d’acétate de cellulose à pH alcalin (25);
- 16 -
Anémie en Tunisie
-
la détermination de l’HbF, quand elle est visible, est selon la méthode de Prembrey basée
sur la résistance à la dénaturation alcaline de l’HbF (26).
Le Laboratoire de Biochimie de l’Hôpital d’Enfants a réalisé l’ensemble de ces dosages.
2.2.
Anémie normochrome normocytaire ou macrocytaire
Les anémies hémolytiques constitutionnelles ou acquises, les anémies des maladies
chroniques (inflammation ou infection persistantes et néoplasie), les anémies par
insuffisances endocriniennes, et les anémies carentielles (folates et vitamine B12)
Anémie normochrome normocytaire ou
macrocytaire
* Anémies hémolytiques
constitutionnelles :
-Anomalies de l’hémoglobine
- Anomalies de la membrane
- Déficits enzymatiques
* Anémies hémolytiques
acquises
Hémorragie
aiguë
*
*
*
*
*
Insuffisance rénale
Insuffisance hépato-celluaire
Insuffisance thyroïdienne
Insuffisance hypophysaire
Inflammation chronique
*
*
Aplasie médullaire
Carence en :
- Vitamine B12
- Acide folique
Seuls les types d’anémie présentés en caractères gras ont fait l’objet d’une recherche étiologique.
Figure 4 : étiologie de l’anémie normochrome normocytaire ou microcytaire
2.2.1.
Carences en acide folique et en vitamine B12
Ces carences provoquent habituellement une anémie macrocytaire dite mégaloblastique. La
carence en folates peut être liée à une insuffisance d’apport alors que l’insuffisance en
vitamine B12 est rarement d’origine alimentaire sauf chez les végétaliens stricts où des cas ont
été observés. Elle est surtout due à une malabsorption digestive, à un trouble du transport ou
de l’utilisation ou enfin à des besoins accrus pendant la grossesse, l’allaitement ou la
croissance. Pour détecter une éventuelle carence en ces deux vitamines, un dosage sérique a
été réalisé sur du sang prélevé le matin à jeun sur tube en verre.
La vitamine B12 sérique a été dosée selon une technique immuno-enzymatique
microparticulaire (coffret-réactifs IMxB12, réf. 2200-20 ; Laboratoires Abbott, France). Les
folates sériques sont dosés selon une technologie par capture d’ions (coffret-réactifs
IMxfolates, réf 2220 T ; Laboratoires Abbott, France). Ces dosages ont été réalisés au
Laboratoire de Biochimie, Hôpital d’enfants de Tunis.
2.2.2.
Anomalies de l’hémoglobine
- 17 -
Anémie en Tunisie
La drépanocytose provoque une anémie normochrome normocytaire ou macrocytaire
caractérisée par une hémoglobine qualitativement anormale (substitution de la glutamine en
position 6 de la chaîne ß par la valine). Il y a également d’autres anomalies de l’Hb mais qui
sont plus rares comme l’HbC.
Le dépistage de ces anomalies responsables de la plupart des anémies hémolytiques
héréditaires a été réalisé sur l’ensemble de la population
3. Variables explicatives de l’anémie ferriprive
Seule l’anémie par carence en fer a fait l’objet de la construction d’un modèle causal
hypothétique étant donné que ce type d’anémie est le plus fréquent et le plus vulnérable.
Un modèle causal est un ensemble de chaînes causales organisées et hiérarchisées qui relient
entre elles des facteurs supposés jouer un rôle dans ce déficit nutritionnel (27). Ces facteurs
hypothétiques sont ordonnés de haut en bas, des causes les plus directes vers les causes les
plus éloignées*. Le résultat de cette construction est synthétisé sous la forme d’un diagramme
qui est une représentation simplifiée de la causalité de ce problème (annexe 2).
Selon ce modèle, l’anémie par déficit en fer peut-être expliquée par un apport insuffisant et/ou
par une mauvaise absorption de cet élément nutritif. Elle peut aussi être la conséquence de
pertes sanguines chroniques qui sont, soit de nature physiologique (menstruations
importantes), soit de nature pathologique (pertes digestives, saignements gynécologiques,
saignements iatrogènes liés à la prise de médicaments, parasitoses). Une augmentation des
besoins physiologiques en fer pendant certaines périodes de la vie peut également engendrer
une anémie par carence martiale si les apports n’assurent pas leur couverture (croissance,
grossesse, allaitement).
Ces différentes hypothèses nous ont servi de guide pour structurer notre enquête sur les
déterminants de l’anémie ferriprive.
3.1.
Carence d’apport en fer
Une enquête de consommation alimentaire individuelle a d’abord été réalisée pour estimer la
quantité et la qualité de l’alimentation de nos enquêtés.
3.1.1.
Nature du fer alimentaire
Le fer alimentaire existe sous deux formes chimiques différentes, le fer héminique et le fer
non héminique. Le premier se trouve dans l’hémoglobine et la myoglobine des produits
animaux (viande, poisson, volaille, foie) alors que le second est apporté essentiellement par
les céréales, légumes secs, fruits, légumes, œufs, produits laitiers et également par les
aliments d’origine animale.
*
Ce modèle a été construit par des chercheurs de différentes disciplines (médecin, scientifique, nutritionniste,
pharmacien biologiste, vétérinaire…) au cours d’un atelier animé par le Pr. Ivan Beghin et tenu à l’INNTA du 8
au 12 novembre 1999, dans le cadre du projet de mise en place d’une surveillance alimentaire et nutritionnelle.
- 18 -
Anémie en Tunisie
Plus que la quantité de fer présente dans le régime, c’est la biodisponibilité de ce fer qui
constitue le facteur déterminant pour la couverture des besoins. En effet, la quantité de fer
alimentaire absorbée au niveau de la muqueuse intestinale dépend du type de fer contenu dans
les aliments (fer héminique et fer non héminique), de la composition du repas (présence de
substances activatrices et/ou inhibitrices de l’absorption) et du statut en fer de l’individu (28).
Le fer héminique est présent uniquement dans la viande, le poisson, le foie et les abats. S’il ne
représente que 10 à 20% du fer que nous consommons, c’est le seul qui soit particulièrement
biodisponible puisque son absorption (environ 25%) n’est pas influencée par les autres
constituants du repas et par le statut ferrique de l’organisme (29,30). Des analyses sur
différentes variétés d’aliments d’origine animale ont montré qu’approximativement 30 à 40%
du fer contenu dans le foie et le poisson et 50 à 60% dans la viande de veau, d’agneau et de
poulet sont sous forme héminique (31).
Les 80 à 90% du fer alimentaire restant sont apportés par les céréales, légumes secs, fruits,
légumes, œufs. La biodisponibilité de ce fer non héminique est faible (généralement inférieure
à 5%) et elle est influencée par diverses substances contenues dans d’autres aliments. Selon la
composition du repas, la biodisponibilité du fer total varie fortement (entre 5 et 15%).
L’acide ascorbique (fruits et légumes) et les produits carnés sont connus depuis longtemps
comme de puissants activateurs de l’absorption du fer non héminique (32,33,34,35).
Récemment, la vitamine A et le ß carotène ont été identifiés comme facilitateurs de
l’absorption du fer non héminique (36). A l’inverse, certaines substances peuvent entraver
l’absorption intestinale du fer. C’est le cas des tannins présents dans le thé et en moindre
mesure dans le café (37,38,39), des phytates (40,41), du phosphore (42), du calcium (42,43).
A titre d’exemple, un verre de thé pris en même temps que le repas réduit jusqu’à 75%
l’absorption du fer non héminique. L’effet inhibiteur connu des fibres a été attribué
dernièrement à l’action des phytates qu’elles renferment (44,45). Parmi les aliments qui
contiennent ces substances inhibitrices, citons le thé, le café, le jaune d’œuf et les céréales
notamment le son.
L’absorption du fer non héminique est également fortement influencée par le statut ferrique de
l’organisme : une baisse de la teneur en fer de l’organisme s’accompagne d’une augmentation
de son absorption et inversement.
3.1.2.
Evaluation du fer alimentaire disponible
Pour estimer la quantité de fer alimentaire disponible chez les sujets enquêtés, nous avons
utilisé la méthode de Monsen et coll. (28). Il s’agit d’un modèle qui tient compte des réserves
en fer de l’individu, du type de fer alimentaire ingéré (fer héminique et fer non héminique) et
de l’effet facilitateur de l’acide ascorbique et des tissus animaux sur l’absorption du fer non
héminique (tableau III).
- 19 -
Anémie en Tunisie
Ce modèle ne considère cependant pas l’effet des inhibiteurs connus de l’absorption du fer
non héminique comme l’acide tannique et les phytates (45,42). Le pourcentage d’erreur est
faible chez les enfants compte tenu du fait qu’ils ne consomment pratiquement pas de thé et
de café, ce qui n’est pas évidemment le cas des femmes chez qui les résultats seront
légèrement surestimés.
Selon ce modèle, les réserves en fer sont réparties en trois niveaux : 0, 250 et 500 mg pour les
femmes et 1000 mg pour les hommes. Les taux de ferritine sérique nous ont permis d’estimer
les réserves en fer de nos sujets (1µg de ferritine équivaut à 10 mg de fer stocké). Tous les
sujets ayant une concentration sérique de ferritine inférieure à 12 µg/l sont placés dans le
groupe 0 mg de réserves ; ceux dont le taux variait entre 15 et 30 µg/l appartiennent au groupe
250 mg de réserves et le groupe 500 mg correspond à tous ceux dont le taux est supérieur à 30
µg/l (47).
Tableau III : Modèle permettant d’estimer le fer alimentaire disponible (28)
Femmes
Hommes
Réserves en fer (mg)
1.
Fer héminique
2.
Fer non héminique
A. Repas à faible disponibilité du fer non héminique
a.
Viande, volaille ou poisson < 30 g # ou
b.
Acide ascorbique < 25 mg
B. Repas à disponibilité modérée du fer non héminique
a.
Viande, volaille ou poisson 30 à 90 g # ou
b.
Acide ascorbique 25 – 75 mg
C. Repas à disponibilité élevée du fer non héminique
a.
Viande, volaille ou poisson >90 g # ou
b.
Acide ascorbique > 75 mg ou
c.
Viande, volaille ou poisson 30 à 90 g # +
0
250
500
1000
35%
28%*
23%*
15%
5
4
3
2
10
7
5
3
20
12
8
4
Acide ascorbique 25 – 75 mg
* Ces facteurs sont des valeurs approximatives basées sur une relation semi-logarithmique entre les réserves
en fer (fonction linéaire) et l’absorption du fer héminique (fonction logarithmique).
#
Maigre et avant cuisson.
3.1.3.
Evaluation de l’apport alimentaire
L’enquête de consommation alimentaire fournit des informations sur la quantité de fer
présente dans l’alimentation habituelle, la proportion respective du fer héminique et du fer
non héminique ainsi que la présence d’activateurs ou d’inhibiteurs de l’absorption du fer.
Compte tenu de ces données, il est possible de classer l’alimentation des sujets en trois
- 20 -
Anémie en Tunisie
grandes catégories à savoir régimes à biodisponibilité faible, intermédiaire et élevée (tableau
III). Cette gradation permet d’estimer la proportion des sujets ayant des apports en fer très
éloignés des recommandations, autrement dit, à risque de carence en fer.
• Technique de l’enquête : l’enquête alimentaire a été réalisée selon la méthode de
« l’enregistrement de trois jours ». Le sujet collige sur un support pré-imprimé en langue
arabe ses ingesta pendant trois jours au fur et à mesure qu’ils se produisent, les estime en
faisant appel aux mesures ménagères, sans oublier de préciser la composition des plats
cuisinés et des assaisonnements ainsi que l’heure de la consommation. L’ensemble des
données est revu et corrigé, si besoin est, par la diététicienne en présence de l’enquêté afin de
compléter les informations, de vérifier les estimations quantitatives et de les transformer en
poids pour l’exploitation.
• Codification des données : les ingesta sont codifiés selon le répertoire du logiciel
informatique « Bilnut », version 1991, auquel a été ajoutée une liste d’aliments et plats
cuisinés, spécifiques à certaines régions du pays et rencontrés lors des enquêtes sur le terrain.
La composition analytique de ces aliments a été basée sur la table de composition des
aliments de l’INS et la table française (Régal) quand un aliment manque dans la liste
tunisienne. Les ingesta codifiés sont ensuite saisis et transformés en nutriments.
• Calcul des nutriments ingérés : la ration individuelle est analysée. Les apports estimés par jour
sont :
3.1.4.
−
l’apport énergétique total ;
−
les apports en produits animaux, thé et acide ascorbique.
−
la consommation du fer total, du fer héminique, du fer non héminique ainsi
que la quantité théorique de fer disponible dans l’alimentation.
Besoins recommandés
La consommation énergétique a été comparée aux recommandations du comité mixte
FAO/OMS/UNU 1986 (48) et actualisée par les experts de l’UNU en 1992 (49).
Les apports énergétiques ont été corrigés en tenant compte de la teneur de la ration en fibres,
de façon que l’énergie utilisable soit adaptée aux besoins énergétiques recommandés pour la
population.
En ce qui concerne le fer, les besoins sont d’abord considérés du point de vue des besoins en
fer absorbé, puis ils sont convertis en estimations des apports en fer alimentaire, compte tenu
de la biodisponibilité du régime alimentaire (50). Deux niveaux de ces apports ont été estimés
(tableau IV):
− les besoins de base qui correspondent aux quantités de fer alimentaire consommé pour
approvisionner normalement en fer les tissus de l’organisme ;
- 21 -
Anémie en Tunisie
− les besoins à couvrir pour éviter l’anémie, autrement dit l’apport en fer alimentaire
nécessaire pour éviter que les taux d’hémoglobine ne s’abaissent au-dessous des seuils
indiquant la présence d’une anémie.
Il est à noter que les besoins spécifiques en fer de la femme enceinte ne sont pas répartis de
façon identique au cours de la gestation : les besoins du fœtus apparaissent dès la fin du
premier trimestre faisant passer les besoins de la mère de 0,8 mg à 4,4 mg pendant le
deuxième trimestre et à 6,3 mg durant le troisième trimestre. Ces besoins ne peuvent être
satisfaits uniquement par les apports alimentaires même si la biodisponibilité du fer
alimentaire est élevée. Une supplémentation en fer est recommandée pour les futures mamans.
Après l’accouchement, plusieurs mois s’écoulent avant le retour des règles chez la femme
allaitante, mais les effets positifs de l’absence de menstruations sont effacés par l’allaitement.
Si on considère que la sécrétion du lait maternel nécessite environ 0,3 mg de fer par jour, les
besoins moyens en fer pour les six premiers mois d’allaitement sont estimés à 1,1 mg par jour
(50).
Tableau IV : Estimation des besoins en fer (FAO/OMS, 1988)
Groupes
Nourrissons
Enfants
Femmes
3.3.
Age
BESOINS EN
BESOINS DE BASE (mg/j)
FER
ABSORBE
BESOINS POUR EVITER
L’ANEMIE (mg/j)
Biodisponibilité du régime
Biodisponibilité du régime
(mg/j)
Faible
Modérée
Elevée
Faible
Modérée
Elevée
6–12 mois
1,0
21
11
7
14
7
5
12–23 mois
0,6
12
6
4
8
4
3
24-59 mois
0,7
14
7
5
9
5
3
Réglées
2,4
48
24
16
29
14
10
Ménopausées
1,0
19
9
6
13
6
4
Déficit en fer secondaire à une malabsorption
L’atrophie villositaire duodénale, principalement en relation avec la maladie cœliaque, est une
cause classique de malabsorption du fer (51). De même, des habitudes alimentaires néfastes
(pica ou géophagie) apportent des chélateurs qui gênent l’absorption du fer. Dans ce cas, la
constitution d’un cercle vicieux est fréquente, la carence en fer étant responsable d’une
perversion du goût (51). Ces deux causes de carence martiale ont été recherchées en
interrogeant tous les sujets de l’étude.
3.4.
Déficit en fer lié à certaines pathologies
Toutes les causes de saignements chroniques, quelle que soit leur origine, peuvent être
responsables de pertes supplémentaires en fer : tumeurs et polypes du tractus digestif, ulcère,
varices œsophagiennes, fibrome utérin, hernie hiatale, hémorroïdes, … La prise de certains
médicaments (aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, corticoïdes, anticoagulant)
- 22 -
Anémie en Tunisie
peuvent entraîner des saignements digestifs. Chez la femme, les grossesses multiples et
rapprochées y compris les fausses couches et les avortements favorisent la carence en fer (52).
En outre, de nombreux facteurs ont une influence sur le volume des règles, particulièrement
l’utilisation des contraceptifs oraux et les dispositifs intra-utérins.
Un questionnaire portant sur les antécédents personnels de santé, les antécédents de la vie
génito-obstétricale de la femme et la médication en cours a été réalisé dans cette enquête.
3.5.
Déficit en fer suite à une infestation parasitaire
L’anémie est l’un des syndromes cliniques le plus fréquemment observé au cours des
parasitoses. Plusieurs espèces parasitaires sont impliquées dans la genèse de ce syndrome. Les
espèces les plus fréquemment associées à l’anémie ont été pratiquement éradiquées en
Tunisie. Il s’agit de Plasmodium falciparum, agent du paludisme (le dernier cas autochtone
remonte à 1970) et de Schistosoma hématobium, agent de la bilharziose uro-génitale, autrefois
fréquente surtout dans les oasis du Sud et qui n’est plus observée sur nos contrées depuis les
années quatre vingt.
Cette situation a guidé notre choix de ne rechercher que les parasites intestinaux pouvant être
susceptibles d’induire une anémie. Les mécanismes en cause sont divers :
-
certains parasites sont directement hématophages et donnent une anémie par déperdition
du fer (notamment certains nématodes comme les ankylostomes et le trichocéphale et
aussi des protozoaires tel que Entamaeba histolytica) ;
-
d’autres espèces entraînent une atrophie villositaire avec un syndrome de malabsorption.
Il s’agit surtout du flagellé Giardia intestinalis;
-
d’autres encore provoquent une diminution de l’absorption de la vitamine B12 tel
qu’Ascaris lumbricoïdes. La grande douve du foie, Fasciola hepatica, peu fréquente en
Tunisie, donne une anémie par le saignement qu’elle provoque.
Pour identifier les différents parasites pouvant être responsables de l’anémie et évaluer leur
prévalence, un examen des selles a été réalisé.
3.5.1.
Prélèvements
Pour des raisons de faisabilité de l’enquête, un seul examen parasitologique des selles a été
effectué. Les selles fraîchement émises sont recueillies dans des crachoirs à fond plat et à
usage unique. Le même crachoir a servi pour la conservation des selles. En cas d’impossibilité
d’obtenir des selles fraîches, les selles de la veille sont acceptées si elles étaient conservées au
frais.
Pour le Sud Ouest, l’examen parasitologique a été réalisé en même temps que l’enquête
quantitative sur l’anémie et a intéressé l’ensemble de l’échantillon.
- 23 -
Anémie en Tunisie
Pour le Grand Tunis, l’enquête quantitative a précédé l’analyse parasitologique. Seuls deux
groupes ont été examinés : celui des anémiques et un groupe apparié avec celui des anémiques
par sexe, âge et strate et sélectionné par tirage systématique.
3.5.2.
Techniques
Le travail s’est déroulé en deux étapes :
−
la première a comporté un examen direct à frais pour mettre en évidence les formes
végétatives des protozoaires (notamment les amibes et certains flagellés tel que giardia)
et un examen après éclaircissement par la technique de Kato (53) pour identifier les œufs
d’helminthes. Cette étape a été réalisée sur le terrain pour le Sud tunisien et dans le
Laboratoire de la Faculté de Médecine de Tunis pour la région du Grand Tunis.
−
la deuxième a consisté en une concentration des selles selon la technique de Ritchie
simplifiée (53). Cette méthode permet de mettre en évidence les kystes de protozoaires.
Elle a été réalisée au Laboratoire sur les selles formolées.
3.6. Niveau socioéconomique du ménage
D’après le modèle causal, la consommation d’aliments riches en fer dépend, entre autre, du
revenu du ménage et de son pouvoir d’achat, autrement dit de son niveau de vie. Or, il a été
prouvé que le revenu du ménage est une variable toujours biaisée car la majorité des
personnes enquêtées ont tendance à la sous estimer ou au contraire à la surestimer. Par
conséquent, la situation socioéconomique des familles enquêtées est expliquée de façon
indirecte, à partir d’un indice global de niveau de vie (IGNV) qui a été élaboré en se référant à
un modèle statistique multidimensionnel intégrant un ensemble de variables susceptibles de
décrire le niveau de vie de ces ménages (54). Cette méthode a été déjà appliquée aux enquêtes
nationales de consommation, budget et niveau de vie, réalisées par l’INS.
Selon cette méthode et pour le milieu urbain, les variables qui présentent la corrélation
multiple la plus élevée avec l’IGNV des ménages sont : salle de bain, nombre de personnes
par pièce, réfrigérateur, catégorie socioprofessionnelle du soutien principal de famille,
dépenses téléphoniques, chauffage, électricité/gaz, niveau d’instruction du chef de ménage,
niveau d’instruction de l’épouse.
En milieu rural, les variables les plus corrélées avec l’INVG des ménages sont les suivantes :
électricité/gaz, nombre de personne par pièce, réfrigérateur, télévision, catégorie
socioprofessionnelle du soutien principal de famille, dépenses d’eau, radio, niveau
d’instruction du chef de ménage, niveau d’instruction de l’épouse.
Les poids relatifs des variables sont additionnés pour obtenir la valeur de l’IGNV du ménage
considéré. Plus l’indice obtenu est élevé, plus haut sera le ménage dans l’échelle du bien-être.
Inversement, un indice faible sera représentatif d’une situation socio-économique difficile.
- 24 -
Anémie en Tunisie
3.7.
Conditions sanitaires environnementales
Selon le modèle causal, les conditions de l’habitat et l’hygiène du milieu peuvent induire une
carence en fer par le biais des infections intestinales et des parasitoses. Aussi, nous avons
collecté des données sanitaires comme l’approvisionnement en eau potable, le
conditionnement des ordures, l’évacuation hygiénique des eaux usées, le nombre de
personnes occupant une pièce.
4. Traitement informatique
Cette phase de l’enquête a comporté les étapes suivantes :
−
les questionnaires remplis sur le terrain ont été réceptionnés par le service Etudes et
planification de l’INNTA. Après contrôle d’exhaustivité, ils sont classés ;
−
après dépouillement et codification, les enquêtes alimentaires ont été saisies sur le logiciel
Bilnut (Nutrisoft – Tours, Version 2.01) ;
−
les questionnaires ménages et individuels ont été codifiés. La double saisie a été réalisée
sur le logiciel de gestion de base des données Access 97 et vérifiée sur le logiciel Epi
info, version 6.03. Les différences ont été vérifiées et accordées;
−
le fichier définitif a été exporté vers le logiciel SPSS version 7.5 (Statistical Package for
the Social Sciences).
5. Analyses statistiques
Nous avons suivi le plan d’analyse suivant :
−
analyse de la distribution des variables, calcul des fréquences et des moyennes ;
−
comparaison des fréquences par le test de Chi 2 et des moyennes par l’analyse des
variances ;
−
mesure de l’association entre les facteurs de risques potentiels et l’anémie selon un
modèle de régression logistique utilisant la méthode descendante pas à pas
(conditionnelle). La variable expliquée « anémie par carence en fer » est de type
qualitatif. Le modèle choisi utilise des variables explicatives de même statut. C’est donc
un modèle du type Y=f (X) où Y est la variable expliquée et X, le vecteur des variables
explicatives.
II. ENQUETE QUALITATIVE
Dans le modèle causal hypothétique de l’anémie ferriprive, un certain nombre de conduites en
relation avec la nutrition ont été mises en évidence dans l’apparition de l’anémie. Or, ces
conduites ne dépendent pas uniquement des connaissances, mais relèvent également de
facteurs individuels et collectifs (attitudes, valeurs, image de soi, etc.). Aussi, dans la mesure
où il est souhaitable de modifier ces conduites afin de diminuer la prévalence de l’anémie
- 25 -
Anémie en Tunisie
dans le pays, elles doivent être analysées et replacées dans leur contexte socioculturel le plus
large.
Pour mieux comprendre les représentations et comportements des femmes en relation avec
l’anémie, une étude qualitative a été organisée.
Des questions de recherche ont été identifiées pour une part sur la base du modèle causal,
mais aussi sur la base de l’expérience et des connaissances des chercheurs impliqués dans
l’étude.
Les principales questions de recherche étaient les suivantes :
-
comment les femmes perçoivent-elles les symptômes de l’anémie chez elles-mêmes et
chez les enfants ? Les femmes établissent-elles une relation entre la fatigue et l’anémie ?
-
quelles sont les origines perçues de l’anémie chez elles-mêmes et chez les enfants ? Les
femmes connaissent-elles les causes de l’anémie ?
-
quelles sont les relations perçues entre l’anémie et d’autres maladies ?
-
les femmes établissent-elles un lien entre l’anémie et l’alimentation ? Comment ? Les
femmes établissent-elles une relation entre la fatigue et l’alimentation ? Comment ?
-
les femmes sont-elles conscientes d’être, avec les enfants, un groupe vulnérable surtout à
certaines périodes de la vie ?
-
quelles sont leurs pratiques et leurs connaissances alimentaires en relation avec l’anémie ?
1. Méthode qualitative utilisée
La technique des groupes de discussion focalisée (55,56) a été utilisée pour réaliser cette
étude (annexe 5).
La constitution des groupes a été définie à partir de l’analyse des données quantitatives de
l’enquête sur les causes de l’anémie.
Trois critères de sélection des participantes ont été retenus :
-
être anémique ou pas. Ce critère a été choisi afin de pouvoir comparer les perceptions, les
connaissances et les pratiques de ces deux groupes de femmes ;
-
l’âge (moins de 30 ans ou 30 ans et plus). En effet, l’analyse des données quantitatives a
mis en évidence que l’âge était un facteur de risque important de l’anémie ;
-
le lieu d’habitat. Deux régions ont été sélectionnées : le Sud Ouest (33% de zones rurales)
qui présente les taux les plus élevés d’anémie chez les groupes à risque et le Grand Tunis
(93% de zones urbaines) où les prévalences observées reflètent la situation nationale.
A l’exception d’un seul, chaque groupe a été dédoublé pour accroître la validité des données
recueillies.
- 26 -
Anémie en Tunisie
Une série de quinze groupes de discussion focalisée (sept pour la région du Grand Tunis et
huit pour le Sud Ouest) a donc été réalisée (tableau V). Les femmes ont été retenues parmi
celles ayant été sélectionnées pour l’enquête quantitative sur les causes de l’anémie en
Tunisie. Au total, 108 femmes ont participé à l’enquête qualitative. Quarante huit d’entre elles
étaient anémiques et 60 non anémiques.
Tableau V : Groupes de discussion focalisée réalisés
ANEMIQUES
NON ANEMIQUES
Moins de 30 ans
30 ans et plus
Moins de 30 ans
30 ans et plus
Grand Tunis
1 groupe
2 groupes
2 groupes
2 groupes
Sud Ouest
2 groupes
2 groupes
2 groupes
2 groupes
Les participantes étaient relativement homogènes du point de vue de leur niveau d’instruction,
statut matrimonial, niveau socio-économique et activité professionnelle (tableau VI).
Tableau VI : Caractéristiques socio-démographiques des femmes interviewées (%)
Moins de 30 ans
Niveau
d’instruction
Etat civil
30 ans et plus
Anémiques
Non
Anémiques
Anémiques
Non
Anémiques
Pas de scolarisation
7
3
21
14
Primaire
53
58
67
68
Secondaire et Supérieur
40
39
12
18
Célibataire
57
65
12
13
Mariées au moins 1 fois
43
35
88
87
Faible
40
35
39
11
43
52
46
46
17
13
15
43
98
77
91
80
2
23
9
20
Niveau SocioMoyen
économique
Elevé
Aucune
Activité
professionnelle Employées, ouvrières, cadres
moyens ou supérieurs
2. Déroulement de l’enquête sur le terrain
La collecte des données sur le terrain s’est déroulée du 28 août au 9 septembre 2000. Les
femmes sélectionnées pour l’enquête ont été contactées à leur domicile par deux
nutritionnistes, accompagnées du Omda (autorité locale du District) qui les a guidées sur les
lieux et a facilité le contact.
Les participantes ont été invitées à une réunion de discussion et d’échange d’avis sur
l’alimentation et la nutrition et informées qu’un moyen de transport était mis à leur
disposition.
- 27 -
Anémie en Tunisie
Les sessions de groupe ont eu lieu à la salle de réunion de l’INNTA pour le Grand Tunis et
dans un local gouvernemental pour le Sud Ouest.
Le guide de discussion élaboré a été préalablement testé (annexe 6). Les discussions se sont
déroulées dans une ambiance conviviale et décontractée. Un chercheur et un médecin de
l’INNTA ont guidé la discussion entre les participantes. Les différentes séances ont été
enregistrées.
3. Codification et analyse des données
La codification et l’analyse des données ont été réalisées entre septembre 2000 et janvier
2001. Auparavant, les enregistrements avaient été intégralement transcrits puis traduits de
l’arabe dialectal en français. Les données ont été d’abord codées (annexe 7). Les chercheurs
ont codifié les données par équipes de deux et leur travail a été validé par une seconde équipe.
Une dernière vérification de l’interprétation a été réalisée au moment de la saisie des codes
sur le logiciel d’analyse qualitative QSR NUD*IST (version 4) (Non Numerical Unstructured
Data Indexing Searching and Theorizing).
L’unité d’analyse choisie est le paragraphe qui correspond, dans la grande majorité des cas, à
l’intervention d’une participante. Près de 2850 paragraphes ont été encodés (possibilité de
codification multiple).
Un plan d’analyse des données a ensuite été élaboré sur la base des questions de recherche. Ce
plan inclut les catégories de données à analyser, les suggestions pour affiner la codification et
les divers croisements de catégories à effectuer pour répondre aux questions de recherche.
Ensuite un ensemble de fichiers nécessaire à l’analyse des données a été généré à partir du
logiciel QSR NUD*IST.
Après que les questions de recherche ont été réparties entre des équipes de deux chercheuses,
celles-ci ont rédigé les premières esquisses d’analyse. Ces dernières ont ensuite été
commentées et critiquées par les autres membres de l’équipe de recherche pour révision
finale. A cette occasion, de nombreux recoupements et renvois ont été réalisés.
Pour certains thèmes, l’analyse s’est également appuyée sur une série de tableaux, générés à
partir du logiciel QSR NUD*IST, et qui croisent le nombre de citations codifiées avec le type
de groupe.
- 28 -