L`utilisation d`éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le

Transcription

L`utilisation d`éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le
L’utilisation d’éléments
racistes, antisémites
et xénophobes
dans le discours politique
Réunion de haut niveau
à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination
de la discrimination raciale
Paris, le 21 mars 2005
ECRI : Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance
Novembre 2005
Les vues exprimées dans l’étude sur « L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique », par M. Jean-Yves Camus,
sont de la responsabilité de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la ligne
officielle du Conseil de l’Europe ou de tout mécanisme ou organe de contrôle
institué par lui.
ECRI (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance)
Conseil de l’Europe
F-67075 Strasbourg Cedex
Tél. : + 33 (0)3 88 41 29 64
Fax : + 33 (0)3 88 41 39 87
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© Conseil de l’Europe, 2005
Première impression : novembre 2005
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Imprimé dans les ateliers du Conseil de l’Europe
Table des matières
I. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
II. Discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
M. Terry Davis, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9
M. Michael Head, Président de l’ECRI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Mme Tana de Zulueta, Membre de l’Assemblée parlementaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
III. Etude sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le
discours politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Jean-Yves Camus
IV. Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .55
Liste des participants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
Déclaration de l’ECRI sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes
dans le discours politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .59
Charte des partis politiques européens pour une société non raciste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
3
I. Introduction
A l’occasion de la Journée internationale
pour l’élimination de la discrimination
raciale du 21 mars 2005, la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI) a organisé une réunion de haut
niveau sur la question de l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes
dans le discours politique, avec la participation du Secrétaire Général du Conseil de
l’Europe, M. Terry Davis, du Président de
l’ECRI, M. Michael Head et de membres de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe.
Vivement préoccupée par l’utilisation
croissante d’éléments racistes, antisémites
et xénophobes dans le discours politique, y
compris par les formations politiques classiques, l’ECRI a adopté le 17 mars 2005 une
Déclaration condamnant cette évolution
alarmante observée dans de nombreux Etats
membres du Conseil de l’Europe. (Ce texte
figure en annexe, voir page 59.)
Cette évolution, qui est abondamment
illustrée dans les travaux de monitoring payspar-pays de l’ECRI, a été confirmée par les
résultats d’une étude indépendante commanditée par l’ECRI afin d’étudier plus en détail
ce phénomène dangereux. Cette étude,
rédigée par le politologue M. Jean-Yves
Camus, fournit des exemples choquants sur
de nombreux cas où des élections européennes ou nationales ont donné lieu à l’utilisation d’arguments racistes, antisémites et
xénophobes ou de discours ayant autrement
un impact sur le racisme et la xénophobie
dans l’opinion publique dans de nombreux
Etats membres du Conseil de l’Europe.
Les immigrés et les réfugiés, en particulier ceux provenant de pays musulmans,
sont les principales cibles de politiciens qui
exploitent un sentiment général d’insécurité
face à un monde de plus en plus complexe et
multiculturel. Plus inquiétant encore, la
théorie du soi-disant « choc des civilisations » gagne du terrain. Enfin, l’antisémitisme continue à être encouragé, de façon
ouverte ou codée, par certains partis et dirigeants politiques.
Dans sa déclaration, l’ECRI propose donc
des mesures juridiques et politiques
concrètes, y compris des mesures d’autorégulation qui peuvent être prises par des
partis politiques ou des parlements nationaux, dans tous les Etats membres du
Conseil de l’Europe.
Il ne fait aucun doute que l’impulsion des
dirigeants politiques peut jouer un rôle
essentiel pour lutter contre le racisme et
influer positivement sur l’opinion publique.
Il est donc capital d’associer autant que
possible les partis politiques à la lutte
contre le racisme et l’intolérance menée par
l’ECRI et les autres instances nationales et
internationales impliquées dans ce domaine.
Cette réunion de haut niveau qui a réuni des
parlementaires, des représentants d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, des centres de recherche et
des universitaires travaillant sur cette question, a donc constitué une excellente
occasion de placer cette question au cœur
du débat public national et international.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
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II. Discours
M. Terry Davis,
Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe
Mesdames et Messieurs,
En cette Journée internationale pour
l’élimination de la discrimination raciale,
rappelons à notre mémoire les victimes du
massacre de Sharpeville en Afrique du sud
le 21 mars 1960 – tragédie qui a incité les
Nations Unies à commémorer chaque
année cette journée du 21 mars. Ayons en
même temps une pensée pour toutes les
autres victimes du racisme dans le monde,
victimes passées, présentes et futures de la
violence raciste et de la discrimination
raciale dans leur vie quotidienne.
Le racisme est une violation des droits de
l’homme qui naît de l’hostilité ressentie pour
quelqu’un qui est différent ou du mépris
pour quelqu’un qui est jugé inférieur.
Lorsque cette hostilité ou ce mépris devient
haine, il peut conduire certaines personnes à
commettre des crimes innommables comme
en témoignent les horreurs de la Deuxième
guerre mondiale et les guerres récentes dans
les Balkans et le Sud Caucase.
Le Conseil de l’Europe est né des cendres
de la Deuxième guerre mondiale et d’une
volonté exprimée en deux mots : « Plus
jamais ». Son but était de construire une
nouvelle Europe, fondée sur les valeurs et les
principes partagés que sont la démocratie
pluraliste, la primauté du droit et le respect
des droits de l’homme, une Europe libérée
du racisme et de la discrimination raciale.
Aujourd’hui, les principes qui ont présidé
à la création Conseil de l’Europe sont loin
d’être définitivement enracinés. Nous
devons sans cesse les défendre et pour cela
nous devons être très attentifs aux dangers
qui les menacent.
Toutes les formes de racisme et d’intolérance – que ce soit l’antisémitisme,
l’islamophobie ou la xénophobie – frappent
au cœur la démocratie en tant que société
fondée sur le respect de la dignité égale de
tous les êtres humains. Nous devons nous
mobiliser en permanence contre ces fléaux
et faire campagne contre eux non pas une
journée par an, mais tous les jours.
Pour mener cette campagne, nous avons
créé au Conseil de l’Europe la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance, l’ECRI, et je suis venu montrer ici,
aujourd’hui, que je soutiens activement
l’ECRI et sa mission.
La présente réunion rassemble des
représentants d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, des
parlementaires et des universitaires, qui
tous participent à cette campagne. L’étude
de Jean-Yves Camus contient des exemples
frappants de l’emploi d’arguments racistes à
l’occasion d’élections nationales et européennes. De nouveaux exemples sont
apparus depuis et des signes inquiétants
indiquent que ce genre d’arguments pourrait
être invoqué au Royaume-Uni lors des élections très attendues du mois de mai, alors
que ce pays est l’un des membres fondateurs
du Conseil de l’Europe.
Cependant, je reste confiant pour deux
raisons :
La première est l’engagement permanent
et ferme du Conseil de l’Europe de lutter
contre toutes les formes de racisme. Notre
action ne se limite pas à pointer du doigt ce
qui ne va pas, loin de là. Nous recommandons aussi des mesures pour remédier à la
situation et nous proposons des solutions
ciblées et concrètes. Je pense que la présidence de l’ECRI nous donnera sous peu
quelques exemples de ces solutions.
La deuxième raison tient au sens des responsabilités de nos politiques qui, je
l’espère, sauront résister à la tentation de
jouer avec le feu. Mais cela en soi ne suffit
pas. En tout état de cause, nous ne pouvons
construire une démocratie sans les partis
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
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politiques qui sont ou devraient être nos
meilleurs alliés dans la construction d’une
société libérée du racisme.
phobie. De nombreux responsables
politiques européens ont participé à ce
combat tout au long de leur vie politique.
Les partis politiques devraient être en
effet en première ligne dans la campagne que
nous menons activement contre le racisme,
la xénophobie, l’antisémitisme et l’islamo-
Tana de Zulueta est l’une d’elles et je me
réjouis d’entendre ce qu’elle a à nous dire.
10
Je vous remercie de votre attention.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
M. Michael Head,
Président de l’ECRI
« Prise de position contre
l’utilisation d’éléments racistes,
antisémites et xénophobes dans le
discours politique »
Les conclusions des recherches menées par
Jean-Yves Camus viennent à point nommé
pour alimenter le contenu de notre réflexion
d’aujourd’hui.
L’ECRI a pour mission de lutter contre le
racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et
l’intolérance mais pour ce faire, elle doit
pouvoir identifier ces phénomènes sous
leurs diverses formes, et notamment pour ce
qui nous concerne dans le débat public et
naturellement le discours politique.
Si l’on veut proposer des solutions efficaces et viables pour lutter contre
l’exploitation du racisme dans la vie politique, il faut pouvoir la déceler, non
seulement lorsqu’elle est visible, comme
c’est le cas dans certaines déclarations ou
politiques de responsables qui ne cachent
pas les préjugés qui les inspirent, mais aussi
lorsqu’elle prend un caractère plus insidieux. Dans ce dernier cas, la nature raciste
et discriminatoire des déclarations et des
politiques se trouve sous la surface et ne
devient visible qu’avec le temps et la
répétition.
Cette étude nous fournit les connaissances nécessaires pouvant nous aider dans
ce sens.
L’
exploitation du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie dans le discours
politique est au cœur des travaux de l’ECRI
depuis maintenant de nombreuses années.
L’ECRI a deux grands motifs d’inquiétude : les conséquences possibles sur la
cohésion sociale du discours politique
raciste ou xénophobe qui persiste et ne rencontre guère de résistance en Europe mais
aussi et surtout les dégâts déjà produits.
Nous sommes dans un cercle vicieux de
cause à effet. Le discours politique inspiré
par des préjugés racistes ou culturels et par
la xénophobie a fortement façonné l’opinion
publique européenne d’aujourd’hui, ce qui a,
à son tour, eu deux effets : d’abord, il a favorisé l’adoption de mesures qui ont eu des
effets disproportionnés sur certains groupes
minoritaires et ensuite, il a eu des répercussions négatives sur les droits fondamentaux
des membres de ces groupes. L’ECRI a
publié, il y a quelques semaines seulement,
son troisième rapport sur l’Autriche qui
porte précisément sur le lien entre un
certain type de discours politique, la grande
réticence du public à soutenir la cause des
demandeurs d’asile et l’adoption et la poursuite de politiques concernant ce groupe de
personnes, par exemple dans les domaines
de l’assistance sociale et du recours à la
rétention dont la conformité avec les droits
de l’homme a été largement mise en cause.
Le discours politique raciste ou xénophobe
notamment lorsqu’il est alimenté par les
médias, a aussi favorisé une plus grande acceptation des comportements discriminatoires,
voire violents, à l’égard de certains groupes
minoritaires. Dans un rapport sur le RoyaumeUni publié en 2000, l’ECRI a traité tout particulièrement de cette question, notamment par
rapport aux demandeurs d’asile. Elle reviendra
sur ce thème dans le prochain rapport sur ce
pays qu’elle publiera en juin.
Cette sorte de discours politique a un autre
effet pratique immédiat : il est à l’origine d’une
forme de paralysie politique qui dissuade de
prendre des mesures qui bénéficieraient aux
groupes minoritaires. Il est par exemple difficile de voir dans l’échec de l’Allemagne de créer
un organe spécialisé efficace au niveau national
autre chose qu’une absence de volonté politique. Le manque d’empressement dont la
Pologne fait preuve pour engager des poursuites contre les auteurs de propos haineux
antisémites semble résulter d’une réticence
manifeste à reconnaître l’importance sociale de
l’infraction.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
11
En lisant l’étude de M. Camus, on observe
une stabilisation en Europe, voire une
régression, des effectifs des partis politiques
extrémistes ayant recours à une propagande
expressément raciste ou xénophobe. L’ECRI
se félicite naturellement de cette évolution.
Cela étant, cette tendance s’accompagne
d’exceptions notables comme par exemple
en Belgique.
Qui plus est, certaines tendances sont
encore plus préoccupantes. Des pans entiers
des plate-formes politiques de partis extrémistes sont ou ont été repris par les partis
politiques traditionnels avec le discours
raciste ou xénophobe qui les accompagne.
L’immigration est tout particulièrement
touchée. Le ton du débat politique, même
parmi les partis politiques traditionnels,
s’est non seulement considérablement durci
– je pense au débat politique sur l’immigration dans des pays comme le Danemark, la
Suède ou l’Italie – mais il a aussi eu tendance
à stigmatiser des communautés entières,
notamment de non-ressortissants.
Ces communautés ont été visées et
cataloguées par les partis politiques traditionnels de nombreux pays, notamment en
invoquant des arguments axés non seulement sur la sécurité (la lutte contre le
terrorisme) mais aussi sur la culture, c’est-àdire des arguments définissant les différentes cultures comme des entités
prédéfinies et monolithiques et, ce qui est
encore plus dangereux, des entités qui
seraient incompatibles les unes avec les
autres. Le débat sur le multiculturalisme
aux Pays-Bas en est un exemple éloquent.
Or, comme le Secrétaire Général l’a précisé
à juste titre, il ne suffit pas d’analyser ces
manifestations de racisme, d’antisémitisme
et de xénophobie. Cette analyse n’est pas
une fin en soi. Pour l’ECRI, elle est une étape
nécessaire dans le processus qui consiste à
offrir aux gouvernements des solutions pratiques et viables qui leur permettent de
lutter contre ces phénomènes. L’ECRI a déjà
recensé un certain nombre de solutions possibles dont je souhaiterais vous faire part.
Premièrement, les Etats membres
devraient appliquer rigoureusement les
dispositions ordinaires du droit pénal qui
sanctionnent les infractions racistes et la
discrimination raciale. Ces dispositions
s’appliquent à l’ensemble des citoyens et
pas spécifiquement aux membres d’organisations ou de partis politiques. Je tiens à
préciser ici que pour lutter contre le
12
racisme et la discrimination raciale sous
toutes leurs formes actuelles, l’ECRI estime
que les dispositions juridiques contre le
racisme et la discrimination raciale
devraient couvrir les comportements
fondés sur des motifs tels que la « race », la
couleur, la langue, la religion, la nationalité
(au sens de citoyenneté) et l’origine nationale ou ethnique.
Deuxièmement, les Etats devraient
adopter et appliquer des dispositions qui
sanctionnent les responsables d’un groupe
promouvant le racisme ainsi que le soutien
accordé à un tel groupe et la participation à
ses activités.
L’Etat ne devrait plus financer les organisations ni les partis politiques qui promeuvent le racisme. Des dispositions en ce sens
sont en vigueur en Belgique, par exemple.
Outre les mesures juridiques, l’ECRI est
favorable à des mesures d’autoréglementation des partis politiques ou des parlements
nationaux. Au niveau national, au RoyaumeUni et en Irlande, par exemple, les candidats
aux élections s’engagent volontairement,
avant le scrutin, généralement sous les auspices d’un organe spécialisé dans ce
domaine, à lutter contre le racisme.
Au niveau international, a été adoptée la
Charte des partis politiques européens pour
une société non raciste, qui définit les principes régissant un comportement
responsable s’agissant de questions relatives
à la « race », l’origine ethnique et nationale et
la religion. La Charte encourage aussi les
partis politiques à œuvrer en faveur de la
représentation des groupes minoritaires à
tous les niveaux de leur système. Dans ses
conclusions générales, la Conférence européenne contre le racisme qui s’est tenue en
octobre 2000 a expressément plaidé en
faveur de sa signature. Actuellement, des
partis de vingt six Etats l’ont signée. Cela
étant, il n’existe pas encore de mécanisme
pour en assurer une application efficace.
Au bout du compte toutefois, on ne peut
s’attendre à ce que le discours politique
change si les responsables au plus haut
niveau ne sont pas conscients du problème.
L’ECRI appelle donc de ses vœux une direction politique courageuse et efficace, qui
reconnaisse les graves conséquences à long
terme de répondre aux défis qui se posent
par un discours inapproprié fondé sur des
déclarations et des hypothèses racistes, antisémites et xénophobes.
Les conséquences à long terme sur la
cohésion sociale ne sont pas actuellement le
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
seul enjeu, c’est un point sur lequel je voudrais insister. Sans un leadership politique
efficace, nous devrons faire face aux conséquences immédiates de mesures qui sont
perçues comme disproportionnées ou
injustes par d’importants groupes au sein de
nos sociétés. C’est un risque imminent et il
appelle une réponse urgente.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
13
Mme Tana de Zulueta,
Membre de l’Assemblée
parlementaire
« Le rôle de la classe politique dans
la lutte contre le racisme, la
xénophobie, l’antisémitisme et
l’intolérance »
J
e voudrais me joindre aux orateurs précédents pour affirmer dans les termes les plus
forts que le racisme, l’antisémitisme et la
xénophobie sont une menace pour la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits
de l’homme – en bref, pour tous les principes
qui constituent les fondements de nos systèmes politiques.
Je suis censée parler du rôle des hommes
et femmes politiques dans la lutte contre ces
phénomènes. Par provocation, je préfère
commencer par vous rappeler comment les
hommes et les femmes politiques participent à la création de tels phénomènes.
Malheureusement, le populisme est une
tentation pour un grand nombre d’entre
nous. Il est facile de proposer des solutions
simplistes et stéréotypées en réponse aux
inquiétudes et aux incertitudes que ressent
notre électorat face aux changements que
subissent nos sociétés. Il est facile de rejeter
la responsabilité de l’échec de certaines politiques sur des catégories particulières de la
population, en prenant pour argument
qu’elles ne veulent pas s’intégrer, qu’elles ne
veulent pas participer, qu’elles ne veulent
pas s’adapter ; au fond, qu’elles veulent
continuer à être différentes.
En réalité, la « différence » fait partie de
l’histoire européenne. Nos sociétés sont
multiethniques et multiculturelles depuis
longtemps. Des personnes appartenant à des
religions, des races ou des cultures différentes vivent ensemble depuis des
décennies. La migration – sous ses deux
formes : l’immigration et l’émigration – est
enracinée dans nos expériences nationales.
Pourtant, il est tellement plus facile de dire
que les immigrés et les minorités ethniques
ne veulent pas s’intégrer plutôt que de
reconnaître que nous n’avons pas réussi à
concevoir des politiques d’intégration et de
non-discrimination efficaces pour leur per-
mettre de participer à la société dans le plein
respect de leur dignité et de leurs droits. Il
est tellement plus facile de nier la complexité du phénomène migratoire et de
qualifier d’immigrés économiques tous ceux
qui arrivent illégalement en Europe, ou de
sûrs tous les autres pays européens et voisins. Après tout, les immigrés ne votent pas
et ne connaissent même pas leurs droits ni
a fortiori les moyens de les faire respecter.
A l’heure actuelle, la peur du terrorisme
se fait sentir un peu partout. Des droits que
nous considérions comme acquis sont en
train d’être sacrifiés sur l’autel de la sécurité.
C’est précisément à des époques comme
celle-ci que les hommes et les femmes politiques et les partis politiques ont plus que
jamais le devoir de faire preuve de rigueur,
de retenue, d’honnêteté intellectuelle et
d’intégrité. La liberté d’expression ne saurait
être confondue avec la représentation délibérément déformée de la réalité ; la
popularité électorale ne saurait être obtenue
au prix de l’encouragement au racisme, à
l’intolérance et à la xénophobie ; et l’échec
de certaines politiques ne saurait être
imputé exclusivement à ceux qui sont
censés en être les bénéficiaires.
En allant dans cette direction, non seulement nous agirions contrairement aux
principes fondamentaux de la solidarité, de
l’égalité, des droits de l’homme et de l’Etat
de droit, mais nous créerions un monde dans
lequel il nous serait très dangereux de vivre.
Au lieu de lutter contre le racisme et l’exclusion sociale, nous les développerions et, au
lieu d’améliorer la cohésion de la société,
nous ferions le lit de l’extrémisme et du rejet
des règles démocratiques. Un monde dangereux, antidémocratique et violent, ce n’est
certainement pas ce que veut notre
électorat.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
15
L’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe, qui réunit des représentants des
parlements des 46 Etats membres, a montré
à plusieurs reprises qu’elle était consciente
du rôle des hommes et des femmes politiques et des partis politiques dans la lutte
contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. Une sonnette d’alarme
a été tirée en l’an 2000 au moment de la
résurgence de partis extrémistes propageant
et défendant des idéologies incompatibles
avec la démocratie et les droits de l’homme.
Depuis lors, la Commission des questions
politiques – à laquelle j’appartiens – et la
Commission des questions juridiques et des
droits de l’homme ont pour mandat permanent de s’occuper de cette question et
éventuellement d’adresser à ce sujet des
recommandations aux Etats membres ou au
Comité des Ministres.
J’ai dit tout à l’heure que la classe politique avait le devoir de faire preuve de
rigueur, de retenue, d’honnêteté intellectuelle et d’intégrité. L’Assemblée partage ce
point de vue. Dans l’un de ses textes les plus
récents, elle a invité les partis politiques à
concevoir une nouvelle déontologie fondée
sur les éléments suivants1 :
— leurs programmes et leurs actions
doivent respecter les droits et libertés à
caractère fondamental,
— toute alliance politique avec des partis
extrémistes doit être exclue,
— la transparence du financement doit être
accrue, et
— ils doivent s’efforcer d’apporter des solutions crédibles aux problèmes sociaux et
économiques qui préoccupent les citoyens.
En outre, les partis politiques ont le
devoir d’être eux-mêmes démocratiques et
de veiller à être représentatifs de toutes les
composantes de la société, y compris des
groupes qui peuvent être la cible de discriminations et de racisme.
Ces recommandations, qui figurent dans
un certain nombre d’instruments de
l’Assemblée ainsi que dans la Charte des
partis politiques européens pour une société
non raciste, ne sont pas appliquées dans leur
intégralité, même par les grands partis dont
la forte tradition antiraciste n’est plus à
démontrer. Combien d’hommes ou de
femmes politiques issus de l’immigration
connaissons-nous ? Combien d’entre eux
1.
16
Résolution 1344 (2003) relative à la menace des
partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe.
siègent à l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe ? C’est là que réside
notre première tâche : comment pouvonsnous être crédibles lorsque nous disons que
nous voulons lutter contre le racisme et
l’exclusion sociale si les structures de nos
partis n’arrivent pas elles-mêmes à le faire ?
Ainsi que je le l’ai indiqué au début de
mon intervention, la classe politique peut
malheureusement jouer un rôle dans l’apparition du racisme ou d’attitudes intolérantes
dans la société. Cela peut se faire tant implicitement, par des arguments qui ne sont pas
racistes à première vue, que par un discours
expressément raciste, xénophobe ou
intolérant.
Les sanctions prononcées à l’encontre de
ce type de comportement devraient être proportionnées à la gravité de celui-ci et
appliquées sans hésitation, par le parti concerné en cas d’actes commis par des
membres isolés, ou par l’Etat lorsque de tels
actes sont tolérés, encouragés ou menés par
un parti politique.
L’Assemblée a indiqué clairement qu’en
cas de discours raciste, xénophobe ou intolérant d’une exceptionnelle gravité, des
partis politiques pourraient être suspendus,
interdits ou dissous.
Certes, toutes les garanties devraient être
prévues pour éviter le caractère arbitraire
d’une telle décision et celle-ci devrait être
mise en œuvre dans le plein respect des
droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme et les
Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques, adoptées par
la Commission de Venise.
Les Etats membres du Conseil de
l’Europe ne devraient cependant pas hésiter
à adopter une législation spécifique dans ce
but et à la mettre en œuvre.
Nous devons empêcher toute escalade
d’une rhétorique implicitement ou ouvertement raciste chez les hommes et les femmes
politiques, notamment en les dissuadant au
moyen de la menace de sanctions.
Je vais décrire un exemple emblématique
d’une réponse possible à la rhétorique
raciste de la classe politique, exemple qui
s’est produit dans mon pays, l’Italie qui a
une longue tradition d’émigration. Nos émigrants ont été nombreux dans le passé à être
la cible d’un comportement xénophobe, ce
qui aurait pu nous conduire à croire que
nous étions à l’abri d’arguments et de discours de ce genre.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
A Vérone, dans le Nord du pays, un parti
politique, la Ligue du Nord, a mené une
campagne publique contre la communauté
tsigane, bien qu’elle y soit établie depuis
longtemps. Heureusement, la communauté
tsigane était bien organisée et elle s’est
défendue en exerçant une action en justice
en vertu d’une loi relativement récente (des
années 1980) qui punit toute incitation à la
discrimination raciale. En février dernier, la
justice a non seulement condamné les responsables de cette campagne à une peine
d’emprisonnement de six mois avec sursis
mais, surtout, elle leur a interdit d’exercer
un mandat politique local pendant cinq ans
et elle leur a ordonné de verser 35 000 euros
de dommages et intérêts à des organisations
tsiganes. Cela constituait une première en
Italie et cela rappelle clairement aux dirigeants politiques leurs responsabilités et les
limites acceptables du discours politique. A
mon avis, il est important que l’Etat de droit
rappelle quelles sont ces limites. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
joue ici un rôle important par les résolutions
qu’elle adopte en la matière. Elle joue ainsi
un rôle éducatif vis-à-vis de nos parlements
nationaux.
M
onsieur le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe, Mesdames et Messieurs,
Je suis reconnaissante à l’ECRI d’avoir
organisé cette manifestation aujourd’hui à
Paris et d’y avoir invité des représentants de
l’Assemblée parlementaire. Je lui suis
surtout reconnaissante d’avoir pris l’initiative de donner de la visibilité à la lutte
contre l’utilisation d’arguments racistes,
antisémites et xénophobes dans le discours
politique en organisant une présentation
publique.
Les hommes et les femmes politiques et
les partis politiques devraient être rappelés
à l’ordre. J’essaierai d’accomplir la part de
cette tâche qui me revient. Je rendrai compte
de l’issue de nos discussions d’aujourd’hui à
la commission des questions politiques et
j’encouragerai l’Assemblée à aller de l’avant
dans ce domaine précis.
J’espère aussi que la présentation
d’aujourd’hui éveillera l’intérêt qu’elle
mérite chez les médias. Une prise de position publique contre les arguments racistes,
antisémites et xénophobes en politique était
d’une urgence absolue. Cette manifestation
est une bonne nouvelle et elle doit obtenir
un très large écho.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
17
III. Etude sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le
discours politique
Jean-Yves Camus
Le discours xénophobe, raciste et antisémite dans la campagne
pour les élections nationales et les élections au Parlement européen
entre juin 2003 et le 13 juin 2004 : analyse générale et études de cas nationaux
Introduction générale
D
ans l’Europe de 2004, tant au sein des
pays d’Europe occidentale que dans ceux
d’Europe centrale et orientale, avec toutefois
des variantes, l’expression du discours politique raciste, antisémite et xénophobe est de
plus en plus objet de réprobation, de stigmatisation, donc de marginalisation, pour les
formations qui l’utilisent. La Charte des
partis politiques européens contre le
racisme adoptée en 1997, les diverses législations nationales punissant pénalement
l’expression du racisme, de l’antisémitisme
et de la xénophobie ainsi généralement que
la négation du génocide des juifs par les
nazis, témoignent d’un haut degré de
consensus sur cette question au sein des
partis démocratiques et des opinions
publiques. Jusque à une époque récente,
l’utilisation de ces thématiques dans le discours politique, pendant les périodes
électorales et en dehors, était pratiquement
restreinte aux formations classées par la
1
science politique à l’extrême-droite . Nous
verrons que celles-ci ont enregistré, lors des
élections européennes, des résultats mitigés,
y compris dans les pays nouvellement admis
dans l’Union européenne. Mais nous
montrerons ensuite que sous la pression,
tant du contexte international (montée du
terrorisme islamiste radical) que de
phénomènes proprement européens
(transformation de nombre de sociétés
homogènes en sociétés multiculturelles ;
immigration faisant souche ; crise
économique), le discours raciste et
xénophobe a été réintroduit dans l’agenda
politique par des formations politiques
« classiques » (conservatrices ou libérales, et
parfois même de gauche), ou du moins par
des individus y appartenant. Nous verrons
1.
Nous renvoyons, pour une définition théorique de la
famille politique d’extrême-droite, à la thèse du
politologue néerlandais Cas Mudde : The Extreme
Right party family : Université de Leiden, 1998. Pour
un état actuel des forces de cette mouvance : Pierre
Blaise/Patrick Moreau (éd.) : Extrême-droite et nationaux-populismes en Europe de l’Ouest, Editions du
CRISP, Bruxelles, 2002.
comment ce discours vise d’abord les
immigrants et les réfugiés, en particulier les
populations originaires des pays
musulmans, quelquefois aussi l’islam luimême en tant que religion et en tant qu’il est
souvent amalgamé avec son expression
politique, l’islamisme. Nous examinerons
enfin le cas spécifique de la résurgence des
actes et expressions antisémites et le
discours tenu à ce sujet, ainsi que les
occurrences, très minoritaires mais bien
réelles, du préjugé antisémite dans des
formations politiques qui demeurent malgré
tout marginales.
Nous nous livrerons enfin à trois études
de cas, qui porteront sur l’utilisation des dits
discours dans des pays membres, à la fois du
Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne : la Belgique, la République
d’Irlande et la Lettonie. Nous tenons, au
terme de cette introduction, à préciser ceci.
Tout d’abord, la mention, dans le présent
rapport, de telle ou telle formation politique,
ou de tel ou tel pays, n’implique nullement,
aux yeux de l’auteur, une volonté de stigmatisation ou un jugement de valeur consistant
à nier le caractère démocratique dudit parti
(sauf le cas de formations unanimement
reconnues comme anti-démocratiques) ou
dudit pays. Tous les partis mentionnés agissent dans le cadre de la loi, comme le prouve
leur participation au processus électoral.
Lorsque tel ou tel d’entre eux agit en infraction avec celle-ci, il appartient aux
juridictions du pays concerné, et à elles
seules, de le sanctionner. De même, tous les
pays cités sont des démocraties, qui adhèrent aux principes fondateurs des
organisations internationales auxquelles ils
appartiennent (ou de l’Union européenne ou
du Conseil de l’Europe). Les faits évoqués
dans ce rapport, s’ils appellent à la réflexion,
éventuellement à un changement d’attitude,
et dans certains cas nécessitent des sanctions juridiques, n’autorisent pas à porter un
jugement dépréciatif généralisé sur le pays
concerné.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
21
Première partie : l’extrême-droite, vecteur traditionnel du discours raciste, antisémite et
xénophobe, enregistre ces dernières années des résultats électoraux mitigés
T
oute étude sur l’utilisation des thèmes
racistes et xénophobes, dans le cadre
d’une campagne électorale, suppose une
analyse de la présence des partis
d’extrême-droite et de leurs résultats. De
ce point de vue, le scrutin de juin 2004
présente un bilan mitigé, et ne peut pas
être considéré comme une progression
massive des partis nationalistes
xénophobes.
Examinés pays par pays, ces résultats
sont à la baisse en Autriche, où le FPÖ
recueille 6,33 % et n’obtient qu’un élu
contre 23,4 % en 1999 et cinq sièges. En
Allemagne, les formations d’extrêmedroite demeurent très marginales, puisque
le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) remporte 0,9 % et les
Republikaner, 1,9 %. La situation en
France montre certes une progression du
Front National (9,81 % contre 5,69 % en
1999), mais cette hausse est à prendre
avec précaution, car le score de 1999,
intervenant juste après la scission
« mégretiste » (janvier 1999), n’était pas
représentatif et comparé au score du FN
aux élections régionales de 2004, soit
12,9 %, ce parti est en baisse. L’Italie
n’enregistre guère de progression de
l’extrême-droite : Fiamma Tricolore, parti
fasciste non repenti, obtient 0,7 % là où
son prédécesseur, le MS-Fiamma Tricolore, remportait 1,6 %, perte toutefois
compensée par les 1,2 % obtenus par la
liste Alternativa Sociale menée par Alessandra Mussolini. Il faut donc signaler
que ces deux formations n’ont obtenu un
élu qu’en raison du système électoral,
proche de la proportionnelle intégrale, et
expliquer aussi que si le parti Alliance
Nationale progresse, de 10,3 à 11,5 %, il ne
peut plus être considéré comme appartenant à la famille d’extrême-droite. La Lega
Nord, pour sa part, ne progresse que très
légèrement, de 4,5 % à 5 %, bénéficiant
peut être d’un effet conjoncturel de sympathie avec son leader, Umberto Bossi,
temporairement empêché de conduire la
liste.
Ainsi, une avancée sensible n’est perceptible que dans de rares cas. Elle est
importante en Belgique, où le Vlaams Blok
passe de 15,1 à 23,16 % des voix du collège
électoral néerlandophone, tandis que le
Front National, présent en Wallonie et à
22
Bruxelles, remporte 7,45 % des voix francophones (4,1 % en 1999). Ce succès,
confirmé par les élections régionales
tenues le même jour, constitue incontestablement le meilleur résultat d’un parti
d’extrême-droite en Europe de l’Ouest. La
progression est également spectaculaire
en Pologne, ou la Ligue des Familles Polonaise (LPR) obtient 15,92 % et le parti
Samobroona (Autodéfense), 10,78 %. Elle
est sérieuse en Grèce, où le LAOS, du
député (ex Nouvelle Démocratie) George
Karatzaferis, obtient un siège avec 4,11 %.
Elle est réelle en Slovénie, où le SNS
(Parti National Slovène) a obtenu 5,2 % et
aucun élu, mais progresse par rapport aux
législatives de 2000 (4,4 %), et surtout a
confirmé la tendance aux législatives de
septembre 2004, obtenant 6,6 %. On considérera enfin comme un « cas limite »
entre droite conservatrice et extrêmedroite le parti Pour la Patrie et la Liberté
(LNKK) letton, qui est arrivé en tête avec
29,82 %.
1. Les résultats
électoraux : éléments
d’interprétation
La progression est beaucoup plus
faible pour le Dansk Folkeparti danois
(6,8 % contre 7,1 %) et les Sverigedemokraterna suédois (1,13 % contre environ
1 %). Aux Pays-Bas, elle ne résulte que de
l’absence en 1999 de la List Pim Fortuyn,
qui remporte cette fois 2,6 %. Enfin, il faut
prendre comme un signal d’alarme le
score du British National Party britannique, qui a obtenu 4,9 %, soit un total de
808 200 voix. Si le système électoral britannique l’a empêché d’obtenir un siège ;
on peut néanmoins considérer ce résultat
comme élevé, compte tenu du degré de
radicalité du discours raciste de ce parti.
Ces succès ne doivent cependant pas
masquer deux faits.
D’abord, dans plusieurs pays,
l’extrême-droite est carrément absente
(Chypre ; Finlande ; Irlande ; Luxembourg) ou totalement groupusculaire
(Espagne ; Estonie ; Lituanie ; Malte ; Portugal). Ensuite, dans les nouveaux pays
membres de l’Union européenne à l’est,
les formations ultra-nationalistes xénophobes, qui se situent souvent dans la
lignée revendiquée de formations du
même type existant entre 1918 et 1940, ont
subi des revers qui confirment leur déclin
enregistré aux dernières élections natioECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
2. L’extrême-droite :
éléments d’analyse de
discours
nales. Ainsi, les Republikani, de Miroslav
Sladka, n’obtiennent que 0,79 % en République tchèque (1 % aux législatives de
juin 2002, où ils avaient perdu leur représentation parlementaire) ; le MIEP
hongrois obtient 2,35 % (4,4 % aux législatives d’avril 2002, perte de tous les
députés) ; en Slovaquie, l’implosion du
SNS (Parti National Slovaque) l’a réduit à
2,01 % (aux législatives de septembre
2002, le SNS et son allié des européennes,
le PSNS, obtenaient en pourcentage
cumulé 7 %)2.
C
tuel entre le droite extrême allemande et les
peuples de l’est prend ici un relief particulier, s’agissant d’un parti qui réclame le
retour aux frontières de 1937 et vendait,
pendant la campagne, un « Kalender des
Nationalen Widerstandes » (Calendrier de
la Résistance Nationale) comportant un
article sur « le mythe du Reich et ses frontières historiques et un autre sur « l’armée
des volontaires de la Waffen SS ». Enfin, le
NPD se distingue des autres partis allemands en utilisant une rhétorique
ouvertement antisémite, qui transparaît par
exemple dans un article du Deutsche Stimme
de juin 2004 titré : « Terreur d’Etat sous
l’étoile de David », illustré par une photo du
premier ministre Ariel Sharon et sous-titré :
« Israël liquide à la suite les dirigeants du
mouvement palestinien de libération », en
l’occurrence les chefs du Hamas. Dans le
contexte particulier de l’Allemagne, il faut
mentionner l’existence de ce que les politologues appellent la « zone grise » entre droite
conservatrice et extrême-droite, faite de
revues et organisations qui accueillent des
contributions d’intellectuels ou d’élus
n’appartenant pas aux groupes extrémistes.
Il faut alors citer la revue néo-droitière Junge
Freiheit, disponible en kiosques, et qui a,
avant l’élargissement, consacré de nombreux articles à la thématique de
« l’invasion » venue d’Europe de l’Est, au
« problème des roumains », de la « vague de
criminalité », du « coût de l’adhésion de la
Pologne », autant de reformulations de l’idée
du « péril venu de l’est » cher à l’ultra-nationalisme allemand4.
omme nous l’écrivions en introduction, le
discours raciste, xénophobe et antisémite de
ces partis s’est largement exprimé pendant
la campagne pour les élections européennes
de juin 2004 comme dans le cadre des élections nationales et reste la principale source
de discours politique raciste pendant les
campagnes électorales et en dehors. Pour en
apprécier la portée, il faut en outre se souvenir que même les mouvements d’extrêmedroite à l’influence électorale restreinte,
reçoivent généralement une couverture
médiatique importante, parfois hors de proportion, ce qui produit un effet
d’amplification et leur donne une visibilité
accrue. Nous illustrerons le discours raciste
de l’extrême-droite par une série
d’exemples.
C’est en Allemagne que se trouve
l’expression la plus radicale du racisme, et
également de l’antisémitisme, dans la propagande du Nationaldemokratische Partei
Deutschlands (NPD), qui a recueilli des
scores non négligeables dans un Land (Saxe :
3,26 %) et certains « kreis » comme Sächsische Schweiz (7 %) et Riesa (7,7 %) en
Saxe toujours3. Le NPD, qui a fait campagne
sur le thème « Hors de l’Union européenne,
Europe des Patries, pour un groupe nationaliste fort à Strasbourg », s’oppose à l’entrée
de la Turquie, et a publié dans son mensuel
du mois d’Avril 2004, Deutsche Stimme, une
photo de femmes turques les bras chargés de
paquets volumineux, marchant le long d’une
route, avec comme légende : « L’Europe face
à un nouvel assaut turc ». Une autre préoccupation majeure du NPD est
l’élargissement de l’Europe vers l’est : dans
une interview donnée au Deutsche Stimme de
mai 2004, un cadre du parti, Rolf Haschke,
déclare : « Des millions d’hommes de
Pologne, de Hongrie et des pays baltes passeront en Europe de l’ouest comme main
d’œuvre bon marché et chercheront du travail, en Allemagne surtout ». Cette
instrumentalisation de l’antagonisme habi3. Résultats complets disponibles sur : www.npd.de/
npd_info/wahlen/europawahl_2004.html.
2. Pour un tableau récapitulatif des résultats de
l’extrême-droite aux européennes : Searchlight magao
zine, n 349, juillet 2004, pp. 25-26.
En Autriche, le FPÖ a continué à utiliser
la rhétorique xénophobe habituelle, selon
laquelle l’élargissement de l’Union européenne constituait un danger en raison de
l’immigration prévisible de la main d’œuvre
de l’est. Le candidat aux européennes Hans
Kronberger a ainsi réagi, en mai 2004, contre
la proposition des Grünen (Verts) d’un élar4. Sur la thématique est-européenne dans Junge
Freiheit : « Flut aus dem Osten », in : Antifaschistische
o
Infoblatt n 62, printemps 2004, pp. 42-43.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
23
gissement à l’ensemble des Balkans, qualifiés
par lui de « baril de poudre très explosif ». Il
s’est également inquiété des conséquences
de l’adhésion de la Slovaquie, mettant en
avant le problème posé par les centrales
nucléaires slovaques. La secrétaire générale
du parti, Magda Bleckmann, s’est également
exprimée, le même mois, contre l’adhésion
de la Turquie, évoquant l’action des associations islamistes contre la laïcité de l’Etat
turc, et déclarant que « avec l’entrée de la
Turquie, l’Europe serait financièrement et
culturellement débordée ». Le FPÖ a rédigé
un « programme en 10 points », sorte de programme de gouvernement dont la première
proposition est l’instauration d’un revenu
minimum mensuel de 1000 euros. Mais le
second point s’intitule : « Une réglementation plus stricte de l’immigration et du droit
d’asile : l’Autriche n’est pas un pays
d’immigration ». Parallèlement, le parti a
lancé deux campagnes sur le thème des
demandeurs d’asile : l’une intitulée « Asyl
stop », propre au land de Carinthie, dont
Jörg Haider est ministre-président, et dont
le slogan est « la Carinthie ne peut plus
accueillir d’immigrants » et l’autre nommée
« Asyl eldorado », qui demande l’arrêt de
l’octroi de droits sociaux aux demandeurs
du statut de réfugiés, supposés abuser des
avantages que leur donne l’Etat autrichien.
On notera pour finir que la tête de liste et
unique élu européen du FPÖ, Andreas
Mölzer, s’est rendu célèbre par le passé en
tant qu’éditeur de l’hebdomadaire viennois
Zur Zeit, indépendant du parti mais exprimant la pensée du courant nationalconservateur, et qui s’est distingué à plusieurs reprises par sa xénophobie affirmée
ainsi que ses sous-entendus antisémites. Dès
avant son élection Mölzer, qui a été le conseiller culturel de Haider, a proposé à divers
partis européens, dont le Front National
français et le Vlaams Blok, la création d’un
« groupe anti-immigration » au Parlement
européen. Mölzer est un personnage clé
dans les tentatives de constitution d’une
liaison permanente et institutionnalisée
entre les partis d’extrême-droite européens.
Au Danemark, l’idéologie xénophobe du
Dansk Folkeparti, pendant les campagnes
électorales récentes, s’est exprimée dans les
termes mêmes contenus dans le programme
du parti, c’est-à-dire l’idée selon laquelle le
peuple danois est religieusement, culturellement et ethniquement homogène, et qu’en
conséquence, « le pays est fondé sur l’héritage culturel danois, de sorte que la culture
danoise doit être renforcée et préservée ». Le
24
même programme définit la culture comme
« la somme de l’histoire du peuple danois, de
ses expériences et croyances, de sa langue et
de ses coutumes ». Pour le parti, « le Danemark n’est pas et n’a jamais été un pays
d’immigration, aussi, nous n’accepterons pas
sa transformation en une société multiethnique ». En période de campagne électorale, le journal du parti, Dansk Folkeblad, a
continué à accorder une place conséquence
à la dénonciation de l’islam, citant par
exemple laudativement le livre de Ibn
Warraq, « Pourquoi je ne suis plus
musulman »5, et juxtaposant l’article avec
une photographie, dont rien n’indique
qu’elle ait été prise au Danemark, d’une foule
musulmane en prière, avec au premier plan
quelques hommes en habit traditionnel. On
mentionnera aussi, dans le même numéro du
journal, un article, intitulé « Den evige
kommissaer », qui est une longue dénonciame
tion de M Beate Winkler, directrice de
l’EUMC à Vienne, et du travail de ce centre,
accusé de « nouveau totalitarisme ». Pour
replacer l’idéologie du Dansk Folkeparti
dans son véritable contexte, rappelons
qu’elle est largement influencée par la
pensée d’une fondation privée d’extrêmedroite, la Danske Forening, et son journal,
Danskeren. Alors que le parti cherche à
démentir toute affiliation avec l’extrémisme,
la Danske Forening assume au contraire sa
proximité avec celui-ci. Pour preuve, la présence sur son site Internet (www.
dendanskeforening.dk), d’un texte titré
« Det nationale gennembrud: Europæiske
modstandere af multikulturalismen », dont
l’auteur, Peter Neerup Buhl, inclut parmi les
« opposants européens au
multiculturalisme », outre son organisation,
le Vlaams Blok et le Front National français,
le FPÖ et les Republikaner, et même le serbe
Radovan Karadzic et le mouvement russe
antisémite Pamyat. On notera aussi que sur
le même site, la bibliographie des livres
recommandés sous le titre « littérature
dissidente », comprend les œuvres des dirigeants des partis susmentionnés, ainsi que,
par exemple, le véritable appel à la guerre
raciale que constitue le livre de Guillaume
Faye, « La Colonisation de l’Europe : discours vrai sur l’immigration et l’islam », paru
à Paris en 2000 chez l’éditeur néo-nazi
6
l’Æncre . Juste avant l’ouverture de la campagne pour les européennes, le journal
Danskeren a également fait la promotion d’un
livre de Rolf Slot-Henriksen, animateur de
o
5. Dansk Folkeblad, n 3,2004
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
divers sites Internet anti-musulmans, con7
sacré au « péril islamiste » au Danemark .
Les formations extrémistes nationalistes
d’Espagne ont également utilisé le discours
xénophobe, en imitant largement les slogans
et le programme du Front National, dans le
cas de Democracia Nacional, qui veut être
l’élément « moderne » d’une extrême-droite
encore très marquée par l’héritage phalangiste. Le slogan du parti est « les espagnols
d’abord ». Ses thèmes favoris de campagne
peuvent être déterminés d’après un discours
de son dirigeant, Rafael Ripoll, lors d’un
meeting de soutien au parti nationaliste
suédois « Ny Demokraterna », le 10 juin
8
2004 . Comme on s’en doute, les attentats
terroristes commis à Madrid le 11 mars par
des islamistes radicaux, fournissent au
mouvement le prétexte pour prétendre que
« l’Espagne est devenue, avec d’autres
parties de l’Europe, dont la Serbie, une terre
de conquête pour l’islam ». Selon Ripoll,
« notre pays, comme le reste de l’Europe,
souffre d’une décadence constante et le coup
peut être mortel : si à l’explosion
démographique du tiers-monde, nous
ajoutons la baisse de notre natalité et les
crises économiques cycliques, nous voyons
que les peuples européens sont menacés
d’extinction ». Comme d’autres partis du
même courant idéologique, c’est
l’expression de « tour de Babel rêvée par les
oligarques mondialistes », que le mouvement
utilise pour qualifier l’Union européenne.
Mais son utilisation du thème du « péril
musulman » (DN est également hostile à
l’entrée de la Turquie) est restée une
exception dans un pays pourtant très
marqué par les attentats de mars mais où la
classe politique dans son ensemble, y
compris pendant la campagne pour les
élections législatives, a montré une retenue
certaine dans l’instrumentalisation des
sujets comme l’immigration et l’islamisme.
Les formations d’extrême-droite de
France, par contre, sont restées fidèles à
6. On remarquera que le Dansk Folkeparti ne dit pas
qu’il s’oppose à la société multi-culturelle, donc au
communautarisme, ce qui reste un choix démocratique de modèle de société. Il exclut la société
« multi-ethnique », donc la présence d’individus
d’autres provenances, même intégrés à la culture
danoise.
7. R. Slot-Henriksen : Muslimke ekstremistbevaegeler i
Denmark, éditions Rafael, 2003. L’ouvrage, réalisé
pour la Dansk Kultur Forening, est recensé dans
o
Danskeren n 1, février 2004. Il cite pêle-mêle parmi
les groupes extrémistes, Hizb ut Tahrir les salafistes, les soufis.
8. Mis en ligne sur le site du parti :
www.democracianacional.org
leurs thèmes classiques : la liaison supposée entre immigration et insécurité ou
terrorisme, entre immigration et crise économique. Ainsi, le Mouvement National
Républicain, de Bruno Mégret, a fait campagne sur le thème « Non à la Turquie
dans l’Europe » et en parallèle, sur le
thème « Islamistes hors de France ».
Brièvement résumée, la politique du MNR
est de dire que « l’immigration est le
berceau de l’islam en France et l’islam le
berceau de l’islamisme ». Ce parti présente, par rapport à ses homologues
européens, deux spécificités : d’une part, il
est le seul à prôner une « coopération avec
les pays arabes modérés » (qu’il ne nomme
pas) ; d’autre part, il est un des très rares à
mettre en cause nommément les EtatsUnis pour leur responsabilité supposée
dans l’expansion de l’islamisme, et il
enjoint aux américains « de cesser de soutenir les factions musulmanes dans le
monde, et notamment en Europe, comme
au Kosovo, en Bosnie, en Macédoine et en
Tchétchénie »9. Le Front National, pour sa
part, a lui aussi axé sa campagne sur la
question de l’adhésion de la Turquie et des
flux migratoires en provenance de ce pays
comme d’Europe de l’est. Lors du Banquet
de Paris du 10 juin 2004, qui clôturait la
campagne, Jean-Marie Le Pen a utilisé les
thèmes habituels de la crainte de
l’influence de l’islam et de la mise en cause
de la loyauté des immigrés musulmans à
l’égard de leur pays d’accueil, même quand
ils en possèdent la nationalité : « La
France, dans une Europe à 25 aujourd’hui,
à 27 dans trois ans, puis pourquoi pas à 30,
ou 35, ou 40, avec la Turquie ! avec le
Kosovo ! n’aura plus aucun pouvoir, plus
aucune influence, vassalisée par les
Allemands ou les Américains (…). Michel
Barnier pense même déjà à instaurer un
« partenariat d’exception », c’est son
expression, avec le Maroc ! Ce statut
abscons placerait le Maroc, a expliqué le
Quai d’Orsay que je cite, « à mi-chemin
entre l’association et l’adhésion » à l’Union
européenne ! Mais pourquoi s’arrêter à michemin ! Quand la moitié du chemin est
parcourue, généralement, on ne revient
pas en arrière, on pousse jusqu’à la ligne
d’arrivée, et la ligne d’arrivée, c’est l’entrée
du Maroc dans l’Union européenne, ce qui
aurait au moins le mérite de la logique eu
égard au nombre de Marocains qui
9. Tract du MNR : « Islamistes hors de France : avec
Bruno Mégret remettons de l’ordre en France ».
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
25
résident déjà dans l’Union, ou qui
possèdent la double nationalité, celle de
leur pays d’accueil, la France, et celle de
leur véritable patrie, le Maroc ! ». Faisant
référence aux mesures de sécurité
drastiques mises en place pour les
commémorations du débarquement
(6 juin 2004), il a en outre établi une
corrélation automatique entre
immigration, terrorisme islamiste et
banlieues en déclarant : « Soit dit en
passant, il ne me semble pas très logique
de craindre l’arrivée de terroristes en
provenance de l’étranger pour trucider
M. Bush alors qu’il n’y a qu’à passer une
petite annonce dans n’importe quelle
banlieue un peu sensible pour recruter
tous les volontaires dont on a besoin ! ».
En Italie, la liste Libertà di Azione,
menée par la députée Alessandra Mussolini, a fait campagne sur un programme
insidieusement xénophobe, dans la
mesure où il définissait l’essence de
l’Europe comme étant « grecque pour le
mode de pensée ; romaine, pour ses valeurs
de justice et de sens civique ; chrétienne
pour les valeurs qui la forment et la
motivent ». Elle insistait en outre sur le
fait que l’Europe repose sur « la culture et
l’histoire de 3 000 ans » et, sans réclamer le
départ des étrangers résidant en Italie,
concluait que « les flux migratoires ne
sont pas inéluctables ». La présence en
seconde position sur cette liste de
Roberto Fiore, dirigeant du mouvement
ouvertement raciste et antisémite Forza
Nuova, éclaire évidemment d’une autre
façon ce programme. Le discours xénophobe est également utilisé régulièrement
par un parti de gouvernement : la Lega
Nord per l’Indipendenza della Padania.
Un numéro daté de mai 2004 de son
journal, spécialement réalisé pour les élections, comportait, en page six, la
photographie d’un paquebot chargé
d’immigrés clandestins, surmonté du
slogan « Jamais plus » ; ainsi qu’une reproduction d’une affiche électorale titrée
« Non au droit de vote des immigrés », et
dont le texte comportait diverses affirmations comme « le droit de vote ne peut pas
être le point de départ de la citoyenneté,
c’est un point d’arrivée » et « le droit de
vote est un symbole, aucun parti, ni le Parlement, ne peut l’accorder aux immigrés,
seulement le peuple ». L’article sur la
même page se félicitait d’une augmentation des expulsions de +61,5 % et de
37 655 reconduites à la frontière, depuis
26
l’adoption de la « loi Bossi-Fini » du
30 juillet 2002 sur l’immigration clandestine. Enfin, dans le même numéro, un des
candidats aux européennes de la liste Lega
Nord, élu en juin 2004, Mario Borghezio
(qui exerce la fonction, totalement non
officielle, de « président du gouvernement
de Padanie »), signait un article titré « Non
à l’invasion islamique », qui contenait
entre autres l’affirmation suivante :
« L’islam, se situe sur la scène mondiale
avec une forte volonté expansionniste, qui
suit des stratégies bien précises pour se
renforcer dans les pays musulmans
modérés et en Europe ». Ecrivant que dans
ces conditions, « les protestations contre
la construction de mosquées dans notre
pays ne sont pas des fantaisies », l’auteur
approuvait ces protestations, au motif que
« pour les musulmans, la mosquée n’est
pas seulement un lieu de culte mais aussi
un lieu de rencontre sociale et de renforcement de l’identité, de jugements sur la
société et de lancement de mots d’ordres
de type politique ». A partir d’un certain
nombre de cas où il a été prouvé que des
lieux de culte ont servi à la propagation de
l’islamisme radical, l’auteur poursuivait en
généralisant le lien entre existence d’une
mosquée et développement du terrorisme :
« de nombreuses enquêtes menées par de
divers procureurs ont amplement
démontré l’activité en faveur du terrorisme menée dans les mosquées et centres
islamiques de diverses villes de Padanie
comme Milan et Crémone ». L’Alliance
Nationale, parti politique de la droite
conservatrice, qui est né à partir du
Mouvement Social Italien néo-fasciste, a
utilisé pour sa part, sur les questions liées
à l’immigration et à la nationalité, un
langage beaucoup plus modéré, ne faisant
qu’une place marginale à ces sujets dans sa
campagne électorale. Légèrement postérieure à l’élection elle-même, la prise de
position de AN sur la révision de la loi
Bossi-Fini (29 juin 2004) confirme
d’ailleurs cette attitude : les propositions
de AN consistent à créer un ministère de
l’immigration et à soumettre l’expulsion
d’un immigré clandestin à une décision de
justice. Si certaines de ces propositions,
comme le durcissement des modalités de
délivrance des titres de séjour, ou la possibilité d’expulser un immigré extracommunautaire qui se livre au délit
d’écoulement de produits de contrefaçon,
sont indiscutablement sévères, l’optique
du mouvement reste opposée à celle de la
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
Lega Nord, puisque selon Ignazio La
Russa, coordinateur national de l’Alliance
Nationale, « ces mesures ne sont pas seulement répressives, mais favorisent
l’intégration », qui demeure ainsi un
objectif, alors que la Lega poursuit celui
d’une expulsion massive des extracommunautaires, d’un arrêt des flux
migratoires, et s’en tient en outre à une
définition ethnique de la citoyenneté.
Deuxième partie : le discours raciste et xénophobe se fait entendre au sein des partis
« mainstream »
Une des évolutions les plus préoccupantes
les immigrants clandestins (Italie, Espagne
et Portugal entre autres, tandis que la « loi
Chevènement », en France, a permis la régularisation de plus de la moitié des résidents
illégaux). Nous avons incontestablement
constaté que la tonalité du discours de certains partis démocratiques sur ces questions
s’était « durcie », au point que dans plusieurs
pays existe maintenant une majorité de
citoyens favorable à des restrictions importantes de l’immigration et du droit d’asile. Il
n’est pas dans l’objet de cette étude de
décrire les débats qui se sont fait jour dans le
monde politique et la société civile des pays
européens sur ces questions, en dehors du
cadre des campagnes électorales. Nous
n’allons donc aborder que quelques
exemples portant sur la manière dont ces
sujets ont pu sur-déterminer le climat électoral de l’année 2004.
I
place derrière l’emploi dans le programme
de campagne du MPF, qui affirmait vouloir
« une Europe européenne, dans laquelle la
France préserve son identité et son
rayonnement. » Elle était présente sur les
affiches de campagne, qui, à côté de la photo
de la tête de liste, comportait le slogan :
« Non à la Constitution : Non à la Turquie
dans l’Europe ». Le parti a lancé une pétition
nationale pour demander au président de la
République un référendum. Philippe de Villiers, parlant devant les jeunes de son
mouvement, a justifié sa position comme
suit : « l’entrée de la Turquie dans l’Europe,
c’est la fin de l’Europe, ce n’est plus l’Europe,
c’est l’Eurasie comme si la France demandait
à adhérer à l’Union africaine. Si la Turquie
entre dans l’Europe, il y a le risque que le
président de l’Europe soit un turc : pour moi
c’est une hypothèse que je rejette. Ce sera la
première puissance démographique, elle
aura plus de voix et plus de députés que la
France. Aujourd’hui la Turquie est la plaque
tournante de toute l’immigration clandestine en provenance de toute l’Asie vers
l’Europe »10. La question de l’immigration
de ces dernières années est que le discours
raciste et xénophobe n’est plus confiné à la
sphère assez circonscrite des formations
d’extrême-droite. Les questions liées à la
politique de l’immigration et du droit d’asile,
en particulier, sont devenues des déterminants majeurs du vote des électeurs et un
élément-clé du débat politique, surtout en
Europe occidentale. Les événements du
11 septembre 2001 et, d’une manière générale, les progrès de l’islamisme radical, ont
rendu acceptable la théorie du « choc des
civilisations » et le questionnement sur la
compatibilité entre la religion musulmane et
les valeurs démocratiques. D’un autre côté,
la persistance de la crise économique a pu
justifier ici ou là des propositions de restriction des flux migratoires, même si plusieurs
pays ont choisi de régulariser massivement
1. Le cas spécifique
des formations dites
« euro-sceptiques » ou
« souverainistes »
l est évident que le choix politique qui
consiste à refuser le fédéralisme et à privilégier une Europe des Nations, de même que la
critique de l’accroissement des prérogatives
communautaires au détriment des souverainetés nationales, est un choix démocratique
qui, en lui-même, ne contient aucune forme
de racisme ou de xénophobie. La thématique
xénophobe est ainsi totalement absente des
mouvements comme la liste néerlandaise
Europa Transparant, de Paul Van Buitenen
et la liste autrichienne de Hans-Peter
Martin. D’un autre côté, plusieurs listes
dites « euro-sceptiques » ont manipulé dangereusement la rhétorique nationaliste et
xénophobe, quelquefois dans le but de
prendre des voix à des partis d’extrêmedroite (en France, c’est le cas du MPF par
rapport au Front National), mais avec le
risque de rendre légitime ce type de discours
au sein de la droite classique et même
parfois de la gauche. Clairement située à
droite, la liste française du Mouvement pour
la France, dirigée par Philippe de Villiers, a
axé sa campagne sur les questions de
l’entrée de la Turquie, de l’immigration et de
l’identité chrétienne de l’Europe. La question de la Turquie figurait en deuxième
10. Texte disponible sur http ://mpf26.free.fr/.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
27
figurait également parmi les « dix
engagements » du MPF pour les européennes. Le mouvement déclarait refuser
« l’Europe des communautarismes » et affirmait que face à « l’explosion de
l’immigration », chaque pays devait
reprendre les prérogatives, en matière de
contrôle des flux migratoires, que l’Europe
s’était octroyées. Le MPF a par ailleurs une
vision très restrictive de ce que doivent être
les fondements culturels de l’Europe. Après
l’affaire Buttiglione, il a en effet expliqué que
« après le oui à la Turquie et le refus d’inscrire les origines chrétiennes de l’Europe
dans le projet de la Constitution, la preuve
est faite : l’Union européenne est devenue un
11
club anti-chrétien » . Nous aborderons enfin
le cas du parti euro-sceptique qui a obtenu
le meilleur résultat en Europe de l’ouest : le
UK Independence Party britannique (16,1 %
des voix). La xénophobie n’était pas le
thème de campagne du UKIP, entièrement
focalisé sur son slogan : « Say no to European
Union ». Toutefois, sa tête de liste, le journaliste Robert Kilroy-Silk, avait déjà créé la
controverse, au début de 2004, lorsqu’il
avait publié un article dans le Sunday Express,
faisant référence aux « arabes qui avaient tué
plus de 3 000 civils le 11 septembre » et
avaient ensuite « dansé dans les rues » en
signe de joie, les qualifiant également de
« terroristes suicide » (suicide bombers) et de
« coupeurs de membres » (limb amputators).
Obligé de démissionner de la BBC, où il
animait une émission depuis dix-sept ans,
Kilroy-Silk s’était défendu en affirmant qu’il
visait les régimes de certains pays arabes et
non les arabes en général. Il ne vient pas de
la droite extrême mais du Labour. Fondé en
1993, l’UKIP a toujours fait de son mieux
pour chasser de ses rangs les éléments
racistes. C’est ainsi que son fondateur et
premier leader, l’historien Alan Sked, a du
chasser un de ses propres étudiants de la
London School of Economics, Mark Deavin,
devenu membre du bureau exécutif national
du parti, et qui était en fait un adhérent du
British National Party (extrême-droite),
ayant contribué à la rédaction du livre antisémite Who are the mindbenders ? (Qui sont
11. Communiqué du 28 octobre 2004
P
lus rarement, le discours raciste et xénophobe se fait entendre au sein même des
partis de gouvernement, en règle générale,
lorsque le débat politique met au cœur de
l’agenda électoral les questions liées à l’identité nationale, à l’immigration et au statut
28
ceux qui conditionnent les esprits ?), rédigé
par Nick Griffin, dirigeant et tête de liste du
BNP. En 2001, un des dirigeants du parti,
Mark Lester, qui est juif, l’a quitté après
avoir découvert que le responsable du UKIP
pour l’Ecosse, Alistair MacConnachie, avait
écrit une lettre exprimant des doutes sur
l’ampleur de la Shoah, et surtout après que la
direction du parti ait décidé que l’intéressé,
qui avait été exclu pour 5 ans, ait vu la sanction ramenée à une exclusion d’un an12.
Parmi les dirigeants actuels du UKIP, on
note la présence de Ashley Mote, élu député
européen et auteur d’un livre titré
Overcrowded Britain : Our Immigration Crisis
exposed (la Grande-Bretagne surchargée :
notre crise de l’immigration), dont le
résumé, tel que présenté par l’éditeur, est le
suivant : « Le politiquement correct a
détourné notre liberté de discuter un des
problèmes brûlants du jour. Ce texte
présente un débat complet, ouvert et, si
nécessaire, controversé sur l’immigration. Il
regarde les faits et regarde en face carrément
beaucoup des conséquences de
l’immigration de masse ainsi que les
décisions urgentes que doit prendre la
Grande-Bretagne (…) Neuf immigrants sur
dix qui arrivent au Royaume-Uni y restent.
Au plan social, l’immigration cause de
nombreux problèmes qui ne peuvent
qu’empirer ». Il s’agit là d’une expression
radicalisée de la position officielle du parti,
consistant à dire que « l’immigration n’est
pas contrôlée », que « la Grande-Bretagne est
pleine ». Le programme électoral du UKIP
définissait « cinq libertés » qu’il entendait
défendre : la liberté de quitter l’UE ; celle de
ne pas être victime de la délinquance ; être
libéré des « politiciens bureaucrates » et du
« politiquement correct » ; et enfin, être
libéré du « trop plein » (overcrowding)
d’immigrés. Il existe évidemment une
tonalité xénophobe dans ce programme,
même si, lors de la campagne des
européennes, l’UKIP a tenté de se
démarquer des extrémistes.
12. Sur les rapports inter-individuels entre membres du
UKIP et extrême-droite, cf. Searchlight, juillet 2004,
pp 8-9.
des demandeurs d’asile. Nous avons relevé
quelques exemples de ce qui peut apparaître
comme une véritable « contamination » des
partis démocratiques.
2. Les partis de la
droite parlementaire
Au Luxembourg, ont eu lieu le même
jour des élections législatives et les élections
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
européennes. L’Aktiounskomitee fir Demokratie a Rentegerechtegkeet (ADR) a
obtenu aux législatives, 9,5 % des voix et 5
députés et aux européennes, 8,03 % (aucun
élu). L’ADR s’est prononcée contre l’adhésion de la Turquie, qui selon elle n’est pas un
pays européen pour des raisons historiques
et géographiques, mais surtout pour des
raisons culturelles13. Un de ses députés,
M. Jacques-Yves Henkes, a également
déposé une « proposition de loi modifiant la
loi du 3 avril 1996 portant création d’une
procédure relative à l’examen d’une
demande d’asile », dont l’exposé des motifs
reprend le thème du asylum shopping, qui
selon le parlementaire, « amène les immigrants illégaux à choisir le pays où le recours
abusif à la procédure d’asile a le plus de
chances d’aboutir ». Elle a également introduit, le 19 mars 2003, une demande de
modification de la Constitution, qui comprendrait désormais la disposition suivante :
« La langue nationale des Luxembourgeois
est le luxembourgeois. » Elle s’est prononcée
aussi, le 23 janvier 2004, contre le projet
gouvernemental d’ouvrir des centres
d’accueil pour les réfugiés. L’ADR est aussi
un des rares partis européens à vouloir
abolir le droit des citoyens à posséder une
double nationalité14. Elle souhaite également
que les flux migratoires soient « concentrés
sur les pays partageant des bases culturelles
et des valeurs communes, c’est-à-dire les
pays actuels et futurs de l’Union
européenne »15. Il est à noter que l’ADR n’a
pas obtenu satisfaction sur la question du
droit de vote des étrangers noncommunautaires, puisque celui-ci, sous
condition de 5 années de résidence, a été
rendu effectif par la loi électorale du
18 février 2003.
En Suède, le débat a porté sur la remise
en question du consensus bien établi sur
l’accès aux avantages sociaux pour tous les
ressortissants de l’Union européenne. Les
seuls partis à s’y opposer étaient les Sverigedemokraterna et le parti d’extrême gauche
KPML (r) (Kommunistiska Partiet MarxistLeninisterna, Revolutionärerna). Le premier
ministre Göran Persson (social-démocrate :
Arbetarepartiet-Socialdemokraterna) luimême y était favorable. Après que se fut
exprimée un peu de grogne au sein des syn13. Communiqué du 24 septembre 2004
14. Interview de Christian Schaak, de l’ADR, sur RTL,
« Neen zur duebler Nationalitéit », 19 janvier 2004.
15. Proposition de l’ADR pour la création d’écoles
d’intégration par l’apprentissage du luxembourgeois.
dicats des secteurs du transport et du
bâtiment notamment, en octobre 2003, le
gouvernement avait trouvé une solution de
compromis en acceptant cette ouverture de
la protection sociale mais en même temps en
réclamant un contrôle renforcé du travail
illégal et de l’immigration clandestine.
Subitement, le 21 novembre 2003, le
premier ministre Göran Persson a fait volteface. Dans un interview pour Dagens Eko
(émission d’actualité diffusée toutes les
heures sur la première chaîne de la radio
publique Sveriges Radio, dont la rédaction
est réputée proche des sociaux-démocrates)
il s’est prononcé pour des limitations de
l’accès des ressortissants des nouveaux pays
membres de l’Union européenne aux avantages sociaux, en expliquant : « Nous
voulons une libre circulation des travailleurs, mais pas de tourisme social. Il ne
faut pas être naïf ». Göran Persson a
expliqué que la situation était scandaleuse
car il ne fallait que dix heures de travail par
semaine pour qu’un ressortissant de l’UE ait
pleinement droit aux acquis sociaux
suédois.
Cette information avait été divulguée
dans un reportage télévisé diffusé le
11 novembre 2003 et intitulé Inquiétudes en vue
de l’élargissement vers l’Est, produit par le journaliste Johan Zackrisson Winberg dans
l’émission Uppdrag granskning et dont le
contenu a été largement critiqué pour sa
tonalité xénophobe. Le reportage était construit à partir du cas d’une infirmière
estonienne qui vient travailler dix heures
par semaine en Suède et fait aussitôt venir
son mari, ses deux enfants, les deux couples
de grands-parents, tous bénéficiaires de
diverses allocations sociales et expliquait,
sans le démontrer, que cette personne
coûtait 320 000 couronnes par an aux
citoyens suédois. Le reportage contenait
aussi l’interview d’un représentant de la
Caisse d’Aide Sociale qui expliquait les
fraudes aux allocations. L’émission prévoyait l’augmentation de ces fraudes après
l’élargissement de l’UE et expliquait que les
salaires allaient baisser suite à la nouvelle
concurrence étrangère sur le marché de
l’emploi, estimée à plusieurs dizaines de milliers d’européens de l’est. Le préjugé
xénophobe était enfin présent dans la
phrase qui clôturait l’émission : « La question est : combien de générosité est-ce que
nous pouvons et voulons offrir ? »
Cette présentation biaisée des choses a
déclenché une vague de protestations adressées tant au Premier ministre qu’au
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
29
fonctionnaire du Ministère du commerce
interviewé et qui avait tout simplement
expliqué la réglementation existante, qu’il
ne faisait qu’appliquer. Le contenu de l’émission a été récupéré dès le lendemain par les
Sverigedemokraterna, qui ont envoyé aux
média un communiqué de presse reprenant
de longues citations de l’émission. Le 28
avril 2004, la proposition du parti socialdémocrate visant à limiter l’accès aux allocations sociales des citoyens des nouveaux
pays membres de l’UE a été rejetée lors du
vote au Parlement. Le parti du gouvernement a perdu avec 137 votes pour, 182 contre
et 4 abstentions. Le dirigeant conservateur
Per Westerberg (Moderata Samlingspartiet) a accusé Göran Persson d’ouvrir la voie
aux idées xénophobes, tandis que l’élu
libéral Erik Ullenhag (Folkpartiet)
déclarait : « C’est une honte et une tâche sur
le drapeau européen de proposer que le droit
du citoyen dépende de son origine
nationale ».
Le 7 septembre 2004, le quotidien Dagens
Nyheter a publié des statistiques montrant
que le phénomène du « tourisme social »
n’avait nullement envahi le pays, puisque le
nombre de demandeurs de permis de séjour,
er
du 1 mai au 31 août 2004, n’avait augmenté
que de 780 unités de plus que pour la même
période de l’année 2003.
Aux Pays-Bas, le durcissement du discours est plus perceptible encore depuis
quelques années, comme en a témoigné le
succès de la Liste Pim Fortuyn aux élections
législatives de 2002. Si celui-ci a été de
courte durée, la postérité de Fortuyn est
bien vivace. Elle s’exprime dans la société
civile, comme en témoigne le sondage réalisé
en novembre 2004 par la chaîne télévisée
KRO pour élire « le plus grand néerlandais
de tous les temps », et qui a vu Fortuyn être
désigné, devant Guillaume d’Orange et Anne
Frank, dont la nationalité faisait débat. Mais
elle est également visible dans le monde
politique où depuis plusieurs années déjà, le
constat d’échec du modèle communautariste
hollandais est dressé par de nombreux politiciens. La campagne des européennes a
ainsi été animée par le débat sur la réforme
du droit d’asile mise en œuvre par le gouvernement de Jan Peter Balkenende. De fait, le
17 février dernier, Rita Verdonk, ministre
(libérale) de l’Intégration, a fait voter par le
Parlement une proposition prévoyant
l’expulsion de 26000 demandeurs d’asile
arrivés aux Pays-Bas avant le 1er avril 2001, et
ce en dépit des critiques d’une partie importante de la population et d’organisations de
30
défense des droits de l’homme. Même si le
gouvernement a régularisé au début de
l’année, 2300 demandeurs, les demandeurs
d’asile déboutés seront désormais rapatriés
d’ici 2007, sans tenir compte de la durée de
leur présence aux Pays-Bas. Cette mesure
drastique avait provoqué une crise au sein
de la coalition au pouvoir : le chef du groupe
parlementaire libéral, Jozias Van Aartsen,
avait accusé le premier ministre chrétiendémocrate de ne pas soutenir suffisamment
son ministre16, tandis que Balkenende répliquait en assurant que le texte serait voté
sans amendements, malgré la grogne qui se
manifestait à l’intérieur même de son parti,
le CDA, dont une partie de la base était
hostile au projet. Le Premier ministre déclarait en substance que son parti devait mettre
en place cette réforme en ajoutant : « Cela
n’est pas facile, mais c’est nécessaire ». Deux
tiers des Néerlandais s’étaient déclarés favorables à une législation plus souple pour les
demandeurs d’asile qui y vivent depuis plus
de cinq ans, selon un sondage réalisé par
l’institut NIPO le 14 février 2004. Le débat
qui a eu lieu autour de cette nouvelle législation a donné lieu à de multiples dérapages.
Par exemple, le 24 janvier, Radio Nederland,
station d’Etat émettant à destination de
l’étranger, organisait un débat sur la question de l’immigration, avec le parlementaire
du VVD, Stef Blok, porte-parole de son parti
sur les questions de droit d’asile et
d’immigration ; l’étudiante Jamila Faloun,
vice-présidente de l’association de femmes
musulmanes al Manar et le journaliste
Robbert Bodegraven, éditeur du magazine
hebdomadaire Contrast, publié par Forum –
the Institute for Multicultural Development. Le député Blok déclarait en substance
pendant le débat : « Therefore we should
transfer the responsibility for learning the
language to the country of origin. I don’t
want the Dutch taxpayer to pay for the fact
that somebody chooses an 18-year-old bride
[from his country of origin], who may be
illiterate, and then we have to pay for two or
three years education to teach her Dutch. »
Son opinion est par ailleurs « qu’une intégration réussie réclame moins d’immigration ».
D’un autre côté, des voix discordantes avec
ce discours se sont faites entendre jusque
dans les rangs du parti libéral. Mais elles
aussi ont connu des dérapages. Ainsi,
L’ancien Vice-Premier ministre Hans
Dijkstal a par exemple dit qu’il était
16. Déclaration de Van Aartsen diffusée par la chaîne de
radio NOS, 2 février 2004.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
honteux de stigmatiser les musulmans et de
juger les immigrants d’après leur degré
d’intégration dans la société néerlandaise,
déclarant que « les musulmans sont stigmatisés. Une religion dans son intégralité est
attaquée, alors que la plupart des musulmans est modérée et composée de gens
17
respectables » et prétendant ensuite, au
prix d’un amalgame inacceptable, que le
projet gouvernemental de délivrer aux
immigrants un certificat attestant de leur
degré d’intégration lui rappelait les années
de la seconde guerre mondiale, et particulièrement l’étoile jaune imposée aux juifs par
les nazis. Cette partie de sa déclaration a
suscité une vive réplique du leader libéral,
Gerrit Zalm, qui a regretté les termes de la
comparaison et a expliqué qu’il existait
« une grande incompréhension » au sujet de
la politique gouvernementale. Mais le débat
ne s’est pas arrêté au projet de loi sur les
demandeurs d’asile. Récemment, un autre
projet gouvernemental a du être
(temporairement ?) abandonné, qui consistait à renvoyer aux Antilles néerlandaises les
jeunes délinquants originaires de cette
région ayant commis un délit aux Pays-Bas.
Le ministre chargé des relations avec les
anciennes colonies, Thom de Graaf, s’oppose
sur ce sujet à Rita Verdonk, qui a fini par
mettre sur pied une commission dont le
travail consiste à « rechercher les mesures
pour réguler les migrations » entre les
18
Antilles néerlandaises et la Hollande . Le
débat continue également sur la question de
19
la pénalisation du blasphème . De manière
globale, le débat sur l’immigration et l’intégration est plus vif que jamais, après
l’assassinant du cinéaste Théo Van Gogh, le
2 novembre 2004. La ministre de l’Intégration, Rita Verdonk, a cependant choisi de le
contenir dans le cadre normal du débat
démocratique, en déclarant que la communauté musulmane ne devait pas être tenue
en tant que telle pour responsable de l’assassinat de Van Gogh. Mais selon un sondage
publié le 6 novembre par le quotidien Algemeen Dagblad, l’islam a mauvaise image aux
Pays-Bas. 79 % des sondés considèrent que
le meurtre traduit une dégradation du
17. Déclaration du 6 juin 2004, publiée par le quotidien
Algemeen Dagblad.
18. Sur ce sujet, cf. le journal d’Aruba, A.M, 28 septembre 2004.
19. Le ministre CDA de la Justice, M. Donner, a suggéré
à la mi-novembre de poursuivre plus souvent en justice les auteurs de « blasphème méprisant », selon les
termes de l’article 147 du Code Pénal. La Deuxième
Chambre (Tweede Kamer) projette au contraire de
supprimer ledit article.
climat de vie dans le pays. Si 51,7 % d’entre
eux ne pensent pas que l’événement traduise
un échec de l’intégration des marocains, près
d’un quart (23,9 %) pense le contraire. Fait
inhabituel : les femmes (52,9 %) sont plus
nombreuses que les hommes (43,2 %) à
croire que cette intégration est ratée. Plus de
80 % réclament des mesures supplémentaires pour lutter contre l’extrémisme
islamiste : une justice plus dure (65 %) ; des
peines de prison plus sévères (62 %) ;
l’expulsion des imams militants (60 %) ; et
un contrôle plus strict des mosquées (52 %).
Il se trouve même 48 % des interrogés pour
vouloir abolir le droit à la double nationalité.
Conséquence politique de ce climat, si des
élections avaient lieu de suite (novembre
2004), le nouveau parti que va créer le
député (ex-VVD) Geert Wilders, très
hostile à la société multiculturelle, deviendrait le troisième du pays et obtiendrait
20
davantage d’élus que les libéraux . On
notera l’influence qu’exerce, à la fois sur
Wilders et sur une partie de la droite libérale, la fondation néo-conservatrice Edmund
Burke Stichting, qui a publié au début de
l’année 2004 une seconde édition de son
manifeste politique, « De crisis in Nederland
– en het conservative antwoord » (auteurs :
Bart Jan Spruyt et Michiel Visser), qui
accorde une place majeure aux problèmes de
la criminalité, de « l’immigration et le vivreensemble multiculturel », de l’islamisme,
tout ceci en référence explicite à la théorie
de Huntington sur le « choc des
civilisations »21 et dans des formulations
22
assez radicales .
Ce questionnement identitaire, qui
s’appuie en particulier sur une peur évidente de l’implantation de l’islam dans ses
composantes fondamentalistes, n’épargne
pas la Scandinavie. Au Danemark par
exemple, le gouvernement a fait passer en
février 2004 une loi, dont l’idée vient du
Dansk Folkeparti, concernant les conditions de séjour dans le pays des
prédicateurs religieux, texte en fait taillé
sur mesure pour contrôler l’entrée des
imams. Selon le Premier ministre, Anders
Fogh Rasmussen, « l’obtention d’un
permis de résidence a jusque ici été trop
facile pour les missionnaires étrangers »,
tandis qu’un porte-parole du gouvernement déclarait que cette nouvelle loi était
20. Algemeen Dagblad, 17 novembre 2004.
21. Texte disponible sur www.burkestichting.nl.
22. Ainsi le titre de la tribune co-signée par Spruyt et
Wilders dans Het Parool du 22 octobre 2004 : « Stop
à l’importation de la culture islamique ».
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
31
destinée à ce que » nous soyons sûrs que
(les missionnaires) soient dignes de la
confiance que leur montre la société en les
laissant entrer ». Cette loi traduit en fait le
risque de contagion des idées d’extrêmedroite dans un pays où le gouvernement de
centre-droit ne possède de majorité parlementaire qu’avec la neutralité
bienveillante du DF, qui peut en retour
imposer une partie de son agenda politique. Si les garanties demandées aux
religieux entrant au Danemark ne sont pas
en elles mêmes exorbitantes (avoir un
niveau d’éducation minimum ; être financièrement autonome, appartenir à une
communauté religieuse reconnue), le
double langage utilisé pour présenter la loi
n’est pas sain. En effet, si le Premier
ministre s’en tenait à la lettre du texte, qui
s’impose à toutes les religions, Peter
Skaarup, parlant au nom du DF, admettait
que « en théorie, ces règles concernent
toutes les religions, mais en pratique, elles
visent les imams »23.
Nous terminerons ce tour d’horizon par
le cas de la Suisse. Des élections au Conseil
National ont eu lieu le 19 novembre 2003,
qui ont vu l’Union Démocratique du Centre
– Schweizerische Volkspartei devenir le
premier parti de Suisse avec 26,6 % des voix.
L’UDC est un exemple type de parti de gouvernement qui n’appartient ni
historiquement ni idéologiquement à
l’extrême-droite, mais à la droite agrarienne,
et qui a évolué au fil des années, sous la conduite de l’actuel ministre de la Justice,
Christoph Blocher, vers des positions populistes xénophobes qui se manifestent par des
discours sur la nécessité d’arrêter l’immigration et de réduire au minimum le nombre
des « requérants d’asile », selon la terminologie suisse. Pendant la campagne pour les
législatives, les requérants d’asile ont été de
nouveau pointés du doigt par les représentants de l’UDC. Ainsi, lors d’une conférence
de presse du 6 janvier 2003, le conseiller
communal Yvan Perrin, élu de la Côte aux
Fées, dans le canton de Neuchâtel, a tenu un
discours contre les « requérants d’asile
criminels » qui ressemblait fort à une généralisation, par l’évocation répétée du trafic de
drogues, des « malfaiteurs », des « actes de
violence » et du « racket ». Il affirmait en
outre que « les conditions de détention des
requérants d’asile criminels et des clandestins criminels ne doivent pas être les mêmes
que celles des autres détenus », reprenant un
23. Cité par The Guardian, 19 février 2004.
32
argument courant du discours sécuritaire
xénophobe, celui des conditions privilégiées
de détention des étrangers, ce qui l’amenait
à dire : « il faut renoncer à tout luxe en ce qui
24
concerne ces individus » . Le 21 août 2003,
c’est le vice-président du parti, Toni
Brunner, élu du canton de Saint Gall, qui
reprenait le thème de la « part croissante des
malfaiteurs d’origine étrangère » et celui,
plus nouveau, du « tourisme criminel », à
mettre en parallèle avec le « tourisme du
droit d’asile » évoqué ailleurs. Il reprenait
ensuite un des thèmes favoris du discours
populiste xénophobe : le « ras le bol » des
« honnêtes citoyens » face aux abus des
étrangers en matière de prestations sociales.
« Mais les citoyennes et les citoyens de ce
pays ne se sentent pas seulement impuissants devant la progression de la
criminalité : ils ressentent aussi un profond
malaise face aux abus croissants dont fait
l’objet notre système social ». Cette phrase
n’était toutefois que le prélude à une diatribe beaucoup plus violente dont voici le
contenu : « Dans ce pays, on ne se contente
pas d’offrir un salaire aux criminels enfermés
qui gagnent ainsi davantage qu’en effectuant
un travail normal dans leur pays d’origine :
non, on admet même que des familles complètes entrent clandestinement en Suisse et
envoient leurs enfants à l’école même en
l’absence d’une autorisation de séjour. Et
profitent d’un système de santé publique
hautement développé. Il existe même des
dépliants donnant des instructions exactes
aux sans-papiers et autres clandestins sur la
manière d’obtenir des prestations sociales.
Et cela sans parler des faux réfugiés dont la
demande d’asile a été refusée, mais qui réussissent tout de même à s’incruster par toutes
sortes d’astuces, par des mariages simulés ou
tout simplement en faisant de la résistance.
S’ils sont assez astucieux, ils obtiennent
même une rente AI pour vivre confortablement dans leur pays d’origine – qu’ils ont fui
parce qu’ils y étaient prétendument
persécutés »25.
D’autre part, le document programmatique du parti intitulé « Pour une politique
extérieure indépendante », daté de septembre 2003, confirme que l’UDC entretient
une méfiance très forte envers tout ce qui
vient de l’étranger, et singulièrement de
l’Union européenne, répétant que l’adhésion
de la Suisse nivellerait le pays par le bas :
24. Texte disponible sur : www.svp.ch/
?page_id=176&1=3.
25. Texte disponible sur www.svp.ch/index.
html ?page_id=612&1=3.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
« L’adhésion de la Suisse à l’UE doit être
rejetée pour des raisons économiques surtout. Elle apporterait de nombreux
inconvénients à l’économie suisse, soit en
particulier une hausse des impôts et des
loyers ainsi qu’une baisse de la prospérité ».
Le même document s’oppose aux accords de
Schengen et de Dublin, au motif que signer
ceux-ci causerait à la Suisse un « déficit en
matière de sécurité » par la disparition des
contrôles aux frontières.
L’UDC a enfin largement utilisé le discours xénophobe pendant sa campagne en
vue des deux votations populaires qui se
sont déroulées le 26 septembre 2004 et
dont l’objectif était de faciliter la naturalisation des étrangers de la deuxième et de
la troisième génération. Cette fois, c’est
une affiche de campagne qui a dépassé en
intensité les écrits et les discours : celle de
l’UDC représentait en effet une boîte
remplie de passeports suisses, vers lesquels se tendaient, avec une expression
suggérant la rapacité, des mains dont plusieurs étaient de couleur. Le slogan était :
« Naturalisations en masse ? 2 fois NON
aux projets de naturalisations ». Dans une
conférence de presse du 13 août 2004, le
conseiller national Ulrich Schlüer, élu du
canton de Zurich, a livré le fond de la
pensée du parti : il s’agirait d’un « projet
trompeur pour naturaliser en masse », formulation qui évoque le fantasme de la
submersion des autochtones par les étrangers. Le texte mettrait en place une
« intégration décrétée et non réelle », simplement parce que les critères qui
permettraient de devenir suisse sont jugés
trop souples par l’UDC (avoir fait cinq ans
d’études en Suisse). Ce que reproche
l’UDC au projet, c’est de donner à la loi la
possibilité de se substituer aux citoyens
des communes pour dire qui peut devenir
suisse. C’est une intention maligne qui est
prêtée au gouvernement (dans lequel siège
pourtant Christoph Blocher, au poste-clé
de la Justice), à savoir « la naturalisation
en masse par élimination du souverain (le
peuple, NDA) dans le seul but d’enjoliver
la statistique des étrangers26 ». Le même
jour, la conseillère nationale Jasmin
Hutter (Saint-Gall), appelle pour sa part à
« ne pas dégrader ni automatiser la
27
naturalisation ». Son argumentation pour
refuser « le bradage du droit de cité
26. Texte disponible sur : www.svp.ch/index.
html ?page_id=1191&1=3
27. Cf. www.svp.ch/index.html ?page_id=1192&1=3
suisse » est intéressante, puisqu’elle
s’appuie sur les résultats du référendum
irlandais, décrit comme étant organisé
pour « stopper le tourisme de
naturalisation ». A la même date, Yvan
Perrin encore, s’indignait des « mariages
fictifs » et du fait « qu’on ne tient guère
compte non plus des éventuels
antécédents pénaux ou de la connaissance
d’une langue nationale. Le mariage avec
une citoyenne ou un citoyen suisse suffit
de toute évidence pour être considéré
comme intégré et comme intègre ».
L’argumentaire officiel du parti, intitulé
« Deux fois non aux naturalisations en
masse » et publié en juin 2004, considérait
pour sa part, selon la ligne habituelle de
l’UDC, que « cette pratique (de la
naturalisation facilitée, NDA) rendra
notre pays encore plus attractif pour des
étrangers sans moyens et sans formation
qui viennent uniquement en Suisse pour
s’y faire naturaliser et profiter ainsi des
généreuses prestations sociales prévues
pour les citoyens suisses ».
En guise de contre-attaque, l’UDC a présenté en mai 2004 un projet d’initiative
populaire intitulé « Pour des naturalisations
démocratiques », qui consiste à redonner
une compétence exclusive aux communes
pour décider par les urnes de la naturalisation d’un candidat à la nationalité suisse. Il
s’agit de revenir sur la décision prise au
milieu de 2003 par le Tribunal Fédéral, qui
avait décidé qu’un vote sur cette question
étant insusceptible de recours, on ne
pouvait plus désormais confier aux citoyens
le droit de décider d’une naturalisation, et
que toute décision de rejet devait pouvoir
faire l’objet d’un recours. Le texte de présentation de ce projet contient lui aussi une
formulation xénophobe, de surcroît assez
« ciblée ». En effet, l’UDC explique qu’« en
Suisse, le monopole de la violence appartient
à l’Etat ». Elle poursuit en indiquant qu’en
conséquence, le recours « à la vendetta et à la
violence résultant d’une vengeance
personnelle » sont interdits. Et conclut par
ces mots : « Les citoyens de ce pays ont donc
le droit de refuser le droit de citoyenneté à
des personnes individuelles ou des membres de
groupes ethniques pour lesquels le principe de
vengeance personnelle en réponse à une
injustice subie (…) va de soi ». On voit clairement ici que sont visés les réfugiés des
Balkans, une des cibles régulières de l’UDC,
et éventuellement les musulmans. Et surtout, que l’UDC ne prend pas en compte les
seuls agissements des individus, mais leur
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
33
appartenance à un groupe suspecté, dans
son ensemble, de perpétuer en Suisse des
coutumes locales. C’est cette extension à la
culpabilité présumée collective qui rend le
discours xénophobe.
Les utilisations du discours xénophobe
et raciste se retrouvent aussi au sein des
partis démocratiques d’Europe de l’est, dans
les pays « nouveaux entrants » au sein de
l’UE. Un cas-type d’instrumentalisation de
la xénophobie, dans un pays pourtant hautement démocratique et ethniquement
homogène, n’ayant jamais connu l’épreuve
du terrorisme, est fourni par la controverse
qui a émaillé le premier trimestre 2004 en
Slovénie, au sujet du projet de construction
d’une mosquée dans la capitale, Ljubljana.
Le pays ne compte que quelques dizaines de
milliers de musulmans sur 2 millions d’habitants, la plupart sont originaires des pays de
l’ex-Yougoslavie (Bosnie, Macédoine) et ils
cherchent à se doter d’un lieu de culte
depuis 1969. En décembre 2003, la municipalité de Ljubljana a donné son accord pour
la construction de ce qui devait devenir
l’unique mosquée du pays. Cependant, une
pétition initiée par le conseiller municipal
28
ultra-nationaliste Mihael Jarc (Parti du
Peuple Slovène – SLS) et signée par 12 000
citoyens a conduit le conseil municipal à
envisager pour le mois d’avril 2004 la tenue
d’un référendum local sur ce projet, bien que
le maire, Danica Simsic (Liste de l’Union
Sociale-Démocrate – ZLSD), ait décidé de
demander à la Cour Constitutionnelle si une
telle consultation était légale. L’archevêque
catholique de la capitale, Mgr France Rode,
avait fait savoir, pendant les fêtes de Noël
2003, qu’il était hostile au projet et avait
déclaré sur la chaîne de télévision Pop TV :
« La politique slovène doit se demander si
elle est favorable à l’installation sur le territoire de la Slovénie d’un centre politique qui
représente une autre culture. Moi-même, je
29
prends mes distances sur cette question ».
Ce à quoi le mufti de Slovénie, Osman
Djogic, avait répondu que « les musulmans
de Slovénie désirent vivre avec leurs compatriotes d’autres religions dans des relations
de tolérance ». A ce jour, malgré le fait que le
référendum local ne se soit finalement pas
tenu, et malgré l’appui de D. Simsic au projet
de mosquée, celui-ci n’a pas encore vu le
jour. Deux autres affaires liées à la xéno28. Celui-ci déclarait à BBC News, le 2 avril 2004 : « Au
Moyen-Age, nos ancêtres ont été attaqués par des
soldats musulmans qui ont fait de vilaines choses
ici. C’est notre subconscient historique ».
29. Rapporté par le quotidien Dnevnik, 18 janvier 2004.
34
phobie ont émaillé la campagne électorale
slovène en vue des européennes et des législatives d’octobre 2004. D’une part, selon le
quotidien Delo (1er février), le premier
ministre Anton Rop (Parti Libéral-Démocrate – LDS), a qualifié le dirigeant du parti
populiste d’opposition Nova Slovenia, de
« citoyen argentin Anton Bajuk », alors que
celui-ci vient bien d’une famille ayant émigré
en Amérique du sud après 1945, mais qu’il
est slovène et né à Ljubljana. D’autre part, le
4 avril 2004, les Slovènes se sont prononcés
par référendum sur la restitution des droits
des personnes qui ont été « effacées » du
registre des résidents permanents en février
1992. En octobre 2003, le parlement avait
voté une loi qui restituait avec effet
rétroactif le statut de résident permanent
aux milliers de citoyens qui avaient été illégalement effacés des registres de l’Etat en
1992, les privant de leurs droits. En effet, à la
suite de l’indépendance de la Slovénie, plus
de 30 000 citoyens ex-yougoslaves ont ainsi
perdu tous leurs droits du jour au lendemain. Selon les chiffres officiels, 18 000
personnes seraient restées avec des cartes de
résidence temporaire ou sans statut légal,
alors que 11 000 auraient quitté le pays. Le
gouvernement de centre-gauche du Premier
ministre Anton Rop a demandé aux électeurs de boycotter ce référendum organisé
avec le soutien des partis d’opposition.
Environ 30 % des 1,6 million d’électeurs inscrits ont participé au référendum. La loi sur
les modalités du rétablissement des droits
des « effacés » a été rejetée par 94,6 % des
votants contre 3,8 % se prononçant pour. Le
résultat n’aura pas de conséquences légales.
Conformément à un arrêt de principe de la
Cour constitutionnelle, le ministère de
l’Intérieur est obligé de donner des cartes de
résidence permanente aux personnes concernées. Mais la campagne a été émaillée de
r
propos xénophobes. D’abord, le D Miha
Brejc, vice-président du Parti social-démocrate (SDS) et un des promoteurs du
référendum, a déclaré qu’il voulait exclure
du bénéfice de la loi les anciens officiers de
l’Armée populaire yougoslave (JNA), « Pas
les anciens officiers de l’armée fédérale ! » at-il dit, « Nous ne sommes pas d’accord avec
le fait que ces 450 officiers, peut-être plus,
obtiennent ce qu’ils ne méritent pas – ils
sont intervenus contre nous ! » D’autre part,
en février, le chef du parti SDS Janez Jansa,
soutenait que les injustices à l’encontre des
gens ayant perdu leurs droits s’étaient produites à l’endroit « de quelques femmes de
30
ménage illettrées » , allusion transparente
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
aux citoyens ex-yougoslaves venus de
Croatie, de Serbie, de Bosnie et du Kosovo,
ou encore aux tsiganes.
Nous aborderons enfin un « cas
limite », celui de la Pologne, où deux partis
hostiles à l’intégration dans l’Union européenne, d’inspiration catholique31 et
classés tantôt parmi les formations de
droite, tantôt parmi les partis d’extrêmedroite, ont recueilli des scores considérables en juin dernier : la Ligue des Familles
Polonaises (Liga Polskych Rodzin), dont
le programme déclare vouloir « lutter pour
le respect de la moralité catholique et le
maintien du patrimoine national dans les
mains polonaises et Auto-Défense
(Samoobrona), dont le leader Andrzej
Lepper, évite soigneusement ce genre de
formulation, se contentant de proposer un
programme inspiré par « l’économie
sociale de marché telle qu’elle est
propagée par plusieurs églises
européennes32 ». Néanmoins, deux types
de discours xénophobe sont à l’œuvre
dans la politique de ces mouvements :
d’abord une rhétorique anti-allemande,
surtout présente chez Samoobrona qui est
un parti de type populiste agrarien : elle
est motivée par la crainte du retour des
« expulsés », principalement de Silésie,
soupçonnés de vouloir récupérer leurs
terres d’autant plus facilement que l’économie allemande est forte et l’écart de
revenus entre les deux pays important ;
ensuite une rhétorique anti-juive, sorte
très particulière d’antisémitisme sans juifs
(ils ne sont plus guère que 3 000 contre
3 millions en 1939), dont le fondement
tient surtout du préjugé populaire et reli30. Propos cités par le quotidien Mladina, 15 mars 2004.
31. Si les deux partis disent dans leur programme s’inspirer de la doctrine sociale de l’Eglise, il est très clair
qu’aucun d’entre eux n’a jamais reçu la moindre
approbation ni de l’Eglise polonaise, ni du Vatican,
ni a fortiori du Pape Jean-Paul II.
32. Discours au Parlement européen, 4 mai 2004.
gieux. Ainsi, le député de Samoobrona,
Rafal Majewski, avait déclaré son inquiétude face au nombre d’israéliens d’origine
ashkénaze qui, selon lui, étaient susceptibles d’émigrer en Pologne pour fuir une
situation difficile au Proche-Orient. « Ils
ont une influence qui augmente en
Pologne. Ils achètent des biens, investissent dans les affaires. Les polonais ne
veulent pas se sentir des citoyens de
seconde zone dans leur propre pays », a-til dit, ajoutant : « Je ne veux pas qu’on
croie que je m’exprime contre les juifs
mais nous voulons sauvegarder les droits
de nos enfants » et se disant persuadé que
« 60 % de la presse est contrôlée par les
33
juifs ». Le même préjugé anti-juif émane
de la LPR, mais est surtout véhiculé par le
réseau radiophonique qui en est proche,
Radio Maryja, dirigée par le prêtre
rédemptoriste Tadeusz Rydzyk (la station
aurait entre 4 et 6 millions d’auditeurs).
Ainsi en 2004, le propagandiste antisémite déjà condamné, Dariusz Ratajczak, a
pu y déclarer : « Depuis que l’Holocauste
est au programme scolaire, tout le monde
croit qu’Auschwitz était un camp d’extermination et non un camp de travail
normal ». Et de poursuivre : « Tant que
dans un Etat catholique comme la
Pologne, la plupart des ministres seront
juifs et pueront les oignons, la Pologne ne
34
sera jamais polonaise ». Le journal Nasz
Dziennik et la télévision « TV Trwam », qui
appartiennent au même groupe, ont,
associés à Radio Maryja, sans aucun doute
joué un rôle important dans la conquête
par la LPR et Samoobrona de leur
électorat aux européennes.
33. Ces propos, rapportés par le journal anglophone
Gulf News du 3 juin 2002, ont été tenus par
Majewski à Dubaï, où est publié le quotidien et où il
se trouvait en voyage.
34. Cf. Sarah Elsing, in : www.cafebabel.com.fr du
28 mai 2004.
Troisième partie : la rhétorique antisémite dans la campagne des européennes reste
marginale, mais l’importation du conflit israélo-palestinien dans les débats politiques
nationaux constitue un risque de dérive
Le discours antisémite n’a joué qu’un rôle
marginal dans le débat d’avant les élections
européennes, tout comme d’ailleurs dans les
campagnes pour les élections nationales
tenues antérieurement. Mais une des tendances nouvelles consiste à ce que des listes
à caractère ethnico-religieux, souvent inspi-
rées par une forme d’islam qu’on peut
qualifier de fondamentaliste se présentent,
soit dans une tentative pour structurer un
parti politique, soit pour exprimer, par le
biais d’une structure associative, une forme
de sentiment antisioniste aux relents ou
sous-entendus antisémites. Lors des élec-
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
35
tions nationales, c’est en Belgique que cette
tendance s’est la plus visiblement manifestée. Lors des élections législatives du
18 mai 2003, pour ne considérer que les
résultats pour la Chambre des représentants, étaient présents deux partis
islamistes : Noor (1 141 voix : 0,02 %) et le
Parti Citoyenneté Prospérité (8 258 voix :
0,13 %), ainsi qu’une liste, « Resist » (10 059
voix : 0,15 %), née de l’alliance d’une formation d’ultra-gauche (le Parti du Travail de
Belgique, maoïste) et d’une formation
islamo-nationaliste arabe radicale (Ligue
Arabe européenne). Le parti Noor présentait
un programme très réactionnaire, comprenant divers points inspirés par la charia
(abolition des intérêts bancaires ; mariage
dès l’adolescence ; révision de la mixité dans
les lieux publics et à l’école ; création d’une
caisse d’aumône légale), mais sans orientation antisémite, ni même mention de la
situation moyen-orientale. Par contre, le
PCP, alors dirigé par le salafiste JeanFrançois Bastin, outre un programme qui
réclame l’instauration de la charia comme loi
du pays pour les musulmans, était à
l’époque, très lié au Centre Islamique de
Molenbeek et à son imam, sheikh Bassam
Ayachi, dont le site Internet, Assabyle.Com,
a été poursuivi au pénal, sur plainte déposée
en 2002 par le Centre pour l’Egalité des
Chances et la Lutte contre le Racisme, en
raison de son contenu djihadiste et antisémite, prônant ouvertement la destruction de
35
l’Etat d’Israël . Le discours du PCP, en
raison de la législation sur l’antisémitisme,
est particulièrement codé. Son programme
pour le scrutin de 2003 s’oppose ainsi à
« certaines tendances obscurantistes religieuses, qui prétendent combattre ou se
détourner de progrès économiques et technologiques utiles à la prospérité générale »,
ainsi qu’à « toute idéologie, doctrine, parti
ou ethnie qui monopoliserait le pouvoir
politique, économique ou culturel pour son
intérêt exclusif, au détriment d’expressions
originales distinctes ». Dénonçant aussi le
« grand capital ultra libéral », le PCP utilise
donc une batterie de poncifs anti-juifs qui,
35. Assabyle a fermé au printemps 2004, suite au renvoi
en correctionnelle, par la Chambre du Conseil de
Bruxelles, le 7 mai 2004, de ses animateurs, Abdelrahmane Ayachi et Raphaël Gendron, poursuivis pour
infraction aux lois contre le racisme et le négationnisme. La plainte portait sur un texte mis en ligne,
qui expliquait que « Nazisme et sionisme ne font
qu’un » et qui comparaît la gestuelle de David Lévy,
ancien ministre israélien des Affaires étrangères, à
celle d’Adolf Hitler. Le site est immédiatement réapparu sous le nom de www.ribaat.org.
36
dans le discours habituel de l’extrêmedroite, désignent sans la nommer la communauté juive comme responsable des maux du
pays. Pendant sa campagne pour les européennes, le PCP (dont Bastin n’est plus
membre) a fait diffuser un tract intitulé
« cheikh Bassam appelle à voter PCP-liste
16 » et illustré par une photographie représentant la mosquée d’Omar, à Jérusalem,
entourée par des chars et des soldats israéliens, à côté de qui sont représentés des
femmes et des enfants palestiniens en train
de pleurer. Décrit par le quotidien Le Soir
36
(15 juin 2004) , comme ayant pour but
« d’importer le conflit israélo-palestinien et
d’attiser les haines au passage » , le tract a
été défendu par le parti, au motif que « La
Palestine est un symbole de ce que peut
engendrer comme malheur le terrorisme
d’État. Elle est le symbole également de la
cohabitation entre les trois grandes religions
monothéistes. Cohabitation qui pourrait
très bien être harmonieuse si le pays n’était
sous le joug d’une tyrannie à visage
démocratique, égoïste et raciste, qui
opprime un peuple pour mieux en satisfaire
un autre » . La troisième formation, Resist,
était étroitement tributaire de l’orientation
antisioniste radicale de la Ligue Arabe
européenne, qui véhicule des conceptions
proches de celles du Hezbollah libanais. Son
idéologie à la fois islamiste et nationaliste
arabe (notamment nassériste), est soustendue par un anti-sionisme qui masque mal
l’antisémitisme. Elle parle d’ailleurs d’Israël
comme de « l’entité sioniste » (zionistische
entiteit, dans ses documents en langue
flamande). Lors de la campagne pour les
élections législatives de 2003, la controverse
autour de la LAE a tourné autour de
plusieurs points. D’abord, celui de son
éventuelle dissolution (en vertu de la loi du
29 juillet 1934 interdisant les milices
privées), en raison de sa décision d’organiser
une milice privée, chargée de patrouiller
dans les quartiers à forte population
immigrée, officiellement dans un but
d’autodéfense, après que, le 26 novembre
2002, un jeune enseignant d’origine
marocaine, Mohammed Achrak, ait été
assassiné à Anvers par un sexagénaire
raciste et que pendant deux nuits, des
émeutes eurent opposé des militants de la
LAE à la police, accusée par elle de racisme
institutionnel.
36. M. Bousselmati, « Des prémices d’extrême droite
musulmane », Le Soir, 15 juin 2004.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
Ensuite, fut posée la question d’une
éventuelle procédure de retrait de nationalité (prévue par l’article 23 du Code de
la nationalité) à l’encontre de Dyab Abou
Jahjah, leader de la LAE, du fait qu’il
aurait menti afin d’obtenir en 1996 la
nationalité belge. Enfin, furent évoquées à
la fois des poursuites judiciaires et l’éventuelle dissolution de la Ligue, après que, le
er
1 avril 2002, elle ait organisé une manifestation à Anvers, en faveur du peuple
palestinien et près du quartier juif, qui
donna lieu à des débordements antisémites comme le lancer d’une bombe
incendiaire contre une synagogue la nuit
précédant la manifestation, des bris de
vitrines de magasins juifs et le brûlage
public d’un mannequin portant le chapeau
traditionnel des juifs orthodoxes. Une
plainte a été finalement été déposée par le
Centre pour l’égalité des chances et la
lutte contre la racisme contre la LAE, qui a
publié sur son site Internet un texte indiquant qu’« Anvers est le bastion du
sionisme en Europe, et c’est pourquoi
cette ville doit devenir la Mecque de
l’action pro-palestinienne ». D’autres activités de la LAE, lors des campagnes
électorales de 2003 et 2004 ont, au-delà de
la question de l’antisémitisme, contribué à
renforcer son image de formation intolérante. D’une part, en 2003, après que le
parti écologiste flamand Agalev ait apposé
dans les rues des affiches représentant un
couple homosexuel en habit traditionnel
musulman, la LAE a exigé le retrait des
affiches, jugées par elle offensantes envers
l’islam, ainsi que des excuses officielles
des écologistes. Celles-ci ne venant pas, le
président des jeunes d’Agalev, Karim
Bouziane, a été deux fois menacé de mort.
En 2004, Abou Jahjah a fait également
campagne en faveur du port du voile, organisant une manifestation sur cette
question le 22 février 2004 à Bruxelles et
envoyant le même jour une délégation de
la LAE dans le cortège qui défila à Paris
avec la même revendication. Le
28 juin 2003, prenant acte de l’échec de
« Resist », la LAE a fondé le Parti Démocratique Musulman, qui a obtenu 0,1 %
des voix du collège néerlandophone aux
régionales de juin 2004. La Ligue s’étant
dotée d’une section néerlandaise dirigée
par Mohamed Cheppih, la même controverse a éclaté aux Pays-Bas. Le 5 mai 2003,
lors des célébrations de la fin de l’occupation allemande dans le Royaume, des
partisans islamistes de la LAE ont scandé
des slogans antisémites, tentant aussi de
brûler un drapeau israélien avant d’être
arrêtés par la police.
Parmi les controverses qui sont nées en
période de campagne pour les élections
européennes, il faut citer un cas unique :
celui de la liste Europalestine, qui se présentait en France, dans la seule région d’Ile de
France, où elle a recueilli une moyenne de
1,83 % des voix, avec toutefois des scores
dépassant les 5 % dans plusieurs communes
de banlieue parisienne à forte population
37
musulmane . La liste Euro-Palestine émane
en fait d’une association de soutien au
peuple palestinien, la Coordination des
Appels pour une Paix juste au ProcheOrient (CAPJPO), dont la démarche, qui
consiste à introduire dans le débat politique
français, à l’occasion d’une élection, la question moyen-orientale, a été désavouée par
Mme Leila Chahid elle-même, la déléguée
générale de l’Autorité Palestinienne en
France la jugeant « contre-productive » et lui
demandant de se retirer. Premier élément de
controverse : la présence sur cette liste, du
comédien franco-camérounais Dieudonné
M’Bala M’Bala, dont un sketch télévisé jugé
antisémite, notamment par les instances
représentatives de la communauté juive de
France et les associations antiracistes avait
causé, pendant la campagne, un grand émoi.
Dans le contexte très particulier de la recrudescence des actes antisémites en France
depuis le début de la seconde Intifada
(automne 2000), actes dont plusieurs ont
fait la « une » de la presse en période de campagne électorale, la profession de foi de la
liste avait déjà été mal ressentie par les instances de la communauté juive, en raison de
son analyse unilatérale des causes du conflit
israélo-palestinien, puisque le texte dénonçait entre autres « le gouvernement israélien
(qui) tourne le dos à la paix, bafoue le droit
international et les droits les plus fondamentaux de tout un peuple qu’il ne cesse de
décimer, d’emprisonner et de spolier en
toute impunité, avec la bénédiction de
George Bush », et stigmatisant le « constant
chantage à l’antisémitisme contre ceux qui
réclament une paix juste au Proche-Orient »
et la construction d’un « mur de
l’apartheid ». Toutefois, ces expressions de
l’antisionisme restaient dans les limites de la
controverse idéologique acceptable au
37. Pour un reportage de terrain, à Garges les Gonesse,
où Europalestine a obtenu son plus fort résultat
(10,75 %) et des citations proprement antisémites
de sympathisants de la liste, voir le quotidien communiste L’Humanité, 22 juin 2004
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
37
regard de la loi. Le grand meeting de campagne de la liste, le 8 juin à Paris, prit
toutefois une autre tonalité, lorsque Dieudonné y fustigea « la propagande sioniste »,
selon lui toute puissante en France ; puis
lorsque l’écrivain Alain Soral et le dessinateur Siné firent siffler le nom de diverses
personnalités juives françaises, ou demandèrent à la salle d’identifier puis de nommer
l’auteur de diverses citations favorables à
Israël, ce qui permit à la salle de conspuer,
avec toute la connotation antisémite donnée
par l’effet de liste, Roger Cukierman le président du CRIF, Dominique Strauss-Kahn
présenté comme membre du « Parti
Sioniste », l’historien Alexandre Adler et le
philosophe Alain Finkelkraut. La prise de
parole de Tawfik Mathlouti, fondateur de la
radio privée parisienne Radio-Méditerranée,
qui ne nomme jamais Israël et parle de
« l’entité sioniste », et le discours de Christophe Oberlin, la tête de liste d’EuroPalestine, qui a accusé Israël d’être « un pays
raciste » et Patrick Gaubert, candidat UMP
en Ile de France et président de la LICRA, de
« brandir l’étendard de l’antisémitisme »,
peut faire se poser la question de savoir si la
limite n’a pas été franchie, qui sépare la libre
appréciation de la politique israélienne, de la
critique systématique adressée à des personnes en fonction de leur appartenance
religieuse, ainsi que du déni du droit à l’existence de l’Etat israélien. Heureusement, le
cas Europalestine reste isolé. Une autre tentative identique a eu lieu, d’une manière
différente, en Italie, où Bassam Saleh, président de la communauté palestinienne de
Rome, a fondé l’association Europalestina
(travaillant en liaison avec son homologue
française) et s’est porté candidat dans le
Latium, sur la liste du Partito dei Comunisti
Italiani. Le Forum Palestine, dont il est un
des animateurs, a publié un texte intitulé
« La Palestine et les prochaines élections
européennes », qui contient une formule
contestable puisqu’il fait référence à la
« complicité de l’Europe dans le projet
d’anéantissement des palestiniens conçu par
38
l’autorité israélienne ».
En France toujours, l’analyse du déroulement de la campagne française pour les
européennes montre que, même lorsque les
expressions ouvertes de racisme et de xénophobie sont extrêmement peu nombreuses,
du moins du fait des partis politiques
« mainstream », le climat qui prépare le
déroulement du scrutin est tout de même en
38. Texte publié le 19 mai 2004.
38
partie déterminé par l’irruption dans le
débat de questions touchant à la place de
l’islam dans la sphère publique, à la nature et
à l’ampleur de l’expression de l’antisémitisme, plus largement à la laïcité et à
l’identité nationale.
Il faut donc rappeler d’abord que le Président de la République, Jacques Chirac, a
annoncé le 17 décembre 2003, son intention
de soumettre au Parlement une loi interdisant le port de signes religieux
« ostensibles » à l’école publique, laquelle a
été votée par le Parlement et est entrée en
application à la rentrée scolaire de septembre 2004. Cette annonce faisait suite au
rendu, le 12 décembre, du rapport de la
Commission Stasi sur la laïcité, installée par
le chef de l’Etat le 3 juillet 2003. Aussitôt
annoncée la décision présidentielle de
demander au Parlement de légiférer, ce qui
apparaissait à de nombreuses associations
musulmanes comme une loi ad hoc contre le
voile islamique a entraîné plusieurs manifestations de rue, à Paris et dans les grandes
villes de France, en particulier le
21 décembre 2003 et le 17 janvier 2004.
Chacune des ces mobilisations a été largement médiatisée, dans des termes qui ont
abouti à introduire dans le débat politique, à
la fois un questionnement sur la compatibilité entre l’islam et la République (et la
laïcité). L’intervention de la loi a été présentée par certaines associations islamistes
et leurs alliés du mouvement altermondialiste comme une stigmatisation sur le mode
religieux et ethnique des musulmans, alors
que rien ne prouve que ceux d’entre eux qui
sont opposés à la loi soient majoritaires, et
est même né un débat sur le fait de savoir si
les dispositions de la loi à venir n’étaient pas
trop souples par rapport à l’ampleur du
« péril islamiste », certains voulant interdire
carrément le port du voile dans l’espace
public, ou adopter des dispositions interdisant aux patient(e)s des hôpitaux publics,
de choisir le sexe du médecin qui les examine. Surtout, la nature, le contenu et
l’objectif réels de la loi ont été déformés.
Ainsi par exemple, la radio RTL a rendu
compte, après le cortège du 21 décembre, du
projet de loi comme visant uniquement le
voile musulman (« quelque 3 000 personnes
ont manifesté dimanche à Paris contre la
future loi interdisant le port du voile à
l’école », RTL, 22 décembre). Une autre
manifestation a eu lieu le 17 janvier, à l’occasion de laquelle la chaîne de télévision
France 5 évoquait un cortège « contre la loi
interdisant le port du voile islamique à
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
l’école » (émission C dans l’air, 17 janvier). La
manifestation du 17 janvier, plus que les
autres (une troisième eut lieu le 14 février), a
contribué à « ethniciser » le débat politique.
En effet, elle était organisée par un groupuscule islamiste radical, le Parti des
Musulmans de France, avec la participation
d’autres groupes radicaux étrangers (Parti
Citoyenneté Prospérité et Ligue Arabe européenne). Des slogans antisémites y ont été
proférés par Mohammed Ennacer Latrèche,
président du PMF, et ce fait a reçu une large
couverture médiatique. Le quotidien communiste l’Humanité du 22 janvier rapporte
ainsi que « Une enquête sur des propos jugés
antisémites du président du Parti des
musulmans de France (PMF) a été ouverte
par le procureur de la République de Paris
(elle s’est terminée en janvier 2005 par un
non-lieu). Lors de la manifestation pro-voile
du samedi 17 janvier, Mohamed Latrèche
avait déclaré que « le sionisme est une idéologie d’apartheid, nous le combattons
comme nous combattons le nazisme ». Aussitôt, l’homme s’est déclaré victime d’une
« campagne de diffamation », le ministre de
la Justice ayant, selon lui, « décidé d’obtempérer sans tarder aux injonctions du Conseil
représentatif des institutions juives de
France et de la Ligue internationale contre le
racisme et l’antisémitisme ». En outre,
Latrèche avait déclaré que Le Monde est un
« journal sioniste commandé par la LICRA »
et avait désigné à la vindicte de la foule plusieurs journalistes juifs, particulièrement
Elisabeth Schemla, directrice du journal en
ligne www.proche-orient.info. Certains
journalistes se sont fait alors l’écho, preuves
à l’appui, suivant en cela les révélations du
journal en ligne Proche Orient Info, de l’existence de liens entre le PMF et les groupes
négationnistes d’ultra-gauche, introduisant
ainsi une nouvelle dimension dans le débat :
celle qui met à jour la dimension antisémite
d’une partie du discours pro-palestinien.
L’hebdomadaire le Nouvel Observateur évoquait ainsi « le Parti des Musulmans de
France, mené par l’agitateur islamiste
Mohammed Latrèche, qui dénonce le
« génocide palestinien » organisé par Israël,
fraternisait avec le négationniste Serge
39
Thion, au nom de la cause palestinienne » .
C’est donc dans ce climat que le projet de
loi a été adopté par l’Assemblée Nationale en
première lecture, le 10 février 2004 et par le
Sénat le 3 mars, puisque les Français ont
39. Claude Askolovitch, Nouvel Observateur du 6 février
2003.
voté pour les élections régionales et cantonales des 21 et 28 mars 2004. Toute la
période a été marquée, en outre, par l’irruption dans le vocabulaire médiatique du
terme « islamophobie », utilisé par les adversaires de la loi, islamistes comme de gauche
et d’extrême-gauche, pour dénoncer le
caractère soi-disant stigmatisant de celle-ci
et d’une manière générale, le climat de suspicion entretenu selon eux à l’égard des
musulmans, plus particulièrement depuis le
11 septembre 2001. Ainsi, un Collectif contre
l’Islamophobie est créé à ce moment-là40, qui
41
recense les actes « islamophobes » et les
déclarations ainsi qualifiées, qu’elles
viennent de personnages politiques ou
d’intellectuels. La controverse enfle encore,
le même mois de mars, lorsque le Parti Communiste choisit, pour conduire sa liste aux
régionales en Ile de France, le président de
l’organisation antiraciste MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié
entre les Peuples), Mouloud Aounit, dans un
geste interprété par certains comme une
tentative de récupération de l’électorat
« beur » et des opposants à la loi sur les
signes religieux, contre laquelle le MRAP
s’est prononcé42. Elle prendra l’allure d’une
crise au sein de la majorité de gauche au
conseil régional d’Ile de France quand, après
le 28 mars, le président socialiste de la
région, Jean-Paul Huchon, refusera à Aounit
un poste de vice-président, contrairement à
un accord qui, selon le Parti Communiste,
semblait avoir été passé avant le scrutin.
Un autre élément important du climat
pré-électoral (avant les élections européennes cette fois) est la répétition d’actes
antisémites souvent très médiatisés, dont le
plus grave est l’agression à coups de couteau, le 4 juin 2004, d’un élève d’une école
talmudique d’Epinay-sur-Seine, par un jeune
de religion musulmane dont il sera ensuite
prouvé qu’il a aussi frappé, dans la foulée,
plusieurs personnes non juives dans le même
périmètre. On aura une bonne idée du processus d’ethnicisation de ce type d’incident
en citant la succession de déclarations qui
suit immédiatement le fait lui-même.
40. Site Internet : www.islamophobie.net
41. En 2003-2004, selon le site en question, « Le Collectif, dans un rapport rendu public le 24 octobre
2004, dénombre sur onze mois 182 actes islamophobes dont 118 visant les individus avec 27 agressions dont 4 graves et 64 actes visant les institutions
ou représentations de l’islam dont 28 mosquées
dégradées et 11 cimetières vandalisés avec plus de
200 tombes profanées ».
42. L’ensemble des articles de presse est lisible sur le
site www.aounit2004.org
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
39
D’abord, l’auteur est, à juste titre, catégorisé
« jeune d’origine maghrébine » par la police
qui le recherche, sur la base de témoignages
dont celui du blessé. Immédiatement, une
version plus précise, mais non authentifiée,
se met à circuler : « Le jeune juif s’est fait
agresser par un jeune maghrébin qui a crié
Allah Akhbar (Dieu est grand) » a affirmé à
l’AFP Sammy Ghozlan, président du conseil
des communautés juives de Seine-SaintDenis, qui n’hésita pas à relier cette agression à l’existence de la liste Europalestine et
à son influence43 et transformait l’acte en
attaque à motivation religieuse. Ensuite,
dans un communiqué, le président du
Conseil Français du Culte Musulman, Dalil
Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris,
« condamne au nom de la communauté
musulmane de France cet acte qui inspire
horreur, révolte et dégoût » et « exprime sa
solidarité à la communauté israélite et tout
particulièrement à la victime ». Il reprenait
la thèse du geste à connotation religieuse en
déclarant : « L’invocation du nom d’Allah,
fait par l’auteur de cet attentat est une forfaiture et un alibi non recevable »,
déclaration faite alors qu’il n’existe qu’un
soupçon de motivation religieuse à l’agression. Le ministre de l’Intérieur, Dominique
de Villepin, s’est immédiatement rendu sur
les lieux de l’agression. Interrogé par l’AFP,
il a condamné fermement « cette agression
odieuse » et a exprimé « sa plus vive
émotion ». Mais il a rajouté une autre interprétation possible de l’acte, en incriminant
« des chaînes de télévision câblées qui diffusent de plus en plus en France et qui
véhiculent des messages qui ne sont pas de
paix » et ce alors même que rien ne permettait de relier l’acte ou son auteur avec une
quelconque influence d’un media44, et que de
surcroît, jusque alors, le gouvernement avait
refusé d’interdire les chaînes satellitaires
antisémites du type al Manar. Quelques
semaines plus tard, après les élections européennes, des controverses similaires
éclateront après la fausse agression antisémite mise en scène par une passagère d’un
train de banlieue (9 juillet 2004) et après
l’incendie d’un centre social juif à Paris, présenté comme un acte antisémite alors que
l’incendiaire présumé est un ancien collaborateur (juif) du centre en question (21 août
2004). A chaque fois, le peu de prudence
dans les réactions immédiates aux faits,
43. Le Monde du 5 juin, « Un adolescent juif poignardé en
pleine rue à Epinay-sur-Seine ».
44. Le gouvernement français a décidé en décembre
2004 d’interdire la diffusion d’al Manar.
40
éventuellement la distorsion de ceux-ci, la
mise en cause d’une communauté et d’une
religion, contribuent à une ethnicisation
regrettable des rapports sociaux45.
Le niveau des actes antisémites, qui
demeure élevé, donne également lieu à des
polémiques récurrentes. Selon les chiffres du
ministère de l’Intérieur, il a recommencé à
croître au premier semestre 2004 : 67 actes
antisémites et 160 menaces ont été recensés
entre janvier et fin mars 2004, contre 42
actes et 191 menaces au dernier trimestre
2003 alors que, selon le bilan présenté par
Nicolas Sarkozy le 27 janvier 2004, les actes
et menaces antisémites avaient diminué de
37 % en 2003 par rapport à 2002, passant de
932 à 588. De même, les « actes graves »
(agressions, pierres lancées contre des lieux
de culte ou des écoles, violations de sépultures) avaient chuté d’un tiers en 2003 (125)
par rapport à 2002 (192). Il n’entre pas dans
le cadre du présent rapport d’examiner
toutes les conséquences de la montée des
actes antisémites d’un côté, des actes de
racisme anti-musulman (aussi appelés
« islamophobes ») de l’autre, notamment au
plan de la division qui s’est installée entre
les associations antiracistes. Néanmoins, il
faut mentionner qu’en période de campagnes électorales, nombre d’associations
juives ont nominativement mises en cause
les partis de gauche, en particulier le Parti
Communiste, et d’extrême-gauche, en
particulier la Ligue Communiste Révolutionnaire, pour leur complaisance supposée
envers une forme radicale d’antisionisme
jugée par elles être assimilables à de
l’antisémitisme46.
Nous allons évoquer maintenant deux
cas de discours antisémite qui ont pollué la
campagne pour les élections européennes, et
qui s’apparentent à des manifestations
45. Dernière exemple en date, mais il est presque un cas
d’école : le 17 octobre 2004, à Marseille, Ghofrane
Haddaoui, une française d’origine tunisienne, est
tuée à coups de pierres (crâne fracassé) par un jeune
d’origine maghrébine dont elle refusait les avances.
Le crime machiste devient aussitôt… lapidation.
Une manifestation est organisée sur place à sa
mémoire, le 27 novembre, à l’occasion de la discussion au Parlement d’un projet de loi sur les violences
conjugales. Le célèbre chanteur Jean-Jacques Goldmann, qui défile à Marseille dans le cortège de
l’association « Ni putes, ni soumises » reprend le
terme de « lapidation » dans une déclaration au quotidien Le Parisien du 28 novembre. Ce journal est l’un
des rares à publier la déclaration d’un manifestant
qui, justement, proteste contre l’usage de ce mot
inapproprié. Voilà un exemple de fait divers tragique où l’origine de la victime et du meurtrier conduisent certains medias à utiliser un stéréotype
xénophobe en déformant la réalité des faits.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
d’antisémitisme politique classique, à soubassement en partie religieux, et ne jouant
pas sur le ressort de l’instrumentalisation de
l’islam ou du conflit proche-oriental. Le
premier cas concerne la Hongrie où, en
mai 2004, la tête de liste pour les européennes du parti d’extrême-droite MIEP, le
pasteur calviniste47 Lorant Hegedus, a
appelé ses compatriotes à « exclure les juifs
avant que ceux-ci ne vous excluent ».
M. Hegedus, ancien vice-président du parti
de la Justice et de la Vie (MIEP), avait été
condamné en 2002 à un an et demi de prison
pour avoir appelé, le 16 juillet 2001 dans les
colonnes du journal local du MIEP dans le
16e district de Budapest, Ebreszto, à
« éliminer les hordes galiciennes » de la vie
publique48, terme qui désignent, dans le
vocabulaire euphémisé hongrois, les juifs. Il
avait été relaxé en appel en novembre 2003.
En mai 2004 toujours, il a déclaré à la radio
publique hongroise : « je maintiens tout ce
que j’ai dit » à ce sujet. A la suite de la décision judiciaire de relaxe, le gouvernement de
centre-gauche de l’ancien Premier Ministre,
Peter Medgyessy, avait promulgué en
décembre une loi réprimant l’incitation à la
haine raciale. Mais le texte a été déclaré
anticonstitutionnel par le Conseil Constitutionnel, qui a jugé que la loi « entravait
inutilement la liberté d’expression ». Il a en
conséquence refusé de valider un texte qui,
adopté de justesse au Parlement, aurait
interdit d’« inciter publiquement à la haine
d’une nation, d’une race, d’une minorité
nationale, ethnique ou religieuse » ainsi que
d’« appeler à des actes de violence contre ces
groupes ». La Hongrie, où 600 000 Juifs ont
été exterminés durant la Deuxième Guerre
Mondiale, connaît depuis quelques années
une résurgence de l’antisémitisme. En
janvier 2004, un drapeau israélien avait été
brûlé lors d’une manifestation des « Cercles
civiques », une association politique créée
46. La cour d’appel de Douai a condamné jeudi 10 septembre 2003 le maire communiste de Seclin (Nord),
Jean-Claude Willem, à une amende de 1000 euros
pour avoir appelé ses services à boycotter des produits d’Israël. Il était notamment poursuivi par
l’Association cultuelle israélite du Nord. De son
côté, la LCR a porté plainte contre le président du
Conseil Représentatif des Institutions Juives de
France, qui avait déclaré le 25 Janvier 2003 :
« l’antisionisme fédère ce courant qui s’étend des
partis révolutionnaires, tels Lutte ouvrière et la
Ligue communiste révolutionnaire (LCR), à une
fraction de l’extrême-gauche ».
47. Le synode de l’Eglise réformée hongroise a
condamné très fermement, par un communiqué du
21 janvier 2002, et les propos de M. Hegedus, et la
présence parmi les candidats du MIEP aux législatives de 2002, d’une dizaine de pasteurs.
par l’ex-Premier Ministre (conservateur),
Viktor Orban, au lendemain de sa défaite
aux élections législatives de 2002. Une autre
affaire a secoué le pays au début de la campagne pour les élections européennes. Un
animateur de Radio Tilos, une radio privée
de Budapest, dont le nom signifie
« interdit », en hongrois, avait fustigé à
l’antenne la religion chrétienne, alors qu’il
présentait une émission, dans un état
d’ébriété manifeste. Aussitôt, le MIEP, mais
aussi une partie du mouvement de l’ancien
Premier Ministre Orban se sont emparés de
l’affaire et ont crié au « complot juif » contre
la chrétienté. Des sanctions ont été infligées
à la station par l’organisme de régulation de
l’audiovisuel, l’ORTT : interdiction
d’émettre pendant un mois, arrêt du financement public pour six mois, et avertissement
d’une possible perte de sa fréquence en cas
de récidive. La direction de la radio a fait
appel de la décision, arguant, selon György
Palos, cinéaste et membre de la direction de
Tilos, d’un traitement différencié entre sa
station et celle du MIEP : « Il est ahurissant
qu’un incident aussi ridicule soit devenu le
sujet politique numéro un. Pendant ce
temps, sur les ondes de Pannon Radio (radio
du MIEP à Budapest) et même à la radio
publique, les juifs sont traités de
« Galiciens » et les tsiganes d’hommes « à la
peau sombre. Mais l’ORTT n’y a jamais rien
trouvé à redire », a-t-il indiqué49. Lors des
manifestations organisées en janvier 2004
par le MIEP contre radio Tilos, plusieurs
milliers de manifestants se sont rassemblés
devant les bureaux de la radio, brandissant
48. La traduction anglaise de ce texte est la suivante :
« The Christian Hungarian state would have
warded off the [ill effects] of the Compromise of
1867 had not an army of Galician vagabonds arrived
who had been gnawing away at the country which,
despite everything, again and again, had always
been able to resurrect from its ruins the bones of its
heroes. If their Zion of the Old Testament was lost
due to their sins and rebellions against God, let the
most promising height of the New Testament’s way
of life, the Hungarian Zion, be lost as well …. Since it
is impossible to smoke out every Palestinian from
the banks of the Jordan using Fascist methods that
often imitate the Nazis themselves, they are
returning to the banks of the Danube, now in the
shape of internationalists, now in jingoistic form,
now as cosmopolitans, in order to give the Hungarians another kick just because they feel like doing
so … So hear, Hungarians, the message of the 1 000th
year of the Christian Hungarian state, based on
1 000 ancient rights and legal continuity, the only
one leading you to life: EXCLUDE THEM!
BECAUSE IF YOU DON'T, THEY WILL DO IT TO
YOU.” [En majuscules dans le texte.]
49. Cité par le quotidien français Libération, 11 mars
2004.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
41
des pancartes marquées : « Fichez le camp en
Israël », huant la coalition gouvernementale
dominée par le Parti socialiste (ex-communiste) au cris de « A bas ce gouvernement de
50
juifs ! » et brûlant un drapeau israélien . La
dernière spécificité de la situation hongroise
est que l’antisémitisme a aussi pignon sur
rue dans les kiosques à journaux, où se vend
le mensuel du MIEP, Magyar Forum. La liste
des livres qu’il est possible d’acheter par correspondance au journal, en date de 20032004, est sans doute unique en Europe en ce
qu’elle propose des titres apologétiques de la
Waffen SS hongroise, d’autres à la gloire du
régent Horthy, un ouvrage négationniste sur
Auschwitz, une traduction d’un classique
français de la théorie du complot judéomaçonnique des années 30, ouvrages
souvent illustrés par des dessins ou caricatures comme le « Stürmer » nazi en
produisait51.
En Grèce, tant le Conseil juif central de
Grèce et le Centre Simon Wiesenthal que les
organisations de défense des droits de
l’homme ont depuis des années dénoncé les
constantes antisémites du discours du
député George Karatzaferis, qui a fondé un
parti nommé « Alarme Orthodoxe
Populaire » (LAOS), lequel avait remporté
un succès inattendu en gagnant 13,7 % des
voix aux élections municipales d’Athènes en
octobre 2002. L’Observatoire grec des
accords d’Helsinki a lancé une vigoureuse
campagne contre LAOS en vue des élections
européennes du 13 juin, rappelant par
exemple que le parti comptait quatre militants néo-nazis parmi ses responsables
locaux, et que M. Karatzaferis avait publiquement mis en cause le rôle du Mossad
dans les attentats du 11 septembre 2001. Il
avait conclu dans un communiqué du 7 juin
2004 que LAOS prêchait « l’antisémitisme
plus que tout autre parti ne l’a jamais fait en
Grèce. Après la percée du parti aux der50. Idem.
51. L’auteur français traduit est Léon de Poncins. La
caricature la plus remarquable figure en couverture
du livre de Zoltan Bosnyak, Szembe Jùdeaval! qui
représente un Juif barbu et au nez crochu, la tête
couverte d’un feutre noir et l’air menaçant.
La Belgique s’impose comme cas d’étude
pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le pays
a appelé les électeurs aux urnes pour des
élections régionales en même temps que
pour les européennes. Ensuite précisément,
il s’agit d’un Etat fédéral en proie à de vives
tensions inter-communautaires qui sont
montées en épingle par un parti nationaliste
42
nières élections locales, le Centre Simon
Wiesenthal avait demandé la fermeture de la
station de télévision de M. Karatzaferis pour
« propagande antisémite ». Parmi les citations antisémites parues dans le journal du
parti, Alpha Ena, on retiendra : dans le
numéro du 5-6 juin 2004 : « Le sionisme
actionne la propagande anti-grecque », « les
sionistes contrôlent la planète », « il a été
prouvé au-delà de tout doute que l’attaque
terroriste contre les tours jumelles de New
York a été causée par l’ action des juifs sionistes d’Amérique », « le symbole du dollar
n’est pas D mais $ (SH), ce qui signifie
shekel, en l’honneur de la première monnaie
juive ». Et dans le numéro du 29-30 mai
2004 : « L’élection de Rozakis en tant que
juge grec à la Cour européenne des Droits de
l’Homme est une victoire sioniste… qui confirme la tendance dominante au Parlement
européen. Il est bien sûr clair que cela est
une victoire du sionisme avec les conséquences que vous pouvez prévoir » ; ou enfin
« quelle Europe aimez-vous ? Américaine,
Sioniste, internationaliste, multiculturelle ? ». Il serait toutefois erroné de
considérer l’extrême-droite comme seule
responsable de la diffusion de l’antisémitisme en Grèce : celui-ci vient aussi de la
gauche, comme le prouve le cas du compositeur de musique Mikis Theodorakis,
considéré comme proche des milieux communistes. Dans une interview parue dans
Haaretz du 26 août 2004, il s’explique sur ce
qu’il avait déclaré le 4 Novembre 2003, à
savoir que « la racine du mal était le peuple
juif ». Il persiste en expliquant que pour lui
« la racine du mal aujourd’hui, c’est la politique de Bush », employant ensuite une
forme d’essentialisation des Juifs qui lui fait
dire : « je ne comprends pas comment le
peuple juif, qui a été victime du nazisme,
peut soutenir cette politique fasciste ». Il
confirme ensuite la confusion qu’il fait entre
« juif » et « israélien » lorsqu’il déclare : « Il
n’y a pas un seul peuple dans le monde qui
soutient cette politique sauf celui d’Israël
(…) j’ai peur que Sharon ne conduise les Juifs
– comme Hitler a conduit les Allemands –
vers la racine du mal ».
flamand xénophobe et d’extrême-droite, qui
n’est d’ailleurs en aucun cas représentatif de
la totalité du mouvement national flamand
dans son histoire et ses aspirations. Enfin,
l’un des thèmes centraux de la campagne a
été, fait inhabituel, celui des mesures juridiques prises ou à prendre à l’encontre dudit
parti, le Vlaams Blok, alors en phase ascen-
o
Etude de cas n 1 : la
Belgique
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
dante et autour duquel s’est établi un
consensus des partis démocratiques, appelé
le « cordon sanitaire », consistant à refuser
d’associer le Blok aux responsabilités régionales ou nationales. L’étude du discours
raciste, xénophobe et antisémite dans le
contexte politique belge nécessite donc en
préambule de définir l’idéologie et le programme du Vlaams Blok sur ces questions.
Le programme en 70 points du parti, qui
vient très récemment d’être amendé pour les
raisons juridiques précisées plus loin,
prévoit la création d’une république flamande indépendante avec Bruxelles pour
capitale. Il prône également « l’arrêt total de
l’immigration » ; la « limitation du droit
d’asile » ; le « rapatriement effectif des clandestins et des réfugiés « abusifs » ; « une
politique du retour (au pays d’origine)
humaine et généreuse ». La naturalisation
n’est envisagée que comme « couronnement
d’un processus d’intégration et
d’assimilation ». Cette vision xénophobe de la
société vise évidemment les étrangers noncommunautaires en premier lieu. Mais le
Blok exprime également une animosité
réelle à l’égard de la population francophone
de Belgique, se plaignant même de son
« regard parfois méprisant et raciste sur la
52
Flandre et les flamands » . Les expressions
utilisées par le parti pour dénoncer « la
gabegie de l’étatisme wallon » ; le « fossé
économique » entre les deux provinces ;
l’idée selon laquelle « Bruxelles est une ville
flamande » ou l’accusation de « harcèlement » wallon à l’égard des flamingants,
montrent qu’il s’agit là d’une autre forme de
préjugé xénophobe, qui débouche naturellement sur l’exigence de séparation et peut
s’exprimer de manière très violente, même
quand la « cible » n’est pas nommée : lors de
son discours du 1er mai 2004 à Bruges, Frank
Vanhecke a ainsi déclaré que « une Flandre
libérée du fardeau des milliards volés (par la
Wallonie, NDA) peut devenir un Etat
modèle en ce qui concerne les prestations
sociales », et répétant à plusieurs reprises
que les « flamands de souche » étaient victimes de discriminations. Depuis quelques
années, le langage du Blok sur l’immigration
trouve un écho en dehors de ce parti, ce qui
s’est exprimé en 2004 sur la question de
l’octroi du droit de vote aux étrangers noncommunautaires aux élections locales, qui
est devenu un des sujets majeurs du débat
politique avant les élections de 2004.
52. Cf. « Un programme d’avenir : un Etat indépendant
flamand », texte mis en ligne sur http ://vlaamsblok.
be/site_frans_programme_4.shtml
L’extension du droit de vote aux immigrants
résidant en Belgique depuis au moins 5 ans
est une mesure proposée par les partis socialistes et écologistes depuis la fin des années
80. A la fin de 2003, cette idée a gagné du
terrain au centre et à droite, divisant au
passage les partis libéral (VVD) et chrétiendémocrate (CDH), de telle manière que des
élus de ces deux partis (et des nationalistes
modérés de la NVA, ex-Volksunie) acceptèrent d’entrer dans un « Comité d’action
contre l’octroi du droit de vote aux
étrangers » (Actiecomité tegen stemrecht
voor vreemdelingen), lancé par le Vlaams
Blok après le vote de cette mesure par le
Sénat et présidé par un ancien parlementaire
53
libéral, Ward Beysen . Ce fait même, qui
constituait une rupture sans précédent du
« cordon sanitaire » nécessita l’intervention
du président du VLD, Karel de Gucht, et de
celui du CD&V, Yves Leterme, afin de
sanctionner les fautifs.
Dans ce contexte, la tentation était
grande de pratiquer la surenchère pour
donner l’impression d’une « droitisation »
des formations de gouvernement. Une
expression importante du langage xénophobe a été utilisée, le 30 janvier 2004, par le
président du parti libéral flamand (VLD),
Karel de Gucht. Celui-ci était intervenu en
Commission des Affaires intérieures de la
Chambre des Députés, lors du débat sur le
texte octroyant conditionnellement le droit
de vote aux étrangers résidant en Belgique54
pour limiter l’étendue de la mesure. Il y avait
défendu un amendement refusant ce droit
aux étrangers ayant introduit, sans succès,
une demande de naturalisation et avait
menacé le gouvernement d’un retrait de son
parti de la coalition si cette mesure était
adoptée. Pour appuyer sa thèse, Karel De
Gucht, par ailleurs insoupçonnable de
53. Beysen avait créé ensuite sa propre formation,
l’Appel Libéral.
54. Cette opposition avait également été avancée par le
ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, sans
qu’aucun argument xénophobe soit utilisé par lui,
dans une interview à l’émission de la RTBF, Matin
Première, le 21 octobre 2003. La citation exacte est :
« dans la législature précédente, on a vraiment facilité la possibilité de devenir Belge et que c’est, selon
moi, la meilleure voie d’intégration pour des étrangers. Si ils deviennent Belges, et c’est très facile pour
le devenir, ils obtiennent tous les droits politiques,
pas uniquement le droit d’aller voter, mais aussi le
droit d’être élu. Et donc, je trouve personnellement
que la thèse de droit de vote des étrangers, c’est pas
la bonne direction ». Le même avait toutefois
indiqué, dans une tribune libre publiée par le quotidien Le Soir du 28 novembre 2003, que selon lui, le
Gouvernement belge devait revenir sur le blocage de
l’immigration intervenu en 1974.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
43
racisme et hostile à toute alliance avec le
Blok, avait cité des cas d’étrangers délinquants, et avait été applaudi par les élus du
Vlaams Blok. Ces propos ne peuvent se comprendre que dans leur contexte : celui de
l’imminence du congrès du parti (5-7 février
2004) en proie à des turbulences internes et
menacé tant sur sa gauche que sur sa droite,
par le Vlaams Blok et les dissidents du
« Liberaal Appel » ; celui aussi de la pression
des jeunes libéraux anversois, qui faisaient
ouvertement campagne contre l’octroi du
droit de vote aux étrangers non communautaires et avaient réuni les 1 000 signatures
d’adhérents nécessaires pour que la question
du droit de vote des étrangers, auquel
étaient favorables les partis francophones et
les socialistes flamands (SP.A), soit soumise
au congrès du VLD. Le contexte, enfin, de
sondages en vue des élections régionales et
européennes, faisant état de mauvais résultats pour le VLD, talonné par le Vlaams
Blok. Ce dernier point, en particulier, expliquait le choix du président du parti, qui
craignait que le droit de vote des étrangers
n’apporte des voix à l’extrême-droite, au
détriment du VLD. De Gucht avait déclaré
en substance qu’« accorder le droit de vote
aux étrangers, contre la volonté de la grande
majorité des flamands, serait un précédent
dangereux ». Il avait indiqué que « les francophones font une lourde erreur, pour
laquelle ils paieront, tôt ou tard, la note », en
faisant passer cette mesure. Il avait en outre
demandé : « Pourquoi mènent-ils une précampagne idéale pour le Vlaams Blok ? »55. Le
prix à payer par le dirigeant libéral a été
élevé puisque le 12 février, de Gucht a été
écarté par le Premier Ministre fédéral, Guy
Verhofstadt, de ses fonctions de président
du VLD. Il a toutefois été nommé, par le
même, en juillet 2004, ministre des Affaires
étrangères.
Les déboires judiciaires du Blok ont
constitué un autre thème important de campagne et la question de la liberté
d’expression a été mise en avant par le
Vlaams Blok pendant toute la campagne
électorale, à la fois pour les élections européennes et pour les Parlements des régions.
Ce sujet peut sembler a priori déconnecté
des préoccupations du présent rapport. Il
importe toutefois de le replacer dans son
contexte, pour comprendre qu’il concerne
au premier chef les possibilités dont dispose
la formation flamande d’extrême-droite
pour propager les idées racistes et xéno55. Dépêche de l’agence Belga, 30 janvier 2004.
44
phobes. En effet, suite à trois plaintes
déposées le 10 octobre 2000 par le Centre
pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre
le Racisme contre des associations-satellites
du parti (Nationalistische Omroepstichting,
Nationalistisch Vormingsinstituut et
Vlaamse Concentratie), en raison de la diffusion de tracts faisant l’apologie du
« Programme en 70 points du Vlaams Blok
contre l’immigration », la Cour d’Appel de
Gand statuant au fond, a rendu le 21 avril
2004 un jugement condamnant lesdites
associations pour infraction à la loi antiraciste, à une amende de 12 400 euros par
association et à des dommages-intérêts de
5 000 euros au Centre pour l’égalité des
chances et la lutte contre le racisme
(CECLR) et 2 500 euros à la branche néerlandophone de la Ligue des droits de
l’homme, parties civiles. Ce jugement est
d’une importance capitale, car il est de
nature à permettre à l’Etat belge de priver le
parti des subsides auxquels il a droit au titre
de la dotation publique de financement des
partis politiques. Il faut rappeler que la loi
du 12 février 1999 sur le financement des
partis détermine que les partis qui affichent
des opinions racistes ou portant atteinte aux
droits de l’homme peuvent perdre une partie
de la dotation qu’ils touchent des pouvoirs
publics. En outre, c’est désormais la survie
même du parti qui est en jeu car le Vlaams
Blok a perdu devant la Cour de Cassation le
9 novembre 2004. Celle-ci a en effet validé
l’arrêt de la Cour d’appel de Gand, qui l’avait
condamné à une amende en estimant que sa
propagande constituait une« incitation permanente à la ségrégation et au racisme ».
Afin de pouvoir continuer son activité, le
Blok a donc changé de nom le 14 novembre
et s’appelle désormais Vlaams Belang
(Intérêt flamand). Il a aussi modifié son programme, renonçant à réclamer le « renvoi
vers leur pays de larges groupes d’immigrés
non-européens » et limitant l’expulsion aux
immigrés qui « rejettent, nient ou combattent notre culture et certaines valeurs
européennes comme la séparation de l’Eglise
et de l’Etat, la liberté d’expression et l’égalité
entre les hommes et les femmes ». Nous
avons là un cas-type de ce que permet le bon
usage du droit pour limiter l’expression du
discours xénophobe et son exploitation
politique56.
Tout en s’estimant « condamné à mort »
par le jugement, le parti, qui veut créer une
république flamande indépendante, s’est dit
persuadé que sous son nouveau nom, il
« enterrera la Belgique », selon les termes de
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
son président, Frank Vanhecke. Alors que le
Blok caracole en tête des sondages en
Flandre, la réaction des partis francophones
a été positive. Les démocrates-chrétiens du
CDH ont ainsi demandé au Parlement des
« mesures législatives qui permettront la
suppression de la dotation publique des
partis extrémistes et liberticides », ce qui éliminerait définitivement le Blok et son
successeur. Pour l’instant, la proposition de
loi en ce sens reste bloquée au Sénat. Il faut
également noter que, immédiatement après
les élections régionales, le score du Vlaams
Blok a posé la question de la pérennité du
56. Côté francophone, la Commission de contrôle des
dépenses électorales de la Chambre et du Sénat a
décidé à l’unanimité de suspendre la dotation du
Front National pendant une période de trois mois.
Les membres de la Commission reprochent au FN
de Daniel Féret de n’avoir pas rentré de rapport
financier pour l’année 2003. Entre-temps, le FN a
rentré un document faisant état pour seules recettes
de sa dotation, d’un don de 1,50 euro et de cotisations d’une quarantaine de membres. La Commission a jugé que ce document ne correspondait en
rien à un rapport financier. Elle a donc demandé à
l’unanimité de suspendre la dotation du parti
d’extrême droite pendant trois mois.
Etude de cas no 2 :
l’Irlande
Nous avons choisi ce pays parce qu’il a
voté, le 11 juin 2004, à la fois pour les élections européennes, pour les élections
locales, et pour un référendum destiné à
amender l’article 9 de la Constitution, dans
un sens qui rendaient plus restrictives les
conditions d’obtention de la nationalité
irlandaise en mettant fin au jus solis. Le cas
irlandais est également intéressant parce
qu’il n’existe en Irlande aucune formation
d’extrême-droite et que les expressions du
racisme dans le champ politique sont très
rares : lorsqu’elles existent, elles sont le fait
de « dérapages » d’élus des partis traditionnels. Le dernier cas recensé s’était produit
lors de la campagne pour les législatives de
2002, lorsque le député de Cork, Noel
O’Flynn, avait qualifié les immigrants de
57
« parasites » (spongers) et de « freeloaders » .
Aux marges de la politique, le minuscule
Christian Solidarity Party, catholique traditionaliste, présentait quelques candidats
aux élections locales et un aux européennes,
58
qui atteignent juste la barre des 1 % . Une
57. Cf. Irish Times, 31 janvier 2002.
58. Aux élections locales, Paul O’Loughlin a obtenu
1,69 % à Dublin Inner City ; Conor O’Donogue
1,02 % à Limerick 1 ; aux européennes, Barry Despard a obtenu 1,27 % à Dublin. L’euro-députée
catholique traditionaliste Rosemary Scallon n’a pas
été réélue dans la circonscription North-West (elle
a obtenu 13,52 %).
« cordon sanitaire ». Une première controverse s’est ouverte autour de la décision du
formateur désigné du gouvernement flamand, Yves Leterme, de rencontrer les
dirigeants du Blok, même si le formateur a
clairement indiqué à l’issue de l’entretien
qu’une « coalition avec le Vlaams Blok est
impossible (…) parce que ce parti fonde son
discours sur la confrontation et sur un
modèle conflictuel ». Rik Daems, chef de file
du VLD (parti libéral) à la Chambre, a qualifié cette entrevue de « de perte de temps ».
L’échevin libéral anversois Ludo Van Campenhout l’a jugée inopportune, estimant
que : « Entre parler et négocier, la frontière
est ténue ». Au contraire, Roland Duchâtelet, président du parti Vivant, allié au
VLD, a demandé au parti démocrate-chrétien, le CD&V, de s’allier au Vlaams Blok
qui, selon lui, « ne cessera de progresser tant
qu’il ne sera pas associé au pouvoir ». La
branche « jeunes » de la N-VA, l’ancienne
Volksunie (nationaliste flamande modérée)
parti allié au CD&V, a également demandé
la rupture du cordon sanitaire.
formation s’est bien créée sur le thème
unique de l’immigration, la Immigration
Control Platform qui a présenté trois
candidats aux élections pour les City
Councils de Dublin, Cork South Central et
Dundalk, mais Pat Talbot et Ted Neville ont
obtenu respectivement, dans les deux
premières villes, 1,65 % et 1,44 %. C’est dire
si les enjeux liés à l’immigration semblent ne
pas mobiliser les électeurs sitôt qu’il s’agit
de scrutins de type local.
Cependant, le gouvernement irlandais a
décidé très tardivement, en mars 2004,
d’organiser un référendum sur la question de
l’accès à la nationalité. Il intervenait dans un
contexte de durcissement de la législation
sur les étrangers, qui s’est manifestée par
une décision de la Cour Suprême en 2003,
autorisant le gouvernement à expulser des
étrangers ayant des enfants irlandais, puis
par le vote du Immigration Act 2004 devenu
loi le 13 février 2004. Brièvement résumé,
l’enjeu du référendum était le suivant : voter
« oui » signifiait que désormais, n’auraient
un droit constitutionnel à avoir la nationalité irlandaise que les individus ayant au
moins un parent de cette nationalité à leur
naissance, ou un parent qui au moment de la
naissance avait le droit de devenir citoyen
irlandais. Le « oui » donnait aussi au Parlement la possibilité de changer la loi, qui
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
45
prévoit actuellement que toute personne née
59
en Irlande est irlandaise .
Première constatation : même lors d’un
scrutin sur enjeu de type référendaire, la
participation est faible (59,95 %), ce qui
prouve a priori que le sujet ne mobilise pas
l’électorat. Cependant, les électeurs qui se
sont déplacés ont, à une forte majorité
(79,17 %) voté « oui » alors que le « non » ne
recueille que 20,83 %60. Comment ont été
présentés les enjeux « immigration » et
« droit d’asile » pendant la campagne
référendaire ? En fait, la campagne a tourné
autour d’un argument simple : est-il exact
que des femmes de nationalité étrangère se
rendent exprès en Irlande pour y accoucher,
afin que leur enfant acquière ipso facto la
nationalité irlandaise et les avantages y afférents, pour lui et sa famille ? Les groupes
marginaux ont utilisé une argumentation de
type ouvertement raciste, également disséminée aux élections locales : l’Immigration
Control Platform prétendait que
« l’immigration est un problème local ! »,
comme le clamait le prospectus de campagne de Ted Neville, qui continuait : « des
services qui vous concernent doivent faire le
grand écart pour tenir compte des demandes
supplémentaires résultant d’un afflux non
planifié et non désiré d’immigrants (…) Il y a
près de 1 000 foyers étrangers dans la ville et
le comté de Cork qui reçoivent l’allocation
compensatrice de loyer, alors que beaucoup
de travailleurs se battent pour arriver à posséder une maison et financent ce fardeau
supplémentaire avec leurs impôts ». L’ICP
considérait aussi que « 90 % des demandes
d’asile sont bidon » et s’insurgeait contre la
volonté prêtée au gouvernement d’accueillir
chaque année 20 000 étudiants chinois,
posant la question, « le gouvernement
s’assurera-t-il qu’ils retournent en Chine, où
61
s’agira-t-il d’une porte d’entrée dérobée ? » .
Un autre candidat, indépendant celui-ci,
Paul Kangley, à Dublin, a fait campagne en
demandant aux électeurs de voter « oui » au
référendum, « où sinon nous n’aurons plus
assez de maternités pour toutes les étrangères qui veulent accoucher ici », et en
prétendant faussement que « il existe officiellement près de 200 000 personnes qui se
disent réfugiées et qui vivent dans des
maisons et appartements neufs »62.
59. Pour plus d’informations : www.refcom.ie
60. Pour une carte des résultats, qui ne sont pas corrélés
à la présence des étrangers, cf. http ://www.ireland.
com/focus/referendum2004/results_map.html.
61. Cf. http ://www.immigrationcontrol.org/
elections2004.htm.
46
Ni le gouvernement, ni les partis
« mainstream » n’ont utilisé le discours
raciste. La justification du gouvernement
pour présenter le projet de réforme constitutionnelle consistait à arguer d’un « vide »
(loophole) dans la Constitution actuelle, justifiant des mesures qui éviteraient le
« tourisme de la naturalisation » (citizenship
tourism) et allégeraient le travail d’hôpitaux
déjà « surchargés »63. Le Premier ministre,
Bertie Ahern, a pris soin de répéter qu’il
défendait une loi « libérale » en matière de
droit d’asile et d’immigration (27 mai).
Cependant, on peut s’interroger sur la pertinence même de l’idée selon laquelle
existerait à grande échelle, en tout cas à
échelle suffisante pour nécessiter une révision constitutionnelle, un « tourisme de
naturalisation ». On peut aussi discuter
l’opportunité de parler, comme l’a fait le
ministre des Affaires étrangères, Brian
Cowen, des « vrais immigrants » (genuine
migrants : Irish Times, 4 juin), ce qui laisse supposer qu’il en existe de « faux » ; on peut
enfin mettre en doute le caractère judicieux
de la publicité affichée dans les rues pour
encourager les électeurs à voter aux européennes, et qui représentait une femme en
train d’allaiter, ce qui pouvait établir une
corrélation avec le référendum sur la natioer
nalité (1 juin). Il serait cependant
particulièrement injuste de ne désigner
comme responsables de ces discours
ambigus les partis de gouvernement, alors
qu’un homme aussi insoupçonnable de
racisme que le Prix Nobel de la Paix John
Hume (du parti nord-irlandais SDLP),
déclarait vouloir que soit décerné par le gouvernement irlandais un « certificat
d’irlandité » (certificate of Irishness) à tous
ceux qui de par le monde sont d’ascendance
irlandaise64, ce qui constitue une vision
ethnicisante de la nationalité.
Le principal problème posé par l’argumentation du gouvernement était de s’être
appuyée dès le départ sur des chiffres hautement contestés (ceux des accouchements de
mères étrangères spécialement venues en
Irlande pour cela) et sur des faits qui ne
65
semblent pas être avérés . Ainsi, ce serait
l’administration des hôpitaux de Dublin
(Masters of the Hospitals) qui aurait alerté le
62.
63.
64.
65.
Idem.
Metro Eireann, 4 juillet 2004.
Irish Times, 10 mai 2004.
Sur ce point, voir l’article de Aisling Reidy, directeur
du Irish Council for Civil Liberties : « The need for a
referendum considered », sur : www.iccl.ie/
constitution/gen/ar_tcdspeech04.pdf.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
o
Etude de cas n 3 : la
Lettonie
ministre de la Justice Michael MacDowell,
de la nécessité de changer la loi pour éviter
l’afflux de mères étrangères66. Puis, lorsque
ladite administration eut fait savoir qu’elle
n’avait rien demandé, ce que le ministre luimême admit le 13 mars, l’argument devint
que le nombre élevé de mères étrangères
posait un problème aux capacités d’accueil
du système hospitalier67 et qu’il existait un
abus réel et systématique du droit constitutionnel à l’acquisition de la nationalité
irlandaise68. Enfin, l’argument final était que
le changement de la Constitution alignerait
l’Irlande sur les législations des pays de
l’Union européenne69, ce qui est par ailleurs
exact, à ceci près que la formulation retenue
était « qu’il ne faut pas créer d’avantages involontaires qui seraient injustes envers nous ou
envers d’autres Etats membres de l’Union
70
européenne (« so that we do not create
unintended incentives that are unfair to us
or to other EU member states »). Or la
notion d’avantages involontaires tend à
accréditer l’idée selon laquelle les candidates
à l’immigration choisissent le pays où elles
veulent s’installer en fonction d’une sorte de
rapport coût/avantages, c’est-à-dire précisément en faisant ce que d’aucuns appellent
asylum shopping. D’autres propos gouvernementaux ont pu donner lieu à débat : c’est le
cas d’une déclaration, le 3 juin, du ministre
des affaires sociales et de la famille, Mary
Coughlan, qui a déclaré que le « oui » au référendum, permettrait de « mettre un terme à
l’incitation existante pour les femmes
enceintes de se mettre, leur bébé et elles, en
danger, en voyageant depuis l’étranger
71
jusqu’ici juste avant l’accouchement » .
66.
67.
68.
69.
70.
71. Le texte anglais est : « A “yes” vote would end the
incentive for pregnant women to put themselves
and their unborn children at risk by travelling here
from abroad just before birth ».
72. Metro Eireann, 4 juillet 2004.
Déclaration du ministre, 10 mars 2004.
Idem, 21 avril 2004.
Déclaration du premier ministre, 21 avril 2004.
Déclaration du ministre de la Justice, 9 avril 2004
Idem.
Le problème essentiel en Lettonie est celui
des rapports entre la majorité lettone
(57,6 % de la population) et la minorité
russe (29,6 %). On peut dire qu’il existe,
remontant loin dans l’histoire, un sentiment
d’animosité réel à l’encontre de celle-ci, qui
s’exprime dans la terminologie courante, par
le fait que pour désigner l’époque où le pays
était incorporé à l’Union Soviétique on parle
73
d’occupation « russe » et non soviétique .
Dans les années récentes, ce préjugé s’est
exprimé principalement autour des ques-
73. Par exemple, le site Internet du Latvian Academic
Information Center parle de « l’occupation russe »
de 1940. cf. www.aic.lv/HE_2002/HE_LV/
factsheets/ hist.htm.
Ces faits étant énoncés, il n’en reste pas
moins vrai que très peu d’incidents racistes
ont émaillé les campagnes : selon le Irish
Times, un candidat d’origine nigériane à
Galway a porté plainte à la suite d’appels
téléphoniques racistes. Il faut enfin rappeler
que le gouvernement irlandais a créé en
2002 un comité, le National Consultative
Committee on Racism and Interculturalism
(NCCRI), qui, dans le premier numéro de sa
revue, Spectrum (novembre 2002), consacrait
un dossier au Plan National d’Action contre
le Racisme et au combat contre les « mythes
au sujet des demandeurs d’asile ». Confronté
à une large opposition des églises et des
organisations de défense des droits de
l’homme (qui lui reprochaient d’instrumentaliser le sentiment raciste pour en tirer
profit aux élections locales et européennes),
ainsi que des partis d’opposition, Labour et
Sinn Fein, le gouvernement irlandais n’a fait
qu’exercer son droit légitime à définir
comment on devient citoyen. Les critères
désormais imposés ne sont pas plus restrictifs que ceux en vigueur ailleurs dans l’UE.
Mais on peut déplorer à la fois le manque de
clarté des motifs qui ont conduit à une
consultation précipitée, et l’utilisation d’une
généralisation à l’encontre des étrangers,
alors même que les statistiques officielles
montrent que le nombre de naissances de
mères étrangères dans les maternités de
Dublin a baissé de 10 % entre 2002 et 200372.
tions de la langue et de l’accès à la
nationalité. On peut citer, parmi les principales preuves d’un tel sentiment, la loi sur la
langue de 1989 qui fait du letton la seule
langue nationale, oblige à « lettoniser » les
noms propres et supprime l’enseignement
en russe dans les universités, ainsi que la loi
sur la nationalité, adoptée en 1994, qui
soumet la naturalisation à la réussite à un
examen de langue, d’histoire et de droit
lettons assez généralement jugés difficiles et
discriminants, ce qui a abouti au fait qu’au
30 septembre 2004, seulement 78540 naturalisations ont été accordées. En
conséquence, près de 20 % de la population
vivant en Lettonie n’est pas citoyenne, ne
peut participer aux élections et ne peut
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
47
accéder à un certain nombre d’emplois,
notamment dans le service public. Le bilan
n’est toutefois pas unanimement négatif,
puisque la Lettonie a adopté en septembre
2002 une nouvelle loi sur le droit d’asile et
une nouvelle loi sur l’immigration en mai
2003, dont le Comité contre la Torture des
Nations-Unies a reconnu qu’elles présentaient des progrès significatifs74. Il faut
également reconnaître que l’expression
politique de la minorité russe est libre, ce
qui lui a permis d’être représentée au
Parlement européen par la coalition « Pour
les droits de l’homme dans une Lettonie
unie », qui comprend nombre d’anciens
cadres du Parti Communiste soviétique.
Reste que la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales n’a pas
été ratifiée par la Lettonie (l’Estonie et la
Lituanie l’ont adoptée).
Selon les termes de Kaspars Zalitis, coordinateur de la Semaine d’action européenne
contre le racisme et du Conseil National de
la Jeunesse Lettone, « les media ne parlent
pas du racisme »75. Pourtant, celui-ci existe
au quotidien : par exemple, et par exception
à ce que déclare Zalitis, le cas très médiatisé
du citoyen américain de couleur George
Steele, qui vit en Lettonie depuis 1994 a
prouvé que la vie des personnes de couleur
était rendue difficile par les insultes et les
brimades ; on citera aussi l’affaire du spot
publicitaire télévisé raciste du Brivibas
Partija (Parti de la Liberté)76, qui a été
77
condamné pour cela en septembre 2003 et
qui ne doit pas être confondu avec le parti
LNNK (Apvienba Tvzemei un Brvbai/
LNNK), une formation ultra-nationaliste,
assimilable par certains côtés à une droite
extrême, et qui professe un sentiment antirusse assis sur un anti-communisme viscéral. Le spot78 du Brivibas Partija, diffusé
dans le cadre de la campagne pour les
élections législatives d’octobre 2003, mettait
en scène deux musiciens noirs d’un groupe
connu. Un d’entre eux était montré, habillé
en soldat, en train d’embrasser une lettone,
devant le monument de la Liberté, à Riga. La
74. Rapport CAT/C/CR/31/3 du 5 février 2004.
75. Article du 27 mars 2003 sur www.policy.lv.
76. Pour le programme du parti : http ://web.cvk.lv/
pub/ ?doc_id=28214.
77. Sur ces deux points, cf. l’interview de George Steele
sur www.policy.lv/index.php ?id=102518 (7 janvier
2003).
78. LNNK a par exemple introduit au Parlement européen, après les élections de juin, un projet de résolution défendu par le député Girts Valdis Kristovskis,
et destiné à condamner rétrospectivement le pacte
Molotov-Ribbentrop.
48
voix « off » qui accompagnait l’image disait :
« Aujourd’hui, il défend votre pays. Demain,
il pourra être votre gendre ». Le jugement,
rendu sur plainte des musiciens et de
George Steele, est une première en Lettonie
et ouvre la voie pour une meilleure prise en
compte des délits racistes par les tribunaux.
Cependant, le problème principal,
pendant la période précédent les élections
européennes, a été celui posé par la réforme
du système éducatif, votée en février 2004 et
er
entrée en vigueur le 1 septembre dernier, et
qui fait l’objet d’un recours devant la Cour
Constitutionnelle lettone. Cette loi prévoit
que 60 % des matières devront être enseignées en letton, y compris dans les écoles
russophones, ainsi menacées de disparition
(la loi s’applique aussi théoriquement aux
écoles des autres minorités). Ce texte a
généré, dès janvier dernier, une vague de
protestation dans la minorité russophone,
culminant lors d’une manifestation à Riga le
1er mai 2004, qui a rassemblé 30 000 personnes, à l’appel d’organisations divisées
entre une aile modérée (Lashor – Association des professeurs russes) et une plus
« dure » (Shtab – Centre de défense des
écoles russes) et souvent accusées par la
presse et le pouvoir d’être manipulées par la
79
Russie . Certains slogans visibles lors de la
manifestation, comme « le russe est plus
qu’une langue », pouvaient d’ailleurs être
interprétés comme une forme de refus
d’intégration, voire de sentiment antiletton80, tandis que le slogan « Arrêtez l’apartheid en Lettonie », est manifestement
excessif81.
Ce texte a également déclenché une
crise politique, puisque au mois de mai
2004, le Parti de l’Harmonie Nationale
(Tautas Saskanas Partija), qui soutient le
cabinet du Premier Ministre Indulis Emsis
(entré en fonction le 9 mars 2004 ; il a
démissionné le 28 octobre dernier), a
lancé un ultimatum au gouvernement, lui
demandant d’agir sur les questions des
droits des minorités et de la réforme du
système éducatif. Au même moment, au
contraire, une partie de la droite réclamait
la démission du ministre chargé de l’intégration sociale, Nils Muiznieks (membre
du parti Lettonie d’abord), au motif qu’il
avait laissé les demandes des minorités
s’exprimer trop avant. Nombre d’analystes
79. Cf. le Monde, 25 octobre 2004.
80. Rapporté par le Baltic Times, 6 mai 2004.
81. Rapporté par le EU-Observer, 12 juin 2004, à propos
de la manifestation du 12 juin.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
ont compris cette demande comme un
moyen, pour un parti en baisse dans les
sondages et en proie à des divisions
internes, de redorer son blason. Les questions liées aux minorités, à la réforme de
l’éducation et à l’apprentissage de la
langue lettone, ainsi que la question des
demandeurs d’asile, ont introduit un
débat au sein des partis de gauche, le Parti
de l’Harmonie Nationale (Tautas Saskanas
Partija), dirigé par Janis Jurkans, conditionnant son appui au cabinet au fait que
celui-ci résolve la question de l’éducation,
si possible sans modifier la loi existante,
tandis que « Pour les droits de l’homme
dans une Lettonie unie » allait encore plus
loin en organisant des manifestations
d’étudiants, en incitant au boycott de la
rentrée scolaire le 1er septembre et en
demandant un renforcement des relations
entre l’Union européenne et la Russie,
argument qui, on s’en doute, n’est pas de
nature à convaincre la majorité des lettons
de la volonté d’intégration de la minorité
russe. Du côté gouvernemental, l’argument majeur en faveur de la loi est celui de
l’intégration : les russophones devraient
maîtriser couramment le letton afin de
pouvoir trouver un emploi décent. L’argument est recevable, à la condition qu’il ne
soit pas présenté sous une forme aussi
contestable que celle utilisée par la présidente Vaira Vike-Freiberga, qui avait
déclaré que la loi était conçue pour que les
russophones« deviennent des lettons
d’origine russe », ce à quoi elle avait
ajouté : « Si ils veulent être russes, ils
peuvent aller en Russie »82. Vision des
choses apparemment partagée par les
représentants de la classe politique
d’autres pays baltes : ainsi, l’ancien président lituanien Vytautas Landsbergis,
jugeant sans doute que les russophones
étaient trop nombreux en Lettonie, déclarait à un journal : « Comment les
Allemands se sentiraient-ils si tout à coup
il y avait soixante millions de turcs dans
leur pays ? » ; tandis que l’ancien ministre
des affaires étrangères estonien, Toomas
Ilves, déclarait au même organe de presse :
« (les russophones) sont utilisés par
Moscou un peu comme les Allemands des
83
Sudètes l’étaient par Hitler ». D’un autre
côté, on ne peut avoir une vision impartiale du problème qu’en prenant en
compte certaines déclarations ouverte-
ment anti-lettones d’officiels russes : le
président de la commission des affaires
étrangères de la Douma, Dimitri Rogozin,
s’en est fait une spécialité, ayant par
exemple déclaré, en septembre 2003, que
« les nazis sont arrivés au pouvoir en
Lettonie », qu’il a qualifiée de « pays de
84
voyous » . Le leader ultra-nationaliste
Vladimir Jirinovski, pour sa part, avait
menacé, le 1er avril 2004, de « détruire la
Lettonie », spécifiant que des commandos
étaient prêts à partir de Russie pour bombarder les capitales des pays baltes85.
82. Cité par le Baltic Times, « Unique elections crystallize
party differences », 20 mai 2004
83. Cités par EU-Reporter, 23-27 février 2004, p. 14.
84. Cf. Radio Free Europe/Radio Liberty report,
10 octobre 2003, par Kathleen Knox.
85. Rapporté par le Baltic Times, 8 avril 2004.
Comment le préjugé xénophobe antirusse s’est-il exprimé ? On notera d’abord
que son existence, de même que celle du
racisme en général, n’est pas niée par le
gouvernement. Lors d’une conférence de
presse tenue pendant la conférence de
l’OSCE sur la tolérance et la lutte contre le
racisme, la xénophobie et la discrimination (Bruxelles, 13-14 septembre 2004), le
ministre Muiznieks a indiqué que la Lettonie avait adopté, le 25 août, un
Programme national pour la promotion de
la tolérance. Tout en mettant en avant le
fait que le Bureau National pour les Droits
de l’Homme avait reçu très peu de plaintes
consécutives à des actes racistes, il a
reconnu que « beaucoup de gens appartenant à des minorités visibles (originaires
d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Asie) »
avaient subi des menaces ou des attaques
physiques, et il a pointé l’existence de préjugés très répandus envers les Roms, ainsi
qu’une « détérioration des attitudes envers
les musulmans, bien qu’ils soient en très
petit nombre ». Il a en outre précisé que ce
qu’il appelle la « russophobie » faisait
partie des préjugés que ledit programme
voulait éradiquer.
Divers incidents et propos valent néanmoins d’être mentionnés. Par exemple, le
député Vladimir Buzayev (coalition
PDHLU) a été suspendu pour six sessions,
pour avoir pris la parole au sujet des manifestations d’étudiants russophones, alors
que l’ordre du jour concernait la guerre en
Irak. En novembre 2003, le député Martijans
Bekasovs, alors observateur au Parlement
européen, a été privé de son siège à
Strasbourg par le Parlement letton, sous
l’accusation d’avoir trahi les intérêts de son
pays, après qu’il eut fait circuler aux eurodéputés, en septembre 2003, une lettre dans
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
49
laquelle il se plaignait du traitement de la
minorité russophone. Le parti LNNK, en
particulier, a mené contre lui une campagne
l’accusant d’actions contre l’Etat, réactivant
ainsi le stéréotype de la « traîtrise » supposée
86
des russophones . Autre affaire : un eurodéputé du parti Tautas Partija, Rihards Piks,
à qui un journaliste demandait si les lettons
ne devaient pas pardonner aux russophones
les fautes commises par l’URSS, répondait :
« C’est écrit dans la Bible : les enfants
doivent payer pour les fautes de leurs
87
parents ». D’autre part, la Cour suprême
lettone a confirmé le 28 septembre un jugement rendu en avril, qui condamnait à
20 mois de prison un octogénaire, Vassili
Kononov, coupable de « crimes de guerre »,
en l’occurrence la mort de neuf civils exécutés lors de l’attaque d’un village par les
partisans en 1944. Ce verdict traduit parfaitement le fossé qui sépare les deux visions,
lettone et russe, du conflit : pour les lettons,
Kononov est un criminel de guerre ; pour les
russes, c’est un héros de la lutte anti-nazie,
puisque les exécutions ont eu lieu dans le
cadre d’une attaque contre les troupes alle88
mandes et leurs collaborateurs locaux . On
signalera enfin une déclaration qui reflète la
vieille habitude soviétique de catégoriser les
juifs comme une minorité ethnique et non
comme des citoyens. Le porte-parole du
gouvernement sur la question de la réforme
de l’éducation, Sergeys Ancupovs, interrogé
au sujet du député Jakov Pliners, élu de la
coalition PDHLU, aurait déclaré : « Ce n’est
pas un Russe, c’est un Juif »89.
86. Rapporté par EU-Observer, 5 novembre 2003.
87. Euro-Reporter, op. cit.
88. Agence France Presse, 28 septembre 2004.
89. Cité par le British Helsinki Human Rights Group
dans son rapport : « Latvia : double standards in the
Baltics », 2004.
En conclusion de cette étude de cas, il
nous semble justifié de dire que les crispations, dérapages verbaux et réactivations de
préjugés se situent de part et d’autre. Il n’est
pas discriminatoire en soi de demander à
une minorité de maîtriser la langue de la
majorité et de subordonner l’entrée dans le
service public, par exemple, à une pratique
courante de celle-ci. Il est même parfaitement loisible à un Etat d’exiger des
personnes qui demandent à acquérir sa
nationalité de posséder une connaissance
courante de la langue nationale. D’un autre
côté, il est certain que la majorité lettone
peine à concevoir qu’un Russe puisse être
citoyen à part entière, et ceci sans doute en
raison de contentieux historiques non
apurés.
Conclusion générale
A l’issue de ce panorama, qui ne se veut
nullement exhaustif, il est possible de
dégager quelques tendances quant à l’évolution de l’utilisation du discours xénophobe,
raciste et antisémite par les partis politiques. Premièrement, la progression de
l’extrême-droite proprement dite n’a plus
l’ampleur d’une véritable « vague » politique
et semble en grande partie stabilisée dans un
certain nombre de pays (Autriche, France),
même si elle devient plus préoccupante dans
d’autres (Belgique). En conséquence, cette
famille politique n’est plus la seule à assurer
la dissémination du discours raciste, mais on
peut se demander si son relatif déclin ne
s’accompagne pas parfois d’une victoire
idéologique, qui consiste à avoir réussi à
imposer son agenda xénophobe à une partie
des mouvements politiques démocratiques,
parfois prompts à avoir des comportements
de surenchère ou à penser, en termes de tactique politique, que tenir le langage de
l’extrême-droite aide à reconquérir son électorat, ou en empêche l’émergence. En ce
sens, le problème essentiel désormais réside
50
dans la nécessité, pour les partis démocratiques, d’éviter cette « contamination » et le
danger majeur pour la démocratie vient des
utilisations de ce type de discours par les
partis « mainstream », non par l’extrêmedroite. Deuxièmement, il est très clair que
pour les extrémistes comme pour une fraction des formations démocratiques, la
question de l’adhésion de la Turquie et celle
de l’avenir de l’islam en Europe, sont
devenus des arguments aussi importants
que l’immigration et le droit d’asile. Le
danger réside là dans une essentialisation de
l’islam et dans une assimilation abusive de
cette religion à sa forme d’expression la plus
radicale et violente.
Incontestablement, la théorie du « choc
des civilisations » gagne du terrain, le
préjugé anti-musulman aussi, qu’on le
nomme « islamophobie » ou qu’on récuse ce
terme parce qu’il est utilisé à mauvais
escient par les fondamentalistes. Troisièmement, la question du droit des minorités
reste, en Europe centrale et orientale, déterminante. Si les formes de discours
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
xénophobe liées aux contentieux territoriaux ont pratiquement disparu, l’idée
générale persistante est que la nationalité
est avant tout question d’hérédité, de
langue, de religion, « d’ethnie », et non de
volonté citoyenne de vivre ensemble. Les
Roms, les minorités russophones ou
magyares par exemple, sont assez rarement
considérés comme citoyens à part entière
dans le discours socialement dominant,
même si des progrès considérables ont été
accomplis dans divers pays (République
tchèque, Slovaquie, Hongrie) au plan de la
prise de conscience par les autorités du
statut discriminatoire des Roms en particulier et des mesures à prendre pour y
remédier. Quatrièmement, il ne faut pas
sous-estimer la recrudescence inquiétante
des actes et discours antisémites, du fait des
acteurs traditionnels (extrême-droite) mais
aussi de nouveaux acteurs (islamistes), voire
d’une fraction de la gauche et de l’extrêmegauche chez qui la critique, qu’on peut juger
légitime, des actions du gouvernement israélien, se transforme parfois en remise en
cause ou en négation du droit d’Israël à
exister en tant qu’Etat, voire en des formulations proprement antisémites sous couvert
d’antisionisme. D’une manière générale, la
transposition dans le débat politique
national de certain pays (singulièrement en
France), des termes du conflit israélo-pales-
tinien, la place médiatique de plus en plus
importante occupée par les accusations
mutuelles d’antisémitisme et d’islamophobie que se lancent représentants des
communautés juive et musulmane et le
débat autour de la criminalisation des discours islamophobe et antisioniste,
contribuent à affaiblir l’intégration, la cohésion des sociétés et la laïcité. Ces nouvelles
expressions du discours xénophobe et antisémite doivent faire l’objet d’une attention
toute particulière, tant au plan juridique
qu’à celui de la pédagogie de la tolérance.
Dans quasiment tous les pays évoqués, il
parait évident que la raison fondamentale de
l’expression du discours xénophobe et antisémite est la crainte que suscite,
principalement chez les individus socialement ou économiquement fragilisés, la
transformation de sociétés relativement
homogènes ethniquement et religieusement
en sociétés inéluctablement amenées à
muter vers le pluriculturalisme. L’acceptation de celui-ci, la gestion des conflits qu’il
engendre par le biais d’une politique d’intégration, l’établissement d’un nécessaire
équilibre entre respect des spécificités individuelles et citoyenneté, sont les principaux
défis que posent l’existence d’une Europe
élargie et d’une manière plus générale, la
mondialisation des échanges.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
51
IV. Annexes
Programme
Présentation publique sur l’utilisation d’éléments racistes, anti-sémites et xénophobes
dans le discours politique
Paris, Bureau du Conseil de l’Europe, 21 mars 2005
14h30 : Ouverture
par M. Terry Davis,
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
14h45 : Présentation de l’étude sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le
discours politique
par M. Jean-Yves Camus,
politologue et auteur de l’étude
15h : Présentation de la Déclaration de l’ECRI sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et
xénophobes dans le discours politique
par M. Michael Head,
Président de l’ECRI
15h15 : Le rôle des hommes et des femmes politiques dans la lutte contre le racisme, la xénophobie,
l’antisémitisme et l’intolérance
par Mme Tana de Zulueta,
membre de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe
15h30 : Discussion avec les participants (et questions des représentants des médias)
17h30 : Clôture
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
55
Liste des participants
Intervenants
Participants
Mr Terry Davis
Secretary General of the Council of Europe,
F-67075 Strasbourg Cedex
Mr Michael Head
Chair of ECRI, Rustlings, Castle Road,
Horsell, GB-Woking, Surrey
Monsieur Jean-Yves Camus
politologue,
21, rue Robert et Sonia Delaunay,
75011 Paris
Ms Tana de Zulueta
Member of the Parliamentary Assembly of
the Council of Europe, Senato della Repubblica, Piazza S. Eustachio 83, I-00186 Roma
Mr Sergey Belyaev
Moscow Bureau for Human Rights, Bolshoy
Golovin Pereulok 22, Building 1, PO Box 6,
RU-115455 Moscow
Ms Liz Fekete
Monsieur Mohamed Boukry
Représentant du UNHCR en France, 9 rue
Keppler, F-75016 Paris
Monsieur Régis de Gouttes
Mr Alexander Brod
Moscow Bureau for Human Rights, Bolshoy
Golovin Pereulok 22, Building 1, PO Box 6,
RU-115455 Moscow
Ms Michèle Buteau
United Nations Office of the High Commissioner for Human Rights – Research and
Right to Development Branch, Palais
Wilson, 52, rue des Paquis, CH-1201 Geneva
Mr Boriss Cilevics
Member of the Parliamentary Assembly of
the Council of Europe, Saeima, Jekaba iela
10/12, LV-1811 Riga
Madame Elisabeth Cohen-Tannoudji
Conseil représentatif des Institutions juives
de France (CRIF), Espace Rachi, 39, rue
Broca, F-75005 Paris
Monsieur Serge Cwaigenbaum
Secrétaire général, Congrès juif européen,
78, avenue des Champs Elysées, F-75008
Paris
Deputy Director, Institute for Race Relations, 2-6 Leeke Street, GB-London
WC1X 9HS
Premier avocat général à la Cour de Cassation, Membre du Comité des Nations Unies
pour l’élimination de la discrimination
raciale, Cour de Cassation, 5 Quai de l’Horloge, F-75001 Paris
Monsieur Karl Grünberg
Association Romande contre le Racisme,
Case Postale 328, CH-1000 LAUSANNE 9
Monsieur Jérôme Jamin
Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (CEDEM), boulevard du Rectorat, 7,
4000 Liège 1, Belgium
Ms Michelynn Lafleche
Director, The Runnymede Trust, Suite 106,
The London Fruit and Wool Exchange,
Brushfield Street, GB-London E1 6EP
Mr Serguei Lazarev
Chief of Section, Fight against Discrimination and Racism Section, Division of Human
Rights and Fight against Discrimination,
UNESCO, 1, rue Miollis, F-75732 Paris
Monsieur Roger Linster
Monsieur Samir Djaiz
Président, Plate-forme Migrants Citoyenneté européenne, 76 Rue d’Assas, F-75006
Paris
Ms Amina Ek
Director, Center against Racism, Sveavägen
59, Box 3388, S-103 68 Stockholm
Monsieur Ali El Baz
Association des Travailleurs Maghrébins de
France, 10 Rue Affre, F-75018 Paris
Membre de l’ECRI, 14, rue Siggy vu Letzebuerg, L-1933 Luxembourg
Mr Diego Lorente
Director, SOS Racismo, Campomanes 13, 2d
izq., E-28013 Madrid
Monsieur Saimir Mile
Centre AVER de Recherche et d’Action sur
toutes les formes de racisme, 31, rue La Fontaine, F-75016 Paris
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
57
Mr Azim Mollazade
Member of the Parliamentary Assembly of
the Council of Europe, Parliamentary Ave. 1,
AZR-Baku AZ1152
Mr Aaron Rhodes
Executive Director, International Helsinki
Federation for Human Rights, Wickerburggasse 14/7, A-1080 Vienna
Mr Ucha Nanuashvili
Executive Director, Human Rights Information and Documentation Center, 89/24
Agmashenebeli Ave, GE-Tbilisi 380002
Mr Luciano Scagliotti
Centro di Iniziativa per l’Europa, Via Conte
Verde 9, I-10122 Torino
Mr Jud Nirenberg
Chief Executive Officer, European Roma
and Travellers Forum, Council of Europe, F67075 Strasbourg
Mr Theodoros Pangalos
Member of the Parliamentary Assembly of
the Council of Europe, 16-18 Pireos Str., GR10431 Athens
Professor Andrzej Sicinski
Member of ECRI, Fundacja Kultury, Piekna
1 B, PL-00 539 Warsaw
Monsieur Mohamed Smida
Association des Tunisiens en France, 130 rue
du Faubourg poissonnière, F-75010 Paris
Ms Eva Sobotka
European Monitoring Centre on Racism and
Xenophobia, Rahlgasse 3, A-1060 Vienna
Ms Nafsika Papanikolatos
Greek Helsinki Monitor, Minority Rights
Group, Greece, PO Box 60820, GR-15304
Glyka Nera
Ms Winnie Sorgdrager
Vice-Chair of ECRI, President of the
Council for Culture, R.J., Schimmelpenninklaan 3, NL-2517 JN THE HAGUE
Mr Mirek Prokes
United for Intercultural Action, c/o Duha,
Senovazné nam. 24, CZ-11647 Praha
Mme Catherine Teule
Secrétaire Générale de la Ligue des Droits de
l’Homme (LDH), 138-140, rue Marcadet,
75018 Paris
Ms Nav Purewall
Office for Democratic Institutions and
Human Rights, Aleje Ujazdowskie 19, PL00557 Warsaw
Monsieur Alex Uberti
Centre Simon Wiesenthal, 64 avenue Marceau, F-75008 Paris
Mr Zoran Pusic
Civic Committee for Human Rights, Ulica
Grada Vukovara 35 street, HR-Zagreb
Mr Bashy Quraishy
Chair, European Network against Racism
(ENAR), Nyelandsvey 53, DK-2000 Frederiksberg
Ms Isil Gachet
Executive Secretary, European Commission
against Racism and Intolerance, Directorate
General of Human Rights, Council of
Europe, F-67075 Strasbourg Cedex
58
Mr Jaap van Donselaar
Anne Frank House, Westermarkt 10, PO
Box 730, NL-1000 AS Amsterdam
Mr Patrick Yu
Executive Director, Northern Ireland
Council for Ethnic Minorities (NICEM),
24-31 Shaftesbury Square, Northern Ireland,
GB-Belfast
Ms Heike Klempa
Responsible for relations with civil society,
European Commission against Racism and
Intolerance
Secretariat
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
Déclaration de l’ECRI sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et
xénophobes dans le discours politique
(adoptée le 17 mars 2005)
La Commission européenne contre le
racisme et l’intolérance (ECRI), étant fermement convaincue que la tolérance et le
pluralisme constituent les fondements de
sociétés véritablement démocratiques et que
la diversité enrichit considérablement ces
sociétés :
— Condamne l’utilisation d’éléments
racistes, antisémites et xénophobes dans le
discours politique
— Souligne que de tels discours sont éthiquement inacceptables
— Rappelle l’histoire de l’Europe, qui nous
enseigne que les discours politiques qui incitent à la haine et aux préjugés religieux, ethniques ou culturels représentent un
immense danger pour la paix sociale et la
stabilité politique et conduisent inévitablement au malheur des populations dans leur
ensemble
— Est inquiète par les conséquences que ce
type de discours entraîne sur le climat
général dans l’opinion publique en Europe
— Est profondément préoccupée par le fait
que l’utilisation de discours politiques
racistes, antisémites et xénophobes n’est
plus confinée à la sphère des partis politiques extrémistes, mais contamine de plus
en plus les partis politiques traditionnels,
avec le risque de rendre légitime et de banaliser ce type de dis-cours
— Note avec une grande préoccupation que
ce type de discours véhicule des préjugés et
des stéréotypes envers les non-ressortissants et les groupes minoritaires et renforce
ainsi la tournure raciste et xénophobe que
prennent les discussions concernant l’immigration et l’asile
— Note avec une grande préoccupation que
ce type de discours véhicule souvent une
image déformée de l’islam, destinée à faire
percevoir cette religion comme une menace,
et que l’antisémitisme continue à être
encouragé, de manière ouverte ou codée, par
certains partis et dirigeants politiques
L’ECRI déplore le fait qu’en raison de
l’utilisation de discours politiques racistes,
antisémites et xénophobes :
— Des mesures mal conçues, qui se répercutent de manière disproportionnée sur certains groupes ou influent sur leur capacité à
jouir, dans les faits, de leurs droits de
l’homme, sont adoptées
— La cohésion sociale est mise en danger
— La discrimination raciale gagne du
terrain
— La violence raciste est encouragée
Face à cette situation, l’ECRI souligne
que les partis politiques peuvent jouer un
rôle essentiel dans la lutte contre le racisme
en formant et en orientant l’opinion
publique d’une manière positive. Elle
suggère les mesures pratiques suivantes :
— Les mesures d’autorégulation qui
peuvent être prises par des partis politiques
ou des parlements nationaux
— La signature et l’application de la Charte
des partis politiques européens pour une
société non raciste, qui encourage une attitude responsable à l’égard des problèmes de
racisme, qu’il s’agisse de l’organisation
même des partis ou de leurs activités dans le
domaine politique
— La mise en œuvre effective des dispositions de droit pénal réprimant les crimes
racistes (y compris celles qui établissent le
motif raciste comme une circonstance
aggravante) et la discrimination raciale, qui
s’appliquent à tous les individus
— L’adoption et l’application de mesures
sanctionnant les dirigeants de tout groupe
qui encourage le racisme ainsi que le soutien
à un tel groupe et la participation à ses activités
— L’instauration de l’obligation de priver
de fonds publics les organisations qui incitent au racisme, y compris de supprimer le
financement des partis politiques
L’ECRI appelle les partis politiques à formuler un message politique clair favorable à
la diversité et au pluralisme dans les sociétés
européennes.
L’ECRI appelle avant tout à un exercice
courageux et efficace de l’autorité politique,
qui respecte et promeut les droits de
l’homme.
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
59
Charte des partis politiques européens pour une société non raciste
(Utrecht, 28 février 1998)
Nous, partis politiques démocratiques
européens,
Considérant les instruments internationaux de sauvegarde des droits de l’homme
signés et ratifiés par les Etats membres de
l’Union Européenne, notamment la Convention des Nations Unies sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale,
Considérant la définition de la discrimination raciale de l’article premier de ladite
convention comme « … toute forme de distinction, d’exclusion, de restriction ou de
préférence basée sur la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de
détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des
conditions d’égalité, des droits de l’homme
et des libertés fondamentales dans les
domaines politique, économique, social et
culturel ou dans tout autre domaine de la vie
publique … »,
Considérant le préambule de l’Acte
unique européen, dans lequel les Etats
membres de la Communauté européenne
s’engagent à travailler ensemble à la promotion d’une démocratie basée sur les droits
fondamentaux reconnus par les constitutions et législations des Etats membres, la
Convention de Sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés Fondamentales et
la Charte sociale européenne,
Considérant le Traité d’Amsterdam, qui
permet à la Communauté européenne
« … d’entreprendre les actions nécessaires à
la lutte contre toute forme de discrimination
basée sur … l’origine raciale ou ethnique, les
convictions religieuses et autres … » et facilite la coopération policière et judiciaire en
matière de lutte contre le racisme et la xénophobie dans le cadre de l’Union européenne,
Reconnaissant que les droits fondamentaux protégés par les instruments internationaux de sauvegarde des droits de
l’homme tels que signés et ratifiés par les
Etats membres comprennent le droit à
l’expression et au débat politique libre et
sans entraves,
Soucieux du fait qu’aux termes de ces
mêmes instruments de sauvegarde des
droits de l’homme, les libertés politiques
trouvent leurs limites dans le droit également fondamental à la protection contre la
discrimination raciale et que, de ce fait, il ne
peut en être abusé en vue d’exploiter, de
provoquer ou de susciter des préjugés basés
sur la race, la couleur, l’origine ethnique ou
la nationalité ou dans le but de gagner les
faveurs de l’électorat,
Conscients des tâches et responsabilités
spécifiques des partis politiques en tant
qu’acteurs d’un processus politique démocratique, à savoir: assurer la défense,
l’expression et le respect des principes de
base d’une société démocratique; servir de
plate-forme de discussion sur des thèmes
pouvant faire l’objet de divergences d’opinions, intégrant diverses vues dans le
processus de prise de décision politique,
permet-tant ainsi à la société de résoudre les
conflits d’intérêts et d’opinions existant
entre les divers groupes sociaux par le dialogue plutôt que par l’exclusion et le conflit;
procéder à une sélection de représentants à
divers niveaux en vue de leur participation
active au processus politique,
Convaincus de ce que la liberté d’usage
de nos droits politiques peut et doit aller de
pair avec un strict respect du principe de
non-discrimination et est inhérente au processus démocratique en lui-même,
Convaincus également que la représentation des groupes ethniques minoritaires
dans le processus politique fait partie intégrante du processus démocratique, les partis
politiques formant un reflet de la société ou
devant s’efforcer de le faire,
Nous nous engageons à adhérer aux principes déontologiques suivants:
— Défense des droits de l’homme et des
principes démocratiques fondamentaux et
rejet de toute forme de violence raciste, de
toute incitation à la haine et à la persécution
raciales et de toute forme de discrimination
raciale.
— Refus d’afficher, de publier ou de faire
publier, de distribuer ou d’adopter en
quelque façon toutes vues et positions susceptibles de susciter ou d’encourager, ou
pouvant être raisonnablement considérées
comme susceptibles de susciter ou d’encourager les préjugés, l’hostilité ou la division
entre les peuples d’origines ethniques ou
nationales différentes ou entre les groupes
représentants de croyances religieuses diffé-
L’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique
61
rentes. Réactions fermes envers toutes les
expressions de sentiments ou comportements racistes dans nos propres rangs.
— Traitement responsable et équitable de
tous les thèmes sensibles relatifs à de tels
groupes en évitant leur stigmatisation.
— Refus de toute forme d’alliance ou de
coopération politique à tout niveau avec
tout parti politique incitant à la haine
raciale et aux préjugés ethniques ou tentant
de les susciter.
— Promotion d’une représentation équitable des divers groupes mentionnés cidessus, à tous les niveaux des partis,
62
incluant une responsabilité spécifique à la
direction du parti dans l’encouragement et
le soutien au recrutement de candidats à des
fonctions politiques ou à l’adhésion, de ces
groupes.
Nous nous engageons en outre à entre-
prendre toutes les actions nécessaires afin
de nous assurer que toute personne travaillant à nos campagnes électorales ou
autres activités ou y étant associée en
quelque façon soit toujours consciente des
principes susvisés et agisse de tout temps en
conséquence.
ECRI : Commission européenne contre le racisme et l’intolérance