Paul Delvaux, un peintre surréaliste ? Paul Delvaux était

Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Paul Delvaux, un peintre surréaliste ?
Paul Delvaux était-il un peintre surréaliste, ou un héritier tardif du symbolisme ? Avec l'historien de
l'art Xavier Canonne, et à l'occasion de l'exposition « De demain à Delvaux », quelques réflexions sur
la place occupée dans l'art belge par le peintre de La Genèse, fresque murale conçue par Delvaux pour
l'Institut de Zoologie de l'Université de Liège.
Pour ouvrir ses salles d'expositions temporaires, le nouveau Grand Curtius expose sur deux niveaux une
septantaine d'œuvres du peintre Paul Delvaux (Antheit, 1897 - Furnes,1994), centrées sur le monde ferroviaire
et l'univers des gares.
On y retrouve des huiles de grand et moyen format, dont certaines bien connues, comme « L'Âge du
fer » (1951, Musée d'Ostende) ou « La gare forestière » (1960, Fondation Delvaux, Saint-Idesbald). Mais
également des aquarelles, paysages urbains réalisés à Watermael, Statte, Marchin, Spa... ainsi que des
études sur papier à l'encre de chine, et des carnets de croquis. Des années 20 jusqu'à la fin des années
70, ces œuvres proposent un voyage thématique cohérent, illustratif de l'importance de ce thème du chemin
de fer, en toile de fond ou comme élément principal, chez Paul Delvaux.
Parmi les auteurs du catalogue de l'exposition figure Xavier Canonne, historien du surréalisme et directeur
du Musée de la Photographie à Charleroi. Il évoque ici la place occupée par Delvaux dans l'art belge, qu'il
situe à l'écart du surréalisme.
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 08/02/2017
-1-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Delvaux a été exposé à ses débuts aux côtés de Magritte, par son ami E. L. T. Mesens notamment, luimême membre du groupe surréaliste bruxellois, et salué par des écrivains comme Breton et surtout
Eluard. Mais est-il membre du groupe surréaliste belge à part entière ?
Les surréalistes français, Éluard et Breton notamment, ont un peu eu tendance à le considérer comme un
des leurs, le connaissant très peu et ne le fréquentant pas, s'attachant essentiellement à ses images. Les
surréalistes belges avaient une connaissance toute différente du personnage - rappelons que Magritte et
Delvaux se sont fréquentés dès leurs années d'académie, fin des années 1910, début des années 1920, et
qu'ils se sont cotoyés tout au long de leur vie.
Il faut séparer deux choses, la peinture et l'attitude. Delvaux n'a jamais fait partie du mouvement
surréaliste, on ne retrouve son nom qu'épisodiquement dans des revues surréalistes, et il n'a jamais été un
collaborateur actif et coopérant. Il existe un point de jonction, en 1940, lors de la publication des deux numéros
de la revue « L'Invention collective », où il apparaît, sans doute un peu à l'instigation des surréalistes français.
À côté de cela, il y a l'attitude elle-même. Delvaux n'a pas marqué d'intérêt personnel pour la chose politique, ni
pour l'activité de groupe, militante, provocante, parfois dangereuse, qui sont les marques du groupe surréaliste
belge. Delvaux était un homme sans doute très timide, tourné vers lui-même et touché par son modèle intérieur,
et il a radicalement échappé à l'engagement surréaliste tel qu'on le conçoit ici en Belgique.
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 08/02/2017
-2-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
Mais Delvaux a subi néanmoins l'influence de peintres surréalistes, tels que Chirico ou même Magritte.
Delvaux s'est positionné à certains moments, vis-à-vis de sa clientèle, de son public, de certains critiques d'art,
comme un surréaliste. Mais à d'autres moments où le surréalisme faisait scandale, où cela pouvait choquer son
public, il a pris ses distances. Son attitude a été, jusqu'aux années 1950 en tout cas, assez ambigüe. Au-delà, il
a clairement dit dans certains articles ou interviews, qu'il n'était pas surréaliste. Mais son univers pictural, c'est
vrai, prend clairement ses racines chez Chirico, et plus tardivement, vers 1936-37, dans l'expressionnisme.
Il y a chez Delvaux une forme de théâtralisation d'un univers onirique, qui le rapproche de Chirico.
Oui, et il y a chez Delvaux une composante supplémentaire, celle de l'enseignement de ses professeurs,
beaucoup plus présente que chez Magritte qui s'en est rapidement démarqué, et est entré très vite dans la
modernité. La composante symboliste - et pas symbolique - de Constant Montald et Jean Delville, qui furent
les professeurs de Delvaux, a beaucoup plus compté que pour Magritte. Cette théâtralisation me paraît un
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 08/02/2017
-3-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
élément de cette volonté de Delvaux à introduire un récit dans ses tableaux. Il y a chez lui une narrativité
constante, alors que Magritte privilégie l'idée-choc. Un tableau de Delvaux est une scène fermée, comme celle
d'un théâtre, où tous les éléments sont présentés devant le spectateur. Chez Magritte, il s'agit davantage de
poser une question.
Paul Delvaux place St-Lambert à Liège © Fondation Delvaux, Saint-Idesbald/PG
L'érotisme de Delvaux est-il un point de convergence avec d'autres surréalistes ?
Delvaux a beaucoup peint les femmes, mais il a aussi toujours peint la même, pour reprendre les mots d'Éluard.
Quand on voit la représentation de la femme chez des surréalistes belges comme Marcel Mariën, Léo Dohmen,
ou Magritte, l'érotisme de Delvaux est assez « soft ». On sait aujourd'hui que cela vient notamment de son
enfance, et de l'image d'une mère qui lui a longtemps été présentée comme une sœur. Chez les surréalistes,
l'érotisme est une arme de provocation, un gros mot ou un coup de poing. C'est une manière d'exposer la
nudité pour provoquer des réactions. Beaucoup moins chez Delvaux, dont pourtant certaines peintures ont pu
choquer à son époque, entre autres le futur pape Jean XXIII. L'œuvre de Mariën a connu jusqu'à des temps
relativement proches la censure, mais on voit mal une femme de Delvaux affublée d'un cache-sexe...
L'imaginaire de Delvaux se féconde, également, de la culture classique, des mythologies grecques
et latines.
Certainement, avec ce que cela comporte d'intemporalité. Les œuvres de Delvaux se situent souvent dans
des lieux figés, villes, gares, théâtres urbains. L'apport des villes antiques, des colonnes grecques et des
chapiteaux nous ramènent à Chirico. Et cela a certainement faussé le regard de nombreux jeunes peintres,
qui ont cru qu'il suffisait de peindre une femme nue dans un décor de théâtre et des ambiances nocturnes pour
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 08/02/2017
-4-
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
être un surréaliste. L'œuvre de Delvaux est une œuvre classique et, tout préjugé ou considération esthétique
mis à part, je la considère comme une survivance du symbolisme au XXe siècle.
Solitude, 1955 © Collection de l'Etat belge, Communauté française de Belgique/PG
Propos recueillis par Alain Delaunois
Mars 2009
Alain Delaunois est journaliste culturel à la RTBF, et enseigne la pratique de la critique culturelle au
département des Arts et Sciences de la Communication.
Exposition « De demain à Delvaux »
Grand Curtius
Féronstrée 136, 4000 Liège
Tous les jours de 10 à 18h, sauf mardi, jusqu'au 28 juin
Infos : www.destinationsdelvaux.be
Catalogue, sous la direction de Régine Rémon, Éd. Luc Pire, 144 p.
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 08/02/2017
-5-