Intoxication par la paraphenylène diamine (PPD)
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Intoxication par la paraphenylène diamine (PPD)
Intoxication par la paraphenylène diamine (PPD) N. Rhalem, A. Ababou, L. El Bekkali, R. Soulaymani Bencheikh, A. Sbihi 1. Cas clinique : Une patiente âgée de 20 ans, est admise aux urgences d’une clinique privée dans un tableau de détresse respiratoire avec œdème de Quinke et une macroglossie importante. La famille rapporte qu’elle leur a avoué avoir tenté de se suicider en ingérant, 2 heures auparavant, une solution à base d’un colorant de cheveux ; le takaout. Après sa mise en condition, le médecin traitant a appelé le Centre Anti Poison pour discuter le cas et demander si un antidote contre ce produit était disponible. 2. Introduction : La paraphenylène diamine est appelée en arabe « takaout roumia » par analogie à la gale de tamaris « takaout beldia » qui est une plante qui pousse dans le sud du Maroc, utilisée dans les tanneries, pour colorer les cheveux t comme abortive. C’est un toxique lésionnel qui génère une intoxication systémique grave, dont la principale manifestation clinique est la rhabdomyolyse précédée généralement de troubles digestifs. Les conséquences rénales, cardiaques, métaboliques et surtout respiratoires décident de sa gravité. En effet le syndrome asphyxique apparaît en premier et est parfois le seul motif de consultation. Le pronostic vital peut être radicalement modifié par une prise en charge pré-hospitalière adéquate. 3. Présentation du produit : La paraphenylène diamine (PPD) est une amine aromatique utilisée dans la fabrication des matières colorantes (teinture des fourrures, noir azidine, bleu et violet de PPD…), comme révélateur photographique, dans l’industrie des cosmétiques, dans le tatouage des pieds et des mains en Asie. Au Maroc, elle est utilisée comme teinture noire pour les cheveux (adjuvant au henné). En milieu industriel, sa concentration admissible moyenne est de 0.1mg/m3. La formule chimique de la PPD est 1,4-benzènediamine ou p-diaminobenzène : C6H4 (NH2)2. Le nom commercial étant Ursol D; Orsin ou CI 76076. La PPD se présente sous forme de cristaux incolores noircissants à l’air libre d’où l’appellation marocaine de « Hajra Kahla ». Ce produit est en vente libre chez l’herboriste qui se le procure de façon illicite. La dose toxique chez l’adulte est estimée à 3g. 4. Epidémiologie : Durant la période allant de 2000 à 2005, le centre Anti Poison a recensé à travers les fiches de 1 toxicovigilance, 289 cas d’intoxications à la paraphénylène diamine, ce qui représente 1.02% de l’ensemble des intoxications. La femme est touchée dans 81% des cas avec un sexe ratio (m/f) de 0.24. L’age moyen est de 24.6 an ±11.19 allant de 1 à 70 ans. La circonstance suicidaire est la plus retrouvée, avec 83.4%. Le décès a été observé dans 19.4% des cas. 5. Mécanisme de toxicité : Le mécanisme d’action de La PPD est très discuté. La PPD est classée parmi les toxiques lésionnels. Elle entraîne une peroxydation des lipides membranaires qui va générer une quinone très réactive et néphrotoxique. L’oxydation de la quinone donne la base de Bandrowski responsable d’anaphylaxie. La composante allergique est responsable d’un œdème oropharyngolaryngé. L’allergie de contact a été constatée chez certains patients après application de « Henné noir » qui est en fait du Henné mélangé à la PPD. La toxicité musculaire est liée à une action directe. Les benzoquinones dérivés oxydés de la PPD seraient responsables d’une nécrose musculaire. Les perturbations métaboliques et l’élimination de métabolites et enzymes produits par la rhabdomyolyse aboutissent secondairement à une insuffisance rénale aigue qui peut être également secondaire à l’hypovolémie et à l’action tubulaire de la PPD. Par ailleurs, et comme toutes les amines aromatiques, la PPD entraîne une méthémoglobinémie. L’atteinte cardiaque est liée à une atteinte directe du myocarde mais également à une atteinte indirecte, secondaire aux complications circulatoires et aux troubles métaboliques de la lyse musculaire. 6. Conduite à tenir diagnostique : 6.1. Diagnostic clinique: Le tableau clinique décrit une toxicité systémique spectaculaire. Un contexte révélateur est généralement présent (doigts teintés en noir lors de la manipulation de la PPD, aveu d‘intoxication, urines noirâtres) On décrit toujours un délai d'apparition des symptômes qui varie généralement de 1h à 10h après ingestion. La symptomatologie décrite comprend : • • • • • • • Un œdème cervico-facial: larynx puis la langue, la face (paupières et joues) et le cou. C’est un oedème chaud et douloureux, prurigineux infiltrant les tissus sous cutanés et les couches profondes de la peau responsable d’une asphyxie. Un syndrome asphyxique : précédé d’un prodrome (sensation de brûlures bucco pharyngées, sialorrhée, troubles digestifs, vertiges, trismus), il est fait d’une dyspnée constante (c’est souvent le premier symptôme à apparaître et peut constituer le motif de consultation), générée par l’œdème cervical et la macroglossie. Un syndrome musculaire (Rhabdomyolyse) : secondaire à une nécrose étendue des muscles striés, à type de myalgies, œdème des muscles squelettiques, impotence fonctionnelle hyperalgique et tétanie. Une atteinte rénale constante, peut aller de l’oligurie à l'insuffisance rénale anurique, d’abord hypovolémique puis par obstruction tubulaire. Une méthemoglobinemie : cyanose ardoisée, grisâtre ou franchement bleuâtre. Une atteinte hépatique : nécrose du foie révélée lors d’autopsie. Une atteinte myocardique : se voit en cas d’intoxication massive, pouvant aller jusqu’à la nécrose myocardique et pouvant se compliquer d’un choc cardiogénique. 2 A l’électrocardiogramme (ECG) : trouble de repolarisation, anomalies du segment ST, ondes Q, arythmies. L’atteinte cardiaque est liée à une lourde mortalité. 6.2. Diagnostic para clinique : 6.2.1. Analyse toxicologique : l’identification de la PPD peut se faire dans les milieux biologiques : Liquide gastrique, urines, sang. 6.2.2. Analyses biologiques : dosage des enzymes musculaires : CPK qui deviennent > 30 000 UI, LDH, Troponine I, Kaliémie …. et des autres stigmates de lyse musculaire (myoglobinémie, myoglobinurie …) Bilan à la recherche de : • Insuffisance rénale, • Hyperkaliémie, • Hypocalcémie, • Hyperphosphorémie, • hyperuricémie, 6.2.3. Autres examens ECG: Troubles de repolarisation, anomalies du segment ST, ondes Q, arythmies … • Echocardiographie…. • 7. Traitement : Pas d’antidote de la PPD. Le traitement consiste en une prise en charge immédiate des voies aériennes supérieures (VAS) puis de la rhabdomyolyse et de ses conséquences. 7.1. Premier temps : dans une structure non spécialisée : La prise en charge du patient dans des structures de soins non spécialisées consiste à assurer la liberté des voies aériennes supérieures par une intubation orotrachéale sous sédation si l’œdème cervico-facial n’est pas encore installé ou une intubation nasotrachéale sans sédation si l’œdème cervico-facial est déjà installé. Une trachéotomie s’impose si l’intubation est impossible. L’épuration du toxique vise à diminuer la charge du toxique, par un lavage gastrique systématique, précoce et abondant par sonde naso-gastrique (> 6litres de Sérum salé 9‰) et un lavage des mains teintées de PPD. Le charbon activé est discuté. Une diurèse alcaline est préconisée : • Remplissage vasculaire par du Sérum salé 9‰, 500 ml / 3-4 h. • Alcalinisation : Sérum Bicarbonaté : 14‰ 250 ml/6 h, pH urinaire / 4 h si < 6 : ajouter du Sérum Bicarbonaté à 14‰ 250 ml. Par ailleurs, d’autres traitements symptomatiques sont entrepris à savoir : • Un corticoïde : 120 mg de méthylprednisolone en IVD pour traiter l’œdème. • Une sédation si elle s’avère nécessaire. • Pose d’une sonde urinaire. A ce stade, et vu le risque d’hypovolémie, la prescription de diurétiques est proscrite. Si le patient nécessite un transfert vers un service de réanimation, il doit se faire dans un transport médicalisé. 3 7.2. Deuxième temps : En milieu de réanimation : La prise en charge en milieu de réanimation vise à compléter ou à instaurer les mesures précédemment décrites et notamment : • La vérification et le maintien de l’intubation ou de la trachéotomie. • Le lavage gastrique sera refait. • Des prélèvements toxicologiques seront effectués: liquide gastrique, sang, urines. • L’administration de méthylprednisolone (120 mg en IVD toutes les 6h) sera maintenue jusqu’à disparition de l’œdème. • La lutte contre les effets de la rhabdomyolyse, de l’insuffisance rénale de l’hypovolémie et de l’hyperkaliémie : Diurèse alcaline (3 - 4 jours) à maintenir à : 1,5-2 ml/kg/h, pH urinaire>6. Si la diurèse est < 1 ml /kg/h, Un monitorage de la volémie sera effectué par mesure de la pression veineuse centrale (PVC) Si la PVC est élevée : Furosémide 40 mg / 6h, Si oligurie : Furosémide 250 mg /6h, l’épuration extra rénale est indiquée dans ces cas d’insuffisance rénale anurique. Si la PVC est basse : Sérum salé 9‰. En cas d'hypertonie des membres secondaire à la rhabdomyolyse, pas d'aponévrotomie car risque infectieux important. Une analgésie à base de morphine 10 mg / 6h / SC peut être envisagée. • Lutte contre la méthémoglobinemie. Oxygénation contrôlée par la gazométrie Vitamine C : 1000 mg IV /j Bleu de méthylène en IV • Correction de l'hypovolémie et de l'acidose. • Si l’état de choc persiste (Choc cardiogénique) avec pression veineuse centrale (PVC) élevée, œdème aigu du poumon (OAP), Troubles à l’ECG : drogues inotropes : dobutamine 10 – 15 µg/kg/h. • Sevrage respiratoire et extubation après régression totale de l'œdème : L’inefficacité du carrefour oro-pharyngé peut persister plusieurs jours et constituer une cause d’échecs d'extubation, • Traitement des complications : Hypocalcémies : 1-2 mg/Kg/h de Ca ++ Hypophosphorémies Hypokaliémies : apport en K+ Equinisme : Rééducation A la sortie : Prise en charge psychiatrique. Echographie pelvienne pour éliminer une grossesse. Suivi des intoxiqués sur plusieurs mois : • Fonction rénale : Créatinine - Urée • Fonction cardiaque : ECG Références : 1. Baud F.J., Gaillot M., Cantineau J.P. et all. Rhabdomyolyse au cours d’une intoxication aigue par la paraphénylène diamine, J Tox Med 1984 ; 4 :279-283. 4 2. Bellakhdar J. Médecine arabe ancienne et savoir populaire. Pharmacopées traditionnelles marocaines. Ibis presse, 1997. pp : 510-512 et 614. 3. Lawerys RR., Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles. 4ème édition. Paris, Masson 1999. Pp : 432-445. 4. Ashraf W., Dawling S., Farrow IJ., Systemic paraphenylene diamine poisoning, case report and review.Hum Exp Toxicol. 1994 ; 13 : 167-170. 5. Zeggwagh AA., Abouqal R., Zerkouni R., Madani A., Hanafi M., Kerkeb O. Myocardite toxique due à la PPD, à propos de deux cas. Rev. Urgences. 1996 ; 5 : 699-703. PPD : Takkaout Roumia Takkaout beldia 5