Risques liés à l`exploitation descentrales nucléaires CANDU 6:

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Risques liés à l`exploitation descentrales nucléaires CANDU 6:
Risques liés à
l’exploitation descentrales
nucléaires CANDU 6:
La réfection de Gentilly-2 et ses implications globales
Novembre 2008
PAR GORDON R. THOMPSON
www.greenpeace.ca
Institute for Resource and Security Studies
Risques liés à l’exploitation des centrales
nucléaires CANDU 6: La réfection de Gentilly-2
et ses implications globales
Version française abrégée
PAR GORDON R. THOMPSON
Institute for Resource and Security Studies
Préparé sous le parrainage de
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© Novembre 2008
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PROPOS DE L’IRSS
RÉSUMÉ
L’IRSS (Institute for Resource and Security Studies), fondé en 1984 et basé
au Massachusetts, est un organisme indépendant sans but lucratif. Son but
est de promouvoir le développement durable en ce qui a trait à l’utilisation
des ressources naturelles et la sécurité humaine mondiale. Pour remplir cette
mission, l’IRSS réalise des analyses techniques et politiques, fait de l’éducation
populaire et a des programmes sur le terrain. Les projets de l’IRSS reflètent
toujours un souci de trouver des solutions pratiques aux problèmes liés aux
ressources et à la sécurité.
L’exploitation de toute centrale nucléaire génère des
risques. Les centrales CANDU 6 créent des risques
additionnels, car elles utilisent de l’uranium naturel comme
combustible ainsi que de l’eau lourde comme modérateur.
Un réacteur CANDU 6 pourrait subir une violente excursion
de puissance, amenant potentiellement des ruptures de
confinement et l’échappement de substance radioactive
dans l’environnement. Le combustible épuisé à la suite de
l’utilisation dans un CANDU 6 pourrait être détourné et utilisé
pour produire du plutonium pour des armes nucléaires. Ces
risques sont examinés dans le présent document en portant
une attention particulière aux plans d’Hydro-Québec de faire
la réfection de Gentilly-2 afin d’en poursuivre l’exploitation.
Cela mènerait à des risques radiologiques constants au
Québec et pourrait promouvoir la vente du CANDU 6 dans
d’autres pays, contribuant ainsi à augmenter les risques de
prolifération de l’arme nucléaire. Hydro-Québec est aussi
dans une situation risquée par rapport à la réglementation.
Des problématiques de sûreté pourraient hausser les coûts
de la réfection de Gentilly-2, rendant le projet encore moins
viable sur le plan économique qu’il ne l’est déjà. Le présent
rapport propose une systématique et publique approche
d’évaluation des risques liés à Gentilly-2.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Gordon R. Thompson est directeur général de l’IRSS ainsi que professeur
et chercheur à l’université Clark, à Worcester, au Massachusetts. Il a étudié
et pratiqué l’ingénierie en Australie, en plus de recevoir un doctorat en
mathématiques appliquées de l’université Oxford, en 1973, pour ses études
portant sur l’action de la fusion thermonucléaire sur le plasma. Le Dr Thompson
est établi aux États-Unis depuis 1979. Ses intérêts sur le plan professionnel
couvrent un vaste éventail de problématiques techniques et politiques liées
au développement durable et à la sécurité générale des humains. Il a mené
de nombreuses études sur l’impact des installations nucléaires sur le plan de
l’environnement et de la sécurité, et il a élaboré des stratégies possibles pour
réduire cet impact. Par exemple, Dr Thompson a préparé, en 2000, un rapport
pour le Comité sénatorial permanent de l’Énergie, de l’Environnement et des
Ressources naturelles, au Canada, concernant les risques d’accident posés
par la centrale nucléaire Pickering A.
REMERCIEMENTS
Ce rapport a été préparé par l’IRSS sous le parrainage de Greenpeace
Canada. Shawn-Patrick Stensil a aidé l’auteur en lui fournissant les informations
qui ont été utilisées dans la préparation de ce rapport. L’auteur, Gordon R.
Thompson, est entièrement responsable du contenu de la version anglaise du
présent rapport. Si celui-ci ou des parties de celui-ci étaient traduits en d’autres
langues, l’auteur ne pourrait être tenu responsable des erreurs de traduction.
Sommaire
Hydro-Québec prévoit la réfection de la centrale nucléaire de Gentilly-2 afin de la garder opérationnelle
jusqu’à 2040 environ. Ce plan implique trois types de risques qui n’ont pas été correctement évalués :
d’abord, le risque d’échappement, accidentel ou par malveillance, de substance radioactive; ensuite, le
risque que du combustible nucléaire épuisé soit détourné et serve à produire du plutonium pour des armes
nucléaires; finalement, le risque que soient adoptées des mesures de réglementation qui hausseraient les
coûts de la réfection de Gentilly-2. Ce rapport analyse ces trois types de risques et propose un moyen de
faire des évaluations systématiques et publiques des risques associés à Gentilly-2. Celles-ci pourraient
fournir aux citoyens du Québec, du Canada et du monde des informations importantes.
Contexte
Gentilly-2 est la seule centrale nucléaire en fonction au Québec et fournit environ 3 % de l’électricité de
la province. Elle a été commandée en 1983 et construite selon le design canadien connu sous le nom
de CANDU 6. Hydro-Québec prévoit que la réfection de Gentilly-2 engendrerait des coûts présentement
estimés à 1,9 milliard $ CA. Selon Hydro-Québec, le projet de réfection et de prolongation des activités est
peu viable sur le plan économique. L’exploitation de la centrale après la réfection doit être approuvée par la
Commission canadienne de la sûreté nucléaire (CCSN).
Énergie atomique du Canada limitée (EACL), une société d’État, a construit deux centrales CANDU 6 au
Canada : Gentilly-2 et la centrale de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick. De plus, neuf centrales CANDU
6 d’EACL sont en activité en Argentine, en Chine, en Roumanie et en Corée du Sud. EACL souhaite
construire de nouvelles centrales de ce type partout dans le monde et travaille en ce sens pour des projets
en Argentine, en Jordanie, en Roumanie, en Turquie et ailleurs.
Risques liés au design CANDU 6
Le concept de « risque » englobe la probabilité et l’importance de conséquences indésirables pour
les humains et pour l’environnement. L’exploitation de toute centrale nucléaire comporte des risques.
Les centrales de type CANDU 6 génèrent des risques supplémentaires à cause de certaines de leurs
caractéristiques de base, plus particulièrement l’utilisation d’uranium naturel comme combustible et d’eau
lourde comme modérateur et caloporteur. Ces caractéristiques créent des risques additionnels sur deux
plans. Tout d’abord, un réacteur CANDU 6 peut subir une violente excursion de puissance, ce qui pourrait
mener à des ruptures de confinement et à l’échappement de substance radioactive dans l’environnement.
Deuxièmement, il est relativement facile, dans une centrale CANDU 6, de détourner du combustible épuisé
afin de produire du plutonium pour des armes nucléaires.
La poursuite des activités de Gentilly-2 impliquerait des risques propres à cette centrale, au site de Gentilly, à
la gestion d’Hydro-Québec et au climat sociopolitique du Canada. Les risques associés à d’autres centrales
différeraient à plusieurs égards. Quoi qu’il en soit, les caractéristiques des centrales CANDU 6 constituent
un fil conducteur en ce qui a trait aux risques associés aux centrales CANDU 6 du monde entier. Le
directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a déclaré en octobre 2008 : « Les
fournisseurs de technologie nucléaire ont un devoir de diligence envers ceux qui utilisent cette technologie
et envers le monde en général. » La volonté d’Hydro-Québec de faire la réfection de Gentilly-2 donne au
Canada l’occasion de remplir son devoir quant au design CANDU 6.
1
Le risque d’un échappement accidentel de substance radioactive
Dans le contexte d’un échappement de substance radioactive accidentel, une centrale CANDU 6
partage plusieurs caractéristiques avec d’autres centrales nucléaires en fonction partout dans le monde.
Presque toutes sont des centrales de deuxième génération, et la plupart (80 %) fonctionnent grâce à des
réacteurs utilisant de l’eau légère comme modérateur et caloporteur. Les centrales construites dans les
prochaines décennies devraient être des centrales de troisième génération.
Toutes les centrales nucléaires présentement en fonction sont susceptibles d’être victimes d’un
échappement accidentel de substance radioactive, qu’il soit le résultat d’un accident ou d’une action
malveillante. Un tel échappement potentiel dépend d’aspects propres aux centrales, mais aussi
d’aspects largement similaires de l’une à l’autre. Par exemple, chaque centrale de deuxième génération
a une capacité relativement limitée de résister à une attaque menée par un groupe infranational bien
informé et disposant de ressources suffisantes.
Les centrales CANDU 6 sont, à plusieurs égards, représentatives des centrales de deuxième génération.
Toutefois, il y a un aspect pour lequel les centrales CANDU, y compris les centrales CANDU 6, se
distingue significativement de la plupart des centrales de deuxième génération. Les centrales CANDU
utilisent de l’uranium naturel (non enrichi) comme combustible et de l’eau lourde comme modérateur et
caloporteur. En conséquence, un réacteur CANDU a un coefficient de vide positif. Si le courant d’eau
réfrigérante vers son coeur était interrompu et que les systèmes d’arrêt étaient inefficaces, le réacteur
subirait une violente excursion de puissance qui menacerait l’intégrité de la structure de confinement. Un
tel événement s’est produit à l’unité 4 de Tchernobyl en 1986, ce qui a résulté en un grand échappement
de substance radioactive dans l’atmosphère. Tchernobyl 4 était une centrale RBMK, et non pas une
centrale CANDU, mais elle avait également un coefficient de vide positif.
EACL offre présentement une nouvelle version du concept CANDU, connue sous le nom d’ACR-1000.
Aucune centrale ACR-1000 n’a été construite à ce jour. Parmi les changements apportés dans le design
ACR-1000, on trouve l’utilisation d’eau légère, comme caloporteur principal, et d’uranium faiblement
enrichi. EACL espère qu’à la suite de ces changements, le coefficient de vide du ACR-1000 soit
légèrement négatif. Cet objectif, s’il est atteint par EACL, pourrait faire en sorte que le ACR-1000 puisse
obtenir une licence dans des pays qui n’accepteraient pas un coefficient de vide positif. Certains faits
indiquent également que la CCSN refuserait d’accorder une autorisation d’exploitation pour une nouvelle
centrale canadienne ayant un coefficient de vide positif. Ces problèmes d’autorisations d’exploitation
ont pu influencer la décision du gouvernement de l’Ontario d’exclure le CANDU 6 de la liste des
designs inclus dans l’appel d’offres pour la construction de nouvelles centrales nucléaires dans cette
province. Cette liste inclut présentement le ACR-1000, le design EPR d’AREVA ainsi que le AP1000 de
Westinghouse, les deux derniers étant des réacteurs à eau légère.
2
En 2000, l’AIEA a établi des standards internationaux pour le design de nouvelles centrales nucléaires.
Ces standards sont, à plusieurs égards, le « plus petit dénominateur commun » des standards fixés par
les organismes de réglementation nationaux. Quoi qu’il en soit, l’AIEA recommande que les centrales
aient un fonctionnement « intrinsèquement sûr ». Le design CANDU 6 n’atteint pas ce standard, à cause
de son coefficient de vide positif. De plus, les organismes de réglementation nationaux, y compris la
CCSN, commencent à exiger que les nouvelles centrales nucléaires aient certaines capacités de résister
à des actes de malveillance. Le design CANDU 6 est limité à cet égard. En conséquence, il deviendra de
plus en plus difficile d’obtenir une autorisation d’exploitation pour de nouvelles centrales CANDU 6 au
fur et à mesure que le niveau des standards de sûreté et de sécurité s’élèvera partout dans le monde.
L’AIEA encourage la tendance à imposer des standards plus rigoureux et plus uniformes parmi les
organismes de réglementation.
Le risque de détournement de combustible épuisé
EACL espère vendre le CANDU 6 à un certain nombre de pays. On peut supposer que ces pays
voient des avantages au CANDU 6 qui surpassent les risques tels qu’un coefficient de vide positif
et une vulnérabilité aux actes de malveillance. Il semble que le gouvernement turc y voie de tels
avantages. Dans les appels d’offres pour la construction de nouvelles centrales nucléaires en Turquie, le
gouvernement turc a précisé qu’il considérerait la construction de centrales de type CANDU seulement
dans la mesure où celles-ci fonctionneraient avec de l’uranium naturel, ce qui exclut le ACR-1000, mais
permet le CANDU 6.
Le fait que l’exploitation d’une centrale utilisant de l’uranium naturel ne nécessite pas l’achat de services
pour enrichir l’uranium constitue une raison pour laquelle un gouvernement pourrait favoriser ce design.
De plus, si l’uranium pouvait être extrait dans le pays même, le cycle de combustible nucléaire serait
entièrement intérieur. Un gouvernement pourrait choisir cette façon de faire en fonction de l’économie
et/ou de la sécurité énergétique. Il y a également une autre considération qu’un gouvernement est peu
susceptible de divulguer : l’établissement d’un cycle intérieur de combustible nucléaire, utilisant des
réacteurs dont le rechargement de combustible s’effectue en marche, fournirait au pays la possibilité
de produire suffisamment de plutonium pour constituer un arsenal d’armes nucléaires substantiel. Le
gouvernement du pays en question pourrait éventuellement tirer avantage de cette capacité, selon
l’évaluation qu’il fait des avantages nets de l’établissement d’un arsenal nucléaire.
Le design CANDU 6 utilise du combustible fait d’uranium naturel et fonctionne avec un rechargement
de combustible en marche. En conséquence, une centrale de type CANDU 6 pourrait être le choix
logique d’un gouvernement qui jongle avec l’idée de se constituer un arsenal nucléaire. Les Canadiens
doivent donc considérer le risque que la mise en marché du CANDU 6 par EACL puisse contribuer à la
prolifération d’armes nucléaires, fût-ce par inadvertance. Ce faisant, il est nécessaire de remarquer que
l’augmentation du nombre d’États possédant l’arme nucléaire pourrait augmenter la probabilité d’une
guerre nucléaire, entre autres à cause de la multiplication des centres de décision. Le Canada a déjà, par
le passé, contribué sans le vouloir à la prolifération de l’arme nucléaire en fournissant à l’Inde le réacteur
CIRUS destiné à la recherche dans les années 1950 à la condition que le réacteur soit utilisé seulement
à des fins pacifiques. En réalité, l’Inde a produit du plutonium dans le CIRUS afin de tester une arme
nucléaire, en 1974, puis d’autres armes nucléaires subséquentes.
Liens entre les risques à Gentilly-2 et les risques dans d’autres centrales CANDU 6
Le risque d’une violente excursion de puissance dans une centrale CANDU 6 et celui de détournement
de combustible épuisé dérivent tous deux de l’utilisation d’uranium naturel comme combustible et
d’eau lourde comme modérateur et caloporteur dans la centrale. Le risque d’une violente excursion de
puissance est présent à Gentilly-2 et dans toutes les centrales CANDU 6, avec quelques différences
locales. Par contre, le risque de détournement de combustible épuisé est propre à des pays
particuliers. Présentement, il y a peu de chances que le Canada utilise du plutonium de Gentilly-2 pour
des armes nucléaires. On ne peut en dire autant de tous les pays qui possèdent des centrales CANDU
6 ou qui pourraient en faire construire. EACL utiliserait sans aucun doute la réfection de Gentilly-2
dans sa stratégie de mise en marché du CANDU 6. En conséquence, en soupesant les coûts et les
avantages de la réfection de Gentilly-2, les citoyens du Québec et du reste du Canada se doivent de
considérer non seulement le risque d’échappement accidentel, mais aussi celui de contribuer à la
prolifération de l’arme nucléaire.
3
Risques de réglementation associés à la réfection de Gentilly-2
Les critères de la CCSN pour accorder une prolongation de licence pour le CANDU, au Canada,
sont vagues. Il est difficile de déterminer à quel point la CCSN appliquera avec rigueur ces critères
aux demandes de prolongation de licence et traitera de manière égalitaire toutes les centrales qui en
feront la demande. Cette incertitude reflète des tensions internes à la CCSN entre une approche de
réglementation traditionnelle, avec son caractère ad hoc et incestueux, et une approche moderne plus
professionnelle. Si l’approche professionnelle gagne en popularité, toutes les centrales souhaitant obtenir
une prolongation de licence CANDU seront obligées de mener des études longues et coûteuses sur
l’efficacité du système d’arrêt et d’autres problématiques. On pourrait exiger des détenteurs de licences
qu’ils implantent des mesures pour améliorer la sécurité, ce qui pourrait être coûteux.
En tenant compte de ces considérations, Hydro-Québec fait face à beaucoup d’incertitude sur le plan de
la réglementation en ce qui a trait à la prolongation de la licence d’exploitation de Gentilly-2. Si la CCSN
adopte une approche uniformisée et professionnelle pour toutes les prolongations de licences, HydroQuébec sera obligée d’engager des dépenses substantielles pour des études sur la sûreté qui pourraient
mettre au jour des besoins qui entraîneraient des modifications de la centrale coûteuses. Aussi, des
délais dans l’application des exigences de la CCSN pourraient survenir au cours de la réfection de
Gentilly-2. Hydro-Québec a déjà affirmé que le projet de réfection et la prolongation de l’exploitation de
Gentilly-2 est peu viable sur le plan économique. Tenir compte de l’incertitude quant à la réglementation
pourrait l’affaiblir encore davantage. Le risque de conséquences économiques résultant d’accidents liés
au combustible constitue un autre point faible du dossier.
Hydro-Québec a annoncé son plan de procéder à la réfection de Gentilly-2 sans attendre que soient
complétées les études sur les problématiques de sûreté et sur les possibilités d’améliorer celle-ci
en apportant des modifications à la centrale. On peut supposer que cela dénote qu’Hydro-Québec
juge que les risques quant à la réglementation sont peu élevés. C’est vraisemblablement l’exemple
de la centrale de Point Lepreau qui a mené Hydro-Québec à cette conclusion. La réfection de cette
centrale, qui est similaire à Gentilly-2, est en cours. Toutefois, des études présentement réalisées sur
l’efficacité du système d’arrêt et sur d’autres problématiques liées à la sûreté des centrales CANDU
pourraient convaincre la CCSN que des mesures augmentant la sûreté, par exemple l’utilisation
d’uranium faiblement enrichi, pourraient être requises. La centrale de Point Lepreau pourrait échapper
à ces exigences puisque le processus d’autorisation d’exploitation est plus avancé dans ce cas. Pris
ensemble, les facteurs évoqués ici indiquent que le jugement d’Hydro-Québec quant au risque lié à la
réglementation pourrait être erroné sur deux plans. Premièrement, une tendance au professionnalisme
à la CCSN pourrait mener à des standards de sûreté plus élevés. Deuxièmement, des études en cours
pourraient révéler, dans les prochaines années, la nécessité de mesures augmentant la sûreté des
centrales CANDU existantes.
4
Recommandations
Chacune des catégories de risque présentées dans ce rapport mérite d’être analysée de manière exhaustive
avant qu’Hydro-Québec aille de l’avant avec la réfection de Gentilly-2. Ces évaluations devraient être
rendues publiques, à l’exception des informations critiques. L’ouverture et la transparence sont essentielles
pour que les résultats soient crédibles. Ces évaluations devraient être faites bientôt, avant que des dépenses
substantielles soient faites pour la réfection de Gentilly-2. Des analyses exhaustives pourraient démontrer
que la réfection n’est ni rentable ni prudente.
La CCSN devrait exiger qu’Hydro-Québec réalise une étude complète des probabilités de risque qui
examine les excursions de réactivité incontrôlables et d’autres scénarios d’accidents liés au combustible qui
peuvent être envisagés à Gentilly-2. Une étude complémentaire devrait évaluer les risques d’échappements
causés par des actes de malveillance. Les deux études devraient être accessibles à des analystes
indépendants. Hydro-Québec devrait être tenue d’identifier et de caractériser diverses stratégies de
réduction de risque, y compris l’utilisation d’uranium faiblement enrichi. La description de ces stratégies et
de leur effet sur les risques devrait être publiée.
Le gouvernement du Canada devrait ordonner aux agences concernées, y compris à la CCSN, d’évaluer le
risque que la mise en marché internationale du CANDU 6 mène à la prolifération de l’arme nucléaire et à la
guerre nucléaire. Cette évaluation devrait être rendue publique.
Hydro-Québec devrait se conformer aux recommandations ci-haut. De plus, elle devrait évaluer de manière
indépendante le risque lié à la réglementation dans le cas de la réfection de Gentilly-2 ainsi que le risque de
conséquences économiques d’accidents causés par le combustible. Ces évaluations devraient comprendre
une analyse des coûts et des avantages de la réfection de Gentilly-2. L’analyse des risques et celle des
coûts et des avantages devraient être publiées.
Les législateurs du Québec et du Canada devraient solliciter des évaluations des risques transparentes,
telles que décrites plus haut. Si la CCSN, le gouvernement canadien et Hydro-Québec ne font pas ces
évaluations exhaustives, les législateurs devraient envisager d’autres façons d’obtenir ces évaluations, par
exemple en commandant des études ou des audiences indépendantes.
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Conclusions et recommandations
Les principales conclusions du présent rapport sont les suivantes :
C1. L’exploitation de toute centrale nucléaire génère des risques. Les centrales basées sur le design
CANDU 6 impliquent un risque additionnel dû à certaines caractéristiques de base du design,
particulièrement l’utilisation d’uranium naturel comme combustible ainsi que d’eau lourde comme
modérateur. Ces caractéristiques créent des risques additionnels sur deux plans : tout d’abord, un
réacteur CANDU 6 pourrait subir une violente excursion de puissance, qui mènerait potentiellement
à des ruptures de confinement et à l’échappement de substance radioactive dans l’environnement;
deuxièmement, du combustible épuisé à la suite de son utilisation dans une centrale CANDU 6 pourrait
être détourné et utilisé pour produire du plutonium pour des armes nucléaires.
C2. Un échappement accidentel de substance radioactive à une centrale CANDU 6 pourrait être causé
par un accident ou par un acte de malveillance. L’échappement pourrait avoir des effets néfastes sur le
site même de la centrale et à d’autres endroits. Le scénario d’un tel accident pourrait inclure une violente
excursion de puissance ou d’autres chaînes d’événements causant des dommages au combustible
nucléaire. Les risques d’un tel échappement peuvent être analysés à l’aide de techniques d’évaluation
du risque basée sur la probabilité, mais les résultats seront toujours teintés d’une incertitude irréductible.
Les techniques d’analyse probabiliste du risque peuvent être adaptées afin d’étudier le risque d’un
échappement dû à une action malveillante.
C3. L’industrie nucléaire du Canada a mené des études de probabilité, mais une réelle culture d’analyse
probabiliste du risque fait défaut au pays. On peut noter que les échappements ne font pas partie des
pires scénarios d’accidents liés au combustible dans les centrales CANDU 6, comme une violente
excursion de puissance. Les études menées par l’industrie démontrent qu’il y a de très minimes
probabilités d’échappement à considérer. Ces résultats ne tiennent pas compte des événements
externes (par exemple un tremblement de terre), ni des actes malveillants, ni d’autres facteurs. De
ce fait, ils ne sont pas crédibles. Les études de l’industrie ne sont pas accessibles pour une analyse
indépendante et ne satisfont donc pas à une exigence fondamentale du discours scientifique.
C4. L’industrie nucléaire canadienne et la CCSN ont tenu pour acquis depuis trois décennies que la
probabilité d’une violente excursion de puissance dans une centrale CANDU 6 était très basse, grâce
à l’utilisation de deux systèmes d’arrêt à action rapide. De récentes investigations ont démontré que
l’analyse utilisée dans l’évaluation de la performance du système d’arrêt est défectueuse. Celle-ci
est cruciale, parce que les systèmes ne peuvent être testés dans des conditions représentatives. En
conséquence, l’efficacité des systèmes peut être remise en question. La CCSN exige dorénavant des
détenteurs d’autorisations d’exploitation qu’ils réalisent de nouvelles analyses et qu’ils implantent des
mesures d’atténuation. Ces efforts seront coûteux. Une des mesures d’atténuation, dont l’implantation
est prévue à la centrale Bruce, consiste à utiliser de l’uranium faiblement enrichi.
6
C5. Pendant trois décennies, les organismes canadiens de réglementation de la sûreté nucléaire ont
considéré le risque d’une violente excursion de puissance comme acceptable, étant donné que le
risque est contrôlé par des systèmes actifs. Cette position diverge de plus en plus de la réglementation
des autres pays. On note parmi les organismes de réglementation de la sûreté nucléaire une nouvelle
tendance à favoriser l’usage de systèmes passifs et intrinsèquement sûrs. Si cette tendance se
maintient, une nouvelle centrale CANDU 6 pourrait se voir refuser une licence dans plusieurs pays,
surtout si elle utilise de l’uranium naturel comme combustible. EACL pourrait tenter de vendre la version
ACR-1000 du CANDU à de tels pays, si l’ACR-1000 fonctionne comme prévu. L’ACR-1000 est conçu
de manière à avoir un coefficient de vide négatif, ce qui réduirait les chances qu’il subisse une excursion
de puissance.
C6. Une autre nouvelle tendance chez les organismes de réglementation est d’exiger que les nouvelles
centrales nucléaires aient des capacités à résister à des actes de malveillance. La CCSN, par exemple,
affirme qu’elle imposera de telles exigences. Une de celles-ci sera que la structure de confinement soit plus
robuste pour résister aux attaques. Le design CANDU 6 n’a pas de dispositions particulières pour résister à
une attaque. En conséquence, si cette tendance se maintient, une nouvelle centrale CANDU 6 pourrait se voir
refuser une licence dans plusieurs pays.
C7. LA CCSN a établi des critères de design pour l’autorisation d’exploitation de nouvelles centrales nucléaires
au Canada. Ceux-ci présentent un haut degré de flexibilité, et la CCSN n’accorde pas une préférence aux
systèmes passifs et intrinsèquement sûrs. Les critères de la CCSN pour permettre la prolongation d’exploitation
des centrales canadiennes existantes sont vagues. Il est difficile de déterminer la rigueur avec laquelle la CCSN
applique ces critères pour les demandes de prolongation de licences. De même, il est difficile de dire si toutes
les centrales faisant cette demande seront traitées de manière équitable. Cette incertitude reflète une tension
actuelle au sein de la CCSN entre une approche de réglementation traditionnelle, avec son caractère ad hoc et
incestueux, et une approche moderne, plus professionnelle. Si l’approche professionnelle gagne du terrain, tout
détenteur de licence demandant une prolongation de celle-ci pour une centrale CANDU sera tenu de mener des
études longues et coûteuses sur l’efficacité du système d’arrêt et sur d’autres problématiques. Le détenteur de
licence pourrait être tenu d’implanter des mesures d’atténuation du risque, ce qui serait coûteux.
C8. Considérant ce qui a été avancé au point C7, Hydro-Québec fait face à une incertitude importante liée à la
réglementation quant à la prolongation de l’autorisation d’exploitation de Gentilly-2. Aucune analyse probabiliste
du risque n’est présentement accessible pour Gentilly-2. De plus, la CCSN exige des analyses de sûreté
longues et coûteuses dans le cadre de la prolongation de licence de Pickering B, et il semble qu’aucune analyse
comparable n’a été faite pour Gentilly-2. Ainsi, si la CCSN adopte une approche uniformisée et professionnelle
pour toutes les demandes de prolongation de licence, Hydro-Québec sera obligée de mener de longues études
de sûreté et pourrait être tenue d’effectuer des modifications coûteuses à la centrale Gentilly-2. Aussi, des
délais dans l’application des exigences de la CCSN pourraient survenir au cours de la réfection de Gentilly-2.
Hydro-Québec a déjà affirmé que le projet de réfection et la prolongation de l’exploitation de Gentilly-2 est peu
viable sur le plan économique. Tenir compte de l’incertitude quant à la réglementation pourrait l’affaiblir encore
davantage. Le risque de conséquences économiques résultant d’accidents liés au combustible constitue un
autre point faible du dossier.
C9. Un gouvernement national souhaitant avoir la capacité de déployer un arsenal nucléaire développerait
des sources intérieures de plutonium et/ou d’uranium hautement enrichi. Une stratégie qui a fait ses preuves
à cet égard est de développer un cycle de combustible nucléaire dans lequel de l’uranium naturel est utilisé
comme combustible dans des réacteurs dont le rechargement s’effectue en marche. Les réacteurs CANDU 6
se plieraient à cette exigence. Un pays possédant des réacteurs CANDU 6 aurait la possibilité de détourner du
combustible épuisé de ces réacteurs afin de produire du plutonium pour des armes nucléaires. Cette stratégie
ne serait pas envisageable aussi facilement pour un pays qui possède des réacteurs à eau légère.
C10. Le Canada a la capacité de déployer un arsenal nucléaire, mais il est peu probable qu’il le fasse. Ainsi,
la poursuite des activités de Gentilly-2 ne contribuerait pas directement à la prolifération d’armes nucléaires.
Toutefois, EACL se servirait sans aucun doute de la réfection et de la prolongation de l’exploitation de Gentilly-2
comme un atout dans sa stratégie de mise en marché mondiale du CANDU 6. Si cette stratégie portait ses
fruits, cela pourrait contribuer à une augmentation du nombre de pays possédant des armes nucléaires. Cette
tendance augmenterait à son tour la probabilité d’une guerre nucléaire. En conséquence, lorsque les citoyens
du Québec et des autres provinces canadiennes soupèsent les avantages et les inconvénients de la réfection de
Gentilly-2, ils devraient prendre en considération la contribution de cette réfection à un risque de guerre nucléaire.
À ce jour, aucune démarche publique n’a été entreprise pour évaluer ce risque.
7
Pour faire suite aux conclusions qui précèdent et à l’ensemble du rapport,
voici les actions que nous recommandons :
R1 (à la CCSN). La CCSN devrait mettre en application des critères rigoureux de sûreté et de sécurité
lorsqu’elle évalue les demandes de prolongation de licence pour les centrales nucléaires. Ces critères
devraient être uniformisés pour tous les demandeurs. De plus, la CCSN devrait exiger des détenteurs
de licences qu’ils effectuent des analyses probabilistes de risque complètes qui examinent les scénarios
d’excursions de réactivité incontrôlables et d’autres accidents liés au combustible. Des études
complémentaires devraient être réalisées pour évaluer les risques d’échappements accidentels causés
par des actes de malveillance. Les analyses probabilistes et les études complémentaires devraient être
accessibles pour une critique indépendante. Les détenteurs de licences devraient être tenus d’identifier
et de caractériser une variété de stratégies de réduction du risque, y compris l’utilisation d’uranium
faiblement enrichi. Les descriptions des stratégies et de leurs effets sur le risque devraient être publiées.
R2 (au gouvernement du Canada). Le gouvernement du Canada devrait donner l’instruction à ses
agences concernées, y compris la CCSN, d’évaluer le risque que la mise en marché internationale du
CANDU 6 contribue à la prolifération de l’arme nucléaire et augmente le risque d’une guerre nucléaire.
Cette évaluation devrait être rendue publique, sauf en ce qui a trait aux informations critiques.
R3 (à Hydro-Québec). Hydro-Québec devrait soutenir par des actions appropriées la mise en application
de R1 et R2. De plus, Hydro-Québec devrait évaluer de manière indépendante le risque lié à la
réglementation en ce qui a trait à la réfection de Gentilly-2, de même que le risque de conséquences
économiques locales liées à des accidents causés par le combustible. Ces évaluations devraient
contenir une analyse des coûts et des avantages de la réfection de Gentilly-2. L’évaluation des risques et
l’analyse des coûts et avantages devraient être publiées.
R4 (aux législateurs). Les législateurs du Québec et du Canada devraient soutenir la mise en application
des recommandations 1 à 3 par des initiatives appropriées. Si la CCSN, le gouvernement canadien et
Hydro-Québec ne suivent pas ces recommandations, les législateurs devraient envisager d’autres façons
d’obtenir ces résultats, par exemple en commandant des études ou des audiences indépendantes.
R5 (aux citoyens). Les citoyens devraient exiger que les gouvernements et les législateurs, tant au niveau
fédéral que provincial, suivent les recommandations 1 à 4. Des groupes de citoyens indépendants
devraient envisager de mener des études et des audiences indépendantes pour analyser les risques liés
aux centrales CANDU 6.
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