PREMIÈRE PARTIE ÉVOLUTION PHONÉTIQUE Chapitre
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PREMIÈRE PARTIE ÉVOLUTION PHONÉTIQUE Chapitre
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS PREMIÈRE PARTIE ÉVOLUTION PHONÉTIQUE Chapitre I ROMANISATION DE LA GAULE 1. Le français - langue contemporaine Le français fait partie des langues romanes qui remontent à une source commune, le latin. Ce dernier est le développement linguistique sur différents territoires et dans diverses conditions historiques. Sont considérées en tant que langues romanes : le français, le provençal, le rhéto - roman (le ladin), parlé dans le Tyrol et le Frioul de la Suisse, l‟espagnol, le catalan parlé en Catalogne, le portugais, l‟italien, le sarde, le dalmate (ancienne Dalmatie), le roumain. A mesure que le latin populaire (LP) est exporté dans les provinces plus ou moins éloignées de la Romania, ces contacts avec le latin classique (LCl) deviennent plus faibles ; ce dernier est réservé désormais à l‟administration, l‟enseignement et à l‟église. Le LP des provinces colonisées subit l‟influence du substrat (le celtique en Gaule). 2. La romanisation de la Gaule La romanisation de la Gaule commence par la conquête du Sud - Est (125 av. n. e.), ancienne colonie grecque, devenue par la suite Provincia romana. Le centre de la Gaule, par contre, oppose une vive résistance à César. Les peuples celtiques réunis par le chef gaulois Vercingétorix livrent des batailles acharnées aux armées romaines, mais à la fin les conquérants s‟y installent définitivement entre 58 - 51 av. n. e. Le LP est introduit en Gaule par les mercenaires et les marchands pour supplanter le celtique. 3. La structure phonétique Structure phonétique : C‟est l‟accent qui détermine en grande partie les modifications syntagmatiques. Le LCl possède un accent essentiellement musical. En LP, c‟est l‟intensité qui commence à jouer le rôle prépondérant dans l‟ensemble de ces caractéristiques. Le grammairien Pompée (V-ième s.) écrivait à ce sujet : c‟est la syllabe qui porte l‟accent et qui sonne le plus fort dans le mot. La chute des voyelles non accentuées a entraîné des modifications considérables : tábula non table, víridis non virdis, artículus non articlus ; il faut prononcer tábula et non tabla. Les mots monosyllabiques sont nommés oxytons : res, rem. Les paroxytons ont l‟accent sur l‟avant dernière syllabe - formósus. Sont appelés proparoxytons 9 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS les mots portant l‟accent sur la troisième syllabe à compter de la finale tábula, artículus. Dans l‟ensemble, le LP garde l‟accent sur la syllabe qui le porte en LCl. L‟accent portant sur la même syllabe atteste l‟origine commune des langues romanes : bássum - bas (fr.), básso (it.), bájo (esp.), báixo (port.). 4. Les changements dans le vocalisme. Modifications paradigmatiques Les changements dans le vocalisme : les modifications phonétiques sur le plan paradigmatique qui se manifestent dans le système vocalique de LP sont les suivantes. L‟opposition qualitative des voyelles - différences de timbre (voyelle ouverte - voyelle fermée) succède à l‟opposition quantitative (voyelle brève - voyelle longue) du LCl. Dans l‟ensemble, les voyelles brèves deviennent ouvertes, les voyelles longues deviennent fermées : LCl - ī LP i ǐ ē oe ae e ă ā ǒ au ō ǔ ū ↓ ↓ ↓ ↓ ↓ ↓ ẹ ę a o ọ u LCl: caelum / kaelu / > caelu / kẹlu / > ciel, ou ę > ie ; le français connaît l‟évolution saepem / saepe / > saepe / sẹpe / > seif, soif, où ẹ > ei, oi. La diphtongue au se maintient jusqu‟au V-ième s., ce qui explique le fait que certains langues romanes la gardent intacte : aurum - or (fr.), aur (prov.). A Pompei : copo - caupo, Olus - Aulus ! Cf. Auris non oricla (Ap. Probi). 5. Le consonantisme Le consonantisme du latin est plus stable. Il s‟enrichit de nouveaux phonèmes : consonnes constrictives sonores / v, z / qui créent des oppositions sourde - sonore : f / v ; s / z. 6. Les modifications syntagmatiques Modifications syntagmatiques : Les modifications phonétiques sur le plan syntagmatique portent le nom de lois phonétiques grâce à leur caractère régulier. La chronologie de la plupart de ces changements est rigoureuse et doit être strictement respectée. (Voir N. Chigarevskaia, Précis d‟histoire de la langue française, § 34, p. 48). 10 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS L‟évolution des voyelles s‟effectue dans le mot (dans la chaîne parlée) et dépend de : nature de l‟accent, position des voyelles par rapport à l‟accent, caractère de la syllabe (ouverte ou fermée), action des sons voisins. 7. La nature de l’accent Nature de l‟accent : L‟accent dynamique frappe une des voyelles du mot, l‟opposant aux autres voyelles non accentuées qui deviennent faibles et moins distinctes : mittere > mettre, tábula > table. 8. La place de l’accent La place de l‟accent peut être fixe (l‟accent frappe toujours la même syllabe, disons la dernière (le français)). Par là il existe des voyelles toniques ou accentuées et des voyelles non accentuées ou atones : pórta > pórte, imperatóre > empereúr. Les voyelles atones ne sont pas résistantes, elles ont tendance à s‟affaiblir et à s‟amuïr. Caractère de la syllabe : syllabe ouverte et fermée : ta-bu-la / fratrem. Les voyelles des syllabes libres (ouvertes) subissent des changements importants : bóvem > buof > buef > bœuf / boef /. Qualité des voyelles : voyelles fermées et ouvertes. Les voyelles fermées du Ier degré restent intactes en position accentuée (i, u). Par contre, les voyelles fermées du IIe degré (dites mi-fermées) / ẹ /, / ọ / et les voyelles ouvertes évoluent en s‟allongeant considérablement en syllabe ouverte. Elles aboutissent vers l‟époque de l‟ancien français à des diphtongues. Par ex. : brĕve > bręve (bief) ; pǐra > pẹra (>peire) ; nǒve > nove (>nuef), etc. Action des sons voisins : l‟évolution des voyelles dépend également de la consonne qui les suit à l‟intérieur des syllabes, l‟assimilation portant un caractère régressif dans les langues romanes. Il s‟agit en premier lieu, de l‟action des sonnantes nasales qui nasalisent les voyelles précédentes du LP - on écrit indifféremment n ou m à la fin de la syllabe : menbra pour membra. Tous les facteurs mentionnés ci-dessus jouent un grand rôle dans l‟évolution des sons aux étapes ultérieures - en gallo-roman (V-ième s. VIII-ième s.) et en ancien français (IX-ième s. - XIII-ième s.). Les modifications syntagmatiques des voyelles ne sont pas nombreuses. Par contre, les consonnes subissent une évolution considérable dans la chaîne parlée. Pour les voyelles il est à signaler la chute des voyelles post toniques dans les proparoxytons (cálida > calda) et des voyelles protoniques non initiales (dorm(i)torium). L‟amuïssement des consonnes post toniques entraîne des modifications : viridem > ver-de > vert (formation d‟une syllabe entravée). Les mots qui commencent par un groupe de consonnes comportant un s initial (sc, sp, st) reçoivent une voyelle d‟appui devant, elle est dite prothétique (i, e) : iscola, istatua (à 11 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS l‟Est), espada, espuset (à l‟Ouest). La prothèse se manifeste à partir du IIième s. de n. e. Pour les modifications des consonnes il est à constater la tendance à la palatalisation et à la sonorisation qui est la conséquence de l‟accommodation d‟une consonne se trouvant en contact immédiat avec une voyelle. Par l‟effet d‟une accommodation double, une consonne sourde intervocalique devient sonore : rosa / roza , sapere / saber, mutare / muder. La palatalisation se manifeste d‟une façon évidente en gallo-roman, aboutissant, secondée par l‟assimilation, à la formation de nouvelles consonnes issues des consonnes post linguales : [k] + e, i aboutit à k‟ > t‟ > ts ; t + j aboutit à [ts]. Cf. patricius, moncium au lieu de patritium, montium. Structure grammaticale: Le latin est une langue à flexion, dite synthétique ou flexionnelle, dont les valeurs grammaticales, telles que le genre, le nombre, le cas dans le substantif ; le temps, le mode, la personne dans le verbe, sont exprimées par les désinences par la forme même du nom et du verbe. Par contre ces mêmes valeurs sont rendues dans les langues dites analytiques, à l‟aide des mots accessoires (pronoms, verbes auxiliaires, prépositions, articles). Le français c‟est l‟évolution progressiste du latin (langue synthétique) vers l‟analytisme au détriment des flexions sans toutes fois éliminer complètement ces dernières. Prenons quelques parties du discours : Le nom. En LP le nom garde les trois catégories grammaticales qui le caractérisent en LCl. Néanmoins, chacune de ces catégories subit des modifications capitales. Le genre. Le langage parlé (LP) tend à doter chaque valeur grammaticale d‟une forme précise. Comme la désinence -us marque le plus souvent le masculin, elle revêt en LP la valeur du masculin, tandis que la terminaison -a devient la forme du féminin (voir l‟adjectif aussi). Cette modification a des suites importantes pour la déclinaison du LP. C‟est ainsi que dans les comédies de Plaute, on trouve le Génitif fructi (2e déclinaison) pour fructua (4e déclinaison), parce que la plupart des noms masculins se rapportent à la 2e déclinaison. Les noms des arbres en -us étant du féminin sont en LCl de la 4e déclinaison, mais en LP, grâce à la désinence -us ils passent à la 2e déclinaison et sont de genre masculin (alnus - un aune, fraxinus - un frêne). Les noms neutres en -um passent également au masculin grâce à la similitude des formes casuelles du singulier des deux genres : caelus, corius, domus. Le pluriel du neutre ayant la désinence -a, celle - ci se confond avec la forme du féminin singulier. Cf. folia (pluriel de folium) et forma, labrum - labra - lèvre. Le français moderne conserve quelques mots du neutre sous les deux formes dotées d‟acceptions différentes : braciu - bras - brasse (unitate 12 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS de mǎsurǎ maritimǎ) ; granu - grain - grana - graine (seminţǎ) ; cornu - cor (n) - corna - corne. La déclinaison. La chute du neutre et la répartition des valeurs grammaticales entre les désinences - us et - a ont perturbé le système de déclinaison du LCl qui en comptait 5 types. En LP il n‟y en a plus que 3: la première embrasse les noms de genre féminin en - a: capra, rosa, folia, labra, y compris ceux qui proviennent de la 5e déclinaison (facies - facia, materies - materia) et en partie de la 4e déclinaison (nora, socra) ; la deuxième renferme les noms du genre masculin en - us dont font partie les noms en - us issus de la 4e déclinaison (lupus, fraxinus, vinus) et la 3e déclinaison contient les substantifs des deux genres à terminaisons irrégulières, y compris deux noms ayant appartenu à la 5 e déclinaison du LCl - res, fides . L΄adjectif. Les transformations parallèles à celles de nom frappent les mêmes catégories grammaticales dans l‟adjectif latin. Le pronom. Le latin parlé a à choisir parmi les trois formes du démonstratif : hic, iste, ille. Ille correspond à la 3e personne, hic se rapporte à la Ière personne et iste à la 2e personne. Quant aux pronoms indéfinis il faut mentionner la concurrence synonymique - alius - alter, quidam et certus, omnis et totus qui finit par implanter alter, certus, totus. En LP les verbes changent souvent de conjugaison par analogie des formes. Seuls les infinitifs en -āre et -ire sont plus ou moins stables, alors que les verbes en -ēre et -ĕre à cause de leurs formes communes subissent des échanges réciproques. Il leur arrive même de passer à la 4 e conjugaison en -ire. Ainsi, sur le modèle audio - audire, les verbes en -ĕre ayant -io au Présent et ceux de la 2e conjugaison en -eo / -io passent à la 4e conjugaison : cupĕre > cupire, florĕre > florire. Sur le modèle de habui - habere, les infinitifs sapui, cadui deviennent sapere, cadere. Les verbes modaux posse et velle forment aussi leur nouvel infinitif d‟après le préterit potui, volui : potere, volere. Le plus souvent, c‟est la 2e conjugaison qui fournit les infinitifs à la 3e conjugaison à la suite de l‟élimination de la voyelle e en hiatus à la Ière personne (-eo > o) ridére, respondére, tordére, mondére > ridere, respóndere, tórdere, mórdere. Le vocabulaire. Le fond du vocabulaire du LP est celui du LCl, les deux idiomes représentent deux variétés ou deux styles d‟une même langue: le latin. En parlant du LP les aborigènes ont fourni quantité de mots au LP surtot les langues celtiques qui étaient parlées par les habitants de l‟Ouest de l‟Empire : alauda : fr. alouette, esp. alondra, it. alodola ; betulla : fr. bouleau, esp. abedul, it. betula ; caminus : fr. chemin, esp. camino, it. cammino ; le celtique fournit surtout le lexique concernant la vie et l‟activité paysanne, vu la formation économique des Celtes. 13 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Depuis le début de notre ère, à la suite de divers contacts avec les peuplades germaniques, ce sont les vocables de leurs idiomes qui s‟introduisent dans le LP. Ce sont les mots désignant les objets et les notions ayant trait aux mœurs, à la vie économique et surtout à la vie militaire des peuplades germaniques : baro > baron, bank > banc, burg > bourg, filtur > feutre, hapia > hache, frisk > frais, marka > marche, wardon > guerre. La dérivation joue un grand rôle en LP et s‟effectue surtout par voie de suffixation. Ex. : suffixes diminutifs à valeur appréciative et péjorative : ulus, -illus, -ellus : apicula (de apis) >abeille, oricula (de auris) > oreille, soculum > soleil, pariculum > pareil. Il faut noter aussi les suffixes productifs : -arius (agent), -arium (l‟endroit, le récipient), -aticum, -entia, antia : caballárius > chevalier, argentárius > argentier, opérárius > ouvrier, panárium > panier, viridiárium > verger. Les préfixes les plus productifs sont ad-, dis-, in-, re-, ex-, per- ; ad battu (ere) > abattre, ad - salire, dis - carpere, in - traversare, re - warder, regarder, ex - cadere > échoir. Exercices Rappelons la règle sur la place de l‟accent tonique en latin classique : l‟accent tombe sur la pénultième quand elle est longue : guber´nāre, quand elle est brève, il tombe sur l‟antépénultième : ´camera (exercice a). Cette règle subsiste à quelques exceptions près en latin parlé. a) Trouvez la place de l‟accent tonique en latin et en français et analysez les changements phonétiques qui se sont produits dans la syllabe accentuée : cinctura > ceinture habere > avoir amare > aimer insula > île simia > singe latitudine > latitude maritu > mari vindemia > vendange b) Analysez les cas de déplacements de l‟accent dans les séries des mots qui suivent, en précisant l‟accentuation en latin classique et en latin populaire : 1) ´colubra ´ tenebras ´alacre ´ tonitru ´cathedra > > > > > couleuvre ténèbres alègre tonnerre chaire 14 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 2) gladi´ōlu modi´ōlu avi´ōlu capre´ōlu linte´ōlu > > > > > glaïeul moyeu aïeul chevreuil linceuil 3) latin classique latin parlé convĕnit implĭcat displicet attingit continet recĭpit perficit convenit emplicat displacet attengit contenet recipit perfacit fr. moderne convient emploie déplait atteint contient reçoit parfait c) Précisez l‟évolution des différents types de syllabes, ainsi que les positions fortes et faibles pour les consonnes, dans les mots suivants : amāre > amer, cantatōre > a.fr. chanteeur > fr.mod. chanteur, causa > chose, civitāte > cité, fĭde > foi, imperatōre > a.fr. imperedor > fr.mod. empereur,, insĭmul > ensemble, intro > entre, masculu > mâle. d) Trouvez les syllabes ouvertes et fermées (voyelles libres et entravées) dans les mots : mē, tē, sē, vĭa, mēus, sũus, amāre, tālem, pĭper, op(e)ra, labram, nuttrīre, crēdere, pŏp(u)lum, vĭr(i)dem, mĭtt(e)re, bŭccam, dorrmio dictum, dŭb(i)tāre, , mensem (mẹse) e) Donnez les mots ci-dessous dans leur forme du latin parlé, c‟est-àdire, substituez ĭ par ẹ et ŭ par ọ et supprimez le m final : vĭdeo > veo gutta vĭdes cŭbitus vĭdet in vĭrtute pŭgnum vĭrga bŭcca frĭgidum crŭx,-cis habēre 15 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre II INTRODUCTION À LA PHONÉTIQUE LATINE 1. Introduction à la phonétique latine Le système phonologique latin possédait sa propre cohérence (unité). La langue n‟était pas figée. Entre les débuts de la République (509 a.n.è) et la fin de l‟Empire (476) on passe du latin archaïque au latin classique (LCl) et enfin au bas latin (BL). Il faut tenir compte aussi des différences entre le latin parlé par le peuple (lat. vulgaire ou populaire) et celui des lettrés. Ces deux dénominations (LCl et BL ou LP) présentent l‟avantage d‟un classement chronologique simple, ce qui importe avant tout dans ces questions de phonétique où la chronologie est privilégiée. 2. La prononciation latine La connaissance de la prononciation latine s‟impose comme une nécessité pour transcrire correctement les étymons qui vont donner naissance aux mots de l‟ancien français et du français moderne. En ce qui concerne les voyelles, « u » se prononce /u/. Ex. : ubi (où) est prononcé /ubi/. Aucune voyelle n‟est nasalisée jusqu‟au Xe siècle, ainsi donc on prononce les deux phonèmes : ante « avant » est prononcée / an-te / et non comme une syllabe. Il n‟existe que trois diphtongues latines : /æ /, /œ/ et /au/. Ex. : cælum « ciel », pœna « peine » et aurum « or ». Il faut distinguer ces diphtongues des voyelles hiatus : la diphtongue associe deux sons vocaliques en une seule syllabe ; dans l‟hiatus deux voyelles sont séparées par une coupe syllabique. Certaines consonnes se sont amuies : « m » final, « h » en toute position et « n » devant « s » ne sont pas prononcées. Ex. : me(n)sem /mese/ « mois ». D‟autres consonnes ont une prononciation inhabituelle par rapport au fr. mod. Ainsi, « v » se prononce /w/, « c » se prononce /k/, « x » /ks/. Ex. : v´ivus « vivant » , certus « sur » /keRtus/, pax « paix » /paks/, rosa « rose » /Rosa/. Enfin les consonnes géminées sont effectivement prononcées comme des phonèmes doubles jusqu‟au VIIe siècle. Ex. : nulla « nulle » /nulla/. 16 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 3. La quantité des voyelles Les voyelles latines n‟ont pas toutes la même quantité. La distinction entre voyelles longues et voyelles brèves est pertinente (ça change le sens du mot). Ex. : 1. Dans rosă / rosā, la première forme est un nominatif, alors que la seconde est un ablatif (par ex. On parle de la rose). Ex. 2. Le verbe věnit est un Ind. Présent « il vient », alors que vēnit est un parfait « il vint ». La quantité vocalique est étymologique : dans mūrum « mur », les deux « u » sont de longueur différente. La quantité syllabique concerne toute la syllabe. Une voyelle suivie par une consonne dans la même syllabe devient longue par position. Ex. Incendo « je brûle », la voyellee /e/ est toujours longue par position, puisqu‟on coupe incen/do. 4. L’entravement et la coupe syllabique Une voyelle est libre si elle se trouve en syllabe ouverte. Ex. : Dans via « route » nous distinguons deux syllabes libres : vi /a. Une voyelle est entravée si elle se trouve à l‟intérieur de la syllabe, suivie par une consonne finale de syllabe. Dans ce cas, la syllabe est dite fermée. Ex. : parte / par-te. La première syllabe est entravée. On distingue l‟entrave latine et l‟entrave romane. Ex. : par/te - entrave latine, voir fr. part (entrave romane) ; homme venu du homine (entrave romane), « o » devient entravé après la chute du /i/ au IIIe siècle. 5. La position des voyelles Pour situer les voyelles dans le mot, on peut tout simplement numéroter les voyelles en partant du début. Ex. : castellum « place forte » possède 3 syllabes : / cas/tel/lum. Mais pour étudier l‟évolution phonétique de ces voyelles avec précision, il faut distinguer 4 types de position à l‟intérieur du mot : - position initiale, la première syllabe ; - la position finale est celle de la dernière syllabe. Ces deux positions se laissent toujours repérer déjà lors que le mot compte 2 syllabes ou plus, ce qui n‟est pas le cas des deux autres : prétonique et posttonique. Il s‟agit donc de positions accentuées ou atones. Ex. 1. arma´tura « armure » comporte 4 syl., avec syllabes prétoniques, tonique et posttonique. Ex. 2. Arista « arrete » : 3 syllabes : / a/r´is/ta. 17 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Ex. 3. ´homminem a 3 syllabes avec accent sur la première. La place de l’accent Tous les mots ne sont pas toniques ou accentués. Les mots atones s‟appuient sur ce qui suit ou ce qui précède. Lorsqu‟ils s‟appuient sur le mot suivant, on les appelle proclitiques. Dans le syntagme « te videt » (il te voit), seul le verbe possède un accent tonique ; le pr. « te » est atone et proclitique. Au contraire, les mots enclitiques s‟appuient sur le mot précédent. Ces mots n‟ont pas la même évolution : comparer ad té « à toi » et te videt « il te voit ». Dans le premier cas le pronom tonique « té » a subi la diphtongaison, d‟où le résultat / twa/ ; dans l‟autre cas, « te » était atone et c‟est affaibli en /tė/. Voyelles toniques A l‟intérieur même des mots toniques, seule une syllabe est tonique. Les voyelles évoluent différemment selon leur accentuation dans le mot. Dans nũdus nus /nu/ /nudus/, le /u/ s‟est conservé, alors que le /u/ atone de la deuxième syllabe a disparu. Mots d’une seule syllabe. Lorsqu‟ils sont accentués, on les appelle oxytons. Ex. : mel > miel, fel > fiel, pede> pied. Selon leur nature ces monosyllabes possèdent un accent ou restent atones. Tous les mots qui apportent une information, les mots prédicatifs (verbes, adverbes, adjectifs, substantifs et certains pronoms) sont des mots toniques ; sont atones les prépositions, les conjonctions. Mots de deux syllabes. Toujours ces dissyllabes sont des paroxytons, l‟accent tombe toujours sur la première syllabe : ´m´uru mur. Mots de trois syllabes. Dans ces mots l‟accent recule d‟une syllabe : il suffit pour cela que l‟avant-dernière voyelle soit brève et libre. Ces mots proparoxytons possèdent donc un accent sur l‟antépénultième voyelle. Ex. : h´omine. La place de l‟accent est donc liée à la fois à la quantité de la voyelle et à la structure de la syllabe. 6. Le vocalisme en latin populaire 1. Voyelles atones en hiatus. Placées en position faible, elles tendent à disparaître. Les deux voyelles /e/ et /o/ en hiatus s‟affaiblissent en se fermant au premier siècle: / e > i / et /o > u /; Ex. : v´ inea « vigne » évolue en v´inia (3 syllabes). 2. Les / ǐ / et / ŭ / primaires ou secondaires se consonifient. Dans le cas le plus général, / i > y > et /ŭ >w / en se fermant au I er siècle. Ex. : v´inia (3 syl.), v´inya (2 syl.). Mais les voyelles peuvent subir des traitements conditionnés par leur entourage : - yod est incompatible avec kw : Ex. 1 : qui´ētus > quētus « tranquille ». 18 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS - / ŭ / en hiatus passe à / w /, qui s‟amuït au contact d‟une voyelle vélaire / o / ou / u /. Ex. : mortŭum > mortu> mort. ; Ex. 2. Battŭo « je bats » > batto (inf. battere, lcl « battŭere »). Enfin, 2 voyelles en hiatus fusionnent lorsqu‟elles ont la même teinte. Ex. : prehendere > prendere > prendre ; Ex. : cohorte > corte > cor > cour 19 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre III ÉVOLUTION QUANTITATIVE DES VOYELLES La réduction d‟un phonème dépend de sa place dans le mot (ou dans la syllabe). C‟est un phénomène très ancien, il remonte à l‟époque de Plaute. Nous nous proposons d‟étudier d‟abord la réduction dans les syllabes pénultièmes, qui ont été les plus atteintes, ensuite dans les syllabes contrefinales, dont le sort a été pratiquement identique, et enfin dans les syllabes initiales, qui conservent le mieux leur vocalisme. 1. La réduction en syllabe pénultième Dans les mots proparoxytons, où la syllabe pénultième est atone, toute voyelle, y compris “a” a été complètement réduite (ex.: a, g): a (long et bref) ĕ ĭ ŭ - ´^calamu - ´camera - ´alĭna - ´mascŭlu > > > > chaume chambre aune mâle La première réduction s‟est produite entre les groupes de consonnes dont une était “l” ou “r”: oculu > oclu, auriculu > auriclu, tabula > tabla, viride > virde, etc. P.Fouché distingue trois périodes pour la réduction des pénultièmes qu‟il désigne par syncope: 1. la syncope latine de la fin de la République, 2. la syncope gallo-romane, depuis l‟entrée des Romains en Gaule jusqu‟au moment de la chute des voyelles finales autres que “a” long et bref, 3. la syncope gallo-romane, qui commence après les invasions germaniques du Ve siècle. 2. La réduction en syllabe contrefinale Selon la loi d‟Arsène Darmesteter, toute voyelle contrefinale s‟amuït sauf “a” (ex. b): ī - radi´cīna ĭ - civĭ´tate ē - blasphē´māre 20 > > > racine; cité blâmer ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS ĕ æ ō au > ọ ŭ ū - cerĕ´visia lunæ´dies impejo´rāre parauًlāre singu´lāre adju´tāre > > > cervoise lundi empirer > parler > sanglier > aider La réduction des voyelles contrefinales s‟est produite dans le latin parlé dès les IVe - Ve siècles. Les faits de phonétique chronologique permettent de préciser cette date. Selon E.Bourciez, les consonnes sourdes sont passées aux sonores en position intervocalique au IVe siècle: t > d, k > g, etc. Par exemple, LCl subi´tanu > LP sub´danu > fr.mod. soudain; LCl verecundia > LP vere´gondia, ver´gondia > fr. mod. vergogne. Ce passage est donc antérieur à la chute de la voyelle contrefinale. Certains groupes de consonnes, placés avant ou après la contrefinale, empêchent la chute de la contrefinale qui passe alors à “e”: LP suspectione > a.fr. sospeçon > fr.mod. > soupçon. La voyelle “a” contrefinale subit une réduction partielle en s‟affaiblissant en “e” muet: orna´mentu ornement: a > e canta´raio > chanterai: a > e. Le passage de “a” à “e” s‟est produit beaucoup plus tard que la chute des autres voyelles contrefinales; “a” contretonique se rencontre encore dans les graphies latinisantes des premiers documents littéraires de l‟ancien français (IXe siècle): salvament, salvarai, sagrament (“Serments de Strasbourg”) et paramenz à coté de bellezour et preiement (“Séquence de sainte Eulalie”). La voyelle [ e ] venue de [ a ] contrefinale subit les changements suivants: a) elle se maintient en français moderne: orpha´ninu vassala´ticu > vasselage; > orphelin, b) elle s‟amuït par réduction d‟un hiatus: LCl. canta´tore > a.fr. chanteor > fr.mod. > chanteur; LCl impera´tore > a.fr. emperedor > empereor > fr.mod. empereur; c) elle s‟absorbe dans la voyelle précédente: LCl ; medi´-nocte a.fr. mienuit fr.mod. minuit (ex. c, g). 21 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 3. La réduction en syllabe finale La voyelle de la syllabe atone (finale) a subi à peu près les mêmes altérations que la voyelle de la syllabe contrefinale : toute voyelle atone finale s‟amuït, sauf « a » qui passe à « e » muet (A.Darmesteter). Voir la comparaison suivante : Contrefinales finales ě - cere´bella > cervelle ĭ - bonĭ´tate > bonté nave > nef heri > hier ŏ - LP mansio´naticu > ménage ŭ - sumŭ´lare > sembler perdō > a.fr. pert muru > mur La réduction complète des voyelles finales se manifeste en premier lieu dans les paroxytons (pénultième) : ´dēbet doit, ´lau´dāre louer, ´manum > main, ´venit > vient. Dans les proparoxytons, de même que dans certains paroxytons, la voyelle finale reste sous la forme affaiblie de « e » après certains groupes de consonnes qui exigent une voyellle d‟appui (ex. d). Mots paroxytons : dŭplu > double, ulmu > a.fr. olme > fr.mod. orme, alnu > aune, scamnu > a.fr. eschame, patre > père, fĕbre > fièvre, inflo > enfle, rŭbeu > a.fr. robjo > fr.mod. rouge. Mots proparoxytons : Carolus > Charles, flebile > faible, humile > humble, calamu > chaume, ;, balsamu > a.fr. balme > fr.mod. baume, homine > homme, Rhodanu > Rhone, fraxinu > a.fr. fraisne > frêne, paupere > pauvre, buturu > beurre, Lĭgere > Loire, nocere > nuire, computo >compte, male habitu > malade, sapidu > sade (dans maussade), undecim > onze, porticu > porche. L‟amuïssement des voyelles finales semble être plus tardif que la chute des voyelles contrefinales. Dans les « Serments de Strasbourg » on trouve encore poblo, nostro. Toutefois les graphies fradra et fradre, Karlo et Karle (ibidem) prouvent que la valeur de la finale était à cette époque (IXe siècle) flottante et ceci paraît plus vraisemblable, le scribe hésitait, ne sachant pas comment noter le son nouveau. Seules les voyelles finales [ i ] et [ u ], quand elles formaient le second élément d‟une diphtongue, ne s‟amuïssaient pas et se diphtongaient en ancien français : amavi > a. fr. > amai, deum > a.fr. > deu, dieu (ieu - triphtongue), clavu > clou, Pictavu > Poitou (ex. e) 22 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Un « e » d‟appui pouvait se développer aussi sans prototype : insimul > ensemble, inter > entre, semper > a.fr. sempre. Ce « e » s‟est développé ici comme voyelle d‟appui des groupes consonantiques ml, tr, pr, qui se sont formés après la chute de la voyelle de la syllabe finale. Morphologie La fermeture de a > e et la chute des autres voyelles permettent d‟opposer les adjectifs féminins aux adjectifs masculins, par exemple : Adjectifs féminins larga longa sicca Adjectifs masculins > large > a.fr. longe > sèche largu > a.fr. larg longu > a.fr. lonc siccu > sec Les mots latins cornu et granum donnent au singulier et au pluriel des mots différents : Sing. Cornu > a.fr. corn > cor Plur. Cornua > corne granu > grana > grain graine 4. La réduction en syllabe initiale Le vocalisme ne subit pas de modifications profondes en syllabe initiale, cependant quelques cas de réduction sont à noter : la réduction complète de « a » (généralement cette voyelle persiste qu‟elle soit libre ou entravée) et la réduction partielle de « a », de « ě » et de « ǐ ». En ancien français, « a » libre s‟amuit en « e » quand il se trouve en hiatus après la chute d‟une consonne intervocalique, et se réduit complètement par la suite, absorbé par la voyelle suivante : matūru > meur > mûr, sabūcu > seu > su (dans sureau), sapūtu > seu > su. L‟e est resté parfois dans l‟écriture : habūtu > eu (ey) > eu > (y). Cette absorption a eu lieu surtout devant y accentué, mais aussi devant les autres voyelles : cadēre > cheoir > choir, cadentia > cheance > chance. Certaines voyelles initiales subissent une réduction partielle. Ainsi «a » long et bref libre s‟amuit partiellement après « c » : caballu > cheval, mais en syllabe fermée, ce son reste intact : carbone > charbon. « E » long et bref en syllabe initiale atone, ouverte, passe également à « e » muet : venīre > venir, debēre > devoir, pilāre > peler, mĭnāre > mener. Cet affaiblissement se trrouve dans un grand nombre de mots et remonte probablement au Xe siècle (Fouche, 509). Cet « e » muet disparait quand il se trouve en hiatus : vīdēre a.fr. veoir fr.mod. voir. « I » libre ou entravé, dans la position initiale reste sans changement : venir venir, villa > ville. 23 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Dans certains cas il y a eu effacement de la voyelle initiale entre deux consonnes dont la seconde était r : vērāce > vrai, directu > droit, corrotulare > crouler. 5. Le « ė » muet Le « ė » muet provient essentiellement d‟un « a » atone : rosa rose, capra chèvre, mais aussi : a) de toute voyelle latine finale dans un proparoxyton ou dans un paroxyton, surtout après « consonne + l, r » : febre > fièvre, inflo > enfle, et après « consonne + j » : roubeu > rouge, simiu > singe ; b) de certaines voyelles latines protoniques : quadrifurcu > carrefour; c) de « e » bref libre initial : venire > venir Cette voyelle est sans doute née dans la période de l‟ancien français. P.Fouché suppose que ce son devait ressembler à l‟e final allemand dans Gabe, alle. Palsgrave, grammairien du XVIe siècle, dans sa grammaire, dit que cette voyelle se prononçait sensiblement comme « o ». En ancien français, cette voyelle, que P.Fouché désignait sous le nom de « e » central et Ch. Bruneau sous le nom de « e » sourd, se prononçait dans toutes les positions. Puis ce son commence à disparaître dans certaines positions pour aboutir à un amuïssement complet en français moderne. C‟est dans l‟anglo-normand que l‟on trouve les premiers exemples de la réduction de « e » final après voyelle (Nyrop, 366 - 267) . Les premiers témoignages de la disparition de « e » sourd remontent au XIIIe siècle. Elle est confirmée par de fausses graphies où le son, qui ne se prononce plus, se trouve écrit là où il n‟est pas étymologique. Ainsi, dans une charte lorraine du XIIIe siècle un scribe écrit : « je lui doie varentir » (je lui dois garantir). C‟est aussi au XIIIe siècle qu‟on trouve les graphies sans « e » dans les formes avoy, avois, pour avoie (habebam), avoies (habebas). Le XVIe - XVIIIe siècles est la période de l‟amuïssement progressif de « e » en certaines positions. A retenir : Toute voyelle de syllabe pénultième, y compris a s‟amuït. Toute voyelle de syllabe finale et contrefinale s‟amuït, sauf « a » qui devient « e ». 24 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Exercices a)Analysez l‟évolution des voyelles atones et relevez les cas où la pénultième atone a subi l‟amuïssement à l‟époque impériale : Fraxinu > frêne, cannabu > chanvre, Sequana > Seine, juvene jeune, debita > dette, man(i)ca > manche, com(i)te > conte, Samaru > Sambre, lar(i)du > lard, cal(i)du > chaud, pers(i)ca > pêche, pertica > perche, nĭtida > nette. Trouvez parmi ces exemples deux cas d‟assimilation complète des consonnes effectuée après l‟effacement de la pénultième. b) Analysez la chute de la voyelle contrefinale dans les exemples qui suivent ; dites dans quels groupes de consonnes s‟est produit l‟amuïssement des voyelles contrefinales et quelle voyelle se rencontre le plus souvent en syllabe contrefinale. consu´tura simu´lare ratio´nabile > > > collocare dormi´toriu mori´raio boni´tate sani´tate seùi´tariu clari´tate civi´tate vindi´care berbi´cariu judi´care radi´cina > > > > > > > > > > > > couture sembler a.fr. raisnable (fr.mod. raisonable) coucher dortoir mourrai bonté santé entier clarté cité venger berger juger racine c) Reconstituez la forme de l‟ancien français d‟après les formes du français moderne en ajoutant un « e » muet à la forme du français moderne. Exemple : capĭlatũra mercatante armatũra cũdamente nũda-testa ……chevelure …….marchant …..…armure ……cument … nu-tete 25 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS d) Consultez les exemples du paragraphe 3 et précisez les groupes de consonnes qui exigent un « e » d‟appui. Exemple : duplu > double ; e) Analysez les transformations phonétiques dans les séries : ego>(LP) eo > a.fr ieu ; potui > a. fr. poi ; f) Expliquez le développement des voyelles initiales dans les syllabes ouvertes et fermées des mots suivants : fĭrmu > a.fr. ferm >ferm fr.mod. > ferme saputu > seu > su ; aguriu > eur [eyr] > eur [œ : r] Sa(u)cona > Saône [so:n ]; capĭstru > chevêtre ; canale > a.fr. chenel ; castanea > chataigne ; captiare > chasser errare > errer ; vestire > vêtir ; sermone > sermon ; firmare > fermer ; dĭstrictu > distroit ; mĭnare > mener ; pĭlare > peler sedēre > seoir > soir ; finire > a.fr. fenir > fr.mod. finir ; forge > fabrica > fabrique blâmer < blasphemare < blasphemer g) Comparez les doublets étymologiques ci-dessous et dites lesquels sont d‟origine savante : frêle < fragile fragile 26 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre IV LES VOYELLES TONIQUES ENTRAVÉES Après la nouvelle quantité romane (NQR), toutes les voyelles toniques entravées sont brèves, ce qui empechêra leur diphtongaison. C‟est la position où les voyelles résistent le mieux : elles sont protégées par une consonne subséquente (suivante). 1. Les voyelles entravées L‟évolution des voyelles en syllabe entravée est proche des voyelles initiales (aussi en position forte). La voyelle / i / : elle se conserve / i /. Ex. : villa > ville. La voyelle fermée [ ẹ ]: elle s‟ouvre en [ ę ] au XIIe s. Ex. : prom´ĭttere > promettre. La voyelle ouverte [ ę ] : elle s‟est conservée sans changement. Ex. : testa > tête. La voyelle / a / se conserve, le plus souvent, sans changement. Ex. : p´artem > part. Quelques fois, elle s‟est vélarisée à la suite de l‟amuïssement d‟un / s /: - le [ s ] implosif s‟amuït au XIIe s. : Ex.. pasta > pâte. - le [ s ] final s‟amuït au XIIIe s : bassum > bas [ ba ]. La voyelle ouverte /o / se conserve sans changement. Ex. : mortem > mort. Mais elle a pu se fermer en [ ọ ] après la chute du « s » implosif : Ex. : costa > côte, gross(um) > gros [ gro ]. La voyelle fermée [ ọ ] se ferme en [ u ] au XIIe s. Ex. : coh´ōrtem > cọrte > cour, souvent écrit « cort », car la graphie reste en retard sur la prononciation. En normand, la voyelle se ferme en [ u ] dès le début du XI e s. et la graphie est souvent « u ». La voyelle [ u ] passe à [ ü ] vers 700, par antériorisation / palatalisation. nullu > nul [ nül ]. 2. Les voyelles atones La tendence la plus générale est celle de l‟affaiblissement, qui apparaît comme conséquence du renforcement des voyelles toniques. Cet affaiblissement est d‟abord marqué par l‟abrègement : au IIIe s., la NQR conserve la brièveté de toutes les voyelles atones. Par la suite, l‟affaiblissement se fait selon trois grands principes : la fermeture de la voyelle qui peut aller jusqu‟à l‟amuïssement (ou syncope « chute ». La voyelle la plus ouverte, / a /, va mieux résister : elle reçoit donc un traitement différent des autres voyelles ; 27 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS une voyelle atone en position libre est plus faible qu‟une voyelle atone entravée. Comparer : caballum > cheval et castellum > chastel ; les voyelles évoluent différemment selon leur place par rapport à l‟accent. L‟ordre est le suivant : initiale (avec accent secondaire), finale, prétonique et post-tonique. 3. Les voyelles atones en position initiale du mot La position est assez forte, puisque la voyelle initiale possède un accent secondaire. Dans les mots composés, l‟initiale est celle qui suit le préfixe. Ex. (1) : dans retenire (l.cl. retenere), l‟initiale est la syllabe « te » du mot tenire ; dans collocare (cum + locare) > couchier > coucher, au contraire, le suffixe n‟est plus perçu et la syllabe -lo est éliminée. - une voyelle prothétique (prothèse) apparaît devant le groupe consonantique initial du type s + consonne : sc-, sp-, st- (scola > escole > école ; spada > espade > épée, stella > estele > éteile > étoile). La voyelle est d‟abord [ ĭ ] au Ier s. qui passe à [ e ] au IIe - IIIe ss. par mutation vocalique : Ex. spatha > espée > épée. la voyelle [ i ] se conserve telle quelle en [ i ] : filar > filer. la voyelle [ u ]. Issue du [ ũ ] elle devient antérieure (se palatalise) vers le VIIe s. en [ ü ] : durare > durer. La voyelle [ e ] peut provenir d‟un [ ĭ ]ou d‟un [ ē ], après qu‟ils ont subi la mutation vocalique. Entravée, la voyelle se conserve : dĭsf´acere > défaire. Lorsqu‟elle se trouve entravée par / R /, elle s‟ouvre : vĭrtute > vertu. Si la voyelle est libre, elle s‟affaiblit en [ e ] central au XIe s. puis se labialise : venire > venir. La voyelle [ a ], dans le cas général, se maintient. Ex. : m´aritu > mari. Mais il y a des traitements conditionnés. Lorsque [ a ] est précédé d‟une palatale et en position libre, il se ferme en [ ė ], au VIe s. : caballum > cheval. La voyelle [ ọ ] : Le plus souvent [ ọ ] se ferme en [ u ], au XIIe s. : dolorem > dolor > douleur. Pourtant, cette évolution générale connaît des exceptions jusqu‟au XVIIe s. On conserve ainsi le timbre du « o » ferme ou ouvert : - à cause de la graphie : soleil ; - à cause de l‟analogie : mortel, mort, dormir, dort. - dans les doublets étymologique, surtout les mots savants : couleur (pop.), mais coloré ( col´orem). 4. Les voyelles atones en position finale La voyelle [ a ]. Cette voyelle s‟affaiblit au VIIe s., mais se conserve en / ė / central qui se labialise au XVe s. : causa > chose. 28 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Pour les autres voyelles i, ẹ, ọ, u , l‟amuïssement est général au VIIIe s. à la finale absolue : murum > mur ; Après un groupe consonantique ; la voyelle se maintient à la finale, mais elle s‟amuït au XVIe s : consonne + l, r : patre > père, duplu > doble > double ; consonne + dj : rubeu > rouge, ordeu > orge ; séquence s + n/ as(ĭ)num > asne > âne ; m + n : somnu > somme ; l + m : cal(a)mu > chaume ; y + R : seior [seyyor] > sire. Dans les mots restés proparoxytons, la voyelle s‟affaiblit mais elle reste comme voyelle d‟appui. Ex. : h´ospite, d’où (h)oste > hôte. Les voyelles [ i ] et [ u ], précédées d‟une voyelle tonique, forment une diphtongue de coalescence avant les VIIe-VIIIe ss. : d´eu > dieu, cantaui > cantai. 5. Les voyelles atones en position prétonique La voyelle [ a ] s‟affaiblit en [ ę ] au VIIe s. puis en / e/ central (XVe s.) : orn(a)mentum > ornement. En hiatus, par chute d‟une consonne, elle s‟amuït au XIV s : arma(t)´ura > armeüre > armure. En syllabe fermée, elle garde son timbre : excappare > escapper > échapper. Pour les autres voyelles, l‟amuïssement est général : lib(e)rare > livrer, san(i)tate > santé. 6. Les voyelles atones en position post-toniques Logiquement, ces voyelles n‟existent que dans les proparoxytons. C‟est la position la plus faible, elles s‟amuïssent toutes, y compris [ a ] : c´alamu > chaume, valde de v´al(ĭ)dus. La voyelle posttonique tombe au IIIe s., alors que la voyelle finale se conserve sous la forme d‟un « e » central qui apparaît avant le IIIe s : h´om(ĭ)nem. La marque « e » s‟est conservée jusqu‟à aujourd‟hui. 29 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre V LES DIPHTONGUES DE COALESCENCE AVEC [ l ] 1. La vocalisation de l devant consonne Le phonème latin / l / se vocalise devant consonne. La vocalisation de « l » s‟explique par une prononciation différente, vélaire : la langue s‟élève, non seulement dans sa partie avant (la pointe), mais aussi dans sa partie arrière (sa racine). Le mouvement est à la fois apical et dorsal, précisément dans la zone d‟articulation de / u /, lui-même vélaire. « L » deviendra / u / au IIIe s : le phonème est noté / ł /. Au VIIIe s, il s‟affaiblit par perte de l‟élévation apicale ; au Xe s. enfin il se vocalise en / u /. Ce nouveau / u / se trouve donc au contact d‟une voyelle précédente. Il va s‟associer à cette voyelle en une diphtongue dite de coalescence. Ex.: alba > aube, calidu > chaud, palma > paume, alba pina> aubepine; sal mura > saumure. Le groupe / a + u / est prononcé /´au / en une seule émission de voix. Cette diphtongue se réduit avant le XVIe s.: /´au > o/. Passage de l à u La vocalisation de l en u, suivi de la fusion de u avec la voyelle précédente, est un phénomène propre aux syllabes toniques et contretoniques. Elle se produit devant une consonne à l‟intérieur du mot : talpa > taupe, sal’tāre > sau’ter. Donc, l‟entrave formée par l + consonne constitue un cas spécial. L devenu final subsiste en français : caballu > cheval, mais caballos > chevaux. La vocalisation s‟est produite après toutes les voyelles, mais après ī et ū > y, u résultant de l n‟est pas entré en combinaison avec ces voyelles et s‟est réduit complètement : Argīlla > argile pūlice > puce Fīlicelia > ficelle pūlicella > pucelle Il se peut que la combinaison n‟ait pas eu lieu, parce que ces voyelles appartenaient à la série antérieure, ce qui a empêché leur fusion avec u < l voyelle postérieure. Le commencement de la vocalisation de l semble remonter à l‟époque gallo-romane, mais F. Brunot et Ch. Bruneau suppose que ce sont des notations maladroites. Il est généralement admis que dans la langue parlée ce phénomène s‟est terminé vers 1100, quoiqu‟on trouve assez souvent au XIIe siècle des graphies avec l : volt, vult, voldrai (formes du verbe voleir), à côté de haut, saut, mout. Kr. Nyrop suppose qu‟au XIIe siècle « l‟articulation consonantique a du être à peine perceptible », et qu‟on devait prononcer « une sorte de l très réduit ». La vocalisation ne s‟est pas produite en même temps dans toute la France. Elle a affecté divers dialectes à diverses périodes jusqu‟au XIIe 30 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS siècle. Il semble même que pour certains mots et dans certains dialectes la vocalisation ait commencé dès le IXe siècle. Le dialecte picard conserve des restes de la vocalisation après i, où fīlius > fius. D‟autre part, la disparition de l après toutes les voyelles se rencontre en Wallonie, en Picardie, dans le Poitou et dans les dialectes de l‟Est, où l‟on trouve atretant, savage, etc. 2. La vocalisation des autres consonnes D‟autres consonnes ont également subi une vocalisation, mais seulement dans quelques mots isolés. Ainsi g > u dans smaragdu > esmeragde > esmeraude > émeraude ; v > u dans avica> auca > oca > oie, avicellu > aucellu > oisel > oiseau ; b > u dans tabula > tabla > taula > tôle, etc. Tôle, doublet dialectal de table, est peut-etre originaire de la région de Bordeaux. Au Nord - Est on rencontre nieule < nebulu et diaule < diabolu, voir dans la « Séquence de Sainte Eulalie » : voldrent la faire diaule servir. 3. L’association de e ouvert + u ĕ + l + consonne > eau [o :] : castellos > chateaux, germ. helm > healm > heaume. La triphtongue eau, accentuée sur le deuxième élément, s‟est simplifiée en o. Ce processus semble s‟être accompli vers le XVIIe siècle, mais des exemples isolés se rencontrent plus tôt. O provenant de ĕ + l + consonne est passé par quatre étapes : a) apparition d‟un a transitoir entre deux sons dont les points articulatoires étaient très distants : bellus > beals (avant la vocalisation) ; b) vocalisation de l : beals > beaus d‟où est issue la triphtongue eau vers le début du XIIe siècle. c) eáu > eó (au > o). La prononciation eo, générale au XVIe siècle, tombe en désuétude au XVIIe siècle ; d) monophtongaison de eo > o vers le XVIIe siècle. Dans les dialectes du Nord, en Picardie notamment, eau > iau qui survit dans certains patois. Par exemple : castellus > castels > casteaus > castiaus, illōs > iaus, capillōs > caviaus, etc. Cette prononciation était courante dans la langue de Paris au XVIe siècle (peut-être un picardisme ?) L‟anglais beauty, emprunté au français à cette époque, la conserve jusqu‟à nos jours. 4. L’association de e fermé + u e (i) + l + consonne > éu [o :] : capillōs > cheveux. En Picardie caviaus. L‟e de éu a subi une assimilation à la labiale u, d‟où oéu > oe. La simplification en oe s‟est produite probablement à la fin du XIIe siècle. 31 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 5. L’association de o ouvert + u ǒ + l + consonne > óu [u] : mollis > mous, follis > fous. En Picardie ǒ + l + consonne > au : colpōs > colps > coups > caus (francien coup), mollere > maulre > maurre (francien moudre), volvita > vaute (francien voûte). La diphtongue ou s‟est réduite à u au cours du XIIIe siècle. 6. L’association de o fermé + u ō + l + consonne > ou [u] : fulgur > foudre, pul(ve)re > poudre. Comme dans le cas précédent, la monophtongaison a eu lieu au cours du XIIIe siècle. 7. L’association de a + u ǎ + l + consonne > au [o :] : talpa > taupe, vallis > vaux, calidu > chaud, salvu > sauve, malvu> mauve, alteru > autre, calidu > chaud, palma > paume, alna> aune. Le suffixe péjoratif -aud (noiraud, salaud) provient de noms propres germaniques très répandus, tels que Answald ou Grimwald. Au était une diphtongue accentuée sur a, la preuve en est dans les assonances en a pur. On relève les premières traces de la monophtongaison en o dès le XIIIe siècle (au > aọ > oọ > o). Cette simplification semble s‟être accomplie avant 1500, quoiqu‟ on trouve encore chez Meigret aotre, aocun, faot. Meigret étant d‟origine lyonnaise, cette prononciation doit être considérée sans doute comme un provincialisme. En tout cas, tous les autres grammairiens du XVIe siècle constatent que au se prononçait o. Formules à retenir : ă + l entravé > au [o :] - talpa > taupe ĕ + l entravé > eau [o :] - castellus > château ĭ + l entravé> eu [o :] - capilŏs > cheveux ŏ + l entravé> ou [u] - solidu > sou ŭ, ō + l entravé> ou [u] - oultrā > autre ī + l > ī : argīlla > argile ū + l > y : pūlice > puce Exercices : a) Ecrivez les mots du français moderne dérivés des mots latins en faisant attention à la vocalisation de « l » et aux résultats de cette vocalisation : assultu > assaltu > collu > alique unu > al(i)cunu > col(a)pu > alna > poll(i)ce > palma > sol(i)dare > malva > * vol(vi)ta > 32 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS bellu > annellu > annellōs > porcellōs > Belna > novellu > germ. fĭltir > *fĭltru ĭllōs > capĭll(o)s > pulmone celt*multone culpab(i)le a(u)scultat ultra pul(i)ce mille fil(i)cella > > > > > > > > b) Trouvez les mots du français moderne, en tenant compte des alternances indiquées : eau - el(l) ? veau ? peau manteau sceller ? cervelle ? ? carreau bourreau marteau beau nouveau ? ? ? ? ? c) Trouvez les mots du français moderne de la même racine, mais qui se distinguent par correspondance graphique indiquée : ou ? ? mou résoudre fou ol collier soldat ? ? ? 33 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre VI VOYELLES ACCESSOIRES (voyelles protoniques et épenthétiques) Pour les voyelles, il s‟agit surtout de sons prothétiques, c‟est-à-dire de sons antéposés aux mots (prothèse) et de sons épenthétiques, c‟est-à-dire de sons intercalés dans un groupe de consonnes (épenthèse). La voyelle prothétique est le plus souvent un “e” fermé qui se développe devant un groupe initial latin s + consonne (p, t, k). Ainsi, les groupes initiaux sp-, st-, sk- deviennent esp-, est-, esk-, où s‟amuït suivant la loi générale de l‟amuïssement des consonnes devant consonne dans l‟ancien français: sponsa > esponse> épouse, scribere > escrire > écrire, sternutare > esternuer > étérnuer (exercices). L‟apparition de cette voyelle accessoire s‟explique parfois par la difficulté de prononcer les groupes sp-, st--, sk- qui formaient un groupe de trois consonnes au moins avec les finales du mot précédent. La voyelle prothétique apparaît dans les inscriptions latines à partir du IIe siècle de notre ère (escripsit, eschola à coté de iscripta, iscola). Ces deux formes étaient connues déjà dans les manuscrits de l‟ancien français, avec et sans “e” prothétique: Alex. 48 Danz Alexis l’espuset belament, en même temps; Alex. 53 Avec ta spuse (V. Chichmarev, Livre de lecture, 31; rédigé en russe). La prononciation avec “e” prothétique s‟impose de plus en plus et se généralise. Dans les mots d‟emprunt les groupes sk-, sp-, st- restent intacts scarlatine, spasme, stellaire; cf. strict et étroit -doublets étymologiques. La voyelle prothétique a été ajoutée à quelques emprunts faits, en particulier, à l‟italien: escarmouche (it. scaramuccia), estampe (it. stampa) et au latin esprit (lat. spiritus). L‟e prothétique se développe sur presque tout le territoire de la diffusion de la langue française sauf en Wallonie et en Lorraine. Voir la carte Epine (d‟après l‟ALF 476), où sont attestées, en aires hachurées, les formes sans “e” prothétique (spin: à comparer avec le roum. spin). Les flèches indiquent l‟irruption des formes littéraires (épine) dans les patois du Nord-Est. Le rouchi, zone transitoire entre le wallon et le picard, souvent considéré comme appartenant au picard, est également caractérisé par l‟absence des formes prothétiques (v. Gossen, 85; ALF, 436 Echelle, 446 Ecrire, 447 Ecuelle; ALW I, 35 Epine, 38 Etoile). La région wallonne se distingue, de même, par une voyelle épenthétique “i” ou “y”. Le wallon dit scrire, stâve, sporon après voyelle et scrire ou sucrire, sutâve, supron après consonne. On note également: dès spènes [de spen] - des épines, mais one supène [on sypèn] - une épine. La 34 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS susbstitution en wallon de la voyelle épenthétique à la voyelle prothétique semble être fort ancienne (Remacle, 41). Règle à retenir : Devant un groupe initial latin s + consonne se développe un “e” prothétique: spons > épouse, scribere > écrire, qui a la valeur du phonème [e ]. Exercices a) Ecrivez les mots qui manquent : Latin An. français ? ? stab(u)lu ? statu stringere smaragda ? espethe establir ? ? ? ? Fr. moderne ? ? ? escript ? ? ? ? estreit b) Trouvez les mots du français moderne de la même racine que les mots suivants, mais qui s‟en distinguent par la correspondance phonétique indiquée : et étude ? ? ? étier étang ? ? ? ? ? étroit est st ? estamper estoc ? ? ? ? ? ? ? restreinte ? ? ? ? stomatocal ? ? Stoff sternutation stellaire stoppage ? ? 35 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS ep esp ? ? épier ? ? esprit ? ? espadon spongieux e, ec, ech ? école étincelle échelle sp ? spacieux ? ? ? esc sc description ? ? ? ? ? ? ? 36 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre VII DÉPLACEMENT DE L’ ARTICULATION EN AVANT 1. Le déplacement de l’articulation de ū Soit tonique ou atone, libre ou entravé, ū passe à [ y ]: nūdu > nu, cūpa > cuve, jūrāre > jurer, pūrga > purge. Le phonème [ y ] se rencontre non seulement dans les mots populaires : mūru > mur, mais encore dans les mots savants : natūra > nature. (ex. a, b). Se prononçant sur l‟origine et la chronologie de ce phénomène, A.G.Haudricourt et A.G. Juilland disent avec raison que le traitement de l‟ū latin constitue l‟un des problèmes les plus épineux du phonétisme galloroman. D‟autres linguistes attribuent ce développement à l‟influence germanique (A.Dauzat, M.Cohen). Une autre théorie, très répandue autrefois, mais oubliée de nos jours, est celle de l‟influence celtique. On suppose que les Celtes ne connaissaient pas le son [ u ] et remplaçaient ce phonème latin par un phonème qui leur était propre depuis une époque très ancienne et qui se rapprochait de l‟[y ] français. Cependant, cette théorie, très vraisemblable de prime abord, se heurte aux faits de géographie linguistique : le territoire où l‟on trouve [ y ] ne coïncide pas rigoureusement avec les espaces occupés par les Celtes. Le phonème [ y ] ne se rencontre pas dans une partie du dialecte wallon, celle qui a été fortement influencée par les populations celtiques (M.Wilmotte. Nos dialectes et l‟histoire, Paris, Droz, 1935). Je dirais que c‟est vrai, mais ce n‟est pas obligatoire de trouver l‟[y ] partout, parce que la géographie linguisqtique, elle-même ne confirme pas ce postulat pour nombre de phénomènes phonétiques. A part cela, par ailleurs, cette hypothèse n‟est pas confirmée par les faits d‟ordre chronologique. Ainsi donc, la carte 630 Plume ; Plumer nous démontre que que le phonème [ y ], plyme, plume n‟est répandu que dans la zone Ile-de-France (Yveline et Essonne). Pour le reste du territoire de cette région, le nom « plume » est rendu par la variante plœm, pyœm et c‟est uniquement l‟infinitif du verbe qui atteste par ailleurs la forme du français commun : plyme, voir les pts : 10, 18, 37, 49, 50. La situation est autre sur la carte 157 Mûr, Mûre. Là, on distingue deux grandes aires, dont l‟une occupe les deux tiers du domaine (Nord-Est) et l‟autre, celle de l‟Ouest-Sud. Dans la zone du NordEst, c‟est le [ y ]; myr pour les deux genres, dans la deuxième zone (OuestSud) c‟est mœ, mœz (dans les deux genres le [ œ ] est fermé. Ce n‟est que par ailleurs, très rarement, qu‟on trouve la forme myr. (voir la carte 630 Plume, plumer, ALIFO et 157 Mûr , Mûre, ALIFO). Quant à la date de l‟apparition de [ y ], elle ne semble pas être antérieure aux VIIIe - Xe siècles, comme le prouvent E. Richter et W.von 37 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Wartburg, étant donné qu‟à cette époque, l‟influence celtique était nulle, la langue celtique étant morte depuis des siècles. Les emprunts à l‟ancien hautallemand, où le [ u ] gallo-roman reste intact, confirment cette datation : prūna > pfruna, mūulus > mul. L‟hypothèse celtique étant regetée, il reste à supposer que le passage de ū > y est un fait interne régi par les lois propres à la langue française (développement spontané), (H.Lüdtke et A.G.Haudricourt et A.G. Juilland). Le déplacement du point d‟articulation dans ū > y semble s‟être produit tout d‟abord dans le francien et dans les régions avoisinantes. Certains autres dialectes ne connaissent pas [ y ] dans la période de l‟ancien français (v. les formes alcon, chascon pour alcun et chascun en lorrain et bourguignon). D‟après P.Fouché, [ y ] ne se laisse déceler dans ces dialectes que vers le XIIIe ou le XIVe siècles. De nos jours, [ y ] est répandu dans tous les dialectes français, sauf la région du haut et du moyen Rhône et le wallon oriental (Malmédy, Ourthetal, Liège), où l‟on trouve [ u ] ou [ o ] et non [ y ]. Ainsi, en Liégeois, pierdou « perdu », nou « nu » on « un » ; dans le reste de la Wallonie (Namur, Saint-Hubert, etc.) on relève [ y ], considéré comme un archaïsme qui se conserve dans une zone latérale (v. ALW I, 41 Fétu, 71 Perdu, 74 Plume, 96 Un). En moyen français et même aujourd‟hui, il y a une tendance, dans certaines régions, à prononcer [ œ ] au lieu de [ y ], surtout devant [ r ], voir les cartes ci-dessus, aussi bien qu‟en Bourgogne, Normandie, Picardie, et la région de l‟Ile-de-France et Orléanais. Il en est resté quelques dialectismes dans la langue littéraire : beurre, heurter, pour burre, hurter. Par contre, dans le Nord, il y avait une tendance à prononcer [ y ] au lieu de [ œ ]. La langue littéraire a gardé des vestiges de cette prononciation dans flûte, prûd’homme pour fleute, preud’homme. Ainsi donc, le déplacement de l‟articulation de ū > y a donné naissance au phonème [ y ]. 2. Le déplacement de l’articulation de a (long et bref) en e Tout « a », (long et bref), passe à « e » : mare > mer, sauf devant une nasale, manu > main et après une palatale : caput > a .fr. chief, > fr.mod. chef, tandis que « a » entravé reste intact. : arbore > arbre (exerc. a, b, c) Cette évolution affecte un grand nombre de mots, parmi lesquels certains sont très répandus : fratre > frère, patre > père, faba > fève, nasu > nez, etc. Elle atteint aussi les désinences des verbes de la première conjugaison : parlare > parler, parlatis > parlez, parlatu > parlé, parlarunt > parlèrent, etc. Mais « a » reste intact dans les mots savants : lac, cas, état (exercices). 38 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Morphologie « A » reste tel quel dans les parfaits de la Iière conjugaison : parla parlavit, et dans les présents monosyllabiques : as < hābes, a < hābet, vas < vādis, va < vādit, vade. Trois phonèmes du français moderne résultent du passage de « a » à « e ». Ce sont [ ε: ] ou [ε ] qui se rencontrent devant une consonne articulée (père, sève, sel, tel) et [ e ] fermé, lorsqu‟il est en position finale devant un « e » muet ou devant une consonne non prononcée (santé, aimée, aimez, clef). On ne sait pas exactement quelle était dans l‟ancien français la valeur de « e » dérivé de « a ». Ce son ne coïncidait pas avec « e » issu de « e » entravé (cervu > cerf) ou de ē, ĭ entravés (dēbita > dette, lĭttera > lettre). A cette époque les assonances avec e < a et avec e < ē, ĭ étaient distinctes : e < a (long et bref) assonait presque déffinitivement avec lui-même. L‟e, venu du a, était donc en ancien français un phonème indépendant (exercices). L‟évolution du a > e est un des traits distinctifs pour différencier le français du provençal, où « a » subsiste sans changement. Par exemple, l‟infinitif des verbes de la I-ière conjugaison : fr. chanter, porter – provençal : kanta, portar. Il sert souvent pour définir la zone qui divise ces deux langues. Nombre de cartes de l‟ALF démontrent en effet que l‟évolution, de a > e s‟est propagée jusqu‟à une ligne qui part approximativement de l‟embouchure de la Gironde, passe au-dessus de Limoges, longe les premiers contreforts du Plateau Central, puis coupe la Loire vers Roanne et la Saone vers Macon, pour aboutir au lac de Genève. Voir la carte de l‟ALF 335 Couper : on trouve au Nord couper, au Sud kupa, à l‟Ouest et sporadiquement ailleurs - kupo, kupœ, et dans les zones latérales parfois kupi. Les romanistes situent presque unanimement le passage de a > e à la fin du VIIIe - début du IXe siècles. Certains auteurs font remonter ce passage au VIIe siècle (Bourciez, 35) et même au VI siècle. Les graphies des « Serments de Strasbourg » qui offrent un « a » (salvat, fradre, returnar) semblent archaïsantes, alors que la « Séquence de Sainte Eulalie » on trouve déjà partout e < a (pleier, presentede, honestet, getterent). Les données des dialectes français du Nord et de l‟Est, où dans la scripta (langue écrite) on retrouve souvent la gaphie ei, pour e < a, plaident pour le stade intermédiaire à une prononciation diphtonguée. Cette graphie, il est vrai, ne rencontre pas une appréciation unanime, à savoir, s‟agit-il d‟une diphtongue ou bien « i » n‟est -il qu‟un signe graphique (Remacle, 128), indiquant une prononciation très fermée ? Toujours est-il qu‟on trouve souvent les rimes ei : i. Ainsi, dans le « Poème moral », 39 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS strophe 103, pener : trouveir : alleir : saveir, ou strophe 104, conteir : doteir : amender, trover. D‟autre part le wallon moderne est caractérisé par une prononciation diphtonguée dans : pratu > pre1, clave > cle, 1 patre > pe1r, aratru > ereir. Dans l‟ALW I, 2 Année, la forme annej est répandue sur presque toute domaine, tandis que dans les cartes 77 Porter et 37 Eté, les formes portej et étej se concentrent à l‟extrême Sud de la Belgique Romane, qui appartient au dialecte lorrain. Dans le picard moderne, on trouve étej < aetate, vérité < veritate. Ce traitement caractérise aussi les dialectes de l‟Est, en premier lieu celui de Metz, c‟est-à-dire le lorrain. Formules à retenir : ū > [ y ]: mūru > mur a > [ e ]: mare > mer 1 Cet « e » s‟écrit parfois ai en français moderne. Après la monophtongaison de la diphtongue ai (amat aime) la graphie ai est devenue le signe de « e ». En ancien français les mots aile, paire s‟écrivaient ele, pere (exercices). Exercices a) Dans quelles terminaisons verbales peut-on observer le changement de u > y et de a > e ? b)Trouvez les mots français correspondant aux mots latins : grūa > prātu > plūme > sāle > mūla > salāre > virtūte > brāsa > cūlum > portātu > durāre > portāta > fumāre > mortāle > c) De quoi dépend la différence du traitement de a accentué bref dans caballu > cheval, arbore > arbre, laridu > lard, d‟une part et de mare > mer, matre > mère, faba > fève, d‟autre part ? d) Comment expliquer l‟existence de a dans ´asinu > âne, et dans mâle > ´habitu > malade ? e) Quelle était la graphie de clair et de braise en ancien français ? 40 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre VIII LES NASALISATIONS Une articulation nasale résulte de l‟abaissement partiel du voile du palais : l‟air sort à la fois par la bouche et par le nez. 1. La fermeture à date prélittéraire Au VIIe s., les voyelles orales se ferment devant les consonnes nasales. C‟est le cas des voyelles simples en syllabe fermée : Ex .; v´entu [ę > ẹ ], ponte [ o > ọ]. Les voyelles libres se sont diphtonguées et c‟est le second élément de la diphtongue qui se ferme. Ex. : panem > paęne (VIe s) paẹne (VIIe s.), a. fr. pain. 2. Les nasalisations premières et secondes Les dates s „étendent du XIe s. (vers l‟an 1000, pour le [a ]) jusqu‟au XIVe s., pour [ ü ]. a) Les nasalisations premières (XIe s.) Les voyellles [ a ] et [ ẹ ] sont forcément entravées sinon elles se seraient diphtonguées. - [ a ] se nasalise ves l‟an 1000 : a > ã. Ex. : grandem > grant. - [ ẹ ] se nasalise au début du XIe s. : Ex . : Ventum. [vẽ > vẽ > vã ]. Le[ã ] de grant et de vã se confondent. Les deux éléments nasalisés s‟assimilent au XIIe s. Après la monophtongaison, [ ẽ fermé ] s‟ouvre en [ ẽ ouvert] au XIIIe s. : - la diphtongue [ai] se nasalise au XIe s. : ai >ãĩ Ex. : panem > pain ; baneum (l.cl. balneum) > bain. - la diphtongue / ei / se nasalise au XIe s. : éi > ẽĩ : plénum > plein. Les deux diphtongues aboutissent au même résultat : ẽ ouvert. Cette confusion orale explique également les équivalences des trigammes : ain / ein. Les mots plain et plein peuvent donc venir tous les deux de plēnum et plānum. b) Les nasalisations secondes (XIIe s.) La nasalisation de [ ọ ] aboutit à un résultat double : - lorsque [ ọ ] est entravé, il se nasalise au XIIe s., et s‟ouvre au XIIIe s. : ọ > õ > õ ouvert. Ex. : pọntem > pont. - lorsque [ ọ ] est libre, il subit la diphtongaison. Au XIIe s., le même résultat [ ọu ] se nasalise, le second élément s‟ouvre devant la consonne nasale ; les deux éléments fusionnent et la voyelle s‟ouvre : ọu > õũ > õõ > õ > õ: donum > don. La voyelle ouverte [ o ] se diphtongue et se nasalise 41 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS au XI e s. : uẹ > uẽ, puis au XIIe s. s‟assimile : uẽ > üẽ, après cela on a [ẅẽ]: comes > cuens. La diphtongue [ iẹ ] se nasalise au XIIe s : iẹ > iẽ. L‟ensemble se réduit par normalisation : consonification du Ier élément devenu atone et ouverture du second : iẽ > yẽ : Ex. : bĕne > byẽ. Dans la langue populaire, l‟ouverture se produit : yẽ >yã. Ex. : femita > fiente. La diphtongue [ oi ] se nasalise au XIIe s.. : oi > õĩ. Les deux éléments égalisent leurs apertures : õĩ > õẽ > ũẽ. Dans la période de la normalisation, ce dernier élément passe à [ wẽ ] : cuneum > coin. 3. Les nasalisations tardives Pour les deux voyelles les plus fermées, les nasalisations n‟ont pas toujours lieu ou elles se produisent plus tard : [ ī ] par ouverture en ẹ nasal aboutit à ẽ ouvert. La nasalisation en [ ĩ] a lieu au XIIIe s. puis les ouvertures successives jusqu‟à « e » ouvert : vīnum > vin. [ ū ] long : ü > ü(nasal) > œ(nasal) au XIVe s. et l‟ouverture se produit au XVe s. Ex. : ūnum > un. Cette dernière nasale tend à se destabiliser en français moyen : elle se confond avec / ẽ / ouvert : un ami / ẽ-nàmi /. 4. La dénasalisation des voyelles Il s‟agit plutôt d‟un processus de différenciation qui aboutit à la fin du XVIe s ou au début du XVIIe s. Après la nasalisation, toutes les voyelles sont nasalisées devant les consonnes nasales. La séquence voyelle nasale + consonne nasale est donc systématique. A l‟issue de ce processus, un des deux phonèmes d‟articulation nasale est éliminé : la consonne, en position finale ou implosive ; la voyelle lorsqu‟elle est devant consonne nasale intervocalique. Exemples : bon : /bõn/ (XVIe s.) > [ bõ ], à la fin du XVIe s. bonne : [ bõne ] > [ bone ] (XVIe s.), à la fin du XVIe s. [bon ], fin du XVIe s. bonté : [bõntẹ ] > [ bõtẹ ], à la fin du XVIe s. Une des conséquences de cette dénasalisation est que [ a ] peut continuer un [ e ] latin. Ex. : f'ēmina (la prononciation devient paroxytone avant le VIe s., car la voyelle [ ē ] ne s‟est pas diphtonguée. Phonétique Graphie Xe s. /f ẹmė/ Début XIe s. / fẽmẹ / femme / feme Mi XIe s. /fãme/ famme / fame Fin XIe s. /fame /fam/ femme Le mot actuel possède donc une graphie archaïsante. 42 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 5. Synthèse : le statut des voyelles nasales Ces voyelles ne constituent pas de vrais phonèmes avant le XVIe s. Ex. : avec / a /. Périodes Latin A.fr Exemples Cantum / cattum Chant # chat Phonétique /a / = / a / /ãn / # / a / Fm Chant # chat /ã / # /a / Commentaires Un seul phonème dans tous les cas. Variante combinatoire de / a / devant cons. nasale. /ã /est devenu un véritable phonème. Exercices a) Expliquez le développement des mots suivants : cumulare > combler, tonare > tonner, fontane > fontaine,donare > donner ; b) Prononcez les mots tant, blanc comme on les prononçait à l‟époque de l‟ancien français (XIIe siècle) et celle de la langue classique (XVIIe siècle) ; c) Résumez les traits caractéristiques de la nasalisation des voyelles a, e,o, i, u ; d) Prononcez les mots laine, vaine, faim et nain comme on les prononçait à l‟époque de l‟ancien français (XIIe siècle) ; e) De quoi dépend la divergence dans le développement de « a » dans pane > pain et cane > chien ; dans camera > chambre, campu > champ et dans cane > chien. f) Marquez en transcription phonétique les étapes successives du développement dans le paradigme verbal : vĕnit, tĕnet, tĕneat. 43 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre IX FERMETURE ET OUVERTURE DES VOYELLES 1. La fermeture La base articulatoire du français moderne est marquée non seulement par une tendance à l‟articulation antérieure, mais aussi par une articulation assez fermée. Aussi la fermeture (rétrécissement) accompagne-t-elle certains processus, par exemple, la réduction. Elle caractérise non seulement les processus qui s‟accomplissent dans la partie non-accentuée du mot, la réduction de a dans mātūra > meur, mais aussi dans la partie accentuée : le passage de ă > e dans mare > mer, de ă > i dans jacet > gît (phase intermédiaire iei), de ĕ > i dans lectu > lit (phase intermédiaire iei). Un rétrécissement de ā > e a lieu de même devant une nasale (manu > main), ce qui n‟est pas caractéristique de la nasalisation qui connaît, en règle générale, l‟ouverture à un degré. La fermeture est assez fréquente dans les dialectes. Ainsi e > i dans les dialectes du Sud -Est, y compris les parlers franco-provençaux, où l‟on trouve giter, livé, i, recivez au lieu de jeter, levé, et, recevez. On peut lire dans une charte bourguignonne : tenir i avoir ce qui veut dire « tenir et avoir ». Un i non-étymologique de l‟ancien français - ei, ai, oi, ui pour e, a, o, u semble marquer une prononciation très fermée et peut-être légèrement diphtonguée de ces voyelles. En lorrain, où la tendance à la fermeture est très prononcée, la diphtongue ie est souvent orthographiée iei, par exemple, ensignieiz pour ensigniez. Le lorrain et le bourguignon maintiennent un ẹ > ĕ, par exemple dans terra > terre qui partout ailleurs, dès le XIIe siècle, s‟est ouvert en ε (en français littéraire - tε : r). La fermeture a contribué à enrichir le système phonématique du français moderne de nouveaux phonèmes u et ø . Le phonème u existait en latin et existe en français moderne, mais la période la plus reculée de l‟ancien français ne le connaissait ni comme phonème, ni comme variante d‟un phonème ; le son u apparaît seulement au XIIIe siècle par suite d‟une fermeture encore plus grande d‟un o fermé. Il a été noté par ou, u latin étant passé à y qui garde le graphème u. L‟o fermé de l‟ancien français, qui s‟est développé en u, provenait : a) de ō (ŭ) et ŏ accentués en syllabe fermée : tōtu > tōttu > tot > tout ; gutta > gotte > goute ; cursu > cors > cours ; currere > corre > courre ; surdu > sord > sourd ; co(h)orte > cor > cour. Un ō (ŭ) devant l‟entrave formée par le groupe cl se développe d‟après la règle générale en u : fenuc(u)lu > fenouille, tandis que ŏ + cl, gl, lj subit une diphtongaison : germ. orgoliu > orgueil, oc(u)lu > œil, folia > feuille. b) de ō initial, non-accentué, entravé ou libre : dub(i)tāre > doter > douter, nōdāre > noer > nouer. 44 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS c) de ō + l + cons. : ultrā > oltre > outre. d) de au inaccentué qui se monodiphtongue en o : laudārer > loer > Longtemps il a eu hésitation entre la prononciation u et o, dont la première était populaire et la deuxième - savante. On prononçait encore au XVIe siècle coste et couste, portrait et pourtrait, formis et fourmis (Marot), trope et troupe (Ronsard). Il y avait à cette époque les partis des « ouïstes » et des « non-ouïstes » (Brunot et Bruneau). Henri Estienne s‟adressait aux courtisans en ces termes : N’êtes vous pas bien de grands fous De dire chouse au lieu de chose ? De dire j’ouse au lieu de j’ose ? Par suite de ces hésitations la langue littéraire a adopté colonne, soleil, rosée, fromage, portrait, ormeau. Quant aux mots volume, polir, profil, etc. ce sont des mots savants. Le phonème labialisé ø : apparaît de même du fait de la fermeture des voyelles, cette fois-ci à la fin des mots. Ce son remonte aux XII - XIIIe siècles et provient de la monophtongaison des diphtongues eu et ue, mais il ne manifeste une différenciation de qualité qu‟au XVIe et au XVIIe siècles, quand s‟est produite la fermeture des voyelles après la chute des consonnes finales : il est fermé [ ø :] à la fin absolue du mot : peux, vœux, nœuds et ouvert [oe] devant une consonne prononcée : leur, meurt, peur, gueule, veuve, veuf, jeune. Les cas cités n‟épuisent pas tous les exemples de fermeture d‟une voyelle, par exemple, o ouvert devient fermé devant un s qui s‟efface : costa > coste > cote [ko :t] ; ē accentué libre, précédé d‟une postlinguale qui dégage un yod, devient en français i : cēra > cire, mercēde > merci, licēre > loisir. D‟après E. Bourciez ce changement de ē > i parait s‟être opéré sans diphtongaison de ē libre en ei, la voyelle s‟étant fermée davantage lors de la palatalisation de k. On trouve dans les documents mérovingiens du VIIe siècle mercidem pour mercēdem, cido pour cēdem. 2. L’ouverture La prononciation ouverte ne semble pas aussi caractéristique du français moderne que la prononciation fermée. Cependant, l‟opposition des voyelles fermées aux voyelles ouvertes (e ~ε, ō ~ o, ø : ~ oe) occupe une place considérable. Laissant de côté le passage de ŭ > ō et de ĭ > ē qui apparaît au latin parlé, arrêtons-nous sur l‟élargissement de e en ε et de ọ en o fermé qui s‟est produit au XIIe siècle (sur l‟opposition ø : ~ oe, v. plus haut dans « Fermeture »). E fermé passe à e ouvert lorsqu‟il est : 45 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS a) accentué et entravé : dēb(i)ta > dette, illa > elle, littera > lettre. Cf. dans les suffixes diminutifs -ittu > -et, -itta > -ette ; b) accentué et libre devant une nasale, si cette nasale a conservé son articulation : plēna > pleine ; c) accentué devant n mouillé : insignia > enseigne, dignat > a. fr. deigne > fr. mod. daigne ; d) initial devant u ou l mouillés : segniore > seigneur, pec(ti)nāre > peigner, meliōre > meilleur ; O fermé passe à o ouvert lorsqu‟il est : a) accentué et libre devant une nasale, si cette nasale a conservé son articulation : pōma > pomme, corōna > couronne ; b) accentué devant n mouillé : Bononia > Boulogne ; c) initial libre suivi d‟une nasale : sonāre > sonner, donare > donner ; d) initial suivi de n mouillé : cuneata > cognée. En dehors des cas cités il est impossible de laisser de côté un phénomène d‟ouverture important qui s‟est produit du XIIIe au XVIe siècles. Il s‟agit de l‟ouverture de e > a devant un r, dont les premiers exemples remontent au XIIIe siècle. Ainsi, une rime de Rutebeuf sarge (pour serge < serica) - large. Au XVe - XVIe siècles la confusion de er et ar devient commune : Henri Estienne écrit en 1582 : « Plebs praesertim parisina hanc litteram pro e in multis vocibus pronuntiat, dicens Piarre pro Pierre…, guarre pro guerre… place Maubart pro place Maubert ». Ce phénomène s‟explique par le passage de r alvéolaire (apical, dental) à r uvulaire (dorsal, vélaire), c‟est-à-dire à l‟r parisien d‟aujourd‟hui. La langue, en se soulevant dans sa partie vélaire pour produire un r uvulaire, a provoqué l‟abaissement de la partie antérieure de la langue, ce qui a entraîné l‟ouverture de e > a (assimilation partielle de la voyelle à une consonne d‟après la place de l‟articulation). Cette prononciation a été tenue pour vulgaire par les savants et par les milieux cultivés qui, influencés d‟ailleurs par l‟orthographe, se sont opposés à ce développement, et, chose curieuse, ont réussi à le contrarier. Le succès obtenu par les grammairiens s‟explique, il nous semble, par une tendance générale du phonétisme français au développement vers les voyelles fermées et antérieures, tendance qui a été plus forte que celle de l‟assimilation partielle de a à r. Quoique condamnées par les grammairiens, les formes en ar s‟emploient couramment au XVIe et au XVIIe siècles, surtout par les gens du peuple (chez Molière - aparçu, libarté, parmission, parsonne). De cette coexistence des formes en ar et en er la langue littéraire garde dartre (en a. fr. dertre), écharpe (en a. fr. echerpe) et quelques autres mots. 46 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS La réaction contre la tendance à l‟ouverture faisait dire à cette époque meri pour mari, Peri pour Paris. G. Tory écrit qu‟en 1529 les dames de Paris disent volontiers « mon meri est à la porte de Peris ». La langue littéraire a gardé serpe < a. fr. sarpe < sarpa; grebe < a. fr. jarbe < germ. garba ; chair < a. fr. charne < carne ; cercueil < sarcueil ; hermine < armenia, des mots dus à cette « fausse régression ». Il ne faut pas confondre la tendance assimilatrice de e à r due au passage de r alvéolaire à r uvulaire avec une autre tendance qui remonte aux textes latins de l‟époque mérovingienne - celle de l‟ouverture de e à a dans les syllabes initiales, surtout devant les consonnes liquides : bilancea > balance, tripaliu > travail, silvaticu > a. fr. salvage > fr. mod. sauvage, mercatu > marché. Une tendance à l‟ouverture, provoquée par la consonne r, mais cette fois-ci évidemment d‟origine dialectale, s‟observe pour y qui passe à oe. Cette prononciation est attestée en Bourgogne, en Normandie et en Gascogne. Elle pénètre dans la langue littéraire au XVIe siècle. Gougenheim allègue les rimes : sœur : sur ; heure : future. A partir de Malherbe, ces prononciations ont été condamnées comme « gasconismes » ou « normandismes ». On trouve cependant dans la langue littéraire des traces de cette particularité : beurre, heurter (a. fr. burre, hurter) et d‟autre part mûre, flûte, prud’homme, fur (dans au fur et à mesure) au lieu de meure, fleute, preud’homme, feur. Formules à retenir : ō, ŭ] > u - gutta > goutte ō, ŭ initial, entravé ou libre > u dub(i)tāre > douter, nōdāre > nouer ē, ī] > ε - dēb(i)ta > dette, ĭlla > elle 47 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre X ÉVOLUTION DES VOYELLES LONGUES ACCENTUÉES ī, ū Selon F. Brunot (p. 152), I (lat. cl. ī) est l‟unique voyelle qui dans une syllabe ouverte ou entravée n‟a pas souffert des changements (mille > mil, isla > isle, escripto > escrit, filo > fil, ira > ire. U (lat. cl.ū) en syllabe ouverte ou fermée qui a resisté à toute influence environnante a passé à ü. Ce changement selon F. Brunot est d‟une provenance latine récente et a une extension non-uniforme sur le territoire de la France d‟oil. A partir du XIe siècle on atteste déjà : mur < müro, us < üso. Selon Bobo Müller (La structure linguistique de la France et la romanisation sur le plan strictement linguistique, Travaux linguistiques de littérature, vol. XII, 1, Strasbourg, 1974, p. 7-29), le traitement du ū latin constitue le problème capital de la phonétique historique française. Quelle qu‟ait été la force motrice du développement du ū > ü, le déplacement de la base d‟articulation doit avoir eu lieu à partir du IIIe siècle, de sorte qu‟à l‟arrivée des Francs en Gaule, ū était déjà en train de se transformer sensiblement. Le passage de ū > ü est absolument contraire à tout autre changement survenu avant le haut moyen age, soit qu‟il s‟effectuait tant en position entravée qu‟en position libre, tant en syllabe accentuée qu‟en syllabe post- ou prétonique, donc selon un principe qui avait régi le phonétisme du latin vulgaire et bas-latin, mais qui n‟était plus valable pour les plus importants changements postérieurs. C‟est un argument de plus pour dater le passage, sur la ligne chronologique de l‟évolution des langues romanes, immédiatement après la palatalisation de K + i, e. Sur le plan dialectal l‟u n‟est pas l‟unique son en Ile-de-France, il est concurrencé par l‟extension d‟une aire dialectale représentée par le son oe (carte 5). 48 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre XI DIPHTONGAISON ET MONOPHTONGAISON 1. L’abandon du système latin. a) Diphtongues en hiatus Une diphtongue est l‟association en une seule syllabe, de deux segments vocaliques distincts, alors que l‟hiatus sépare deux voyelles par une coupe syllabique. Ex. : au/ re/us « d‟or » compte 3 syllabnes avec une diphtongue /au/ et deux syllabes en hiatus. Le français moderne ne possède plus de diphtongues. On a des associations : voyelle + semi-voyelle : lieu / lyœ /, yeux / yœ / ; voyelle + semi-voyelle : paille /pày /, oeil /œy / ; semi-voyelle + voyelle + semi-voyelle : piaille /piày /. Il y a eu lieu la réduction des diphtongues latines : - au Ier s., /ae > ę / et quelquefois à /e fermé/ : caelum > kęl > ciel. - œ > e (fermé )-: pœna > peine , au Ier siècle ; - au > o : aurum > or. La monophtongaison est la réduction d‟une diphtongue à une voyelle simple. a) Les nouvelles diphtongues Les voyelles longues sous l‟accent se segmentent en raison de leur longueur. On parle de diphtongaison spontanée. La voyelle s‟allonge, puis elle finit par se segmenter en deux éléments de coloration vocalique différenté (par différenciation). LC ū I ĭ, œ, ē ĕ ,æ ā ă o o ŭ LP u: I: e ę: a o o Diph ü I ei Ie ae uo ou Afr u I oi Ie a ue eu Evol ü I we>wa ye E Wœ> Œ eu La ligne « évolution » résume l‟évolution phonétique de l‟ancien français au français moderne. La diphtongaison romane, aux IIIe et IVe s.s., concerne le français et d‟autres langues romanes : elle ateint les voyelles les plus ouvertes. Les diphtongues étaient croissantes en aperture, c‟est-à-dire que le second élément sera plus ouvert que le premier. : e (ouvert) > ie à la fin du III s. ; o(ouvert)> uo, au début du IVs. La diphtongaison française, au VIe s. concerne uniquement le français. Elle atteint les voyelles fermées et /a/. Comme c‟est une période 49 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS d‟affaiblissement articulatoire, le second élément de la diphtongue sera plus fermé que le premier : / / /e(fermé) > ei /, / o > ou /. / a > ae /. Les grands principes d‟évolution des diphtongues consistent en ce que les deux segments vocaliques peuvent s‟assimiler (se rapprocher) ou se différencier (s‟éloigner). La normalisation est un phénomène par lequel une diphtongue croissante en aperture entraine une intensité croissante. Ex. /´ie > i´e/. Le /e/ plus ouvert que /i/ attire à lui l‟accent. Les diphtongues finissent par se réduire dans une phase d‟équilibrage de l‟énergie articulatoire/ - par consonification du premier élément. Ex./ i´e > ye/. par fusion des deux éléments en un son unique ou monophtongaison. Ex. / ae > e(ouvert /. c) La diphtongaison des voyelles ouvertes Les voyelles ouvertes /o / /e/ se diphtonguent respectivement à la fin du IIIe et au début du IV s. en position libre sous l‟accent. Il s‟agit d‟une sorte de renforcement articulatoire. L‟aire de la diphtongaison est la Romania, les anciennes provinces sous l‟influence du latin. Les deux voyelles connaissent la diphtongaison spontanée, mais aussi une diphtongaison conditionnée, lorsqu‟elles sont entravées par une consonne palatale. 2. Les diphtongaisons conditionnées La voyelle / e / ouvert subit une diphtongaison conditionnée lorsqu‟elle se trouve entravée par une consonne palatale : l´ěctum lit. , s´ěior /seyyor/ sire. La palatale exerce une influence fermante sur la fin de l‟émission de la voyelle. La diphtongue s‟assimile à date pré-littéraire : ie > íe. Lorsque la palatale implosive se vocalise au Xe s., il se crée une triphtongue de coalescence qui se réduit par assimilation : íe + y + íe + i > íei, d‟où « lit, sire ». ě ,æ > ę (Ier siècle) > ìę (IIIe s.) Elles ont lieu dans les mêmes conditions que pour le / e /ouvert, lorsque / o / se trouve entravé par une palatale. Ex. : nŏcte > nuit. La diphtongue se produit malgré la brièveté de la voyelle. Par réaction à la tendance fermante de la palatale sur la voyelle, celle-ci se ferme et se différencie : o(ouvert) > ´uo(ouvert). La palatale implosive se vocalise en /i/ au Xe s., on obtient la diphtongue de coalescence :´uoi . Commence alors une assimilation régressive : ´uoi > ´uei > u´i > ẅ´i. Au début du XIIIe s. l‟accent bascule sur le 2e élément, le premier est devenu atone et semi-voyelle, d‟où : nuit. 3. La diphtongaison spontanée La voyelle ouverte / e / 50 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Selon F. Brunot ę (lat. cl. ĕ) o (ouvert) (lat. cl. ŏ), ces deux phonèmes ont produit des changements parallèles. En syllabe entravée ils sont restés intacts : tęsta > teste, perd(e)re > perdre, cęrvo > cerf, sępte > sept ; porta > porte, fortia > force, dormit > dort. En syllabe ouverte ils se sont diphtongués de la meme façon. La voyelle s‟allongeant est devenue double, puis a produit une diphtongue, en modifiant son premier élément en un son plus fermé, proche par son articulation physiologique. ę > ęę> ẹę>ìę ; o(ouvert) > oo(les deux ouverts) > ọo(ouvert) >úo(ouvert) L‟accent des premiers éléments (í, ú) a passé sur le deuxième élément aboutissant à : íe >ié, úo > uó. (voir Horning, Uber Steingende und fallende Diphtongue im Ostfranzosische (ZRPh, XI, 411-418) ; Foerster, Schiesale des lat. ŏ im Franzosischen (Rom.stud., III, 174-193). Matzke, Uber die Aussprache des alt fr. -ue von latein ŏ (ZRPh, XX, 1-14). Là s‟arrete le parallélisme des évolutions parce que pendant que l‟évolution de ié finissait à cette étape, l‟évolution du uo(ouvert) passait en ue vers la fin du XIIe siècle. -ue a évolué en ö, écrit par ue (cueillir), oe (œil), eu (preuve), oeu (bœuf). Ex. : fęro > fier, fęl > fiel, bręve> brief, sed(e)t > siet, adredro > adriedre, perdędrunt > perdiedrent. Cor < cuor, cuer, cœur ; bove < buof, buef, boeuf; trobat < truovet, truevet>treuve; volet > vuolt > vuelt, veut ; ob(e)ra (opera) > uovre > uevre > œuvre. (voir F. Brunot, p. 153) Quelques mots latins serviront d‟exemples et montreront le point d‟aboutissement de la voyelle diphtonguée en français moderne. (voir Th. Revol, p. 26) Ex. 1. Pĕdem > pié ; fr.m. pied /pye / ; Ex. 2. Pĕtram > pierre > /pyer / ; Ex. 3. Caelum > ciel / syel/ ; A la fin du IIIe s., la voyelle s‟allonge, se scinde en deux sons vocaliques distincts qui se différencient : e > ee > ie. Cette diphtongue devient croissante en aperture, - e, parce que / e / est plus ouvert que / i /. à date prélittéraire (VIIe s.), asssimilation progressive, le / i / exerce une influence fermante sur le / e / : ie > ´ie. au XIIIe s. - la normalisation . La diphtongue devient à la fois décroissante en aperture et croissante en intensité, l‟accent se déplace sur l‟élément le plus ouvert : /´ie > ye . Le premier élément devenu alors atone continue à s‟affaiblir en se fermant : i´e > ye /. au XVIe s. joue la loi de position : ye reste fermé en syllabe ouverte, pied, mais il s‟ouvre lorsqu‟il est suivi d‟une consonne prononcée : ciel, pierre. 51 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Situation dialectale L‟isophone confine avec Seine-et-Oise pour revenir dans le nord d‟Eur-et-Loir. Ce sont, en principe, les dialectes appelés « de l‟Ouest » sans autre précision. L‟évolution du Ĕ accentué libre est présentée dans la région de l‟Ilede-France par /yé/ en syllabe ouverte et par /yè/ en syllabe entravée. Prenons le mot lièvre < du latin lĕporem. Suite à la réduction du « o » dans le latin « lĕporem » , à la sonorisation du p > v, ainsi qu‟à la chute du « m » final, on a obtenu en français moderne, le mot « lièvre », où « yè » se trouve en syllabe entravée, par ailleurs avec la séquence du « r » final ou par vélarisation du « è > oe ». C‟est ainsi que nous attestons lyèvr, lyèv, yèv ; arrondissement du « è » : lyoev, yoev. On ne saurait pas oublier non plus le maintien ou la palatalisation complète du « l » suivi du « i » / lyèv / yèv (carte nr. 1). La voyelle ouverte / o /. Tout comme pour le e ouvert, les exemples qui suivent montreront l‟évolution du o(ouvert). (Th. Revol, p. 26). Quelques exemples permettront aussi d‟anticiper sur l‟évolution de la diphtongue. Ex. 1. p´ŏtet > puet > peut > / pœ /. Ex. 2. m´ǒvent > muevent > meuvent > / mœv /. Voyons son évolution : LCl ǒ > o (ouvert) au I er s., puis il s‟allonge /o : / au (IIIe s.) ensuite il devient ´uo au (début IVe s.). Tout comme le / ę /, le o ouvert s‟allonge, se scinde et les deux éléments se différencient : o(ouvert) > oo(ouverts) > ´uo. A date prélittéraire (VIIe s.), la diphtongaison commence à s‟assimiler : ´uo > uo(fermé). - au Xe s. le point d‟articulation des deux éléments s‟éloigne, se différencient. Uo(fermé) ue(fermé) Les graphies médiévales puet et muevent sont donc conformes à la pronociation du XIe s. - au XIIe s. la diphtongue subit une palatalisation : üe > üœ Elle finit par se monophtonguer au XIIe s. par normalisation (déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus ouvert) : ´üœ > ü´œ ; par consonification du Ier élément, devenu atone : ü´œ ẅ´œ. par simplification en / œ /. au XVIe s. la loi de position joue normalement : / œ /. devient fermé en syllabe ouverte : il peut être /œ / ouvert en syllabe fermée : meuvent. Selon Thierry Revol, cette voyelle s‟allonge, se scinde et les deux éléments se différencient immédiatement : ō > ọọ (allongés) > úo (ouvert). 52 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS La diphtongaison est encore croissante en aperture ( /ú/ est plus fermé que le deuxième élément, mais décroissante en intensité (/u/ est tonique). A date prélittéraire (VIIe siècle), la diphtongue commence à s‟assimiler : uo (ouvert) > XIe siècle, le point d‟articulation des deux éléments se différencie : uọ > ue. Au XIIe siècle, la diphtongue subit une double assimilation : assimilation régressive (et palatalisation) ue > üẹ, puis assimilation progressive (et labilialisation) üẹ > üœ. Elle finit par se monophtonguer au XIIIe siècle. par normalisation (déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus ouvert: „üœ(fermé) > ü’œ (fermé) ; par consonification du premier élément devenu atone : ü’œ > üœ fermé). par la disparition de la semi-consonne, peu audible : le résultat est / œ / fermé. Au XVIe siècle, la loi de position joue normalement : /œ / fermé en syllabe ouverte. Ex. Peut. Mais la voyelle s‟ouvre lorsqu‟elle est suivie d‟une consonne prononcée. Ex. : meuvent. A juger d‟après la carte « Un oeuf ; des oeufs » (ALIFO, 625) on peut constater un aboutissement en: /œ/. Pourtant la loi de position ne fonctionne pas tout à fait normalement. On a enregistré par ailleurs des /œ/ fermés en syllabe fermée aussi bien qu‟en syllabe ouverte : en Orne, en Eure-et-Loir et partiellement en Indre-et-Loir : ẽn œ, dez œ ; ẽn œf , dez œf - timbre fermé en syllabe fermée et ouverte et au contraire : timbre ouvert en syllabe fermée et ouverte : ẽn œf ; dez œf (p. 51). La distribution de ces variantes est très désordonnée et on réussit à peine à tracer des limites distinctes. Voyons ce qu‟on trouve dans la légende de cette carte : la prononciation en œf (son ouvert) est connue partout ; elle est souvent considérée comme une prononciation soignée et elle n‟est notée que lorsqu‟elle est seule utilisée. Les formes de la carte sont des formes courantes ; on se reportera à la liste « Un tout petit oeuf » pour trouver certains emplois archaïques lexicalisés de « un oeuf ». 26 e grót œf = un gros œuf, 27 là dernyèr œf = le dernier œuf ; dez œ(fermé) est la prononciation soignée ; déz œf, déz œy - la prononciation spontanée.(voir la carte 626 Un œuf). Pour conclure on pourra dire que l‟ « o » ouvert a scindé la région en deux grandes aires : l‟une en /œ/ et l‟autre en /u/. (voir « le soleil » qui est plus représentatif à ce sujet (carte nr. 2). 53 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 4. Les diphtongaisons tardives En position libre et sous l‟accent, les voyelles / ẹ /, /ọ / et / a / se diptonguent au VIe s., exactement pour les mêmes raisons que les voyelles ouvertes à la fin du IIIe s. et début du IV e s. Comme ce phénomène n‟a lieu qu‟en français, on parle de diphtongaison française . 1. La diphtongaison de / e / fermé La voyelle / e / fermé subit deux types de diphtongaison : en raison de sa longuer sous l‟accent, elle se diphtongue spontanément, mais certains entourages consonantiques produisent des diphtongaisons conditionnées. Diphtongaison spontanée . Selon F. Brunot ẹ (lat. cl. ē,ĭ) en syllabe entravée s‟est conservé jusqu‟au XIIIe siècle. A cette époque ẹ>ę et e, par ex. le mot sec est provenu du secco par analogie avec bęc > bẹccọ ou le son e est ouvert. Conf. : mẹssa > mẹsse> męsse, spessọ (spĭssum) > espẹs >espęs (fr. épais), vẹrde (vĭrĭdum) > vẹrt > vęrt. L‟ ẹ libre, s‟allongeant en ē a évolué en ẹẹ puis par assimilation en ei : bẹvo (lat. cl. bibo) > beif, prẹda > preie, vẹa > veie, tonẹdro (lat. cl. tonĭtru) > toneire. Au XIIe siècle ẹi < e + y ou bien de l‟évolution spontanée du ẹ qui passe en oi(ouvert) (ou encore par l‟étape ai, ou encore plus précissément par ei). A partir du XIIIe siècle il se conforme au groupe associé oi qui vient du au + i, du a + ui (soi < sabui). Ex. : soi, mois, bois, rois, cortois, crois (croce), etc. (voir F. Brunot, p. 153) Deux exemples empruntés à Th. Revol (p. 26) montreront à quel résultat aboutit la diphtongaison spontanée de / e / fermé : p´ĭlu > poil et s´ēru > soir. L‟évolution en est la suivante : LCl ĭ œ ē LP II-IIIe s e (fermé) e (fermé) Diph-son VIe s ei La voyelle tonique libre s‟allonge, se scinde en deux sons vocaliques distincts qui se différencient : e : > ee > ei. La diphtongaison est décroissante en aperture. / i / est plus fermé que / e / et décroissante en intensité. /e / est tonique. Ainsi s‟explique les anciennes graphies : peil, seir, peire. Vers le milieu du XIIe s, la diphtongaison se renforce par différenciation : ei >oi, d‟où les graphies modernes « poil », « soir », «poire», etc. Etapes d‟évolution : à la fin du XIIe s, assimilation par égalisation des apertures : assimilation progressive (par ouverture du second élément: oi > œ, puis assimilation régressive (par fermeture du premier élément) : œ > e. 54 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS au cours du XIIIe s, réduction de la diphtongue en trois phases : déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus ouvert : ´ue > u ´e, puis consonification du premier élément devenu atone : u´e > we. à la fin du XVIIe s, la séquence /we / s‟ouvre /wa/. Ce traitement semble naître dans la pronociation parisienne, après la Révolution. au cours du XVIIe s , we se simplifie en / e / dans certaines conditions : après cons. + r : crēta > craie et dans les suffixes de nationalité en -iscu : français, mais le prénom François. Palatale précédant / e / libre. Au VIe s. la consonne palatale exerce son influence fermante sur l‟élément initial de la diphtongue et développe un son fermé / i / : ei > iei > i. Ex. : mercede > merci. / e / libre suivi d’une nasale. La diphtongue subit l‟influence de la nasale qui suit (VIe s.) : / ei /, mais elle est nasalisée à la fin du XIe s ; / ei > ẽĩ /. Au XIIIe s. la diphtongue nasalisée s „ouvre devant la consonne nasale, puis s‟assimile : ẽĩ > ẽẽ > ẽ > ẽ. Ex. : pœna /pena/ puis / pena / > peine /pẽĩne / > pẽne, d‟où les graphies peine / peinne. A la fin du XVIIe s. la voyelle se dénasalise : peine. Situation dialectale : Prenons pour /ẹ / la carte « Avoine » de l‟ALIFO. Dans la majeure partie du domaine on atteste la séquence /wè/ qui tire ses racines depuis le XIIIe siècle : avwèn / awèn presque partout. Par ailleurs on remarque une tendance vers /wa/ avec des vestiges du « è » avwaèn : à noter le département d‟Oise (2,1,0), Eure-et-Loie (15, 25) ; Orne (20, 34) ; Loire-etCher (50,, 63, 64,) Loire-et-Indre . (69). A 56, 21 et 33 on atteste une articulation double : avwàn, avwèn. La forme /wà/ a apparu à la fin du XVIIe siècle et dans le langage du peuple elle n‟a presque point évolué. Par ailleurs on atteste des prononciations doubles même dans la même famille, les femmes témoignant plus de conservatisme : voir à 32 : le témoin dit àvwàn et sa femme àvwèn (carte 3). 2. La diphtongaison de / o /(fermé) Pour cette voyelle fermée il convient aussi de distinguer entre la diphtongaison spontanée qui se produit à cause de la longueur de la voyelle sous l‟accent, et les diphtongues conditionnées par l‟entourage consonantique de la voyelle. Dipohtongaison spontanée. Ex. : g´ŭla > gueule /œ/, v´ŏtum > vœu /œ / ; am´ŏrem > amour, sp´ŏnsa> épouse. Le /ŭ / a évolué en / o / fermé au IIIe - IVe ss ; le /ō/ a évolué en / o / fermé au Ier s, puis les deux ont évolué en / ´ou /. Comme les autres voyelles toniques libres, / o / fermé s‟allonge, se scinde en deux sons vocaliques distincts qui se différencient: /o >´oo >´ou/. La dipohtongue est décroissante à la fois en aperture . Le /o/ fermé est plus 55 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS ouvert que /u/ et en intensité /o / fermé est tonique. A partir de là, l‟évolution diverge selon les dialectes. Au Nord et au Centre : /œ / fermé . Une aire / œ / se situe au nord et au centre, dans les dialectes picard et surtout francien. - A la fin du XIe s. les deux sons se différencient : ´ou > ´eu . /o/ fermé est vélaire, alors que / e / fermé est palatal. - A partir du XIIe s., ils s‟assimilent. Le premier élément se labialise sous l‟influence du second : ´eu > ´œu, puis en /œ/ fermé. - A la fin du XVIe s. joue la loi de position : la voyelle se maintient /œ / fermé en syllabe ouverte, mais elle s‟ouvre en syllabe entravée : il veut /œ / fermé, gueule / œ / ouvert.- Au sud : / u /. La zone /u/ conserve davantage le sud de la France. La diphtongue /ou/ s‟y maintient jusqu‟au XIIe s. où elle s‟y réduit par monophtongaison en / u / : épouse/ . - / o / fermé libre devant une consonne nasale. La diphtongaison se produit au VIe s. en /ou/ ; au XIIe s. la diphtongaison se nasalise sous l‟influence de la consonne nasale. - A la fin du XVIe s, l‟élément nasal le plus faible perd sa nasalité. Ex. : dōnum > don /dõ/. La consonne nasale s‟est amuie. Voyons aussi ce que F. Brunot écrit à ce sujet : ọ (lat. cl. ō, ŭ), en syllabe fermée s‟est conservé sans changement, écrit tantôt o, tantôt u : tọrre > tor, tọttọ > tot (F. Brunot, p. 152) O fermé libre a probablement commencé à se diphtonguer, phénomène qui est mal identifié dans des mots tels que : Bellezour, soue (voir Sainte Eulalie) qui indique une prononciation probable ou, mais ces exemples sont peu nombreux. Il paraît que la diphtongaison de ọ fermé ne s‟est pas conservé et que o avait la prononciation du ọ, très fermé qui semblait à la prononciation dans le mot jour. Il a conservé cette distinction jusqu‟au XIIe siècle. On l‟écrit o : vọs> vos, tọa > toe, colọre > colōr, flore > flor. Tenant compte de l‟évolution de ces deux ọ, l‟un en syllabe entravée, l‟autre en syllabe libre, parmi lesquels l‟un est devenu ou (torre > tour), et l‟autre eu (flore > fleur), on peut admettre qu‟ils étaient différents, ils se différenciaient par la prononciation (F. Brunot, p. 153). Situation dialectale La carte 51 « Bleuet » représente deux aires d‟extension des voyelles: l‟une pour /œ/ fermé et l‟autre pour /u/, toutes les deux en syllabe ouverte. L‟aire du /œ/ fermé est fragmentée en quatre zones, dont la plus importante est celle du nord-est de la région : Oise, Val d‟Oise, Yveline et Essonne. Une autre aire, attestée en trois localités se répand en Indre-et-Loir (pts. 32, 31, 30), ensuite la troisième se répand en Loiret (au sud-est) et la quatrième en Loir-et-Cher (pts. 64, 69, 72), au sud-ouest. 56 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS La deuxième aire est beaucoup plus importante, bluè occupe le reste du domaine, grâce à la conservation de l‟accent sur le premier élément du groupe /„uœ/. Pour l‟o fermé le domaine en question se divise en deux grandes zones: celles du /œ/ et celle du /u/ les deux portant un caractère assez ancien. (carte 4) Diphtongaison du / a / Ex. : pr´atu > pré, m´are >mer, am´are > amer > aimer /fr.m./. La diphtongue est issue d‟un phonème bref ou d‟un phonème long : LCl ā, ă > a ; au VIe s. il évolue à /ae/. Ainsi, ai VIe s. en raison de sa longueur, la voyelle s‟alonge, se scinde en deux sons vocaliques distincts qui se différencient : ā > aa > ae : pâte. La diphtongue est décroissante en aperture, avec accent sur le premier élément. Le VIe s. est une période de relachement articulatoire : aę > eę > ę. Le /e/ ouvert qui reste long se ferme à partir du XIe s. : ę > e. Comme les autres voyelles elle subit la loi de position à la fin du XVIe s. : en syllabe ouverte elle est fermée / e / : pré, aimer ; en syllabe entravée, elle s‟ouvre en / ę / comme dans « mer ». Après palatale : la voyelle /a / subit une diphtongaison conditionnée au VIIe s. sous l‟influence fermante de la palatale et développe un son fermé au début d‟émission : ´aę passe en ´iaę. L‟influence fermante continue et aboutit à ´ię. La voyelle / a / libre devant nasale. Les exemples choisis sont les suivants : ´amat > aimer, v´anum > vain. Pour tous ces mots, la diphtongaison commence normalement au VIe s. : a > aa > aę : - avant la nasalisation (VIIe s), la consonne nasale exerce une influence fermante sur la diphtongue : aę > ae(fermé) > ai . - à partir du XIIe s les deux éléments s‟assimilent mutuellement ; ãĩ > ẽĩ. Le passage à / ẽĩ / explique l‟équivalence des graphies « ain / ein ». Ex. : planu / plenu plain / plein indifféremment. - au XIIIe s. tous ces diphtongues-là se monophtonguent en : / ẽ /. - au XVIe s. la voyelle perd sa nasalité : vẽnė « vaine ». Exercices a) Donnez les mots français dérivés des mots latins suivants : pressa septe sella testa ad retro porta portu > > > > > > > 57 fĕl heri sēdet assēdet > > > > mŏsa filiōlu > > ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS cornu cornua porcu co(h)ōrda gladiōlu sŏror mŏla proba > > > > > > > > b) Donnez les mots français correspondants pour les mots latins suivants : ĕbulu, rauba,causa (mot populaire), causa (mot savant), auru (robe, chose, hièble, cause, or). c) Donnez les formes du français modernes en y indiquant les étapes du français ancien, d‟après les mots latins suivants : plŏrat plŏvit gŭla cortē(n)se parēte sedēre (il)lōru` nepōte dolōre cōda nōdu > > > > > > > > > > > mē tē mŏla vidēre crēdere sēdet vēla pĭlu pĭra vēdet bĭbit > > > > > > > > > > > d) Donnez l‟explication des mots du type : craie < crēta, claie celt. Clēta, dais < discu, tonnerre < tonitru. e) Expliquez l‟évolution des infinitifs suivants en ajoutant les formes hypothétiques : mordere respondere sapere cadere tenere putrere > > > > > > mordre répondre savoir choir tenir pourrir f) Expliquez l‟alternance des suffixes - ais /-ois dans raideur roideur, anglais - anglois, benet - Benoit, Français - François. g) Donnez les noms d‟habitants dérivés des noms de pays, de villes ou de provinces suivantes : 58 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Angleterre, Aragon, Bordeaux, Boulogne, Congo, Dijon, Ecosse, Finlande, Follande, Japon, Lyon, Milan, Zélande, Amiens, Autun, Champagne, Franche-Comté, Liège, Suède, Strasbourg, Vienne. h) Quelles sont d‟après les formes du dialecte francien, les formes anglo-normandes des mots qui suivent : bien manière siècle reviendra vedeir sedeir saveir sonner baron hom encontre prison raison ont i) Analysez l‟évolution phonétique dans les séries de mots cidessous: Plaga > plaie, palatiu > palais, laxat > laisse, gaju > geai, essagiu > essai, nasci > nascere > a.fr. naistre > fr.mod. naître, Cameracu > Cambrai, Tornacu > a.fr. > Tornai fr.mod. > Tournai ; tractare > traitier > traîter, laxare laissier > laisse, pietate > pij(e)tate > pitié (depuis le XIIe siècle doublet savant piété) ; ceresia > cerise, dece > dix, despectu >dépit, mediu >mi, lēgere > lire, posseat > puisse; fēria > foire, rēge > roi, lēge > loi, Lĭgere > Loire, plĭcat > ploie ; pressōriu > pressoire, bŭx(i)da > boiste > boîte, nŭce > noix, Sapaudia > Savoie. 59 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre XII ÉVOLUTION DES CONSONNES 1. Les consonnes intervocaliques Entre deux consonnes, les sons subissent deux tendances concurrentes : la position peut être considérée comme faible à l‟initiale de la voyelle ou faible entre les deux phonèmes très ouverts. Cette dernière tendance provoque l‟assimilation par leur entourage vocalique : Les consonnes sourdes sont sonorisées ; Les consonnes sont désarticulées. Un son vocalique est bien plus ouvert qu‟un son consonantique. Les occlusives, très fermées, commencent à laisser passer l‟air : elles deviennent constrictives ou spirantes (phénomènes de spirantisation). Quelquefois la désarticulation peut aller jusqu‟à l‟amuïssement complet de la consonne selon leur lieu d‟articulation . 2. Labiales intervocaliques Phénomènes Exemples Sonorisation Spirantisation à [β] Passage à labio-dentale Exemples [p] ripa P>b (fin IV-ième s.) b> β (V-ième s.) B>v (V-ième s.) rive [b] habēre b> β (I-er s.) β > v (III-ième s.) avoir [w] viva w> β (I-er s.) β > v (III-ième s.) vive Les dates de spirantisation sont beaucoup moins fixes que celles de la sonorisation des sourdes à la fin du IV-ième siècle. La spirantisation n‟a lieu que sur une consonne sonore. Voyons le tableau : Phénomènes Exemples Fin IV-ième s. Sonorisation VI-ième s. Spirantisation IX-ième-X-ième s Amuïssement Exemples - [t] vīta t>d d>δ vie [d] vĭdēr d>δ voir [s] causa s>z chose Le passage de [b] à [w] est bien une spirantisation, mais pour [w > β], il s‟agit plutôt de la perte de l‟articulation vélaire. Dans les deux cas, la consonne s‟affaiblit. Au contact d‟une voyelle vélaire [o], [u], les labiales [b] et [w] subissent un traitement conditionné : Amuïssement de [w] au III-ième siècle. Ex. : avunculu>aunculu>oncle Amuïssement de [b] : b>w (fin III-ième siècle). 60 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Ex. : habutu > eü > eu[ü] ; dēbutu > deü > « dû » Amuïssement de [p] : p > b > β > w (V-ième siècle). Ex. : sapūtu > seü > « su » 3. Les dorso - vélaires intervocaliques Lorsque les deux consonnes vélaires [k] et [g] se trouvent au contact d‟une voyelle palatale [e] ou [i], elles se palatalisent. La sourde [k] se palatalise au III-ième siècle : - III-ième siècle - palatalisation avancée du point de vue d‟articulation, assibilation (désarticulation de l‟occlusive jusqu‟à l‟apparition d‟un son fricatif (t>tsà : k>k’>t’>t’ s’) ; - fin IV-ième siècle: - sonorisation : ts > dz > > ydz ; - VII-ième siècle - : dépalatalisation : yd ‘z’ > ydz : Ex. : ratione > raison. A l‟intervocalique, le phénomène affriqué [dz] se simplifie (fin XIIième siècle) : dz > z. Ex. : placere > plaisir. En finale il s‟assourdit et se simplifie : dz > ts > s. Ex. : voce > voiz > voix. Phénomènes Sonorisation Spirantisation [k] k>g g > γ (V-ième s.) Résultat γ [g] g > γ (IIIe, IVe, Ve siècles) γ La sonore [g] se palatalise à la même époque : III-ième siècle, palatalisation avancée du point d‟articulation, assibilation : g > g’, d’ > d’z’ : - VII-ième siècle, dépalatalisation : d’z’ > dz : Ex. : argentu > argent, gente > gent Autres cas vélaires intervocaliques : Quelquefois, les deux vélaires [k] et [g] aboutissent plus ou moins tard à un résultat identique : spirante [γ] : Résultat commun Traitement par contact Affaiblissement (Ve VIe s.) Résultats γ avec vélaire avec [a, e, i] Amuïssement Passage à yod - y à l‟intervocalique Exemples : Jocare > joer, pagani > païen Secūru < seü, regina > reine Baca > baie Dans le mot « reine », le yod fusionne avec le [i] tonique. 61 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 4. Les consonnes implosives Dans les mots populaires, toutes les consonnes implosives se sont amuies sauf [r]. 1. L’étape latine [n] devant [s] et [f]. Dans cette position, [s] ne s‟est plus prononcé en LCl et la voyelle précédente subit un allongement compensatoire. Ex. : mensem, transcrit [m’ēse]. Le ē est libre et se diphtongue : mēse > « mois ». Ex. : i(n) sula > isle ; ma(n)sionem > maison ; pe(n)sare > peser ; infa(n)s > infes (mais infantem > enfant, car [n] se trouvait devant [t]. Les premières syllabes « in » ou « con » sont considérées comme des suffixes et ne se soumettent pas à la règle générale : Ex. : insimul > ensemble ; consilium > conseil ; infantem > enfant. L‟analogie joue également pour des mots appartenant à une même famille. Ex. : responsa > response, car le verbe respondere existait ; Enfin, le caractère savant du mot a pu le protéger : Ex. : l‟opposition entre pe(n)sare > peser (pop.) / penser (plus savant). [r] devant [s]. La consonne [s] assimile le [r] selon le schéma : r + s > ss > s (VII-ième s.), comme pour toutes les consonnes géminées. Ex. : dorsum > dossu > dos. [g] devant [m]. L‟occlusive [g] subit l‟influence régressive de [m] : spirantisation gm > γm ; labialisation : γm > wm ; vocalisation : wm > um. Ex. : sagma > sauma > som(m)e (comme dans bête de somme). Là encore, les exceptions sont dûes à des formes savantes : Ex. : pigment, flegme, mais flemme (pop.). La fausse palatalisation de [k] ou [g] (III-ième s.) Cette fausse palatalisation se produit devant certaines consonnes d‟avant (antérieures à : r, t, d, ou s : spirantisation) K/g>χ/γ Affaiblissement en yod par assimilation aux consonnes suivantes: χ / γ > y. Si la voyelle précédente est un [i], le yod fusionne avec elle : Ex. : dǐctum > dīctum > dit, mais si c‟est une autre voyelle il se produit une diphtongaison de coalescence (X-ième s.), au moment de la vocalisation des yods implosifs. Ex. : l’acrima > [layrma] > [lairme] / lerme ; fr’igidu > froid ; laxare > [laksare] > laissier « laisser ». 62 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS L’ amuïssement généralisé (VII-ième s. - X-ième s.) 7. Le [t] implosif. Placé devant le [t], le [ł] vélaire était prononcé apical et dorsal, avec une double élévation de la langue, de la pointe et de la racine, juste dans la zone d‟articulation du [u]. La vocalisation se fait en deux étapes : VII-ième s., affaiblissement par perte de l‟élévation apicale : ł > w; X-ième s., vocalisation après chute du [t] final, postconsonantique (fin IX-ième s.) : w > u. Ex. : saltu > salt > saut. Les autres consonnes implosives. Toutes les implosives finissent par s‟amuïr, à quelques exceptions près : ils font intervenir la spirantisation au VII-ième s. puis l‟amuïssement au X-ième s.. 6. Ex. : septem > « sept » VII-ième s. : spirantisation ; sefte au X-ième s. : amuïssement ; sefte > [set] ; debet > deivet au VII-ième s. > deifit puis amuïssement : deifit > deit > doit. 7. Les consonnes finales 1. Etape latine Huit consonnes pouvaient se trouver en fin de mot, dont la moitié s‟amuït dès l‟étape latine. Le [m] disparaît, en particulier pour les accusatifs. Ne reste plus Rem « chose » et Meum « mon ». De la même façon, [n] et [d] s‟amuïssent : nomen « nom », sic « ainsi ». Le mot ration « raison » a perdu son [n] avant le LCl (forme originelle « ration », gen. Rationis). Quelques monosyllabes font exception : non, in, en. Les liquides [r] et [l] subsistent, en tout cas dans les monosyllabes : mĕl > miel ; sal > sel ; cŏr > cuer « cœur ». Les phonèmes [s] et [t] persistent en finale, car elles possèdent une valeur de désinence morphologique (pl., masc.). 2. Amuïssement des sonores (VIII-ième s.) Les consonnes sonores en position finale s‟assourdissent au VII-ième s. Cet assourdissement est la conséquence logique de l‟amuïssement des voyelles finales : la consonne précédente n‟étant plus intervocalique, elle perd sa sonorité. Ex. : navem > nef « bateau », syn. nave ; f’ĭdem (feiδe) > feiθ > foi (VIII-ième s.). [t] final précédé de voyelle (fin IX-ième s. - X-ième s.) Lorsqu‟il est précédé d‟une voyelle, il n‟est pas protégé ou appuyé par une consonne. Il finit par s‟amuïr: f’ĭdem (feiδe) > feiθ > fei. Pourtant il y a des exceptions apparentes où la marque [t] (3e pers. pl.) s‟est 63 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS maintenue : Ex. : fait, doit, lit, etc. En fait le [i] est encore prononcé comme une semi-consonne [y] jusqu‟à sa vocalisation au X-ième s. ; le phonème protégeait donc le [i] qui ne s „est pas amuï. - [t] appuyé par consonne ou semi-consonne : tant, grant, vient, doit, tait, sait. - [s] appuyé ou à valeur désinentielle : courtois, rois, murs. - [r] final d‟infinitif : dormir, vouloir, chanter. Les consonnes finales encore systématiquement prononcées sont assez rares : [t], [s], [r]. Les désinences verbales « -s » ou « -t » restent purement graphiques. Du XIII-ième s. au XVI-ième s., l‟amuïssement est plus ou moins rapide selon les couches de la société. Dans la langue savante, les consonnes ont longtemps été articulées aux pauses de la phrase et devant voyelles (sorte de liaison). Encore aujourd‟hui on conserve quelques vestiges. Ex. : huit, but, soif ont une double prononciation. A comparer : il a huit livres [ẅi] > il en a huit [ẅit]. On trouve aussi le même fonctionnement avec [s]. Ex. : six, dix, tous, plus. A comparer : il en veut plus [plüs] et il n‟en veut plus [plü]. On prononce avec [t] : mat, sept, dot, brut ; avec [s] : fils, as, os, ours, jadis, hélas, maïs ; avec [r] : char, fer, mer, noir, soir, mur. 8. L’ amuïssement généralisé (fin XIII-ième s.) Dans la plupart des cas toutes les consonnes qui subsistaient encore s‟amuïssent au XIII-ième s. Pourtant on rencontre des tendances contraires, dans la langue savante, par ex. : broc [broc], mais le dictionnaire donne la seule prononciation [brọ]. La syllabe « so », ayant plusieurs suites, on les différencie : soc [sok] ≠ sot [so]. De même le mot « drap » [drà] ne pose pas de problèmes, mais il a fallu distinguer « cap » [kàp] et « cas » [kà], avec la finale zéro. Le cas de /R/ En toute position, il est articulé à partir du XVIII-ième s. Il passe d‟une prononciation roulée, apico-alvéolaire, à une prononciation grasseyée, vélaire. Le /R/ subit un affaiblissement à la fin du XIII-ième s. pour les infinitifs, le /R/ s‟amuїt dans tous les cas. Ex. : chanter /-te/ ou partir /pàrti/, prononcés comme les participes passés respectifs. 64 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Ex. : voir /vwè/, prononcé comme les personnes 1, 2, 3 de l‟Indicatif présent. Ce phonème est pourtant rétabli au XVII-ième s. souvent pour éviter la confusion avec d‟autres formes verbales. Ainsi, les infinitifs en « -ir » subissent-ils l‟influence d‟infinitif comme « lire, écrire, dire », où le /R/ n‟était pas final et a toujours été prononcé Aujourd‟hui : dormir, partir. Sous l‟influence de « boire, croire » on a rétabli la prononciation dans les infinitifs « voir, devoir ». Dans les noms d‟agents masculins en -eur, le /R/ s‟amuїt à la fin du XIII-ième s. Il a aussi été rétabli au XVII-ième s., ce qui a parfois entraîné la réfection des féminins : [šãtoe] « chanteux », d‟où un féminin refait en « chanteuse » ; de même, [mãtoe] « menteux » développe un féminin « menteuse », alors que « chanteresse » et « menteresse » existaient. 9. Les consonnes nasales A la fin du XVI-ième s. les deux phonèmes (vocalique + consonantique) se différencient et une des deux articulations nasales disparaît : - la voyelle, si la consonne nasale est intervocalique. Ex. : [bõnė] > [bonė] > [bon] pour « bonne ». - la consonne, si elle se trouve en position faible (finale ou implosive). Ex. : [bõn] > [bõ] pour « bon ». 10. L’évolution des consonnes m, n en différentes positions syllabiques a) m, n à l’initial Placées au début du mot, les nasales m et n sont restées intactes en français. Ex. : a) Matre, mère ; minus, moins ; mercede, merci ; mutare, muer. b) Nasu, nez ; nocte, nuit ; nodu, nœud ; nepote, neveu. b) m, n intérieurs derrière consonne Placées dans le mot entre une consonne et une voyelle, les nasales m et n sont restées intactes en français, comme à l‟initiale. Ex. : a) Arma, arme ; palma, paume ; vermiculu, vermeil ; spasmare, pâmer. b) Alnu, aune ; ornare, orner ; as(i)nu, âne ; sal(i)nariu, saunier. 65 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS c) m, n intérieurs entre voyelle Placés dans le mot entre deux voyelles dont la deuxième n‟avait pas disparu avant la période littéraire, m et n ont persisté en français. Ex. : a) Amat, aime ; amaru, amer ; clamore, clameur ; cima, cime. b) Plana, plaine ; panariu, panier ; minare, mener. d) m, n intérieurs devant consonne Placés à l‟intérieur du mot entre une voyelle et une consonne, m et n ont perdu l‟articulation qui leur était propre, en se combinant avec la voyelle précédente pour la nasaliser ; ils ne se conservent que graphiquement pour indiquer cette nasalisation, et m s‟écrit en général n devant les dentales. Ex. : a) Rumpere, rompre ; gamba, jambe ; rum(i)ce, ronce ; sem(i)ta, sente ; comp(u)tare, conter ; prim(u) - tempus, printemps. b) Man(i)ca, manche ; ventu, vent ; sentire, sentir ; respondĕre, répondre ; lun(ae)-dīe, lundi. Le groupe mn originaire ou secondaire, placé derrière une voyelle ou derrière la vibrante r, s‟est réduit par assimilation progressive à m (écrit en français m ou mm). Ex. : Sommu, somme ; lam(i)na, lame ; fem(i)na, femme ; hom(i)ne, homme ; lum(i)naria, lumière ; Sum(i)na, Somme ; sem(i)nare, semer ; intam(i)nare, entamer ; germ(i)nare, germer ; term(i)nu, terme ; carm(i)ne, charme. Dans les groupes de formation secondaire m’r, m’l, et n’r, il s‟est produit dès l‟origine une consonne transitoire qui a été b pour les premiers et d pour le dernier : devant la consonne intercalée, les nasales se sont comportées suivant la loi générale. Ex.: a) Cam(e)ra, chambre ; num(e)ru, nombre ; remem(o)rare, remembrer ; cum(u)lu, comble ; sim(u)lare, sembler ; trem(u)lare, trembler; Villa-Mummŏli, Villemonble. b) Cin(e)re, cendre ; pon(e)re, pondre ; ven(i)re-habeo, afr. vendrai, viendrai ; ven(e)risdīe, vendredi. Bien que représentant en principe une occlusive buccale originaire, g, dans le groupe latin écrit gn, était un n d‟arrière, dit souvent n « guttural ». Quant à ce qui est graphié n c‟était ici un n dental. Par attirance réciproque, il s‟est produit dans la zone palatale une fusion des deux consonnes, d‟où a résulté n mouillé. Quand il est devenu final, ce n a disparu dans la prononciation moderne après avoir nasalisé la voyelle précédente. Ex. : a) Agnellus, agneau ; dignare, daigner ; insignare, enseigner ; b) Signu, sein (g) ; pugnu, poing. 66 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS e) m, n (+ y) Dans le groupe my (ou mmy, mny), le yod s‟est consonnifié (comme derrière les autres labiales) en ž écrit d‟ordinaire g, et la nasale s‟est combinée suivant la règle avec la voyelle précédente. Ex. : Simĭu, singe ; vindemĭa, vendange ; commĕatu, congé ; somnĭare, songer ; dom(i)nĭone, donjon. Dans le groupe ny les deux éléments se sont combinés, et il en est résulté le son ņ (n mouillé, écrit gn ou ign en français). Ex. : Vinĕa, vigne ; tinĕa, teigne ; montanĕa, montagne ; senĭore, seigneur ; ba(l)nĕare, baigner ; wadanĭare (germ. waidhanjan), afr. gaignier, gagner ; sparinĭare (germ. sparanjan), épargner. f) m, n à la finale Lorsqu‟ils se trouvent finals derrière une voyelle, m et n (nn) ont perdu l‟articulation qui leur était propre, en se combinant avec la voyelle précédente pour la nasaliser ; ils ne se conservent que graphiquement pour indiquer cette nasalisation, et m s‟écrit m ou n. Ex. : a) Rĕm, rien ; m(e)um, mon ; homo, on ; fame, faim ; nome(n), nom ; levame(n), levain ; essame(n), essaim. b) Non, non ; in, en ; unu, un ; vinu, vin ; donu, don ; sanu, sain ; annu, an ; vannu, van. t d p b intervocalique intervocalique intervocalique intervocalique Formules à retenir : d đ ↓ vita đ ↓ nuda b v ripa v faba > vie > nue > rive > fève Règles à retenir : 1) k, g intervocaliques tombent en présence de o (long ou bref) ou u (long ou bref) : rūga > rue, agustu > aoust. 2) Les consonnes placées devant consonne subissent une réduction complète ou partielle, excepté la consonne r, qui persiste : advenire > avenir, labra > lèvre, forte > fort. Exercices a) Donnez les mots du français moderne dérivés des noms latins cidessous : feru > pausāre 67 > ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS habēre > me(n)sūra > cāru clamōre amāru mĭnāre usūra lūna vēla dolōre > > > > > > > > b) Donnez les mots de l‟ancien français et du français moderne, dérivés des mots latins ci-dessous : piscatore peccatore spatha matūra vĭdere c) a. fr. pescheeur a.fr. a.fr. a.fr. a.fr. fr.mod. pêcheur fr.mod. fr.mod. fr.mod. fr.mod. Trouvez les étymons des doublets étymologiques qui suivent : minute rédemption ? ? menue rançon natif coda ? ? naif queue doter vouer ? ? douer voter d) Trouvez d‟après les mots suivants, les mots populaires de la même racine qui ont perdu le « t » intervocalique : t permuter spatule sternutation rotonde zéro t vitalité maturité mutation zéro e) Trouvez les mots du français moderne d‟après les mots de la même racine qui suivent, mais ayant la correspondance phonétique indiquée : d zéro d zéro 68 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS nue voir décadence croire pied rayon sudorifique rire f) Donnez les mots français dérivés des mots latins ci-dessous : avunculu a.fr. pavōre a.fr. *debūtu a.fr. *habūtu a.fr. fr.mod. fr.mod. fr.mod. fr.mod. g) Donnez les mots français dérivés des mots latins ci-dessous : Fŏcu > jocare > placūtu > locāre > lucōre > advocātu > Sa(u)conna > carrūca > rūga > sangu(i)sūga > h) Donnez l‟analyse phonétique du passage des mots latins aux mots français (l‟évolution de p, b) : tep(i)du > tiède rec(i)pit > reçoit rump(i)t > rompt ssubv€nire > souvenir bĭbit > boit serv(i)t > sert i) Donnez les mots du français moderne à partir des mots latins cidessous : Finītu nepōte vōtu scũtu aestate nūdu fĭde grādu > > > > > > > > parte septembre fac(i)t deb€t věn(i)t sarmentu frĭg(i)du tardu 69 > > > > > > > > ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre XIII CONSONNES D’ ORIGINE GERMANIQUES 1. a) Le « h » d’origine latine Le latin archaïque connaissait un « h » muet, amuï déjà dans la langue classique, et plus encore dans la langue populaire. En ancien français les « h » n‟avaient lieu d‟être, d‟où les graphies : avoir <habēre, ome <homĭnem « homme », ier<heri « hier » ; ui<hōdie « aujourd‟hui ». b) Le « h » d’origine germanique Il apparaît au V-ième siècle, au moment des invasions germaniques. Les nouveaux habitants de l‟ex-empire prononcent fortement ce phonème. Ex. : hat’īre [‘atire] > haïr Cette prononciation a parfois été étendue à des mots latins sans « h » étymologique. Ex. : altum, croisé avec hoh germanique a évolué en halto > haut Ce phonème se prononce en ancien français et jusqu‟au XII -ième siècle, mais il commence à s‟amuïre bien avant (XIII-ième - XVI-ième siècles) dans la langue populaire. En français moderne, il faut encore faire la différence entre les restes de ces deux phonèmes. D‟une part, le « h » d‟origine latine, dit « muet », demeure purement graphique. Ex. : hier, homme, hôtel D‟autre part, le « h » d‟origine germanique, toujours noté (*) dit « aspiré », possède une valeur disjonctive, car il empêche la liaison et l‟élision. Ex. : haine, hache. Certaines familles de mots ont hérité des deux systèmes. Ainsi, le « héros »[ero] est un emprunt du XIV-ième siècle, n‟apparaît qu‟au XVIieme siècle. 2.La consonne [w] à l’initiale Comme entre deux voyelles, le [w] initial possède une double articulation ; à la fois bilabiale et vélaire. Le [w] d’origine latine. Il évolue en renforçant l’articulation labiale. A la fin du I-er siècle il se produit la perte de l’articulation vélaire : [w>β] ; au III-ième siècle - renforcement en labiale dentale : [β>v]. Ex. : vēru>voir « vraiment » Le [w] d’origine germanique. Il apparaît au V-ième siècle au moment des invasions franciques. Il va renforcer son articulation vélaire et de constrictif, devenir occlusif. 70 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS [gw>g] (XI-ième siècle). Ex. : werra>guerre, comme presque tous les mots commençant par « g » [g]. Comme tous les mots en « h », certains mots latins subissent la contamination par un mot germanique de sens proche : Ex. : vastare>gaster>gâter (ravager) Au nord et à l‟est, le [w] a été conservé (il garde la prononciation germanique par proximité géographique). Les textes donnent : werre pour « guerre », Willaume pour « Guillaume ». 71 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitre XIV CONSONNES ACCESSOIRES L‟apparition des sons accessoires est due à des faits hétérogènes. Nous ne nous arrêterons que sur les cas où la parution des consonnes accessoires est plus ou moins régulière. On suppose souvent que certains groupes de consonnes, inconnus au latin et dus à des réductions vocaliques (groupes secondaires), étaient difficiles à prononcer, ce qui déterminait l‟introduction dans ces groupes d‟une consonne accessoire (consonnes transitoires, consonnes de liaison) pour faciliter la prononciation. Voici l‟explication physiologique de ce processus pour un de ces groupes - mr : « Pour passer de m à r deux articulations sont nécessaires : il faut ouvrir la fermeture des lèvres et relever le voile du palais, si la dernière articulation se produit un instant trop tôt, le passage d‟air est complètement fermé et il se produit nécessairement, au moment de desserrer les lèvres, un b transitoire qui peut devenir indépendant ; ainsi mr > mbr. De la même manière nr > ndr, etc. La nouvelle consonne devient sonore ou sourde selon la nature de la consonne précédente » (Nyrop, 465). Dans les groupes de consonnes soit-disant « difficiles à prononcer » où la dernière consonne est un l ou un r, la consonne intercalée est, d‟ordinaire, une occlusive t, b ou d. Un t transitoire se développe dans le groupe sr : cognōs(ce)re > a. fr. cognoistre > fr. mod. connaître, l. p. pares(ce)re > a. fr. pareistre > fr. mod. paraître, ess(e)re > a. fr. estre > fr. mod. être. D‟après la loi générale énoncée plus haut, s devant consonne s‟amuït, en allongeant la voyelle précédente. Un b transitoire se développe dans les groupes ml : insim(u)l > ensemble et mr : cam(e)ra > chambre. Un d se développe dans les groupes lr : vol(e)raio > voldrai, > voudrai, sol(ve)re > soldre > soudre, nr (ou n mouillé + r) : ten(e)ru > tendre, ingen(e)rare > engendrer, fingere > feidre ou sr : consuēre > a. fr. cosdre > coudre, cinere > cendre. Le p ne se rencontre que sporadiquement, par exemple setempre, attesté dans une charte bourguignonne. Les consonnes intercalaires se rencontrent dès les premiers textes français. Déjà dans la « Séquence de sainte Eulalie » on peut lire : voldrent la veintre li deo inimi, voldrent la faire diaule servir ; a czo no-s voldrent concreidre li rex pagiens ; melz sostendreiet les empedementz. Dans les groupes lr, nr, ml, en picard, en wallon et dans une partie du domaine du français de l‟Est les consonnes intercalaires font souvent défaut. Ainsi dans les chartes picardes on rencontre volra (voudra), genre (gendre), venredi (vendredi), humle (humble), tranler (trembler), dans le « Psautier lorrain » - engenrat (engendra), souenrait (souviendrait), mainre (maindre, 72 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS dans la langue moderne par exemple dans remaindre), venront (viendront). Cette particularité permet d‟établir très nettement la frontière dialectale entre le picard et le normand. Par contre, la consonne intercalaire revient presque toujours dans le groupe mr des mots des dialectes du Nord et de l‟Est : nombre, cambre, ramembre. Sur la répartition des consonnes intercalaires dans les patois modernes v. ALF, I, 153 11 ressemble, ALW, I, 7 Cendre, ALW, I, 9 Chambre, ALW I, 22 Connaître. Formules à retenir : sr > (s)tr : ess(e)re > estre > etre, ml, mr > mbl, mbr : insim(u)l > ensemble, camera > chambre, lr > (l)dr : > sol(ve)re > soldre > soudre, nr > ndr : > ten(e)ru > tendre. Exercices Ecrivez les mots du français moderne d‟après les mots ci-dessous du latin classique : nasc(e)re, pasc(e)re, hum(i)le, simulare, num(e)ru, mol(e)re, pulv(e)re, gen(e)re, cing(e)re, cin(e)re, pung(e)re, plang(e)re. 73 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Chapitres XV LES PALATALISATIONS La palatalisation est d‟une grande importance pour le développement des consonnes. Ce processus, qui affecte nombre de mots, a enrichi le système phonématique du français de quatre phonèmes inconnus au latin : [ ∫ ] dans « chose », [ j ] dans « jour », [η] dans « vigne » et [y] dans « fille ». Par palatalisation nous comprenons une articulation complémentaire à l‟articulation de base. L‟articulation complémentaire en question est un relèvement de la partie médiane de la langue vers le palais dur (du latin palatum, d‟où le terme de palatalisation). Cette position est semblable à celle des organes articulatoires quand on prononce [i]. Voilà pourquoi les consonnes peuvent subir la palatalisation, à l‟exception des médio linguales (consonnes dites palatales). Généralement on appelle « palatalisation » le passage de [k] à [s] (kentu > cent) ou à [ ∫ ] (cane > chien) ; ainsi que le passage de [g] à [ j ] (gente > gent). En réalité, ce phénomène se compose de trois processus : la palatalisation proprement dite (mouillure) : k > k’, g > g’ ; l‟affrication : k’ > ts ou t∫; g > dj ; la simplification de l‟affriquée qui perd son élément occlusif : ts > s, t∫>∫ , dj > j. Dans la période des II-ième s. - III-ième s., presque toutes les consonnes latines étaient plus ou moins palatalisées devant [y] ou devant une voyelle antérieure (première palatalisation). Dans des mots comme : sapiam > sache, tibia > tige, vindēmia > vendange, lineu > linge, cēreu > cierge, [j] avant de se consonnifier en [j], produisait la mouillure des consonnes précédentes. P, b, m, n, se trouvant en position faible devant une consonne se sont amuïes suivant la règle générale. Cependant ces cas sont peu nombreux, seule la mouillure de k, g, n, l, a eu des conséquences fondamentales pour la formation du consonantisme français. Au XVI-ième s. commence la seconde palatalisation qui dure jusqu‟à nos jours. Contrairement à la première palatalisation, elle n‟exerce aucune influence sur la formation du système phonologique, n‟allant au-delà des variantes dialectales et de l‟argot. Ainsi, chez Molière, un paysan dit gna pas pour « il n‟y a pas ». Des graphies de cette époque comme étugué ou étutjé au lieu de étudié prouvent la palatalisation de [d]. Quelques patois de l‟Est ou de l‟Ouest (le normand par ex.) subissent une palatalisation des groupes de consonnes initiales cl, gl, pl et d‟autres. On dit par exemple, klje pour « clef ». 74 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS 1. La mouillure de l, n [L] mouillé et [n] mouillé étaient inconnus au latin classique. Leur formation remonte à l‟époque du latin parlé. Tandis que [l] mouillé n‟a été employé que jusqu‟au XIX - ième s., [n] mouillé persiste jusqu‟à nos jours. [L] mouillé est issu du groupe l + j : filia > fille, ou du groupe k(<k, g) + l, quand ces groupes suivent une voyelle : oc(u)lu > œil, vig(i)lare > veiller. C‟est donc justement yod en se transposant devant [l] ou se trouvant ordinairement devant [l], qui le palatalise. Derrière une consonne (position forte), les groupes kl, gl restent intacts : bacc(u)la > boucle, singualre > sanglier, strangulare > étrangler. En ancien français, l mouillé a été rendu par li « fille », ilg « conseilg », lg « filg », gl « batagle », lh « travalh ». Dans le français moderne [l] mouillé est passé à la semi-consonne constrictive [j] sans que ce changement ait été noté par la graphie. Quoique combattu par les grammairiens, ce processus réalise des progrès rapides. Il était déjà assez répandu au XVIII-ième s., mais ce n‟est qu‟au XIX-ième s. qu‟il fut officiellement reconnu dans tout le Nord de la France. De même que [l], [n] se trouve palatalisé par un yod qui le suit ou le précède. Ainsi, [n] mouillé est issu des groupes n + j : vinea > vigne, n(d) + j : verecun(d)ia « vergogne », (discrétion, sans scrupule) ; n + j (< g) ou j (< g) + n : plangente > plaignant, fingente > feignant, agnelle > agneau, dignare > daigner. Si la voyelle suivante tombe, la nasale mouillée disparaît de la prononciation. Devant final, [n] mouillé nasalise la voyelle précédente avant de tomber en dégageant un yod : signu > seing, pugnu > poing, longe > loin. En ancien français ce son a été rendu par des graphies diverses : gn, ign, ngn, ing. La nasale mouillé se rencontre non seulement dans les mots populaires, mais aussi dans certains mots savants : signifier, ignoble, bénigne, maligne. 2. La mouillure de t, d Le groupe t + j précédé d‟une voyelle aboutit à [tz]. Le yod qui se dégage de la voyelle en hiatus se combine en même temps avec la voyelle précédente : pretiat > prieise > prise, acutiare > aiguiser. Le groupe t + j subit l‟évolution suivante : t + j, j + ts (affrication), j + dz (sonorisation en position intervocalique) > z (simplification de l‟affriquée) : ratione > raison. Le même groupe, précédé d‟une consonne aboutit à [s] en français littéraire : cantione > chanson, fortiu > force, matea > masse, altiare > hausser. En picard, dans la même position il se développe un [ ∫ ] : canchon, forche. 75 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS Quant à [d] on allègue parfois sa mouillure dans les noms de nombre : undecim > onze, duodecim > douze, tredecim > treize, quatordecim > quatorze, etc. Dans ces mots, decem > -d’tse > -dze > -ze. 3. La palatalisation de k, g devant e, i La palatalisation de [k], [g] a eu lieu à l‟initial du mot et au commencement de la syllabe. Dans ces positions les consonnes résistent à tout changement, cependant [k], [g] ont été affectés par la palatalisation, ce qui prouve la forte action palatalisante des voyelles antérieures et de la semi - consonne [j], placée après [k], [g]. La palatalisation proprement dite de [k], [g] s‟effectue dans le latin parlé et le gallo-roman (II-ième s. - VIII-ième s.), tandis que les deux autres processus - l‟affrication et la spirantisation complète, doivent être chronologiquement rapportées à la période de l‟ancien français. Voyons la palatalisation de [k], [g] devant [e], [i] et devant [a] (long et bref). a) développement de [k], [g] palatalisées + [e], [i] dans le français littéraire et dans ses dialectes (ex. e, c, l). [K] devant [e], [i] à l‟initial d‟un mot ainsi qu‟après une consonne, aboutit à la constrictive [s] dans le français littéraire : centu > cent, mont(i)cellu > monceau. [K] passe par les étapes intermédiaires de [t] palatalisé (t‟) et de l‟affriquée [ts], qui s‟est simplifiée en [s] vers le XIII-ième s. Ainsi, kentu > k’entu (II-ième s. - III-ième s.) > t’ento (IV-ième s.- V-ième s.) > tsent (VIième s. - VII-ième s.) > cent (XIII-ième s.). [K + e], derrière voyelle, aboutit dans le français littéraire à [z], en dégageant un [j] qui se combine avec la voyelle précédente : placere > plaisir. Lorsque [z ] s‟est trouvé en position finale, il s‟est amuï : cruce > croix. Dans la combinaison de [k + j] intérieur, derrière voyelle et derrière consonne, le groupe [kj] subit une transformation en [s] : facia > face, vicia > vesse, Provincia > Provence. [G] devant [e], [i] à l‟initial d‟un mot ou d‟une syllabe, se développe en [ j ] : gente > gent, argille > argile, en passant comme [k] par l‟étape intermédiaire de l‟affriquée [dž] (VI-ième s. - VII-ième s.) qui s‟est simplifié en [ž] vers le XIII-ième s. Ainsi, gente > g’ente (III-ième s.) > d’ente (IV-ième s. - V-ième s.) > [dj] (VI-ième s. - VII-ième s.) > gent (XIII-ième s.). Après une voyelle, g + e, i aboutit à [j] qui se combine avec les sons environnants. Dialectes : en Picardie (de même qu‟au nord de la Normandie), k + e, i dans les positions étudiées non pas à [s] , mais à [ t∫ > ∫ ] ; les documents 76 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS les plus anciens en font preuve. Ainsi, on dit dans une charte de Cambrai (1225) : le Roi de Franche (le Roi de France) ; dans les œuvres de Jacques Hemricourt - paroche «paroisse», rycheche «richesse», nobleche «noblesse», serviche «service» ; chez Philippe de Mousket - dechendans «descendant», consienche «conscience», etc. Quant à la consonne [g], elle a eu dans le picard le même développement que dans les autres dialectes français. A retenir la notation «ģ» dans certains vieux textes picards pour l‟affriquée [dj] et pour la constrictive [ j ] (ġent mais gant). Ainsi l‟évolution de k + e, i a abouti à [ ∫ ] dans les dialectes du Nord - Ouest, à [s] dans le francien et les autres dialectes. L‟étude de cette double évolution a eu pour résultat la création de différentes théories. Fridrich Diez, W. Meyer - Lübke, Gaston Paris et bien d‟autres ont supposé que le passage à l‟affriquée [ts] s‟était produit d‟abord sur l‟ensemble du territoire français, ensuite [ts > tš > š] dans les parlers du Nord -Ouest seulement, tandis que partout ailleurs, [ts > s]. t∫ > ∫ ↑ Ainsi : k > k’ > t’ > ts ↓ s K. Ringenson réfute cette hypothèse en avançant la sienne, qui semble convaincante. t∫>∫ ↑ Ainsi : k > k’ > t’ ↓ s>s 4. La palatalisation de k, g devant a La mouillure de [k], [g] devant [a] s‟est produite beaucoup plus tard que e, i (longs et brefs). Elle a eu lieu au VI-ième s. environ. La palatalisation de [k], [g] devant [a] suit les mêmes étapes que celle de [k], [g] devant e, i, c‟est - à - dire, d‟abord mouillure, ensuite affrication, puis simplification de l‟affriquée (sonorisation complète). Comme dans le cas précédant, elle se produit seulement en position forte. Ex. : cantare > tchanter > chanter, gamba > djambe > jambe, arca > artche > arche, argentu > ardgente > argent. Il est évident que 77 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS l‟affrication a eu lieu avant le passage de [a] (long et bref) en [e] (fin du VIII-ième s. - début du IX-ième s.) parce que les altérations subies par [k], [g] devant [e] sont fort différentes de leur évolution devant [a], par exemple : carum donne cher, mais si la palatalisation s‟était effectuée après le passage de a > e, carum aurait donné ser. La palatalisation a aussi eu lieu avant la monophtongaison de au > o, par exemple : gauta > joue ; [k], [g] initiaux, placés devant [o] restent sans changement : corpus > corps, gutta > goutte. L‟affrication s‟est produite vers les VII-ième s. - VIII-ième s., d‟abord, comme le suppose G. Paris, dans la syllabe ouverte puis dans la syllabe fermée. Dans le dialecte picard et dans une grande partie du normand, [k], [g] devant [a] restent tels quels : cambre « chambre », canter « chanter », gambe « jambe », gardin « jardin ». Pour résumer l‟exposé de ce chapitre, on peut constater que : a) L‟ancien français a possédé quatre affriquées jusqu‟au XIIIième s. : [ts ] < c + e, i: cente > tsent; [dj] < g + e, i: gente > djent; < g + a: gamba > djamb; [t∫] < c + a : caru > t∫ier (cher) ; [dj] < tj intervocalique : ratione > raizon « raison ». Dans le français littéraire ces affriquées se sont réduites à [s, j ; ∫, z], tandis que dans certains patois, le champenois, le wallon et le lorrain, on les entend prononcer jusqu‟à nos jours ; b) L‟évolution de [k] devant [a] a été parallèle à celle de g dans la même position : Camera > chambre [ ∫ ] Gamba > jambe [ j ] Il y a eu rupture d‟équilibre devant e, i : Cervu > cerf [s] Gente > gent [g] Pour le maintien de l‟équilibre dans l‟évolution des occlusives postlinguales, [g] aurait du aboutir à [z]. Si [ ∫ ] s‟oppose à [ j ], [s] devrait s‟opposer à [z]. Formules à retenir : l + j > [j] : filia > fille j + l > [j] : oculu > œil n + j > [η] : vinea > vigne i + n > [η]: vingente > feignant k + e, i > [s]: centum > cent g + e,i > [j]: gente > gent 78 ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS k + a > [∫] : cane > chien g + a > [j] : gamba > jambe Exercices a) Formez selon les lois phonétiques, les mots français à partir des mots latins qui suivent : vĭg(i)lare, fenŭc(u)lu, seniōre, uniōne, pŭgnu, filiōlu, circ(u)lu, insignia, baln(e)are, Burgŭn(d)ia : b) Formez d‟après les lois phonétiques, les mots français à partir des mots latins qui suivent : Cervu, caelu, cerebellu, gelāre, gĭnciva, argentu, nav(i)gāre, porcellu, circare, rum(i)ce, Francia, glacia, nutricia. 79