PREMIÈRE PARTIE ÉVOLUTION PHONÉTIQUE Chapitre

Transcription

PREMIÈRE PARTIE ÉVOLUTION PHONÉTIQUE Chapitre
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
PREMIÈRE PARTIE
ÉVOLUTION PHONÉTIQUE
Chapitre I
ROMANISATION DE LA GAULE
1. Le français - langue contemporaine
Le français fait partie des langues romanes qui remontent à une
source commune, le latin. Ce dernier est le développement linguistique sur
différents territoires et dans diverses conditions historiques. Sont
considérées en tant que langues romanes : le français, le provençal, le rhéto
- roman (le ladin), parlé dans le Tyrol et le Frioul de la Suisse, l‟espagnol, le
catalan parlé en Catalogne, le portugais, l‟italien, le sarde, le dalmate
(ancienne Dalmatie), le roumain.
A mesure que le latin populaire (LP) est exporté dans les provinces
plus ou moins éloignées de la Romania, ces contacts avec le latin classique
(LCl) deviennent plus faibles ; ce dernier est réservé désormais à
l‟administration, l‟enseignement et à l‟église. Le LP des provinces
colonisées subit l‟influence du substrat (le celtique en Gaule).
2. La romanisation de la Gaule
La romanisation de la Gaule commence par la conquête du Sud - Est
(125 av. n. e.), ancienne colonie grecque, devenue par la suite Provincia
romana.
Le centre de la Gaule, par contre, oppose une vive résistance à César.
Les peuples celtiques réunis par le chef gaulois Vercingétorix livrent des
batailles acharnées aux armées romaines, mais à la fin les conquérants s‟y
installent définitivement entre 58 - 51 av. n. e. Le LP est introduit en Gaule
par les mercenaires et les marchands pour supplanter le celtique.
3. La structure phonétique
Structure phonétique : C‟est l‟accent qui détermine en grande partie
les modifications syntagmatiques. Le LCl possède un accent essentiellement
musical. En LP, c‟est l‟intensité qui commence à jouer le rôle prépondérant
dans l‟ensemble de ces caractéristiques. Le grammairien Pompée (V-ième
s.) écrivait à ce sujet : c‟est la syllabe qui porte l‟accent et qui sonne le plus
fort dans le mot. La chute des voyelles non accentuées a entraîné des
modifications considérables : tábula non table, víridis non virdis, artículus
non articlus ; il faut prononcer tábula et non tabla. Les mots
monosyllabiques sont nommés oxytons : res, rem. Les paroxytons ont
l‟accent sur l‟avant dernière syllabe - formósus. Sont appelés proparoxytons
9
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
les mots portant l‟accent sur la troisième syllabe à compter de la finale tábula, artículus. Dans l‟ensemble, le LP garde l‟accent sur la syllabe qui le
porte en LCl. L‟accent portant sur la même syllabe atteste l‟origine
commune des langues romanes : bássum - bas (fr.), básso (it.), bájo (esp.),
báixo (port.).
4. Les changements dans le vocalisme.
Modifications paradigmatiques
Les changements dans le vocalisme : les modifications phonétiques
sur le plan paradigmatique qui se manifestent dans le système vocalique de
LP sont les suivantes. L‟opposition qualitative des voyelles - différences de
timbre (voyelle ouverte - voyelle fermée) succède à l‟opposition
quantitative (voyelle brève - voyelle longue) du LCl. Dans l‟ensemble, les
voyelles brèves deviennent ouvertes, les voyelles longues deviennent
fermées :
LCl - ī
LP
i
ǐ ē oe ae
e
ă ā
ǒ
au
ō
ǔ
ū
↓
↓
↓
↓
↓
↓
ẹ
ę
a
o
ọ
u
LCl: caelum / kaelu / > caelu / kẹlu / > ciel, ou ę > ie ; le français
connaît l‟évolution saepem
/ saepe / > saepe / sẹpe / > seif, soif, où ẹ > ei, oi.
La diphtongue au se maintient jusqu‟au V-ième s., ce qui explique le
fait que certains langues romanes la gardent intacte : aurum - or (fr.), aur
(prov.). A Pompei : copo - caupo, Olus - Aulus ! Cf. Auris non oricla (Ap.
Probi).
5. Le consonantisme
Le consonantisme du latin est plus stable. Il s‟enrichit de nouveaux
phonèmes : consonnes constrictives sonores / v, z / qui créent des
oppositions sourde - sonore : f / v ; s / z.
6. Les modifications syntagmatiques
Modifications syntagmatiques : Les modifications phonétiques sur le
plan syntagmatique portent le nom de lois phonétiques grâce à leur
caractère régulier. La chronologie de la plupart de ces changements est
rigoureuse et doit être strictement respectée. (Voir N. Chigarevskaia, Précis
d‟histoire de la langue française, § 34, p. 48).
10
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
L‟évolution des voyelles s‟effectue dans le mot (dans la chaîne
parlée) et dépend de : nature de l‟accent, position des voyelles par rapport à
l‟accent, caractère de la syllabe (ouverte ou fermée), action des sons voisins.
7. La nature de l’accent
Nature de l‟accent : L‟accent dynamique frappe une des voyelles du
mot, l‟opposant aux autres voyelles non accentuées qui deviennent faibles et
moins distinctes : mittere > mettre, tábula > table.
8. La place de l’accent
La place de l‟accent peut être fixe (l‟accent frappe toujours la même
syllabe, disons la dernière (le français)). Par là il existe des voyelles
toniques ou accentuées et des voyelles non accentuées ou atones : pórta >
pórte, imperatóre > empereúr. Les voyelles atones ne sont pas résistantes,
elles ont tendance à s‟affaiblir et à s‟amuïr.
Caractère de la syllabe : syllabe ouverte et fermée : ta-bu-la / fratrem. Les voyelles des syllabes libres (ouvertes) subissent des changements
importants : bóvem > buof > buef > bœuf / boef /.
Qualité des voyelles : voyelles fermées et ouvertes. Les voyelles
fermées du Ier degré restent intactes en position accentuée (i, u). Par contre,
les voyelles fermées du IIe degré (dites mi-fermées) / ẹ /, / ọ / et les voyelles
ouvertes évoluent en s‟allongeant considérablement en syllabe ouverte.
Elles aboutissent vers l‟époque de l‟ancien français à des diphtongues. Par
ex. : brĕve > bręve (bief) ; pǐra > pẹra (>peire) ; nǒve > nove (>nuef), etc.
Action des sons voisins : l‟évolution des voyelles dépend également
de la consonne qui les suit à l‟intérieur des syllabes, l‟assimilation portant
un caractère régressif dans les langues romanes. Il s‟agit en premier lieu, de
l‟action des sonnantes nasales qui nasalisent les voyelles précédentes du LP
- on écrit indifféremment n ou m à la fin de la syllabe : menbra pour
membra.
Tous les facteurs mentionnés ci-dessus jouent un grand rôle dans
l‟évolution des sons aux étapes ultérieures - en gallo-roman (V-ième s. VIII-ième s.) et en ancien français (IX-ième s. - XIII-ième s.).
Les modifications syntagmatiques des voyelles ne sont pas
nombreuses. Par contre, les consonnes subissent une évolution considérable
dans la chaîne parlée. Pour les voyelles il est à signaler la chute des voyelles
post toniques dans les proparoxytons (cálida > calda) et des voyelles
protoniques non initiales (dorm(i)torium). L‟amuïssement des consonnes
post toniques entraîne des modifications : viridem > ver-de > vert
(formation d‟une syllabe entravée). Les mots qui commencent par un
groupe de consonnes comportant un s initial (sc, sp, st) reçoivent une
voyelle d‟appui devant, elle est dite prothétique (i, e) : iscola, istatua (à
11
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
l‟Est), espada, espuset (à l‟Ouest). La prothèse se manifeste à partir du IIième s. de n. e.
Pour les modifications des consonnes il est à constater la tendance à
la palatalisation et à la sonorisation qui est la conséquence de
l‟accommodation d‟une consonne se trouvant en contact immédiat avec une
voyelle. Par l‟effet d‟une accommodation double, une consonne sourde
intervocalique devient sonore : rosa / roza , sapere / saber, mutare / muder.
La palatalisation se manifeste d‟une façon évidente en gallo-roman,
aboutissant, secondée par l‟assimilation, à la formation de nouvelles
consonnes issues des consonnes post linguales : [k] + e, i aboutit à k‟ > t‟ >
ts ; t + j aboutit à [ts]. Cf. patricius, moncium au lieu de patritium,
montium.
Structure grammaticale: Le latin est une langue à flexion, dite
synthétique ou flexionnelle, dont les valeurs grammaticales, telles que le
genre, le nombre, le cas dans le substantif ; le temps, le mode, la personne
dans le verbe, sont exprimées par les désinences par la forme même du nom
et du verbe. Par contre ces mêmes valeurs sont rendues dans les langues
dites analytiques, à l‟aide des mots accessoires (pronoms, verbes auxiliaires,
prépositions, articles). Le français c‟est l‟évolution progressiste du latin
(langue synthétique) vers l‟analytisme au détriment des flexions sans toutes
fois éliminer complètement ces dernières.
Prenons quelques parties du discours :
Le nom. En LP le nom garde les trois catégories grammaticales qui
le caractérisent en LCl. Néanmoins, chacune de ces catégories subit des
modifications capitales.
Le genre. Le langage parlé (LP) tend à doter chaque valeur
grammaticale d‟une forme précise. Comme la désinence -us marque le plus
souvent le masculin, elle revêt en LP la valeur du masculin, tandis que la
terminaison -a devient la forme du féminin (voir l‟adjectif aussi). Cette
modification a des suites importantes pour la déclinaison du LP. C‟est ainsi
que dans les comédies de Plaute, on trouve le Génitif fructi (2e déclinaison)
pour fructua (4e déclinaison), parce que la plupart des noms masculins se
rapportent à la 2e déclinaison. Les noms des arbres en -us étant du féminin
sont en LCl de la 4e déclinaison, mais en LP, grâce à la désinence -us ils
passent à la 2e déclinaison et sont de genre masculin (alnus - un aune,
fraxinus - un frêne). Les noms neutres en -um passent également au
masculin grâce à la similitude des formes casuelles du singulier des deux
genres : caelus, corius, domus. Le pluriel du neutre ayant la désinence -a,
celle - ci se confond avec la forme du féminin singulier. Cf. folia (pluriel de
folium) et forma, labrum - labra - lèvre.
Le français moderne conserve quelques mots du neutre sous les
deux formes dotées d‟acceptions différentes : braciu - bras - brasse (unitate
12
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
de mǎsurǎ maritimǎ) ; granu - grain - grana - graine (seminţǎ) ; cornu - cor
(n) - corna - corne.
La déclinaison. La chute du neutre et la répartition des valeurs
grammaticales entre les désinences - us et - a ont perturbé le système de
déclinaison du LCl qui en comptait 5 types. En LP il n‟y en a plus que 3: la
première embrasse les noms de genre féminin en - a: capra, rosa, folia,
labra, y compris ceux qui proviennent de la 5e déclinaison (facies - facia,
materies - materia) et en partie de la 4e déclinaison (nora, socra) ; la
deuxième renferme les noms du genre masculin en - us dont font partie les
noms en - us issus de la 4e déclinaison (lupus, fraxinus, vinus) et la 3e
déclinaison contient les substantifs des deux genres à terminaisons
irrégulières, y compris deux noms ayant appartenu à la 5 e déclinaison du
LCl - res, fides .
L΄adjectif. Les transformations parallèles à celles de nom frappent
les mêmes catégories grammaticales dans l‟adjectif latin.
Le pronom. Le latin parlé a à choisir parmi les trois formes du
démonstratif : hic, iste, ille. Ille correspond à la 3e personne, hic se rapporte
à la Ière personne et iste à la 2e personne. Quant aux pronoms indéfinis il
faut mentionner la concurrence synonymique - alius - alter, quidam et
certus, omnis et totus qui finit par implanter alter, certus, totus.
En LP les verbes changent souvent de conjugaison par analogie des
formes. Seuls les infinitifs en -āre et -ire sont plus ou moins stables, alors
que les verbes en -ēre et -ĕre à cause de leurs formes communes subissent
des échanges réciproques. Il leur arrive même de passer à la 4 e conjugaison
en -ire. Ainsi, sur le modèle audio - audire, les verbes en -ĕre ayant -io au
Présent et ceux de la 2e conjugaison en -eo / -io passent à la 4e conjugaison :
cupĕre > cupire, florĕre > florire. Sur le modèle de habui - habere, les
infinitifs sapui, cadui deviennent sapere, cadere. Les verbes modaux posse
et velle forment aussi leur nouvel infinitif d‟après le préterit potui, volui :
potere, volere. Le plus souvent, c‟est la 2e conjugaison qui fournit les
infinitifs à la 3e conjugaison à la suite de l‟élimination de la voyelle e en
hiatus à la Ière personne (-eo > o) ridére, respondére, tordére, mondére >
ridere, respóndere, tórdere, mórdere.
Le vocabulaire. Le fond du vocabulaire du LP est celui du LCl, les
deux idiomes représentent deux variétés ou deux styles d‟une même langue:
le latin. En parlant du LP les aborigènes ont fourni quantité de mots au LP
surtot les langues celtiques qui étaient parlées par les habitants de l‟Ouest de
l‟Empire : alauda : fr. alouette, esp. alondra, it. alodola ; betulla : fr.
bouleau, esp. abedul, it. betula ; caminus : fr. chemin, esp. camino, it.
cammino ; le celtique fournit surtout le lexique concernant la vie et l‟activité
paysanne, vu la formation économique des Celtes.
13
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Depuis le début de notre ère, à la suite de divers contacts avec les
peuplades germaniques, ce sont les vocables de leurs idiomes qui
s‟introduisent dans le LP. Ce sont les mots désignant les objets et les
notions ayant trait aux mœurs, à la vie économique et surtout à la vie
militaire des peuplades germaniques : baro > baron, bank > banc, burg >
bourg, filtur > feutre, hapia > hache, frisk > frais, marka > marche,
wardon > guerre.
La dérivation joue un grand rôle en LP et s‟effectue surtout par voie
de suffixation. Ex. : suffixes diminutifs à valeur appréciative et péjorative : ulus, -illus, -ellus : apicula (de apis) >abeille, oricula (de auris) > oreille,
soculum > soleil, pariculum > pareil. Il faut noter aussi les suffixes
productifs : -arius (agent), -arium (l‟endroit, le récipient), -aticum, -entia, antia : caballárius > chevalier, argentárius > argentier, opérárius >
ouvrier, panárium > panier, viridiárium > verger.
Les préfixes les plus productifs sont ad-, dis-, in-, re-, ex-, per- ; ad battu (ere) > abattre, ad - salire, dis - carpere, in - traversare, re - warder,
regarder, ex - cadere > échoir.
Exercices
Rappelons la règle sur la place de l‟accent tonique en latin classique :
l‟accent tombe sur la pénultième quand elle est longue : guber´nāre, quand
elle est brève, il tombe sur l‟antépénultième : ´camera (exercice a). Cette
règle subsiste à quelques exceptions près en latin parlé.
a) Trouvez la place de l‟accent tonique en latin et en français et
analysez les changements phonétiques qui se sont produits dans la syllabe
accentuée :
cinctura > ceinture
habere
> avoir
amare
> aimer
insula
> île
simia
> singe
latitudine > latitude
maritu
> mari
vindemia > vendange
b) Analysez les cas de déplacements de l‟accent dans les séries des
mots qui suivent, en précisant l‟accentuation en latin classique et en latin
populaire :
1) ´colubra
´ tenebras
´alacre
´ tonitru
´cathedra
>
>
>
>
>
couleuvre
ténèbres
alègre
tonnerre
chaire
14
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
2) gladi´ōlu
modi´ōlu
avi´ōlu
capre´ōlu
linte´ōlu
>
>
>
>
>
glaïeul
moyeu
aïeul
chevreuil
linceuil
3) latin classique
latin parlé
convĕnit
implĭcat
displicet
attingit
continet
recĭpit
perficit
convenit
emplicat
displacet
attengit
contenet
recipit
perfacit
fr.
moderne
convient
emploie
déplait
atteint
contient
reçoit
parfait
c) Précisez l‟évolution des différents types de syllabes, ainsi que les
positions fortes et faibles pour les consonnes, dans les mots suivants :
amāre > amer, cantatōre > a.fr. chanteeur > fr.mod. chanteur, causa >
chose, civitāte > cité, fĭde > foi, imperatōre > a.fr. imperedor > fr.mod.
empereur,, insĭmul > ensemble, intro > entre, masculu > mâle.
d) Trouvez les syllabes ouvertes et fermées (voyelles libres et
entravées) dans les mots :
mē, tē, sē, vĭa, mēus, sũus, amāre, tālem, pĭper, op(e)ra, labram,
nuttrīre, crēdere, pŏp(u)lum, vĭr(i)dem, mĭtt(e)re, bŭccam, dorrmio dictum,
dŭb(i)tāre, , mensem (mẹse)
e) Donnez les mots ci-dessous dans leur forme du latin parlé, c‟est-àdire, substituez ĭ par ẹ et ŭ par ọ et supprimez le m final :
vĭdeo > veo
gutta
vĭdes
cŭbitus
vĭdet
in
vĭrtute
pŭgnum
vĭrga
bŭcca
frĭgidum
crŭx,-cis
habēre
15
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre II
INTRODUCTION À LA PHONÉTIQUE LATINE
1. Introduction à la phonétique latine
Le système phonologique latin possédait sa propre cohérence
(unité). La langue n‟était pas figée. Entre les débuts de la République (509
a.n.è) et la fin de l‟Empire (476) on passe du latin archaïque au latin
classique (LCl) et enfin au bas latin (BL). Il faut tenir compte aussi des
différences entre le latin parlé par le peuple (lat. vulgaire ou populaire) et
celui des lettrés. Ces deux dénominations (LCl et BL ou LP) présentent
l‟avantage d‟un classement chronologique simple, ce qui importe avant tout
dans ces questions de phonétique où la chronologie est privilégiée.
2. La prononciation latine
La connaissance de la prononciation latine s‟impose comme une
nécessité pour transcrire correctement les étymons qui vont donner
naissance aux mots de l‟ancien français et du français moderne.
En ce qui concerne les voyelles, « u » se prononce /u/. Ex. : ubi (où)
est prononcé /ubi/.
Aucune voyelle n‟est nasalisée jusqu‟au Xe siècle, ainsi donc on
prononce les deux phonèmes : ante « avant » est prononcée / an-te / et non
comme une syllabe.
Il n‟existe que trois diphtongues latines : /æ /, /œ/ et /au/. Ex. :
cælum « ciel », pœna « peine » et aurum « or ».
Il faut distinguer ces diphtongues des voyelles hiatus :
 la diphtongue associe deux sons vocaliques en une seule
syllabe ;
 dans l‟hiatus deux voyelles sont séparées par une coupe
syllabique.
Certaines consonnes se sont amuies : « m » final, « h » en toute
position et « n » devant « s » ne sont pas prononcées. Ex. : me(n)sem
/mese/ « mois ».
D‟autres consonnes ont une prononciation inhabituelle par rapport au
fr. mod. Ainsi, « v » se prononce /w/, « c » se prononce /k/, « x » /ks/. Ex. :
v´ivus « vivant » , certus « sur » /keRtus/, pax « paix » /paks/, rosa « rose »
/Rosa/.
Enfin les consonnes géminées sont effectivement prononcées comme
des phonèmes doubles jusqu‟au VIIe siècle. Ex. : nulla « nulle » /nulla/.
16
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
3. La quantité des voyelles
Les voyelles latines n‟ont pas toutes la même quantité. La distinction
entre voyelles longues et voyelles brèves est pertinente (ça change le sens
du mot).
Ex. : 1. Dans rosă / rosā, la première forme est un nominatif, alors
que la seconde est un ablatif (par ex. On parle de la rose).
Ex. 2. Le verbe věnit est un Ind. Présent « il vient », alors que vēnit
est un parfait « il vint ».
La quantité vocalique est étymologique : dans mūrum « mur », les
deux « u » sont de longueur différente.
La quantité syllabique concerne toute la syllabe. Une voyelle suivie
par une consonne dans la même syllabe devient longue par position. Ex.
Incendo « je brûle », la voyellee /e/ est toujours longue par position,
puisqu‟on coupe incen/do.
4. L’entravement et la coupe syllabique
Une voyelle est libre si elle se trouve en syllabe ouverte.
Ex. : Dans via « route » nous distinguons deux syllabes libres : vi /a.
Une voyelle est entravée si elle se trouve à l‟intérieur de la syllabe,
suivie par une consonne finale de syllabe. Dans ce cas, la syllabe est dite
fermée.
Ex. : parte / par-te. La première syllabe est entravée.
On distingue l‟entrave latine et l‟entrave romane.
Ex. : par/te - entrave latine, voir fr. part (entrave romane) ; homme
venu du homine (entrave romane), « o » devient entravé après la chute du /i/
au IIIe siècle.
5. La position des voyelles
Pour situer les voyelles dans le mot, on peut tout simplement
numéroter les voyelles en partant du début. Ex. : castellum « place forte »
possède 3 syllabes : / cas/tel/lum. Mais pour étudier l‟évolution phonétique
de ces voyelles avec précision, il faut distinguer 4 types de position à
l‟intérieur du mot :
- position initiale, la première syllabe ;
- la position finale est celle de la dernière syllabe.
Ces deux positions se laissent toujours repérer déjà lors que le mot
compte 2 syllabes ou plus, ce qui n‟est pas le cas des deux autres :
prétonique et posttonique. Il s‟agit donc de positions accentuées ou atones.
Ex. 1. arma´tura « armure » comporte 4 syl., avec syllabes
prétoniques, tonique et posttonique.
Ex. 2. Arista « arrete » : 3 syllabes : / a/r´is/ta.
17
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Ex. 3. ´homminem a 3 syllabes avec accent sur la première.
La place de l’accent
Tous les mots ne sont pas toniques ou accentués. Les mots atones
s‟appuient sur ce qui suit ou ce qui précède. Lorsqu‟ils s‟appuient sur le mot
suivant, on les appelle proclitiques. Dans le syntagme « te videt » (il te
voit), seul le verbe possède un accent tonique ; le pr. « te » est atone et
proclitique. Au contraire, les mots enclitiques s‟appuient sur le mot
précédent. Ces mots n‟ont pas la même évolution : comparer ad té « à toi »
et te videt « il te voit ». Dans le premier cas le pronom tonique « té » a subi
la diphtongaison, d‟où le résultat / twa/ ; dans l‟autre cas, « te » était atone
et c‟est affaibli en /tė/.
Voyelles toniques
A l‟intérieur même des mots toniques, seule une syllabe est tonique.
Les voyelles évoluent différemment selon leur accentuation dans le mot.
Dans nũdus nus /nu/ /nudus/, le /u/ s‟est conservé, alors que le /u/ atone de
la deuxième syllabe a disparu.
Mots d’une seule syllabe. Lorsqu‟ils sont accentués, on les appelle
oxytons. Ex. : mel > miel, fel > fiel, pede> pied. Selon leur nature ces
monosyllabes possèdent un accent ou restent atones. Tous les mots qui
apportent une information, les mots prédicatifs (verbes, adverbes, adjectifs,
substantifs et certains pronoms) sont des mots toniques ; sont atones les
prépositions, les conjonctions.
Mots de deux syllabes. Toujours ces dissyllabes sont des paroxytons,
l‟accent tombe toujours sur la première syllabe : ´m´uru mur.
Mots de trois syllabes. Dans ces mots l‟accent recule d‟une syllabe :
il suffit pour cela que l‟avant-dernière voyelle soit brève et libre. Ces mots
proparoxytons possèdent donc un accent sur l‟antépénultième voyelle. Ex. :
h´omine. La place de l‟accent est donc liée à la fois à la quantité de la
voyelle et à la structure de la syllabe.
6. Le vocalisme en latin populaire
1. Voyelles atones en hiatus. Placées en position faible, elles
tendent à disparaître. Les deux voyelles /e/ et /o/ en hiatus s‟affaiblissent en
se fermant au premier siècle: / e > i / et /o > u /; Ex. : v´ inea « vigne »
évolue en v´inia (3 syllabes).
2. Les / ǐ / et / ŭ / primaires ou secondaires se consonifient. Dans le
cas le plus général, / i > y > et /ŭ >w / en se fermant au I er siècle.
Ex. : v´inia (3 syl.), v´inya (2 syl.). Mais les voyelles peuvent subir
des traitements conditionnés par leur entourage :
- yod est incompatible avec kw : Ex. 1 : qui´ētus > quētus « tranquille ».
18
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
- / ŭ / en hiatus passe à / w /, qui s‟amuït au contact d‟une
voyelle vélaire / o / ou / u /. Ex. : mortŭum > mortu> mort. ; Ex. 2. Battŭo
« je bats » > batto (inf. battere, lcl « battŭere »).
Enfin, 2 voyelles en hiatus fusionnent lorsqu‟elles ont la même
teinte. Ex. : prehendere > prendere > prendre ; Ex. : cohorte > corte >
cor > cour
19
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre III
ÉVOLUTION QUANTITATIVE DES VOYELLES
La réduction d‟un phonème dépend de sa place dans le mot (ou dans
la syllabe). C‟est un phénomène très ancien, il remonte à l‟époque de
Plaute.
Nous nous proposons d‟étudier d‟abord la réduction dans les
syllabes pénultièmes, qui ont été les plus atteintes, ensuite dans les syllabes
contrefinales, dont le sort a été pratiquement identique, et enfin dans les
syllabes initiales, qui conservent le mieux leur vocalisme.
1. La réduction en syllabe pénultième
Dans les mots proparoxytons, où la syllabe pénultième est atone,
toute voyelle, y compris “a” a été complètement réduite (ex.: a, g):
a (long et bref)
ĕ
ĭ
ŭ
- ´^calamu
- ´camera
- ´alĭna
- ´mascŭlu
>
>
>
>
chaume
chambre
aune
mâle
La première réduction s‟est produite entre les groupes de consonnes
dont une était “l” ou “r”: oculu > oclu, auriculu > auriclu, tabula >
tabla, viride > virde, etc.
P.Fouché distingue trois périodes pour la réduction des pénultièmes
qu‟il désigne par syncope:
1. la syncope latine de la fin de la République,
2. la syncope gallo-romane, depuis l‟entrée des Romains en Gaule
jusqu‟au moment de la chute des voyelles finales autres que “a” long et
bref,
3. la syncope gallo-romane, qui commence après les invasions
germaniques du Ve siècle.
2. La réduction en syllabe contrefinale
Selon la loi d‟Arsène Darmesteter, toute voyelle contrefinale s‟amuït
sauf “a” (ex. b):
ī - radi´cīna
ĭ - civĭ´tate
ē - blasphē´māre
20
>
>
>
racine;
cité
blâmer
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
ĕ æ ō au > ọ ŭ ū -
cerĕ´visia
lunæ´dies
impejo´rāre
parauًlāre
singu´lāre
adju´tāre
>
>
>
cervoise
lundi
empirer
> parler
>
sanglier
>
aider
La réduction des voyelles contrefinales s‟est produite dans le latin
parlé dès les IVe - Ve siècles. Les faits de phonétique chronologique
permettent de préciser cette date. Selon E.Bourciez, les consonnes sourdes
sont passées aux sonores en position intervocalique au IVe siècle: t > d, k
> g, etc. Par exemple, LCl subi´tanu > LP sub´danu > fr.mod. soudain;
LCl verecundia > LP vere´gondia, ver´gondia > fr. mod. vergogne. Ce
passage est donc antérieur à la chute de la voyelle contrefinale.
Certains groupes de consonnes, placés avant ou après la
contrefinale, empêchent la chute de la contrefinale qui passe alors à “e”: LP
suspectione > a.fr. sospeçon > fr.mod. > soupçon.
La voyelle “a” contrefinale subit une réduction partielle en
s‟affaiblissant en “e” muet: orna´mentu ornement: a > e
canta´raio > chanterai: a > e.
Le passage de “a” à “e” s‟est produit beaucoup plus tard que la chute
des autres voyelles contrefinales; “a” contretonique se rencontre encore
dans les graphies latinisantes des premiers documents littéraires de l‟ancien
français (IXe siècle): salvament, salvarai, sagrament (“Serments de
Strasbourg”) et paramenz à coté de bellezour et preiement (“Séquence de
sainte Eulalie”).
La voyelle [ e ] venue de [ a ] contrefinale subit les changements
suivants:
a) elle se maintient en français moderne: orpha´ninu
vassala´ticu > vasselage;
> orphelin,
b) elle s‟amuït par réduction d‟un hiatus: LCl. canta´tore > a.fr.
chanteor > fr.mod. > chanteur; LCl impera´tore > a.fr. emperedor >
empereor > fr.mod. empereur;
c) elle s‟absorbe dans la voyelle précédente: LCl ; medi´-nocte a.fr.
mienuit fr.mod. minuit (ex. c, g).
21
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
3. La réduction en syllabe finale
La voyelle de la syllabe atone (finale) a subi à peu près les mêmes
altérations que la voyelle de la syllabe contrefinale : toute voyelle atone
finale s‟amuït, sauf « a » qui passe à « e » muet (A.Darmesteter).
Voir la comparaison suivante :
Contrefinales
finales
ě - cere´bella > cervelle
ĭ - bonĭ´tate > bonté
nave > nef
heri > hier
ŏ - LP mansio´naticu > ménage
ŭ - sumŭ´lare > sembler
perdō > a.fr. pert
muru > mur
La réduction complète des voyelles finales se manifeste en premier
lieu dans les paroxytons (pénultième) : ´dēbet doit, ´lau´dāre louer,
´manum > main, ´venit > vient.
Dans les proparoxytons, de même que dans certains paroxytons, la
voyelle finale reste sous la forme affaiblie de « e » après certains groupes
de consonnes qui exigent une voyellle d‟appui (ex. d).
Mots paroxytons : dŭplu > double, ulmu > a.fr. olme > fr.mod.
orme, alnu > aune, scamnu > a.fr. eschame, patre > père, fĕbre >
fièvre, inflo > enfle, rŭbeu > a.fr. robjo > fr.mod. rouge.
Mots proparoxytons : Carolus > Charles, flebile > faible, humile >
humble, calamu > chaume, ;, balsamu > a.fr. balme > fr.mod. baume,
homine > homme, Rhodanu > Rhone, fraxinu > a.fr. fraisne > frêne,
paupere > pauvre, buturu > beurre, Lĭgere > Loire, nocere > nuire,
computo >compte, male habitu > malade, sapidu > sade (dans maussade),
undecim > onze, porticu > porche.
L‟amuïssement des voyelles finales semble être plus tardif que la
chute des voyelles contrefinales. Dans les « Serments de Strasbourg » on
trouve encore poblo, nostro. Toutefois les graphies fradra et fradre, Karlo
et Karle (ibidem) prouvent que la valeur de la finale était à cette époque
(IXe siècle) flottante et ceci paraît plus vraisemblable, le scribe hésitait, ne
sachant pas comment noter le son nouveau.
Seules les voyelles finales [ i ] et [ u ], quand elles formaient le
second élément d‟une diphtongue, ne s‟amuïssaient pas et se diphtongaient
en ancien français :
amavi > a. fr. > amai, deum > a.fr. > deu, dieu (ieu - triphtongue), clavu >
clou, Pictavu > Poitou (ex. e)
22
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Un « e » d‟appui pouvait se développer aussi sans prototype : insimul
> ensemble, inter > entre, semper > a.fr. sempre. Ce « e » s‟est
développé ici comme voyelle d‟appui des groupes consonantiques ml, tr, pr,
qui se sont formés après la chute de la voyelle de la syllabe finale.
Morphologie
La fermeture de a > e et la chute des autres voyelles permettent
d‟opposer les adjectifs féminins aux adjectifs masculins, par exemple :
Adjectifs féminins
larga
longa
sicca
Adjectifs masculins
> large
> a.fr. longe
> sèche
largu > a.fr. larg
longu > a.fr. lonc
siccu > sec
Les mots latins cornu et granum donnent au singulier et au pluriel
des mots différents :
Sing. Cornu > a.fr. corn > cor
Plur. Cornua > corne
granu >
grana >
grain
graine
4. La réduction en syllabe initiale
Le vocalisme ne subit pas de modifications profondes en syllabe
initiale, cependant quelques cas de réduction sont à noter : la réduction
complète de « a » (généralement cette voyelle persiste qu‟elle soit libre ou
entravée) et la réduction partielle de « a », de « ě » et de « ǐ ».
En ancien français, « a » libre s‟amuit en « e » quand il se trouve
en hiatus après la chute d‟une consonne intervocalique, et se réduit
complètement par la suite, absorbé par la voyelle suivante : matūru > meur
> mûr, sabūcu > seu > su (dans sureau), sapūtu > seu > su. L‟e est resté
parfois dans l‟écriture : habūtu > eu (ey) > eu > (y). Cette absorption a eu
lieu surtout devant y accentué, mais aussi devant les autres voyelles :
cadēre > cheoir > choir, cadentia > cheance > chance.
Certaines voyelles initiales subissent une réduction partielle. Ainsi «a
» long et bref libre s‟amuit partiellement après « c » : caballu > cheval,
mais en syllabe fermée, ce son reste intact : carbone > charbon.
« E » long et bref en syllabe initiale atone, ouverte, passe également
à « e » muet : venīre > venir, debēre > devoir, pilāre > peler, mĭnāre >
mener. Cet affaiblissement se trrouve dans un grand nombre de mots et
remonte probablement au Xe siècle (Fouche, 509). Cet « e » muet disparait
quand il se trouve en hiatus : vīdēre a.fr. veoir fr.mod. voir.
« I » libre ou entravé, dans la position initiale reste sans changement :
venir venir, villa > ville.
23
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Dans certains cas il y a eu effacement de la voyelle initiale entre deux
consonnes dont la seconde était r : vērāce > vrai, directu > droit,
corrotulare > crouler.
5. Le « ė » muet
Le « ė » muet provient essentiellement d‟un « a » atone : rosa rose,
capra chèvre, mais aussi :
a) de toute voyelle latine finale dans un proparoxyton ou dans un
paroxyton, surtout après « consonne + l, r » : febre > fièvre, inflo > enfle,
et après « consonne + j » : roubeu > rouge, simiu > singe ;
b) de certaines voyelles latines protoniques : quadrifurcu >
carrefour;
c) de « e » bref libre initial : venire > venir
Cette voyelle est sans doute née dans la période de l‟ancien français.
P.Fouché suppose que ce son devait ressembler à l‟e final allemand dans
Gabe, alle. Palsgrave, grammairien du XVIe siècle, dans sa grammaire, dit
que cette voyelle se prononçait sensiblement comme « o ».
En ancien français, cette voyelle, que P.Fouché désignait sous le nom
de « e » central et Ch. Bruneau sous le nom de « e » sourd, se prononçait
dans toutes les positions. Puis ce son commence à disparaître dans certaines
positions pour aboutir à un amuïssement complet en français moderne.
C‟est dans l‟anglo-normand que l‟on trouve les premiers exemples de la
réduction de « e » final après voyelle (Nyrop, 366 - 267) .
Les premiers témoignages de la disparition de « e » sourd remontent
au XIIIe siècle. Elle est confirmée par de fausses graphies où le son, qui ne
se prononce plus, se trouve écrit là où il n‟est pas étymologique. Ainsi, dans
une charte lorraine du XIIIe siècle un scribe écrit : « je lui doie varentir »
(je lui dois garantir). C‟est aussi au XIIIe siècle qu‟on trouve les graphies
sans « e » dans les formes avoy, avois, pour avoie (habebam), avoies
(habebas). Le XVIe - XVIIIe siècles est la période de l‟amuïssement
progressif de « e » en certaines positions.
A retenir :
Toute voyelle de syllabe pénultième, y compris a s‟amuït.
Toute voyelle de syllabe finale et contrefinale s‟amuït, sauf « a » qui
devient « e ».
24
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Exercices
a)Analysez l‟évolution des voyelles atones et relevez les cas où la
pénultième atone a subi l‟amuïssement à l‟époque impériale :
Fraxinu > frêne, cannabu > chanvre, Sequana > Seine, juvene
jeune, debita > dette, man(i)ca > manche, com(i)te > conte, Samaru >
Sambre, lar(i)du > lard, cal(i)du > chaud, pers(i)ca > pêche, pertica >
perche, nĭtida > nette.
Trouvez parmi ces exemples deux cas d‟assimilation complète des
consonnes effectuée après l‟effacement de la pénultième.
b) Analysez la chute de la voyelle contrefinale dans les exemples qui
suivent ; dites dans quels groupes de consonnes s‟est produit l‟amuïssement
des voyelles contrefinales et quelle voyelle se rencontre le plus souvent en
syllabe contrefinale.
consu´tura
simu´lare
ratio´nabile
>
>
>
collocare
dormi´toriu
mori´raio
boni´tate
sani´tate
seùi´tariu
clari´tate
civi´tate
vindi´care
berbi´cariu
judi´care
radi´cina
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
couture
sembler
a.fr. raisnable
(fr.mod. raisonable)
coucher
dortoir
mourrai
bonté
santé
entier
clarté
cité
venger
berger
juger
racine
c) Reconstituez la forme de l‟ancien français d‟après les formes du
français moderne en ajoutant un « e » muet à la forme du français moderne.
Exemple : capĭlatũra
mercatante
armatũra
cũdamente
nũda-testa
……chevelure
…….marchant
…..…armure
……cument
… nu-tete
25
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
d) Consultez les exemples du paragraphe 3 et précisez les groupes
de consonnes qui exigent un « e » d‟appui.
Exemple : duplu > double ;
e) Analysez les transformations phonétiques dans les séries :
ego>(LP) eo > a.fr ieu ; potui > a. fr. poi ;
f) Expliquez le développement des voyelles initiales dans les syllabes
ouvertes et fermées des mots suivants :
fĭrmu > a.fr. ferm >ferm fr.mod. > ferme
saputu > seu > su ;
aguriu > eur [eyr] > eur [œ : r]
Sa(u)cona > Saône [so:n ];
capĭstru
> chevêtre ;
canale
> a.fr. chenel ;
castanea
> chataigne ;
captiare
> chasser
errare
> errer ;
vestire
> vêtir ;
sermone
> sermon ;
firmare
> fermer ;
dĭstrictu
> distroit ;
mĭnare
> mener ;
pĭlare
>
peler
sedēre
>
seoir > soir ;
finire
>
a.fr. fenir > fr.mod. finir ;
forge
>
fabrica > fabrique
blâmer
< blasphemare < blasphemer
g) Comparez les doublets étymologiques ci-dessous et dites lesquels
sont d‟origine savante :
frêle <
fragile
fragile
26
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre IV
LES VOYELLES TONIQUES ENTRAVÉES
Après la nouvelle quantité romane (NQR), toutes les voyelles
toniques entravées sont brèves, ce qui empechêra leur diphtongaison. C‟est
la position où les voyelles résistent le mieux : elles sont protégées par une
consonne subséquente (suivante).
1. Les voyelles entravées
L‟évolution des voyelles en syllabe entravée est proche des voyelles
initiales (aussi en position forte).
La voyelle / i / : elle se conserve / i /. Ex. : villa > ville.
La voyelle fermée [ ẹ ]: elle s‟ouvre en [ ę ] au XIIe s. Ex. :
prom´ĭttere > promettre.
La voyelle ouverte [ ę ] : elle s‟est conservée sans changement. Ex. :
testa > tête.
La voyelle / a / se conserve, le plus souvent, sans changement. Ex. :
p´artem > part.
Quelques fois, elle s‟est vélarisée à la suite de l‟amuïssement d‟un / s
/:
- le [ s ] implosif s‟amuït au XIIe s. : Ex.. pasta > pâte.
- le [ s ] final s‟amuït au XIIIe s : bassum > bas [ ba ].
La voyelle ouverte /o / se conserve sans changement. Ex. : mortem >
mort. Mais elle a pu se fermer en [ ọ ] après la chute du « s » implosif : Ex.
: costa > côte, gross(um) > gros [ gro ].
La voyelle fermée [ ọ ] se ferme en [ u ] au XIIe s. Ex. : coh´ōrtem
> cọrte > cour, souvent écrit « cort », car la graphie reste en retard sur la
prononciation.
En normand, la voyelle se ferme en [ u ] dès le début du XI e s. et la
graphie est souvent « u ». La voyelle [ u ] passe à [ ü ] vers 700, par
antériorisation / palatalisation. nullu > nul [ nül ].
2. Les voyelles atones
La tendence la plus générale est celle de l‟affaiblissement, qui
apparaît comme conséquence du renforcement des voyelles toniques. Cet
affaiblissement est d‟abord marqué par l‟abrègement : au IIIe s., la NQR
conserve la brièveté de toutes les voyelles atones. Par la suite,
l‟affaiblissement se fait selon trois grands principes :
 la fermeture de la voyelle qui peut aller jusqu‟à l‟amuïssement
(ou syncope « chute ». La voyelle la plus ouverte, / a /, va mieux résister :
elle reçoit donc un traitement différent des autres voyelles ;
27
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS

une voyelle atone en position libre est plus faible qu‟une voyelle
atone entravée. Comparer : caballum > cheval et castellum > chastel ;
 les voyelles évoluent différemment selon leur place par rapport à
l‟accent. L‟ordre est le suivant : initiale (avec accent secondaire), finale,
prétonique et post-tonique.
3. Les voyelles atones en position initiale du mot
La position est assez forte, puisque la voyelle initiale possède un
accent secondaire. Dans les mots composés, l‟initiale est celle qui suit le
préfixe. Ex. (1) : dans retenire (l.cl. retenere), l‟initiale est la syllabe « te »
du mot tenire ; dans collocare (cum + locare) > couchier > coucher, au
contraire, le suffixe n‟est plus perçu et la syllabe -lo est éliminée.
- une voyelle prothétique (prothèse) apparaît devant le groupe
consonantique initial du type s + consonne : sc-, sp-, st- (scola > escole >
école ; spada > espade > épée, stella > estele > éteile > étoile). La
voyelle est d‟abord [ ĭ ] au Ier s. qui passe à [ e ] au IIe - IIIe ss. par
mutation vocalique : Ex. spatha > espée > épée.
 la voyelle [ i ] se conserve telle quelle en [ i ] : filar > filer.
 la voyelle [ u ]. Issue du [ ũ ] elle devient antérieure (se
palatalise) vers le VIIe s. en [ ü ] : durare > durer.
La voyelle [ e ] peut provenir d‟un [ ĭ ]ou d‟un [ ē ], après qu‟ils
ont subi la mutation vocalique. Entravée, la voyelle se conserve : dĭsf´acere
> défaire. Lorsqu‟elle se trouve entravée par / R /, elle s‟ouvre : vĭrtute >
vertu.
Si la voyelle est libre, elle s‟affaiblit en [ e ] central au XIe s. puis
se labialise : venire > venir.
La voyelle [ a ], dans le cas général, se maintient. Ex. : m´aritu >
mari. Mais il y a des traitements conditionnés. Lorsque [ a ] est précédé
d‟une palatale et en position libre, il se ferme en [ ė ], au VIe s. : caballum
> cheval.
La voyelle [ ọ ] : Le plus souvent [ ọ ] se ferme en [ u ], au XIIe
s. : dolorem > dolor > douleur. Pourtant, cette évolution générale connaît
des exceptions jusqu‟au XVIIe s. On conserve ainsi le timbre du « o »
ferme ou ouvert :
- à cause de la graphie : soleil ;
- à cause de l‟analogie : mortel, mort, dormir, dort.
- dans les doublets étymologique, surtout les mots savants : couleur
(pop.), mais coloré ( col´orem).
4. Les voyelles atones en position finale

La voyelle [ a ]. Cette voyelle s‟affaiblit au VIIe s., mais se
conserve en / ė / central qui se labialise au XVe s. : causa > chose.
28
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
 Pour les autres voyelles i, ẹ, ọ, u , l‟amuïssement est général au
VIIIe s. à la finale absolue : murum > mur ;

Après un groupe consonantique ; la voyelle se maintient à la
finale, mais elle s‟amuït au XVIe s :

consonne + l, r : patre > père, duplu > doble > double ;

consonne + dj : rubeu > rouge, ordeu > orge ;

séquence s + n/ as(ĭ)num > asne > âne ;

m + n : somnu > somme ;

l + m : cal(a)mu > chaume ;

y + R : seior [seyyor] > sire.
Dans les mots restés proparoxytons, la voyelle s‟affaiblit mais elle
reste comme voyelle d‟appui. Ex. : h´ospite, d’où (h)oste > hôte. Les
voyelles [ i ] et [ u ], précédées d‟une voyelle tonique, forment une
diphtongue de coalescence avant les VIIe-VIIIe ss. : d´eu > dieu, cantaui
> cantai.
5. Les voyelles atones en position prétonique
La voyelle [ a ] s‟affaiblit en [ ę ] au VIIe s. puis en / e/ central (XVe
s.) : orn(a)mentum > ornement. En hiatus, par chute d‟une consonne, elle
s‟amuït au XIV s : arma(t)´ura > armeüre > armure. En syllabe fermée,
elle garde son timbre : excappare > escapper > échapper. Pour les autres
voyelles, l‟amuïssement est général : lib(e)rare > livrer, san(i)tate >
santé.
6. Les voyelles atones en position post-toniques
Logiquement, ces voyelles n‟existent que dans les proparoxytons.
C‟est la position la plus faible, elles s‟amuïssent toutes, y compris [ a ] :
c´alamu > chaume, valde de v´al(ĭ)dus. La voyelle posttonique tombe au
IIIe s., alors que la voyelle finale se conserve sous la forme d‟un « e »
central qui apparaît avant le IIIe s : h´om(ĭ)nem. La marque « e » s‟est
conservée jusqu‟à aujourd‟hui.
29
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre V
LES DIPHTONGUES DE COALESCENCE AVEC [ l ]
1. La vocalisation de l devant consonne
Le phonème latin / l / se vocalise devant consonne. La vocalisation
de « l » s‟explique par une prononciation différente, vélaire : la langue
s‟élève, non seulement dans sa partie avant (la pointe), mais aussi dans sa
partie arrière (sa racine). Le mouvement est à la fois apical et dorsal,
précisément dans la zone d‟articulation de / u /, lui-même vélaire. « L »
deviendra / u / au IIIe s : le phonème est noté / ł /. Au VIIIe s, il s‟affaiblit
par perte de l‟élévation apicale ; au Xe s. enfin il se vocalise en / u /. Ce
nouveau / u / se trouve donc au contact d‟une voyelle précédente. Il va
s‟associer à cette voyelle en une diphtongue dite de coalescence. Ex.: alba
> aube, calidu > chaud, palma > paume, alba pina> aubepine; sal mura
> saumure. Le groupe / a + u / est prononcé /´au / en une seule émission de
voix. Cette diphtongue se réduit avant le XVIe s.: /´au > o/.
Passage de l à u
La vocalisation de l en u, suivi de la fusion de u avec la voyelle
précédente, est un phénomène propre aux syllabes toniques et
contretoniques. Elle se produit devant une consonne à l‟intérieur du mot :
talpa > taupe, sal’tāre > sau’ter. Donc, l‟entrave formée par l + consonne
constitue un cas spécial. L devenu final subsiste en français : caballu >
cheval, mais caballos > chevaux. La vocalisation s‟est produite après toutes
les voyelles, mais après ī et ū > y, u résultant de l n‟est pas entré en
combinaison avec ces voyelles et s‟est réduit complètement :
Argīlla > argile
pūlice > puce
Fīlicelia > ficelle
pūlicella > pucelle
Il se peut que la combinaison n‟ait pas eu lieu, parce que ces
voyelles appartenaient à la série antérieure, ce qui a empêché leur fusion
avec u < l voyelle postérieure.
Le commencement de la vocalisation de l semble remonter à
l‟époque gallo-romane, mais F. Brunot et Ch. Bruneau suppose que ce sont
des notations maladroites. Il est généralement admis que dans la langue
parlée ce phénomène s‟est terminé vers 1100, quoiqu‟on trouve assez
souvent au XIIe siècle des graphies avec l : volt, vult, voldrai (formes du
verbe voleir), à côté de haut, saut, mout. Kr. Nyrop suppose qu‟au XIIe
siècle « l‟articulation consonantique a du être à peine perceptible », et qu‟on
devait prononcer « une sorte de l très réduit ».
La vocalisation ne s‟est pas produite en même temps dans toute la
France. Elle a affecté divers dialectes à diverses périodes jusqu‟au XIIe
30
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
siècle. Il semble même que pour certains mots et dans certains dialectes la
vocalisation ait commencé dès le IXe siècle.
Le dialecte picard conserve des restes de la vocalisation après i, où
fīlius > fius. D‟autre part, la disparition de l après toutes les voyelles se
rencontre en Wallonie, en Picardie, dans le Poitou et dans les dialectes de
l‟Est, où l‟on trouve atretant, savage, etc.
2. La vocalisation des autres consonnes
D‟autres consonnes ont également subi une vocalisation, mais
seulement dans quelques mots isolés. Ainsi g > u dans smaragdu >
esmeragde > esmeraude > émeraude ; v > u dans avica> auca > oca > oie,
avicellu > aucellu > oisel > oiseau ; b > u dans tabula > tabla > taula >
tôle, etc. Tôle, doublet dialectal de table, est peut-etre originaire de la région
de Bordeaux. Au Nord - Est on rencontre nieule < nebulu et diaule <
diabolu, voir dans la « Séquence de Sainte Eulalie » : voldrent la faire
diaule servir.
3. L’association de e ouvert + u
ĕ + l + consonne > eau [o :] : castellos > chateaux, germ. helm >
healm > heaume. La triphtongue eau, accentuée sur le deuxième élément,
s‟est simplifiée en o. Ce processus semble s‟être accompli vers le XVIIe
siècle, mais des exemples isolés se rencontrent plus tôt. O provenant de ĕ +
l + consonne est passé par quatre étapes :
a) apparition d‟un a transitoir entre deux sons dont les points
articulatoires étaient très distants : bellus > beals (avant la vocalisation) ;
b) vocalisation de l : beals > beaus d‟où est issue la triphtongue
eau vers le début du XIIe siècle.
c)
eáu > eó (au > o). La prononciation eo, générale au XVIe
siècle, tombe en désuétude au XVIIe siècle ;
d)
monophtongaison de eo > o vers le XVIIe siècle.
Dans les dialectes du Nord, en Picardie notamment, eau > iau qui
survit dans certains patois. Par exemple : castellus > castels > casteaus >
castiaus, illōs > iaus, capillōs > caviaus, etc. Cette prononciation était
courante dans la langue de Paris au XVIe siècle (peut-être un picardisme ?)
L‟anglais beauty, emprunté au français à cette époque, la conserve jusqu‟à
nos jours.
4. L’association de e fermé + u
e (i) + l + consonne > éu [o :] : capillōs > cheveux. En Picardie
caviaus. L‟e de éu a subi une assimilation à la labiale u, d‟où oéu > oe. La
simplification en oe s‟est produite probablement à la fin du XIIe siècle.
31
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
5. L’association de o ouvert + u
ǒ + l + consonne > óu [u] : mollis > mous, follis > fous. En
Picardie ǒ + l + consonne > au : colpōs > colps > coups > caus (francien
coup), mollere > maulre > maurre (francien moudre), volvita > vaute
(francien voûte).
La diphtongue ou s‟est réduite à u au cours du XIIIe siècle.
6. L’association de o fermé + u
ō + l + consonne > ou [u] : fulgur > foudre, pul(ve)re > poudre.
Comme dans le cas précédent, la monophtongaison a eu lieu au cours du
XIIIe siècle.
7. L’association de a + u
ǎ + l + consonne > au [o :] : talpa > taupe, vallis > vaux, calidu
> chaud, salvu > sauve, malvu> mauve, alteru > autre, calidu > chaud,
palma > paume, alna> aune. Le suffixe péjoratif -aud (noiraud, salaud)
provient de noms propres germaniques très répandus, tels que Answald ou
Grimwald.
Au était une diphtongue accentuée sur a, la preuve en est dans les
assonances en a pur. On relève les premières traces de la monophtongaison
en o dès le XIIIe siècle (au > aọ > oọ > o). Cette simplification semble
s‟être accomplie avant 1500, quoiqu‟ on trouve encore chez Meigret aotre,
aocun, faot. Meigret étant d‟origine lyonnaise, cette prononciation doit être
considérée sans doute comme un provincialisme. En tout cas, tous les autres
grammairiens du XVIe siècle constatent que au se prononçait o.
Formules à retenir :
ă + l entravé > au [o :] - talpa > taupe
ĕ + l entravé > eau [o :] - castellus > château
ĭ + l entravé> eu [o :] - capilŏs > cheveux
ŏ + l entravé> ou [u] - solidu > sou
ŭ, ō + l entravé> ou [u] - oultrā > autre
ī + l > ī : argīlla > argile
ū + l > y : pūlice > puce
Exercices :
a) Ecrivez les mots du français moderne dérivés des mots latins en faisant
attention à la vocalisation de « l » et aux résultats de cette vocalisation :
assultu
>
assaltu
>
collu
>
alique unu > al(i)cunu
>
col(a)pu
>
alna
>
poll(i)ce
>
palma
>
sol(i)dare
>
malva
>
* vol(vi)ta
>
32
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
bellu
>
annellu
>
annellōs >
porcellōs >
Belna
>
novellu
>
germ. fĭltir > *fĭltru
ĭllōs
>
capĭll(o)s >
pulmone
celt*multone
culpab(i)le
a(u)scultat
ultra
pul(i)ce
mille
fil(i)cella >
>
>
>
>
>
>
>
b) Trouvez les mots du français moderne, en tenant compte des
alternances indiquées :
eau
- el(l)
?
veau
?
peau
manteau
sceller
?
cervelle
?
?
carreau
bourreau
marteau
beau
nouveau
?
?
?
?
?
c) Trouvez les mots du français moderne de la même racine,
mais qui se distinguent par correspondance graphique indiquée :
ou
?
?
mou
résoudre
fou
ol
collier
soldat
?
?
?
33
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre VI
VOYELLES ACCESSOIRES
(voyelles protoniques et épenthétiques)
Pour les voyelles, il s‟agit surtout de sons prothétiques, c‟est-à-dire
de sons antéposés aux mots (prothèse) et de sons épenthétiques, c‟est-à-dire
de sons intercalés dans un groupe de consonnes (épenthèse). La voyelle
prothétique est le plus souvent un “e” fermé qui se développe devant un
groupe initial latin s + consonne (p, t, k). Ainsi, les groupes initiaux sp-, st-,
sk- deviennent esp-, est-, esk-, où s‟amuït suivant la loi générale de
l‟amuïssement des consonnes devant consonne dans l‟ancien français:
sponsa > esponse> épouse, scribere > escrire > écrire, sternutare >
esternuer > étérnuer (exercices).
L‟apparition de cette voyelle accessoire s‟explique parfois par la
difficulté de prononcer les groupes sp-, st--, sk- qui formaient un groupe de
trois consonnes au moins avec les finales du mot précédent.
La voyelle prothétique apparaît dans les inscriptions latines à partir
du IIe siècle de notre ère (escripsit, eschola à coté de iscripta, iscola). Ces
deux formes étaient connues déjà dans les manuscrits de l‟ancien français,
avec et sans “e” prothétique:
Alex. 48 Danz Alexis l’espuset belament, en même temps; Alex. 53
Avec ta spuse (V. Chichmarev, Livre de lecture, 31; rédigé en russe). La
prononciation avec “e” prothétique s‟impose de plus en plus et se
généralise.
Dans les mots d‟emprunt les groupes sk-, sp-, st- restent intacts scarlatine, spasme, stellaire; cf. strict et étroit -doublets étymologiques. La
voyelle prothétique a été ajoutée à quelques emprunts faits, en particulier, à
l‟italien: escarmouche (it. scaramuccia), estampe (it. stampa) et au latin
esprit (lat. spiritus).
L‟e prothétique se développe sur presque tout le territoire de la
diffusion de la langue française sauf en Wallonie et en Lorraine. Voir la
carte Epine (d‟après l‟ALF 476), où sont attestées, en aires hachurées, les
formes sans “e” prothétique (spin: à comparer avec le roum. spin). Les
flèches indiquent l‟irruption des formes littéraires (épine) dans les patois du
Nord-Est. Le rouchi, zone transitoire entre le wallon et le picard, souvent
considéré comme appartenant au picard, est également caractérisé par
l‟absence des formes prothétiques (v. Gossen, 85; ALF, 436 Echelle, 446
Ecrire, 447 Ecuelle; ALW I, 35 Epine, 38 Etoile).
La région wallonne se distingue, de même, par une voyelle
épenthétique “i” ou “y”. Le wallon dit scrire, stâve, sporon après voyelle
et scrire ou sucrire, sutâve, supron après consonne. On note également: dès
spènes [de spen] - des épines, mais one supène [on sypèn] - une épine. La
34
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
susbstitution en wallon de la voyelle épenthétique à la voyelle prothétique
semble être fort ancienne (Remacle, 41).
Règle à retenir :
Devant un groupe initial latin s + consonne se développe un “e”
prothétique: spons > épouse, scribere > écrire, qui a la valeur du
phonème [e ].
Exercices
a) Ecrivez les mots qui manquent :
Latin
An. français
?
?
stab(u)lu
?
statu
stringere
smaragda
?
espethe
establir
?
?
?
?
Fr. moderne
?
?
?
escript
?
?
?
?
estreit
b) Trouvez les mots du français moderne de la même racine que les
mots suivants, mais qui s‟en distinguent par la correspondance phonétique
indiquée :
et
étude
?
?
?
étier
étang
?
?
?
?
?
étroit
est
st
?
estamper
estoc
?
?
?
?
?
?
?
restreinte
?
?
?
?
stomatocal
?
?
Stoff
sternutation
stellaire
stoppage
?
?
35
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
ep
esp
?
?
épier
?
?
esprit
?
?
espadon
spongieux
e, ec, ech
?
école
étincelle
échelle
sp
?
spacieux
?
?
?
esc
sc
description
?
?
?
?
?
?
?
36
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre VII
DÉPLACEMENT DE L’ ARTICULATION EN AVANT
1.
Le déplacement de l’articulation de ū
Soit tonique ou atone, libre ou entravé, ū passe à [ y ]: nūdu >
nu, cūpa > cuve, jūrāre > jurer, pūrga > purge. Le phonème [ y ] se
rencontre non seulement dans les mots populaires : mūru > mur, mais
encore dans les mots savants : natūra > nature. (ex. a, b).
Se prononçant sur l‟origine et la chronologie de ce phénomène,
A.G.Haudricourt et A.G. Juilland disent avec raison que le traitement de l‟ū
latin constitue l‟un des problèmes les plus épineux du phonétisme galloroman.
D‟autres linguistes attribuent ce développement à l‟influence
germanique (A.Dauzat, M.Cohen). Une autre théorie, très répandue
autrefois, mais oubliée de nos jours, est celle de l‟influence celtique. On
suppose que les Celtes ne connaissaient pas le son [ u ] et remplaçaient ce
phonème latin par un phonème qui leur était propre depuis une époque très
ancienne et qui se rapprochait de l‟[y ] français. Cependant, cette théorie,
très vraisemblable de prime abord, se heurte aux faits de géographie
linguistique : le territoire où l‟on trouve [ y ] ne coïncide pas
rigoureusement avec les espaces occupés par les Celtes. Le phonème [ y ]
ne se rencontre pas dans une partie du dialecte wallon, celle qui a été
fortement influencée par les populations celtiques (M.Wilmotte. Nos
dialectes et l‟histoire, Paris, Droz, 1935). Je dirais que c‟est vrai, mais ce
n‟est pas obligatoire de trouver l‟[y ] partout, parce que la géographie
linguisqtique, elle-même ne confirme pas ce postulat pour nombre de
phénomènes phonétiques. A part cela, par ailleurs, cette hypothèse n‟est
pas confirmée par les faits d‟ordre chronologique.
Ainsi donc, la carte 630 Plume ; Plumer nous démontre que que le
phonème [ y ], plyme, plume n‟est répandu que dans la zone Ile-de-France
(Yveline et Essonne). Pour le reste du territoire de cette région, le nom «
plume » est rendu par la variante plœm, pyœm et c‟est uniquement l‟infinitif
du verbe qui atteste par ailleurs la forme du français commun : plyme, voir
les pts : 10, 18, 37, 49, 50. La situation est autre sur la carte 157 Mûr, Mûre.
Là, on distingue deux grandes aires, dont l‟une occupe les deux tiers du
domaine (Nord-Est) et l‟autre, celle de l‟Ouest-Sud. Dans la zone du NordEst, c‟est le [ y ]; myr pour les deux genres, dans la deuxième zone (OuestSud) c‟est mœ, mœz (dans les deux genres le [ œ ] est fermé. Ce n‟est que
par ailleurs, très rarement, qu‟on trouve la forme myr. (voir la carte 630
Plume, plumer, ALIFO et 157 Mûr , Mûre, ALIFO).
Quant à la date de l‟apparition de [ y ], elle ne semble pas être
antérieure aux VIIIe - Xe siècles, comme le prouvent E. Richter et W.von
37
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Wartburg, étant donné qu‟à cette époque, l‟influence celtique était nulle, la
langue celtique étant morte depuis des siècles. Les emprunts à l‟ancien hautallemand, où le [ u ] gallo-roman reste intact, confirment cette datation :
prūna > pfruna, mūulus > mul.
L‟hypothèse celtique étant regetée, il reste à supposer que le passage
de ū > y est un fait interne régi par les lois propres à la langue française
(développement spontané), (H.Lüdtke et A.G.Haudricourt et A.G. Juilland).
Le déplacement du point d‟articulation dans ū > y semble s‟être
produit tout d‟abord dans le francien et dans les régions avoisinantes.
Certains autres dialectes ne connaissent pas [ y ] dans la période de l‟ancien
français (v. les formes alcon, chascon pour alcun et chascun en lorrain et
bourguignon). D‟après P.Fouché, [ y ] ne se laisse déceler dans ces dialectes
que vers le XIIIe ou le XIVe siècles. De nos jours, [ y ] est répandu dans
tous les dialectes français, sauf la région du haut et du moyen Rhône et le
wallon oriental (Malmédy, Ourthetal, Liège), où l‟on trouve [ u ] ou [ o ] et
non [ y ]. Ainsi, en Liégeois, pierdou « perdu », nou « nu » on « un » ; dans
le reste de la Wallonie (Namur, Saint-Hubert, etc.) on relève [ y ], considéré
comme un archaïsme qui se conserve dans une zone latérale (v. ALW I, 41
Fétu, 71 Perdu, 74 Plume, 96 Un).
En moyen français et même aujourd‟hui, il y a une tendance, dans
certaines régions, à prononcer [ œ ] au lieu de [ y ], surtout devant [ r ], voir
les cartes ci-dessus, aussi bien qu‟en Bourgogne, Normandie, Picardie, et la
région de l‟Ile-de-France et Orléanais. Il en est resté quelques dialectismes
dans la langue littéraire : beurre, heurter, pour burre, hurter. Par contre,
dans le Nord, il y avait une tendance à prononcer [ y ] au lieu de [ œ ]. La
langue littéraire a gardé des vestiges de cette prononciation dans flûte,
prûd’homme pour fleute, preud’homme.
Ainsi donc, le déplacement de l‟articulation de ū > y a donné
naissance au phonème [ y ].
2. Le déplacement de l’articulation de a (long et bref) en e
Tout « a », (long et bref), passe à « e » : mare > mer, sauf devant une
nasale, manu > main et après une palatale : caput > a .fr. chief, > fr.mod.
chef, tandis que « a » entravé reste intact. : arbore > arbre (exerc. a, b, c)
Cette évolution affecte un grand nombre de mots, parmi lesquels certains
sont très répandus : fratre > frère, patre > père, faba > fève, nasu > nez,
etc. Elle atteint aussi les désinences des verbes de la première conjugaison :
parlare > parler, parlatis > parlez, parlatu > parlé, parlarunt >
parlèrent, etc. Mais « a » reste intact dans les mots savants : lac, cas, état
(exercices).
38
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Morphologie
« A » reste tel quel dans les parfaits de la Iière conjugaison : parla
parlavit, et dans les présents monosyllabiques : as < hābes, a < hābet, vas
< vādis, va < vādit, vade.
Trois phonèmes du français moderne résultent du passage de « a » à
« e ». Ce sont [ ε: ] ou [ε ] qui se rencontrent devant une consonne articulée
(père, sève, sel, tel) et [ e ] fermé, lorsqu‟il est en position finale devant un
« e » muet ou devant une consonne non prononcée (santé, aimée, aimez,
clef).
On ne sait pas exactement quelle était dans l‟ancien français la valeur
de « e » dérivé de « a ». Ce son ne coïncidait pas avec « e » issu de « e »
entravé (cervu > cerf) ou de ē, ĭ entravés (dēbita > dette, lĭttera >
lettre).
A cette époque les assonances avec e < a et avec e < ē, ĭ
étaient distinctes : e < a (long et bref) assonait presque déffinitivement
avec lui-même. L‟e, venu du a, était donc en ancien français un phonème
indépendant (exercices).
L‟évolution du a > e est un des traits distinctifs pour différencier le
français du provençal, où « a » subsiste sans changement. Par exemple,
l‟infinitif des verbes de la I-ière conjugaison : fr. chanter, porter –
provençal : kanta, portar.
Il sert souvent pour définir la zone qui divise ces deux langues.
Nombre de cartes de l‟ALF démontrent en effet que l‟évolution, de a > e
s‟est propagée jusqu‟à une ligne qui part approximativement de
l‟embouchure de la Gironde, passe au-dessus de Limoges, longe les
premiers contreforts du Plateau Central, puis coupe la Loire vers Roanne et
la Saone vers Macon, pour aboutir au lac de Genève. Voir la carte de l‟ALF
335 Couper : on trouve au Nord couper, au Sud kupa, à l‟Ouest et
sporadiquement ailleurs - kupo, kupœ, et dans les zones latérales parfois
kupi.
Les romanistes situent presque unanimement le passage de a > e à
la fin du VIIIe - début du IXe siècles. Certains auteurs font remonter ce
passage au VIIe siècle (Bourciez, 35) et même au VI siècle. Les graphies
des « Serments de Strasbourg » qui offrent un « a » (salvat, fradre, returnar)
semblent archaïsantes, alors que la « Séquence de Sainte Eulalie » on trouve
déjà partout e < a (pleier, presentede, honestet, getterent).
Les données des dialectes français du Nord et de l‟Est, où dans la
scripta (langue écrite) on retrouve souvent la gaphie ei, pour e < a,
plaident pour le stade intermédiaire à une prononciation diphtonguée. Cette
graphie, il est vrai, ne rencontre pas une appréciation unanime, à savoir,
s‟agit-il d‟une diphtongue ou bien « i » n‟est -il qu‟un signe graphique
(Remacle, 128), indiquant une prononciation très fermée ? Toujours est-il
qu‟on trouve souvent les rimes ei : i. Ainsi, dans le « Poème moral »,
39
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
strophe 103, pener : trouveir : alleir : saveir, ou strophe 104, conteir :
doteir : amender, trover.
D‟autre part le wallon moderne est caractérisé par une prononciation
diphtonguée dans : pratu > pre1, clave > cle, 1 patre > pe1r, aratru >
ereir. Dans l‟ALW I, 2 Année, la forme annej est répandue sur presque
toute domaine, tandis que dans les cartes 77 Porter et 37 Eté, les formes
portej et étej se concentrent à l‟extrême Sud de la Belgique Romane, qui
appartient au dialecte lorrain. Dans le picard moderne, on trouve étej <
aetate, vérité < veritate. Ce traitement caractérise aussi les dialectes de
l‟Est, en premier lieu celui de Metz, c‟est-à-dire le lorrain.
Formules à retenir :
ū > [ y ]: mūru > mur
a > [ e ]: mare > mer
1
Cet « e » s‟écrit parfois ai en français moderne. Après la
monophtongaison de la diphtongue ai (amat aime) la graphie ai est
devenue le signe de « e ». En ancien français les mots aile, paire
s‟écrivaient ele, pere (exercices).
Exercices
a) Dans quelles terminaisons verbales peut-on observer le
changement de
u > y et de a > e ?
b)Trouvez les mots français correspondant aux mots latins :
grūa
>
prātu
>
plūme
>
sāle
>
mūla
>
salāre >
virtūte
>
brāsa
>
cūlum
>
portātu >
durāre
>
portāta >
fumāre
>
mortāle >
c) De quoi dépend la différence du traitement de a accentué bref dans
caballu > cheval, arbore > arbre, laridu > lard, d‟une part et de mare >
mer, matre > mère, faba > fève, d‟autre part ?
d) Comment expliquer l‟existence de a dans ´asinu > âne, et dans
mâle > ´habitu > malade ?
e) Quelle était la graphie de clair et de braise en ancien français ?
40
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre VIII
LES NASALISATIONS
Une articulation nasale résulte de l‟abaissement partiel du voile du
palais : l‟air sort à la fois par la bouche et par le nez.
1. La fermeture à date prélittéraire
Au VIIe s., les voyelles orales se ferment devant les consonnes
nasales. C‟est le cas des voyelles simples en syllabe fermée : Ex .; v´entu [ę
> ẹ ], ponte [ o > ọ].
Les voyelles libres se sont diphtonguées et c‟est le second élément de
la diphtongue qui se ferme. Ex. : panem > paęne (VIe s) paẹne (VIIe s.),
a. fr. pain.
2. Les nasalisations premières et secondes
Les dates s „étendent du XIe s. (vers l‟an 1000, pour le [a ]) jusqu‟au
XIVe s., pour [ ü ].
a) Les nasalisations premières (XIe s.)
Les voyellles [ a ] et [ ẹ ] sont forcément entravées sinon elles se
seraient diphtonguées.
- [ a ] se nasalise ves l‟an 1000 : a > ã. Ex. : grandem > grant.
- [ ẹ ] se nasalise au début du XIe s. : Ex . : Ventum. [vẽ > vẽ > vã ].
Le[ã ] de grant et de vã se confondent. Les deux éléments nasalisés
s‟assimilent au XIIe s. Après la monophtongaison, [ ẽ fermé ] s‟ouvre en [
ẽ ouvert] au XIIIe s. :
- la diphtongue [ai] se nasalise au XIe s. : ai >ãĩ
Ex. : panem > pain ; baneum (l.cl. balneum) > bain.
- la diphtongue / ei / se nasalise au XIe s. : éi > ẽĩ : plénum >
plein.
Les deux diphtongues aboutissent au même résultat : ẽ ouvert. Cette
confusion orale explique également les équivalences des trigammes : ain /
ein. Les mots plain et plein peuvent donc venir tous les deux de plēnum et
plānum.
b) Les nasalisations secondes (XIIe s.)
La nasalisation de [ ọ ] aboutit à un résultat double :
- lorsque [ ọ ] est entravé, il se nasalise au XIIe s., et s‟ouvre au XIIIe
s. : ọ > õ > õ ouvert. Ex. : pọntem > pont.
- lorsque [ ọ ] est libre, il subit la diphtongaison. Au XIIe s., le même
résultat
[ ọu ] se nasalise, le second élément s‟ouvre devant la consonne
nasale ; les deux éléments fusionnent et la voyelle s‟ouvre : ọu > õũ > õõ >
õ > õ: donum > don. La voyelle ouverte [ o ] se diphtongue et se nasalise
41
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
au XI e s. : uẹ > uẽ, puis au XIIe s. s‟assimile : uẽ > üẽ, après cela on a
[ẅẽ]: comes > cuens.
La diphtongue [ iẹ ] se nasalise au XIIe s : iẹ > iẽ. L‟ensemble se
réduit par normalisation : consonification du Ier élément devenu atone et
ouverture du second : iẽ > yẽ : Ex. : bĕne > byẽ. Dans la langue populaire,
l‟ouverture se produit : yẽ >yã. Ex. : femita > fiente.
La diphtongue [ oi ] se nasalise au XIIe s.. : oi > õĩ. Les deux
éléments égalisent leurs apertures : õĩ > õẽ > ũẽ. Dans la période de la
normalisation, ce dernier élément passe à [ wẽ ] : cuneum > coin.
3. Les nasalisations tardives
Pour les deux voyelles les plus fermées, les nasalisations n‟ont pas
toujours lieu ou elles se produisent plus tard :
[ ī ] par ouverture en ẹ nasal aboutit à ẽ ouvert. La nasalisation en [ ĩ]
a lieu au XIIIe s. puis les ouvertures successives jusqu‟à « e » ouvert :
vīnum > vin.
[ ū ] long : ü > ü(nasal) > œ(nasal) au XIVe s. et l‟ouverture se
produit au XVe s. Ex. : ūnum > un. Cette dernière nasale tend à se
destabiliser en français moyen : elle se confond avec / ẽ / ouvert : un ami /
ẽ-nàmi /.
4. La dénasalisation des voyelles
Il s‟agit plutôt d‟un processus de différenciation qui aboutit à la fin
du XVIe s ou au début du XVIIe s. Après la nasalisation, toutes les voyelles
sont nasalisées devant les consonnes nasales. La séquence voyelle nasale +
consonne nasale est donc systématique.
A l‟issue de ce processus, un des deux phonèmes d‟articulation
nasale est éliminé : la consonne, en position finale ou implosive ; la voyelle
lorsqu‟elle est devant consonne nasale intervocalique. Exemples :
bon : /bõn/ (XVIe s.) > [ bõ ], à la fin du XVIe s.
bonne : [ bõne ] > [ bone ] (XVIe s.), à la fin du XVIe s.
[bon ], fin du XVIe s.
bonté : [bõntẹ ] > [ bõtẹ ], à la fin du XVIe s.
Une des conséquences de cette dénasalisation est que [ a ] peut
continuer un [ e ] latin. Ex. : f'ēmina (la prononciation devient paroxytone
avant le VIe s., car la voyelle [ ē ] ne s‟est pas diphtonguée.
Phonétique
Graphie
Xe s. /f ẹmė/
Début XIe s. / fẽmẹ /
femme / feme
Mi XIe s.
/fãme/
famme / fame
Fin XIe s. /fame /fam/
femme
Le mot actuel possède donc une graphie archaïsante.
42
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
5. Synthèse : le statut des voyelles nasales
Ces voyelles ne constituent pas de vrais phonèmes avant le XVIe s.
Ex. : avec / a /.
Périodes
Latin
A.fr
Exemples
Cantum / cattum
Chant # chat
Phonétique
/a / = / a /
/ãn / # / a /
Fm
Chant # chat
/ã / # /a /
Commentaires
Un seul phonème dans tous les cas.
Variante combinatoire de / a /
devant cons. nasale.
/ã /est devenu un véritable
phonème.
Exercices
a) Expliquez le développement des mots suivants : cumulare >
combler, tonare > tonner, fontane > fontaine,donare > donner ;
b) Prononcez les mots tant, blanc comme on les prononçait à
l‟époque de l‟ancien français (XIIe siècle) et celle de la langue classique
(XVIIe siècle) ;
c) Résumez les traits caractéristiques de la nasalisation des voyelles
a, e,o, i, u ;
d) Prononcez les mots laine, vaine, faim et nain comme on les
prononçait à l‟époque de l‟ancien français (XIIe siècle) ;
e) De quoi dépend la divergence dans le développement de « a »
dans pane > pain et cane > chien ; dans camera > chambre, campu >
champ et dans cane > chien.
f) Marquez en transcription phonétique les étapes successives du
développement dans le paradigme verbal : vĕnit, tĕnet, tĕneat.
43
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre IX
FERMETURE ET OUVERTURE DES VOYELLES
1. La fermeture
La base articulatoire du français moderne est marquée non seulement
par une tendance à l‟articulation antérieure, mais aussi par une articulation
assez fermée. Aussi la fermeture (rétrécissement) accompagne-t-elle
certains processus, par exemple, la réduction. Elle caractérise non seulement
les processus qui s‟accomplissent dans la partie non-accentuée du mot, la
réduction de a dans mātūra > meur, mais aussi dans la partie accentuée : le
passage de ă > e dans mare > mer, de ă > i dans jacet > gît (phase
intermédiaire iei), de ĕ > i dans lectu > lit (phase intermédiaire iei).
Un rétrécissement de ā > e a lieu de même devant une nasale (manu
> main), ce qui n‟est pas caractéristique de la nasalisation qui connaît, en
règle générale, l‟ouverture à un degré.
La fermeture est assez fréquente dans les dialectes. Ainsi e > i dans
les dialectes du Sud -Est, y compris les parlers franco-provençaux, où l‟on
trouve giter, livé, i, recivez au lieu de jeter, levé, et, recevez. On peut lire
dans une charte bourguignonne : tenir i avoir ce qui veut dire « tenir et
avoir ». Un i non-étymologique de l‟ancien français - ei, ai, oi, ui pour e, a,
o, u semble marquer une prononciation très fermée et peut-être légèrement
diphtonguée de ces voyelles. En lorrain, où la tendance à la fermeture est
très prononcée, la diphtongue ie est souvent orthographiée iei, par exemple,
ensignieiz pour ensigniez. Le lorrain et le bourguignon maintiennent un ẹ >
ĕ, par exemple dans terra > terre qui partout ailleurs, dès le XIIe siècle,
s‟est ouvert en ε (en français littéraire - tε : r).
La fermeture a contribué à enrichir le système phonématique du
français moderne de nouveaux phonèmes u et ø .
Le phonème u existait en latin et existe en français moderne, mais la
période la plus reculée de l‟ancien français ne le connaissait ni comme
phonème, ni comme variante d‟un phonème ; le son u apparaît seulement au
XIIIe siècle par suite d‟une fermeture encore plus grande d‟un o fermé. Il a
été noté par ou, u latin étant passé à y qui garde le graphème u.
L‟o fermé de l‟ancien français, qui s‟est développé en u, provenait :
a) de ō (ŭ) et ŏ accentués en syllabe fermée : tōtu > tōttu > tot >
tout ; gutta > gotte > goute ; cursu > cors > cours ; currere > corre >
courre ; surdu > sord > sourd ; co(h)orte > cor > cour.
Un ō (ŭ) devant l‟entrave formée par le groupe cl se développe
d‟après la règle générale en u : fenuc(u)lu > fenouille, tandis que ŏ + cl, gl,
lj subit une diphtongaison : germ. orgoliu > orgueil, oc(u)lu > œil, folia >
feuille.
b) de ō initial, non-accentué, entravé ou libre : dub(i)tāre > doter >
douter, nōdāre > noer > nouer.
44
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
c) de ō + l + cons. : ultrā > oltre > outre.
d) de au inaccentué qui se monodiphtongue en o : laudārer > loer >
Longtemps il a eu hésitation entre la prononciation u et o, dont la première
était populaire et la deuxième - savante. On prononçait encore au XVIe
siècle coste et couste, portrait et pourtrait, formis et fourmis (Marot), trope
et troupe (Ronsard). Il y avait à cette époque les partis des « ouïstes » et des
« non-ouïstes » (Brunot et Bruneau). Henri Estienne s‟adressait aux
courtisans en ces termes :
N’êtes vous pas bien de grands fous
De dire chouse au lieu de chose ?
De dire j’ouse au lieu de j’ose ?
Par suite de ces hésitations la langue littéraire a adopté colonne,
soleil, rosée, fromage, portrait, ormeau. Quant aux mots volume, polir,
profil, etc. ce sont des mots savants.
Le phonème labialisé ø : apparaît de même du fait de la fermeture des
voyelles, cette fois-ci à la fin des mots. Ce son remonte aux XII - XIIIe
siècles et provient de la monophtongaison des diphtongues eu et ue, mais il
ne manifeste une différenciation de qualité qu‟au XVIe et au XVIIe siècles,
quand s‟est produite la fermeture des voyelles après la chute des consonnes
finales : il est fermé [ ø :] à la fin absolue du mot : peux, vœux, nœuds et
ouvert [oe] devant une consonne prononcée : leur, meurt, peur, gueule,
veuve, veuf, jeune.
Les cas cités n‟épuisent pas tous les exemples de fermeture d‟une
voyelle, par exemple, o ouvert devient fermé devant un s qui s‟efface : costa
> coste > cote [ko :t] ; ē accentué libre, précédé d‟une postlinguale qui
dégage un yod, devient en français i : cēra > cire, mercēde > merci, licēre
> loisir. D‟après E. Bourciez ce changement de ē > i parait s‟être opéré
sans diphtongaison de ē libre en ei, la voyelle s‟étant fermée davantage lors
de la palatalisation de k. On trouve dans les documents mérovingiens du
VIIe siècle mercidem pour mercēdem, cido pour cēdem.
2. L’ouverture
La prononciation ouverte ne semble pas aussi caractéristique du
français moderne que la prononciation fermée. Cependant, l‟opposition des
voyelles fermées aux voyelles ouvertes (e ~ε, ō ~ o, ø : ~ oe) occupe une
place considérable.
Laissant de côté le passage de ŭ > ō et de ĭ > ē qui apparaît au latin
parlé, arrêtons-nous sur l‟élargissement de e en ε et de ọ en o fermé qui s‟est
produit au XIIe siècle (sur l‟opposition ø : ~ oe, v. plus haut dans «
Fermeture »).
E fermé passe à e ouvert lorsqu‟il est :
45
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
a) accentué et entravé : dēb(i)ta > dette, illa > elle, littera > lettre.
Cf. dans les suffixes diminutifs -ittu > -et, -itta > -ette ;
b) accentué et libre devant une nasale, si cette nasale a conservé son
articulation : plēna > pleine ;
c) accentué devant n mouillé : insignia > enseigne, dignat > a. fr.
deigne > fr. mod. daigne ;
d) initial devant u ou l mouillés : segniore > seigneur, pec(ti)nāre >
peigner, meliōre > meilleur ;
O fermé passe à o ouvert lorsqu‟il est :
a) accentué et libre devant une nasale, si cette nasale a conservé son
articulation : pōma > pomme, corōna > couronne ;
b) accentué devant n mouillé : Bononia > Boulogne ;
c) initial libre suivi d‟une nasale : sonāre > sonner, donare >
donner ;
d) initial suivi de n mouillé : cuneata > cognée.
En dehors des cas cités il est impossible de laisser de côté un
phénomène d‟ouverture important qui s‟est produit du XIIIe au XVIe
siècles. Il s‟agit de l‟ouverture de e > a devant un r, dont les premiers
exemples remontent au XIIIe siècle. Ainsi, une rime de Rutebeuf sarge
(pour serge < serica) - large. Au XVe - XVIe siècles la confusion de er et
ar devient commune : Henri Estienne écrit en 1582 : « Plebs praesertim
parisina hanc litteram pro e in multis vocibus pronuntiat, dicens Piarre pro
Pierre…, guarre pro guerre… place Maubart pro place Maubert ».
Ce phénomène s‟explique par le passage de r alvéolaire (apical,
dental) à r uvulaire (dorsal, vélaire), c‟est-à-dire à l‟r parisien
d‟aujourd‟hui. La langue, en se soulevant dans sa partie vélaire pour
produire un r uvulaire, a provoqué l‟abaissement de la partie antérieure de
la langue, ce qui a entraîné l‟ouverture de e > a (assimilation partielle de la
voyelle à une consonne d‟après la place de l‟articulation). Cette
prononciation a été tenue pour vulgaire par les savants et par les milieux
cultivés qui, influencés d‟ailleurs par l‟orthographe, se sont opposés à ce
développement, et, chose curieuse, ont réussi à le contrarier. Le succès
obtenu par les grammairiens s‟explique, il nous semble, par une tendance
générale du phonétisme français au développement vers les voyelles
fermées et antérieures, tendance qui a été plus forte que celle de
l‟assimilation partielle de a à r.
Quoique condamnées par les grammairiens, les formes en ar
s‟emploient couramment au XVIe et au XVIIe siècles, surtout par les gens
du peuple (chez Molière - aparçu, libarté, parmission, parsonne). De cette
coexistence des formes en ar et en er la langue littéraire garde dartre (en a.
fr. dertre), écharpe (en a. fr. echerpe) et quelques autres mots.
46
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
La réaction contre la tendance à l‟ouverture faisait dire à cette époque
meri pour mari, Peri pour Paris. G. Tory écrit qu‟en 1529 les dames de
Paris disent volontiers « mon meri est à la porte de Peris ». La langue
littéraire a gardé serpe < a. fr. sarpe < sarpa; grebe < a. fr. jarbe < germ.
garba ; chair < a. fr. charne < carne ; cercueil < sarcueil ; hermine <
armenia, des mots dus à cette « fausse régression ».
Il ne faut pas confondre la tendance assimilatrice de e à r due au
passage de r alvéolaire à r uvulaire avec une autre tendance qui remonte aux
textes latins de l‟époque mérovingienne - celle de l‟ouverture de e à a dans
les syllabes initiales, surtout devant les consonnes liquides : bilancea >
balance, tripaliu > travail, silvaticu > a. fr. salvage > fr. mod. sauvage,
mercatu > marché.
Une tendance à l‟ouverture, provoquée par la consonne r, mais cette
fois-ci évidemment d‟origine dialectale, s‟observe pour y qui passe à oe.
Cette prononciation est attestée en Bourgogne, en Normandie et en
Gascogne. Elle pénètre dans la langue littéraire au XVIe siècle.
Gougenheim allègue les rimes : sœur : sur ; heure : future. A partir de
Malherbe, ces prononciations ont été condamnées comme « gasconismes »
ou « normandismes ». On trouve cependant dans la langue littéraire des
traces de cette particularité : beurre, heurter (a. fr. burre, hurter) et d‟autre
part mûre, flûte, prud’homme, fur (dans au fur et à mesure) au lieu de
meure, fleute, preud’homme, feur.
Formules à retenir :
ō, ŭ] > u - gutta > goutte
ō, ŭ initial, entravé ou libre > u
dub(i)tāre > douter, nōdāre > nouer
ē, ī] > ε - dēb(i)ta > dette, ĭlla > elle
47
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre X
ÉVOLUTION DES VOYELLES LONGUES ACCENTUÉES ī, ū
Selon F. Brunot (p. 152), I (lat. cl. ī) est l‟unique voyelle qui dans
une syllabe ouverte ou entravée n‟a pas souffert des changements (mille >
mil, isla > isle, escripto > escrit, filo > fil, ira > ire.
U (lat. cl.ū) en syllabe ouverte ou fermée qui a resisté à toute
influence environnante a passé à ü.
Ce changement selon F. Brunot est d‟une provenance latine récente
et a une extension non-uniforme sur le territoire de la France d‟oil. A partir
du XIe siècle on atteste déjà : mur < müro, us < üso.
Selon Bobo Müller (La structure linguistique de la France et la
romanisation sur le plan strictement linguistique, Travaux linguistiques de
littérature, vol. XII, 1, Strasbourg, 1974, p. 7-29), le traitement du ū latin
constitue le problème capital de la phonétique historique française. Quelle
qu‟ait été la force motrice du développement du ū > ü, le déplacement de la
base d‟articulation doit avoir eu lieu à partir du IIIe siècle, de sorte qu‟à
l‟arrivée des Francs en Gaule, ū était déjà en train de se transformer
sensiblement. Le passage de ū > ü est absolument contraire à tout autre
changement survenu avant le haut moyen age, soit qu‟il s‟effectuait tant en
position entravée qu‟en position libre, tant en syllabe accentuée qu‟en
syllabe post- ou prétonique, donc selon un principe qui avait régi le
phonétisme du latin vulgaire et bas-latin, mais qui n‟était plus valable pour
les plus importants changements postérieurs. C‟est un argument de plus
pour dater le passage, sur la ligne chronologique de l‟évolution des langues
romanes, immédiatement après la palatalisation de K + i, e.
Sur le plan dialectal l‟u n‟est pas l‟unique son en Ile-de-France, il est
concurrencé par l‟extension d‟une aire dialectale représentée par le son oe
(carte 5).
48
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre XI
DIPHTONGAISON ET MONOPHTONGAISON
1. L’abandon du système latin.
a) Diphtongues en hiatus
Une diphtongue est l‟association en une seule syllabe, de deux
segments vocaliques distincts, alors que l‟hiatus sépare deux voyelles par
une coupe syllabique. Ex. : au/ re/us « d‟or » compte 3 syllabnes avec une
diphtongue /au/ et deux syllabes en hiatus.
Le français moderne ne possède plus de diphtongues. On a des
associations :
 voyelle + semi-voyelle : lieu / lyœ /, yeux / yœ / ;
 voyelle + semi-voyelle : paille /pày /, oeil /œy / ;
 semi-voyelle + voyelle + semi-voyelle : piaille /piày /.
Il y a eu lieu la réduction des diphtongues latines :
- au Ier s., /ae > ę / et quelquefois à /e fermé/ : caelum > kęl >
ciel.
- œ > e (fermé )-: pœna > peine , au Ier siècle ;
- au > o : aurum > or.
La monophtongaison est la réduction d‟une diphtongue à une voyelle
simple.
a) Les nouvelles diphtongues
Les voyelles longues sous l‟accent se segmentent en raison de leur
longueur. On parle de diphtongaison spontanée. La voyelle s‟allonge, puis
elle finit par se segmenter en deux éléments de coloration vocalique
différenté (par différenciation).
LC
ū
I
ĭ, œ, ē
ĕ ,æ
ā ă
o
o ŭ
LP
u:
I:
e
ę:
a
o
o
Diph
ü
I
ei
Ie
ae
uo
ou
Afr
u
I
oi
Ie
a
ue
eu
Evol
ü
I
we>wa
ye
E
Wœ> Œ
eu
La ligne « évolution » résume l‟évolution phonétique de l‟ancien
français au français moderne.
La diphtongaison romane, aux IIIe et IVe s.s., concerne le français et
d‟autres langues romanes : elle ateint les voyelles les plus ouvertes. Les
diphtongues étaient croissantes en aperture, c‟est-à-dire que le second
élément sera plus ouvert que le premier. : e (ouvert) > ie à la fin du III s. ;
o(ouvert)> uo, au début du IVs.
La diphtongaison française, au VIe s. concerne uniquement le
français. Elle atteint les voyelles fermées et /a/. Comme c‟est une période
49
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
d‟affaiblissement articulatoire, le second élément de la diphtongue sera plus
fermé que le premier : / / /e(fermé) > ei /, / o > ou /. / a > ae /.
Les grands principes d‟évolution des diphtongues consistent en ce
que les deux segments vocaliques peuvent s‟assimiler (se rapprocher) ou se
différencier (s‟éloigner).
La normalisation est un phénomène par lequel une diphtongue
croissante en aperture entraine une intensité croissante. Ex. /´ie > i´e/. Le
/e/ plus ouvert que /i/ attire à lui l‟accent. Les diphtongues finissent par se
réduire dans une phase d‟équilibrage de l‟énergie articulatoire/ - par
consonification du premier élément. Ex./ i´e > ye/.
 par fusion des deux éléments en un son unique ou
monophtongaison. Ex. / ae > e(ouvert /.
c) La diphtongaison des voyelles ouvertes
Les voyelles ouvertes /o / /e/ se diphtonguent respectivement à la fin
du IIIe et au début du IV s. en position libre sous l‟accent. Il s‟agit d‟une
sorte de renforcement articulatoire. L‟aire de la diphtongaison est la
Romania, les anciennes provinces sous l‟influence du latin. Les deux
voyelles connaissent la diphtongaison spontanée, mais aussi une
diphtongaison conditionnée, lorsqu‟elles sont entravées par une consonne
palatale.
2. Les diphtongaisons conditionnées
La voyelle / e / ouvert subit une diphtongaison conditionnée
lorsqu‟elle se trouve entravée par une consonne palatale : l´ěctum lit. ,
s´ěior /seyyor/ sire. La palatale exerce une influence fermante sur la fin de
l‟émission de la voyelle. La diphtongue s‟assimile à date pré-littéraire : ie >
íe. Lorsque la palatale implosive se vocalise au Xe s., il se crée une
triphtongue de coalescence qui se réduit par assimilation : íe + y + íe + i >
íei, d‟où « lit, sire ».
ě ,æ > ę (Ier siècle) > ìę (IIIe s.)
Elles ont lieu dans les mêmes conditions que pour le / e /ouvert,
lorsque / o / se trouve entravé par une palatale. Ex. : nŏcte > nuit. La
diphtongue se produit malgré la brièveté de la voyelle. Par réaction à la
tendance fermante de la palatale sur la voyelle, celle-ci se ferme et se
différencie : o(ouvert) > ´uo(ouvert). La palatale implosive se vocalise en
/i/ au Xe s., on obtient la diphtongue de coalescence :´uoi . Commence alors
une assimilation régressive : ´uoi > ´uei > u´i > ẅ´i.
Au début du XIIIe s. l‟accent bascule sur le 2e élément, le premier
est devenu atone et semi-voyelle, d‟où : nuit.
3. La diphtongaison spontanée
La voyelle ouverte / e /
50
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Selon F. Brunot ę (lat. cl. ĕ) o (ouvert) (lat. cl. ŏ), ces deux phonèmes
ont produit des changements parallèles. En syllabe entravée ils sont restés
intacts : tęsta > teste, perd(e)re > perdre, cęrvo > cerf, sępte > sept ;
porta > porte, fortia > force, dormit > dort.
En syllabe ouverte ils se sont diphtongués de la meme façon. La
voyelle s‟allongeant est devenue double, puis a produit une diphtongue, en
modifiant son premier élément en un son plus fermé, proche par son
articulation physiologique.
ę > ęę> ẹę>ìę ; o(ouvert) > oo(les deux ouverts) > ọo(ouvert)
>úo(ouvert)
L‟accent des premiers éléments (í, ú) a passé sur le deuxième
élément aboutissant à : íe >ié, úo > uó. (voir Horning, Uber Steingende und
fallende Diphtongue im Ostfranzosische (ZRPh, XI, 411-418) ; Foerster,
Schiesale des lat. ŏ im Franzosischen (Rom.stud., III, 174-193). Matzke,
Uber die Aussprache des alt fr. -ue von latein ŏ (ZRPh, XX, 1-14).
Là s‟arrete le parallélisme des évolutions parce que pendant que
l‟évolution de ié finissait à cette étape, l‟évolution du uo(ouvert) passait en
ue vers la fin du XIIe siècle.
-ue a évolué en ö, écrit par ue (cueillir), oe (œil), eu (preuve), oeu
(bœuf).
Ex. : fęro > fier, fęl > fiel, bręve> brief, sed(e)t > siet, adredro >
adriedre, perdędrunt > perdiedrent.
Cor < cuor, cuer, cœur ; bove < buof, buef, boeuf; trobat < truovet,
truevet>treuve; volet > vuolt > vuelt, veut ; ob(e)ra (opera) > uovre > uevre
> œuvre. (voir F. Brunot, p. 153)
Quelques mots latins serviront d‟exemples et montreront le point
d‟aboutissement de la voyelle diphtonguée en français moderne. (voir Th.
Revol, p. 26)
Ex. 1. Pĕdem > pié ; fr.m. pied /pye / ;
Ex. 2. Pĕtram > pierre > /pyer / ;
Ex. 3. Caelum > ciel / syel/ ;
A la fin du IIIe s., la voyelle s‟allonge, se scinde en deux sons
vocaliques distincts qui se différencient : e > ee > ie. Cette diphtongue
devient croissante en aperture, - e, parce que / e / est plus ouvert que / i /.
 à date prélittéraire (VIIe s.), asssimilation progressive, le / i /
exerce une influence fermante sur le / e / : ie > ´ie.
 au XIIIe s. - la normalisation . La diphtongue devient à la fois
décroissante en aperture et croissante en intensité, l‟accent se déplace sur
l‟élément le plus ouvert : /´ie > ye . Le premier élément devenu alors atone
continue à s‟affaiblir en se fermant : i´e > ye /.
 au XVIe s. joue la loi de position : ye reste fermé en syllabe
ouverte, pied, mais il s‟ouvre lorsqu‟il est suivi d‟une consonne prononcée :
ciel, pierre.
51
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Situation dialectale
L‟isophone confine avec Seine-et-Oise pour revenir dans le nord
d‟Eur-et-Loir. Ce sont, en principe, les dialectes appelés « de l‟Ouest » sans
autre précision.
L‟évolution du Ĕ accentué libre est présentée dans la région de l‟Ilede-France par /yé/ en syllabe ouverte et par /yè/ en syllabe entravée.
Prenons le mot lièvre < du latin lĕporem. Suite à la réduction du « o » dans
le latin « lĕporem » , à la sonorisation du p > v, ainsi qu‟à la chute du « m »
final, on a obtenu en français moderne, le mot « lièvre », où « yè » se trouve
en syllabe entravée, par ailleurs avec la séquence du « r » final ou par
vélarisation du « è > oe ». C‟est ainsi que nous attestons lyèvr, lyèv, yèv ;
arrondissement du « è » : lyoev, yoev. On ne saurait pas oublier non plus le
maintien ou la palatalisation complète du « l » suivi du « i » / lyèv / yèv
(carte nr. 1).
La voyelle ouverte / o /.
Tout comme pour le e ouvert, les exemples qui suivent montreront
l‟évolution du o(ouvert). (Th. Revol, p. 26).
Quelques exemples permettront aussi d‟anticiper sur l‟évolution de la
diphtongue.
Ex. 1. p´ŏtet > puet > peut > / pœ /.
Ex. 2. m´ǒvent > muevent > meuvent > / mœv /.
Voyons son évolution : LCl ǒ > o (ouvert) au I er s., puis il s‟allonge
/o : / au (IIIe s.) ensuite il devient ´uo au (début IVe s.).
Tout comme le / ę /, le o ouvert s‟allonge, se scinde et les deux
éléments se différencient : o(ouvert) > oo(ouverts) > ´uo.
A date prélittéraire (VIIe s.), la diphtongaison commence à
s‟assimiler : ´uo > uo(fermé).
- au Xe s. le point d‟articulation des deux éléments s‟éloigne, se
différencient. Uo(fermé) ue(fermé) Les graphies médiévales puet et
muevent sont donc conformes à la pronociation du XIe s.
- au XIIe s. la diphtongue subit une palatalisation : üe > üœ
Elle finit par se monophtonguer au XIIe s.
 par normalisation (déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus
ouvert) : ´üœ > ü´œ ;
 par consonification du Ier élément, devenu atone : ü´œ ẅ´œ.
 par simplification en / œ /.
 au XVIe s. la loi de position joue normalement : / œ /.
 devient fermé en syllabe ouverte : il peut être /œ / ouvert en
syllabe fermée : meuvent.
Selon Thierry Revol, cette voyelle s‟allonge, se scinde et les deux
éléments se différencient immédiatement : ō > ọọ (allongés) > úo (ouvert).
52
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
La diphtongaison est encore croissante en aperture ( /ú/ est plus fermé que
le deuxième élément, mais décroissante en intensité (/u/ est tonique).
A date prélittéraire (VIIe siècle), la diphtongue commence à
s‟assimiler : uo (ouvert) > XIe siècle, le point d‟articulation des deux
éléments se différencie : uọ > ue.
Au XIIe siècle, la diphtongue subit une double assimilation :
assimilation régressive (et palatalisation) ue > üẹ, puis assimilation
progressive (et labilialisation) üẹ > üœ.
Elle finit par se monophtonguer au XIIIe siècle.
 par normalisation (déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus
ouvert: „üœ(fermé) > ü’œ (fermé) ;
 par consonification du premier élément devenu atone : ü’œ > üœ
fermé).
 par la disparition de la semi-consonne, peu audible : le résultat
est / œ / fermé.
Au XVIe siècle, la loi de position joue normalement : /œ / fermé en
syllabe ouverte. Ex. Peut. Mais la voyelle s‟ouvre lorsqu‟elle est suivie
d‟une consonne prononcée. Ex. : meuvent.
A juger d‟après la carte « Un oeuf ; des oeufs » (ALIFO, 625) on
peut constater un aboutissement en: /œ/. Pourtant la loi de position ne
fonctionne pas tout à fait normalement. On a enregistré par ailleurs des /œ/
fermés en syllabe fermée aussi bien qu‟en syllabe ouverte : en Orne, en
Eure-et-Loir et partiellement en Indre-et-Loir : ẽn œ, dez œ ; ẽn œf , dez œf
- timbre fermé en syllabe fermée et ouverte et au contraire : timbre ouvert
en syllabe fermée et ouverte : ẽn œf ; dez œf (p. 51). La distribution de ces
variantes est très désordonnée et on réussit à peine à tracer des limites
distinctes. Voyons ce qu‟on trouve dans la légende de cette carte : la
prononciation en œf (son ouvert) est connue partout ; elle est souvent
considérée comme une prononciation soignée et elle n‟est notée que
lorsqu‟elle est seule utilisée. Les formes de la carte sont des formes
courantes ; on se reportera à la liste « Un tout petit oeuf » pour trouver
certains emplois archaïques lexicalisés de « un oeuf ».
26 e grót œf = un gros œuf,
27 là dernyèr œf = le dernier œuf ;
dez œ(fermé) est la prononciation soignée ; déz œf, déz œy - la
prononciation spontanée.(voir la carte 626 Un œuf).
Pour conclure on pourra dire que l‟ « o » ouvert a scindé la région en
deux grandes aires : l‟une en /œ/ et l‟autre en /u/. (voir « le soleil » qui est
plus représentatif à ce sujet (carte nr. 2).
53
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
4. Les diphtongaisons tardives
En position libre et sous l‟accent, les voyelles / ẹ /, /ọ / et / a / se
diptonguent au VIe s., exactement pour les mêmes raisons que les voyelles
ouvertes à la fin du IIIe s. et début du IV e s. Comme ce phénomène n‟a lieu
qu‟en français, on parle de diphtongaison française .
1. La diphtongaison de / e / fermé
La voyelle / e / fermé subit deux types de diphtongaison : en raison
de sa longuer sous l‟accent, elle se diphtongue spontanément, mais certains
entourages consonantiques produisent des diphtongaisons conditionnées.
Diphtongaison spontanée . Selon F. Brunot ẹ (lat. cl. ē,ĭ) en syllabe
entravée s‟est conservé jusqu‟au XIIIe siècle. A cette époque ẹ>ę et e, par
ex. le mot sec est provenu du secco par analogie avec bęc > bẹccọ ou le son
e est ouvert.
Conf. : mẹssa > mẹsse> męsse, spessọ (spĭssum) > espẹs >espęs (fr.
épais), vẹrde (vĭrĭdum) > vẹrt > vęrt.
L‟ ẹ libre, s‟allongeant en ē a évolué en ẹẹ puis par assimilation en ei
: bẹvo (lat. cl. bibo) > beif, prẹda > preie, vẹa > veie, tonẹdro (lat. cl.
tonĭtru) > toneire.
Au XIIe siècle ẹi < e + y ou bien de l‟évolution spontanée du ẹ qui
passe en oi(ouvert) (ou encore par l‟étape ai, ou encore plus précissément
par ei).
A partir du XIIIe siècle il se conforme au groupe associé oi qui vient
du au + i, du a + ui (soi < sabui).
Ex. : soi, mois, bois, rois, cortois, crois (croce), etc. (voir F. Brunot,
p. 153)
Deux exemples empruntés à Th. Revol (p. 26) montreront à quel
résultat aboutit la diphtongaison spontanée de / e / fermé : p´ĭlu > poil et
s´ēru > soir. L‟évolution en est la suivante :
LCl
ĭ
œ
ē
LP
II-IIIe s
e (fermé)
e (fermé)
Diph-son VIe s
ei
La voyelle tonique libre s‟allonge, se scinde en deux sons vocaliques
distincts qui se différencient : e : > ee > ei. La diphtongaison est
décroissante en aperture. / i / est plus fermé que / e / et décroissante en
intensité. /e / est tonique. Ainsi s‟explique les anciennes graphies : peil, seir,
peire. Vers le milieu du XIIe s, la diphtongaison se renforce par
différenciation : ei >oi, d‟où les graphies modernes « poil », « soir »,
«poire», etc. Etapes d‟évolution :
 à la fin du XIIe s, assimilation par égalisation des apertures :
assimilation progressive (par ouverture du second élément: oi > œ, puis
assimilation régressive (par fermeture du premier élément) : œ > e.
54
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS

au cours du XIIIe s, réduction de la diphtongue en trois phases :
déplacement de l‟accent sur l‟élément le plus ouvert : ´ue > u ´e, puis
consonification du premier élément devenu atone : u´e > we.

à la fin du XVIIe s, la séquence /we / s‟ouvre /wa/. Ce
traitement semble naître dans la pronociation parisienne, après la
Révolution.
 au cours du XVIIe s , we se simplifie en / e / dans certaines
conditions : après cons. + r : crēta > craie et dans les suffixes de nationalité
en -iscu : français, mais le prénom François.
 Palatale précédant / e / libre. Au VIe s. la consonne palatale
exerce son influence fermante sur l‟élément initial de la diphtongue et
développe un son fermé / i / : ei > iei > i. Ex. : mercede > merci.
 / e / libre suivi d’une nasale. La diphtongue subit l‟influence de
la nasale qui suit (VIe s.) : / ei /, mais elle est nasalisée à la fin du XIe s ; / ei
> ẽĩ /. Au XIIIe s. la diphtongue nasalisée s „ouvre devant la consonne
nasale, puis s‟assimile :
ẽĩ > ẽẽ > ẽ > ẽ. Ex. : pœna /pena/ puis / pena / > peine /pẽĩne /
> pẽne, d‟où les graphies peine / peinne. A la fin du XVIIe s. la voyelle se
dénasalise : peine.
Situation dialectale :
Prenons pour /ẹ / la carte « Avoine » de l‟ALIFO. Dans la majeure
partie du domaine on atteste la séquence /wè/ qui tire ses racines depuis le
XIIIe siècle : avwèn / awèn presque partout. Par ailleurs on remarque une
tendance vers /wa/ avec des vestiges du « è » avwaèn : à noter le
département d‟Oise (2,1,0), Eure-et-Loie (15, 25) ; Orne (20, 34) ; Loire-etCher (50,, 63, 64,) Loire-et-Indre . (69). A 56, 21 et 33 on atteste une
articulation double : avwàn, avwèn. La forme /wà/ a apparu à la fin du
XVIIe siècle et dans le langage du peuple elle n‟a presque point évolué. Par
ailleurs on atteste des prononciations doubles même dans la même famille,
les femmes témoignant plus de conservatisme : voir à 32 : le témoin dit
àvwàn et sa femme àvwèn (carte 3).
2. La diphtongaison de / o /(fermé)
Pour cette voyelle fermée il convient aussi de distinguer entre la
diphtongaison spontanée qui se produit à cause de la longueur de la voyelle
sous l‟accent, et les diphtongues conditionnées par l‟entourage
consonantique de la voyelle.
Dipohtongaison spontanée. Ex. : g´ŭla > gueule /œ/, v´ŏtum > vœu
/œ / ; am´ŏrem > amour, sp´ŏnsa> épouse. Le /ŭ / a évolué en / o / fermé
au IIIe - IVe ss ; le /ō/ a évolué en / o / fermé au Ier s, puis les deux ont
évolué en / ´ou /.
Comme les autres voyelles toniques libres, / o / fermé s‟allonge, se
scinde en deux sons vocaliques distincts qui se différencient: /o >´oo >´ou/.
La dipohtongue est décroissante à la fois en aperture . Le /o/ fermé est plus
55
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
ouvert que /u/ et en intensité /o / fermé est tonique. A partir de là,
l‟évolution diverge selon les dialectes.
Au Nord et au Centre : /œ / fermé . Une aire / œ / se situe au nord et
au centre, dans les dialectes picard et surtout francien.
- A la fin du XIe s. les deux sons se différencient : ´ou > ´eu . /o/
fermé est vélaire, alors que / e / fermé est palatal.
- A partir du XIIe s., ils s‟assimilent. Le premier élément se labialise
sous l‟influence du second : ´eu > ´œu, puis en /œ/ fermé.
- A la fin du XVIe s. joue la loi de position : la voyelle se maintient
/œ / fermé en syllabe ouverte, mais elle s‟ouvre en syllabe entravée : il veut
/œ / fermé, gueule / œ / ouvert.- Au sud : / u /. La zone /u/ conserve
davantage le sud de la France. La diphtongue /ou/ s‟y maintient jusqu‟au
XIIe s. où elle s‟y réduit par monophtongaison en / u / : épouse/ .
- / o / fermé libre devant une consonne nasale. La diphtongaison se
produit au VIe s. en /ou/ ; au XIIe s. la diphtongaison se nasalise sous
l‟influence de la consonne nasale.
- A la fin du XVIe s, l‟élément nasal le plus faible perd sa nasalité.
Ex. : dōnum > don /dõ/. La consonne nasale s‟est amuie.
Voyons aussi ce que F. Brunot écrit à ce sujet : ọ (lat. cl. ō, ŭ), en
syllabe fermée s‟est conservé sans changement, écrit tantôt o, tantôt u :
tọrre > tor, tọttọ > tot (F. Brunot, p. 152)
O fermé libre a probablement commencé à se diphtonguer,
phénomène qui est mal identifié dans des mots tels que : Bellezour, soue
(voir Sainte Eulalie) qui indique une prononciation probable ou, mais ces
exemples sont peu nombreux. Il paraît que la diphtongaison de ọ fermé ne
s‟est pas conservé et que o avait la prononciation du ọ, très fermé qui
semblait à la prononciation dans le mot jour. Il a conservé cette distinction
jusqu‟au XIIe siècle.
On l‟écrit o : vọs> vos, tọa > toe, colọre > colōr, flore > flor.
Tenant compte de l‟évolution de ces deux ọ, l‟un en syllabe entravée,
l‟autre en syllabe libre, parmi lesquels l‟un est devenu ou (torre > tour), et
l‟autre eu (flore > fleur), on peut admettre qu‟ils étaient différents, ils se
différenciaient par la prononciation (F. Brunot, p. 153).
Situation dialectale
La carte 51 « Bleuet » représente deux aires d‟extension des voyelles:
l‟une pour /œ/ fermé et l‟autre pour /u/, toutes les deux en syllabe ouverte.
L‟aire du /œ/ fermé est fragmentée en quatre zones, dont la plus
importante est celle du nord-est de la région : Oise, Val d‟Oise, Yveline et
Essonne. Une autre aire, attestée en trois localités se répand en Indre-et-Loir
(pts. 32, 31, 30), ensuite la troisième se répand en Loiret (au sud-est) et la
quatrième en Loir-et-Cher (pts. 64, 69, 72), au sud-ouest.
56
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
La deuxième aire est beaucoup plus importante, bluè occupe le reste
du domaine, grâce à la conservation de l‟accent sur le premier élément du
groupe /„uœ/.
Pour l‟o fermé le domaine en question se divise en deux grandes
zones: celles du /œ/ et celle du /u/ les deux portant un caractère assez
ancien. (carte 4)
Diphtongaison du / a /
Ex. : pr´atu > pré, m´are >mer, am´are > amer > aimer /fr.m./. La
diphtongue est issue d‟un phonème bref ou d‟un phonème long : LCl ā, ă >
a ; au VIe s. il évolue à /ae/. Ainsi, ai VIe s. en raison de sa longueur, la
voyelle s‟alonge, se scinde en deux sons vocaliques distincts qui se
différencient : ā > aa > ae : pâte. La diphtongue est décroissante en
aperture, avec accent sur le premier élément. Le VIe s. est une période de
relachement articulatoire : aę > eę > ę. Le /e/ ouvert qui reste long se
ferme à partir du XIe s. : ę > e. Comme les autres voyelles elle subit la loi
de position à la fin du XVIe s. : en syllabe ouverte elle est fermée / e / : pré,
aimer ; en syllabe entravée, elle s‟ouvre en / ę / comme dans « mer ».
Après palatale : la voyelle /a / subit une diphtongaison conditionnée
au VIIe s. sous l‟influence fermante de la palatale et développe un son
fermé au début d‟émission : ´aę passe en ´iaę. L‟influence fermante
continue et aboutit à ´ię.
La voyelle / a / libre devant nasale. Les exemples choisis sont les
suivants : ´amat > aimer, v´anum > vain. Pour tous ces mots, la
diphtongaison commence normalement au VIe s. : a > aa > aę :
- avant la nasalisation (VIIe s), la consonne nasale exerce une
influence fermante sur la diphtongue : aę > ae(fermé) > ai .
- à partir du XIIe s les deux éléments s‟assimilent mutuellement ; ãĩ
> ẽĩ. Le passage à / ẽĩ / explique l‟équivalence des graphies « ain / ein ».
Ex. : planu / plenu plain / plein indifféremment.
- au XIIIe s. tous ces diphtongues-là se monophtonguent en : / ẽ /.
- au XVIe s. la voyelle perd sa nasalité : vẽnė « vaine ».
Exercices
a) Donnez les mots français dérivés des mots latins suivants :
pressa
septe
sella
testa
ad retro
porta
portu
>
>
>
>
>
>
>
57
fĕl
heri
sēdet
assēdet
>
>
>
>
mŏsa
filiōlu
>
>
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
cornu
cornua
porcu
co(h)ōrda
gladiōlu
sŏror
mŏla
proba
>
>
>
>
>
>
>
>
b) Donnez les mots français correspondants pour les mots latins
suivants :
ĕbulu, rauba,causa (mot populaire), causa (mot savant), auru (robe,
chose, hièble, cause, or).
c) Donnez les formes du français modernes en y indiquant les étapes
du français ancien, d‟après les mots latins suivants :
plŏrat
plŏvit
gŭla
cortē(n)se
parēte
sedēre
(il)lōru`
nepōte
dolōre
cōda
nōdu
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
mē
tē
mŏla
vidēre
crēdere
sēdet
vēla
pĭlu
pĭra
vēdet
bĭbit
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
>
d) Donnez l‟explication des mots du type : craie < crēta, claie celt.
Clēta, dais < discu, tonnerre < tonitru.
e) Expliquez l‟évolution des infinitifs suivants en ajoutant les formes
hypothétiques :
mordere
respondere
sapere
cadere
tenere
putrere
>
>
>
>
>
>
mordre
répondre
savoir
choir
tenir
pourrir
f) Expliquez l‟alternance des suffixes - ais /-ois dans raideur roideur, anglais - anglois, benet - Benoit, Français - François.
g) Donnez les noms d‟habitants dérivés des noms de pays, de villes
ou de provinces suivantes :
58
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Angleterre, Aragon, Bordeaux, Boulogne, Congo, Dijon, Ecosse,
Finlande, Follande, Japon, Lyon, Milan, Zélande, Amiens, Autun,
Champagne, Franche-Comté, Liège, Suède, Strasbourg, Vienne.
h) Quelles sont d‟après les formes du dialecte francien, les formes
anglo-normandes des mots qui suivent :
bien
manière
siècle
reviendra
vedeir
sedeir
saveir
sonner
baron
hom
encontre
prison
raison
ont
i) Analysez l‟évolution phonétique dans les séries de mots cidessous:
Plaga > plaie, palatiu > palais, laxat > laisse, gaju > geai, essagiu >
essai, nasci > nascere > a.fr. naistre > fr.mod. naître, Cameracu > Cambrai,
Tornacu > a.fr. > Tornai fr.mod. > Tournai ; tractare > traitier > traîter,
laxare laissier > laisse, pietate > pij(e)tate > pitié (depuis le XIIe siècle
doublet savant piété) ;
ceresia > cerise, dece > dix, despectu >dépit, mediu >mi, lēgere >
lire, posseat > puisse;
fēria > foire, rēge > roi, lēge > loi, Lĭgere > Loire, plĭcat > ploie ;
pressōriu > pressoire, bŭx(i)da > boiste > boîte, nŭce > noix, Sapaudia >
Savoie.
59
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre XII
ÉVOLUTION DES CONSONNES
1. Les consonnes intervocaliques
Entre deux consonnes, les sons subissent deux tendances
concurrentes : la position peut être considérée comme faible à l‟initiale de la
voyelle ou faible entre les deux phonèmes très ouverts. Cette dernière
tendance provoque l‟assimilation par leur entourage vocalique :
 Les consonnes sourdes sont sonorisées ;
 Les consonnes sont désarticulées.
Un son vocalique est bien plus ouvert qu‟un son consonantique. Les
occlusives, très fermées, commencent à laisser passer l‟air : elles deviennent
constrictives ou spirantes (phénomènes de spirantisation). Quelquefois la
désarticulation peut aller jusqu‟à l‟amuïssement complet de la consonne
selon leur lieu d‟articulation .
2. Labiales intervocaliques
Phénomènes
Exemples
Sonorisation
Spirantisation à [β]
Passage à labio-dentale
Exemples
[p]
ripa
P>b (fin IV-ième s.)
b> β (V-ième s.)
B>v (V-ième s.)
rive
[b]
habēre
b> β (I-er s.)
β > v (III-ième s.)
avoir
[w]
viva
w> β (I-er s.)
β > v (III-ième s.)
vive
Les dates de spirantisation sont beaucoup moins fixes que celles de la
sonorisation des sourdes à la fin du IV-ième siècle. La spirantisation n‟a
lieu que sur une consonne sonore. Voyons le tableau :
Phénomènes
Exemples
Fin IV-ième s.
Sonorisation
VI-ième s.
Spirantisation
IX-ième-X-ième s Amuïssement
Exemples
-
[t]
vīta
t>d
d>δ
vie
[d]
vĭdēr
d>δ
voir
[s]
causa
s>z
chose
Le passage de [b] à [w] est bien une spirantisation, mais pour [w >
β], il s‟agit plutôt de la perte de l‟articulation vélaire. Dans les deux cas, la
consonne s‟affaiblit.
Au contact d‟une voyelle vélaire [o], [u], les labiales [b] et [w]
subissent un traitement conditionné :
Amuïssement de [w] au III-ième siècle.
Ex. : avunculu>aunculu>oncle
Amuïssement de [b] : b>w (fin III-ième siècle).
60
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Ex. : habutu > eü > eu[ü] ; dēbutu > deü > « dû »
Amuïssement de [p] : p > b > β > w (V-ième siècle).
Ex. : sapūtu > seü > « su »
3. Les dorso - vélaires intervocaliques
Lorsque les deux consonnes vélaires [k] et [g] se trouvent au contact
d‟une voyelle palatale [e] ou [i], elles se palatalisent. La sourde [k] se
palatalise au III-ième siècle :
- III-ième siècle - palatalisation avancée du point de vue
d‟articulation, assibilation (désarticulation de l‟occlusive jusqu‟à
l‟apparition d‟un son fricatif (t>tsà : k>k’>t’>t’ s’) ;
- fin IV-ième siècle: - sonorisation : ts > dz > > ydz ;
- VII-ième siècle - : dépalatalisation : yd ‘z’ > ydz : Ex. : ratione >
raison.
A l‟intervocalique, le phénomène affriqué [dz] se simplifie (fin XIIième siècle) : dz > z. Ex. : placere > plaisir. En finale il s‟assourdit et se
simplifie : dz > ts > s. Ex. : voce > voiz > voix.
Phénomènes
Sonorisation
Spirantisation
[k]
k>g
g > γ (V-ième s.)
Résultat
γ
[g]
g > γ (IIIe, IVe, Ve
siècles)
γ
La sonore [g] se palatalise à la même époque : III-ième siècle,
palatalisation avancée du point d‟articulation, assibilation : g > g’, d’ > d’z’
:
- VII-ième siècle, dépalatalisation : d’z’ > dz : Ex. : argentu >
argent, gente > gent
Autres cas vélaires intervocaliques :
Quelquefois, les deux vélaires [k] et [g] aboutissent plus ou moins
tard à un résultat identique : spirante [γ] :
Résultat commun
Traitement par
contact
Affaiblissement (Ve VIe s.)
Résultats
γ
avec vélaire
avec [a, e, i]
Amuïssement
Passage à yod
-
y à l‟intervocalique
Exemples : Jocare > joer, pagani > païen
Secūru < seü, regina > reine
Baca > baie
Dans le mot « reine », le yod fusionne avec le [i] tonique.
61
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
4. Les consonnes implosives
Dans les mots populaires, toutes les consonnes implosives se sont
amuies sauf [r].
1. L’étape latine
[n] devant [s] et [f]. Dans cette position, [s] ne s‟est plus prononcé
en LCl et la voyelle précédente subit un allongement compensatoire.
Ex. : mensem, transcrit [m’ēse]. Le ē est libre et se diphtongue : mēse
> « mois ».
Ex. : i(n) sula > isle ; ma(n)sionem > maison ; pe(n)sare > peser ;
infa(n)s > infes (mais infantem > enfant, car [n] se trouvait devant [t].
Les premières syllabes « in » ou « con » sont considérées comme
des suffixes et ne se soumettent pas à la règle générale :
Ex. : insimul > ensemble ; consilium > conseil ; infantem > enfant.
L‟analogie joue également pour des mots appartenant à une
même famille.
Ex. : responsa > response, car le verbe respondere existait ;
Enfin, le caractère savant du mot a pu le protéger :
Ex. : l‟opposition entre pe(n)sare > peser (pop.) / penser (plus
savant).
[r] devant [s]. La consonne [s] assimile le [r] selon le schéma : r + s
> ss > s (VII-ième s.), comme pour toutes les consonnes géminées.
Ex. : dorsum > dossu > dos.
[g] devant [m]. L‟occlusive [g] subit l‟influence régressive de [m] :
spirantisation gm > γm ; labialisation : γm > wm ; vocalisation : wm > um.
Ex. : sagma > sauma > som(m)e (comme dans bête de somme). Là
encore, les exceptions sont dûes à des formes savantes :
Ex. : pigment, flegme, mais flemme (pop.).
La fausse palatalisation de [k] ou [g] (III-ième s.)
Cette fausse palatalisation se produit devant certaines consonnes
d‟avant (antérieures à : r, t, d, ou s : spirantisation)
K/g>χ/γ
Affaiblissement en yod par assimilation aux consonnes
suivantes: χ / γ > y. Si la voyelle précédente est un [i], le yod fusionne avec
elle :
Ex. : dǐctum > dīctum > dit, mais si c‟est une autre voyelle il se
produit une diphtongaison de coalescence (X-ième s.), au moment de la
vocalisation des yods implosifs.
Ex. : l’acrima > [layrma] > [lairme] / lerme ; fr’igidu > froid ;
laxare > [laksare] > laissier « laisser ».
62
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
L’ amuïssement généralisé (VII-ième s. - X-ième s.)
7.
Le [t] implosif. Placé devant le [t], le [ł] vélaire était prononcé apical
et dorsal, avec une double élévation de la langue, de la pointe et de la
racine, juste dans la zone d‟articulation du [u]. La vocalisation se fait en
deux étapes :
VII-ième s., affaiblissement par perte de l‟élévation apicale : ł >
w;
X-ième s., vocalisation après chute du [t] final, postconsonantique (fin IX-ième s.) : w > u. Ex. : saltu > salt > saut.
Les autres consonnes implosives. Toutes les implosives finissent par
s‟amuïr, à quelques exceptions près : ils font intervenir la spirantisation au
VII-ième s. puis l‟amuïssement au X-ième s..
6.
Ex. : septem > « sept » VII-ième s. : spirantisation ; sefte au X-ième
s. : amuïssement ; sefte > [set] ; debet > deivet au VII-ième s. > deifit puis
amuïssement : deifit > deit > doit.
7. Les consonnes finales
1. Etape latine
Huit consonnes pouvaient se trouver en fin de mot, dont la moitié
s‟amuït dès l‟étape latine.
Le [m] disparaît, en particulier pour les accusatifs. Ne reste plus Rem
« chose » et Meum « mon ». De la même façon, [n] et [d] s‟amuïssent :
nomen « nom », sic « ainsi ». Le mot ration « raison » a perdu son [n] avant
le LCl (forme originelle « ration », gen. Rationis). Quelques monosyllabes
font exception : non, in, en.
Les liquides [r] et [l] subsistent, en tout cas dans les monosyllabes :
mĕl > miel ; sal > sel ; cŏr > cuer « cœur ».
Les phonèmes [s] et [t] persistent en finale, car elles possèdent une
valeur de désinence morphologique (pl., masc.).
2. Amuïssement des sonores (VIII-ième s.)
Les consonnes sonores en position finale s‟assourdissent au VII-ième
s. Cet assourdissement est la conséquence logique de l‟amuïssement des
voyelles finales : la consonne précédente n‟étant plus intervocalique, elle
perd sa sonorité.
Ex. : navem > nef « bateau », syn. nave ;
f’ĭdem (feiδe) > feiθ > foi (VIII-ième s.).
[t] final précédé de voyelle (fin IX-ième s. - X-ième s.)
Lorsqu‟il est précédé d‟une voyelle, il n‟est pas protégé ou appuyé
par une consonne. Il finit par s‟amuïr: f’ĭdem (feiδe) > feiθ > fei. Pourtant
il y a des exceptions apparentes où la marque [t] (3e pers. pl.) s‟est
63
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
maintenue : Ex. : fait, doit, lit, etc. En fait le [i] est encore prononcé comme
une semi-consonne [y] jusqu‟à sa vocalisation au X-ième s. ; le phonème
protégeait donc le [i] qui ne s „est pas amuï.
- [t] appuyé par consonne ou semi-consonne : tant, grant, vient, doit,
tait, sait.
- [s] appuyé ou à valeur désinentielle : courtois, rois, murs.
- [r] final d‟infinitif : dormir, vouloir, chanter.
Les consonnes finales encore systématiquement prononcées sont
assez rares : [t], [s], [r]. Les désinences verbales « -s » ou « -t » restent
purement graphiques.
Du XIII-ième s. au XVI-ième s., l‟amuïssement est plus ou moins
rapide selon les couches de la société. Dans la langue savante, les consonnes
ont longtemps été articulées aux pauses de la phrase et devant voyelles
(sorte de liaison).
Encore aujourd‟hui on conserve quelques vestiges.
Ex. : huit, but, soif ont une double prononciation. A comparer : il a
huit livres [ẅi] > il en a huit [ẅit].
On trouve aussi le même fonctionnement avec [s].
Ex. : six, dix, tous, plus. A comparer : il en veut plus [plüs] et il n‟en
veut plus [plü].
On prononce avec [t] : mat, sept, dot, brut ;
avec [s] : fils, as, os, ours, jadis, hélas, maïs ;
avec [r] : char, fer, mer, noir, soir, mur.
8.
L’ amuïssement généralisé (fin XIII-ième s.)
Dans la plupart des cas toutes les consonnes qui subsistaient encore
s‟amuïssent au XIII-ième s. Pourtant on rencontre des tendances contraires,
dans la langue savante, par ex. : broc [broc], mais le dictionnaire donne la
seule prononciation [brọ]. La syllabe « so », ayant plusieurs suites, on les
différencie : soc [sok] ≠ sot [so]. De même le mot « drap » [drà] ne pose pas
de problèmes, mais il a fallu distinguer « cap » [kàp] et « cas » [kà], avec la
finale zéro.
Le cas de /R/
En toute position, il est articulé à partir du XVIII-ième s. Il passe
d‟une prononciation roulée, apico-alvéolaire, à une prononciation grasseyée,
vélaire. Le /R/ subit un affaiblissement à la fin du XIII-ième s. pour les
infinitifs, le /R/ s‟amuїt dans tous les cas.
Ex. : chanter /-te/ ou partir /pàrti/, prononcés comme les participes
passés respectifs.
64
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Ex. : voir /vwè/, prononcé comme les personnes 1, 2, 3 de l‟Indicatif
présent.
Ce phonème est pourtant rétabli au XVII-ième s. souvent pour éviter
la confusion avec d‟autres formes verbales. Ainsi, les infinitifs en « -ir »
subissent-ils l‟influence d‟infinitif comme « lire, écrire, dire », où le /R/
n‟était pas final et a toujours été prononcé
Aujourd‟hui : dormir, partir. Sous l‟influence de « boire, croire » on a
rétabli la prononciation dans les infinitifs « voir, devoir ».
Dans les noms d‟agents masculins en -eur, le /R/ s‟amuїt à la fin du
XIII-ième s. Il a aussi été rétabli au XVII-ième s., ce qui a parfois entraîné
la réfection des féminins : [šãtoe] « chanteux », d‟où un féminin refait en «
chanteuse » ; de même, [mãtoe] « menteux » développe un féminin «
menteuse », alors que « chanteresse » et « menteresse » existaient.
9. Les consonnes nasales
A la fin du XVI-ième s. les deux phonèmes (vocalique +
consonantique) se différencient et une des deux articulations nasales
disparaît :
- la voyelle, si la consonne nasale est intervocalique.
Ex. : [bõnė] > [bonė] > [bon] pour « bonne ».
- la consonne, si elle se trouve en position faible (finale ou
implosive).
Ex. : [bõn] > [bõ] pour « bon ».
10. L’évolution des consonnes m, n en différentes positions
syllabiques
a) m, n à l’initial
Placées au début du mot, les nasales m et n sont restées intactes en
français.
Ex. : a) Matre, mère ; minus, moins ; mercede, merci ; mutare, muer.
b) Nasu, nez ; nocte, nuit ; nodu, nœud ; nepote, neveu.
b) m, n intérieurs derrière consonne
Placées dans le mot entre une consonne et une voyelle, les nasales m
et n sont restées intactes en français, comme à l‟initiale.
Ex. : a) Arma, arme ; palma, paume ; vermiculu, vermeil ; spasmare,
pâmer.
b) Alnu, aune ; ornare, orner ; as(i)nu, âne ; sal(i)nariu,
saunier.
65
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
c) m, n intérieurs entre voyelle
Placés dans le mot entre deux voyelles dont la deuxième n‟avait pas
disparu avant la période littéraire, m et n ont persisté en français.
Ex. : a) Amat, aime ; amaru, amer ; clamore, clameur ; cima, cime.
b) Plana, plaine ; panariu, panier ; minare, mener.
d) m, n intérieurs devant consonne
Placés à l‟intérieur du mot entre une voyelle et une consonne, m et n
ont perdu l‟articulation qui leur était propre, en se combinant avec la
voyelle précédente pour la nasaliser ; ils ne se conservent que
graphiquement pour indiquer cette nasalisation, et m s‟écrit en général n
devant les dentales.
Ex. : a) Rumpere, rompre ; gamba, jambe ; rum(i)ce, ronce ;
sem(i)ta, sente ; comp(u)tare, conter ; prim(u) - tempus, printemps.
b) Man(i)ca, manche ; ventu, vent ; sentire, sentir ;
respondĕre, répondre ; lun(ae)-dīe, lundi.
Le groupe mn originaire ou secondaire, placé derrière une voyelle ou
derrière la vibrante r, s‟est réduit par assimilation progressive à m (écrit en
français m ou mm).
Ex. : Sommu, somme ; lam(i)na, lame ; fem(i)na, femme ; hom(i)ne,
homme ; lum(i)naria, lumière ; Sum(i)na, Somme ; sem(i)nare, semer ;
intam(i)nare, entamer ; germ(i)nare, germer ; term(i)nu, terme ; carm(i)ne,
charme.
Dans les groupes de formation secondaire m’r, m’l, et n’r, il s‟est
produit dès l‟origine une consonne transitoire qui a été b pour les premiers
et d pour le dernier : devant la consonne intercalée, les nasales se sont
comportées suivant la loi générale.
Ex.: a) Cam(e)ra, chambre ; num(e)ru, nombre ; remem(o)rare,
remembrer ; cum(u)lu, comble ; sim(u)lare, sembler ; trem(u)lare,
trembler; Villa-Mummŏli, Villemonble.
b) Cin(e)re, cendre ; pon(e)re, pondre ; ven(i)re-habeo, afr.
vendrai, viendrai ; ven(e)risdīe, vendredi.
Bien que représentant en principe une occlusive buccale originaire, g,
dans le groupe latin écrit gn, était un n d‟arrière, dit souvent n « guttural ».
Quant à ce qui est graphié n c‟était ici un n dental. Par attirance réciproque,
il s‟est produit dans la zone palatale une fusion des deux consonnes, d‟où a
résulté n mouillé. Quand il est devenu final, ce n a disparu dans la
prononciation moderne après avoir nasalisé la voyelle précédente.
Ex. : a) Agnellus, agneau ; dignare, daigner ; insignare, enseigner ;
b) Signu, sein (g) ; pugnu, poing.
66
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
e) m, n (+ y)
Dans le groupe my (ou mmy, mny), le yod s‟est consonnifié (comme
derrière les autres labiales) en ž écrit d‟ordinaire g, et la nasale s‟est
combinée suivant la règle avec la voyelle précédente.
Ex. : Simĭu, singe ; vindemĭa, vendange ; commĕatu, congé ;
somnĭare, songer ; dom(i)nĭone, donjon.
Dans le groupe ny les deux éléments se sont combinés, et il en est
résulté le son ņ (n mouillé, écrit gn ou ign en français).
Ex. : Vinĕa, vigne ; tinĕa, teigne ; montanĕa, montagne ; senĭore,
seigneur ; ba(l)nĕare, baigner ; wadanĭare (germ. waidhanjan), afr.
gaignier, gagner ; sparinĭare (germ. sparanjan), épargner.
f) m, n à la finale
Lorsqu‟ils se trouvent finals derrière une voyelle, m et n (nn) ont
perdu l‟articulation qui leur était propre, en se combinant avec la voyelle
précédente pour la nasaliser ; ils ne se conservent que graphiquement pour
indiquer cette nasalisation, et m s‟écrit m ou n.
Ex. : a) Rĕm, rien ; m(e)um, mon ; homo, on ; fame, faim ; nome(n),
nom ; levame(n), levain ; essame(n), essaim.
b) Non, non ; in, en ; unu, un ; vinu, vin ; donu, don ; sanu, sain ;
annu, an ; vannu, van.
t
d
p
b
intervocalique
intervocalique
intervocalique
intervocalique
Formules à retenir :
d
đ
↓
vita
đ
↓
nuda
b
v
ripa
v
faba
> vie
> nue
> rive
> fève
Règles à retenir :
1) k, g intervocaliques tombent en présence de o (long ou bref) ou u
(long ou bref) : rūga > rue, agustu > aoust.
2) Les consonnes placées devant consonne subissent une réduction
complète ou partielle, excepté la consonne r, qui persiste : advenire >
avenir, labra > lèvre, forte > fort.
Exercices
a) Donnez les mots du français moderne dérivés des noms latins cidessous :
feru
>
pausāre
67
>
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
habēre >
me(n)sūra
>
cāru
clamōre
amāru
mĭnāre
usūra
lūna
vēla
dolōre
>
>
>
>
>
>
>
>
b) Donnez les mots de l‟ancien français et du français moderne,
dérivés des mots latins ci-dessous :
piscatore
peccatore
spatha
matūra
vĭdere
c)
a. fr. pescheeur
a.fr.
a.fr.
a.fr.
a.fr.
fr.mod. pêcheur
fr.mod.
fr.mod.
fr.mod.
fr.mod.
Trouvez les étymons des doublets étymologiques qui suivent :
minute
rédemption
?
?
menue
rançon
natif
coda
?
?
naif
queue
doter
vouer
?
?
douer
voter
d) Trouvez d‟après les mots suivants, les mots populaires de la
même racine qui ont perdu le « t » intervocalique :
t
permuter
spatule
sternutation
rotonde
zéro
t
vitalité
maturité
mutation
zéro
e) Trouvez les mots du français moderne d‟après les mots de la
même racine qui suivent, mais ayant la correspondance phonétique indiquée
:
d
zéro
d
zéro
68
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
nue
voir
décadence
croire
pied
rayon
sudorifique
rire
f) Donnez les mots français dérivés des mots latins ci-dessous :
avunculu a.fr.
pavōre
a.fr.
*debūtu a.fr.
*habūtu a.fr.
fr.mod.
fr.mod.
fr.mod.
fr.mod.
g) Donnez les mots français dérivés des mots latins ci-dessous :
Fŏcu
>
jocare
>
placūtu
>
locāre
>
lucōre
>
advocātu
>
Sa(u)conna
>
carrūca
>
rūga
>
sangu(i)sūga >
h) Donnez l‟analyse phonétique du passage des mots latins aux mots
français (l‟évolution de p, b) :
tep(i)du
>
tiède
rec(i)pit
>
reçoit
rump(i)t
>
rompt
ssubv€nire >
souvenir
bĭbit
>
boit
serv(i)t
>
sert
i) Donnez les mots du français moderne à partir des mots latins cidessous :
Finītu
nepōte
vōtu
scũtu
aestate
nūdu
fĭde
grādu
>
>
>
>
>
>
>
>
parte
septembre
fac(i)t
deb€t
věn(i)t
sarmentu
frĭg(i)du
tardu
69
>
>
>
>
>
>
>
>
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre XIII
CONSONNES D’ ORIGINE GERMANIQUES
1. a) Le « h » d’origine latine
Le latin archaïque connaissait un « h » muet, amuï déjà dans la
langue classique, et plus encore dans la langue populaire.
En ancien français les « h » n‟avaient lieu d‟être, d‟où les graphies :
avoir <habēre, ome <homĭnem « homme », ier<heri « hier » ; ui<hōdie «
aujourd‟hui ».
b) Le « h » d’origine germanique
Il apparaît au V-ième siècle, au moment des invasions germaniques.
Les nouveaux habitants de l‟ex-empire prononcent fortement ce phonème.
Ex. : hat’īre [‘atire] > haïr
Cette prononciation a parfois été étendue à des mots latins sans « h »
étymologique.
Ex. : altum, croisé avec hoh germanique a évolué en halto > haut
Ce phonème se prononce en ancien français et jusqu‟au XII -ième
siècle, mais il commence à s‟amuïre bien avant (XIII-ième - XVI-ième
siècles) dans la langue populaire.
En français moderne, il faut encore faire la différence entre les restes
de ces deux phonèmes. D‟une part, le « h » d‟origine latine, dit « muet »,
demeure purement graphique.
Ex. : hier, homme, hôtel
D‟autre part, le « h » d‟origine germanique, toujours noté (*) dit «
aspiré », possède une valeur disjonctive, car il empêche la liaison et
l‟élision.
Ex. : haine, hache.
Certaines familles de mots ont hérité des deux systèmes. Ainsi, le «
héros »[ero] est un emprunt du XIV-ième siècle, n‟apparaît qu‟au XVIieme siècle.
2.La consonne [w] à l’initiale
Comme entre deux voyelles, le [w] initial possède une double
articulation ; à la fois bilabiale et vélaire.
Le [w] d’origine latine. Il évolue en renforçant l’articulation
labiale. A la fin du I-er siècle il se produit la perte de l’articulation
vélaire :
[w>β] ; au III-ième siècle - renforcement en labiale dentale : [β>v].
Ex. : vēru>voir « vraiment »
Le [w] d’origine germanique. Il apparaît au V-ième siècle au moment
des invasions franciques. Il va renforcer son articulation vélaire et de
constrictif, devenir occlusif.
70
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
[gw>g] (XI-ième siècle). Ex. : werra>guerre, comme presque tous
les mots commençant par « g » [g]. Comme tous les mots en « h », certains
mots latins subissent la contamination par un mot germanique de sens
proche :
Ex. : vastare>gaster>gâter (ravager)
Au nord et à l‟est, le [w] a été conservé (il garde la prononciation
germanique par proximité géographique). Les textes donnent : werre pour «
guerre », Willaume pour « Guillaume ».
71
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitre XIV
CONSONNES ACCESSOIRES
L‟apparition des sons accessoires est due à des faits hétérogènes.
Nous ne nous arrêterons que sur les cas où la parution des consonnes
accessoires est plus ou moins régulière.
On suppose souvent que certains groupes de consonnes, inconnus au
latin et dus à des réductions vocaliques (groupes secondaires), étaient
difficiles à prononcer, ce qui déterminait l‟introduction dans ces groupes
d‟une consonne accessoire (consonnes transitoires, consonnes de liaison)
pour faciliter la prononciation.
Voici l‟explication physiologique de ce processus pour un de ces
groupes - mr : « Pour passer de m à r deux articulations sont nécessaires : il
faut ouvrir la fermeture des lèvres et relever le voile du palais, si la dernière
articulation se produit un instant trop tôt, le passage d‟air est complètement
fermé et il se produit nécessairement, au moment de desserrer les lèvres, un
b transitoire qui peut devenir indépendant ; ainsi mr > mbr. De la même
manière nr > ndr, etc. La nouvelle consonne devient sonore ou sourde selon
la nature de la consonne précédente » (Nyrop, 465). Dans les groupes de
consonnes soit-disant « difficiles à prononcer » où la dernière consonne est
un l ou un r, la consonne intercalée est, d‟ordinaire, une occlusive t, b ou d.
Un t transitoire se développe dans le groupe sr : cognōs(ce)re > a. fr.
cognoistre > fr. mod. connaître, l. p. pares(ce)re > a. fr. pareistre > fr.
mod. paraître, ess(e)re > a. fr. estre > fr. mod. être. D‟après la loi générale
énoncée plus haut, s devant consonne s‟amuït, en allongeant la voyelle
précédente.
Un b transitoire se développe dans les groupes ml : insim(u)l >
ensemble et mr : cam(e)ra > chambre.
Un d se développe dans les groupes lr : vol(e)raio > voldrai, >
voudrai, sol(ve)re > soldre > soudre, nr (ou n mouillé + r) : ten(e)ru >
tendre, ingen(e)rare > engendrer, fingere > feidre ou sr : consuēre > a. fr.
cosdre > coudre, cinere > cendre.
Le p ne se rencontre que sporadiquement, par exemple setempre,
attesté dans une charte bourguignonne.
Les consonnes intercalaires se rencontrent dès les premiers textes
français. Déjà dans la « Séquence de sainte Eulalie » on peut lire : voldrent
la veintre li deo inimi, voldrent la faire diaule servir ; a czo no-s voldrent
concreidre li rex pagiens ; melz sostendreiet les empedementz.
Dans les groupes lr, nr, ml, en picard, en wallon et dans une partie du
domaine du français de l‟Est les consonnes intercalaires font souvent défaut.
Ainsi dans les chartes picardes on rencontre volra (voudra), genre (gendre),
venredi (vendredi), humle (humble), tranler (trembler), dans le « Psautier
lorrain » - engenrat (engendra), souenrait (souviendrait), mainre (maindre,
72
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
dans la langue moderne par exemple dans remaindre), venront (viendront).
Cette particularité permet d‟établir très nettement la frontière dialectale
entre le picard et le normand.
Par contre, la consonne intercalaire revient presque toujours dans le
groupe mr des mots des dialectes du Nord et de l‟Est : nombre, cambre,
ramembre. Sur la répartition des consonnes intercalaires dans les patois
modernes v. ALF, I, 153 11 ressemble, ALW, I, 7 Cendre, ALW, I, 9
Chambre, ALW I, 22 Connaître.
Formules à retenir :
sr > (s)tr : ess(e)re > estre > etre,
ml, mr > mbl, mbr : insim(u)l > ensemble, camera > chambre,
lr > (l)dr : > sol(ve)re > soldre > soudre,
nr > ndr : > ten(e)ru > tendre.
Exercices
Ecrivez les mots du français moderne d‟après les mots ci-dessous du
latin classique :
nasc(e)re, pasc(e)re, hum(i)le, simulare, num(e)ru, mol(e)re,
pulv(e)re, gen(e)re, cing(e)re, cin(e)re, pung(e)re, plang(e)re.
73
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Chapitres XV
LES PALATALISATIONS
La palatalisation est d‟une grande importance pour le développement
des consonnes. Ce processus, qui affecte nombre de mots, a enrichi le
système phonématique du français de quatre phonèmes inconnus au latin : [
∫ ] dans « chose », [ j ] dans « jour », [η] dans « vigne » et [y] dans « fille ».
Par palatalisation nous comprenons une articulation complémentaire à
l‟articulation de base. L‟articulation complémentaire en question est un
relèvement de la partie médiane de la langue vers le palais dur (du latin
palatum, d‟où le terme de palatalisation). Cette position est semblable à
celle des organes articulatoires quand on prononce [i]. Voilà pourquoi les
consonnes peuvent subir la palatalisation, à l‟exception des médio linguales (consonnes dites palatales).
Généralement on appelle « palatalisation » le passage de [k] à [s]
(kentu > cent) ou à [ ∫ ] (cane > chien) ; ainsi que le passage de [g] à [ j ]
(gente > gent). En réalité, ce phénomène se compose de trois processus :
la palatalisation proprement dite (mouillure) : k > k’, g > g’ ;
l‟affrication : k’ > ts ou t∫; g > dj ;
la simplification de l‟affriquée qui perd son élément occlusif : ts
> s, t∫>∫ , dj > j.
Dans la période des II-ième s. - III-ième s., presque toutes les
consonnes latines étaient plus ou moins palatalisées devant [y] ou devant
une voyelle antérieure (première palatalisation). Dans des mots comme :
sapiam > sache, tibia > tige, vindēmia > vendange, lineu > linge, cēreu >
cierge, [j] avant de se consonnifier en [j], produisait la mouillure des
consonnes précédentes. P, b, m, n, se trouvant en position faible devant une
consonne se sont amuïes suivant la règle générale. Cependant ces cas sont
peu nombreux, seule la mouillure de k, g, n, l, a eu des conséquences
fondamentales pour la formation du consonantisme français.
Au XVI-ième s. commence la seconde palatalisation qui dure jusqu‟à
nos jours. Contrairement à la première palatalisation, elle n‟exerce aucune
influence sur la formation du système phonologique, n‟allant au-delà des
variantes dialectales et de l‟argot. Ainsi, chez Molière, un paysan dit gna
pas pour « il n‟y a pas ». Des graphies de cette époque comme étugué ou
étutjé au lieu de étudié prouvent la palatalisation de [d].
Quelques patois de l‟Est ou de l‟Ouest (le normand par ex.) subissent
une palatalisation des groupes de consonnes initiales cl, gl, pl et d‟autres.
On dit par exemple, klje pour « clef ».
74
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
1. La mouillure de l, n
[L] mouillé et [n] mouillé étaient inconnus au latin classique. Leur
formation remonte à l‟époque du latin parlé. Tandis que [l] mouillé n‟a été
employé que jusqu‟au XIX - ième s., [n] mouillé persiste jusqu‟à nos jours.
[L] mouillé est issu du groupe l + j : filia > fille, ou du groupe k(<k,
g) + l, quand ces groupes suivent une voyelle : oc(u)lu > œil, vig(i)lare >
veiller. C‟est donc justement yod en se transposant devant [l] ou se trouvant
ordinairement devant [l], qui le palatalise.
Derrière une consonne (position forte), les groupes kl, gl restent
intacts : bacc(u)la > boucle, singualre > sanglier, strangulare > étrangler.
En ancien français, l mouillé a été rendu par li « fille », ilg «
conseilg », lg « filg », gl « batagle », lh « travalh ». Dans le français
moderne [l] mouillé est passé à la semi-consonne constrictive [j] sans que ce
changement ait été noté par la graphie.
Quoique combattu par les grammairiens, ce processus réalise des
progrès rapides. Il était déjà assez répandu au XVIII-ième s., mais ce n‟est
qu‟au XIX-ième s. qu‟il fut officiellement reconnu dans tout le Nord de la
France.
De même que [l], [n] se trouve palatalisé par un yod qui le suit ou le
précède. Ainsi, [n] mouillé est issu des groupes n + j : vinea > vigne, n(d) +
j : verecun(d)ia « vergogne », (discrétion, sans scrupule) ; n + j (< g) ou j
(< g) + n : plangente > plaignant, fingente > feignant, agnelle > agneau,
dignare > daigner.
Si la voyelle suivante tombe, la nasale mouillée disparaît de la
prononciation. Devant final, [n] mouillé nasalise la voyelle précédente avant
de tomber en dégageant un yod :
signu > seing, pugnu > poing, longe > loin. En ancien français ce
son a été rendu par des graphies diverses : gn, ign, ngn, ing. La nasale
mouillé se rencontre non seulement dans les mots populaires, mais aussi
dans certains mots savants : signifier, ignoble, bénigne, maligne.
2. La mouillure de t, d
Le groupe t + j précédé d‟une voyelle aboutit à [tz]. Le yod qui se
dégage de la voyelle en hiatus se combine en même temps avec la voyelle
précédente : pretiat > prieise > prise, acutiare > aiguiser.
Le groupe t + j subit l‟évolution suivante : t + j, j + ts (affrication),
j + dz (sonorisation en position intervocalique) > z (simplification de
l‟affriquée) : ratione > raison.
Le même groupe, précédé d‟une consonne aboutit à [s] en français
littéraire : cantione > chanson, fortiu > force, matea > masse, altiare >
hausser. En picard, dans la même position il se développe un [ ∫ ] : canchon,
forche.
75
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
Quant à [d] on allègue parfois sa mouillure dans les noms de nombre
: undecim > onze, duodecim > douze, tredecim > treize, quatordecim >
quatorze, etc. Dans ces mots, decem > -d’tse > -dze > -ze.
3. La palatalisation de k, g devant e, i
La palatalisation de [k], [g] a eu lieu à l‟initial du mot et au
commencement de la syllabe. Dans ces positions les consonnes résistent à
tout changement, cependant [k], [g] ont été affectés par la palatalisation, ce
qui prouve la forte action palatalisante des voyelles antérieures et de la semi
- consonne [j], placée après [k], [g].
La palatalisation proprement dite de [k], [g] s‟effectue dans le latin
parlé et le gallo-roman (II-ième s. - VIII-ième s.), tandis que les deux autres
processus - l‟affrication et la spirantisation complète, doivent être
chronologiquement rapportées à la période de l‟ancien français.
Voyons la palatalisation de [k], [g] devant [e], [i] et devant [a] (long
et bref).
a) développement de [k], [g] palatalisées + [e], [i] dans le français
littéraire et dans ses dialectes (ex. e, c, l).
[K] devant [e], [i] à l‟initial d‟un mot ainsi qu‟après une consonne,
aboutit à la constrictive [s] dans le français littéraire : centu > cent,
mont(i)cellu > monceau.
[K] passe par les étapes intermédiaires de [t] palatalisé (t‟) et de
l‟affriquée [ts], qui s‟est simplifiée en [s] vers le XIII-ième s. Ainsi, kentu >
k’entu (II-ième s. - III-ième s.) > t’ento (IV-ième s.- V-ième s.) > tsent (VIième s. - VII-ième s.) > cent (XIII-ième s.).
[K + e], derrière voyelle, aboutit dans le français littéraire à [z], en
dégageant un [j] qui se combine avec la voyelle précédente : placere >
plaisir. Lorsque [z ] s‟est trouvé en position finale, il s‟est amuï : cruce >
croix.
Dans la combinaison de [k + j] intérieur, derrière voyelle et derrière
consonne, le groupe [kj] subit une transformation en [s] : facia > face, vicia
> vesse, Provincia > Provence.
[G] devant [e], [i] à l‟initial d‟un mot ou d‟une syllabe, se développe
en [ j ] : gente > gent, argille > argile, en passant comme [k] par l‟étape
intermédiaire de l‟affriquée [dž] (VI-ième s. - VII-ième s.) qui s‟est
simplifié en [ž] vers le XIII-ième s. Ainsi, gente > g’ente (III-ième s.) >
d’ente (IV-ième s. - V-ième s.) > [dj] (VI-ième s. - VII-ième s.) > gent
(XIII-ième s.).
Après une voyelle, g + e, i aboutit à [j] qui se combine avec les sons
environnants.
Dialectes : en Picardie (de même qu‟au nord de la Normandie), k + e,
i dans les positions étudiées non pas à [s] , mais à [ t∫ > ∫ ] ; les documents
76
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
les plus anciens en font preuve. Ainsi, on dit dans une charte de Cambrai
(1225) : le Roi de Franche (le Roi de France) ; dans les œuvres de Jacques
Hemricourt - paroche «paroisse», rycheche «richesse», nobleche
«noblesse», serviche «service» ; chez Philippe de Mousket - dechendans
«descendant», consienche «conscience», etc.
Quant à la consonne [g], elle a eu dans le picard le même
développement que dans les autres dialectes français. A retenir la notation
«ģ» dans certains vieux textes picards pour l‟affriquée [dj] et pour la
constrictive [ j ] (ġent mais gant).
Ainsi l‟évolution de k + e, i a abouti à [ ∫ ] dans les dialectes du Nord
- Ouest, à [s] dans le francien et les autres dialectes. L‟étude de cette
double évolution a eu pour résultat la création de différentes théories.
Fridrich Diez, W. Meyer - Lübke, Gaston Paris et bien d‟autres ont supposé
que le passage à l‟affriquée [ts] s‟était produit d‟abord sur l‟ensemble du
territoire français, ensuite [ts > tš > š] dans les parlers du Nord -Ouest
seulement, tandis que partout ailleurs, [ts > s].
t∫ > ∫
↑
Ainsi : k > k’ > t’ > ts
↓
s
K. Ringenson réfute cette hypothèse en avançant la sienne, qui
semble convaincante.
t∫>∫
↑
Ainsi : k > k’ > t’
↓
s>s
4. La palatalisation de k, g devant a
La mouillure de [k], [g] devant [a] s‟est produite beaucoup plus
tard que e, i (longs et brefs). Elle a eu lieu au VI-ième s. environ. La
palatalisation de [k], [g] devant [a] suit les mêmes étapes que celle de [k],
[g] devant e, i, c‟est - à - dire, d‟abord mouillure, ensuite affrication, puis
simplification de l‟affriquée (sonorisation complète). Comme dans le cas
précédant, elle se produit seulement en position forte.
Ex. : cantare > tchanter > chanter, gamba > djambe > jambe, arca
> artche > arche, argentu > ardgente > argent. Il est évident que
77
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
l‟affrication a eu lieu avant le passage de [a] (long et bref) en [e] (fin du
VIII-ième s. - début du IX-ième s.) parce que les altérations subies par [k],
[g] devant [e] sont fort différentes de leur évolution devant [a], par exemple
: carum donne cher, mais si la palatalisation s‟était effectuée après le
passage de a > e, carum aurait donné ser. La palatalisation a aussi eu lieu
avant la monophtongaison de au > o, par exemple : gauta > joue ; [k], [g]
initiaux, placés devant [o] restent sans changement : corpus > corps, gutta
> goutte.
L‟affrication s‟est produite vers les VII-ième s. - VIII-ième s.,
d‟abord, comme le suppose G. Paris, dans la syllabe ouverte puis dans la
syllabe fermée.
Dans le dialecte picard et dans une grande partie du normand, [k],
[g] devant [a] restent tels quels : cambre « chambre », canter « chanter »,
gambe « jambe », gardin « jardin ».
Pour résumer l‟exposé de ce chapitre, on peut constater que :
a) L‟ancien français a possédé quatre affriquées jusqu‟au XIIIième s. :
[ts ] < c + e, i: cente > tsent;
[dj] < g + e, i: gente > djent;
< g + a: gamba > djamb;
[t∫] < c + a : caru > t∫ier (cher) ;
[dj] < tj intervocalique : ratione > raizon « raison ».
Dans le français littéraire ces affriquées se sont réduites à [s, j ; ∫, z],
tandis que dans certains patois, le champenois, le wallon et le lorrain, on les
entend prononcer jusqu‟à nos jours ;
b) L‟évolution de [k] devant [a] a été parallèle à celle de g dans la
même position :
Camera > chambre [ ∫ ]
Gamba > jambe [ j ]
Il y a eu rupture d‟équilibre devant e, i :
Cervu > cerf [s]
Gente > gent [g]
Pour le maintien de l‟équilibre dans l‟évolution des occlusives
postlinguales, [g] aurait du aboutir à [z]. Si [ ∫ ] s‟oppose à [ j ], [s] devrait
s‟opposer à [z].
Formules à retenir :
l + j > [j] : filia > fille
j + l > [j] : oculu > œil
n + j > [η] : vinea > vigne
i + n > [η]: vingente > feignant
k + e, i > [s]: centum > cent
g + e,i > [j]: gente > gent
78
ESSAIS SUR L‟ANCIEN FRANCAIS
k + a > [∫] : cane > chien
g + a > [j] : gamba > jambe
Exercices
a) Formez selon les lois phonétiques, les mots français à partir des
mots latins qui suivent :
vĭg(i)lare, fenŭc(u)lu, seniōre, uniōne, pŭgnu, filiōlu, circ(u)lu,
insignia, baln(e)are, Burgŭn(d)ia :
b) Formez d‟après les lois phonétiques, les mots français à partir des
mots latins qui suivent :
Cervu, caelu, cerebellu, gelāre, gĭnciva, argentu, nav(i)gāre,
porcellu, circare, rum(i)ce, Francia, glacia, nutricia.
79

Documents pareils