Lire l`article complet

Transcription

Lire l`article complet
PROCTOLOGIE
Proctologie pédiatrique
courante
A. Senéjoux*
L
es motifs de consultation en proctologie
pédiatrique sont variables et souvent associés :
douleurs, saignements, constipation, tuméfaction, prurit… Comme pour toute pathologie pédiatrique, l’interrogatoire repose souvent sur les dires
d’une tierce personne, mais il peut être utile chez
le grand enfant, en utilisant alors un vocabulaire
adapté. L’examen doit être expliqué à la personne en
charge de l’enfant et accepté par elle, et, afin d’éviter
tout contentieux ultérieur, la présence d’un témoin
est souhaitable. Le nourrisson peut être examiné en
décubitus dorsal, cuisses fléchies sur le dos ; chez
l’enfant plus grand, le décubitus latéral gauche, voire
la position genu pectorale, peuvent être utilisés.
L’examen clinique normal de l’anus chez l’enfant
présente quelques particularités. Chez le nouveau-né
et le nourrisson, le canal anal est très court (moins
de 1 ou 2 cm), ce qui permet une inspection visuelle
facile, parfois dès le simple déplissement des plis
radiés. Il n’existe pas, avant la puberté, de formations
pileuses ou sébacées, ce qui exclut une pathologie de
cette origine. Sauf cas exceptionnel, les pathologies
tumorales et vénériennes ne sont pas rencontrées
en pratique clinique.
Fissure anale
La fissure anale est la pathologie proctologique
pédiatrique la plus fréquente. Elle est liée à une
inadéquation entre le diamètre et la consistance
des matières fécales et le diamètre du canal anal.
Surtout fréquente chez l’enfant constipé, elle peut
aussi être observée après une diarrhée aiguë. Elle
se manifeste par des rectorragies qui enrobent les
selles ou surviennent à l’essuyage et qui s’associent
à des douleurs défécatoires pouvant entraîner pleurs
et hantise de la selle. Après inspection de l’anus et
écartement des plis radiés, le diagnostic clinique
est simple, mettant en évidence une perte de substance au niveau du revêtement cutané en forme
de raquette à manche interne, de siège médian ou
paramédian, éventuellement associée à un capuchon
mariscal. La contracture sphinctérienne est habituellement absente. De siège latéral, une fissure doit,
comme chez l’adulte, faire évoquer un diagnostic
différentiel, et notamment une maladie de Crohn.
Le traitement est exclusivement médical, visant à
régulariser le transit (apport de fibres alimentaires,
laxatifs) et permettant une cicatrisation en 3 à
4 semaines. L’utilisation de topiques locaux cicatrisants et anesthésiques locaux peut être associée.
Dermatoses irritatives
et allergiques
Particulièrement fréquentes chez l’enfant, elles
sont liées à la macération dans les couches, à l’utilisation intempestive de crèmes ou de pommades
inadaptées, à une poussée dentaire, voire à une
maladie éruptive. Le traitement est la suppression
des couches occlusives et l’application locale de
topiques (colorants, crèmes, etc.).
Dermite streptococcique (figure 1, p. 88)
La dermite streptococcique est due à un streptocoque
bêta-hémolytique du groupe A. Elle touche essentiellement les enfants âgés de 1 à 8 ans, volontiers
de sexe masculin (1), mais des formes sont décrites
chez l’adulte (2). Sa fréquence, en consultation de
pédiatrie générale, a été estimée à 1 pour 2 000 en
15 mois (3). Cette affection est souvent méconnue.
Dans un travail réalisé chez 80 médecins généralistes
britanniques à qui l’on présentait un cas clinique
typique, seuls 31 % faisaient un prélèvement bactériologique et 7 % prescrivaient une antibio­thérapie
(4). Elle se présente sous la forme d’un placard rouge
écarlate, bien limité, éventuellement fissuré ou avec
une bordure desquamative, pouvant s’étendre aux
régions génitales, avec parfois des éléments satellites à distance recouverts d’un enduit jaunâtre. Le
diagnostic clinique peut être rendu difficile par l’utilisation préalable de multiples topiques modifiant
* Institut de proctologie LéopoldBellan, groupe hospitalier Paris SaintJoseph, Paris.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 87
PROCTOLOGIE
Figure 1. Dermite streptococcique.
l’aspect des lésions. Les manifestations cliniques sont
des douleurs à la selle, un prurit anal, des rectorragies. Bien souvent, le diagnostic est tardif, après
de nombreux essais thérapeutiques infructueux. Le
diagnostic est confirmé par la mise en évidence de la
bactérie responsable sur les prélèvements bactériologiques. Le traitement repose classiquement sur les
bêtalactamines (50 000 à 100 000 U/kg/j) pendant
10 jours (3 semaines dans les formes rebelles), voire
les macrolides en cas d’allergie à la pénicilline (3). Les
récidives sont fréquentes, allant jusqu’à 39 % des cas
dans une série (3). Récemment, un essai randomisé
a comparé le traitement classique au traitement
par céfuroxime (20 mg/kg/j pendant 7 jours) : les
résultats ont montré une meilleure efficacité du
traitement par céfuroxime, ce qui a conduit à l’arrêt
prématuré de l’essai pour des raisons éthiques (5).
Oxyurose
L’oxyurose est une parasitose intestinale causée par
des vers blancs ronds (Enterobius vermicularis) mesurant de 50 mm à 1 cm de long. Les vers adultes vivent
88 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011
dans la lumière colique ; seules les femelles, après
fécondation, migrent jusqu’à l’anus et s’y accrochent
par la bouche pour y pondre leurs œufs (en moyenne
10 000), la nuit, avant de mourir.
La contamination se fait par ingestion d’œufs qui
éclosent dans l’intestin. Très fréquente, et strictement humaine, cette parasitose est principalement
rencontrée chez l’enfant. Elle est favorisée par la vie
en collectivité (fratrie, école, etc.). La symptomatologie est dominée par un prurit anal à prédominance
vespérale entraînant parfois des lésions de grattage,
voire une irritabilité et des troubles du sommeil. Le
diagnostic peut être posé par la mise en évidence
des vers sur un scotch-test réalisé le matin avant
la toilette.
Le traitement est une cure unique de pamoate de
pyrantel (Combantrin®) à la dose de 12,5 mg/kg
ou de flubendazole (Fluvermal® ) à la dose d’un
comprimé à 100 mg, quel que soit le poids, ou
d’albendazole (Zentel®), à la dose de 200 mg, quel
que soit l’âge.
Il est conseillé de recommencer systématiquement
un nouveau traitement 3 semaines après le premier
afin de détruire les œufs ayant éclos dans l’intervalle.
Il faut aussi penser à nettoyer la literie et les vêtements de l’enfant ainsi qu’à traiter son entourage
afin d’éviter les réinfestations.
Fistules et abcès
Les abcès périanaux et les fistules anales concernent
principalement les enfants de sexe masculin. Chez
le nourrisson de sexe féminin, cette pathologie n’est
presque jamais observée (6). Comme chez l’adulte,
ces suppurations ont pour origine une infection
cryptique. L’abcès anal est le mode de révélation
le plus fréquent de l’affection (98 % des cas [7]). Il
est estimé que de 28 à 85 % des abcès périanaux
de l’enfant évoluent vers une fistule anale (8). Chez
le grand enfant, un terrain prédisposant doit être
recherché (maladie de Crohn, immunodépression,
etc.).
Chez l’enfant âgé de moins de 1 an, il convient d’être
le plus conservateur possible, en réalisant une incision simple de l’abcès, uniquement si nécessaire.
Certains proposent une simple aspiration de l’abcès
à l’aiguille, associée à une antibiothérapie (9). Dans
un travail prospectif récent, la guérison semblait la
règle après 6 mois avec ce traitement ; une fistule
était observée dans les suites de l’abcès dans 77 %
des cas, mais sa résorption spontanée était constatée
(10). Chez l’enfant plus âgé, le traitement des fistules
PROCTOLOGIE
anales ne diffère pas de celui utilisé chez l’adulte.
Il faudra prendre garde à préserver au maximum la
continence future de l’enfant.
Hémorroïdes, dilatations
vasculaires
La pathologie hémorroïdaire est très rare chez
l’enfant. Elle ne doit pas être confondue avec les
dilatations veineuses localisées physiologiques
que l’on peut observer entre 2 et 5 ans. Ces dilatations veineuses sont bleutées, molles, indolores,
non hémorragiques, purement marginales ; elles
s’extériorisent lors d’efforts (poussée défécatoire,
toux) et disparaissent ensuite complètement. Elles
ne préjugent pas de l’apparition ultérieure d’une
pathologie hémorroïdaire.
La maladie hémorroïdaire de l’enfant est exceptionnelle (fi gure 2), sauf à l’adolescence et en cas
d’hypertension portale (11).
Prolapsus rectal
Le prolapsus rectal chez l’enfant est une entité habituellement bénigne et spontanément résolutive. Il
s’observe habituellement entre 1 et 5 ans, souvent
avant 3 ans ; le sex-ratio est voisin de 1 (12). Une
mucoviscidose doit être éliminée par la réalisation
d’un test à la sueur. Il intéresse habituellement la
muqueuse rectale uniquement. Le diagnostic est
facile devant l’extériorisation, lors d’efforts de
poussée ou à la toux, d’une masse conique rosée
aux plis concentriques habituellement réductible,
non ulcérée et non hémorragique. Le mécanisme
physiopathologique de survenue du prolapsus rectal
de l’enfant est différent de celui de l’adulte et mal
compris. Il existe des facteurs anatomiques physiologiques qui peuvent expliquer sa fréquence : avant
l’âge de 1 an, le sacrum est vertical, la muqueuse
rectale fixée de façon lâche sur la musculeuse,
le sigmoïde est hypermobile et 75 % des enfants
n’ont pas de valvule de Houston (13). Le rôle de la
constipation est prépondérant, mais il existe d’autres
facteurs favorisants comme les diarrhées chroniques,
la malnutrition, le syndrome d’Ehlers-Danlos, la
maladie de Hirschsprung, les antécédents de malformations ano-rectales… Vingt pour cent des enfants
souffrant de mucoviscidose ont un prolapsus rectal.
Celui-ci peut précéder le diagnostic de la maladie.
Le traitement du prolapsus rectal de l’enfant est
toujours initialement conservateur : il consiste à
Figure 2. Thrombose hémorroïdaire externe chez un enfant.
ramollir les selles pour éviter les efforts défécatoires.
Après un suivi de 1 an, ce traitement est efficace
chez la majorité des enfants (12).
En seconde intention, des injections sclérosantes
peuvent être proposées (sérum salé hypertonique à
15 %, lait de vache, huile d’amande douce phénolée,
etc.), avec une efficacité variant de 85 à 100 % entre
les mains d’un opérateur entraîné (14). Certains proposent comme alternative le cerclage, ou intervention de
Thiersch (13). Ce n’est qu’en cas d’échec, et lorsque le
prolapsus persiste au-delà de 5 à 7 ans, que se discute
un traitement chirurgical de type rectosacropexie ou
autre (aucun consensus n’existe actuellement sur le
traitement chirurgical de choix) [12].
Polype juvénile
Un polype juvénile rectal peut s’extérioriser par
l’anus, entraîné par les selles lorsqu’il a un pédicule long. Il se présente sous la forme d’une masse
violacée, facilement hémorragique, parfois perceptible au toucher rectal (un long pédicule peut faire
repousser le polype vers le sigmoïde).
Le traitement est l’exérèse endoscopique.
Condylomes
Les condylomes de l’enfant se manifestent de
la même manière que chez l’adulte. Ils sont très
rarement de transmission sexuelle et ne sont pas
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 |
89
PROCTOLOGIE
synonymes d’abus. En effet, le virus des papillomes
humains est extrêmement contagieux et peut se
transmettre avec un simple contact manuel (15). Il
peut s’agir d’une contamination de la mère à l’enfant
chez le nouveau-né en cas de condylomatose du col
utérin, d’une transmission manuportée ou d’une
autocontamination de l’enfant à partir de verrues
vulgaires cutanées. Le traitement des condylomes
de l’enfant ne diffère pas de celui de l’adulte.
Conclusion
La proctologie pédiatrique n’est pas superposable à
celle de l’adulte, que ce soit au niveau des diagnostics les plus fréquemment rencontrés ou de leur
thérapeutique.
Le traitement est en effet le plus souvent conservateur, ce qu’il importe d’expliquer aux parents,
anxieux face à ce type d’affection.
■
Références bibliographiques
1. Jongen J, Eberstein A, Peleikis HG, Kahlke V, Herbst RA.
Perianal streptococcal dermatitis: an important differential diagnosis in pediatric patients. Dis Colon Rectum
2008;51:584-7.
2. Neri I, Bardazzi F, Marzaduri S, Patrizi A. Perianal streptococcal dermatitis in adults. Br J Dermatol 1996;135:796-8.
3. Kokx NP, Comstock JA, Facklam RR. Streptococcal
perianal disease in children. Pediatrics 1987;80:659-63.
4. Lehman R, Pinder S. Streptococcal perianal infection in
children. Br Med J 2009;338:b1517.
5. Meury SN, Erb T, Schaad UB, Heininger U. Randomized,
comparative efficacy trial of oral penicillin versus cefuroxime
for perianal streptococcal dermatitis in children. J Pediatr
2008;153:799-802.
Actualités recherche
6. Poenaru D, Yazbeck S. Anal fistula in infants: etiology,
features, management. J Pediatr Surg 1993;28:1194-5.
7. Piazza DJ, Radhakrishnan J. Perianal abscess and fistulain-ano in children. Dis Colon Rectum 1990;33:1014-6.
8. Barthés-Anidjar L, Wolter M, Bodemer C, Gounod N,
Koulouris E, De Prost Y. [Perianal abscess in infant]. Ann
Dermatol Venereol 2003;130:357-60.
9. Serour F, Somekh E, Gorenstein A. Perianal abscess and
fistula-in-ano in infants: a different entity? Dis Colon Rectum
2005;48:359-64.
10. Rosen NG, Gibbs DL, Soffer SZ, Hong A, Sher M, Pena A.
The nonoperative management of fistula-in-ano. J Pediatr
Surg 2000;35:938-9.
11. Heaton ND, Davenport M, Howard ER. Incidence of
haemorrhoids and anorectal varices in children with portal
hypertension. Br J Surg 1993;80:616-8.
12. Antao B, Bradley V, Roberts JP, Shawis R. Management of rectal prolapse in children. Dis Colon Rectum
2005;48:1620-5.
13. Siafakas C, Vottler TP, Andersen JM. Rectal prolapse in
pediatrics. Clin Pediatr (Phila) 1999;38:63-72.
14. Shah A, Parikh D, Jawaheer G, Gornall P. Persistent rectal
prolapse in children: sclerotherapy and surgical management. Pediatr Surg Int 2005;21:270-3.
15. Obalek S, Misiewicz J, Jablonska S, Favre M, Orth G.
Childhood condyloma acuminatum: association with genital
and cutaneous human papillomaviruses. Pediatr Dermatol
1993;10:101-6.
rédigée par le Dr M. Chamaillard, inserm U801, CHRU Lille
Une défensine sensible à l’oxygène !
Les patients atteints de la maladie de Crohn se caractérisent par des altérations des propriétés
antimicrobiennes de la muqueuse intestinale vis-à-vis de certaines composantes de la flore
digestive. Alors que la bêta-défensine 1 est exprimée abondamment au niveau de la muqueuse
intestinale, un déficit de son expression a été associé à la pathogenèse de la forme colique
de cette maladie. Cependant, contrairement aux autres bêta-défensines, la fonction antimicrobienne de cette molécule restait énigmatique, ce qui limitait le développement de
nouvelles thérapies. Une étude menée par le Pr Jan Wehkamp (Institut de pharmacologie
clinique “Dr Margarete Fischer-Bosch”, Stuttgart) a permis de révéler que la fonction antimicrobienne de cette défensine est inhibée en condition aérobie. Récemment publiée dans la
revue Nature, cette découverte ouvre de nouvelles perspectives quant à la compréhension des
processus complexes de protection de la muqueuse colique vis-à-vis de la flore commensale
et pathogénique. Les auteurs ont pu mettre en évidence des différences de structure entre
la forme oxydée et la forme réduite corrélée à l’activité antimicrobienne de cette dernière.
Bien qu’inactive contre Bacteroides vulgatus, la forme réduite de la bêta-défensine 1 est
active contre B. adolescentis et de nombreuses souches de bifidobactéries et de lactobacilles.
Il est également à noter que cette molécule présente une propriété antifongique contre un
micro-organisme opportuniste et pertinent sur le plan de la clinique, Candida albicans. Les
auteurs de cette étude ont également identifié in vitro le système thiorédoxine comme l’un
des régulateurs de cette fonction antimicrobienne de la bêta-défensine 1. En effet, la thiorédoxine est capable de réduire la bêta-défensine 1 de manière dose-dépendante in vitro. Enfin,
il faut noter les profils d’expression similaires de la bêta-défensine 1 et de la thiorédoxine au
niveau de la muqueuse intestinale, renforçant l’hypothèse d’une régulation physiologique
de la fonction antimicrobienne de la bêta-défensine 1 par le système thiorédoxine.
90 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011
Commentaire
Au cours des dernières années, il est apparu comme
essentiel de renforcer la fonction antimicrobienne
des patients atteints de la maladie de Crohn afin
de limiter la dysbiose et les lésions inflammatoires
caractéristiques de ces patients. L’élucidation du
mystère lié à la régulation de l’expression et désormais à la fonction de la bêta-défensine 1 permet
d’envisager l’identification de nouvelles molécules
capables d’optimiser sa sécrétion sous forme biologiquement active.
Référence
Schroeder BO, Wu Z, Nuding S et al. Reduction of disulphide bonds unmasks potent antimicrobial activity of human β-defensin 1. Nature 2011;469(7330):419-23.