CORPS ET SCULPTURE COMMEMORATIVE AU

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CORPS ET SCULPTURE COMMEMORATIVE AU
CORPS ET SCULPTURE COMMEMORATIVE AU XXe SIECLE
La sculpture commémorative du XXe siècle s’est intéressée à la question du corps sous
deux angles apparemment distincts.
Le premier d’entre eux concerne sa figuration : le corps était en effet le sujet de prédilection
de la tradition monumentale. La statuaire du XIXe siècle se consacrait essentiellement à la
représentation du corps humain, et plus particulièrement au nu dont le critique Maxime Du Camp
déplorait déjà en 1859 qu’il fût la « loi fondamentale de la sculpture ». La « sculpture » véritable
était celle qui avait le corps pour sujet et argument. Ce corps figuré n’était bien évidemment pas
celui du quidam mais celui, idéalisé, du héros ou de l’allégorie, et plus souvent encore celui, plus
réaliste mais néanmoins « énergique » ou « glorieux », des grands hommes.
Il faut avouer que la sculpture commémorative de la première moitié du XXe siècle n’est pas
venue contredire ce postulat, poursuivant bon an mal an la voie tracée par la manie monumentale
du siècle précédent. Toutefois, toutes les œuvres qui virent le jour à partir de la première guerre
mondiale ne furent pas la simple et fade continuation de cet héritage. Au gré des événements
historiques et des problématiques mémorielles spécifiques qui les ont accompagné, en fonction
aussi des évolutions artistiques, ont émergé des questionnements radicaux sur la nature et la
pertinence de la figuration monumentale, questionnements qui entraînèrent un profond
renouvellement des formes.
Le second angle est très différent du précédent, car il est intimement lié aux mutations
artistiques intervenues dans la seconde moitié du XXe siècle. La remise en cause voire la
dissolution des catégories artistiques classiques (la statue, la sculpture…), dans laquelle
s’engagèrent nombre d’artistes de l’après-guerre, visaient à instaurer ou à expérimenter une
nouvelle relation à l’art, qui sortirait de la simple contemplation passive. On voulait engager
activement le corps du spectateur, le solliciter à travers la création de dispositifs variés, installation,
environnement, sculpture-architecture, etc. Nombre de monuments de l’après-guerre s’emparèrent
de ces nouvelles formes de langage et posèrent la question du corps, non en relation avec une
quelconque idée de représentation, mais à travers les problèmes de perception, d’expérience
sensible et mentale.
Ces deux aspects, « corps figuré » et « corps participant », semblent a priori sans rapports
directs. Pourtant, leur rapprochement, loin d’être artificiel, témoigne en vérité de l’évolution
manifeste qui affecta la manière de concevoir les monuments, tant sur le plan artistique que sur le
plan du rapport à la mémoire et à la commémoration. La relation entre corps et sculpture
commémorative constitue donc un observatoire pertinent pour comprendre et suivre les mutations
du genre monumental au XXe siècle.
Le corps figuré : entre maintien et disparition
On a souligné à l’envi le conservatisme général de la statuaire publique et particulièrement
du monument commémoratif dans la première moitié du XXe siècle. La modernité, en effet, n’a
guère pu ou su s’immiscer dans un genre qui, en raison de sa nature d’« art public », était soumis
aux impératifs contraignants de la commande et obéissait à des conventions esthétiques plutôt
figées. Rodin, avec sa conception renouvelée de la forme monumentale, eut le succès que l’on sait
(voir les Bourgeois de Calais, 1885-1889 ; Monument à Victor Hugo, 1889-1900 ; Balzac, 18911898). De même les innovations expressives d’un Bourdelle pour son Monument aux défenseurs
et combattants du Tarn et Garonne, 1870-1871 (Montauban, 1895-1902) restèrent en partie lettre
morte. Le constat vaut plus encore pour un Picasso dont le Monument à Guillaume Apollinaire
(1928) rompait avec tous les critères établis de la statuaire commémorative.
La « statuomanie » du XIXe siècle, dont le Monument à Jeanne d’Arc de Bonsecours donne
une idée très claire, se perpétua donc au XXe siècle et, de fait, on constate une véritable
permanence des valeurs attachées à une statuaire classique oscillant constamment entre
préoccupations réalistes et souci d’idéalisation. L’allégorie, la figure du héros ou le portrait
constituaient toujours le langage dominant, que seules inflexions stylistiques du moment (entre
réalisme de convention, « retour à l’ordre » ou tendance art déco) venaient en partie moderniser.
La chose est manifeste dans les monuments aux morts, qui constituent une part importante
de la production statuaire de l’entre-deux-guerres. Le Monument aux morts et à la Victoire réalisé
par Pierre-Marie Poisson en 1924 pour la ville du Havre reprend le dispositif habituel du groupe
sculpté sur un haut socle où se côtoient, dans une composition compacte et massive, différentes
allégories ou figures symbolisant le peuple havrais regroupé sous l’aile protectrice d’une sorte de
génie féminin de la Victoire. Dans sa volonté un peu outrée et verbeuse d’exaltation patriotique,
cette œuvre recycle les poncifs d’inspiration classique où dominent le nu et les drapés. Son style,
avec sa simplification des volumes, son effet de masse, n’est pas sans rappeler les recherches
contemporaines d’un Maillol ou d’un Bourdelle.
Il faut attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour constater l’étiolement de cette
rhétorique, souvent grandiloquente, du corps sacrifié mais glorieux. La conflagration à laquelle on
venait d’assister et le traumatisme profond qui allait en résulter modifièrent profondément la nature
des monuments et des commémorations. Désormais, ceux-ci s’adresseraient en priorité aux civils,
principales victimes du conflit, ainsi qu’aux résistants, dont on voulait célébrer l’épopée tragique.
L’exaltation du héros et le sacrifice patriotique du citoyen laissèrent donc la place au cortège des
« victimes » et des « martyrs ».
Certes, les tendances héroïques et allégoriques ont parfois persisté, mais on constate un
peu partout une recherche de solutions alternatives pour créer une image qui serait en accord
avec les événements dramatiques qu’elle était chargée de rendre visible. Le Monument des
Martyrs de la Résistance de Grand-Quevilly, élevé au sortir du conflit, entre 1947 et 1949,
conserve en son centre une statue figurant un résistant adossé à un poteau d’exécution. Si cette
représentation affecte un certain réalisme (la coiffure légèrement crantée du résistant, son
pantalon et ses chaussures sont datés ; son corps fluet trahit sa jeunesse), elle se caractérise
surtout par une pose hiératique qui exalte sobrement la dignité du « martyr ». Cette simplicité
délibérée, confortée par l’absence de socle et la relative impersonnalité du visage, en fait une
œuvre empreinte de solennité. Dans un registre inverse, la thématique du corps fragmenté, éclaté,
soumis à des torsions plus ou moins expressionnistes s’impose à certains pour traduire l’horreur
du supplice vécu. Il suffit de se reporter à l’œuvre de Zadkine pour la ville de Rotterdam (La Ville
détruite, 1953) ou encore à certains projets de Veysset pour le Mémorial des Martyrs français de la
Déportation de Paris (1954-1962) pour constater la fortune relative de cette tendance.
Dans certains cas, cependant, cette recherche figurative parut inadaptée. Devant les projets
de sculpture qu’on leur soumettait pour le futur Mémorial des Martyrs français de la Déportation de
Paris, les anciens déportés du Réseau du Souvenir, à l’origine de la commande, ne reconnurent
pas leurs souffrances. De dépit, ils finirent par bannir toute figuration du monument, celle-ci se
révélant incapable de témoigner de leur calvaire. Devant un tel drame, le langage figuratif
atteignait sa limite. Au sentiment de l’indicible se joignait maintenant celui de l’infigurable. Il fallait
donc inventer autre chose.
Le sculpteur Duparc avait déjà pressenti cela. Le Monument des martyrs de la résistance de
Grand-Quevilly, situé à l’emplacement même du champ de tir où trouvèrent la mort les condamnés
du tribunal militaire de Rouen entre 1940 et 1944, est construit autour d’une mise en scène
simple : devant un mur, à côté de la statue du résistant, sont placés trois poteaux d’exécution
(sans doute factices), vides de tout corps. La présence des instruments du supplice éveille à la
conscience le souvenir des fusillés (dont le mur du fond égrène les noms) en soulignant
simultanément leur absence. Ces corps disparus furent ailleurs réduits à l’état de signes abstraits,
tels les deux cents mille bâtonnets lumineux de la crypte du Mémorial des Martyrs français de la
Déportation qui « figurent » les deux cents mille français morts en déportation. Cette absence
d’image parut un moyen puissant de signifier la disparition, la perte, sans avoir à recourir à des
conventions figuratives quelque peu éculées.
On compensa d’ailleurs ce sentiment d’absence par la présence de corps réels ou du moins
de leurs vestiges, de leurs restes. Dans une niche creusée dans le mur du Monument des martyrs
de la résistance, une urne a été placée, contenant de la terre prélevée dans sept camps de
concentration mêlée à des cendres de déportés brûlés dans les fours crématoires. Un même rituel
a été adopté pour le Mémorial des Martyrs français de la Déportation de Pingusson. Ainsi,
renouait-on avec la dimension funéraire du monument.
Une brèche était donc ouverte, qui marquait le déclin, voire l’abandon de la figure dans le
langage monumental. L’après-guerre avait vu naître une forme de défiance, partagée par
beaucoup d’artistes, vis-à-vis des dérives rhétoriques que toute figuration était susceptible de
connaître. Et si de nos jours, la figure réapparaît, c’est souvent selon des modalités particulières,
qui en dynamitent l’éventuelle grandiloquence. Fabrice Hybert, par exemple, dans son monument
aux victimes du Sida, L’Artère, (Paris, 2006) réduit le corps figuré à un signe, parfois illisible,
proche d’un simple griffonnage.
Le corps du visiteur
Au cours du dernier tiers du XXe siècle, une nouvelle rupture, tout aussi marquante, est
intervenue dans la relation entre corps et sculpture monumentale. Cette mutation, comme nous
l’avons dit, est directement liée au renversement des catégories esthétiques et artistiques établies,
orchestré par les avant-gardes. A travers les installations, environnements, les œuvres in situ, les
performances, les artistes entamaient une dissolution des formes traditionnelles et cherchaient à
construire de nouvelles relations entre le spectateur et l’œuvre. Les dispositifs proposés voulaient
rompre avec la contemplation esthétique passive et solliciter plus directement le spectateur, le
pousser dans ses retranchements, aiguiser sa perception. Ils engageaient et mobilisaient son
corps autrement, en jouant des différentes modalités de l'expérience sensible et émotionnelle.
Confronté à ces nouveaux types d’œuvres, le corps du spectateur faisait l'expérience du point de
vue, d'une perception associée à son déplacement ainsi que d'une immersion dans un espace
englobant.
Cette manière tout à fait inusitée de prendre en compte la question du corps eut des
conséquences radicales sur la manière de concevoir les dispositifs commémoratifs. L’expérience
sensorielle des formes, de l’espace, du temps devenait son langage principal. Ainsi s’instaurait un
nouveau type de relation au monument et à la mémoire dont, par définition, il est porteur.
La notion de parcours, de cheminement, de découverte progressive prit désormais le pas
sur la contemplation passive et frontale. Les monuments devinrent « architecture » et furent
conçus sur le principe d’une déambulation, d’une découverte progressive d’un lieu.
Georges-Henri Pingusson dans le Mémorial des Martyrs français de la Déportation conviait
ainsi le visiteur à un parcours qui se voulait une évocation du drame de la déportation.
L’accumulation de tensions (les jeux agressifs de matières, de textures, de formes et de masses)
avait pour but de créer chez le visiteur un incontrôlable sentiment d’oppression. Pour le Monument
à la Mémoire et à la Paix de Val de Reuil (1994-1996), les architectes Dominique Jakob, Brendan
Macfarlane et Franck Vialet imposèrent au visiteur la descente quasi rituelle d’une rampe d’une
quarantaine de mètres de long, pour accéder au cœur du monument. Ainsi passe-t-on sans heurt
d’un environnement urbain bruyant à un espace plus calme, ouvert sur un vaste paysage.
Manifestement, cette lente descente sert à rasséréner l’esprit avant son arrivée dans l’espace de
méditation qui constitue le cœur du monument.
L’attention portée à l’environnement, urbain ou naturel, est aussi une donnée majeure de
ces genres de dispositif. A travers la manière dont les monuments s’intègrent ou non dans le site,
et éventuellement le révèlent ou le masquent, se joue une expérience de l’espace qui peut osciller
entre claustrophobie et sentiment de liberté.
Le Mémorial des Martyrs français de la Déportation, lui, s’enfonce profondément dans le sol
pour se couper d’un environnement urbain très présent. Si cette séparation avec l’extérieur crée
une césure symbolique entre le monde des vivants et celui des morts, elle permet surtout de faire
naître concrètement le sentiment d’oppression et de captivité qui constitue le principal ressort
scénographique de cette œuvre. Qui plus est, cette impression d’étouffement est amplifiée par
l’absence totale de perspective et l’impossibilité permanente d’appréhender le monument dans son
ensemble. L’« ensevelissement » du visiteur, toutefois, n’exclut pas quelques rares points de vue
sur l’extérieur : le parvis, au bas du monument, est certes entouré de hauts murs, mais ceux-ci ne
dissimulent pas le ciel et laissent entrapercevoir l’eau de la Seine. Néanmoins, la contemplation
des éléments naturels, en l’occurrence, ne laisse au spectateur que le sentiment d’une évasion
impossible.
Le procédé de l’enterrement fut repris à une échelle plus modeste à Val de Reuil, là encore
pour créer une coupure avec l’espace urbain auquel le monument venait s’accoler. Mais ici, cet
enfoncement partiel permet, côté campagne, une large ouverture sur le paysage. Le Monument à
la Mémoire et à la Paix agit à la manière d’un cadre sélectif, oblitérant la dimension urbaine du site
et valorisant sa part naturelle. A l’instar d’un earthwork des années 70 (Robert Morris, Nancy
Holt), il sert d’observatoire du ciel et du paysage. Le spectateur, ainsi isolé face au spectacle des
éléments naturels et du paysage, peut entrer en « symbiose avec le site » (Jakob, Macfarlane,
Vialet).
De fait, La notion de temporalité est une donnée forte de ce type de projets. Que ce soit à
travers la temporalité de la découverte et de la déambulation, ou à travers celle liée à la
contemplation des éléments naturels (ciel, eau, paysage) et de leurs métamorphoses, le
spectateur éprouve de manière concrète la durée. Une telle évocation de l’écoulement du temps
trouve bien évidemment sa place au sein d’un monument commémoratif, qui matérialise lui-même
une certaine forme de pérennité.
Plus rarement enfin, ces œuvres offrent l’occasion d’une confrontation au corps de l’autre.
Elles veulent susciter la rencontre avec autrui, provoquer une forme de socialisation. Le Monument
à la Mémoire et à la Paix de Val de Reuil a cette vocation d’être un lieu de rassemblement. Cette
dimension collective excède toutefois la simple appropriation d’un espace par les habitants des
lieux : le maire, Bernard Amsalem, pensait qu’un tel monument, par les rapprochements qu’il
opèrerait entre individus, permettrait « à la démocratie de progresser ». On est ici assez proche de
la définition que Nicolas Bourriaud donnait de l’art relationnel. On n’est pas très loin non plus des
monuments participatifs d’un Thomas Hirschhorn. Le monument veut visiblement retrouver son
rôle de créateur de lien social et civique.
Evolutions et permanences des formes monumentales
L’idée de parcours méditatif au sein d’espaces abstraits, l’attention portée au site, la prise
en compte de la temporalité ou de la dimension sociale et politique de l’art : tous ces éléments
attestent le renouvellement typologique des formes monumentales, qui s’est peu à peu imposé
dans le dernier tiers du XXe siècle au détriment de la statuaire conventionnelle, pour devenir
parfois, à son tour, une rhétorique un peu figée. Il n’est qu’à se reporter au projet de Mémorial de
la Shoah récemment achevé à Berlin (Eisenmann, 2005) ou encore au futur Mémorial à l’Abolition
de l’Esclavage de Wodiczko à Nantes (fin des travaux prévue en 2009) pour constater à quel point
ces solutions se sont parfois converties en recettes.
Le tableau des renouvellements typologiques du monument au XXe siècle que nous venons de
tracer à grands traits, semble suggérer une évolution linéaire. Toutefois, il faut convenir que le
domaine de la sculpture commémorative, plus que tout autre, est sujet à des phénomènes de
« relativité » du temps historique et stylistique. Différentes temporalités se chevauchent et
brouillent singulièrement les repères. Pour preuve : dans la même décennie se télescopent le
Monument à la Mémoire et à la Paix de Val de Reuil (1994-1996) et le buste de Monet (place
Saint-Amand, Rouen.1990-1991) qu’un œil un peu exercé pourrait attribuer à tort à un artiste du
début du XXe siècle. Sa facture est en effet dans un style assez proche des premières tentatives
de sculptures impressionnistes de Medardo Rosso ou de Troubetzkoï. Or c’est en fait l’œuvre de
Philippe Garel, un sculpteur actuel né en 1945. Il faut donc garder à l’esprit que la pérennité des
codes est un phénomène constitutif du genre monumental.
HONORER LA MEMOIRE
Monument : n. m. Xe siècle.
Emprunté du latin monumentum, « ce qui rappelle,
ce qui perpétue le souvenir ».
Le monument est une construction érigée en vue d’entretenir la mémoire d’une
personne ou d’une action au sein d’un groupe social. Le monument s’inscrit donc dans une durée
afin d’être perçu par plusieurs générations, ce qui signifie que l’une de ses principales qualités doit
être la pérennité de ses matériaux. Souvent érigé dans l’espace public, ses matériaux constitutifs
doivent souvent subir l’assaut des intempéries, voire des dégradations. Si l’activité de
mémorisation ou de commémoration doit rester intacte, le monument lui-même doit rester intact.
Le monumentum est modelé dans des formes marquantes et durables afin de dépasser le seul ici
et maintenant.
L’historien d’art Aloïs Riegl, dans le Culte moderne des monuments (1903), distingue donc
« valeur historique » et « valeur artistique » du monument : la fonction première du monument
n’est pas nécessairement esthétique puisque sa principale caractéristique est d’être un rappel de
quelque chose qui s’est passé. Si la mémorisation est l’une de ses priorités, le monument a aussi
valeur d’universalisation : il s’adresse à une communauté publique présente et à venir. Il s’agira
donc de voir l’évolution de la statuaire commémorative au sein du XXe siècle et de la situer en
parallèle à la création artistique de l’époque.
Mémoire injonctive, mémoire universelle
La statuomanie du XIXe a laissé place sous la IIIe République a une campagne
d’édification de monuments dont l’ampleur n’a pas connu de précédent : le monument aux morts.
Aucune guerre n’a autant suscité, aussi rapidement et massivement, la construction de ces
monuments que l’on peut trouver dans chaque commune de France. La défaite de 1871, d’ailleurs,
se prêtait moins à la commémoration que la victoire de 1918.
A l’époque, cette édification réunit citoyens, municipalité et Etat. Antoine Prost dans Les
Lieux de Mémoire1, rappelle d’ailleurs que « la loi du 25 octobre 1919 sur la commémoration et la
glorification des morts pour la France au cours de la grande guerre pose le principe d’une
subvention de l’Etat aux communes en proportion de l’effort et des sacrifices qu’elles feront en vue
de glorifier les héros morts pour la patrie. ». Si elle ne l’oblige pas, la loi incite – au moins
financièrement – les communes à édifier leur propre monument.
L’Etat entend ainsi souder l’unité nationale par la commémoration d’événements fondateurs. Les
monuments sont placés et mis en valeur afin d’être vus par tous : centre-ville, place principale,
perspective d’avenue ; des emplacements stratégiques autour desquels les célébrants pourront se
recueillir. Lieu centripète, c’est un endroit précis, délimité, qui va alors attirer les foules dans
l’espace ouvert qui l’entoure. Parallèlement, le monument met à distance les célébrants par son
espace qui se veut presque sacré.
1
Pierre NORA (sous la direction de),
Les lieux de mémoire , T1 ( La République, de l’Archive à l’emblème
Monument aux morts, Gallimard, 1984, Paris.
), Le
Le monument aux morts de la première guerre mondiale ne s’inscrit pas dans un
questionnement des formes sculpturales, il est très éloigné des recherches avant-gardistes du
moment. La « valeur historique » va alors primer sur la « valeur esthétique » comme si l’apparence
extérieure du monument ne devait pas détourner l’attention du spectateur sur sa signification
première. On demande au sculpteur d’utiliser des formes reconnaissables par tous plutôt que d’en
créer de nouvelles ou de laisser libre cours à sa subjectivité et à l’interprétation de l’événement. En
ce sens, ce type de monument ne supporte qu’un message univoque et précis, que l’Etat prend
seul en charge.
En effet, le monument aux morts va devenir le lieu d’un culte républicain, avec ses propres rituels,
comme le souligne Antoine Prost 1 : un culte ouvert car il est public et un culte laïque car il n’a ni
dieu ni prêtre. Sa fonction est d’entretenir le passé pour qu’il ait un impact sur le présent. Si les
citoyens honorent alors leurs compatriotes qui ont donné leurs vies pour la République, le culte
leur rappelle aussi qu’ils peuvent être amenés à remplir ce même devoir civique. Les célébrations
du 11 novembre, véritables entreprises collectives, remportent un engouement populaire. Il n’en
reste pas moins que c’est l’Etat qui en est le grand ordonnateur par le biais du monument et par
les gestes qui accompagnent le rituel : chants, symboles, silences, déplacements.
Mais qu’en est-il des décennies qui suivent ? Actuellement, on assiste à un délaissement des
célébrations. Evènement éloigné historiquement, désuétude des formes et des symboles, sont
sans doute les causes de cet abandon.
Sur les 38000 monuments construits, les statues sont finalement peu nombreuses, leur coût
de réalisation étant plus important, seules les grandes municipalités peuvent les commander par
souscription publique. Parfois, elles organisent un concours autour d’un programme précis, mettant
ainsi en compétition différents projets dont la valeur esthétique sera davantage prise en compte.
Localement, le Monument aux morts et à la victoire du Havre regroupe ces caractéristiques. Le
sculpteur Pierre-Marie Poisson gagne le concours organisé par la mairie en 1921 et pendant trois
ans, élabore le groupe sculpté que l’on trouve dans le centre-ville du Havre près du bassin du
commerce. Pesanteur de l’ensemble, importance des dimensions, pierres de taille mais un travail
plastique plus élaboré que le monument aux morts classique. Comme de nombreux autres
monuments aux morts de 1914-1918, il est réutilisé pour l’inscription des morts de la seconde
guerre mondiale.
La guerre 1939-45 n’a pas suscité le même type de monument que 1914-18. Tout d’abord,
comme on l’a vu précédemment, d’anciens monuments aux morts sont réutilisés pour graver les
noms des nouvelles victimes du conflit. Mais surtout la mémoire ne peut s’incarner dans un
monument unique : la complexité du conflit va différencier les morts militaires et civiles des
déportés juifs et des résistants. Les différentes autorités vont faire le choix de plaques
commémoratives ou de monuments distincts et ainsi fragmenter les lieux de mémoires. D’un point
de vue formel, on tend vers une certaine sobriété. Si l’académisme est toujours présent, le
patriotisme symbolisé par le coq ou les lauriers se manifeste rarement.
À Grand Quevilly, à l’emplacement de l’ancien stand de tir du Madrillet de la route d’Elbeuf,
actuellement avenue des Canadiens, se trouve Le Monument des Martyrs de la résistance. Le
mémorial est inauguré en décembre 1949. Le motif central est dû au sculpteur Duparc : il
représente un condamné lié à un poteau d’exécution. A l’arrière sont alignées sur un mur les
plaques portant les noms de 76 résistants fusillés entre 1940 et 1944. Le monument est un
compromis entre la statuaire commémorative classique (une figure centrale) et la recherche d’une
certaine retenue.
On pourrait rapprocher ce constat collectif dans cette recherche de sobriété, avec la célèbre
1
Ibid. p.221
phrase de T. W. Adorno qui écrivait dans Prismes en 1949 : « Il est impossible d’écrire après
Auschwitz ». Nous ne pourrions rien dire qui soit à la hauteur de l’irreprésentable. Toute
représentation, écrite ou imagée, viendrait amoindrir l’horreur de ce qui s’est réellement passé. Les
monuments vont tendre alors vers des principes d’évocation (l’absence, le vide) : au spectateur de
construire le processus de commémoration.
Mémoire élective, mémoire ouverte
La commémoration n’est pas une pratique qui va s’estomper durant la deuxième
moitié du XXe siècle. Au contraire, on assiste à une multitude de célébrations d’événements ou de
personnages importants. Mais là où l’Etat était l’organisateur des commémorations nationales,
celui-ci va perdre peu à peu son pouvoir décisionnaire. Les commandes monumentales ne
viennent plus forcément de l’Etat, au mieux ce-dernier y contribue financièrement. En effet, si l’on a
observé que le principe commémoratif était dirigé verticalement, de l’Etat vers le citoyen, la fin du
siècle modifie ces habitudes hiérarchiques. Le monopole de la mémoire qu’avait l’Etat s’est
fracturé pour laisser place à de multiples initiatives organisées par des associations, syndicats,
partis politiques ou groupes particuliers ayant chacun leurs propres revendications et leurs propres
événements à commémorer. D’une entité impersonnelle, on passe au singulier, à la relativité. C’est
désormais le présent qui crée ses outils de commémoration.
Pierre Nora, dans l’Ere de la commémoration1 signale ce basculement de « l’enthousiasme
commémoratif » :
« L’important, ici, n’est cependant pas l’inflation proliférante du phénomène, mais sa
transformation interne : la subversion et le délitement du modèle classique de la
commémoration nationale, tel que la Révolution l’avait inventé et tel qu’en lui-même
l’avait fixé la IIIème République conquérante, et son remplacement par un système
éclaté, fait de langages commémoratifs disparates, qui suppose avec le passé un
rapport différent, plus électif qu’impératif, ouvert, plastique, vivant, en perpétuelle
élaboration. »
Il continue plus loin 2 :
« Le phénomène commémoratif était l’expression concentrée d’une histoire nationale,
un moment rare et solennel, une forme toujours difficile du ressourcement collectif, une
affirmation symbolique de la filiation (…) La commémoration s’est émancipée de son
espace d’assignation traditionnel, mais c’est l’époque toute entière qui s’est faite
commémoratrice. ».
On ne célèbre plus véritablement un événement mais la mémoire elle-même. Ce n’est plus le
passé historique qui est en jeu mais le mémoriel. Toutes les initiatives commémoratives,
décentrées et sans hiérarchie, se croisent alors dans un présent qui dispose de dates ou de
personnes à célébrer.
Mais parallèlement, des initiatives privés cherchent à délivrer leur message – un message
qui peut toucher chacun - par la réalisation d’une œuvre. C’est le cas de l’Artère, œuvre de Fabrice
Hybert, commandée par Sidaction qui fut inaugurée en décembre 2006. Cette association choisit
1
2
Pierre NORA, Les lieux de mémoire, T3 (Les France), L’ère de la commémoration, Gallimard, 1984, Paris, p.983.
Ibid., p.997
en 2001 de commémorer le 20ème anniversaire de la découverte du Sida. Reconnue d’intérêt
public, elle reçut le soutien et les subventions de plusieurs organismes. Cette œuvre prend la
forme d’un espace carrelé dans les jardins de la Villette. Elle est conçue comme un lieu de vie et
de mémoire. Le sol peint par l’artiste se compose de figures, de phrases, de graffitis qui renvoient
au combat contre la maladie. Cette oeuvre entraîne le promeneur dans un parcours qu’il construit
à chaque pas. Il n’y a pas de point de vue privilégié mais au contraire différentes manières de
l’appréhender et de le vivre.
Mémoire et contre-monumentalité
On remarque alors que les commandes de monuments sollicitent davantage les
principaux acteurs de la création contemporaine. Auparavant écartés, ils peuvent désormais
accéder aux concours en confrontant leur singularité avec le cahier des charges du
commanditaire. Le monument devient alors une étape dans les recherches plastiques menées par
l’artiste. La forme du monument va donc dépendre de son travail personnel.
Les multiples transgressions (ready-made, assemblage, techniques hybrides) apportées au cours
du siècle à la sculpture traditionnelle vont se répercuter dans la nouvelle statuaire commémorative.
Ce que l’on désigne alors comme « contre-monumentalité » regroupe des œuvres qui se prévalent
d’un travail sur la mémoire tout en bouleversant les constituants matériels et esthétiques de la
monumentalité. Célébrer, honorer la mémoire sont toujours des principes en vigueur mais il faut
leur trouver une forme nouvelle en adéquation à nos sociétés.
On notera l’ambiguïté : les avants-gardes artistiques n’ont eu de cesse dans la première moitié du
siècle de se révolter contre les conventions esthétiques héritées du passé. Au lieu de le célébrer
ou le commémorer, elles n’avaient de cesse de faire table rase de celui-ci afin de créer un monde
nouveau. Aujourd’hui, cet héritage dont est redevable chaque artiste, a été assimilé et employé
dans des œuvres faisant appel à la mémoire, au passé.
L’une des transgressions la plus manifeste est le refus de l’érectile, de la verticalité. Le
monument actuel sollicite l’horizontalité, l’enfouissement, la surface. L’Artère de Fabrice Hybert se
situe dans cette problématique et d’une manière générale, le monument-objet que l’on regarde est
abandonné au profit d’un monument-lieu que l’on parcourt.
La contre-monumentalité va donc se jouer des codes traditionnels du monument commémoratif :
monumentalité
contre-monumentalité
lourdeur
légèreté / virtualité
verticalité (érection, hauteur)
horizontalité (enfouissement, planéité)
technique traditionnelle de taille
technique contemporaine d’installation
dans l’espace
pérenne
éphémère
commande de l’Etat
commande de groupes particuliers
objet tabou, sacré
objet manipulable, interactif
déplacement extérieur
déplacement intérieur
monosémique
polysémique
emplacement de centre-ville, place
excentré, périphérie
expression collective, style traditionnel
expression individuelle de l’artiste
A la pointe de cette contre-monumentalité, on trouve également des œuvres commémoratives qui
ne viennent pas de commandes de l’Etat ou d’associations mais d’artistes souhaitant faire partager
leurs convictions.
L’artiste suisse Thomas Hirschhorn réalise des monuments-hommage construits avec des
matériaux précaires dont l’une des particularités est d’être éphémère : le Spinoza Monument
(Amsterdam, 1999), le Deleuze Monument (Avignon, 2000) et le Bataille Monument (Kassel, 2002)
sont des œuvres qui ne subsisteront que quelques semaines dans l’espace public. L’artiste
cherche à commémorer de manière vive et innovante la mémoire de ces célèbres penseurs. Nul
anniversaire (de naissance ou de mort) n’est le prétexte à ces hommages, ce choix est
complètement subjectif et relève seulement des affinités de l’artiste. Hirschhorn est donc lui-même
le commanditaire, l’exécutant, l’inaugurant et l’officiant de ses propres monuments qui prennent
place dans l’espace public et accueillent le promeneur.
Comme nous l’avons vu plus haut, la question de la pérennité du monument va de pair avec la
pérennité de la mémoire. Or, nous venons de voir que cette recherche de longévité n’est plus le
critère essentiel du monument à la fin du XXe siècle. Dès qu’il s’affranchit de ce besoin de
pérennité, il peut dès lors prendre de multiples formes. Ce n’est plus une sculpture monumentale
qui s’impose dans l’espace public pour plusieurs générations. Les pratiques actuelles témoignent
de la possibilité de conjuguer des dispositifs plastiques innovants et le fait d’honorer cette
mémoire. S’il peut-être discret, subtil ou conceptuel, il est généralement élaboré comme un espace
à vivre. Il s’adresse surtout à ses contemporains, au moment présent ; sa particularité est
d’honorer ainsi la mémoire plutôt qu’une mémoire.
COMMANDE PUBLIQUE ET SCULPTURE COMMEMORATIVE
Commande publique et avant-garde du XXe siècle naissant
D’abord une rupture esthétique…
Au début du XXe siècle, les artistes dits d’avant-garde sont écartés, voire ignorés par leurs
concitoyens, des commandes publiques de l’époque. Leurs audaces esthétiques ne sont pas
comprises par les décideurs. A ce titre, ceux-ci ne pensent pas que les œuvres de ces artistes
puissent s’articuler, épouser ou plus simplement s’adapter au caractère social qu’ils assignent à
l’art.
Le conservatisme et l’académisme sont de rigueur. Si les artistes d’avant-garde prennent
des risques, les décideurs, eux, n’osent guère en prendre, en évitant de s’adresser et de passer
commande à ces artistes. Il suffit de rappeler l’épisode du Balzac de Rodin, à une période qualifiée
de statuomanie et qui se traduira par la réalisation de monuments publics à la facture stylistique
convenue. A cet égard, citons toujours Rodin avec une de ses autres œuvres célèbres qui va
précisément mettre à mal le principe de la sculpture reposant le plus souvent sur un socle
imposant. Cette œuvre de Rodin commandée au sculpteur en 1885 et intitulée Les bourgeois de
Calais a un socle volontairement réduit. Ce geste artistique marque un véritable tournant dans la
sculpture qui, avec les avant-gardes du XXe siècle naissant, va déboucher soit sur l’abandon du
socle soit sur son intégration à l’exemple d’un Brancusi. Il faut dire que la monumentalité du socle
que les artistes modernes vont donc progressivement abandonner ou intégrer à l’élaboration de
l’oeuvre, constituait la principale distance entre le public et la sculpture. Avec la « chute » du
piédestal, la sculpture peut ainsi se rapprocher du public.
Les avant-gardes annonçaient donc ce qu’aujourd’hui on nomme volontiers d’antimonumentalité ou contre-monumentalité ; dimensions exploitées de manière explicite par certains
artistes contemporains tel Carl André d’un point de vue formel et à un niveau plus critique avec
Kienholz ou plus récemment Hirschhorn.
La tradition persistante…
L’artiste moderne va devoir longtemps se confronter à la tradition et à ses règles convenues
de la représentation et présentation de la figure du corps dans la sculpture commémorative. A cet
égard, le portrait de Balzac par Rodin commandé par la Société des gens de lettres et dont le
bronze ne sera coulé qu’après la mort de l’artiste, en est un excellent exemple. Rodin lui-même,
savait que son œuvre était trop expressive pour convenir aux règles de l’art urbain. Ce n’est
qu’une quarantaine d’années après (en 1939), que le Balzac s’inscrira sur « la place publique »,
boulevard Raspail à Paris.
En ce début du XXe siècle donc, la réalisation des monuments continue d’échoir à des
artistes qui pérennisent les formes du XIXe siècle. Cette dimension va perdurer jusqu’à la seconde
guerre mondiale. Après quoi, au cours des années 50, les recherches avant-gardistes des années
10-20 vont enfin s’exprimer dans un langage figuratif ou abstrait. Puis les années 60 verront une
véritable rupture avec le renoncement aux principes de monumentalité et pérennité restés
jusqu’alors en vigueur.
Commande publique actuelle et contemporanéité artistique
Nous assistons encore aujourd’hui à l’inauguration d’œuvres de caractère mineur. Certains
choix artistiques, en effet, sont parfois encore déterminés par la volonté de souscrire à la
satisfaction immédiate de la population ou par les craintes d’élus soucieux d’éviter scandales et
polémiques ; ces choix ne doivent-ils pas plutôt impliquer au contraire une prise de risque,
l’affirmation de choix déterminés ? Là est toute la difficulté d’une politique active et audacieuse de
la sculpture publique et statuaire commémorative. En cela, depuis plus d’une dizaine d’années,
des comités de pilotage placés sous l’autorité de la Délégation aux arts plastiques participent et
décident aux côtés des représentants des collectivités des choix des œuvres ; avec pour condition
que celles-ci reposent sur des interrogations de natures contemporaines.
LA RECEPTION DE LA SCULPTURE COMMEMORATIVE ET SON
EVOLUTION A TRAVERS LE TEMPS
La sculpture commémorative a traditionnellement pour fonction d’entretenir une
Mémoire collective dépassant les limites de son époque pour subsister malgré les changements de
l’Histoire. Les sculptures commémoratives peuvent être différemment reçues au cours du temps, à
la fois célébrées, controversées, entretenues, oubliées ou dégradées, elles subissent divers
traitements selon l’évolution de la société.
Erigées principalement dans des lieux publics, elles permettent d’attirer l’attention de
plusieurs générations autour d’une mémoire commune, de véhiculer une histoire collective.
Exposées aux intempéries, elles subissent les assauts du temps autant que les évènements
qu’elles décrivent, elles nécessitent une régulière attention sous peine d’être oubliées, mais l’usure
naturelle les abîme moins que certains facteurs humains.
La réception est constitutive de la sculpture commémorative, la sculpture commémorative
rassemble un public pour l’associer à une Mémoire. Le choix du lieu d’exposition est capital pour
l’appréhension de la sculpture commémorative, hors des agglomérations ou dans des espaces
clos il favorise le recueillement mais touche un public restreint ( Maquis de Barneville, Monument
des martyrs de la résistance, Mémorial des martyrs de la déportation), dans les lieux de fort
passage ou dans les espaces ouverts il la présente aux yeux de tous, ouvrant ainsi le champ
mémoriel à un large public (Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et
de Tunisie, Spinoza monument, Deleuze monument , Bataille monument, L’Etoile, L’Artère), mais
l’exposant aussi aux risques du vandalisme (Monument Jeanne d’Arc de Bonsecours). Pour
favoriser sa réception et ne pas risquer de la voir rejetée, il est capital de sensibiliser le public et
parfois même de l’informer (par le biais d’une salle d’exposition comme au Mémorial des Martyrs
de la Déportation de Paris ou de panneaux d’informations comme pour le Maquis de Barneville).
La sculpture commémorative peut construire un lien avec le spectateur sur le modèle de
l’interactivité (le Mémorial national de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie
de Collin-Thiébaut). En effet, les sculptures commémoratives demandent parfois une participation
accrue du spectateur, qui deviendra un « interacteur » dans la mesure où il contribuera à la
diffusion du propos commémoratif de la sculpture et sera réinvesti d’une mission de transmission
mémorielle. Elles peuvent aussi devenir un lieu d’échange (Monument à la Mémoire et à la Paix,
Deleuze Monument, Spinoza monument, Bataille monument) en participant totalement à la vie de
la Cité.
La confrontation brutale de la sculpture commémorative avec son environnement peut
constituer un frein à sa réception, l’intégration de la sculpture commémorative impose de chercher
un dialogue entre la sculpture et le lieu qu’elle investit. Certaines sculptures imposent leur visibilité
par le choix de leur emplacement et leur écrasante massivité (Monument aux Morts et à la Victoire
du Havre) mais demeurent difficilement lisibles par le public contemporain, le dialogue ne s’établit
plus. L’éloignement des faits dans le temps et l’obsolescence des codes de représentation
génèrent un voile d’incompréhension pour un public contemporain. Ce n’est donc pas la centralité
ni la dimension si imposante soit-elle qui détermine la qualité de la réception du public.

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