PEINTURE Les premiers peintres de l`Algérie

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PEINTURE Les premiers peintres de l`Algérie
PEINTURE
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Vient de paraître
Les premiers peintres de l’Algérie*
par
Marion Vidal-Bué
Poursuivant sa recherche sur les peintres de l’Algérie pendant la période coloniale, Marion VidalBué vient de donner une nouvelle moisson d’œuvres à découvrir, avec ce second ouvrage,
L’Algérie des peintres 1830-1960, publié comme le premier, Alger et ses peintres, chez ParisMéditerranée dans une présentation luxueuse entièrement en couleur. Une troisième ouvrage,
L’Algérie du Sud et ses peintres est à paraître. Avec cette magistrale trilogie, une mémoire sera
rassemblée et un patrimoine enfin mis en valeur. Le texte qui accompagne les tableaux est une
leçon d’histoire de l’art, fouillée mais restant abordable par tous.
Les peintres qui s’embarquèrent avec les premiers vaisseaux de l’armée française connurent
l’excitation et les affres des combats qu’ils étaient chargés de retranscrire.
Ils vécurent la guerre et la conquête, mais n’oublièrent pas d’observer autour d’eux les habitants et
les constructions des villes qu’ils découvraient. Ceux qui suivirent les troupes virent des scènes violentes, mais ils poussèrent autant que possible leur exploration personnelle du pays.
Pendant longtemps, la majorité des tableaux exposés au Salon de Paris représentèrent des scènes de
guerre, des naufrages sur des côtes hostiles, mais les vues de mosquées et de fontaines flanquées de
palmiers furent aussi accrochées à côté de celles de redoutes et de marabouts en ruines.
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Extrait du chapitre « Des peintres par centaine » de l’ouvrage de Marion Vidal-Bué : L’Algérie des peintres (1830-1960). Paris : Paris-Méditerranée, 2002 (pp.
11-15).
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Fréquentant avant tout les officiers, ces premiers artistes-reporters les représentèrent ainsi que leurs
troupiers, dans leurs moments d’action comme dans leurs temps de détente. On doit à Ferdinand Wachsmut, à Benjamin Roubaud, à Felix Philippoteaux, tout autant qu’à Horace Vernet, à Auguste Raffet, ou
à Adrien Dauzats, des représentations précises et véridiques des soldats de l’époque de Louis-Philippe.
Vinrent aussi très vite, des voyageurs, des artistes curieux et courageux, attirés par les récits de leurs
confrères peintres d’Histoire et de batailles. Parmi eux des étrangers, neutres par défibnition, comme le
Britannique William Wyld invité par Horace Vernet, le Suisse Adolphe Otth, tous deux infatigables dessinateurs, ou cet autre Suisse allemand, Johan Caspar Weidenmann, l’un de ceux qui vécurent le plus
longtemps sur la terre africaine, disparu trop jeune pour que son talent passionnant soit suffisamment
connu; et encore, l’Allemand Curtius Grölig, autre proche de Vernet, qui se maria sur place.
Ces pionniers s’attachèrent par la force des choses à Alger, au Sahel, aux ports de la côte kabyle.
L’intérieur leur fut peu accessible, mais le Tell leur fournit matière à d’innombrables études. Ils contribuèrent, une fois revenus et leurs œ uvres montrées au public européen sous forme de toiles, d’aquarelles
ou de gravures, à répandre l’image véridique, et non plus déformée par l’imagination, d’un pays incroyablement attachant.
Il y eut bien sûr, la fulgurante apparition de Delacroix des Femmes d’Alger en 1932, et une quinzaine
d’années plus tard, le génie à la fois solaire et tellement humain de Chassériau, puis l’hellénisme raffiné
de Fromentin, pour imposer définitivement l’Algérie comme terre d’élection des peintres.
De nombreux peintres povençaux accoururent dès les premiers temps : Philippe Tanneur, Charles de
Tournemine, Edouard Imer, Courdouan, Brest, qui passèrent plus ou moins rapidement. Benjamin Roubaud, les frères Lauret, puis Washington et Boz, qui séjournèrent longuement. Plus tard, Chateau, Lemaître, Reynaud, s’enracinèrent complètement au même titre que le Lyonnais Gilbert Galland. Paul Guigou vint brosser quelques paysages tourmentés, tandis que Rey ou Bompard devinrent de fidèles habitués.
Parfois plusieurs artistes voyageaient ensemble, ou se tretrouvaient dans les lieux réputés pour leur
intérêt. Ainsi Fromentin, partant une première fois avec son condisciple Charles Labbé pour Blida, revenant avec Auguste Salzmann pour se rendre à Constantine et dans la région de Biskra, s’installent pour
un troisième séjour à Alger, où il invita Narcisse Berchère. Ou encore Edmond Hédouin, visitant Constantine en compagnie d’Adolphe Leleux. Dagnan-Bouveret, déjà venu rendre visite à son ami Bastien
Lepage à Alger en 1884, y retourna avec Jules Muenier et Louis-Auguste Girardot. D’autres figures de
l’École de Nancy, comme Victor Prouvé et Émile Friant, s’enchantèrent d’horizons africains.
Quelques tempéraments particulièrement épris d’authenticité décidèrent de partager pour un temps
l’existence des nomades sous la tente, afin de mieux la comprendre et en rendre compte, tels Guillaumet,
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Paul Delamain, Adolf Schreyer dans les années 1860, ou au tout début du XXème siècle, Henri Rousseau. Felix Ziem, lui, choisit la roulotte pour parcourir le pays à sa guise.
Certains s’engagèrent totalement, tel Dinet qui se convertit à l’islam, ou Verschaffelt qui épousa une
musulmane, tous deux élisant Bou-Saâda comme terre d’adoption et se consacrant à l’illustration de la
vie arabe.
Beaucoup de ceux qui comptèrent parmi les personnalités les plus importantes de la vie artistique locale vécurent dans les belles villas blanches d’Alger, ainsi Hippolyte Lazerges, Noiré ou Rochegrosse.
La plupart des artistes voyageurs profitèrent du développement des moyens touristiques pour vivre
« leur » Sud douillettement, et revenir chaque saison dans un confortable hôtel de Bou-Saâda ou de Biskra. Ils furent légion, issus d’un peu partout dans le monde. Français bien sûr, comme Charles Landelle,
l’un des « découvreurs » de Biskra, ou Paul Leroy qui fréquenta lui aussi assidûment l’oasis, comme
nombre d’autres piliers de la Société des Peintres Orientalistes Français. Mais aussi étrangers, notamment américains, tels F. A. Bridgman, James Thériat, A. T. Millar ou Edwin Lord Weeks, tous ayant
étudié la peinture à Paris. Ceux-ci formèrent d’abord une petite colonie à Pont-Aven, et gagnés sans
doute par l’exemple des Charles Cottet, Lucien Simon et autres amateurs de sujets bretons séduits par le
Maghreb, ils allèrent ensuite comme eux voir jouer la lumière du côté du Sud. Leurs maîtres respectifs,
en l’occurrence Jean-Léon Gérôme, Gustave Boulanger ou Benjamin Constant, tous fervents de
l’Afrique du Nord, ne furent pas étranger à leur engouement africain.
Louis Comfort Tiffany connut une période orientaliste et visita Alger en 1875. William Sartain y loua
une maison dans la Casbah avec Charles Sprague Pearce. Robert Swain Gifford et Samuel Colman, ensemble à Alger en 1875 également, y laissèrent leurs épouses pour partir en excursion à Tlemcen. Dans
les années 1900, Lewis Shonborn s’établit à demeure et trouva appui et encouragements dans la bonne
société.
Il faut souligner à ce propos que les sujets empruntés au Maghreb permirent à beaucoup d’artistes de
mettre en pratique les acquis de l’impressionnisme en matière de lumière et de liberté de touche. Leurs
audaces picturales restaient acceptables par le plus grand public, ravi de contempler le feu du désert, la
cavalcade d’un guerrier ou la danse lascive d’une almée, même si le rendu s’évadait de l’académisme. Le
mouvement des néo-coloristes, en quête d’une manière de peindre plus légère et plus vive, prit ainsi
force dans les horizons miroitants des palmeraies et des ksour algériens. Cottet et Lucien Simon, issus
de la « bande noire » éclaircirent leur palette en découvrant l’Algérie, expérience grandement facilitée
par l’appui du mécène et collectionneur algérois Louis Meley.
Les sujets britanniques accoururent d’autant plus volontiers que s’ouvraient pour eux dans la
deuxième moitié du XIXème siècle de somptueuses villas sur les coteaux de Mustapha Supérieur à Al-
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ger, en même temps que des hôtels agréables dans les oasis à la mode ou les stations thermales comme
Hammam Righa ou Hammam Meskoutine.
Les guides touristiques de l’époque vantaient, en anglais et en allemand presqu’autant qu’en français,
les bienfaits du climat algérien sur les santés fragiles et prodiguaient tous les conseils utiles à l’aventure.
Certains malheureux artistes, tels Seignemartin, Bastien-Lepage ou Jules Noël, conçurent ainsi l’espoir
de guérir à Alger, mais déjà trop atteints, s’y éteignirent malgré tout.
L’Algérie devint alors, pour les Anglo-Saxons, aussi recherchée que l’Égypte. Joignant l’agrément
d’un séjour clément au plaisir des sujets exotiques, les aquarellistes anglais vinrent en nombre. Ainsi prit
fermement pied à Alger une artiste assez extraordinaire, Barbara Leigh Smith. Venue goûter le soleil
avec ses parents pendant l’hiver 1857, elle se maria à un médecin français exerçant à Alger, Eugène Bodichon, lui aussi personnage intéressant. Elle put introduire dans la société locale une consœ ur aquarelliste, Lady Dumbar. Frederick Leighton, Henry Silkstone Hopwood, l’Écossais Arthur Melville, effectuèrent également le voyage quelques années plus tard et furent accueillis par l’importante colonie de
compatriotes en villégiature à Alger.
Des artistes belges de talent, Deckers, Anthonissen, Flasschoen, Van Blebroeck, Alfred Bastien, vinrent rejoindre leurs confrères français ou étrangers dans un même goût pour la lumière du Sud, le mouvement des fantasias et le rythme des caravanes.
Tlemcen, surtout, attira les Italiens de l’École de Rome, Gustavo Simoni en tête qui y vécut longuement. Bartolini, Fabres y Costa, Baratti, utilisèrent les motifs décoratifs de l’architecture tlemcénienne
sans peut-être avoir fait le déplacement. Gabriel Carelli choisit les environs d’Alger.
Les orientalistes suisses ne furent pas en reste, et suivant l’exemple de Charles Gleyre qui séjourna au
Moyen-Orient dès 1834, la dynastie Neuchâteloise des Girardet vint au grand complet s’inspirer des
horizons algériens, depuis Karl et Édouard qui voyagèrent en 1842, jusqu’à leur neveu Eugène, élève de
Gérôme, qui amena en Algérie ses frères Jules et Léon. Le Genevois Abraham Hermanjnt y résida de
1886 à 1888. Jules Blancpain y passa régulièrement ses hivers pour soigner une santé déficiente.`
A la fin du XIXème siècle, force est de constater que régnait une sorte d’orientalisme international,
ne brillant guère par l’originalité, et que les mêmes images stéréotypées se retrouvaient chez tous. La
Première Guerre Mondiale, bouleversant toutes les façons de voir, imposa un regard infiniment plus proche des hommes et du pays en général. Il fallait d’autre part vivre sur place et non pas se contenter de
passer, pour tirer quelque chose de nouveau de tous les poncifs accumulés.
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Adrien Dauzats, Le passage des Portes de Fer (troisième muraille), s. d., huile sur toile, 23,5 x 31,5 cm, coll. part.
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