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Progrès en urologie (2014) 24, 1114—1119
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ARTICLE ORIGINAL
Étude de la sensibilité de l’échographie
rénale comme moyen indirect d’évaluation
de la fonction rénale chez les patients
porteurs d’une vessie neurologique, à
partir d’une cohorte de 103 patients
Study of the sensitivity of renal ultrasonography as an indirect
means of assessing renal function in patients with neurogenic
bladder, from a cohort of 103 patients
E. Braley-Berthoumieux a, X. Gamé b, P. Marque a,
X. de Boissezon a, P. Rischmann b, E. Castel-Lacanal a,∗
a
Service de médecine physique et de réadaptation, centre hospitalier universitaire Rangueil,
1, avenue Jean-Poulhès, 31059 Toulouse 1, France
b
Département d’urologie et de transplantation rénale et d’andrologie, centre hospitalier
universitaire Rangueil, 1, avenue Jean-Poulhès, 31059 Toulouse 2, France
Reçu le 23 août 2014 ; accepté le 22 septembre 2014
Disponible sur Internet le 23 octobre 2014
MOTS CLÉS
Vessie neurologique ;
Fonction rénale ;
Échographie rénale
∗
Résumé
Objectifs. — L’évaluation de la fonction rénale est essentielle dans le suivi des patients ayant
une vessie neurologique. L’objectif de cette étude était de déterminer si l’échographie rénale
permettrait à la fois d’évaluer la morphologie de l’appareil urinaire et la fonction rénale.
Méthode. — Dans une étude rétrospective, tous les patients suivis pour une vessie neurologique ont été inclus, quelle que soit leur pathologie neurologique. La fonction rénale était
estimée par la clairance de la créatinine sur 24 heures (Cl24 h), examen de référence chez
les patients neurologiques, le débit de filtration glomérulaire par la formule MDRD simplifiée
(MDRDs) et la formule CKD-EPI créatinine, et nous avons relevé les anomalies rénales détectées
à l’échographie rénale.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : c [email protected] (E. Castel-Lacanal).
http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2014.09.044
1166-7087/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Échographie et évaluation de la fonction rénale des vessies neurologiques
1115
Résultats. — Cent trois patients ont été inclus (57 hommes—36 femmes), d’âge moyen
51 ± 13 ans. Cinquante-neuf patients avaient une sclérose en plaques, 23 étaient blessés médullaires. Selon la méthode utilisée, (Cl24 h, MDRDs, CKD-EPI créatinine) respectivement 54, 49
et 39 patients avaient une fonction rénale altérée ; onze patients avaient des anomalies à
l’échographie. La sensibilité de l’échographie comme indicateur indirect de la fonction rénale
était selon la méthode utilisée (Cl24 h, MDRDs, CKD-EPI créatinine) respectivement de 14 %, 8 %
et 10 %.
Conclusion. — L’échographie rénale, examen indispensable dans le suivi des vessies neurologiques, n’est pas assez sensible pour dépister une altération de la fonction rénale et doit
continuer à être associé à un examen mesurant la fonction rénale et adapté aux patients
neurologiques.
Niveau de preuve. — 4.
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Neurogenic bladder;
Renal function;
Renal
ultrasonography
Summary
Objectives. — The assessment of renal function is essential to follow up the patients with neurogenic bladder. The objective of this study was to determine if renal ultrasonography would
both evaluate the morphology of the urinary tract and renal function.
Method. — In a retrospective study, all patients followed for neurogenic bladder were included,
regardless of their neurological disease. Renal function was estimated by creatinine clearance (Cl24 h), the reference test in neurological patients, the glomerular filtration rate by the
MDRD simplified (MDRDs) and CKD-EPI creatinine formula, and we identified renal abnormalities
detected on ultrasonography.
Results. — One hundred and three patients were included (57 men—36 women), mean age
51 ± 13 years. Fifty-nine patients had multiple sclerosis, 23 spinal cord injury. Depending on
the method used (Cl24 h, MDRDs, CKD-EPI creatinine) respectively 54, 49 and 39 patients had
abnormal renal function; eleven patients had abnormal findings on renal ultrasonography. The
sensitivity of ultrasonography as an indirect indicator of renal function depending on the method
used (Cl24 h, MDRDs, CKD-EPI creatinine) was equal respectively to 14%, 8% and 10%.
Conclusion. — Renal ultrasonography, which is essential to follow up the neurogenic bladder, is
not enough sensitive to detect abnormal renal function and should continue to be associated
with an evaluation of renal function, which is suitable for neurological patients.
Level of evidence. — 4.
© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
L’altération de la fonction rénale a été pendant longtemps
une des premières causes de décès dans la population des
patients porteurs d’une pathologie neurologique chronique,
notamment chez les blessés médullaires (BM) chez qui
était retrouvé 50 % d’insuffisance rénale chronique dans
les années 1950 [1]. L’insuffisance rénale chez les patients
porteurs d’une vessie neurologique est favorisée par un
haut régime de pression intravésical pouvant entraîner un
reflux vésico-urétéral et des pyélonéphrites chroniques. Les
facteurs de risque de haut régime de pression intravésical
sont les mictions à hautes pressions, les hyperactivités
détrusoriennes non-contrôlées et un mode mictionnel non
approprié [2—4]. Toute pathologie touchant le système
nerveux responsable d’une vessie neurologique peut être
impliquée. Malgré les progrès de la prise en charge thérapeutique des troubles vésico-sphinctériens, l’évaluation
de la fonction rénale reste essentielle dans le suivi de ces
patients. Ainsi, les recommandations actuelles dans le suivi
d’une vessie neurologique chez le BM, le spina-bifida et
myéloméningocèle (SB-M) et dans la sclérose en plaques
(SEP) imposent de réaliser annuellement une mesure
de la clairance de la créatinine sur 24 h (Cl24 h) et une
échographie réno-vésicale [2,3].
Cependant, réaliser une Cl24 h est difficile surtout
chez les patients neurologiques. Cela est fastidieux et le
recueil strict des urines est difficile notamment en cas
d’incontinence. Cela pousse à rechercher des méthodes
plus simples et précises pour cette population spécifique.
Récemment, il a été montré chez 60 patients porteurs
d’une vessie neurologique que l’équation CKD-EPI utilisant
la Cystatine C était la méthode la plus précise pour évaluer la fonction rénale [5]. Cependant, la Cystatine C n’est
pas encore un dosage réalisé en pratique courante et n’est
pas remboursé actuellement par l’assurance maladie en
France.
Ainsi, peut se poser la question d’utiliser en pratique
courante l’échographie rénale comme outil d’évaluation
indirecte de la fonction rénale. Notre étude avait pour but
de déterminer si l’échographie rénale permettrait à la fois
1116
Tableau 1
E. Braley-Berthoumieux et al.
Formules pour estimer le débit de filtration glomérulaire (DFG).
DFG (mL/min par 1,73 m2 )
−1,154
MDRDs
= 186,3 × (C/88,4)
× âge
CKD-EPI créatinine
= 141 × min (C/K,1)a × max
(Scr/K,1)−1,209 × 0,993Age × l
Variables de l’équation
−0,203
×l×K
C = créatininémie en ␮mol/L
l = 1 si sexe masculin, ou l = 0,742 si sexe
féminin,
k = 1,21 si origine africaine, sinon k = 1
C = créatininémie en ␮mol/L
K = 62 pour les femmes et 80 pour les hommes
a = −0,329 pour les femmes et −0,411 pour les
hommes
min indique le minimum de C/K ou 1
max indique le maximum de C/K ou 1
l = 1 si sexe masculin, ou l = 0,742 si sexe
féminin
MDRDs : Modification of Diet in Renal Disease simplifiée ; CKD-EPI : Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration.
d’évaluer la morphologie de l’appareil urinaire et indirectement la fonction rénale.
Matériel et méthode
Il s’agit d’une étude rétrospective conduite sur 103 patients
porteurs d’une vessie neurologique depuis plus de 6 mois,
quels que soient la pathologie neurologique et le niveau de
déficience, et ayant un suivi spécialisé en neuro-urologie.
Ont été recueillies les données démographiques et
anthropométriques : sexe, âge, race, poids, type de pathologie neurologique.
Tableau 2 Stades de l’insuffisance rénale selon la
Haute Autorité de santé (HAS).
Stade d’insuffisance rénale
DFG (mL/min/1,73 m2 )
1
2
3
4
5
≥ 90
60 ≤ DFG ≤ 89
30 ≤ DFG ≤ 59
29 ≤ DFG ≤ 15
< 15
DFG : débit de filtration glomérulaire.
Évaluation de la fonction rénale
La fonction rénale était évaluée par la Cl24 h, méthode de
référence chez les patients neurologiques. Lorsque la Cl24 h
était anormale, inférieure à 90 mL/min, elle était recontrôlée pour diminuer la variabilité intra-individuelle.
La Haute Autorité de santé (HAS) recommandant pour
diagnostiquer l’insuffisance rénale chronique d’estimer le
debit de filtration glomérulaire (DFG) [6], ce dernier était
calculé à partir de la formule MDRD (Modification of Diet
in Renal Disease) simplifiée (MDRDs) et la formule CKD-EPI
(Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration) créatinine. L’équation MDRD a été élaborée par l’équipe de Levey
et al. en 1999 [7], initialement très complexe elle a été
simplifiée en ne retenant que 4 variables : la créatininémie,
l’âge, le sexe et l’origine ethnique. Cependant, elle sousestime la fonction rénale si le DFG est supérieur à 60 mL/min
[8] et a été remplacée par l’équation CKD-EPI créatinine,
plus précise, qui prend en compte les mêmes 4 variables
[9]. L’utilisation de cette dernière équation est recommandée par l’HAS depuis 2012 [6], mais n’est pas validée chez
les patients ayant des anomalies de la masse musculaire.
Les équations pour calculer le DFG sont présentées dans le
Tableau 1.
En fonction des résultats, les patients étaient classés
en stade d’insuffisance rénale selon la définition de l’HAS
(Tableau 2).
Échographie rénale
Tous les patients avaient eu une échographie rénale dans le
cadre du suivi de leur vessie neurologique.
L’échographie rénale était considérée comme anormale
en cas d’hydronéphrose, de cicatrice de pyélonéphrite ou
d’atrophie rénale.
Calcul de la sensibilité, spécificité, valeur
prédictive positive, valeur prédictive négative
de l’échographie rénale pour détecter une
anomalie de la fonction rénale
Pour évaluer la pertinence de l’échographie rénale comme
test de dépistage de l’altération morphologique rénale associée à une altération de la fonction rénale, ont été calculées
sa sensibilité (probabilité d’un test positif lorsque malade),
sa spécificité (probabilité d’un test négatif lorsque sain), la
valeur prédictive négative (probabilité d’être sain lorsque le
test est négatif) et la valeur prédictive positive (probabilité
d’être malade avec un test positif).
Ces paramètres ont été évalués à partir des 3 méthodes
d’estimation de la fonction rénale, à savoir la Cl24 h, les
formules MDRDs et CKD-EPI créatinine.
Échographie et évaluation de la fonction rénale des vessies neurologiques
Tableau 3
1117
Corrélations entre la fonction rénale et les anomalies échographiques.
Cl24 h
n = 103
Normale (≥ 90 mL/min)
(n = 54)
Anormale (< 90 mL/min)
(n = 49)
Échographie normale (n = 92)
Échographie anormale (n = 11)
50
4
42
7
MDRDs
n = 99
DFG normal (≥ 90 mL/min)
(n = 50)
DFG anormal (< 90 mL/min)
(n = 49)
Échographie normale (n = 89)
Échographie anormale (n = 11)
43
7
45
4
CKD-EPI
créatinine
n = 98
DFG normal (≥ 90 mL/min)
(n = 59)
DFG anormal (< 90 mL/min)
(n = 39)
Échographie normale (n = 88)
Échographie anormale (n = 11)
52
7
35
4
Cl24 h : clairance de la créatinine sur 24 h ; MDRDs : Modification of Diet in Renal Disease simplifiée ; CKD-EPI : Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration. L’échographie rénale était considérée comme anormale en cas d’hydronéphrose, de cicatrice de pyélonéphrite
ou d’atrophie rénale.
Résultats
Échographie réno-vésicale
Population
Sur les 103 patients, onze avaient des anomalies à
l’échographie rénale : 8 patients avaient une hydronéphrose
et 3 une atrophie rénale dont deux avec des cicatrices de
pyélonéphrites.
Cent trois patients ont été inclus (57 hommes, 46 femmes),
d’âge moyen 51 ± 13 ans.
Cinquante-neuf patients avaient une SEP, 23 étaient BM,
8 avaient un syndrome extrapyramidal, 4 un SB-M, 2 une
atteinte périphérique et 7 une pathologie neurologique
autre. Soixante-sept patients avaient gardés des capacités
de marche, 36 étaient confinés au fauteuil ou au lit.
Évaluation de la fonction rénale
Le taux moyen de créatinémie était de 73,8 ± 14,8 ␮mol/l.
Cl 24 h
Cent trois patients avaient eu un dosage de la Cl24 h. La
moyenne était de 96,1 ± 32,9 mL/min/1,73 m2 . Cinquantequatre patients étaient classés fonction rénale normale, 40
avaient une insuffisance rénale de stade 2 et 9 de stade 3.
Échographie rénale et fonction rénale
Les résultats sont présentés dans le Tableau 3.
Cl24 h
Parmi les 103 patients chez qui avaient été mesurée la
Cl24 h, 7 avaient une Cl24 h < 90 mL/min, dont 3 étaient de
stade 3, et des anomalies à l’échographie rénale (4 patients
avaient une hydronéphrose et 3 une atrophie rénale). Ainsi,
il y avait 7 vrais positifs et 50 vrais négatifs, 4 faux-positifs et
42 faux-négatifs. Ainsi, la sensibilité de l’échographie rénale
comme indicateur indirect de la fonction rénale évaluée par
la clairance de la créatinine sur 24 heures était de 14 %, sa
spécificité de 93 %, sa valeur prédictive négative de 54 % et
sa valeur prédictive positive de 64 %.
MDRD simplifiée
Chez 99 patients avait pu être calculé le DFG par la formule
de MDRDs. La moyenne était de 96,6 ± 32 mL/min/1,73 m2 .
Cinquante patients avaient un DFG normal, 46 avaient
une insuffisance rénale de stade 2 et 3 de stade 3.
CKD-EPI créatinine
Chez 98 patients avait pu être calculé le DFG par
la formule CKD-EPI créatinine. La moyenne était de
92,1 ± 17,7 mL/min/1,73 m2 .
Cinquante-neuf patients avaient un DFG normal,
36 avaient une insuffisance rénale de stade 2 et 3 de stade 3.
MDRD simplifiée
Parmi les 99 patients chez qui avait été calculé le débit de
filtration glomérulaire par la formule MDRDs, 4 avaient un
DFG <90 mL/min, dont 1 était de stade 3, avec des anomalies à l’échographie rénale (2 avaient une atrophie rénale et
2 une hydronéphrose). Ainsi, étaient notés 4 vrais positifs et
43 vrais négatifs, 7 faux-positifs et 45 faux-négatifs. La sensibilité de l’échographie rénale comme indicateur indirect
de la fonction rénale calculée par la formule MDRDs était
de 8 %, sa spécificité à 86 %, sa valeur prédictive négative de
49 % et sa valeur prédictive positive de 36 %.
1118
CKD-EPI créatinine
Parmi les 98 patients chez qui avait été calculé le débit de
filtration glomérulaire par la formule CKD-EPI créatinine,
4 avaient un DFG < 90 mL/min, dont 1 était de stade 3, avec
des anomalies à l’échographie rénale (2 avaient une atrophie rénale et 2 une hydronéphrose). Ainsi, étaient notés
4 vrais positifs et 52 vrais négatifs, 7 faux-positifs et 35 fauxnégatifs. La sensibilité de l’échographie rénale comme
indicateur indirect de la fonction rénale calculée par la formule CKD-EPI créatinine était de 10 %, sa spécificité de 88 %,
sa valeur prédictive négative de 60 % et sa valeur prédictive
positive de 36 %.
Discussion
Quelle que soit la méthode utilisée pour évaluer la fonction
rénale, l’échographie rénale a une très mauvaise sensibilité
comme indicateur indirect de la fonction rénale, une bonne
spécificité, des valeurs prédictives positives et négatives
peu élevées.
Il n’existe à notre connaissance pas d’étude similaire portant sur l’intérêt de l’échographie en tant que méthode
indirecte d’évaluation du DFG chez les patients neurologiques. Par contre, il existe des études similaires chez les
patients insuffisants rénaux chroniques. Dans une étude
portant sur 40 patients, la longueur et le volume rénal mesurés par échographie étaient faiblement corrélés au DFG
mesuré par différentes méthodes telles que la clairance de
la créatinine, l’équation de Cockroft, la MDRD (coefficient
de corrélation entre 0,37 et 0,51) [10]. Des résultats similaires ont été rapportés chez la personne âgée (coefficient
de corrélation entre 0,46 et 0,51) [11]. De même, dans une
étude réalisée chez des transplantés rénaux et des donneurs
rénaux, la sensibilité de l’échographie rénale comme indicateur d’un DFG < 50 mL/min était respectivement de 44 %
et 56 % [12]. Dans notre étude, les résultats vont dans le
même sens. Nous avons trouvé un nombre élevé de fauxnégatifs à l’échographie pour orienter vers une altération
de la fonction rénale quelle que soit la méthode utilisée
pour déterminer la fonction rénale (Cl24 h, formules MDRDs,
CKD-EPI créatinine, respectivement 42/103, 45/99, 35/98),
réduisant considérablement la sensibilité du test (respectivement 14 %, 8 %, 10 %) ainsi que sa valeur prédictive
négative (respectivement 54 %, 49 %, 60 %). Ces faux-négatifs
peuvent être en rapport avec l’étiologie de l’insuffisance
rénale, qui peut ne pas être d’origine obstructive mais due
à une amylose rénale sur une escarre chronique ou des pyélonéphrites chroniques [13,14]. Ce résultat expose au risque
de sous-estimer l’altération de la fonction rénale ou un
risque de retard diagnostique. Cela peut être responsable
de complications iatrogènes, car en effet l’utilisation de
médicaments néphrotoxique n’est pas rare chez les patients
neurologiques, et la posologie de nombreux médicaments
doit être adaptée pour des DFG < 60 mL/min.
Par ailleurs, dans notre étude, il a été trouvé des anomalies morphologiques rénales à l’échographie, que le patient
ait ou non une altération de la fonction rénale (selon la
méthode Cl24 h, MDRDs, CKD-EPI la valeur prédictive positive était respectivement de 64 %, 36 % et 36 %). Ce résultat
se rapproche de l’étude de Sepahpanah et al. portant sur
E. Braley-Berthoumieux et al.
le suivi de la Cl24 h chez des patients BM, où au début
de l’étude deux patients avaient une hydronéphrose, 5 ans
après aucun n’avaient d’altération de la Cl24 h ; par ailleurs,
3 patients au cours de leur suivi avaient vu apparaître des
anomalie morphologiques rénales sans altération de la Cl24 h
[15]. Les anomalies rénales peuvent régresser sans séquelle
après un traitement adapté et il existe par ailleurs un
nombre non négligeable de faux-positifs [4,16,17].
Ainsi, seule la spécificité de l’échographie est bonne
(CL24 h, formules MDRDs, CKD-EPI créatinine, respectivement 93 %, 86 %, 88 %) grâce à un bon taux de vrais négatifs
(respectivement 50/103, 43/99, 52/98).
L’échographie rénale ne peut donc pas être considérée
comme suffisante pour le dépistage de l’insuffisance rénale.
Dans cette étude, la fonction rénale a été évaluée par la
mesure de la clairance de la créatinine sur 24 heures et par
les formules MDRDs et CKD-EPI créatinine.
La mesure de la clairance de la créatinine sur 24 heures
est la méthode recommandée pour évaluer la fonction
rénale, en pratique courante, chez le patient neurologique
[3]. Cependant, c’est une méthode qui mesure la clairance
de la créatinine et non le débit de filtration glomérulaire,
véritable reflet de la fonction rénale. D’ailleurs, pour l’HAS,
le diagnostic d’insuffisance rénale repose sur l’estimation du
DFG [6].
La Cl24 h correspond au rapport de la concentration urinaire de créatinine sur sa concentration plasmatique par
unité de débit urinaire. La concentration urinaire est dosée
sur un échantillon des urines recueillies pendant 24 h. Le
recueil strict des urines est essentiel car les erreurs de
recueil (fuite urinaire, perte d’une miction ou au contraire,
recueil sur une durée supérieure à 24 h) sont responsables
d’une sous ou sur estimation de la Cl24 h. En pratique, le
recueil strict est difficile chez les patients neurologiques qui
peuvent avoir des fuites ou une incontinence. Cela nécessite chez certains patients de poser une sonde à demeure
pendant 24 h. De plus, la Cl24 h peut varier en fonction
du régime du patient, de son traitement, des méthodes de
dosage de la créatininémie en fonction des laboratoires[15].
La variabilité intra-individuelle est estimée de 6 à 25 % [18].
En pratique, nous recontrôlions systématiquement toute
Cl24 h inférieurs à 90 mL/min, pour s’affranchir de cette
variabilité.
Nous avons aussi utilisé les équations MDRDs et CKD-EPI
créatinine pour estimer le DFG selon les recommandations de l’HAS pour diagnostiquer une insuffisance rénale.
La MDRDs était recommandée jusqu’à ce qu’elle soit
remplacée par CKD-EPI créatinine à partir de 2012 [6].
Ces équations n’ont cependant pas été validées chez les
patients ayant une anomalie de la masse musculaire. Or les
patients porteurs d’une pathologie neurologique chronique
ont une amyotrophie de non utilisation ou de dénervation.
La surface moyenne des muscles atrophiés à 24 semaines de
la blessure médullaire était de 45 à 80 % par rapport à celle
de sujets contrôles appareillés en âge et en poids [19]. Gorgey et Dudley retrouvaient à 6 semaines suite à la blessure
médullaire, une perte de 33 % de la masse musculaire et en
parallèle, une augmentation de 126 % de la graisse intramusculaire [20]. Ainsi, le taux sanguin de créatinine, métabolite
d’origine musculaire, se trouve abaissé chez ces patients,
rendant ininterprétable la créatininémie. L’évaluation
de la fonction rénale par les équations basées sur la
Échographie et évaluation de la fonction rénale des vessies neurologiques
créatininémie s’en trouverait biaisée car le poids, chez
ces patients ne peut pas être utilisé comme un reflet de la
masse maigre.
Il s’agit d’une étude rétrospective où nous avons étudié,
sans distinction, l’ensemble des pathologies qui se présentait en consultation ou en hospitalisation, sans considérer
les différences de tableaux cliniques neuro-urologiques en
termes de durée de la maladie et des symptômes urinaires, de mode mictionnel, de données urodynamiques,
de traitement et sans distinguer pathologie neurologique
encéphalique, médullaire ou périphérique. . . Il s’agissait de
déterminer une attitude pratique applicable dès la première
consultation de prise en charge quelle que soit la pathologie
responsable d’une vessie neurologique.
Notre méthode de référence pour évaluer la fonction
rénale était la Cl24 h, selon les recommandations du Groupe
d’étude de neuro-urologie de langue française (GENULF)
mais dont nous avons souligné les limites. Par ailleurs,
nous avons utilisé les équations recommandées pour estimer le DFG en pratique courante, mais elles se basent sur
la créatininémie et ne sont pas validées chez les patients
neurologiques. Nos méthodes n’étaient donc pas les plus
précises pour évaluer le DFG chez le patient neurologique.
Des études récentes ont montré l’intérêt de l’utilisation de
la Cystatine C sérique pour évaluer la fonction rénale chez
les patients porteurs d’une vessie neurologique [5]. Elle est
réalisée sur simple prise de sang. Elle serait une méthode
idéale de par sa bonne sensibilité à détecter les états précoces d’insuffisance rénale et par son indépendance relative
de la masse musculaire. Des équations basées sur la Cystatine C existent pour estimer le DFG. Cependant, elle n’est
pas encore recommandée pour l’évaluation de la fonction
rénale chez l’adulte.
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
[8]
[9]
[10]
[11]
[12]
Conclusion
L’évaluation de la fonction rénale est essentielle dans
le suivi des patients porteurs d’une vessie neurologique.
L’échographie rénale, examen indispensable dans le suivi
des vessies neurologiques, n’est pas assez sensible pour
dépister une altération de la fonction rénale et doit continuer à être associée à un examen estimant ou mesurant la
fonction rénale et adapté aux patients neurologiques susceptibles d’avoir une amyotrophie.
Déclaration d’intérêts
[13]
[14]
[15]
[16]
[17]
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
[18]
Références
[19]
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