Document 1 de 1 Cour d`appel Amiens Chambre 1, section 2 22

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Document 1 de 1 Cour d`appel Amiens Chambre 1, section 2 22
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Document 1 de 1
Cour d'appel
Amiens
Chambre 1, section 2
22 Janvier 2013
Infirmation partielle
N° 10/04228
X/Y
Classement :
Contentieux Judiciaire
Numéro JurisData :
2013-001669
Résumé
En l'absence de faute du médecin orthopédiste qui a pratiqué une arthroplastie sur une patiente
ayant développé une infection, tant dans sa démarche thérapeutique, que dans les soins donnés conformément
aux données acquises de la science dans l'acte lui même et dans la prise en charge de la complication, l'infection
nosocomiale relève du régime de responsabilité sans faute de l'établissement de soins et non d'une prise en
charge par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.
L'usure prématurée de la prothèse à l'origine de sa rupture ne peut être rattachée de manière
directe et certaine à une faute commise par le médecin orthopédiste quant au choix des dimensions de cet
implant ou son positionnement.
La victime n'est pas fondée à demander la mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de
la clinique prise en qualité de fournisseur de la prothèse, laquelle n'est pas tenue de garantir les dommages
résultant de la défectuosité éventuelle de l'implant, étant rappelé que l'
article 1386-1 du
Code civil
prévoit que le producteur est
responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime,
et que l'
article 1386-2 du
Code civil
précise que ses dispositions
s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne. Ce régime de responsabilité issu
de la
loi
n° 98-389 du
19 mai 1998
qui intègre la
directive européenne
n° 85/374/CEE du
25 juillet 1985
est exclusif des autres régimes de responsabilité consacrés antérieurement par la jurisprudence.
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ARRET
N°
N.
C/
L.
CLINIQUE SAINT JOSEPH
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE
LOR/RJ
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ère chambre - 2ème section
ARRET DU 22 JANVIER 2013
RG : 10/04228
APPEL D'UN JUGEMENT du
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE
29 juin 2010
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur Jean Louis N.
DE SENLIS du du
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Représenté par la SCP T.-M. ET DE S., SCP d'avoués au barreau d'AMIENS jusqu'au 31
décembre 2011
Puis par Me Bruno D. de la SCP D. D. et ASSOCIES, SCP d'avocats au barreau de SENLIS,
constitué
Substitué à l'audience par Me V. du barreau de SENLIS
ET :
INTIMEES
Madame Cécile L. épouse T.
née le 24 Février 1933 à [...]
Représentée par Me Jacques C., avoué au barreau d'AMIENS jusqu'au 31 décembre 2011
Puis par Me Alain G., avocat au barreau de SENLIS, constitué et plaidant
CLINIQUE SAINT JOSEPH
Représentée par la SCP M. P., SCP d'avoués au barreau D'AMIENS jusqu'au 31 décembre
2011 devenue SCP d'avocats, constituée
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE
Représentée par la SCP L.-G. E. & K., SCP d'avocats au barreau de SENLIS
DEBATS :
A l'audience publique du 23 Octobre 2012, devant :
M. RINUY, Président,
Mme LORPHELIN et Mme DUBAELE, Conseillères,
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qui en ont délibéré conformément à la Loi, le Président a avisé les parties à l'issue des débats
que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 08 Janvier 2013
GREFFIER : Mme ROUSSY
Les parties ont été informées par courrier motivé de la prorogation du délibéré au 22 Janvier
2013 pour prononcé de l'arrêt par mise à disposition au greffe.
PRONONCE :
Le 22 Janvier 2013 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du
Code de procédure civile
,
M. RINUY Président, a signé la minute avec Mme ROUSSY, Greffier.
*
**
DECISION :
Mme Cécile L. épouse T. a été hospitalisée à la Clinique Saint Joseph le 13 février 2002 pour
une arthroplastie de la hanche réalisée par le Docteur N.. Cette intervention chirurgicale a été suivie de complications à
compter du 1er mars 2002 en raison d'une infection qui a justifié une intervention chirurgicale pratiquée le 6 mai 2002
pour un nettoyage d'arthroplastie, suivi d'une antibiothérapie.
En mai 2004, une complication mécanique est survenue sur cette arthroplastie, complication qui
a justifié une intervention chirurgicale pratiquée au CHU d'AMIENS par le Docteur M., le 16 juin 2004, et consistant en
une ablation de la prothèse posée en 2002, laquelle présentait des traces d'usure prématurée, et la réimplantation d'une
nouvelle prothèse. Cette intervention s'est trouvée compliquée le 24 juin 2006 par une fracture fémorale justifiant la
mise de la patiente en traction et une nouvelle intervention chirurgicale le 23 juillet 2004 pour la pose d'une prothèse
définitive.
Mme Cécile T. a obtenu la désignation d'un expert par une ordonnance de référé du 19 juillet
2005. Le Docteur H., désigné en qualité d'expert, a déposé son rapport principal le 3 avril 2006 et un complément de
rapport le 10 avril 2006.
Par une
ordonnance
du
29 mai 2007
, le juge des référés a ordonné la reprise des opérations d'expertise afin de les rendre opposables à la Clinique Saint
Joseph, l'expert recevant en outre la mission de rechercher, d'une part, si l'infection se trouvant à l'origine du dommage a
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été contractée à la Clinique Saint Joseph, d'autre part, si la prothèse implantée le 13 février 2002 était atteinte d'un vice
se trouvant à l'origine de son usure prématurée.
Le Docteur H. a déposé son rapport définitif le 6 décembre 2007.
Mme T. a fait assigner le Docteur N., la Clinique Saint Joseph et la CPAM de CREIL en
réparation du dommage résultant de l'infection nosocomiale.
Par un jugement du 29 juin 2010, le tribunal de grande instance de SENLIS, retenant que, d'une
part, l'épisode infectieux subi par Mme T. répond à une infection du site opératoire consécutive d'une infection
nosocomiale, qu'en l'absence de preuve d'une cause étrangère, la Clinique Saint Joseph se trouvait tenue de réparer le
dommage subi par la victime par application des dispositions de l'
article L 1142-1 du
code de la santé publique
, d'autre part, que la prothèse avait été soit mal choisie, soit mal posée et que la responsabilité du Docteur N. se trouvait
engagée au regard des dispositions de l'
article L 1142-1 du
code de la santé publique
, a pour l'essentiel :
- condamné la Clinique Saint Joseph à payer à Mme Cécile T. la somme de 9.500 euros à titre
de dommages et intérêts en réparation du préjudice corporel résultant de l'infection nosocomiale ;
- condamné le Docteur N. à payer à Mme Cécile T. la somme de 19.800 euros en réparation du
dommage corporel résultant de l'usure prématurée de la prothèse ;
- condamné la Clinique Saint Joseph à payer à la CPAM de Creil la somme de 17.976,10 euros
au titre de ses débours ;
- rejeté le surplus des demandes ;
- condamné in solidum la Clinique Saint Joseph et le Docteur N. à payer à Mme Cécile T. la
somme de 2.500 euros en vertu de l'
article 700 du
code de procédure civile
;
- condamné la Clinique Saint Joseph à payer à la CPAM de Creil la somme de 750 euros en
vertu de l'
article 700 du
code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné la Clinique Saint Joseph et le Docteur N. aux dépens.
;
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Le Docteur Jean-Louis N. a formé appel principal de ce jugement par une déclaration d'appel
du 29 septembre 2010.
Vu les ultimes conclusions du 17 janvier 2012, aux termes desquelles le Docteur N. prie la
Cour d'infirmer le jugement et de :
A titre principal,
- débouter purement et simplement Mme T. de toutes ses demandes, fins et prétentions dirigées
contre le Docteur N. ;
- débouter purement et simplement la Clinique Saint Joseph de toutes ses demandes, fins et
prétentions dirigées contre le Docteur N. ;
- débouter purement et simplement la CPAM de Creil de toutes ses demandes, fins et
prétentions dirigées contre le Docteur N. ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la Clinique Saint Joseph unique responsable de la
survenance de l'infection nosocomiale ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a admis la responsabilité du Docteur N. dans la survenance de
l'usure prématurée de l'implant ;
- dire que le Docteur N. n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité lors de
l'intervention du 13 février 2002 ;
- en conséquence, déclarer le Docteur N. « irresponsable » (sic) des préjudices subis par Mme
T. suite à l'intervention du 13 février 2002 ;
article 10 du
A titre subsidiaire par application des dispositions de l'
code de procédure civile
,
- désigner un expert spécialisé en chirurgie orthopédique recevant pour mission de déterminer
la cause à l'origine des lésions et des séquelles de Mme T., la cause de l'intervention pratiquée le 16 juin 2004 au CHU
d'AMIENS (rupture du polyéthylène de la pièce cotyloïdienne ou simple usure) et de rechercher si le Docteur N. a
commis une faute à l'origine des lésions et des séquelles subies par Mme T. ;
- condamner Mme T. à lui verser une indemnité de 2.000 euros sur le fondement des
dispositions de l'
article 700 du
code de procédure civile
;
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- condamner Mme T. en tous les dépens don't distraction au profit de la SCP D. de B. C. LE T.
B., avocats aux offres de droit.
Vu les conclusions du 26 mai 2011, aux termes desquelles la Clinique Saint Joseph, appelante
incidente, prie la Cour de :
A titre principal,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Clinique Saint Joseph à indemniser Mme T.
des conséquences d'une infection nosocomiale non établie et mettre en conséquence la Clinique Saint Joseph hors de
cause ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a mis la Clinique Saint Joseph hors de cause sur la demande
en indemnisation des conséquences de l'usure prématurée de l'implant litigieux ;
A titre subsidiaire,
- condamner le Docteur N. à garantir à hauteur de 50 % la Clinique Saint Joseph des
condamnations qu'elle subirait au titre de l'indemnisation éventuellement due en réparation des conséquences de
l'infection nosocomiale ;
- réduire à de plus justes proportions les demandes de Mme T. au titre de l'indemnisation des
conséquences de l'infection nosocomiale ;
En tout état de cause,
- dans l'hypothèse où la condamnation de la Clinique Saint Joseph serait confirmée, rectifier le
montant de la condamnation allouée à la CPAM afin qu'elle ne dépasse pas la demande formulée par cette partie en
première instance (4.932,57 euros) ;
- condamner Mme T. et le Docteur N., appelant, à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de
l'
article 700 du
code de procédure civile
,
ainsi qu'en tous les dépens ;
- dire que la SCP M. P. pourra recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens don't elle
déclarera avoir fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'
article 699 du
code de procédure civile
.
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Vu les ultimes conclusions récapitulatives du 6 avril 2012, aux termes desquelles Mme T.,
formant appel incident, prie la Cour d'infirmer le jugement et de :
- déclarer le Docteur Jean-Louis N. et la Clinique Saint Joseph solidairement responsables des
préjudices subis par Mme Cécile L. épouse T. suite à l'intervention pour arthroplastie totale de la hanche réalisée le 13
février 2002 qui s'est traduite par diverses complications suite à la rupture de la prothèse ;
- condamner in solidum le Docteur N. et la Clinique Saint Joseph à lui régler la somme de
19.600 euros en réparation du préjudice résultant de l'infection nosocomiale et celle de 20.500 euros en réparation du
préjudice résultant de l'usure prématurée de l'implant et de sa rupture, soit au total la somme de 40.100 euros ;
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM de Creil ;
- débouter la Clinique Saint Joseph et le Docteur N. de toutes demandes contraires ;
- condamner sous la même solidarité le Docteur N. et la Clinique Saint Joseph à lui payer une
somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'
article 700 du
code de procédure civile
;
- condamner le Docteur N. et la Clinique Saint Joseph aux entiers dépens de première instance
et d'appel, don't distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP G..
Vu les conclusions du 2 mars 2012, aux termes desquelles la CPAM de l'Oise, venant aux
droits de la CPAM de Creil, prie la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que l'infection nosocomiale contractée par Mme
T. est imputable à la Clinique Saint Joseph ;
- en conséquence, confirmer la condamnation de la Clinique Saint Joseph à régler à la CPAM
de l'Oise, venant aux droits de la CPAM de CREIL, les débours qu'elle a réglés pour le compte de Mme T. ;
- en revanche, rectifier le jugement en ce qu'il a condamné la Clinique Saint Joseph à lui régler
une somme de 17.976,10 euros et, statuant à nouveau, condamner la Clinique Saint Joseph à lui régler la somme de
4.932,57 euros au titre de ses débours ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Clinique Saint Joseph à lui régler une somme
de 750 euros par application de l'
article 700 du
code de procédure civile
;
- condamner la partie défaillante à lui régler une indemnité de 750 euros par application de l'
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article 700 du
pour ses frais exposés en appel ;
code de procédure civile
- condamner la même partie défaillante en tous les dépens don't recouvrement direct au profit
de Maître Jacques E., membre de la SCP L. G. E. K. A., avocat aux offres de droit.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du
code de procédure civile
, il
est fait expressément référence aux conclusions des parties ci-dessus visées pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs
moyens.
L'affaire a été clôturée en cet état et a été fixée à l'audience du 23 octobre 2012 par une
ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 septembre 2012.
CECI EXPOSE,
La Cour relève, à titre préliminaire, qu'il convient d'examiner séparément les demandes
d'indemnisation formées par Mme T. au titre de l'infection s'étant déclarée le 1er mars 2002 au cours des suites
opératoires de l'acte chirurgical pratiqué le 13 février 2002 et ses demandes d'indemnisation au titre de l'usure de la
prothèse ayant justifié l'intervention pratiquée le 16 juin 2004 par le Docteur M., ces deux évènements dommageables
étant totalement distincts et soumis à des régimes juridiques différents.
I - Sur l'infection survenue le 1er mars 2002 :
1 ' La responsabilité :
Bien que l'acte chirurgical se trouvant à l'origine de l'infection survenue le 1er mars 2002 ait été
accompli le 13 février 2002, l'
article L 1142-1 du
code de la santé publique
issu de la
loi
du
4 mars 2002
est applicable au présent litige en vertu de l'article 101 de la loi modifié par la
loi
du
30 décembre 2002
qui prévoit son application rétroactive aux accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales
consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés à compter du 5 septembre 2001, même si ces
accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales font l'objet d'une instance en cours, à moins qu'une
décision de justice irrévocable n'ait été prononcée.
C'est donc par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont fait
application des dispositions de l'
article L 1142-1 du
code de la santé publique
qui énonce en son deuxième alinéa que les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes
individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, sont responsables des dommages résultant d'infections
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nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
Au cas d'espèce, les expertises ordonnées en référé ont clairement établi que l'épisode
infectieux survenu à compter du 1er mars 2002, dans les suites immédiates de l'acte opératoire, correspond à une
infection du site opératoire, sans qu'aucune cause extérieure responsable n'ait pu être déterminée.
Le Docteur H. conclut qu'il s'agit d'une infection nosocomiale et que le Docteur N. n'a pas
commis de faute dans sa démarche thérapeutique ni dans les soins qui ont été donnés conformément aux données
acquises de la science tant dans l'acte lui-même que dans la prise en charge de la complication infectieuse.
La circonstance, relevée par le Docteur H. en page 4 de son premier rapport de l'existence d'une
hyper leucocytose et de nombreux polynucléaires (sans germe retrouvé) à l'examen cytobactériologique qui aurait pu
faire discuter le report de l'intervention, ne caractérise pas suffisamment une faute commise par le Docteur N. de nature
à entraîner sa responsabilité dans la survenance de l'infection du site opératoire trois semaines après l'intervention,
aucun lien de causalité certain n'étant établi entre ces signes d'infection préopératoire et l'infection nosocomiale
survenue le 1er mars 2002.
De même, l'usage d'une antibiothérapie à large spectre sans prélèvement bactériologique
profond, ni antibiogramme, s'il peut constituer un choix thérapeutique contestable, apparaît sans lien de causalité avec
l'apparition de l'infection nosocomiale puisqu'il s'agit du traitement choisi par le Docteur N. pour soigner cette infection.
Par ailleurs, si le Docteur H. relève que ce choix thérapeutique risquait de gêner toute recherche de germe à venir, il ne
retient pas qu'il ait aggravé l'état de la patiente laquelle, en raison de la persistance du syndrome infectieux, a subi une
révision chirurgicale avec nettoyage de l'arthroplastie.
La Clinique Saint Joseph et Mme T. ne sont donc pas fondées à invoquer une part de
responsabilité du Docteur N. dans l'infection nosocomiale survenue le 1er mars 2002.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la Clinique Saint Joseph
à prendre seule en charge l'indemnisation du préjudice corporel résultant pour Mme T. de cette infection et à rembourser
les prestations servies à la victime en relation directe et certaine avec cette infection, étant rappelé que le Docteur H. a
conclu que cette infection nosocomiale n'a entraîné aucun déficit fonctionnel permanent pour la victime, de sorte que
cette infection nosocomiale relève du régime de responsabilité sans faute de l'établissement de soins et non d'une prise
en charge par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.
Mme T. et la CPAM de l'OISE sont donc fondées en leurs demandes relatives à l'indemnisation
du préjudice corporel résultant de l'infection nosocomiale, mais uniquement en ce que ces demandes sont dirigées
contre la Clinique Saint Joseph. En revanche, elles ne sont pas fondées à solliciter la condamnation du Docteur N.
solidairement avec la Clinique Saint Joseph.
La Clinique Saint Joseph n'est pas davantage fondée à réclamer la garantie du Docteur N. du
chef des indemnisations mises à sa charge en réparation du préjudice résultant de l'infection nosocomiale.
2 ' La réparation du préjudice résultant de l'infection nosocomiale :
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En ce qui concerne l'infection nosocomiale, le Docteur H. a conclu de la manière suivante :
- l'incapacité fonctionnelle s'étend du 1er mars 2002 au 31 janvier 2003 ;
- la consolidation à rapporter aux phénomènes infectieux peut être fixée au 30 avril 2004 avant
les consultations du Docteur N. et du Professeur M. qui constatent les conséquences mécaniques d'une usure précoce du
système cotyloïdien ;
- la quantum doloris en rapport direct avec l'infection nosocomiale peut être qualifié de modéré
(3/7) ;
- le préjudice esthétique est nul (0/7) ;
- l'incapacité permanente partielle en relation directe avec l'infection nosocomiale est nulle
(0/7).
Préjudices patrimoniaux :
Mme T. étant retraitée et n'ayant subi aucune perte de revenu en relation avec l'infection
nosocomiale, ce poste de préjudice est limité aux seules prestations servies à la victime par la CPAM de Creil, aux
droits de laquelle vient la CPAM de l'Oise.
Il est admis par les parties que le jugement est entaché d'une erreur matérielle en ce qui
concerne le montant de ces prestations lesquelles, d'après le relevé définitif du 12 novembre 2009, s'élèvent à 4.932,57
euros, somme don't l'organisme de sécurité sociale demande le remboursement.
Le jugement sera donc rectifié en ce sens.
Préjudices extra patrimoniaux :
* Les souffrances endurées :
Les premiers juges ont fait une juste appréciation de la réparation de ce poste de préjudice qui
s'est caractérisé par une hospitalisation à compter du 1er mars 2002 pour des symptômes infectieux ayant nécessité un
lavage articulaire et la persistance de phénomènes douloureux au niveau de la région du grand trochanter droit et de la
face antérieure de la cuisse ayant persisté jusqu'au 30 avril 2004 et nécessité le port d'une canne jusqu'en mars 2003.
En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a alloué une somme de 4.000 euros à
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Mme T. en réparation de ce poste de préjudice.
* Le déficit fonctionnel temporaire :
L'expert judiciaire ayant clairement limité la période de déficit fonctionnel temporaire du 1er
mars 2002 au 31 janvier 2003 et exclu tout déficit fonctionnel permanent, Mme T. n'est pas fondée à solliciter la
réparation de ce poste de préjudice jusqu'au 30 avril 2004, date de la consolidation de l'infection nosocomiale.
C'est donc par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont fixé la
réparation de ce poste de préjudice pour une durée de onze mois.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a réparé ce poste de préjudice par l'allocation d'une
somme de 5.500 euros en considération de la gêne ressentie par Mme T. dans ses conditions d'existence pendant cette
période.
II ' Sur la rupture de la prothèse :
Mme T., qui vise les dispositions de l'
article 1147 du
code civil
, impute la
responsabilité de la rupture prématurée de l'implant à la fois au Docteur N. qui a déterminé le choix du matériel, procédé
à la pose de l'implant et vérifié son positionnement par des clichés radiographiques, don't elle s'étonne qu'ils se soient
perdus, et à la Clinique Saint Joseph en tant que fournisseur de la prothèse défectueuse.
Elle soutient que le Docteur N. a commis des manquements à son obligation de moyens par le
choix d'un implant mal proportionné et par un mauvais positionnement de la prothèse.
Elle prétend que la clinique est responsable des matériels mis en 'uvre au sein de son
établissement dès lors qu'elle a commandé et fourni la prothèse implantée par le Docteur N..
La Cour relève que, les premiers juges ne pouvaient considérer que la responsabilité du Docteur
N. se trouve engagée sur le fondement de l'
article L 1142-1 du
code de la santé publique
, dès lors que l'expert judiciaire n'a pas conclu de manière formelle sur le rôle causal du choix de la dimension de
l'implant et la rupture survenue en mai 2004, ni retenu que l'implant ait été mal positionné lors de l'intervention réalisée
en février 2002. La responsabilité du Docteur N. n'apparaît pas davantage établie sur le fondement de l'
article 1147 du
code civil
invoqué par
Mme T..
En effet, le Docteur H. a conclu le 10 avril 2006 :
1- L'intervention pratiquée le 13 février 2002 pour une coxarthrose droite chez Mme Cécile T.
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par le Docteur N. était la bonne indication et a été réalisée selon les règles préconisées par la Société Française de
Chirurgie Orthopédique. Il s'agissait d'un acte pleinement justifié ;
2 - Dans un deuxième temps est survenue une complication mécanique de cette arthroplastie.
Diagnostiquée en mai 2004, elle a abouti à une intervention chirurgicale complexe effectuée au CHU d'Amiens. Il n'y a
pas de lien de causalité directe entre cet accident mécanique et les phénomènes infectieux initiaux. Cet accident est la «
conséquence » d'une usure précoce du polyéthylène qui peut reconnaître deux causes :
. le petit diamètre de l'implant, mais celui-ci n'est qu'une conséquence de la morphologie de la
patiente (1,60 mètres),
. la possibilité d'un défaut de fabrication don't la preuve ne peut être rapportée, la pièce changée
n'ayant pas été examinée.
Dans le processus de cette complication mécanique, la responsabilité du chirurgien ou du
fabricant n'est pas démontrée.
Au terme de son rapport complémentaire de 6 décembre 2007, le Docteur H. a précisé :
- En ce qui concerne l'usure prématurée du polyéthylène cotyloïdien, la cause la plus
vraisemblable est une inadéquation entre diamètre de tête fémorale et diamètre intérieur du cotyle déterminant une
épaisseur minime du polyéthylène. Il ne s'agit nullement d'une certitude mais d'une supposition.
Dans le courrier adressé le 18 septembre 2007 par le Professeur Patrice M. au Docteur H., ce
praticien, qui a procédé à l'ablation de l'implant posé en février 2002 par le Docteur N. et à la pose d'un nouvel implant
en juin 2004, précise : « (elle) présentait une usure majeure de cette prothèse de façon très précoce avec une
excentration complète de la tête prothétique...Je pense que cette usure très prématurée du polyéthylène est liée à un
rapport de taille défavorable. Il s'agissait d'une tête de 28 mm dans un insert de 46 laissant persister très peu d'épaisseur
de polyéthylène, mais probablement aussi à la qualité de polyéthylène discutable. Je n'ai malheureusement pas conservé
la prothèse et je n'avais pas, à l'époque, fait de déclaration de matério vigilance dans la mesure où il n'y avait pas de
rupture d'implant à proprement parler. »
La Cour relève que le Professeur M. ne se prononce pas avec certitude sur l'usure prématurée
de la prothèse puisqu'il évoque à la fois un problème de dimensionnement et la qualité du polyéthylène employé pour la
fabrication de la prothèse.
Dans son dire du 20 octobre 2010, lequel a été produit aux débats par le Docteur N. et a été
soumis au débat contradictoire des parties, le Docteur C., chirurgien attaché à l'hôpital Saint Antoine et spécialisé en
chirurgie orthopédique, traumatologique et prothétique, atteste, après avoir pris connaissance des rapports d'expertise du
Docteur H., que :
- depuis des dizaines d'années, les opérateurs mettent en place des prothèses totales de hanche
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avec des billes 28 mm et des inserts cotyloïdiens de 46 mm en polyéthylène,
- le cas présenté par Mme T. peut être qualifié de rarissime voire même d'exceptionnel,
- le choix des implants du Docteur N. est extrêmement classique et n'admet aucune critique,
- il n'existe aucune étude contre-indiquant la mise en place d'une bille fémorale de taille 28 mm
en regard d'un insert cotyloïdien de taille 46,
- un mauvais positionnement des implants prothétiques peut être cause d'une usure prématurée
de six-huit ans mais certainement pas responsable d'une usure à deux ans chez une femme de 70 ans.
En conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise, il se
déduit de ces différents avis médicaux que l'usure prématurée de la prothèse ne peut être rattachée de manière directe et
certaine à une faute commise par le Docteur N. quant au choix des dimensions de cet implant ou son positionnement, et
qu'en toute hypothèse, à supposer leur preuve rapportée, de tels manquements du chirurgien n'étaient pas de nature à
entraîner une usure prématurée aussi rapide.
Le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a condamné le Docteur N. à réparer le préjudice
résultant pour Mme T. de l'ablation et du changement de la prothèse.
Par ailleurs, en l'absence dans la cause du fabricant, Mme T. n'est pas fondée à demander la
mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle de la Clinique Saint Joseph, prise en qualité de fournisseur du produit,
laquelle n'est pas tenue de garantir les dommages résultant de la défectuosité éventuelle de l'implant, étant rappelé que l'
article 1386-1 du
code civil
prévoit que le
producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la
victime, que l'
article 1386-2 du
code civil
précise que
ces dispositions s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et que ce régime de
responsabilité issu de la
loi
du
19 mai 1998
qui intègre la
Directive européenne
du
25 juillet 1985
est exclusif des autres régimes de responsabilité consacrés antérieurement par la jurisprudence.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir la
Clinique Saint Joseph condamnée à réparer le préjudice corporel résultant de l'usure prématurée de l'implant.
- Sur les dépens :
En considération du sens du présent arrêt, le jugement sera réformé en ce qu'il a condamné le
Docteur N. à verser une indemnité de procédure à Mme T. et à la CPAM de l'Oise et à supporter les dépens de première
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instance in solidum avec la Clinique Saint Joseph, mais confirmé en ce qu'il a condamné la Clinique Saint Joseph à
verser en vertu des dispositions de l'
article 700 du
code de procédure civile
une indemnité de 2.500 euros à Mme T. et une indemnité de 750 euros à la CPAM de CREIL aux droits de laquelle
vient la CPAM de l'Oise, et à supporter les dépens de première instance.
Mme T. succombant en ses prétentions devant la Cour, il convient de la condamner aux dépens
d'appel et de la débouter de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'
article 700 du
code de procédure civile
.
Ni la situation économique des parties, ni l'équité ne commandent qu'il soit fait application des
dispositions de l'
article 700 du
code de procédure civile
au
bénéfice des autres parties à l'instance, lesquelles seront donc déboutées de leur demande d'indemnité pour leurs frais
exposés en appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- Infirme le jugement rendu le 29 juin 2010 par le Tribunal de Grande Instance de SENLIS en
ce qu'il a condamné le Docteur Jean-Louis N. à réparer le préjudice corporel résultant pour Mme Cécile L. épouse T. de
l'usure prématurée de la prothèse de hanche posée le 13 février 2002, à régler à Mme Cécile L. épouse T. et à la CPAM
de CREIL aux droits de laquelle vient la CPAM de l'Oise une indemnité par application de l'
article 700 du
code de procédure civile
et à
supporter les dépens de première instance in solidum avec la Clinique Saint Joseph ;
- Ordonne la rectification de ce jugement en ce qu'il a fixé la créance de la CPAM de CREIL
aux droits de laquelle vient la CPAM de l'Oise à la somme de 17.976,10 euros au lieu de 4.932,57 euros ;
- Le confirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Condamne la Clinique Saint Joseph à payer à la CPAM de l'Oise venant aux droits de la
CPAM de Creil la somme de 4.932,57 euros ;
- Déboute Mme Cécile T. de sa demande tendant à voir condamner le Docteur N. et la Clinique
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Saint Joseph à réparer le préjudice corporel résultant de l'usure prématurée de la prothèse de hanche posée le 13 février
2002 ;
- Déboute l'ensemble des parties de leur demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'
code de procédure civile
;
article 700 du
- Condamne Mme Cécile L. épouse T. aux dépens d'appel ;
- Accorde au profit de la SCP D. de B. C. LE T. B., de la SCP M. P. et de la SCP L. G. E. K.
A., avocats, le bénéfice des dispositions de l'
article 699 du
code de procédure civile
.
LE GREFFIER LE PRESIDENT.
Décision Antérieure
Tribunal de grande instance
Senlis du
29 juin 2010
La rédaction JurisData vous signale :
Législation :
C. civ., art. 1386-1
C. civ., art. 1386-2
;
Note de la Rédaction :
Critère(s) de sélection : contentieux courant, données quantifiées intéressantes
Abstract
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Profession, médecin, responsabilité professionnelle du médecin, faute contre la technique
professionnelle médicale (non), responsabilité du médecin orthopédiste (non), infection à la suite d'une
arthroplastie, infection nosocomiale, responsabilité sans faute de l'établissement de soins (oui), prise en charge
par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale (non).
Responsabilité civile, dommage, atteinte à l'intégrité physique, accident médical, infection
nosocomiale, victime directe femme, âge au jour de l'accident = 69 ans, âge au jour de la consolidation = 71
ans, retraitée, préjudices patrimoniaux, absence de perte de revenus pour la victime retraitée, poste de
préjudice limité aux seules prestations de la CPAM, montant = 4932 euros, préjudices extra patrimoniaux,
souffrances endurées montant = 4000 euros, pretium doloris modéré 3 sur 7, hospitalisation pour des
syndromes infectieux à la suite d'une arthroplastie, lavage articulaire, persistance de phénomènes douloureux
durant deux ans au niveau de la région du grand trochanter droit et de la face antérieure de la cuisse, port d'une
canne durant un an, déficit fonctionnel temporaire montant = 5500 euros, gêne dans les conditions d'existence,
durée de l'ITT = 11 mois, débouté de la demande de réparation du poste de préjudice jusqu'à la date de
consolidation, réparation de la seule durée de l'ITT (oui).
Responsabilité civile, responsabilité contractuelle, exécution défectueuse de l'obligation
contractuelle (non), responsabilité du médecin orthopédiste (non), rupture de la prothèse de hanche, choix d'un
implant mal proportionné (non), mauvais positionnement de la prothèse (non).
Responsabilité civile, responsabilité du fait des produits défectueux, condition de la responsabilité
du fait des produits défectueux, responsabilité de la clinique fournisseur de l'implant (non).
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