Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge
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Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge
Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge J.-P. EMERIAU (1), M. NEIGE, F. LAMOULIATTE INTRODUCTION Les liens entre dépression, stress et maladie coronaire n’ont pas fait l’objet de beaucoup d’études. Pourtant, les cliniciens ont observé que l’évolution de ces deux affections était étroitement liée. Lorsque l’on annonce à un patient qu’il présente une maladie coronaire évolutive ou un infarctus du myocarde, son image de soi est profondément altérée avec une notion de risque vital et d’incertitude sur l’avenir qui vont provoquer une anxiété et dans un certain nombre de cas une dépression. Mais la relation inverse existe aussi entre dépression et infarctus du myocarde : la stimulation des différents systèmes d’adaptation au stress au cours d’une dépression provoque une accélération du processus athérogène qui touche particulièrement les coronaires. Ces liens réels entre les deux affections font que la dépression est un facteur de risque cardiovasculaire à part entière au même titre qu’une hypertension artérielle, une hypercholestérolémie, un diabète ou un tabagisme important. PHYSIOPATHOLOGIE Une atteinte coronaire aiguë ou une dépression sont des stress qui provoquent une stimulation de mécanismes physiologiques d’adaptation parmi lesquels se situent les systèmes sympathique et sérotoninergique. Ces deux systèmes sont étroitement liés aux deux affections. La stimulation du système sympathique provoque une accélération de la fréquence cardiaque et une augmentation de la tension artérielle voire des poussées hypertensives qui sont les deux principaux facteurs d’augmentation de la consommation d’oxygène par le myocarde. En cas de maladie coronaire sévère, la consommation d’oxygène du myocarde dépasse une limite au-delà de laquelle l’ischémie myocardique peut se compliquer d’une nécrose. D’autre part, la stimulation sympathique provoque une activation de la coagulation qui va jouer un rôle délétère en cas de lésion athéromateuse des coronaires. De la même manière, l’activation du système sérotoninergique provoque une activation de l’agrégation plaquettaire qui augmente le risque thrombogène au niveau des plaques d’athérome des coronaires. MORBIDITÉ CARDIOVASCULAIRE ET DÉPRESSION Affection coronaire et dépression Dans un groupe de 200 patients ayant une sténose coronaire de plus de 50 %, au moment du diagnostic de maladie coronaire, 17 % présentaient une dépression sévère et 17 % une dépression mineure. Un an plus tard, 50 % des dépressions sévères persistaient et 42 % des formes mineures s’étaient aggravées (5). Dans cette même étude, les femmes coronariennes étaient plus fréquemment déprimées que les hommes. Les résultats de plusieurs autres études permettent d’affirmer que la maladie coronaire favorise le développement d’une dépression sévère. Infarctus du myocarde et dépression De manière générale, la prévalence des dépressions sévères est de l’ordre de 20 %, chez les personnes qui ont développé un infarctus du myocarde. Cette prévalence est deux fois plus importante que celle qui est observée au cours d’une consultation de médecine générale et trois à quatre fois plus que dans la population générale (3). Dépression et infarctus du myocarde À l’inverse, l’incidence de l’infarctus du myocarde est une fois et demie plus grande chez les déprimés que chez (1) Professeur, CHU Hôpital X. Arnozan, 33604 Pessac. Retranscription par I. Fabre. S 1138 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1138-40, cahier 4 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1138-40, cahier 4 les non déprimés (1). En médecine générale, les hommes déprimés ont un risque multiplié par trois de développer un infarctus par rapport aux non déprimés. Les femmes déprimées sont un peu moins sujettes à développer un infarctus du myocarde (6). Dans une cohorte de Baltimore composée de plus de 1 500 personnes indemnes de maladie cardiaque mais qui avaient présenté au moins un épisode dépressif, un suivi prospectif pendant 13 ans a permis de comparer le risque d’infarctus du myocarde de ce groupe par rapport à un groupe témoin sans antécédent de dépression. En cas d’épisodes dépressifs a minima, le risque relatif d’infarctus est multiplié par deux et en cas d’épisodes dépressifs sévères, le risque relatif d’infarctus est multiplié par 4,5 (7). Ces résultats confirment l’importance de la relation existant entre dépression et risque d’infarctus. Dans l’étude Myocardial Infarction and Depression-Intervention trial qui a rassemblé 2 177 infarctus du myocarde dont l’âge moyen était de 63 ans, les facteurs de risque de dépression sont un âge jeune, une hypercholestérolémie et une fraction d’éjection basse (indice de fonction du ventricule gauche qui est une donnée échocardiographique). Les inhibiteurs calciques, largement utilisés comme antiangineux et antihypertenseurs, auraient une action dépressiogène. Cette observation reste cependant relativement isolée. Dépression, stress et maladies coronaires dans le grand âge déprimés est un des éléments qui expliquent la surmortalité des déprimés après un infarctus du myocarde. Sexe et pathologie cardiovasculaire Est-ce que les sexes sont égaux ? Pour ce qui est des cardiopathies ischémiques, les déprimés ont le même risque que les non déprimés quel que soit le sexe. Mais en terme de décès, la mortalité est moins élevée chez les femmes. Dépression et tabac Dépression et tabac, de même que tabac et infarctus du myocarde, sont fréquemment associés pour des raisons opposées : les premiers fument parce qu’ils sont déprimés alors que, en matière d’infarctus du myocarde, le tabac est un facteur déclenchant. Après un infarctus, les déprimés ont 50 % de chances en moins d’arrêter de fumer ce qui correspond encore à un facteur explicatif de la surmortalité des déprimés du fait de la persistance d’un facteur de risque cardiovasculaire. CONCLUSION Mortalité cardiovasculaire et dépression Chez des patients coronariens de plus de 65 ans, le pourcentage de décès à quatre mois est significativement augmenté chez les déprimés. 18 mois après un infarctus du myocarde, le risque de mortalité cardio-vasculaire est augmenté de 3 à 6 fois chez les déprimés par rapport à ceux qui ne le sont pas (4). Les facteurs de mauvais pronostic à 1 an sont un âge avancé, un niveau socioprofessionnel modeste et un score élevé de dépression en postinfarctus (2). En post-infarctus, l’un des facteurs de risque de mort subite correspond aux troubles du rythme ventriculaire. À ce titre, les déprimés ont un risque de mortalité significativement plus élevé que les non déprimés. Développer un infarctus du myocarde, garder une hyperexcitabilité ventriculaire et être déprimé constitue un ensemble à risque, nécessitant une prise en charge spécifique (4). Une humeur dépressive a fortiori si elle est associée à une hypertension artérielle, un diabète, une hypercholestérolémie et/ou un tabagisme correspond à un authentique facteur de risque de maladie cardio-vasculaire et plus particulièrement de maladie coronaire. La dépression doit désormais être prise en compte, au même titre que les autres facteurs de risque ce qui n’est pas le cas actuellement. Question Quelle est l’influence des antidépresseurs tricycliques sur le volume du ventricule gauche ? Peuvent-ils aggraver les troubles cardiaques ? Réponse Observance thérapeutique et dépression Antécédents d’infarctus et diabète sont des facteurs de risque cardiovasculaire connus. Mais, de manière surprenante, les déprimés prennent moins bien leurs traitements que les non déprimés Cette observation concerne plus particulièrement les bêtabloquants qui sont un traitement de fond de la maladie coronaire et du post-infarctus en prévenant les troubles graves du rythme ventriculaire et les statines qui correspondent à une prévention secondaire de la maladie coronaire en post-infarctus. Ce défaut de compliance vis-à-vis de ces traitements de la part des Ces traitements ont potentiellement une action délétère sur des troubles de conduction et du rythme ventriculaire. Chez les personnes âgées, nous utilisons essentiellement les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (IRSS) et de moins en moins les tricycliques. En matière de traitement de la dépression, les tricycliques correspondent-ils à un traitement dont les résultats sont supérieurs à ceux des IRS ? Je ne sais pas répondre à cette question. Mais en matière d’effets indésirables chez les personnes âgées, les IRS ont peu d’effets indésirables, mis à part les hyponatrémies que nous connaissons bien, ce qui n’est pas le cas des tricycliques. S 1139 J.-P. Emeriau et al. Question Qu’en est-il de l’utilisation des bêtabloquants chez la personne âgée ? Sont-ils un facteur potentiellement déclenchant de dépression ou de résistance au traitement antidépresseur ? Réponse Les personnes âgées sous bêtabloquants sont souvent gênées par le ralentissement de la fréquence cardiaque et la baisse de la tension artérielle qui sont associées à ces traitements. Ces effets indésirables représentent autant d’obstacles pour une bonne compliance à ce traitement. Mais les bêtabloquants peuvent entraîner aussi des cauchemars (qui peuvent provoquer des états confusionnels nocturnes) et favoriser des traits dépressifs qui dans le contexte ne sont pas souhaitables. Malgré tous ces éléments, les bêtabloquants sont un traitement de fond incontournable de la maladie coronaire qui intervient sur la prévention des morts subites par troubles du rythme ventriculaire et aussi sur le risque d’évolution vers une insuffisance cardiaque. Mais nous ne savons rien sur la S 1140 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1138-40, cahier 4 séquence infarctus du myocarde - bêtabloquants et risque d’aggravation secondaire au traitement d’un état dépressif secondaire ou préexistant. Pour répondre à cette question, il faudrait mettre en place une nouvelle étude d’intervention chez des personnes âgées ! Références 1. ANDA R et al. Depressed affect, hopelessness, and the risk of ischemic heart disease in a cohort of U.S. adults Epidemiology 1993 ; 4 : 285-94. 2. CONSOLI S. M. Encéphale 1991 ; 17 : 695-9. 3. DWIGHT MM et al. Effects of depressive disorders on coronary artery disease : a review. Harv Rev Psychiatry 1997 ; 5 : 115-22. 4. FRASURE-SMITH N et al. Depression and 18-month prognosis after myocardial infarction. Circulation 1995 ; 91 : 999-1005. 5. HANCE M et al. Depression in patients with coronary heart disease. A 12-month follow-up. Gen Hosp Psychiatry, 1996 ; 18 : 61-5. 6. HIPPISLEY-COX et al. Depression as a risk factor for ischaemic heart disease in men : population based case-control study. J Brit Med J 1998 ; 316 : 1714-9. 7. PRATT LA et al. Depression, psychotropic medication, and risk of myocardial infarction. Prospective data from the Baltimore ECA follow-up. Circulation 1996 ; 94 : 3123-9.