Télécharger
Transcription
Télécharger
Editions Hatier Corrigé complet Introduction1 Si un conférencier exige le silence de l’assemblée, il ne formule pas une simple requête. L’exigence n’est pas censée rester une exigence “ en idée ” : elle implique implicitement qu’on l’exécute. Si on exige la liberté ou la justice, on ne se place pas dans une perspective utopique : ces exigences sont légitimes parce que la justice et la liberté doivent être réalisées, et être effectives. L’exigence de liberté nous semble aujourd’hui être une expression presque redondante, tant nous sommes imprégnés par l’esprit de la Déclaration de droits de l’homme qui fait de la liberté un droit naturel devant être protégé par les lois. Or les lois – le droit positif – sont l’expression objective de l’idéal de justice d’un État. Ainsi, l’exigence de liberté et l’exigence de justice nous semblent nécessairement aller de paire. Pourtant, les régimes politiques tels que les dictatures ou les régimes totalitaires ont montré dans l’histoire que la justice, définie comme légalité, pouvait de fait commander la suppression de la liberté des citoyens-sujets. De fait, l’exigence de légalité et celle de la liberté sont séparables. D’où le problème : peut-on, au nom d’un idéal de justice, ou au nom de la loi, exiger que l’on renonce à la liberté ? Si la justice désigne la conformité au droit, le droit peut-il étouffer l’exigence de liberté ? Cependant, si l’exigence de justice n’est pas simplement une exigence de légalité mais aussi une exigence de légitimité, alors n’implique-t-elle pas que l’on respecte, au contraire, l’exigence de liberté ? 1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. 1. Oui, l’exigence de justice et l’exigence de liberté sont séparables A. Être libre, c’est faire ce que l’on désire “ Je suis libre, je fais ce que je veux ” réplique-t-on souvent lorsque l’on voit ses actes critiqués ou condamnés par autrui. On se réfère ici naïvement à la liberté conçue comme indépendance, c’est-à-dire l’absence de toute contrainte extérieure, qu’elle soit légale, morale ou physique. Lorsqu’un adolescent exige sa liberté, il se soucie peu de la morale, et encore moins du droit : il réclame simplement de pouvoir suivre ses désirs et de pouvoir se passer de la tutelle parentale. Il est évident qu’en société, dans une communauté politique organisée, une telle liberté ne peut exister. En effet, l’indépendance est la liberté dont jouit l’homme à l’état de nature, état (hypothétique) qui précède l’état civil ou social. L’homme est alors animé par son désir de survivre, de “ persévérer dans son être ” (Hobbes). Étant donné l’absence de lois, rien ne le limite dans sa recherche des biens destinés à satisfaire ses besoins. Cependant, si cette liberté naturelle est illimitée, les biens, eux, sont en nombre limité. Les hommes en viendront inévitablement à se rencontrer et à entrer en concurrence pour obtenir ces biens. On aboutit à un affrontement généralisé. Cette “ guerre de tous contre tous ” (Hobbes) est un état contradictoire : en voulant assurer leur existence, les hommes la mettent constamment en péril, car ils sont sans cesse menacés de mort violente. Ainsi, ils peuvent calculer que s’ils veulent voir leur vie et leur sécurité garanties, ils doivent renoncer à leur liberté naturelle illimitée pour imposer des “ barrières ”, des “ chaînes artificielles ” à leur liberté : les lois (Hobbes, Léviathan). B. L’exigence du droit est une nécessité vitale à laquelle il faut sacrifier son désir d’indépendance Ainsi, le désir de survivre crée l’exigence de l’existence du droit qui viendra limiter l’indépendance naturelle. Le pouvoir politique a ici pour fonction de “ tenir les hommes en respect ”, pour empêcher le retour à une guerre de tous contre tous. Ce pouvoir absolu, que Hobbes nomme “ Léviathan ” (dans la Bible, ce nom désigne un animal monstrueux et invincible) détient désormais à lui seul l’usage de la force. Il décidera seul des lois, qui suffiront à définir le juste et l’injuste. Aucune référence à une justice morale n’est ici acceptable : est juste ce qu’a décidé le souverain. La liberté individuelle ne peut s’exprimer que dans les domaines où la loi se tait. On est libre de tenir tel propos, de faire telle action…, tant que la loi ne l’interdit pas. Ainsi, l’exigence de liberté individuelle est considérée par Hobbes comme une “ opinion séditieuse ”, c’est-à-dire rebelle, donc dangereuse pour la paix, autant dire coupable. Cependant l’exigence de justice, comprise ici comme l’exigence de lois, trouve en réalité sa source dans un principe irrationnel : le désir de survivre, la crainte de la mort violente. L’exigence du droit n’est ici qu’un calcul au service d’un désir. C. L’exigence de liberté conduit à l’injustice dans la cité © Hatier 1 Editions Hatier Mais il ne suffit pas de renverser l’ordre des exigences pour pouvoir concilier justice et liberté. En effet, la démocratie où les hommes exigent en priorité la satisfaction de leurs libertés (de penser, d’agir, de circuler…) ne mène pas automatiquement à la justice, comprise ici comme vertu. Pour Platon, la justice consiste en une harmonie de l’âme en l’individu, et dans la cité, la justice consiste pour chacun “ à faire son travail et à ne se mêler de celui d’autrui ” (Platon, La République). Or dans la démocratie, chacun s’intéresse à tout, de sorte qu’aucune stabilité ne peut s’instaurer. L’instabilité mène à la décadence, et pour finir à la tyrannie. L’exigence insatiable de liberté mène à l’injustice la plus complète. Pour Platon, il faut donc que les philosophes deviennent rois, car eux seuls connaissent la nature de la véritable justice. Cependant, la justice est vouée à rester une exigence idéale dans la mesure où elle ne peut se concrétiser adéquatement dans les lois, car “ les dissemblances entre les hommes et entre leurs actions, la complète absence d’immobilité dans les choses humaines se refusent à toute règle simple portant sur tous les cas et valables pour tous les temps ” (Platon, Le Politique). L’exigence de justice s’exprimera par la voix du philosophe-roi, qui incarne la loi : il est comparable à un médecin administrant une “ médication ” à ses patients. Transition Ainsi, l’exigence de justice et l’exigence de liberté sont bien séparables, et ceci pour deux raisons : soit parce que le droit exige qu’on renonce à notre liberté, soit parce que l’exigence débridée de liberté mène à l’injustice. Pourtant, la justice n’est pas la seule légalité, on peut juger du caractère juste ou injuste des lois, et ceci au nom d’un principe rationnel. Une loi juste ne serait-elle pas alors celle qui respecte l’exigence de liberté, de sorte que l’exigence de liberté et l’exigence de justice ne seraient pas séparables ? 2. Non, l’exigence de justice et l’exigence de liberté ne sont pas séparables A. Le refus de toute contrainte juridique de l’État sur l’individu se fonde sur une exigence de justice On l’a vu, l’individu tend spontanément à vouloir exercer sa liberté. Dans cette perspective, l’autorité étatique qui s’exerce à travers les lois peut être perçue comme une contrainte, ou plutôt comme une oppression. C’est pourquoi l’anarchisme rejette l’État, au nom de la liberté. L’exigence de liberté ne peut être effective que par la suppression de la légalité autoritaire de l’État. Justice (les lois) et liberté doivent être séparées. Cependant, cette nécessaire séparation se fonde sur l’exigence d’une justice en quelque sorte “ supérieure ” et “ plus juste ” que le droit positif (les lois). Ainsi, l’exigence de liberté de l’individu est bien séparable des exigences de la justice positive, mais elle découle d’une exigence de justice, d’une exigence de respect de la nature de l’homme. B. L’exigence d’équité et l’exigence de liberté peuvent être séparées au nom d’un droit : le droit naturel à la liberté Une suppression de l’autorité de la justice comprise comme institution étatique n’est cependant envisageable que si l’on considère l’homme comme naturellement pacifique et bon. Or les révolutions et les guerres civiles, pendant lesquelles ce type d’autorité est suspendu, donnent généralement lieu à des exactions qui viennent démentir cette hypothèse anthropologique. Si l’homme naît libre, et doit donc le rester, l’État doit venir préserver la liberté de chacun ; les lois auront pour seule fonction d’assurer aux citoyens la pleine jouissance de leur liberté, de leur droit naturel. La conception libérale de l’État conçoit celui-ci comme le protecteur des droits de l’individu, et plus précisément de l’individu propriétaire. Autrement dit, l’État n’a pas à s’imposer dans la répartition des biens ni dans la réglementation de la propriété privée. L’exigence d’équité (de répartition équitable des biens) n’a pas à s’inscrire dans les lois. En effet, si le droit positif réglementait et limitait la répartition des biens, il viendrait contrer et limiter le droit individuel à la liberté (à la libre propriété, à la libre entreprise, etc.). Si la véritable justice est celle qui respecte les droits fondamentaux de l’homme, alors l’exigence de justice et l’exigence de liberté ne sont pas séparables. La justice positive, elle, a pour seule fonction de préserver la liberté. L’État n’a qu’un rôle “ policier ”, visant à protéger la société civile, l’individu et sa propriété. Transition Ainsi, la justice fondamentale est celle qui respecte les droits naturels de l’homme, comme en témoigne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’exigence de justice et l’exigence de liberté sont donc une seule et même exigence. Cependant, en attribuant à la justice, positive cette fois, un simple rôle répressif, on en viendrait à vouloir la garantie de nos droits sans avoir à se soumettre à l’autorité étatique. Autrement dit, l’individu voudrait la garantie de ses droits, de sa liberté, sans vouloir l’État, qui est pourtant ce qui lui assure © Hatier 2 Editions Hatier cette garantie ! Ne faut-il pas alors, au contraire, reconnaître qu’il n’y a de véritable liberté que garantie mais limitée par les lois ? L’exigence de justice passe par l’exigence de l’existence de l’État. 3. L’exigence de justice passe par l’exigence de l’existence de l’État républicain, qui limite notre indépendance pour nous assurer une liberté véritable A. Point de liberté sans lois En effet, si notre liberté était simplement l’indépendance, chacun ferait ce qui lui plaît. Or “ quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres ” (Rousseau, Lettres écrites de la montagne), de sorte que notre volonté rencontre la résistance d’autrui. Pour être véritablement libre, il faut que je ne sois soumis à la volonté de personne, mais aussi que je ne gêne pas par là la volonté d’autrui : “ nul n’a droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit ” (ibid.). C’est pourquoi chacun ne sera libre que s’il obéit à la loi qu’il s’est luimême prescrite. Pour que tout le monde puisse être libre, les lois doivent donc émaner de la volonté générale, c’est-à-dire de la volonté du peuple, seul souverain légitime. “ Légitime ” parce que le peuple n’établira jamais de loi allant à l’encontre de ses droits fondamentaux ; il ne s’imposera jamais de “ chaînes inutiles ” : “ il n’y a point de liberté sans lois […], c’est par la force des lois que le peuple n’obéit pas aux hommes ”, c’est-à-dire aux tyrans, aux maîtres, aux monarques… Ainsi, exiger la liberté, c’est tout aussi bien exiger l’existence des lois organisant la vie de la communauté politique. Ces lois, à leur tour, ne seront justes, c’est-à-dire légitimes, que si elles émanent du peuple lui-même. C’est là la condition de la garantie d’une liberté véritable, c’est-à-dire stable, débarrassée de la crainte que le plus fort ne vienne nous asservir. Les lois n’ont donc pas ici pour seul but de punir les atteintes portées à la propriété privée : elles ne protègent pas simplement la société civile, mais elles fondent l’existence du peuple lui-même. Elles doivent donc également veiller à l’égalité des citoyens, car une trop grande disparité entre les fortunes pourrait conduire les plus pauvres à être “ à la discrétion ” (dépendants et redevables) des plus riches. L’exigence d’une égale liberté des citoyens va donc aussi de paire avec l’exigence de justice comprise comme équité. B. L’exigence de liberté et l’exigence de justice ne sont pas séparables parce qu’elles se confondent Si donc le peuple ne se soumet qu’aux lois qu’il a lui-même exigées, il accède par là même à la liberté, car “ l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ” (Rousseau, Du contrat social). C’est là la définition de l’autonomie (du grec nomos, la loi). L’exigence de liberté n’est pas ici un simple désir d’indépendance. Elle peut au contraire être fondée en raison. Cette exigence de liberté n’est autre que l’exigence morale de la raison : pour agir librement, nous devons agir de manière autonome, c’est-à-dire en obéissant uniquement à la loi morale rationnelle qui est en nous. Ainsi, Kant formule l’impératif catégorique, par lequel cette loi se manifeste à nous, de la manière suivante : “ Agis de telle sorte que tu traites autrui toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. ” La raison exige par là que l’on considère autrui comme un être libre capable lui aussi d’agir moralement, et non simplement comme un instrument au service de nos propres buts, de notre propre liberté. Dans le domaine moral, la raison exige à la fois que l’on soit autonome et que l’on respecte la liberté d’autrui. Autrement dit, l’exigence de liberté et l’exigence de justice se confondent bel et bien, et trouvent leur fondement dans la raison. Conclusion L’exigence de justice peut donc être à la fois l’exigence de légalité et l’exigence de moralité. Logiquement, on peut distinguer l’exigence de légalité et l’exigence de liberté : la loi, en tant que convention ou décision n’est pas nécessairement là pour obéir à l’exigence de liberté. En effet, la justice peut être conçue comme un simple instrument au service de notre sécurité, de la paix, de l’ordre… Mais du point de vue de la légitimité, l’exigence de justice et l’exigence de liberté ne sont pas séparables, et ceci pour deux raisons. D’une part, parce que l’exigence de justice implique l’exigence de l’existence de lois. D’autre part, parce que l’exigence d’autonomie trouve son fondement en le principe rationnel qu’est la loi morale, qui commande également de respecter la liberté d’autrui. Être juste envers autrui, c’est respecter sa liberté. Ainsi, l’exigence rationnelle de liberté implique logiquement et moralement l’exigence de justice politique – le droit républicain – et l’exigence de justice morale – la volonté autonome. Être libre, c’est obéir aux lois qu’on s’est soi-même imposées ; être juste, c’est être autonome. Ouvertures LECTURES – Rousseau, Du contrat social, Hatier, coll. “ Classiques ”. © Hatier 3 Editions Hatier – Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Delagrave. – Hobbes, Léviathan, Sirey. – Platon, Le Politique, Garnier-Flammarion. © Hatier 4