Commentaire du texte
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Catherine AGUILLON http://aguillon.info/contact/ Première, 2010-2011 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, Livre VIII : « L’éléphant ». Commentaire Ce texte est extrait d’Histoire naturelle (Naturalis Historia) de PLINE, dit L’ANCIEN (pour le distinguer de son neveu, Pline le Jeune), homme d’action, politique et militaire, avocat, et aussi homme de science, qui vécut au 1er siècle de notre ère. Commandant de la flotte de Misène (près de Naples), en allant porter secours aux malheureux habitants de Stabies (au sud de Pompéi), il périt, sur le rivage, lors de l’éruption du Vésuve le 24 août 79, asphyxié par les vapeurs, pour s’être trop approché des phénomènes volcaniques qu’il voulait observer (on a donné le nom de « colonnes pliniennes » aux colonnes de fumée qu’il avait décrites en les dictant à son entourage, sous une grêle de pierres). L’Histoire naturelle est un ouvrage encyclopédique en trente-sept livres, dédié à l’empereur Titus en 77 et édité à titre posthume, décrivant les phénomènes que l’on peut observer dans l’univers, notamment sur Terre. Pline affirme avoir lu plus de deux mille ouvrages pour composer son encyclopédie. Les livres VIII à XI traitent de la zoologie (animaux terrestres, animaux marins, oiseaux, insectes), et l’extrait étudié constitue le début du livre VIII. Pour analyser comment Pline décrit le caractère et les mœurs des éléphants, animal exotique pour les Romains, nous ferons une explication linéaire de ce passage. Le texte est composé de trois phrases dont la première, une transition (transeamus) rapide, permet à l’auteur d’en venir à son sujet : animalia … terrestria (les êtres animés terrestres). En deux longues phrases, Pline va ensuite décrire l’éléphant (elephans), non pas d’après nature (car il n’en a sans doute jamais vu) mais selon des renseignements qu’il a recueillis, notamment par la lecture d’Aristote. Celui-ci, philosophe et scientifique, fondateur du Lycée d’Athènes, à la fois centre d’enseignement et de recherches, fut le précepteur d’Alexandre le Grand ; c’est ainsi qu’il connaissait les éléphants, que la Grèce a découverts seulement lors de l’expédition du jeune souverain macédonien parti conquérir le monde ! Pline ne met pas en doute ce qu’il a lu concernant les qualités « humaines » (humanis sensibus) de l’éléphant. La deuxième phrase du texte énumère d’abord une caractéristique physique évidente, relative à la taille de l’animal (maximum), puis des qualités intellectuelles comme la compréhension du langage humain (intellectus illis sermonis patrii), l’aptitude au dressage (imperiorum oboedientia) et la mémoire (officiorum quae didicere memoria) – qualités reflétant l’intelligence relationnelle, et facilitant la ressemblance et la communication avec l’Homme. Ces remarques nous paraissent encore vraisemblables aujourd’hui. Cependant, la suite de l’énumération des traits du pachyderme, concernant ses qualités morales (amoris et gloriae voluptas, … probitas, prudentia, aequitas la passion de l’amour et de la gloire … la probité, la prudence, l’équité) ou sa piété (religio siderum Solisque ac Lunae veneratio même le culte des astres et la vénération du Soleil et de la Lune), ne nous paraît pas aussi facile à admettre. Sur quels faits, sur quelles observations le scientifique peut-il objectivement se fonder ici ? On note d’ailleurs un registre ironique dans la remarque contenue dans la subordonnée relative enclavée quae etiam in homine rara (qualités rares même chez l’homme) comme si Pline exprimait explicitement sa critique à l’égard de la société où il vivait, dont il condamnait le relâchement et les vices. Beaucoup de légendes, africaines en particulier, concernent l’éléphant, et l’écrivain latin en livre quelques-unes. La troisième et dernière phrase, en effet, commence par la mention de certains auteurs (Auctores) non cités - ce qui laisse le lecteur seul juge de la véracité de ce qu’ils racontent et que Pline ne reprend pas à son compte. L’emploi grammatical de plusieurs propositions infinitives (greges … descendere ibique … circumspergi atque … reverti les troupeaux descendent et là s’aspergent et … regagnent …) traduit bien les paroles rapportées, les on-dit peu fiables (car le mode de la réalité est l’indicatif). Ces légendes sont divertissantes et leur séduction tient à la précision des faits autant qu’à leur caractère vague. On trouve de l’exotisme dans les noms géographiques (in Mauretaniae saltibus ad quendam amnem, cui nomen est Amilo dans les montagnes de Maurétanie, sur les bords d’un fleuve nommé Amilus), du mystère dans les notations temporelles (nitescente luna nova quand brille la nouvelle lune) et dans la description d’actions analogues à des rites religieux (se purificantes solemniter aqua circumspergi atque ita salutato sidere ils se purifient en s’aspergeant d’eau solennellement et, après avoir ainsi salué l’astre …). Ce qui est sans doute le simple bain des éléphants dans un fleuve prend un aspect d’étrangeté, donc intéresse le public, Romain contemporain de Pline ou lecteur actuel. Un ultime détail confirme le caractère « humain » de l’animal : les éléphants ramènent au bercail leurs « petits fatigués » (vitulorum fatigatos prae se ferentes) en les portant sur leur trompe ! En conclusion, nous pouvons mesurer le souci de PLINE l’Ancien de rendre compte à la fois de faits scientifiques et d’anecdotes populaires - ce qui montre sa curiosité et son honnêteté intellectuelles, qualités précieuses pour un savant. Son intérêt pour l’éléphant est tel qu’il lui consacrera plusieurs chapitres. Par ailleurs cet animal a pris une grande importance dans l’imaginaire des Romains qui se rappellent avec terreur les éléphants de Pyrrhus (roi d’Épire, opposé aux légions romaines en 280 av. J.C.), puis d’Hannibal (victorieux en 217 et 216 lors de la Seconde guerre punique), et qui, d’un autre côté, aimaient les voir combattre lors des jeux du Cirque, à l’époque de Pompée notamment. Plus qu’une étude zoologique et scientifique, c’est de la littérature (avec une petite dose de fiction) que fournit ici l’auteur !