Les non musulmans à Istanbul aujourd`hui : une présence en creux

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Les non musulmans à Istanbul aujourd`hui : une présence en creux
Jean-François Pérouse*
Les non musulmans à Istanbul
aujourd’hui : une présence en creux ?
Le cas de l’arrondissement de Fatih
Abstract. Non-Muslims in Contemporary Istanbul: a Presence Defined in the Negative? The Case
of the District of Fatih
The district of Fatih, located in the heart of the Istanbul historic peninsula could be considered
as one of the most characteristic cases when focusing on the place of non-Muslims in present
urban space. In fact, we face there with a huge gap between, on one side, the rich and still
visible heritages, in terms of architectural traces and of religious buildings – in spite of all the
demolitions occurred during the last century – and, on the other side, the now insignificant
demographic reality of non-Muslims. In addition, this district’s example shows how local
authorities tend to consider more positively the cultural plurality of Istanbul population.
Résumé. L’arrondissement de Fatih, au cœur de la péninsule historique d’Istanbul, est un des
arrondissements les plus révélateurs de la place désormais tenue par les non musulmans dans
l’espace urbain stambouliote. En effet, il se caractérise par un frappant décalage entre d’une part
un héritage bâti et cultuel important et encore visible, malgré toutes les exactions et, d’autre part,
une présence démographique presque insignifiante. L’exemple de cet arrondissement permet
par ailleurs de prendre la mesure du changement d’attitude des pouvoirs publics locaux vis-à-vis
d’une présence maintenant plus positivement envisagée, quoique de façon encore ambiguë.
* Géographe, Institut français d’études anatoliennes, Istanbul.
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Porter son attention sur les non musulmans à Istanbul aujourd’hui n’est
pas simple, ni sans risques, pour des raisons à la fois d’éthique, de méthode et
de sources. Malgré la publication récente de remarquables travaux d’historiens
turcs1, il s’agit d’un sujet qui n’est pas encore abordé de façon sereine et dépassionnée, comme en a témoigné, dernièrement, la fureur déclenchée par une
petite phrase éminemment maladroite ou provocatrice, tirée d’un rapport de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, présentant « Constantinople »
comme une « (…) magnifique ville chrétienne, sous occupation »2. De même,
l’offensive actuelle du « Parti des Travailleurs » (İşçi Partisi) contre le Patriarcat
grec-orthodoxe et la mairie de l’arrondissement de Zeytinburnu3 à propos de
la récupération, par son ayant droit, d’un terrain appartenant à une fondation
orthodoxe4, montre le caractère encore sensible de la question des non musulmans en Turquie. En effet, pour certaines mouvances nationalistes (de droite
ou de gauche), ceux-ci continuent à être considérés comme des étrangers à la
société turque et des agents des puissances étrangères (constituant une cinquième
colonne) qui en veulent à l’intégrité du pays et cherchent à l’affaiblir ou à le
dominer, de l’intérieur, par le biais de ces “alliés naturels”, perfides et suspects5.
On est prêt à verser dans le discours du conflit de civilisations, mâtiné d’antieuropéanisme6 et d’anti-impérialisme, voire dans un amalgame avec la situation
en Palestine. Dans ce contexte, un chercheur occidental qui s’intéresse aux non
musulmans est aussitôt soupçonné de faire le jeu des “ennemis de la nation”, en
focalisant, une fois de plus, sur les gayrimüslim (non musulmans).
Au plan méthodologique, le risque demeure de tomber dans une analyse
par trop culturaliste et différentialiste, qui mettrait excessivement l’accent sur
les aspects confessionnels (comme si ceux-ci conféraient automatiquement une
identité spécifique), au détriment de facteurs économiques ou sociaux. De même,
il faut s’interroger sur la légitimité de l’acte qui consiste à poser une catégorie,
celle des non musulmans, définie sur des critères confessionnels, et considérée
comme a priori pertinente et évidente. De ce fait, il nous faudra être vigilant
par rapport à la naturalisation des différences confessionnelles qu’opère l’usage
trop systématique d’une telle catégorie. Elle a néanmoins une pertinence d’ordre
1. Comme Aktar (2000) ou Akçam (1992).
2. Cf. “Hıristiyan köktendinciliği” (Fanatisme chrétien), Cumhuriyet, 22/03/2002 : 9.
3. Mairie (pourtant) tenue par un parti issu de l’islam politique turc, le Parti de la Justice et du
Développement (AKP) (Kipal, 2002 : 4-7).
4. La Balıklı Rum Vakfı, en l’occurrence.
5. Nous n’exagérons pas ; un article entier pourrait être consacré à cette psychose de la conversion,
qui travaille (étonnamment ?) autant les milieux de l’islam militant que ceux de la gauche nationaliste
turque ; pour les réactions des milieux de la militance islamique, voir : « Islâmi Protestanlaştırma
Projesi » (le projet de protestaniser l’islam), Umran, Istanbul, 2002, 96 : 26-68 ; pour la gauche
turque, outre les articles déjà cités de Aydınlık, voir aussi, Türk Yolu, 2002 : 2-3.
6. La femme de l’ancien vice-premier ministre M. Yılmaz, en charge du dossier de l’intégration de
la Turquie à l’UE, est accusée d’être allemande et d’avoir des relations privilégiées avec le Patriarcat
orthodoxe ; cf. Kipal, 2002 : 5.
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juridique7. Depuis la création de la République turque et le traité de Lausanne
(juillet 1923), certains non musulmans ont un statut juridique reconnu par
l’État turc et garanti par ledit traité ainsi que par d’autres lois ou décrets édictés
par la suite. Mais une catégorie juridique, exprimée par une mention spéciale
sur les cartes d’identité turques, ne suffit pas à faire de la différence. Minorités
religieuses établies et reconnues, les non musulmans, ne peuvent pas être isolés
sans quelque artifice ; ce d’autant plus que certains d’entre eux, au moment de
l’adoption du Code civil de 1926, ont renoncé à leur spécificité en termes de
statut personnel.
En ce qui concerne les sources, si l’on dispose de nombreuses études pour les
siècles passés, la situation actuelle demeure moins étudiée, si ce n’est d’un point
de vue humanitariste et militant (autour de la question du droit, notamment
immobilier, de ces minorités) et souvent communautariste (chaque communauté ayant ses historiens attitrés8 et construisant sa propre histoire). Le livre de
Demir et Akar paru en 1994, consacré au dernier grand “train” de départs forcés
de grecs-orthodoxes (Rum), constitue pour nous une référence importante, en
tant qu’il marque la prise en charge par des historiens turcs d’un passé récent
et douloureux.
Pour limiter notre étude, par non musulmans on désignera ici, de façon
restrictive, les seuls chrétiens, et tout particulièrement les orthodoxes9 et les
Arméniens (qu’ils soient grégoriens, catholiques ou protestants), disposant
d’une reconnaissance statutaire à part entière depuis les années 193010. D’autre
part, on se focalisera sur le seul arrondissement de Fatih. Il pourra paraître
arbitraire de se limiter ainsi à un seul arrondissement parmi les 32 que compte
la Municipalité métropolitaine d’Istanbul. Mais ce choix peut se justifier, à titre
d’étude de cas, puisqu’il s’agit d’un arrondissement central et historique, qui
regorge de vestiges grecs, romains, byzantins et ottomans (pensons à toutes les
mosquées et à tous les mausolées impériaux), et d’un arrondissement marqué par
l’événement de la Conquête (de mai 1453), qui reste une référence omniprésente
dans le discours politique local11. Comme le titre d’un article le mentionne – de
7. Les polémiques de l’été et de l’automne 2002 concernant le statut des biens immobiliers des
minorités religieuses viennent confirmer l’importance de la dimension juridique dans la construction
de ces minorités.
8. Historiens professionnels ou amateurs, comme A. Yarman pour la communauté arménienne.
9. En mettant à part la petite église turque-ortodoxe, création des années 1920, qui compterait
aujourd’hui de 23 à 40 fidèles ; sa principale église (on en dénombre trois) est à Karaköy (Radikal,
19/09/2001 : 2).
10. La nébuleuse des “chrétiens d’Orient” – selon la terminologie occidentale et orientaliste – ne
sera donc pas prise en compte ici, même si elle entretient parfois des liens étroits, à Istanbul, avec les
églises catholiques et orthodoxes. Ces “chrétiens d’Orient” ne relèvent pas, du point de vue de l’État
turc, des minorités reconnues à Lausanne. Mais de nombreux syriaques, par exemple, fréquentent les
églises catholiques et orthodoxes d’Istanbul, mieux organisées et disposant de plus de ressources.
11. La fondation orthodoxe citée plus en haut est ainsi accusée par le « Parti des Travailleurs »
et certains des petits artisans expulsés de vouloir récupérer les terrains perdus en 1453 (Kipal,
2002 : 5).
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façon discutable, d’ailleurs –, Fatih est souvent perçu comme « le premier secteur
turquifié d’Istanbul »12. De fait, si l’on regarde le site Internet de la municipalité
de Fatih13, il est impressionnant de constater qu’il est entièrement consacré à
l’épisode de la Conquête et au personnage du Conquérant. Pour ne citer qu’un
extrait, on peut ainsi y lire :
« Si le Conquérant l’avait voulu, il aurait pu éliminer ou exiler tous les grecsorthodoxes et tous les non musulmans se trouvant dans les limites de l’État
ottoman… ».
Comme si le passé de l’arrondissement, dont le nom – « Conquérant » – est
éminemment emblématique, en tant qu’il renvoie en permanence à l’épisode
fondateur de “l’autre présence” (i.e. turco-musulmane) et à son héros, le Conquérant14, pouvait être réduit à cet unique “moment-rupture”, au détriment de
toute son histoire antérieure, et même ultérieure…
En outre, Fatih peut bien être considéré, avec ses multiples centres de
confréries religieuses (tarikat) et maisons d’édition islamistes, comme un des
territoires de prédilection et des laboratoires privilégiés de l’idéologie turco-islamique “Fethicilik”, que l’on pourrait traduire par le néologisme “conquêtisme”.
Selon cette idéologie, le 29 mai 1453, moment fondateur sans cesse invoqué
et convoqué, marque la victoire d’une civilisation sur l’autre. Par ailleurs, Fatih
illustre bien le décalage – qui nous intéressera ici au premier chef – entre la
présence non musulmane, passée, très importante, se traduisant encore par des
héritages toponymiques et architecturaux, voire urbanistiques, difficilement
contestables quoique inégalement mis en valeur, et la présence vivante actuelle,
quasi négligeable.
La question du décalage : une présence désincarnée ?
Une approche quantitative délicate et soumise à controverses
On sait que les non musulmans ne représentent, selon les estimations les
moins improbables, qu’un pourcentage désormais infime de la population de
quartiers dont la réputation demeure – par un effet de rémanence – celle de
quartiers de « minoritaires » (tabl. 1 et 2). En outre, depuis le recensement
de 1965, on ne dispose pas de données chiffrées concernant la religion des
citoyens turcs ni d’ailleurs leurs langues. Pour avoir une idée du nombre de non
musulmans sur la base des derniers recensements disponibles, il faut croiser les
données concernant la langue et celles concernant la religion, en étant conscients
12. Cf. « Türkleşen Istanbul’un ilk semt : Fatih », Atlas-Istanbul, janvier 1997 : 56-71.
13. Soit : http://www.fatih-bld.gov.tr/(consulté le 17/03/2002).
14. Fatih, signifiant “le Conquérant”, est l’attribut du sultan Mehmed qui conquit Constantinople
en 1453 (NDLR).
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du fait que les catégories utilisées sont arbitraires et ont été modifiées au fil des
ans. En effet, le grec par exemple, est catégorisé comme “langue locale” dans le
recensement de 1950 et comme “autre langue des minorités” en 1960 et 1965.
Ainsi, quand on croise les données du recensement turc relatives aux langues et
celles relatives aux religions, d’étranges distorsions apparaissent. En effet, avec
l’introduction de la distinction “langue maternelle” et “seconde langue”, les
données se brouillent.
De plus, pour les Arméniens, la division entre “protestants”, “catholiques” et
“grégoriens” entraîne quelques confusions. Ce qui est évident en tout cas, au fil
des recensements successifs, c’est, d’une part la diminution du nombre de non
musulmans15 et, d’autre part, leur relative concentration dans le seul département
d’Istanbul (avec, dans une bien moindre mesure, Çanakkale et Trabzon).
Tableau 1. Le nombre de chrétiens à Istanbul selon les recensements turcs de 1927 et 1965
Confessions
1927
1965
Grégoriens
53 129
61 215
Catholiques
23 930
11 559
Orthodoxes
100 214
47 207
Protestants
4 421
4 872
Autres chrétiens16
16 696
2 498
Total des chrétiens à Istanbul
199 390
127 351
Total des chrétiens en Turquie
257 814
206 825
Source : Dündar, 1999 : 222-223 (à partir des données du recensement général de la population publiées par
l’Institut d’État de la statistique).
Tableau 2. Les langues parlées à Istanbul en 1927 et 1965 : un autre indice
Langues maternelles
1927
1965
Arménien
45 255
33 094
Grec
91 902
48 09617
Source : Dündar, 1999 : 218-219 (à partir des données du recensement général de la population publiées par
l’Institut d’État de la statistique).
Pour aujourd’hui, à défaut de recensements, même imparfaits, on devra se
contenter des chiffres-évaluations fournis par les représentants des différentes
communautés18 et des comptages locaux, quartier par quartier. À Samatya par
15. Phénomène général pour tout le Proche et Moyen Orient ; Fargues, 2001.
16. Cette catégorie “fourre-tout” comprend les Syriaques, les Syro-Chaldéens et autres Nestoriens.
17. Mais 127 037 personnes, si on agrège les colonnes « langue maternelle » et « seconde langue ».
L’écart est donc plus que troublant.
18. Soit une communauté de 3 000 fidèles à Istanbul pour le Patriarcat orthodoxe, qui rayonne
bien au-delà d’Istanbul.
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exemple (dans l’arrondissement de Fatih), où l’on compte encore cinq églises
grecques-orthodoxes et trois arméniennes19, il ne resterait plus qu’une dizaine de
familles arméniennes et orthodoxes20. L’écart entre l’infrastructure cultuelle héritée, l’image persistante du quartier et la réalité démographique est ici patent.
Brève chronologie d’un dépeuplement irréversible
Sept moments, qui aboutissent au vide actuel, peuvent être distingués dans
cette chronologie du départ des non musulmans d’Istanbul : 191421-1915, 19221926, 1936, 1942, 1955, 1964-1965 et 1973-1974. Nous n’allons pas détailler
chacun de ces moments tragiques de l’histoire des minoritaires d’Istanbul, alors
même que l’accord international sur l’échange de populations de 1923 stipulait
que les grecs orthodoxes établis à Istanbul avant 1918 échappaient à cet échange.
Qu’il suffise ici de rappeler qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les non
musulmans représentaient près de la moitié de la population d’Istanbul, pour
réaliser l’ampleur de l’hémorragie survenue en quelques décennies. Les derniers
moments de cette chronologie, 1964-1965 et 1973-1974 – parallèlement aux
tensions inter-communautaires à Chypre –, se sont soldés par le départ de plus
de 40 000 grecs orthodoxes au total, dont les 12 000 encore détenteurs, au début
des années 1960, d’un passeport grec (Demir & Akar, 1994 : 14).
Avec le départ des non musulmans, la vie de Fatih s’est trouvée profondément
affectée, en ce sens que ces derniers contribuaient largement à la dynamique
économique et sociale locale, par le biais, notamment, de nombreuses boutiques,
de nombreux restaurants et meyhane (sorte de débits de boissons). Jusqu’aux
années 1960, Fatih était en effet réputé pour ses meyhane tenues par des Hellènes
(ou des Rum), des juifs ou des Arméniens, dans les quartiers populaires de
Balat, Fener, Yenikapı, Langa, Karagümrük, Topkapı, Samatya, Yedikule ou
Sulu Manastır (fig. 1). Selon Koçu (2002 : 19), les danseurs (ou köçek, hommes
travestis en femmes) de ces meyhane étaient tous tziganes, Grecs, Arméniens ou
juifs. Aujourd’hui, mis à part Aksaray et Yenikapı, et de façon résiduelle, comme
en lisière, les rives de la Marmara et de la Corne d’Or, lieux de distractions
nocturnes, un certain ordre moral règne partout ailleurs à Fatih.
Enfin, sans que cet apport ne compense la tendance massive au départ, on
signalera que nombre d’Arabes chrétiens de rite oriental (plus de 500 familles,
selon certains de nos interlocuteurs), originaires du sud de la Turquie (et
surtout du département de Antakya/Antioche, correspondant à l’ex-Sandjak
d’Alexandrette), se sont installés ces dernières années à Istanbul, incités à partir
ou participant au mouvement migratoire général vers la métropole. Plusieurs
19. La population est désormais très majoritairement anatolienne, à tel point que l’on dit de Samatya,
en jouant sur l’homophonie : « Samatya oldu Malatya » (Samatya est devenue Malatya). Malatya
est une ville de l’Anatolie centre-orientale à plus de 800 km à l’est d’Istanbul.
20. Cf. Mimar Kültür Dergisi XXI, N. 8 : 133.
21. Au moment de l’enrôlement des minoritaires dans l’armée ottomane.
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églises orthodoxes d’Istanbul sont d’ailleurs gardées et entretenues par ces
migrants récents.
Pour résumer, au terme de l’hémorragie qui s’est déroulée tout au long du
xxe siècle, il ne resterait à Istanbul que 3 000 Grecs orthodoxes environ (Demir
& Akar, 1994 : 15) et peut-être 50 000 Arméniens, catholiques, grégoriens ou
Fig. 1. Carte JFP d’après les fonds de la municipalité de Fatih.
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protestants22. L’arrondissement de Fatih concentrerait le tiers de ces Arméniens,
et seulement une faible part des orthodoxes. Pour un arrondissement de plus de
400 000 habitants au recensement de 2000, c’est donc désormais bien peu.
La présence dans le souvenir : l’effet d’écart
Il semble que la réalité modeste de la présence minoritaire ne soit pas encore
vraiment intégrée par les habitants et gestionnaires locaux actuels. Ainsi, lors
de nos entretiens avec les chefs de quartier (muhtar) de l’arrondissement de
Fatih, des chiffres parfois très exagérés nous ont été fournis, qui témoignent
d’une volonté locale de nier l’effectivité de l’hémorragie ou d’une tendance à
grossir le “danger” que représenterait l’autre. En effet, le seul muhtar de Koca
Mustafa PaÒa nous a parlé, en mai 2002, de plus de 5 000 Arméniens pour son
seul quartier, de taille très restreinte. Localement, il est sûr que l’importance de
l’immigration récente en provenance d’Anatolie, dans les quartiers vidés par les
minoritaires, ne joue pas en faveur de la perpétuation de la mémoire minoritaire,
comme une monographie récente de Samatya l’a bien montré (Cengizkan et
Dora, 2002). Cette nouvelle population, dans l’ensemble pauvre – sa première
préoccupation demeurant la survie au quotidien – et peu éduquée, n’est pas à
même, en tout cas dans les premiers temps, de s’approprier cette mémoire locale
que les pouvoirs locaux ne s’efforcent pas de cultiver, et vit comme en étranger
dans un environnement dont elle ignore largement le passé. Ainsi les quartiers
de Fener et Balat, encore aujourd’hui qualifiés – de l’extérieur – de quartiers
respectivement orthodoxe et juif, ne doivent cette qualification qu’à leur passé.
La localisation du Patriarcat grec-orthodoxe à Fener n’est pas une raison sérieuse
pour faire de ce quartier un quartier orthodoxe ; pas plus que celle du Patriarcat
arménien à Kumkapı. L’écrasante majorité des habitants de ces quartiers jadis en
partie non musulmans – mais encore dans l’esprit d’Occidentaux nostalgiques et
aveugles aux bouleversements démographiques récents – est en effet constituée
d’Anatoliens musulmans.
Cette importante présence des gayrimüslim, dans les représentations attachées
à Fatih tient en fait surtout à l’importance des biens fonciers et immobiliers qui
leur appartiennent encore.
Une toponymie résistante, par traces
Ayazma23
Au niveau des modes de désignation des lieux, le souvenir de la présence des
non musulmans subsiste, comme l’atteste la vivacité d’innombrables appellations
faisant directement référence à celle-ci. Ainsi est-il frappant de voir combien
22. Avec une difficulté concernant ces derniers, dans la mesure où ils ne sont pas reconnus comme
minorité dotée de droits par l’État turc.
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les ayazma, ces fontaines sacrées de la religion orthodoxe, vénérées à l’époque
byzantine – et sans doute aussi antérieurement, pour nombre d’entre elles – ont
perduré dans la toponymie, voire dans les pratiques religieuses et cultuelles,
populaires. Tous les « récits de quartier » qui fleurissent depuis quelques années,
et notamment ceux de O. Türker, abondent de références à ces lieux sacrés,
objets d’une vénération qui dépassait – et dépassent encore dans une moindre
mesure – les seuls grecs-orthodoxes. Par exemple, l’ayazma d’Ayakapı était
encore, il y a dix ou quinze ans, un lieu d’affluence, pour les musulmans aussi.
Si beaucoup d’entre elles ont été détruites ou ne sont plus du tout entretenues,
elles subsistent encore partiellement dans les appellations24.
Ces héritages toponymiques constituent donc encore des repères actifs dans les
pratiques urbaines contemporaines, malgré la tentation (passée ?) des pouvoirs
publics de les éradiquer. Dès lors, même si certaines dénominations ont disparu
des nomenclatures administratives officielles, elles persistent dans les usages.
Cette résistance des toponymes hérités, comme s’ils étaient dotés d’une évidence
“naturelle”, est un phénomène qui mériterait d’être étudié plus précisément.
De vaines tentatives d’effacement ?
Les souvenirs de la présence minoritaire ont été pourtant victimes de diverses
politiques de dénégation et d’occultation. À plusieurs reprises, en effet, ont eu
lieu des tentatives d’éradiquer de la toponymie stambouliote les noms jugés non
musulmans, en rebaptisant rues, avenues et quartiers25.
Ainsi, le nom de Samatya (du grec psamathion, signifiant “sablière”) n’existe
plus en tant que canton administratif (ou nahiye 26), répertorié. C’est en 1964,
au moment du décret d’expulsion des Hellènes d’Istanbul, qu’une directive a
été adoptée, visant à supprimer tous les noms de quartiers « sonnant trop grec ».
C’est alors que le nom de Samatya a disparu des nomenclatures administratives
officielles, pour être remplacé par celui de KocamustafapaÒa. De la même façon,
il n’existe pas, parmi les multiples quartiers administratifs de Fatih (on en compte
67 pour une superficie de 10 km2), de quartiers intitulés Fener ou Balat. L’appellation Fener ne subsiste que vaguement, en tant qu’échelon intermédiaire entre
le quartier et l’arrondissement, pour désigner un ensemble de sept quartiers27.
Cependant, on s’aperçoit qu’à l’usage, certaines appellations persistent, malgré les diktats administratifs. S’il n’y a plus de nahiye administratif “Samatya”,
il existe encore une “avenue de Samatya”, dans le prolongement de l’avenue
23. En grec, eau sainte et bénite.
24. On note encore 41 entrées « Ayazma » dans le guide de la municipalité de 1998 mais plus aucune
dans l’arrondissement de Fatih.
25. En 2002 encore, des directives gouvernementales ont été édictées pour en finir avec les toponymes
jugés “non turcs”, des cartes et des appellations officielles. On ne peut pas dire, cependant, qu’elles
aient été très suivies à Istanbul… Celles des années 1940-1960 ont été plus efficaces.
26. Tel qu’il existe encore dans le guide d’Istanbul de 1934.
27. Cf. Fatih, Tavsiyeli Testli, Istanbul : Özyürek Yayınevi, 1998 : 16.
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de Langa. De même, les noms de commerces contribuent à perpétuer le souvenir
de Samatya, qu’une décision administrative n’a donc pas pu supprimer. Enfin,
un film, Filler ve Çimen et surtout un feuilleton télévisé à succès, İkinci Bahar 28,
ont même puissamment contribué à re-populariser cette appellation, à la fin
des années 1990, sans que le pouvoir central n’y trouve pour l’instant à redire.
Le pouvoir local, aux mains de l’islam politique à la turque depuis 1994, paraît
d’ailleurs désormais presque indifférent à ces enjeux onomastiques. Il en va de
même pour les désignations Fener ou Balat, qui continuent à être utilisées par
les discours touristiques ou planificateurs, voire par des cinéastes et romanciers
contemporains, turcs ou étrangers (comme l’auteur anglais de polars, Barbara
Nadel29).
Pour ce qui est des changements de noms de rues, il est éloquent de comparer
des cartes des années 1930 ou 1940 aux cartes actuelles, pour prendre la mesure
des changements réalisés. Si on fait l’exercice comparatif pour le seul “quartier”30
de Samatya, on s’aperçoit que l’avenue de Samatya, qui apparaît clairement sur
la carte du guide de 1934, ne subsiste en tant que telle, en 1998, que sur un
court tronçon (selon le guide d’Istanbul publié par la municipalité). Elle a été
remplacée par une avenue portant le nom d’un général (Nafiz Gürman). De
même, les rues Samatya akarcası et Samatya değirmeni31, qui figurent sur le
répertoire des rues de 1934, n’apparaissent pas sur celui de 1998. Pour autant,
la mention “Samatya” (Samatya Surları) subsiste pour la désignation du seul
segment des remparts maritimes en arrière desquels passe la route.
Au total, si l’on considère l’ensemble des noms de quartiers de Fatih, et ils
sont très nombreux (fig. 2), aucun ne fait référence, d’une façon ou d’une autre
aux non musulmans. On peut même parler d’une reconquête onomastique de
Fatih par le biais des dénominations administratives, qui participe du processus
de turquification et d’islamisation inhérent aux étapes de la Conquête.
Un bâti « orphelin », malmené : tentatives de réduction
(spoliations et destructions) et négligences
Destructions, exactions, dégradations
Longtemps a prévalu un rapport très trouble au patrimoine minoritaire32,
décrit et vécu comme étranger et donc sans valeur affective, nationale, ou alors
aisément appropriable et même à l’envi défigurable. On sait, en ce qui concerne
28. Réalisé sur la chaîne ATV ; plusieurs restaurants et bars portent aussi le nom du feuilleton.
29. Cf. Cumhuriyet, 27/10/02 : 15.
30. C’est en fait maintenant plus un lieu-dit (semt) qu’un quartier au sens administratif.
31. Signifiant, respectivement, “ruisseau” puis “moulin de Samatya”.
32. Cf. « Gavur malları bunlar, yiyin efendiler yiyin ! » (Ce sont des biens appartenant aux mécréants,
allez-y messieurs, allez-y, croquez les ! ), Evrensel, 9/08/1995.
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Fig. 2. Carte JFP d’après les fonds de la municipalité de Fatih.
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les églises byzantines, qu’un bon nombre a été transformé en mosquées ou reconverties pour abriter des activités non cultuelles. Mais nous ne nous arrêterons pas
ici sur ces anciennes transformations, qui ont déjà été abondamment étudiées
(Eyice, 1986 ; Ötüken, 1979).
Pour la période récente, on pourrait esquisser une chronologie des destructions dont le bâti minoritaire a été l’objet, de 1915 à nos jours, en insistant
sur plusieurs moments de crise : 1915, les années 1920, le début des années
1940, l’année 1955, la période 1963-1964, l’année 1974 et le début des années
1980. Ces destructions ont été nombreuses, sont restées souvent non élucidées
et impunies – ainsi les conditions de l’incendie, en 1941, du Patriarcat grec33 à
Fener ne semblent-elles pas avoir été parfaitement éclaircies – et ont été, dans
bien des cas, irréversibles. En 1955 notamment, de nombreux édifices cultuels
ont été saccagés (73 églises34 selon plusieurs auteurs) et ont dû être, pour certains,
quasi intégralement reconstruits. Certaines estimations35 parlent de la destruction
de plus de 4 000 maisons et lieux de travail à Istanbul durant les seuls 6 et 7
septembre 1955. Les églises ont été, durant ces “événements de septembre”, une
des cibles privilégiées des exactions nationalistes ; beaucoup ont subi des dégâts
importants. À Fatih, d’après Karaca (1995), au moins sept églises dépendant du
Patriarcat (sur 22) ont été sévèrement endommagées en 1955, comme l’atteste
la chronologie des restaurations36.
En outre, certaines opérations d’urbanisme lourd, “par le vide”, menées à la
fin des années 1950 (sous Menderes) et jusque dans les années 1980, ont été
l’occasion et le prétexte pour réduire voire effacer, sciemment ou non, le patrimoine minoritaire. Il suffit de penser aux deux larges percées – les avenues Vatan
et Millet (respectivement “de la patrie” et “de la nation”) – réalisées à la fin des
années 1950, au cœur du tissu ancien de Fatih, en vue de désengorger Aksaray
et de doter la péninsule historique d’avenues pouvant servir, le cas échéant, de
terrains de parade. De même, les cimetières minoritaires n’ont pas toujours été
l’objet d’un grand respect : beaucoup ont fait les frais des grands aménagements
routiers intra-urbains des années 1950-1980 (pensons à l’ouverture du premier
périphérique routier – dénommé de nos jours E-5 – au début des années 1970).
C’était une époque où certains politiciens locaux osaient dire, en parlant des
murailles de Théodose II, « ces monuments étrangers ne nous intéressent pas,
qu’on les détruise ».
Un examen des plans d’assurance-incendie de J. Pervitich, des années 1920,
aide à prendre la mesure des destructions survenues depuis cette date, des années
Menderes aux années Dalan37 (durant la décennie 1980). Parmi les bâtiments
33. Sa reconstruction a finalement été autorisée en 1984.
34. Cf. Radikal, 7/09/2002 : 4.
35. Cf. Radikal, 7/09/2002 : 4.
36. Ces sombres événements, dits “événements des 6 et 7 septembre”, ont consisté en des pogroms
contre les grecs orthodoxes et même contre les non musulmans plus largement – avec de nombreuses
destructions de boutiques et de nombreuses violences physiques – en réaction à l’attitude de la Grèce
à Chypre jugée provocatrice par les milieux turcs nationalistes et les partis politiques.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 273
rasés le long de la Corne d’Or on compte une école grecque (qui se trouvait
face à l’église Saint-Nicolas), plusieurs églises grecques-orthodoxes38, plusieurs
ayazma et une multitude de bâtiments appartenant à des entrepreneurs non
musulmans (comme à des musulmans d’ailleurs). De même, toujours d’après
les mêmes plans, l’église arménienne de Tasios Partimos à Yenikapı a disparu
lors des travaux d’élargissement d’axes routiers.
Ces destructions se poursuivent, sur un mode mineur cependant, plus ou
moins insidieusement, sans, cette fois, l’aval affiché des autorités locales ou nationales. On peut citer pour Fatih le cas de l’église Saint-Nicolas à Ayakapı, au sud
de Fener. Cette église a été victime de vols crapuleux d’icônes en 1995, à deux
reprises, puis d’une véritable opération de saccage, conduite par des “barbus en
chalvar39”, qui ont rappelé à la fondation gérant l’église les pires moments de septembre 195540. Cette église est par ailleurs très exposée aux inondations, à la suite
de la surélévation de la route littorale de la Corne d’Or, à l’époque de B. Dalan.
De la sorte, en 1995, le niveau des eaux est monté à 2 m dans l’église.
Enfin, la difficulté faite aux fondations minoritaires (cemaat vakfı) de
valoriser leurs biens immobiliers, en procédant à des réparations, et les
blocages juridiques multiples relatifs au statut même de ces biens expliquent
la dégradation généralisée qui les caractérise. Bon nombre de ces biens sont
passés, de fait, de l’état d’immeubles à celui de sol. Les rues de Fatih regorgent
d’exemples d’anciens bâtiments tellement en ruine que seul le sol sur lequel ils
ont été édifiés conserve de la valeur. De même, les fondations minoritaires ne
pouvant pleinement prendre possession depuis 1974 des biens acquis – par des
voies diverses : dons, héritages, loterie – entre 1936 et 1974, ceux-ci sont laissés
à l’abandon, faute d’entretien. Il s’agit donc bien d’un bâti orphelin, comme à
l’abandon, à vendre41 ou à prendre.
Les spoliations officielles ou l’attrait du vide
On commence à mieux connaître ce dossier épineux depuis quelques années.
Sur la place d’Istanbul des avocats se sont même spécialisés sur ces questions
sensibles et l’Association turque des Droits de l’Homme s’y intéresse aussi,
comme en témoigne le travail d’une de ses commissions, ainsi qu’un ouvrage
37. Bedrettin Dalan, maire centre droit (ANAP) d’Istanbul, entre 1984 et 1989, originaire de Sivas
en Anatolie.
38. En l’occurrence Panaghia Pammacaristo et Aghios Yanis Sinaïtithos.
39. Le şalvar est un pantalon unisexe, large, à entre jambes très bas, porté par les membres de certaines confréries à Istanbul ; vêtement rural à l’origine, il est devenu dans le contexte urbain un des
attributs d’appartenance à ces mouvances.
40. Depuis quelques années nous revivons en permanence le 6-7 septembre, cf. Radikal-II, 28/06/
1998 : 8.
41. Il nous a été donné de visiter en 2001, à Balat, une maison en bois – vendue par un agent
immobilier de Fener, officiant pour un orthodoxe – qui avait été abandonnée dans la précipitation
en 1964 ; rien n’avait été touché depuis cette date à l’intérieur de la maison.
42. Qui fait suite à une exposition organisée en 1996 (İnsan Hakları Derneği, 2000).
REMMM 107-110, 261-295
274 / Jean-François Pérouse
courageux42 consacré à une spoliation « exemplaire » – et récente – à Tuzla
(2000). De même, les recherches de A. Aktar (2000) permettent d’y voir plus
clair quant aux spoliations opérées à l’occasion de l’impôt sur la fortune (varlık
vergisi) de 1942-1944, dont 87 % des redevables à Istanbul ont été des non
musulmans (Aktar, 2000 : 223). Une partie de ces redevables a été en effet contrainte, pour payer l’impôt rapidement exigé, de vendre ses biens immobiliers,
le plus souvent à vil prix, compte tenu des conditions et pressions. Et ceux qui
n’ont pas réussi à vendre leurs biens se les sont vus saisir (hacız) pendant leur
exil à Aşkale. La période qui va de la fin 1942 à 1944 apparaît donc comme un
moment d’intenses transactions sur le marché immobilier stambouliote (Aktar,
2000 : 226). En continuant à suivre Aktar, si l’on considère cette fois-ci les
acheteurs, on remarque que ce sont à 67,1 % des Turcs musulmans, à 0,6 %
des sociétés turques musulmanes, à 30 % des institutions turques publiques ou
semi-publiques (compagnies d’assurance, Municipalité d’Istanbul, Direction
générale des Fondations pieuses…) et à 2,3 %, des non musulmans.
Pour l’arrondissement de Fatih spécifiquement, à partir des données de l’Association turque des Droits de l’Homme, on peut esquisser un tableau (tab. 4),
non exhaustif, des biens immobiliers spoliés, qui appartenaient à des fondations
grecques orthodoxes.
Les spoliations se sont aussi faites très officiellement, au terme de la décision
de mai 1974, par annulation du titre de propriété par la Direction générale
des Vakıf (ou Fondations pieuses) et par transfert des biens minoritaires acquis
depuis 1936 à l’Office des biens publics (Milli Emlâk Ofisi), au Trésor (Hazine)
ou à la Direction générale des Fondations. Par ce biais, 483 propriétés arméniennes (pour l’essentiel situées à Istanbul) et acquises avant 1974 ont été saisies
par diverses instances publiques. De la sorte, en 2002, à la suite des mesures
de 1974, la seule Direction générale des Fondations se trouve en possession de
159 propriétés qui appartenaient à l’origine à des fondations minoritaires43,
dont 77 à des fondations grecques orthodoxes44, 52 à des arméniennes et 19
à des juives.
À cet égard, les débats parfois virulents suscités au cours de l’année 2002 par les
réformes législatives opérées dans le cadre de la mise en conformité de l’appareil
de lois turc au système juridique européen45, préalable à toute négociation en
vue de l’intégration de la Turquie à l’Union européenne, ont conduit à reposer la
question du statut des biens fonciers et immobiliers des minorités46. Le quatrième
article de ce qu’on dénomme les lois d’harmonisation (uyum yasaları), votées
en août 2002, autorise en effet à nouveau les fondations minoritaires à faire
43. Cf. Radikal, 19/10/2002 : 5.
44. Sur un total de 82 confisquées.
45. Voir la loi numéro 4771 adoptée le 3 août 2002 ; cf. Radikal, 31/10/2002 : 9 et Istanbul Barosu,
Cemaat Vakıfları Bugünkü Sorunları ve Çözüm Önerileri (Problèmes actuels des communautés minoritaires et propositions de solution).
46. Aucune précision n’est fournie par le Traité de Lausanne, qui indiquerait clairement quelles sont
les minorités concernées. On a là affaire à une ambiguïté fondatrice.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 275
Tableau 3. Personnes obligées de vendre leurs biens immobiliers pour payer l’impôt sur la fortune,
dans les arrondissements de Beyoğlu-Şişli, Eminönü, Fatih, Kadıköy et des Iles,
entre le 12 décembre 1942 et le 30 juin 1943.
Part du total des ventes (en %)
Nombre de biens vendus
Juifs
39
151
Arméniens
29
211
Grecs-Orthodoxes
Sociétés tenues totalement
ou en partie par des minoritaires
Étrangers
12
124
12
6
5
27
Autres minorités
0,3
7
Musulmans
0,8
10
Sociétés tenues par des musulmans
0,1
1
Source : Aktar, 2000 : 229.
Tableau 4. Biens immobiliers de fondations grecques-orthodoxes, spoliés à Fatih.
Quartier
Rue ou avenue
Ilôt/Parcelle
Hüseyina…a
Tütünlük
1221/11
Kasım Gürani
Çilingir
2355/5 (porte 25)
KüçükmustafapaÒa
İmrahor İlyas Bey
AbdülezelpaÒa, 176
İstasyon
2082/14
1274/1
Hamami Muhittin Hacı
Rıza
1867/7 (porte 18)
Beyazid A…a
Kemikliburun
1567/32
Beyazid A…a
Kemikliburun, N.23/1
1574/1, pafta 384
Atikmustafa
Tandır
2894/22
Hacı Evhattin
Yedikule
2454/5
Hacı Evhattin
Tayyareci Rıdvan et Hacı Manav
1071/35
Tevkii Cafer
Hacı Piri et SarmaÒıklı
Bakidede
1288/17
Tevkii Cafer
Bakidede
2291/11, pafta 271
Tevkii Cafer
Badya
2318/21
Tevkii Cafer
Badya
2318/21, pafta 272
Tevkii Cafer
Bakizade
2296/2
Hacı Huseyina…a
Org. Abdurrahman Nafız Gürman
1216/28
Hacı Huseyina…a
Tütünlük
1227/2
Katip Muslahaddin
Abdi subaÒı Mektebi
İmam Kürkçü Hüseyin
2281/25
İmrahor İlyasbey
İmrahor İlyasbey
Kuyulu Bakkal
1261/1
Hacı Evhattin
2291/11
1262/37
Source : İnsan Hakları Derne…i, 2000, Tuzla Ermeni Çocuk Kampı. Bir el koyma öyküsü (Le camp pour enfants
de Tuzla. L’histoire d’une spoliation), Istanbul : 59-60.
REMMM 107-110, 261-295
276 / Jean-François Pérouse
des acquisitions immobilières (droit qui leur avait été retiré en 197447), sous
réserve de l’accord du Conseil des ministres. Mais l’application concrète de cet
article demeure entravée et sujette à débats après les restrictions formulées par
le Conseil de la Sécurité nationale (MGK). En outre, l’interprétation de cet
article achoppe sur le concept de communauté (cemaat), dont l’extension serait
à préciser. S’agit-il seulement des communautés telles que sous-entendues au
moment du traité de Lausanne (articles 38-45 du traité) ou peut-on intégrer
les Syriaques, les Chaldéens, les Bulgares et les protestants48 ? Par ailleurs, le
statut des biens acquis par les fondations minoritaires49 entre 1936 (date de
l’obligation de déclaration des biens immobiliers faite aux minoritaires) et 1974
reste incertain. En outre, en vertu d’un décret d’application (yönetmelik), suggéré
par intervention directe des militaires du MGK50, entré en vigueur le 4 octobre
2002 en vue d’appliquer les lois d’août, dont la conformité à la Constitution
est discutée par de nombreux juristes51, la question du rôle et des prérogatives
exactes de la Commission subordonnée aux minorités (Azınlık Talı Komisyonu),
instance liée au Premier ministre, ne semble pas encore réglée. Puisque, selon
certaines interprétations du nouveau texte de loi, ladite commission ne serait
pas seulement compétente pour l’enregistrement des nouvelles acquisitions des
communautés minoritaires, mais aurait aussi un droit de regard sur les anciennes
acquisitions (réalisées avant 1936). De plus, le décret d’octobre 2002 introduit
de nombreuses restrictions et conditions supplémentaires, qui alourdissent les
procédures (puisque six instances différentes devront être tour à tour sollicitées),
à l’achat d’un bien immobilier par une fondation minoritaire52. Pour résumer, le
débat sur ces lois et les résistances qui s’expriment, révèlent combien certaines
fractions de l’appareil d’État sont réticentes à clarifier la situation juridique des
biens immobiliers minoritaires, de peur sans doute que nombre de spoliations
officielles n’apparaissent au grand jour.
Les spoliations « spontanées » : les petits coups de force
Par ailleurs, à Fatih, comme dans d’autres arrondissements (Eminönü,
Beyo…lu ou ¥iÒli), une partie des biens fonciers des non musulmans a été de
fait saisie par diverses entreprises à caractère mafieux, à la recherche de rentes
47. Cf. « Azınlık vakıflarının mülk sorunları » (Les problèmes de propriété des fondations minoritaires), Radikal-Iki, 03/11/2002 : 3.
48. Cf. Milliyet, 6/10/2002 : 15 (Les minorités ne peuvent pas être heureuses).
49. Selon le Directeur général des Fondations, il y a en Turquie 160 fondations minoritaires (sur un
total de 4 500 fondations enregistrées dans le pays), qui possèdent 4 000 biens immobiliers, pour
l’essentiel à Istanbul ; cf. Zaman, 27/09/2002 : 1 et 3.
50. Cf. Milliyet, « Vakıflarda askerin dediği oldu » (Il a été fait pour les vakıf comme l’ont dit les
militaires), 5/10/02 : 15.
51. Au terme d’une décision de la Cour suprême turque, prise dans le contexte de tensions à Chypre ;
cf. « Hukukçular ‘iptal’ diyor » (les juristes disent “annulation”), Agos, 25/10/2002 : 1.
52. Cf. Salom, 16/10/2002 : 8.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 277
aisées. Celle des parkings, dont l’influence et le pouvoir sont connus, compte
tenu du manque de parkings publics (alors même que le parc automobile s’est
considérablement accru ces dernières années), et du caractère très lucratif de
cette activité, apparaît fort active. Celle de l’immobilier est aussi fort intéressée
par les biens vacants.
Au-delà, on note une corrélation entre l’état du bâti et la propriété non
musulmane. Autrement dit, une bonne partie des maisons et immeubles qui
menacent ruine sont propriété, à l’origine en tout cas, de non musulmans. Et à
partir d’un degré avancé de dégradation, au nom de la sécurité, la préfecture et
les mairies d’arrondissement finissent par récupérer de fait ces biens.
Photo 1. Immeuble en ruine à Samatya (JFP, 2002).
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278 / Jean-François Pérouse
On a même parfois le sentiment que le dépérissement est accéléré (bois arrachés, incendies…), pour pouvoir récupérer le sol. Ainsi à Samatya, rue Mütesellim, n.50 (photo 1), pouvait-on voir encore en avril 2002 les restes d’une
superbe maison – avec colonnes encadrant l’entrée – dont le terrain était déjà à
vendre, d’après un mauvais écriteau, chez une personne située à Laleli. L’absence
physique des propriétaires des bâtiments de gayrimüslim53 crée à l’évidence des
conditions favorables à toutes les dégradations, de la part d’un voisinage aux
moyens de subsistance souvent réduits, tenté par les ressources qu’offrent ces
biens immobiliers inhabités depuis des décennies.
Les négligences ordinaires et les tracasseries permanentes
À propos des dégradations, il serait abusif, et même faux, de prétendre que
les partis qualifiés d’“islamistes” en sont responsables. Car l’islam politique n’est
au pouvoir à Istanbul que depuis mars 1994. En outre, il ne faut pas oublier
que même le bâti ottoman, hérité, n’a pas toujours été, non plus, dignement
traité : les maisons de bois de la péninsule historique, considérées comme des
exemples précieux d’architecture civile ottomane, et classées à la fin des années
1970, attendent toujours d’être réhabilitées, quand elles n’ont pas été brûlées
par les mafias du parking. Même la mosquée de Fatih, haut lieu de l’histoire
turco-ottomane, n’a pas été restaurée comme elle le mériterait (elle a en effet été
affectée par le tremblement de terre d’août 1999)54. Une cabane s’apparentant à
un véritable gecekondu (bidonville) a même été récemment édifiée par des gardiens à quelques mètres du mausolée du vénéré Conquérant de Constantinople.
De même, le tekke (sorte de couvent) de Kadem-i Şerif attend toujours d’être
réinvesti, à l’instar des 164 maisons de Zeyrek dont la mairie de Fatih avait
annoncé le “sauvetage” durant l’été 199755. Ainsi, faute de moyens souvent, le
patrimoine ottoman, musulman, demeure-t-il lui aussi encore très négligé et
peu valorisé, mis à part quelques opérations ponctuelles, dûment médiatisées56.
Donc prêter aux partis de l’islam politique une volonté spécifique de nuire au
patrimoine minoritaire nous semble une accusation infondée, en tout cas pour
les équipes en place depuis 1994, tant le bâti musulman reste l’objet de soins
encore limités, ou fort maladroits.
Dans ce contexte, les négligences bureaucratiques, les budgets insuffisants,
l’incurie de l’Administration générale des Fondations et les tolérances par rapport
53. Pour risquer cette métonymie…
54. Cf. « Fatih Camii çöküyor » (La mosquée de Fatih s’effondre), Sabah-Istanbul, 28/07/2000 : 5.
55. Cf. « Zeyrek müjdesi » (Bonne nouvelle pour Z.), Sabah-Istanbul, 03/08/1997, 1 et « Zeyrek
yasa kurbanı » (Z., victime de la loi), Sabah-Istanbul, 4/08/1998 : 1.
56. Cf. « Karakolu restore ettiler » (Ils ont restauré le poste de police), Hürriyet, 11/10/1999 : 11 ; à
propos d’un poste de police à Kocamustafa Pa‚a, datant du début du xixe siècle. Voir aussi « 70 yıl
sonra onarım ba‚lıyor » (70 ans après, la restauration commence), Sabah-Istanbul, 03/08/1997 : 3, à
propos de la mosquée de Sultan Yavuz Selim ou « Medreseler aslına dönüyor » (Les medrese reviennent
à leurs origines), Zaman-Istanbul, 01/02/1997 : 1, au sujet du réinvestissement de ces édifices par
trop négligés jusque-là par la municipalité de Fatih.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 279
aux abus et autres faits accomplis ont largement entraîné plus de dégâts que les
appropriations et destructions malintentionnées. En d’autres termes, quand les
nouvelles équipes politiques se soucieront vraiment de “leur propre patrimoine”
– si tant est que ce type de qualification ait du sens –, dans le même mouvement, elles s’intéresseront à l’autre, comprenant qu’il est en fait indissociable
du premier.
Au chapitre des tracasseries, on peut citer les procès intentés par les pouvoirs
publics locaux ou nationaux à certaines fondations minoritaires, au motif qu’elles ont procédé à des restaurations et réaménagements de bâtiments sans avoir
demandé toutes les autorisations nécessaires. Ainsi dernièrement, pour en rester
à Fatih, le président de la fondation de l’église arménienne Tateos-Partogomos
(à Yenikapı) a-t-il été condamné pour avoir restauré une maison en bois qui
menaçait ruine, propriété de ladite fondation57, en se contentant d’un accord
oral de la municipalité de Fatih ; ce, malgré l’accord en bonne et due forme du
ministère de la Culture (Conseil des monuments). Quand on sait le nombre de
faits accomplis de ce type – perpétrés impunément, autant par des particuliers
que par les pouvoirs locaux –, on est en droit de parler d’une forme de discrimination d’ordre administratif.
Les discours justificateurs des exactions
Certaines des exactions commises l’ont été dans un climat de quasi-hostilité
à l’encontre des non musulmans et de tout ce qui, de près ou de loin, leur était
associé. Entre 1994 et 1997, par exemple, la municipalité métropolitaine du
Grand Istanbul a été un des vecteurs principaux de ce discours de défiance,
justifiant certaines opérations qui ont eu pour conséquence de réduire le patrimoine bâti minoritaire. L’annulation en août 1994, suite à des menaces sérieuses envoyées aux organisateurs par des extrémistes religieux, d’un symposium
programmé par la Fondation Vehbi Koç intitulé « De Constantin le Grand à
Mehmet le Conquérant, Constantinopolis-Istanbul » s’inscrit bien dans ce climat
d’alors, où l’exaltation du passé islamo-ottoman semblait devoir nécessairement
passer par le refoulement de l’histoire des autres. De même, les festivités du 900e
anniversaire de la fondation de l’Empire ottoman, organisées par la municipalité
métropolitaine en 1999 ont été marquées par une propension à l’occultation de
l’apport minoritaire.
Plus récemment encore, comme pour justifier certains coups de force sur
le patrimoine minoritaire, on assiste localement, à l’endroit des chrétiens, à la
recrudescence du discours du complot et de l’“ennemi de l’intérieur”. Par exemple, depuis quelques années, à Fener, la vox populi – nous avons pu le constater
à l’occasion d’entretiens réalisés en mai 2001 auprès des muhtar – exprime sa
défiance par rapport au projet de restauration de l’Union européenne (UE) et
57. Cf. Agos, 25/10/2002 : 1.
REMMM 107-110, 261-295
280 / Jean-François Pérouse
de l’Unesco58, véhiculant la thèse du complot, constante d’un certain discours
politique turc sur l’étranger. Comme si l’objectif de l’UE, qui pourtant souhaite
agir en collaboration étroite avec la mairie de Fatih, était, selon cette rumeur
tenace59, de créer une sorte de “Vatican orthodoxe”60. Ainsi, le retard dans le
lancement du projet de réhabilitation est-il interprété comme une occasion de
reconquête spontanée de Fener et Balat pour certains musulmans qui prétendent
avoir été exclus du projet international61.
Cette rumeur à composantes paranoïaques rejoint une angoisse de plus en
plus perceptible aujourd’hui à Istanbul, qui a trait au supposé prosélytisme chrétien, censé cyniquement exploiter la crise économique pour faire de nouveaux
adeptes62. Selon ce discours, des missionnaires chrétiens profiteraient du désarroi
économique de certains Turcs, crédules, pour les enrôler et les convertir, en leur
faisant miroiter notamment la possibilité de prendre le chemin de l’Europe au
moyen de leur nouvelle identité chrétienne.
Une mémoire enfin réactivée
ou le sentiment coupable d’une absence irremplaçable ?
Les nouvelles manières d’évoquer la présence passée
des gayrimüslim
Une des formes les plus fréquentes de ce nouveau discours s’incarne
actuellement dans la série des récits de jeunesse et d’enfance, publiés en nombre
depuis quelques années, qui participent aussi de l’essor récent des histoires locales
et orales en Turquie. La grande majorité de ces récits, qu’ils soient écrits par
des musulmans (Arıkan, 2001 ou Atabeyo…lu, 2002) ou des non musulmans
(Mintzuri, 1994), abondent dans l’exaltation de la concorde passée et de la
bonne entente, à l’échelle du quartier, entre enfants de confessions différentes.
L’article de S. Sezer (2001) dans la revue Turist nous semble à cet égard très
emblématique, en ce sens qu’il relate la fréquentation indifférenciée des ayazma,
du temps de son enfance. Le sous-titre de son article précise d’ailleurs bien : « ma
famille n’était pas orthodoxe, ni chrétienne… ». Tout au long de son article,
58. Le projet a émergé à l’occasion de la Conférence Habitat-II en 1996, et a donné lieu à un préprojet publié en 1998, avec la collaboration de l’Institut français d’études anatoliennes ; cf. Balat
ve Fener Semtlerin Rebanilitasyonu (Istanbul Tarihi Yarımadası), Fatih Belediyesi, Avrupa Birli…i,
Unesco, Fransız Anadolu Ara‚tırma Merkezi (IFEA), 1998 : 142 p.
59. Que C. Baslangıç décèle déjà en 1995 ; et qu’une série d’entretiens avec les muhtar de Fatih en
mai 2001 nous a aussi permis de capter.
60. Voir aussi A.S. Bilge, 1997 : 34.
61. Cf. « Fener’e nur ya…iyor » (La lumière pleut sur Fener), Tempo 2002, 755 : 32-35.
62. Pour ce type d’accusations (à nouveau ?) ouvertement portées, voir par exemple : « Dinin kilosu
kaça ? » (Le kilo de religion à combien ?), Metropol, février 2002 : 78-80.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 281
S. Sezer exalte donc l’indistinction confessionnelle passée, vécue à travers le
regard d’un enfant ne faisant pas la différence entre ses petits camarades de
confessions multiples. En effet, les eaux sacrées des ayazma étaient, et le restent
dans une moindre mesure, aussi fréquentées par des musulmans.
De la même façon, “l’idéologie de la mosaïque63” turque ou anatolienne,
qui prend acte de la diversité culturelle inhérente à la société turque, va dans le
même sens puisque dans cette mosaïque64 une place est faite aux non musulmans.
Cette ouverture aux minorités religieuses est nette dans les milieux se réclamant
de près ou de loin de l’islam politique65, manifestement moins imprégnés d’une
vision de la nation trop exclusive. Ainsi, depuis quelques années, la municipalité
métropolitaine d’Istanbul (IBB) – aux mains de l’islam politique alaturka
depuis mars 1994 –, comme les municipalités d’arrondissement, a-t-elle investi
ce discours de la tolérance, qui tend à réhabiliter le passé multiconfessionnel
d’Istanbul. Dans cette perspective, ladite municipalité métropolitaine66 se targue
de compter depuis 1998 un conseiller spécial du maire, « responsable de la
Culture et des Minorités », un Stambouliote arménien67. Parallèlement, la mairie
d’arrondissement de Fatih a été dirigée entre 1994 et 1998 par un maire ANAP68,
Sadettin Tatan, très attaché au mouvement de réhabilitation du patrimoine
minoritaire, et promoteur d’un nouveau discours sur cette présence.
Les acteurs de cette réactivation :
le rôle d’initiateurs étrangers et turcs
Bien avant l’attention récente portée sur Fener-Balat, des initiatives étrangères
prises dans différents quartiers de Fatih, en vue de valoriser le patrimoine bâti
– entre autres chrétien – ont eu un effet stimulant. Sans parler des actions portant
seulement sur des monuments, comme celle concernant Kariye – orchestrée par
des spécialistes américains à partir de 1948 –, on peut évoquer les initiatives
allemandes prises dans le secteur de Zeyrek, avec le soutien de l’Unesco, dans
les années 1960-1970 (Müller-Wiener et Cramer, 1982), qui n’ont pas dépassé
le stade du diagnostic et de la formulation de louables intentions. Mais il serait
erroné de réduire le mouvement de mobilisation actuelle, en vue de modifier le
regard sur le patrimoine minoritaire, à l’action des chercheurs étrangers.
63. Cf. « Büyükada’da din mozai…i » (Mosaïque religieuse à Büyükada), Cumhuriyet, 25/09/1999 : 8.
L’auteur de l’article insiste en effet sur la présence de musulmans pour le jour de « Aya Tekla » dans
l’église Aya Yorgi de Büyükada.
64. Cf. « Bu da yılba‚ı mozai…i » (Ça aussi c’est la mosaïque du Nouvel An), Radikal, 27/12/
2000 : 5.
65. Le quotidien Zaman, par exemple, réputé proche de la confrérie des Fethullahçi, fait depuis mai
2001 une place régulière à un journaliste minoritaire (Zaman, 15/09/2002 : 16).
66. Dont le maire, Ali Mufit Gürtuna est aussi un des animateurs de l’Association du Mouvement
pour la Tolérance.
67. Cf. Radikal-Cumartesi, 29/06/2002 : 2.
68. Parti de la Mère Patrie, de centre droit, créé en 1983 par Turgut Özal.
REMMM 107-110, 261-295
282 / Jean-François Pérouse
Les restaurations ou rénovations69 de maisons entreprises à l’initiative de
l’Automobile Club de Turquie et de son responsable Çelik Gülersoy, auteur
d’une multitude d’ouvrages sur Istanbul, sans aucune discrimination d’ordre
confessionnelle, sont de ce point de vue remarquables, même si elles font l’objet
de controverses. On peut même dire qu’elles furent pionnières et courageuses
dans les premiers temps, comme les rénovations de maisons en bois réalisées
autour de l’église byzantine de Kariye (ou Saint-Sauveur-in-Chora) dès le début
des années 197070. Pour Gülersoy en effet, Istanbul est un tout, qui doit faire
l’objet de soins urgents visant à préserver ses innombrables richesses, quelle qu’en
soit l’origine (la question des origines étant selon lui une fausse question). De
même, l’attention des enseignants-chercheurs turcs en architecture, en urbanisme ou en histoire de l’art s’est aussi portée vers ce patrimoine – dès 1968
pour Zeyrek – avec cependant parfois une tendance à vouloir le turquifier. Les
relevés architecturaux effectués à cette période dans les quartiers de la péninsule
historique tendaient en effet souvent à confondre “ottoman” et “turc”.
Parallèlement, la presse turque71 a participé et participe encore à l’instauration d’une autre approche du passé et du présent minoritaires, en les valorisant
sur un mode fréquemment folklorisant ; la différence religieuse étant érigée en
particularisme presque exotique. En outre, un auteur (guide touristique hellénophone) comme O. Türker, qui a publié déjà une série d’ouvrages sur les quartiers
anciennement à majorité orthodoxe, participe aussi, à sa façon, au mouvement
d’exhumation d’un passé par trop refoulé.
Le rôle de fondations et d’associations
Parmi les associations engagées dans ce processus, la ÇEKÜL72 revêt une place
notable. Cette dernière s’est notamment impliquée dans la mobilisation pour
sauver l’église bulgare Sveti Stefan de Fener [cf. « Kilise Haliç Yolcusu » (Voyage
de l’église vers la Corne d’Or), Radikal, 17/08/2001 : 3] qui est en train de s’enfoncer dans le sol meuble, constitué de mauvais remblaiements sur la Corne d’Or.
Le responsable de cette association, le prof. Mete Tapan, a largement contribué
à sensibiliser l’opinion stambouliote sur le sort de cet édifice menacé, considéré
d’un seul point de vue architectural comme un des premiers exemples de construction métallique préfabriquée à Istanbul. Par ailleurs, une fondation comme
la Fondation pour l’Histoire (Tarih Vakfı) – créée en 1975 – joue aussi un rôle
important par un ensemble d’initiatives, tant dans le domaine de l’édition que
dans l’organisation d’événements (colloques ou séminaires) ou le montage de
69. Dans ce cas, il s’agit de complètes (et conjecturales) recréations d’un bâti historique.
70. Cf. Gülersoy, 1985.
71. Surtout les quotidiens Milliyet, Radikal et Zaman, par le biais d’éditorialistes comme M. Belge
ou O. Ekinci ou de journalistes comme C. Ba‚langıç.
72. Le sigle développé est : Çevre ve Kültür Değerlerini Koruma ve Tanıtma Vakfı, soit « Fondation
pour la Protection et l’Information sur les Valeurs Environnementales et Culturelles » ; voir son site
internet : http://www.cekulvakfi.org.tr/
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 283
projets, comme celui d’un musée d’Istanbul, qui ferait aux minoritaires une part
plus claire et positive que celle que l’histoire dominante leur fait d’ordinaire.
Parmi les fondations, la fondation Koç peut être citée pour les efforts entrepris
à Zeyrek, qui se sont traduits par la restauration – à finalité commercialo-touristique –, achevée en 1997, d’un bâtiment73 situé à proximité de l’ancienne église
Pantocrator. Ce type d’intervention, s’il demeure ponctuel et intéressé, a cependant
des effets d’entraînement, pas toujours anticipés, en ce sens qu’il attire l’attention
des détenteurs nationaux de capitaux sur des secteurs centraux de l’agglomération
jusque-là largement délaissés par ces derniers. Dans ce cas, on voit bien dans
quelle mesure le secteur privé – une très grosse holding en l’occurrence – peut
être le moteur d’une reconquête urbaine permettant de valoriser un héritage non
musulman. L’implantation récente de l’université privée Kadır Has à Cibali, sur
les bords de la Corne d’Or, s’inscrit dans ce retour des investisseurs nationaux au
centre historique, qui semble initier un autre rapport au bâti hérité.
Le relais pris par les politiques
L’ancien maire de Fatih – entre 1994 et 1998 – S. Tantan74 peut, à cet égard,
être cité en exemple, tant il a contribué au changement d’approche des autorités
locales turques sur cette question du patrimoine hérité. Rompant avec le point de
vue simpliste et excluant, longtemps prédominant, selon lequel « le patrimoine
minoritaire n’avait pas d’intérêt puis qu’il n’était pas turc », Tantan a activement
œuvré pour une autre approche plus tolérante et positivement différentialiste
de l’héritage bâti à Fatih. En premier lieu, il a soutenu vivement, à partir de
1997, le projet de protection de Zeyrek (Zeyrek Koruma Projesi), imaginé dès
1979, avant même le classement officiel du quartier par l’Unesco75. Associant
la mairie d’arrondissement de Fatih, le ministère de la Culture, le Conseil des
monuments et la Direction générale des musées, ce projet, qui comptait sur un
financement de l’Union européenne, visait à aider les propriétaires de maisons
en bois à procéder à la restauration et valorisation de celles-ci.
Le même S. Tantan s’est aussi investi dans le projet de réhabilitation des
quartiers de Ferner-Balat – soutenu par l’Union européenne –, d’esprit encore
plus ouvertement pluraliste, en tant qu’il constitue une claire reconnaissance
de l’apport hellène, juif et arménien à l’histoire urbaine locale. À cet égard, la
cérémonie de présentation du projet de réhabilitation, en juin 1998, au Patriarcat
orthodoxe de Fener, constitue une sorte de point d’orgue de cette nouvelle
position des pouvoirs locaux. La méfiance et la suspicion de ceux-ci, vis-à-vis
du Patriarcat notamment, semblent, à partir de cette date, peu à peu laisser la
place à la collaboration.
73. Dénommé Zeyrekhane.
74. Voir la biographie qui lui a été récemment consacrée : Ünlü F., 2001.
75. Après la signature par la Turquie, en 1983, de la Convention sur le Patrimoine mondial de
1972, l’inscription des secteurs historiques d’Istanbul à la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco
a été décidée en 1985.
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284 / Jean-François Pérouse
Donc, si le temps où les responsables politiques locaux, évoquant le bâti non
musulman, affirmaient ouvertement et sans vergogne « ce passé ne nous appartient pas, nous pouvons en détruire les vestiges encombrants », l’émergence d’une
conscience patrimoniale transversale, articulant tous les fragments d’histoire que
cristallise Istanbul est loin d’être accomplie. Si les exactions contre les vestiges
du passé stigmatisé comme non musulman se poursuivent76, elles n’ont plus
l’aval, tout au moins avoué, des pouvoirs politiques qui, au contraire, exaltent
désormais toutes les formes de différence culturelle, faisant parfois montre d’un
relativisme presque excessif.
Les formes de survie du patrimoine bâti minoritaire
Une survie par les écoles
Une partie du bâti des non musulmans subsiste par l’intermédiaire des écoles,
malgré la difficulté à maintenir les classes ouvertes, compte tenu de l’érosion
démographique signalée plus haut (d’où l’existence d’écoles dites “inactives”,
c’est-à-dire ouvertes officiellement, mais sans élèves). Ces écoles, qui dépendent
du ministère de l’Éducation turque, ont un statut privé et sont gérées par des
fondations (tab. 4 et fig. 2). Elles sont sous la surveillance étroite du ministère
de l’Éducation, comme la fermeture en 2002 d’une école arménienne de Şişli l’a
rappelé, dont le directeur, aussitôt limogé, était accusé de faire du prosélytisme
chrétien77. Certaines d’entre elles, tout en étant reconnues, ne disposent cependant pas d’équivalences permettant de poursuivre la scolarité dans le système
turc pour les élèves diplômés ; ce qui en réduit l’attractivité.
Tableau 4. Les écoles privées, grecques orthodoxes et arméniennes,
de l’arrondissement de Fatih en 2001-2002.
Nom de l’école (en turc)
Özel MaraÒlı Rum İlköğretim Okulu
Özel Fener Rum Erkek Lisesi
Özel Yuvakimyon Rum Lisesi (école “inactive”)78
Özel KMP Anarat Higutyun Ermeni İlköğretim Okulu
Quartier ou « lieu-dit »
Abdi SubaÒı
Fener
Fener
Özel Topkapı Levon Vartuhyan Ermeni İlköğretim Okulu
KocamustafapaÒa
Fatma Sultan
Özel Sahakyan Ermeni İlköğretim Okulu
KocamustafapaÒa
Özel Sahakyan Ermeni Lisesi
KocamustafapaÒa
Source : site internet de la préfecture d’Istanbul (Direction de l’éducation nationale d’Istanbul)
Sur un total de 12 établissements d’enseignement grecs orthodoxes pour tout
Istanbul, Fatih en compte trois79, dont un “inactif ” et privé d’équivalences ; sur
un total de 22 établissements d’enseignement arméniens pour tout Istanbul,
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 285
Fatih en compte donc quatre80 (photo 2). Si la concentration est moins importante qu’à Şişli par exemple, le rayonnement de ces établissements de Fatih est
grand dans la communauté et surtout leur survie physique – bien souvent les
bâtiments sont imposants par rapport au nombre d’élèves actuels – assure la
visibilité de la communauté. Cependant, la contrainte qu’impose l’acte constitutif des fondations minoritaires empêche d’utiliser les bâtiments scolaires à une
autre fin que celle établie par cet acte. Or la diminution et le vieillissement de
la population minoritaire ont imposé la fermeture de nombre d’établissements
scolaires, qui ne peuvent pas être investis par d’autres activités que celles initialement prévues… et tombent donc en ruine.
Les églises : une étonnante survie ?
D’après Karaca (1995), sur les centaines d’églises dépendant des 52 communautés grecques-orthodoxes d’Istanbul, 95 – dont 85 liées directement au
Patriarcat grec-orthodoxe – demeurent ouvertes au culte. Un pourcentage important de celles-ci est situé dans l’arrondissement de Fatih, et surtout à Samatya
(tab. 5 et photo 3).
Tableau 5. Églises et monastères grecs-orthodoxes de Fatih, liées au Patriarcat, ouvertes au culte.
Quartier
Églises
Fener
3
Ayakapı
1
Yenikapı
1
Altımermer
1
Samatya
5
Belgradkapı
1
Topkapı
1
Sarmaşık
1
Edirnekapı
1
Salmatomruk
1
76. L’énumération en serait fastidieuse et douloureuse ; pour un exemple, cf. « Gavur malları bunlar,
yiyin efendiler yiyin ! » (Ce sont des biens appartenant aux mécréants, allez-y messieurs, allez-y,
croquez-les ! ), Evrensel, 9/08/1995.
77. Cf. Radikal, 18/04/2002 et Agos, 15/02/2002 : 1-12. Certaines chaînes de télévision, comme
TGRT, ont d’ailleurs participé avec une lourde insistance à la fabrication de ce scandale. On rappellera, à l’inverse, que des grandes plumes de l’islam turc ont dénoncé le ridicule de cette affaire.
78. Il s’agit d’établissements fermés de fait, faute d’élèves, mais pas de droit. Ils peuvent théoriquement
rouvrir à tout moment (Anastassiadou & Dumont, 2003 : 16-26).
79. C’est l’arrondissement de Beyo…lu qui en concentre le plus, soit 6 sur un total de 21 dûment
répertoriés.
80. Pour les Arméniens c’est Şişli, avec 6 sur un total de 22.
REMMM 107-110, 261-295
286 / Jean-François Pérouse
Photo 2. Lycée arménien à Samatya (JFP, 2002).
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 287
Photo 3. Église orthodoxe d’Aya Yorgi à Samatya (JFP, 2002).
Tekfursarayı
1
Eğrikapı
1
Ayvansaray
2
Silivrikapı
1
Balatkapı
2
Total Fatih
22
Source : Karaca, 1995 : 58-61.
Ces églises font l’objet depuis quelques années de soins redoublés. L’impression d’abandon qui prévalait il y a dix ans encore n’est plus de mise, à Samatya
par exemple. Pour autant, la fréquentation reste limitée… Avec ces restaurations,
on est dans une sorte d’effet de façade ou de décor.
Tableau 6. Les fondations minoritaires de Fatih (sur les 160 fondations reconnues en Turquie,
par la loi du 2 août 2002) (voir fig. 2).
Grecques-orthodoxes
Fener : Maraşlı Rum İkokulu Vakfı ; Yoakimion Rum Kız Lisesi Vakfı ; Rum Erkek Lisesi Vakfı ;
Tekfursaray Panayiançerli Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı ; Vlahsaray Panayia Rum Ortodoks Kilisesi
Vakfı ; Meryem Ana Rum Ortodoks (Kanlı) Lisesi Vakfı
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288 / Jean-François Pérouse
Eğrikapı : Panayia Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Aksaray : Langa Aya Todori Rum Ortodoks Kilisesi
Ayvansaray : Aya Dimitri, Aya Vlaharne Rum Ortodoks Kilisesi ve Mektebi Vakfı
Cibali : Aya Nikola Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Balat : Aya Strati Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı ; Panayia Balino Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Topkapı : Aya Nikola Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Salmatomruk : Panayia Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Koca Mustafa Paşa : Belgrad Kapı Panayia Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Koca Mustafa Paşa Samatya : Aya Nikola Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Koca Mustafa Paşa Samatya : Aya Yorgi Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Samatya : Aya Analipsiz Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Koca Mustafa Paşa Samatya : Aya Konstantin Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Samatya : Aya Mina Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Fener : Rum Patrikhanesi avlusunda Aya Yorgi Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Altı Mermer : Panayia Rum Ortodoks Kilisesi Vakfı
Arméniennes
Narlıkapı : Surp Hovannes Ermeni Kilisesi Vakfı
Yenikapı : Tetaos Patrigimeos Ermeni Kilisesi Vakfı
Balat : Surp Hrestegabet Ermeni Kilisesi ve Mektebi Vakfı
Koca Mustafa PaÒa : Surp Kevork Ermeni Kilisesi Mektebi ve Mezarlığı Vakfı ; Anarthigutyun Ermeni
Katolik Kilisesi Vakfı
Topkapı : Surp Nikagos Ermeni Kilisesi ve Mektebi Vakfı
Yedikule : Surp Pırgıç Ermeni Hastanesi Vakfı
Autres
Bulgar Ekzarhliği Ortodoks Kilisesi Vakfı
Source : http://www.nethaber.com.tr/haber/arsiv/haberler/
Les mobiles d’un renversement :
du refoulement à la marchandisation de l’altérité religieuse
Il est clair que le développement du tourisme urbain et le souci d’attirer des
touristes chrétiens ont joué dans le réinvestissement et la réhabilitation des lieux
non musulmans par les autorités publiques locales ou nationales. C’est le cas
partout à Fatih, notamment pour Fener, Kariye (Saint-Sauveur-in-Chora) ou
pour Samatya. L’essor de Samatya comme pôle touristique, autour de restaurants de poissons, ouverts le long de voies devenues quasi-piétonnes, a entraîné
un regain d’intérêt pour les édifices non musulmans, enfin objets de soins et
d’attentions. En un mot, le développement du tourisme religieux81, expression
qui fait florès dans le discours économique turc, a suscité un nouvel intérêt pour
un patrimoine jusque-là enfoui, sinon refoulé.
Les nombreux articles consacrés aux minorités religieuses publiés dans la revue
de l’aéroport d’Istanbul (Gate) sont aussi un indice assez net de cette redécouverte
81. Dans un article de Gate, il est fait une description détaillée d’une noce au Patriarcat orthodoxe,
les deux époux étant venus spécialement de Grèce pour l’occasion. Ces noces au Patriarcat sont
devenues une sorte de mode pour des orthodoxes du monde entier.
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 289
circonstancielle, à destination d’un public bien ciblé. Les Pâques orthodoxes sont
ainsi devenues, ces dernières années, un moment de forte affluence touristique,
en provenance de la Grèce surtout, dans des quartiers de Fatih (surtout Fener)
où un effort est fait pour offrir un environnement rassurant…
Le rôle des impératifs touristiques, indéniable, participe cependant d’une
dynamique plus vaste de reconsidération et de réécriture du passé urbain, qu’il
serait excessif de réduire à des attendus d’ordre purement économique. En dépit
de résistances tenaces, mais désormais localisées, dans l’appareil administratif
et dans une frange marginale de la classe politique (dont les argumentations
idéologiques82 cachent souvent de triviaux intérêts immobiliers83), le nouveau
rapport à la présence des non musulmans à Istanbul s’inscrit dans une mutation
de facto de la définition de la citoyenneté turque. La reformulation en cours tend
à relativiser le facteur religieux pour fonder une raison d’être ensemble sur un
mode plus pragmatique et pluraliste. L’annonce par le gouvernement turc, en
avril 2004, de la restitution imminente de 264 biens “minoritaires” sur lequel
l’État avait fait main basse depuis 1974 ne peut donc pas seulement être interprétée comme une concession tactique faite à l’Union européenne ou comme
un geste en vue de conquérir une clientèle internationale. Si l’on en juge en tout
cas par les échos dans la presse84, cette mesure a été favorablement accueillie dans
l’opinion publique, à la manière d’une justice enfin faite à des concitoyens partie
prenante de la communauté et de l’histoire nationales.
Conclusion : de l’occultation à la réhabilitation
L’exemple de l’arrondissement de Fatih montre combien la question de la
présence des non musulmans dans l’espace urbain demeure politiquement
sensible et révélatrice d’un rapport dominant aux minorités religieuses encore
mal élucidé. Outre la distorsion entre l’héritage bâti, malmené mais toujours
visible, et la présence physique de ces minorités – en termes de population
résidante, vivante –, il semble qu’un soupçon d’extranéité pèse toujours sur
les non musulmans, même citoyens turcs. Les polémiques suscitées par les
projets de restauration de Fener-Balat, suspectés de préparer une espèce de
retour massif des non musulmans, avec la complicité de l’Union européenne et
d’autres instances internationales “enclines à l’ingérence” – voire de préluder à
la mise en place d’une sorte de Vatican orthodoxe85 –, prouvent la persistance de
82. Reposant sur l’idée éculée que les non musulmans constituent une menace pour l’unité de la
patrie.
83. C’est le cas du İşçi Partisi dont le siège est installé dans un immeuble appartenant à un minoritaire spolié.
84. Voir par exemple Vatan, 22/04/2004 : 16.
85. Le quotidien Türkiye, expression de la mouvance turco-islamique (qui publie à plus de
100 000 exemplaires cependant), abonde en discours soupçonneux de ce type ; cf. par exemple à
propos de Fener-Balat, 12/11/2002 : 7 (« Un État religieux à Istanbul »…).
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290 / Jean-François Pérouse
Photo 4. Maison de bois en ruine à Yenikapı (JFP, 2002).
Les non musulmans à Istanbul aujourd’hui… / 291
cette méfiance, dans certaines fractions de l’opinion et de l’appareil d’État. Pour
autant, depuis quelques années, les multiples initiatives des pouvoirs locaux et
de la société civile, dans le sens d’une reconnaissance et d’une valorisation de cet
héritage minoritaire, ainsi que de l’établissement d’une concorde féconde entre
les différentes confessions, autorisent à considérer que la société turque, en dépit
des résistances qui se manifestent çà et là, est prête à intégrer positivement cette
présence et à reconstruire une histoire urbaine locale qui fasse des minoritaires
non des agents étrangers soumis à un régime spécial restrictif, mais des
acteurs à part entière de la vie citadine. Si les sollicitations européennes et les
visées touristiques jouent un rôle dans cette inflexion, celle-ci tient aussi aux
dynamiques internes à la société turque, consciente des richesses et potentialités
qu’ouvre une pluralité redécouverte et désormais assumée.
Glossaire
ayazma : source sacrée
cemaat : communauté
gayrimüslim : non musulman
tarikat : confrérie
vakf : fondation pieuse
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