Opération de concentration Système U Auchan

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Opération de concentration Système U Auchan
Position de l’Ilec
Opération de concentration
Système U Auchan
27 janvier 2016
L’Institut de liaison et d’études des industries de consommation (Ilec), sis 251 boulevard
Pereire, 75017 Paris, est une association loi 1901 créée en 1959. Il regroupe 70 adhérents,
industriels commercialisant des produits de consommation sous marques. Il représente 45 % du
chiffre d’affaires sous marques en magasins (environ 35 milliards sur 80 milliards vendus en
GMS).
L’Ilec a pris connaissance de l’opération de concentration entre les enseignes Système U et
Auchan, notifiée à l’Autorité de la concurrence le 30 décembre 2015. Conformément aux
dispositions de l’article R. 430-4 du Code de commerce, l’Ilec tient à faire part à l’Autorité de ses
observations relatives à cette opération.
1. Rappel de l’accord intervenu entre les enseignes à l’automne 2014
Les enseignes Système U et Auchan ont annoncé en septembre 2014 leur rapprochement, dont
l’objectif était la massification des achats en vue d’obtenir de meilleurs accords, « afin de
se remettre dans le jeu vis-à-vis de la concurrence ».
2. Objectifs et modalités de l'accord
Le 7 novembre 2014, les deux enseignes présentaient officiellement les modalités de leur
accord aux représentants commerciaux des industriels de la grande consommation.
L’objectif annoncé était de revenir dans la course, dans un contexte de guerre des prix
déclenchée selon elles par Leclerc et Casino, dont les concurrents se trouvaient sous pression. Les
écarts de conditions d’achat concédées par les industriels aux concurrents d’Auchan et de
Système U auraient mis celles-ci « hors jeu vis à vis de la concurrence ». Il s’agissait par
conséquent d’obtenir de meilleures conditions d’achat : « le mandat de Système U à Auchan
permet de rééquilibrer le marché et de ne pas laisser les fournisseurs aux mains des enseignes
responsables de la guerre des prix ».
Les deux enseignes faisaient ensuite valoir leur complémentarité en termes de couverture
géographique de la France, se contentant d’une sectorisation régionale peu pertinente au regard
de la réalité des zones de chalandise – découpage territorial pertinent retenu par les autorités de
concurrence
pour
apprécier
les
éventuels
effets
anticoncurrentiels
des
rapprochements
d’enseignes.
La présentation abordait enfin la question du mode opératoire des négociations. Système U
avait confié un mandat à Eurauchan, centrale de référencement du groupe Auchan. Chacune des
deux enseignes avait un objectif d’indices en trois net (prix tarifaire diminué des réductions de
prix et des montants consentis au titre des prestations de coopération commerciale), qui constitue
la base des négociations commerciales annuelles dans le secteur des relations entre fournisseurs
et grande distribution, au détriment des CGV, en principe « socle unique » de la négociation selon
les termes de la loi consommation du 17 mars 2014 (loi « Hamon »).
Les plans d’affaires étaient ensuite négociés de façon séparée chez Auchan et chez Système U,
ainsi que les éléments relevant de la politique promotionnelle. Le champ de la négociation était
restreint aux marques internationales et nationales, excluant les PME.
3. Le projet de concentration, ou phase deux de l’accord Système U Auchan
Le communiqué de l’Autorité de la concurrence ne donne aucune information quant aux
modalités et aux objectifs de l’opération. Selon nos informations, elle porterait sur une
réorganisation de certains magasins changeant d’enseigne : Auchan proposerait aux propriétaires
des 70 hypermarchés Hyper U recensés fin 2014 d’adopter son enseigne en dix ans. Le
basculement du parc se ferait dans un délai de trois ans, avec de premiers changements
d’enseigne dès août 2015. Dans la foulée, l’enseigne Simply Market exploitée par le groupe
Auchan passerait sous l’enseigne Super U.
4. L’analyse concurrentielle du regroupement Système U Auchan
Saisi doublement, par le ministre de l’Economie et par la commission des Affaires économiques
du Sénat, l’Autorité de la concurrence a émis le 31 mars 2015 un avis motivé sur les risques
anticoncurrentiels inhérents aux alliances à l’achat formées à l’automne 2014. Elle s’est livrée à
une analyse précise et détaillée des risques à l’aval et à l’amont.
4.1. Les risques sur le marché aval
a) Echanges d’informations
L’Autorité s’est interrogée sur la « parfaite lisibilité pour les opérateurs économiques du cadre
juridique dans lequel se sont déroulées les négociations commerciales », d’autant, comme elle l’a
noté, que le schéma a évolué au cours des négociations.
Elle a souligné que les échanges d’informations, inhérents aux regroupements, sont de nature
à entraîner une coordination des stratégies de prix des enseignes. Les négociations ont été
caractérisées par des échanges entre enseignes sur les prix des fournisseurs, sur les quantités,
sur les politiques promotionnelles, ce qui conduit à favoriser la coordination de leurs stratégies, et
consécutivement à réduire la concurrence au détriment du consommateur.
S’agissant des schémas supposés garantir le respect de la confidentialité des informations,
transmises, contre leur gré, par les fournisseurs, l’Autorité a conclu que l’efficacité des dispositifs
(« boîte noire » d’un cabinet extérieur pour Auchan Système U, création d’une entité juridique
« Inca-A »
pour
Intermarché-Casino)
repose
essentiellement
sur
des
considérations
comportementales.
b) Schéma
de
négociation
et
soupçon
d’échanges
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d’informations
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anticoncurrentiels
Les explications des enseignes, relatives aux modalités de la négociation découlant des accords
de coopération d’achat mis en place par Auchan Système U ont connu quatre versions.

Première version (mi-septembre 2014) : Jean Denis Deweine,
représentant la structure Eurauchan, nous a présenté l’accord comme un
mandat complet permettant de négocier intégralement en lieu et place de
Système U (le prix trois fois net, les contreparties du prix, donc le plan
d’affaires). Il était question à ce moment d’avoir un seul acheteur chez
Eurauchan, négociant pour le compte des deux centrales.

Deuxième version : une présentation faite à la DGCCRF semble avoir été un
peu différente. Nous n’en avons pas eu communication, mais il était désormais
question de fixer, au niveau d’Eurauchan, une sorte d’objectif d’indice d’achats.
Dans ce cas, le plan d’affaires devait être discuté par Auchan et par Système U
de manière séparée.

Troisième version : lors de la présentation du 7 novembre 2014, il a été
précisé que le mandat confié par Système U à Eurauchan viserait à fixer un
objectif de trois net commun aux deux enseignes, l’élaboration du plan
d’affaires demeurant séparée avec chacune. A partir de ce jour, il a été
question de négociation du trois net, alors que jusque-là il était question
d’indice d’achat.

Quatrième version : elle correspond à la version finale et effective. La
différence avec la troisième version est l’impossibilité de négocier le trois fois
net en concomitance avec les contreparties.
Concrètement, les informations commercialement sensibles susceptibles d’être échangées dans
le cadre des négociations commerciales au sein de la superstructure Eurauchan sont d’une part
les prix trois fois net respectifs (ceux d’Auchan et ceux de Système U), d’autre part la manière
dont ils sont construits.
Les échanges portent aussi nécessairement sur les « nouveaux instruments promotionnels »
(NIP), c’est-à-dire
sur la politique promotionnelle des fournisseurs, dans la mesure où les NIP
contribuent à matérialiser le plan d’affaires, lequel se fonde sur le prix non seulement trois fois,
mais quatre fois net (c’est-à-dire NIP inclus).
Les modalités des échanges d’informations, dans le cadre du rapprochement entre les deux
enseignes, ont été les suivantes : Système U et Auchan ont expliqué avoir eu recours à un cabinet
extérieur, « boîte noire » chargée de comparer les accords 2014 Système U et les accords 2014
Auchan.
Après avoir examiné les objectifs d’achat de chaque enseigne, cette société de conseil aurait
communiqué à Eurauchan un objectif calculé sur la base d’un indice. Dans les discussions avec les
industriels, Eurauchan indiquait à ses interlocuteurs que le calcul avait été déterminé par la «
boîte noire », et se retranchait derrière elle pour justifier l’absence d’explication concernant la
manière dont l’indice avait été calculé.
Il y a eu également échange sur les informations concernant le plan d’affaires.
Les personnes présentes dans les box de négociations en 2014 étaient tant des représentants
du mandant (Système U) que du mandataire (Eurauchan). Or, dans le schéma de négociation
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prévu, les plans d’affaires étaient censés être négociés séparément. La présence concomitante
d’un représentant de chacune des enseignes implique nécessairement la connaissance, par
l’acheteur de Système U, des éléments de négociation spécifiques à Auchan, et réciproquement.
c) Risques de coordination associés aux échanges d’informations
Dans la mesure où chacun des deux distributeurs a partagé avec son concurrent certaines
informations, il y a bien eu un risque important quant au maintien d’une concurrence réelle et
effective entre eux.
En premier lieu, nous pensons que les accords visés sont susceptibles de donner lieu à des
échanges d’informations entre les participants concernant leurs volumes respectifs d’achat.
En second lieu, les échanges entre distributeurs peuvent aussi leur permettre d’obtenir des
indications sur la rentabilité associée à certaines références, voire de demander un alignement
des conditions, les fournisseurs payant soit un prix identique pour un volant de prestations en
baisse, soit un prix majoré pour un volant de contreparties identique.
d) Effet sur les prix de vente aux consommateurs
Dans le cadre des négociations avec Eurauchan, nombre d’industriels se sont vu imposer un
prix d’achat trois fois net commun aux deux enseignes. Ces pratiques induisent un risque
d’alignement des prix, notamment dans les zones de chalandise où les deux partenaires sont
seuls présents.
La « phase deux » du rapprochement entre Système U et Auchan, qui fait l’objet de la
présente procédure, ne peut qu’accentuer ce phénomène, puisqu’il s’agit, entre autres effets
attendus, de réduire la concurrence entre ces deux enseignes dans les zones de chalandise où
elles sont présentes l’une et l’autre.
4.2. Les risques amont, et les conséquences de l’accord sur l’accès au marché
e) Absence de critères sélectifs dans les listes de fournisseurs
Les accords de coopération à l’achat, tels que mis en œuvre depuis 2014, risquent de susciter
des problèmes d’accès au marché ou de développement sur le marché, pour les industriels
figurant dans chacune des listes de fournisseurs visés. La société Inca Achat, qui regroupe des
acheteurs d’Intermarché et de Casino, a ainsi déterminé une liste de 67 entreprises sans que
soient définis ni communiqués aux intéressés les critères de sélection. Pour leur part, les
représentants d’Auchan et de Système U faisaient état d’un périmètre d’entreprises (concernées
par l’alliance) commercialisant des marques internationales et nationales, à l’exclusion des PME.
L’avis de l’Autorité a souligné la nécessité de critères objectifs déterminant, pour un
fournisseur, son inclusion subie dans la liste des entreprises concernées par l’accord. Or ces
critères n’ont pas été communiqués clairement. Cette discrimination entre entreprises soumises à
l’alliance et entreprises qui ne le sont pas se fait au détriment des premières. Pendant que les
négociations tardent à avancer ou sont bloquées du fait d’un schéma et de procédures plus
complexes, les entreprises qui ne font pas partie de la liste peuvent avancer plus vite dans leur
négociation avec chaque enseigne, et bénéficier des meilleures prestations qu’elle propose
(politique promotionnelle, assortiment, place dans les linéaires…).
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f)
Risques d’éviction
Des risques d’éviction découlent de la baisse des prix de vente aux distributeurs, possibilité
que n’exclut pas l’Autorité. Ils peuvent également résulter de distorsions de concurrence induites
par une « prime » aux plus forts, qui peuvent obtenir des contreparties tangibles, ou du fait d’être
inclus ou non dans les listes sélectives de fournisseurs.
5. Des gains d’efficience douteux
C’est principalement au regard du bénéfice que peuvent en tirer les consommateurs que
l’Autorité s’est montrée sceptique ; il lui paraît peu vraisemblable que ceux-ci soient les
bénéficiaires des alliances. Les zones de chalandise identifiées par elle sont déjà très concentrées,
ce qui rend peu probable la répercussion des gains en baisses de prix supplémentaires. L’Autorité
souligne de surcroît que la guerre des prix est peut être plus conjoncturelle que structurelle, de
sorte que rien ne garantit une telle volonté de répercussion à moyen terme.
6. Nécessité d’ouvrir une phase d’examen approfondi
l’Ilec souhaite par la présente note attirer l’attention de l’Autorité sur les risques et les
conséquences des rapprochements des enseignes Auchan et Système U, dans un contexte de
guerre des prix dont seuls les distributeurs ont la responsabilité, notamment au regard de
l’interdiction faite aux fournisseurs de s’immiscer dans la politique tarifaire des enseignes, et face
à une modification structurelle du marché, se traduisant, pour les industriels, par la réduction des
débouchés commerciaux à quatre points d’entrée (Leclerc, Système U-Auchan, IntermarchéCasino, Carrefour-Cora).
Ces éléments militent, à tout le moins, pour un examen approfondi des conséquences de
l’opération projetée, tant les effets en amont, pour les fournisseurs, qu’en aval, pour les
consommateurs, notamment en termes de zones de chalandise.
L’opération soumise à l’approbation de l’Autorité est l’occasion de reconsidérer le « taux de
menace » de 22 % défini par la jurisprudence de la Commission européenne, qui date de 2000 et
a perdu de sa pertinence, au regard de la restructuration du marché que nous venons d’évoquer.
Elle doit aussi porter l’Autorité à s’interroger sur les échanges d’informations sensibles entre
concurrents, qui ont pour effet de fausser le jeu de la concurrence, la confidentialité des accords
n’étant pas respectée, et de conduire à un lissage des contreparties (renchérissement du coût des
prestations équivalentes, ou prix identique pour des prestations moindres), alors que la
négociation de contreparties proportionnées aux réductions de prix est rendue obligatoire par la
loi et par la jurisprudence (Cour d’appel de Paris, 1er juillet 2015, ministre de l’Economie contre
Galec).
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