les soins de fin de vie : « ordinaires » ou « extraordinaires »

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Revue des sciences religieuses 83 n° 1 (2009), p. 115-130.
LES SOINS DE FIN DE VIE : « ORDINAIRES »
OU « EXTRAORDINAIRES » ? 1
« Les soins de fin de vie :‘ordinaires’ ou ‘extraordinaires’ ? » : ce
titre fait référence à un débat ouvert depuis quelques décennies, même
si depuis toujours l’homme reconnaît sa propre finitude et accepte le
mystère de la mort comme un destin inévitable et si la médecine a toujours su faire face à la souffrance et à la mort. La question des soins
de fin de vie est en effet au centre d’un débat animé débouchant sur
un pluralisme normatif.
Les difficultés de la médecine au moment de faire face à la mort
sont évidentes, malgré son devoir essentiel, au cours des millénaires,
de guérir, alléger les souffrances, identifier le moment où il est préférable, d’un point de vue éthique, de s’abstenir de certains traitements
qui ne visent qu’à éloigner le moment de la mort. Les derniers instants
de la vie ont fait l’objet du dernier congrès de l’Académie Pontificale
pour la Vie, « Auprès du malade incurable et du mourant : orientations éthiques et opérationnelles » 2.
A partir de ce débat ouvert et de quelques difficultés auxquelles
je ferai référence, je souhaite aborder les points suivants : tout
d’abord l’enseignement du Magistère vis-à-vis de certaines situations
cliniques particulièrement délicates ; ensuite, le concept de soins
proportionnés et de soins palliatifs dans deux documents internationaux consacrés à ce sujet et, enfin, les éventuelles possibilités
1. Cet article reprend une communication présentée à l’Université Marc Bloch le
7 mars 2008 dans le cadre d’une journée de l’École doctorale de théologie et de
sciences religieuses organisée par M.J. Thiel et K. Lehmkühler sur les questions de
bioéthique.
2. Rome, 25 février 2008. Le but est de clarifier, autant que possible et avec précision et équilibre, les limites de la thérapeutique et les critères à adopter pour
exprimer un jugement éthique autour des moyens de conservation de la vie qui soit
fondé sur les données scientifiques, médicales et techniques, sur la condition réelle du
malade ou du mourant et sur le bien fondamental de la vie.
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offertes par la perspective bioéthique pour sortir d’un débat qui
semble stérile.
Mais d’abord, quelques réflexions s’imposent sur deux éléments
décisifs dans ce débat :
Le concept de Qualité de Vie
Le débat sur la fin de vie englobe quelques thèmes particulièrement brûlants, parmi lesquels le concept de qualité de vie, proposé comme critère discriminant de la dignité humaine. On peut
distinguer d’un côté une dignité intrinsèque, ontologique, de
l’autre une dignité qui a besoin d’être reconnue soit par le sujet
même, soit par d’autres à travers les rapports à l’environnement.
C’est au nom de cette interprétation de la dignité du malade que
l’on demande le droit de mourir (euthanasie ou arrêt des soins) et
que l’on définit même la simple alimentation comme acharnement
thérapeutique. Nous allons analyser par la suite l’ambiguïté de
cette définition.
Ce concept est tellement important qu’il est utilisé pour distinguer
deux courants éthiques différents : l’éthique de la qualité de la vie, qui
s’oppose à l’éthique de la sacralité de la vie.
La confusion terminologique
La confusion terminologique sur les soins de fin de vie constitue
également un point critique. L’introduction du concept d’euthanasie
passive mène à une confusion entre euthanasie et refus de thérapies,
inutiles pour le patient, qui se limitent à éloigner le moment de la mort
et, à long terme, acquièrent les caractéristiques de l’acharnement thérapeutique. Il y a confusion aussi entre l’euthanasie et les thérapies
contre la douleur, ou encore entre l’euthanasie et les thérapies prévoyant l’administration d’analgésiques qui peuvent entraîner une
perte de conscience et un abrègement de la vie.
Dans certains cas extrêmes, même la médecine palliative est
définie comme euthanasie passive. Récemment, par rapport à des
faits divers, les médias ont systématiquement mis en relation
l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie en tant qu’acte médical
libérant de l’acharnement thérapeutique et des conditions de vie
pénibles, comme si l’euthanasie était un acte médical. L’idée est celle
du droit de mourir dans la dignité. Par contre, la médecine palliative
en tant que traitement approprié, ainsi que l’accompagnement du
mourant pour répondre à ses besoins essentiels, ont été quasiment
absents.
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En ce qui concerne la physionomie du débat public, la question de
la mort suite à une maladie semble être une question nouvelle, alors
qu’en fait son histoire trouve ses origines au moment de l’introduction
de deux nouvelles spécialités médicales : l’anesthésiologie et la réanimation. Le Magistère Papal est ainsi appelé à s’exprimer sur les critères à adopter pour énoncer un jugement éthique et définir ce qui est
licite et ce qui ne l’est pas dans la thérapeutique.
I. L’ENSEIGNEMENT DU MAGISTÈRE EN CE QUI CONCERNE LES SOINS DE
FIN DE VIE : « ORDINAIRES » ET « EXTRAORDINAIRES »
L’enseignement de l’Église catholique se fonde sur le concept de
vie en tant que don de Dieu : l’homme n’a donc pas le droit d’en disposer, il en est juste le gardien. Dieu a créé l’homme à son image et
ressemblance. C’est cette création, exclusive à l’homme dans le
monde créé, qui donne à chacun une dignité intrinsèque et qui ne
pourra jamais être déchue, que ce soit par un individu, la communauté
ou une autorité politique, et ce, quelles que soient les conditions de vie
en question.
Par conséquent, l’Église a toujours prôné le respect de tout être
humain, l’obligation envers soi-même et envers les autres de
préserver la vie de toute menace. Si l’on transpose ce concept dans
la pratique médicale, aussi bien au stade de la recherche qu’en
clinique, cet enseignement impose au médecin le devoir moral de
respecter son patient, de protéger sa vie, de la sauver si possible, d’en
alléger toujours la douleur et la souffrance. Ces indications sont par
ailleurs en harmonie avec la déontologie médicale traditionnelle : « Je
ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne
prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ; semblablement, je ne
remettrai à aucune femme un pessaire abortif, je passerai ma vie et
j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. » (Serment
d’Hippocrate).
Pourtant, face aux nouvelles possibilités de traitement, la médecine semble être prise au dépourvu. Le sens de ces interventions, en
raison des principes déontologiques et éthiques de la profession, soulève des points d’interrogation et, à l’occasion de leurs colloques
médicaux internationaux, les anesthésistes et les réanimateurs ont
adressé à Pie XII des questions bien précises. A travers les réponses
du Pape, nous pouvons saisir certains principes fondamentaux concernant la médecine de fin de vie : traitement et suppression de la douleur ; devoirs, obligations et limites des actes médicaux ; nature du
traitement des cas extrêmes.
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La douleur et la souffrance
Le problème de la douleur fait l’objet d’une première série de
questions posées par les anesthésistes au souverain pontife 3. A partir
d’une interprétation mystique de la douleur, il lui a été demandé :
« existe-t-il une obligation morale et générale de refuser l’analgésie et
d’accepter la douleur physique par esprit de foi ? » – La réponse du
pape a été claire : il n’y a aucune obligation d’accepter la douleur 4,
bien au contraire : la douleur chronique peut devenir source de péché
et mettre le mourant dans l’impossibilité de vivre sa dimension spirituelle.
Ensuite, à la question concernant le mode d’action de nouveaux
analgésiques : « peut-on les utiliser même si l’atténuation de la douleur s’accompagne probablement d’un abrègement de la vie ? », le
Pape a répondu, encore une fois, très clairement. La volonté du patient
doit toujours être prise en considération et son autonomie respectée
dans le cadre du dialogue avec le soignant, mais : « S’il n’existe pas
d’autres moyens et si, dans les circonstances données, cela n’empêche
pas l’accomplissement d’autres devoirs religieux et moraux : oui ». Il
va de soi, précise-t-il, que les doses du médicament doivent être progressives et adaptées aux besoins cliniques du patient.
Le principe éthique de référence est celui du double effet 5, principe traditionnel qui met en évidence, d’un côté le rôle de l’intention
du médecin vis-à-vis du malade ou du mourant au moment de choisir
le traitement, de l’autre l’importance de l’écoute et du dialogue qui
s’établissent exclusivement grâce à un rapport de confiance et d’accueil. Ce rapport est le seul qui permet au médecin d’avoir connaissance des désirs, des souffrances et des souhaits de la personne dont
il s’occupe et qu’il a prise en charge.
Pendant les années cinquante nous étions encore dans une époque
socio-culturelle où la relation médecin-patient se fondait sur le paternalisme. Pie XII, par contre, identifie dans ses réponses un nouveau
type de relation, plus proche de l’alliance thérapeutique qui commencera à se profiler dans les décennies suivantes.
3. Discours de Pie XII : « Problèmes religieux et moraux de l’analgésie », Rome
24 février 1957.
4. « Le chrétien n’est donc jamais obligé de la [la douleur] vouloir pour ellemême ; (…) l’acceptation de la douleur physique n‘est qu’une manière (…) d’aimer
Dieu. »
5. Les conditions de validité de l’application du principe du double effet sont
quatre : la bonté ou l’indifférence morale de l’action, l’honnêteté de sa fin, l’indépendance de l’effet négatif par rapport à l’effet positif, la nécessité absolue de réaliser
cette valeur.
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La respiration artificielle
Les réanimateurs ont également soumis à Pie XII quelques questions de morale médicale sur les instruments capables de remplacer
les fonctions vitales de l’organisme, notamment le respirateur 6. Il ne
faut pas oublier qu’à cette époque, ni le concept de mort encéphalique
ni les différents niveaux de coma n’étaient bien définis. La troisième
question fait référence à une situation dans laquelle les données cliniques font penser à une vie maintenue seulement grâce à l’utilisation
du respirateur : le patient doit-il être considéré comme défunt ? La
réponse révèle un très grand respect à l’égard de la profession médicale : « Il appartient au médecin de donner une définition claire et précise de la ‘mort’ et du ‘moment de la mort’ d’un patient qui décède en
état d’inconscience. »
Face au devoir de conserver la vie on s’interroge sur le devoir ou
obligation morale pour le médecin de la sauvegarder à tout prix, par
n’importe quel moyen, même lorsque le traitement est cliniquement
inutile ou que la famille s’y oppose.
La réponse est claire et complète. Le médecin a le droit, et non
l’obligation, d’avoir recours à tous les moyens, à moins que ne soit en
jeu l’accomplissement d’un devoir moral, comme par exemple l’extrême-onction qui exige que le patient soit conscient. Seule obligation : l’utilisation de soins ordinaires qui ne soient pas trop lourds pour
le patient. « Il n’y a en ce cas aucune disposition directe de la vie du
patient, ni euthanasie, ce qui ne serait jamais licite ; … »
L’expression soins « ordinaires » a été par la suite interprétée
comme traitements routiniers alors que le Pape met cette expression
en relation avec des circonstances concrètes, afin que le traitement ne
soit jamais trop lourd pour le patient. « La raison naturelle et la morale
chrétienne disent que l’homme a le droit et devoir en cas de maladie
grave de prendre les soins nécessaires (…) mais il n’oblige habituellement qu’à l’emploi de moyens ordinaires (suivant les circonstances
6. « A-t-on le droit ou même l’obligation d’utiliser les appareils modernes de respiration dans tous les cas, même dans ceux qui, au jugement du médecin, sont considérés comme complètement désespérés ? (…) A-t-on le droit ou l’obligation d’enlever l’appareil respiratoire, quand l’état d’inconscience profonde ne s’améliore pas,
tandis que, si on l’enlève, la circulation s’arrêtera en quelques minutes ? (…) Troisièmement, un patient plongé dans l’inconscience par paralysie centrale, mais dont la vie
– c’est-à-dire la circulation sanguine se maintient grâce à la respiration artificielle –
et chez lequel aucune amélioration n’intervient après plusieurs jours, doit-il être
considéré comme mort de facto, ou même de jure ? Ne faut-il pas attendre, pour le
considérer comme mort, que la circulation sanguine s’arrête en dépit de la respiration
artificielle ? » Discours de Pie XII sur les problèmes de réanimation, Rome 24
novembre 1957.
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de personnes, de lieux, d’époque, de culture), c’est à dire des moyens
qui n’imposent aucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour
un autre. » 7.
Etant donné le contexte des réponses, il me semble que le concept
de soins « ordinaires » et « extraordinaires » peut être superposé à
celui de soins « proportionnés » et « disproportionnés » sans changement de champ sémantique.
…… « Proportionnés » et « disproportionnés »
Le concept « ordinaires » – « extraordinaires » sera repris et clarifié dans la Déclaration sur l’euthanasie de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, et explicité par l’expression « proportionnés » et
« disproportionnés » :
« Naguère, les moralistes répondaient qu’on n’est jamais obligé d’employer les moyens ‘extraordinaires’ (…) Aussi certains préfèrent-ils
parler de moyens proportionnés et disproportionnés. De toute manière,
on appréciera les moyens en mettant en rapport le genre de thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités de son emploi,, avec le résultat qu’on peut en attendre, compte
tenu de l’état du malade et de ses ressources physiques ou morales » 8.
Il est précisé que l’on peut cesser le recours à ces moyens en cas
de résultat négatif pour le malade :
« Il est aussi permis d’interrompre l’application de ces moyens lorsque
les résultats en sont décevants. Mais pour prendre une telle décision, on
tiendra compte du désir raisonnable du malade et de sa famille, ainsi
que de l’avis des médecins particulièrement compétents ; ceux-ci pourraient estimer notamment que l’investissement en instruments et en
personnel est disproportionné par rapport aux résultats prévisibles, et
que les techniques mises en œuvre imposent au patient des contraintes
ou des souffrances hors de proportion avec les bénéfices qu’il peut en
recevoir. ». Voilà pourquoi « il est toujours permis de se contenter des
moyens normaux que la médecine peut offrir. On ne peut donc imposer
à personne l’obligation de recourir à une technique déjà en usage, mais
encore risquée ou très onéreuse. Son refus n’équivaut pas à un suicide ;
il y a là plutôt acceptation de la condition humaine ».
La Déclaration est précise même en ce qui concerne le mourant :
« Dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens
7. Discours de Pie XII sur les problèmes de réanimation, Rome,
24 novembre 1957.
8. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration sur l’euthanasie, J.B.,
Cité du Vatican, 1980, IV, L’usage proportionné des moyens thérapeutiques.
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employés, il est permis en conscience de prendre la décision de
renoncer à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire
et pénible, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade
en pareil cas… Le médecin ne pourrait alors se reprocher la non-assistance à personne en danger » 9. Le Magistère a toujours jugé positivement le progrès médical et justifie, faute d’alternatives adéquates, le
recours à tous les instruments techniques offerts par la science, même
expérimentaux : « S’il n’y a pas d’autres remèdes suffisants, il est
permis de recourir, avec l’accord du malade, aux moyens que procure
la technique médicale la plus avancée, même s’ils en sont encore au
stade expérimental et ne vont pas sans quelque risque. Le malade, en
les acceptant, pourra même faire preuve de générosité au service de
l’humanité. » 10.
Le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique Evangelium Vitae,
insiste :
« Il est certain que l’obligation morale de se soigner et de se faire soigner existe, mais cette obligation doit être confrontée aux situations
concrètes ; c’est-à-dire qu’il faut déterminer si les moyens thérapeutiques dont on dispose sont objectivement en proportion avec les perspectives d’amélioration. Le renoncement à des moyens extraordinaires
ou disproportionnés n’est pas équivalent au suicide ou à l’euthanasie ;
il traduit plutôt l’acceptation de la condition humaine devant la mort »
(n. 65), confirmant ce qui a été affirmé par Paul VI : « Le devoir du
médecin est de se prodiguer pour calmer la souffrance et non pas de
prolonger le plus longtemps possible, par tous les moyens et à n’importe quelle condition, une vie qui se dirige naturellement vers sa
propre conclusion 11 ».
La technologie médicale peut alimenter et hydrater le patient de
façon artificielle, le plaçant ainsi dans des conditions de vie inédites,
qui semblent créer une fracture entre l’être humain capable de réactions autonomes, et l’être humain qui vit une vie biologique sans possibilité d’autodétermination. Le médecin, face à ces nouvelles problématiques, continue de chercher des indications éthiques.
Quant à l’alimentation et à l’hydratation artificielles (AHA), l’enseignement du Magistère les considère comme des soins justes, ordinaires et proportionnés. A vrai dire, le contexte n’est plus celui de la
fin de vie, mais plutôt d’un état d’inertie post-traumatique, selon une
terminologie récemment proposée en remplacement du terme ambigu
9. JB, p. IV.
10. JB, p. IV.
11. Pape Paul VI, Lettre au Secrétaire Général de la fédération Internationale
des Associations Médicales Catholiques, 1970.
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d’« état végétatif ». En effet, ces patients n’ont pas de pronostic de
mort et pourraient vivre même plus d’une dizaine d’années. Dans une
telle situation clinique, la technologie médicale nous confronte à des
difficultés évidentes, faute d’une analyse adéquate. En effet, l’impossibilité d’exprimer des actes de conscience ne remet pas en cause
l’unitotalité de la personne, malgré la lecture de plus en plus réductive
de la vie humaine à partir du critère discriminant fondé sur la qualité
de vie. Dans ce malentendu s’insère la demande d’interruption de
l’AHA. L’expression état « végétatif » renvoie justement à un concept
d’humanité rabaissée. Ce n’est pas un hasard si Jean Paul II signale
que cette expression peut donner lieu à une confusion conceptuelle,
« certaines personnes en arrivent à mettre en doute la subsistance
même de la ‘qualité humaine ‘, presque comme si l’adjectif « végétatif » (dont l’utilisation est désormais consolidée), qui décrit de façon
symbolique un état clinique, pouvait ou devait se référer au contraire
au malade en tant que tel, dégradant de fait sa valeur et sa dignité personnelle. A cet égard, il faut souligner que ce terme, même limité au
domaine clinique, n’est certainement pas des plus heureux lorsqu’il se
réfère à des sujets humains. » 12.
De même pour le Conseil Pontifical pour la Pastorale des Services
de Santé : « L’alimentation et l’hydratation, même artificielles, rentrent dans les soins normaux toujours dus au malade quand ils ne sont
pas dangereux pour lui : leur suspension indue pourrait revêtir la
signification d’une véritable euthanasie. » 13.
Jean Paul II confirme encore l’enseignement traditionnel y compris en cas d’inertie post-traumatique : « En particulier, je voudrais
souligner que l’administration d’eau et de nourriture, même par des
voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de maintien
de la vie, et non un acte médical. Son utilisation devra donc être
considérée, en règle générale, comme ordinaire et proportionnée, et,
en tant que telle, moralement obligatoire, dans la mesure où elle
atteint sa finalité propre, et jusqu’à ce qu’elle le démontre, ce qui, en
l’espèce, consiste à procurer une nourriture au patient et à alléger ses
souffrances » 14. Le traitement de la douleur est donc toujours appro12. Discours du Pape Jean-Paul II aux participants du Congrès international
“life-sustaining treatments and vegetative state : scientific advances and ethical
dilemmas”, promu par la Fédération Internationale des Associations des Médecins
Catholiques, 20 mars 2004.
13. « Charte des personnels de santé », Vatican, 1995, n° 120.
14. Discours du Pape Jean-Paul II aux participants du Congrès international
“Life-sustaining treatments and vegetative state : scientific advances and ethical
dilemmas”, promu par la Fédération Internationale des Associations des Médecins
Catholiques, 20 mars 2004.
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prié, même lorsque les thérapies ont été interrompues faute de bénéfice pour le patient.
Récemment, suite à ce qui est arrivé à Madame Terry Schiavo 15,
le Magistère a dû répondre une fois de plus à des questions d’éthique
médicale. La Conférence Épiscopale des États-Unis a présenté deux
questions concernant l’alimentation et l’hydratation artificielles administrées à un patient en état végétatif chronique. Dans ce cas-là également, l’administration de nourriture et d’eau même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné de
maintien de la vie. Elle est donc obligatoire si, et jusqu’au moment où
elle montre qu’elle atteint sa finalité propre, qui consiste à hydrater et
à nourrir le patient. Cela est dû au fait qu’un patient en « état végétatif
permanent » est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale,
à laquelle on doit donc procurer les soins ordinaires et proportionnés,
qui comprennent, en règle générale, l’administration d’eau et de nourriture, même par des voies artificielles.
Jean-Paul II dans son discours du 20 mars 2004 avait dit : « Priver
une personne de l’accès à la nourriture et à l’eau constitue un moyen
de tuer cette personne (…). En tenant compte des aspects médicaux et
anthropologiques du cas, nous nous sentons le devoir d’affirmer que
cette décision va à l’encontre des droits de la personne de Madame
Terry Schiavo et constitue par conséquent un abus d’autorité juridique. ».
Il est évident que la position de Pie XII est extrêmement actuelle
et la Congrégation y fait écho dans ses réponses mentionnant la qualité humaine du patient en état d’inertie post-traumatique, (à ce
propos, un débat est en cours mais sans aucune influence sur un jugement moral éventuel, aux dires de la Congrégation) et le droit à des
soins normaux de base (alimentation, hydratation, hygiène, assistance), dont l’arrêt représenterait l’abandon thérapeutique et, par
conséquent, l’euthanasie par omission. D’ailleurs, dans le Commentaire il n’est pas exclu que l’AHA puisse elle aussi devenir pour le
patient un traitement disproportionné, par exemple en cas d’incapacité
pour l’organisme d’assimiler la nourriture.
15. Mme Terry Schiavo, américaine plongée dans un état végétatif depuis 1990,
a fait l’objet d’un affrontement familial entre son mari, qui demandait l’interruption
de l’alimentation artificielle, et ses parents, qui souhaitaient la poursuivre. L’affaire a
été portée devant les tribunaux, dont les différents degrés de jugement ont émis des
arrêts divergents. En 2005 la sonde a été débranchée conformément à une décision de
la justice de Floride, où elle était hospitalisée. www.genetique.org
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Le pape Benoît XVI, lors du Congrès « Auprès du malade incurable et du mourant : orientations éthiques et opératoires » 16, renouvelle l’enseignement traditionnel :
« En fait, il s’agit d’assurer à chaque personne (…) le soutien nécessaire à travers des thérapies et des interventions médicales adéquates,
individualisées et gérées selon les critères de la proportionnalité médicale, en tenant toujours compte du devoir moral de fournir (de la part
du médecin) et d’accueillir (de la part du patient) ces moyens de préservation de la vie qui dans cette situation deviennent “ordinaires” ».
Le parallélisme entre la naissance et la mort est fort intéressant : ce sont
deux moments où la fragilité humaine atteint son maximum, et qui peuvent se transformer en tragédie faute de prise en charge de la personne
par les autres : « Alors que, pour une naissance, les parents ont des
droits spécifiques pour s’absenter de leur travail, les mêmes droits
devraient être reconnus aux proches au moment de la maladie d’un
parent en phase terminale ».
Pour résumer ce que nous avons dit jusqu’ici : a) ce n’est pas le
moyen qui contient la qualité d’“ordinaire” ou “extraordinaire”, mais
plutôt le rapport entre une situation clinique particulière (celle de la
personne malade) et les bénéfices / risques / poids / effets nuisibles /
obligations pour le patient qui en découlent ; b) seule une alliance thérapeutique permet d’atteindre une adéquation réelle et constante des
traitements à la condition du malade, dans le respect des ses besoins
et de ses souhaits, dans un processus de construction d’un consentement vraiment libre et éclairé.
II. EUTHANASIE
ET MÉDECINE PALLIATIVE DANS DEUX DOCUMENTS
INTERNATIONAUX
La médecine de fin de vie met en exergue la clairvoyance du
Magistère qui, bien avant la diffusion du concept d’acharnement thérapeutique, l’avait déjà identifié par l’idée de moyens extraordinaires et
disproportionnés. Sans aucune condamnation à l’égard des innovations
techniques et scientifiques, il les a prises en considération avec beaucoup d’attention et de prudence afin d’en mettre en valeur l’intérêt
pour le souffrant sans toutefois en omettre les risques éventuels. De la
même façon, au moment d’apporter un soutien à la thérapie de la douleur, il avait anticipé la médecine palliative, proportionnée aux besoins
du patient et caractérisée par une attention holistique pour le souffrant.
16. Discours du Pape Benoît XVI aux participants du Congrès de l’Académie
Pontificale pour la Vie, 25 février 2008.
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AMM, Résolution sur l’euthanasie
En 1987, l’Association Médicale Mondiale (AMM) dans sa Résolution sur l’euthanasie, au moment de rappeler les buts fondamentaux
de la médecine et la nécessité de discerner le refus de traitements sans
aucun bénéfice pour le patient, condamne l’euthanasie en tant qu’acte
contraire à l’éthique alors qu’elle réaffirme le droit du patient à refuser
un traitement et à demander des mesures palliatives. En 2002 elle
« exhorte les associations médicales nationales et les médecins à
s’abstenir de participer à la pratique de l’euthanasie, même lorsque la
législation nationale l’autorise ou la dépénalise dans certaines conditions ». Le but de la médecine, insiste-t-elle, est de guérir et, autant
que possible, de conforter et d’alléger les souffrances. Le médecin
n’est pas tenu à recourir à des moyens qui n’ont aucun bénéfice pour
le patient, dans le respect des conditions psychologiques et spirituelles du patient et de ses proches.
« Le médecin n’est pas tenu à recourir à des moyens qui n’ont
aucun bénéfice pour le patient » dit la Résolution, mais le risque est
d’évaluer le bénéfice du patient en fonction du critère de la qualité de
la vie. A partir de là, si le patient est en état d’inertie post-traumatique,
l’AHA ne lui apporte aucun bénéfice s’il est considéré en phase de
guérison. Cependant, le but de l’AHA n’est pas de guérir mais plutôt
d’alimenter. La confusion sémantique – entre guérison et le retour à
un bon état de santé – peut conduire à une confusion conceptuelle et
clinique entre omission (c’est le cas ici) et abstention d’un traitement
disproportionné.
Recommandation du Conseil de l’Europe n° 1418 de 1999 : « Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables
et des mourants » 17.
En ce qui concerne le Conseil de l’Europe, sa vocation est de
« protéger la dignité des êtres humains et les droits qui en découlent ».
C’est dans cet esprit qu’a été établie la Recommandation du Conseil
de l’Europe “Protection des droits de l’homme et de la dignité des
malades incurables et des mourants ». Etant donné que le prolongement de la vie ne doit pas être le but exclusif de la médecine (Recommandation n° 779 de 1976), le Conseil insiste sur le droit des mourants de mourir réconfortés (Résolution n° 613 de 1976), réaffirme le
droit à la vie parallèlement à l’interdiction de l’euthanasie, et le droit
17. Il n’est pas dans notre intention de faire ici une analyse détaillée de la
Recommandation, nous cherchons simplement à mettre en exergue quelques points
essentiels ou qui touchent la médecine et les soins palliatifs.
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aux soins palliatifs qui est reconnu, confirme-t-il, au niveau européen 18. Les soins palliatifs représentent « l’ensemble des soins actifs
donnés aux malades dont l’affection ne répond pas au traitement
curatif. La lutte contre la douleur et autres symptômes, et la prise en
considération de problèmes psychologiques, sociaux et spirituels, sont
primordiales. Le but des soins palliatifs est d’obtenir la meilleure qualité de vie possible pour les malades et leur famille. » (OMS). La correspondance avec le concept de soins ordinaires et proportionnées est
dans ce cas-là évidente, du moins à première vue. D’ailleurs, nous
avons déjà fait allusion au fait que le concept même de qualité de vie
contient une ambiguïté intrinsèque, étant donné que dans le cadre des
soins palliatifs il est perçu comme la recherche de meilleures conditions de vie pour le mourant, à travers un environnement adapté à ses
besoins et à ses souhaits.
Dans cette Recommandation, deux points sont particulièrement
intéressants. Premièrement, la dénonciation des facteurs qui représentent une menace pour les droits fondamentaux de l’être humain. Ces
facteurs restent inchangés même dans la phase ultime de la vie du
malade : pénurie de soins palliatifs, manque de formation permanente
et de soutien psychologique à l’égard des soignants, du malade et de
sa famille, inadéquation des hôpitaux en tant que dernière étape de la
vie, insuffisance des fonds et des ressources allouées pour les soins
des malades incurables et des mourants, sont des facteurs qui rendent
difficile l’accompagnement de ces derniers.
Deuxièmement, l’invitation de la part des États membres à renforcer les soins palliatifs, notamment par le biais de la préparation
professionnelle de ceux qui s’occupent des mourants, afin d’obtenir
un cadre intégré de soins médicaux, infirmiers et psychologiques, et
de faire « prendre conscience au public que la généralisation de la
médecine et des soins palliatifs constitue l’un des objectifs principaux
de la médecine ».
En ce qui concerne l’Italie, malheureusement la médecine palliative ne fait pas encore partie intégrante du cursus universitaire des
futurs médecins et a du mal à entrer dans l’organisation des soins
d’assistance, bien que le Code de Déontologie médicale 19 et les lois
18. « L’obligation de respecter et de protéger la dignité d’un malade incurable
ou d’un mourant est la conséquence naturelle de la dignité inviolable inhérente à
l’être humain à tous les stades de la vie », Recommandation n° 1418, 1999.
19. Le Code italien de Déontologie médicale, dans son article 37, dit : « En cas
de maladie au pronostic sûrement mortel et en phase terminale, le médecin peut
limiter son œuvre, si telle est la volonté spécifique du patient, à l’assistance morale et
aux soins destinés à éviter toute souffrance inutile, par le biais de traitements appropriés et en préservant autant que possible la qualité de la vie. En cas de compromis-
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promulguées par le Ministère de la Santé 20 s’y réfèrent amplement. Il
faut également souligner le manque d’équipements adéquats des hôpitaux en tant que lieux d’adieu à la vie, notamment dans certaines
régions, mais des centres exemplaires méritent cependant d’être mentionnés, tel celui de Foggia, dans les Pouilles. En effet, en Italie, les
Régions sont libres de leurs décisions en matière de santé publique
tant qu’elles respectent la loi nationale 21. En Ligurie, depuis le
16 mars 2007, un réseau de soins palliatifs commence à s’organiser.
III. LES SOINS DE FIN DE VIE DANS LE DÉBAT BIOÉTHIQUE
Le débat sur les soins de fin de vie se développe autour de questions délicates qui, comme on l’a vu, ont fait leur apparition en 1957
à partir des critères cliniques d’utilisation de la technologie médicale
et du sens de la souffrance. Cinquante ans plus tard, ces questions
demeurent actuelles et non résolues. Elles constituent également
l’objet de la bioéthique, science qui est née justement en réaction à ces
problématiques.
Voilà pourquoi il est intéressant, d’après moi, de s’interroger sur
les raisons qui ont poussé l’homme occidental à se doter, en 1970,
d’une nouvelle science : la bioéthique. Cette science, au moment
même d’être nommée, a été qualifiée de capacité herméneutique
(sagesse) et capacité à faire interagir les deux univers de la connaissance humaine (l’expérimental et l’anthropologique), séparés par le
positivisme. Il s’agit donc d’une double capacité, sans laquelle il
paraît impossible d’étudier en profondeur les nouvelles questions cliniques.
Les progrès de la biologie moléculaire ont pour conséquence le
déplacement du regard du scientifique vers les composantes quantifiables de la réalité. La reconnaissance des cellules comme fondement de
tout organisme déplace l’attention de l’être humain en tant que personne vers l’organisme. La conséquence extra-scientifique en est l’affirmation du concept de bonne naissance, qui dévie vers celui de qualité de vie.
sion de l’état de conscience, le médecin doit poursuivre la thérapie de maintien de la
vie tant que cela est raisonnablement utile… ».
20. Voir AMM. 20 janvier 2000, http ://www.ministerosalute.it/investimenti/
resources/documenti/Palliative/DECRETO_20_gennaio_2000.pdf ; Lois n° 12 du 8
février 2001, http ://www.ministerosalute.it/imgs/C_17_normativa_598_ allegato.pdf ;
21. Les Régions les mieux adaptées en la matière sont la Lombardie et l’Emilie
Romagne.
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En 1920, un juriste et un médecin ont publié un livre affirmant que
la rationalité du concept de qualité de vie permet de mettre plus ou
moins en valeur la vie humaine. Selon les auteurs, l’être humain peut
se retrouver dans des conditions de vie si pénibles que mieux vaut
alors mourir plutôt que continuer à vivre. Ils énoncent par la suite les
arguments d’ordre médical et juridiques qui, à leur avis, légitiment
l’euthanasie 22.
C’est à partir de là que les premières lois inspirées par la théorie
de la bonne naissance ont été promulguées aux États Unis. Et c’est
toujours sur ces bases que les médecins nazis ont réalisé des expériences qui ont ensuite été jugées comme des crimes contre l’humanité. Un concept de qualité de vie bien différent de la définition qu’on
lui prête dans le domaine des soins palliatifs, où il signifie accompagnement du mourant et prise en charge totale du souffrant. Selon
Evangelium Vitae, n° 64, lorsque le point fondamental est la tendance
à apprécier la vie seulement dans la mesure où elle apporte plaisir et
bien-être, la souffrance apparaît comme un échec insupportable.
La section du procès de Nuremberg “Procès aux médecins”,
condamne le concept même de qualité de vie plutôt que la façon dont
ont été recueillies et analysées les données à étudier. Le Code de
Nuremberg définit les aspects scientifiques et éthiques de l’acte
médical dans le cadre d’expérimentations sur le consentement libre et
éclairé du patient. Ce document et la Déclaration universelle des
droits de l’Homme, promulguée par l’Assemblée Générale des
Nations Unies, ont constitué les sources d’inspiration des Constitutions nationales écrites par la suite, ainsi que de celle de l’Union Européenne.
Une dizaine d’années plus tard, malgré la condamnation de
Nuremberg, l’Occident découvre que d’autres expériences ont été
menées sur des sujets incapables de donner leur avis quant au concept
de qualité de vie. On parle d’“expériences sauvages”. La réponse est
la Déclaration d’Helsinki de l’AMM qui réaffirme le concept de
consentement libre et éclairé et propose un Comité d’éthique ayant
pour but le contrôle du parcours scientifique et éthique de toute expérimentation sur l’homme et avec l’homme.
Plus récemment, face au développement de la génétique et du
génie génétique, le concept de qualité de vie est à nouveau réapparu.
La possibilité de connaître le patrimoine génétique engendre une sorte
22. SCHANK K. – SCHOOYANS M., Euthanasie : le dossier Binding & Hoche, Le
Sarment, Paris 2002 (référence au livre de Binding K.L. – Hoche A.E Die freigabe
der Vernichtung lebensunwerten Lebens, Meiner, Leipzig 1922 [1ère éd.1920]).
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de totalitarisme génétique 23 qui fait réclamer le droit à un diagnostic
pré-implantatoire et prénatal, ainsi qu’à l’euthanasie néonatale 24.
La vision restrictive de la biologie, consolidée par la génétique, a
des conséquences extra-scientifiques importantes. Il s’agit du glissement, dans le cadre de la conception anthropologique, de la vision de
l’être humain en tant que totalité unique des dimensions biologique,
psychique et spirituelle à celle de l’être humain en tant qu’organisme.
L’être humain en vient ainsi à participer d’une nature double : d’un
côté il appartient à l’espèce humaine d’un point de vue biologique, de
l’autre il est une personne dotée de capacités de relation et d’autonomie.
Au XXe siècle, nous avons donc d’un côté ces premières versions
restrictives, de l’autre la technologie médicale contribuant à modifier
la dimension clinique avec les incertitudes sur le malade que nous
avons vues ensemble. Le fondement anthropologique de la culture
occidentale en sort bouleversé, mais ces événements confirment aussi
la reconnaissance de la valeur intrinsèque et de la dignité inaliénable
de l’être humain. La transcendance de l’homme risquait de disparaître
face à l’importance accrue de la dimension biologique et organique.
De là, la naissance de la bioéthique, née du besoin de comprendre les
perspectives positives et les risques du progrès scientifique, technologique et médical.
La bioéthique, à l’origine, possède les caractéristiques d’une
science qui ne peut que coïncider avec la sagesse, la capacité herméneutique de saisir les interventions réalisées par la technologie dans
toute leur complexité. Le fait de pouvoir contrôler les phénomènes
physiologiques de l’organisme humain ne doit pas faire oublier la
transcendance de l’être humain : la phase finale de la maladie ne doit
pas obscurcir le drame et le mystère de la mort humaine. Pour ce faire,
il est impératif d’écouter également les sciences anthropologiques,
sans lesquelles on pourrait perdre de vue l’homme, cet être symbolique. C’est le rôle et le sens de la bioéthique. Sans un pont entre les
deux formes de savoir il n’y a pas de bioéthique, du moins pas dans
le sens original du terme.
23. TESTART J., Des hommes probables, Seuil, Paris 1999 ; Le pangénétisme : une
mystification scientifique et médicale in Cassou B. et Schiff M. (éd.), Qui décide de
notre santé ? Le citoyen face aux experts, Syros, Paris 1998, pp. 123-135.
24. Voir l’accord établi entre la clinique pédiatrique de Groningen et la magistrature locale, le dit Protocole de Groningen, dans VERHAGEN E., SAUER P.J., The Groningen Protocol – Euthanasia in Severely III NewBorns, New England Journal of
Medecine, 2005, 325 (10) : 959-962 ; et les perplexités de l’America Academy of
Pediatrics, Palliative Care for Children, “Pediatrics”, 106, 2 August 2000, pp. 351357.
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Si nous analysons le débat actuel, nous comprenons que les questions axées sur l’euthanasie ou sur la médecine de fin de vie, se fondent sur un concept restrictif et discriminant de qualité de vie. Ainsi,
la personne en état de coma post-traumatique ou victime de pathologies très graves serait considérée comme un être humain du point de
vue organique, mais non à part entière.
Ma question est donc la suivante : ce débat assez stérile indique-til que la bioéthique actuelle a perdu cette sagesse lui permettant d’être
conscience herméneutique et pont ? Une bioéthique se bornant à la
seule description de la donnée scientifique pour donner un jugement
éthique, est-elle une vraie bioéthique, sagesse et pont ?
Mariella Lombardi RICCI,
Facoltà Teologica dell’Italia Settentrionale,
Torino