Face au FN, droite et gauche dans le déni - entree

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Face au FN, droite et gauche dans le déni - entree
SCIENCE & MÉDECINE
LE BIG DATA
MALMÈNE LE DROIT
DES PATIENTS
SUPPLÉMENT →
Mercredi 9 décembre 2015 ­ 71e année ­ No 22051 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
Face au FN, droite et gauche dans le déni
DÉBATS
▶ « Je ne suis pas venu
GAUCHE,
LES RAISONS
D’UN ÉCHEC
pour m’excuser. » Face
à la montée du FN, M. Valls
n’a pas voulu évoquer l’in­
capacité du gouvernement
à résorber le chômage
Ratés du gouvernement,
désunion ou malaise plus
profond lié à des questions
d’identité politique ?
Réflexions d’entre-deux tours
sur les mauvais résultats
du PS aux élections régionales.
▶ « Le message des Fran­
çais s’adresse d’abord »
au gouvernement, a jugé
Nicolas Sarkozy, sans re­
mettre en cause sa straté­
gie face à l’extrême droite
CRIER « NO PASARAN ! »
NE SUFFIT PLUS
▶ Dans les villes
Professeur en sciences politi­
ques, Laurent Bouvet estime que
la culpabilisation des électeurs
du FN a fait son temps
qu’il dirige depuis 2014,
le parti de Marine Le Pen
progresse fortement
REFUSONS
L’AVEUGLEMENT
▶ Participation, rassemble­
ment de la gauche,
comportement
des électeurs : les incon­
nues du second tour
Pour la députée (PS) Aurélie Filip­
petti, dire que les résultats des
socialistes « ne sont pas si mal »
relève du déni de défaite
▶ Ces énarques et autres
centraliens qui se mettent
au service du FN
L’ABANDON DES
CLASSES POPULAIRES
→ LIR E
A force de vouloir briser
les tabous au nom du libéralisme,
la « gauche moderne » a laissé
la question sociale au FN, estime
Louis Maurin, de l’Observatoire
des inégalités
PAGES 2 À 9 E T 1 6
→ LIR E
PAGE S 1 8 - 1 9
Des militants du Front
national, le 6 décembre,
à Strasbourg.
JULIEN DANIEL / MYOP POUR « LE MONDE »
ÉDUCATION
LE PORTAIL
ADMISSION
POST-BAC REVU
PAGE 1 5
→ LI R E P A G E 27
SOCIÉTÉ
LE 21 DÉCEMBRE,
EDF SERA BANNI
DU CAC 40
TAPIE ORGANISE
LA « SAUVEGARDE »
DE SES BIENS
→ LIR E
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 4
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IHNG%KF%
FESTIVAL
INTERNATIONAL
DU FILM
DE TORONTO
PAGE 1 5
LE REGARD DE PLANTU REPORTAGE
KOSOVO :
LA TENTATION
DE L’ISLAMISME
par christophe châtelot
7*:.62.1 P 621/
pristina - envoyé spécial
L’
horizon de A. B. – un Koso­
var albanais qui rêvait
d’aventure et de guerre
sainte en Syrie – s’est brusque­
ment rétréci. Depuis des mois, son
univers se limite au modeste loge­
ment familial d’un ancien im­
meuble de l’armée yougoslave sis
dans un village triste proche de la
frontière macédonienne. Le jeune
homme de 28 ans broie du noir.
Aussi noir que le drapeau des dji­
hadistes auxquels il s’était joint
près d’Alep à l’hiver 2013­2014.
un ilm de
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MARIANNE
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CAUSETTE
©2015 Pyramide
→ LIR E
VENEZUELA :
LA DÉBÂCLE
DU POPULISME
BOURSE
C. >94O6C 7< +B =O><6@1<
→ LIR E L A S U IT E PAGE 1 0
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 10,50 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
2 | les élections régionales
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Gauche et droite
rechignent à
se remettre en
cause face au FN
Le PS et Les Républicains s’accusent
mutuellement d’être responsables
de la montée de l’extrême droite
J
e ne suis pas venu pour m’excuser. »
Ceux qui attendaient le début d’un
examen de conscience en ont été
pour leurs frais. Invité, lundi 7 dé­
cembre, du « 20 heures » de TF1, Ma­
nuel Valls s’est refusé à toute autocritique
après le score historique enregistré par le
Front national, la veille, au premier tour
des élections régionales. Pour le premier
ministre, qui ne s’était pas exprimé dimanche soir, pas question de reconnaître que
l’échec de la gauche, au pouvoir depuis
2012, sur le front du chômage et de la lutte
contre les inégalités est en partie responsable de la montée du FN, notamment dans
les milieux populaires.
Le chef du gouvernement, qui s’est érigé
depuis plusieurs mois en héraut récurrent
du combat contre l’extrême droite, n’entend pas laisser de place au moindre droit
d’inventaire personnel. Et les voix qui s’élèvent au sein du PS le font pour l’instant
sous couvert d’anonymat. « Le déni érigé
en art politique. Un déluge de béton, extrêmement inquiétant », commentait lapidairement un haut dirigeant socialiste après
la prestation télévisée de M. Valls. L’heure
des comptes n’a pas encore sonné, elle dépendra de l’ampleur du résultat socialiste
au soir du second tour, le 13 décembre.
Derrière le déni, cependant, point déjà
chez beaucoup une forte inquiétude.
« Cette fois-ci, c’est très sérieux, très grave,
et la menace, à moins de deux ans de la présidentielle, n’est pas illusoire. » Jean Glavany, comme d’autres responsables politiques, de droite comme de gauche, ne cache plus ses craintes. Pour le député socialiste, vieux grognard du PS qui a connu les
crises des années Mitterrand et Jospin, les
résultats du premier tour des élections régionales, dimanche 6 décembre, témoignent d’un danger maximal. L’extrême
droite peut prendre le pouvoir en France
et Marine Le Pen devenir, en 2017, présidente de la République.
« Alors, on fait quoi ? »
L’alerte, en réalité, n’est pas nouvelle : elle a
été donnée dès le 21 avril 2002, et n’a cessé
de s’amplifier au fil de la plupart des élections intervenues depuis. Mais personne,
ou si peu, n’a voulu l’entendre. « Alors, on
fait quoi ? On continue à se refiler le mistigri ? A droite, comme Sarko, qui se dit républicain mais (…) s’enfonce dans une stratégie suiviste à l’égard du FN qui apparaît chaque élection un peu plus comme une impasse. Ou à gauche aussi, bien sûr, où nous
avons tous notre part de responsabilité », a
lancé, lundi 7 décembre, sur son blog, le député des Hautes-Pyrénées.
Pour l’ensemble des responsables politiques, l’électrochoc du 6 décembre est violent. Comment éviter désormais ce qui serait considéré comme une catastrophe politique : la victoire, en 2017, de la présidente
du Front national ? Le premier tour des régionales rend désormais possible un tel
scénario, que beaucoup pensaient inimaginable il y a encore quelques semaines.
Depuis 2012, scrutin après scrutin, le parti
d’extrême droite bénéficie d’une dynamique puissante, qui traduit non plus seulement un vote de contestation chez ses
électeurs, mais d’adhésion.
En arrivant en tête dans six des treize
nouvelles régions, avec des scores dépassant les 40 % dans deux d’entre elles, le FN
a prouvé que son discours réussit à séduire dans des territoires aussi différents
que le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et la
Bourgogne-Franche-Comté ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et dans le
« Cette fois-ci, c’est
très sérieux, très
grave, et la menace,
à moins de deux ans
de la présidentielle,
n’est pas illusoire »
JEAN GLAVANY
député PS
Centre-Val de Loire. « On ne peut plus parler d’un simple vote de protestation quand
le FN est à des scores supérieurs à 10 % depuis trente ans, et qu’il a successivement
franchi les plafonds de verre à 15, 20,
25 % », explique Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite française et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Face à un tel séisme, les deux principaux partis de gouvernement, le PS et Les
Républicains (LR), ne semblent donc pas
pour autant disposés à engager de réels
examens de conscience. Au contraire, le
jour d’après, lundi 7 décembre, a pris des
allures classiques. Comme si, une fois le
choc traumatique encaissé, le corps politique tentait de se raccrocher à des habitudes, même dépassées, pour éviter de
sombrer dans l’inconnu d’une recomposition générale qui semble de plus en plus
inéluctable.
«Un score pas si catastrophique »
Au PS, la tentation du déni est d’autant
plus forte que beaucoup éprouvent
aujourd’hui une forme de soulagement
gêné. Les socialistes n’osent pas le dire clairement, mais ils estiment en réalité avoir
évité le pire dimanche dernier, et nourrissent même encore l’espoir de conserver
plusieurs régions dans une semaine. Les
victoires potentielles ne se limitent pas,
pour la Rue de Solférino, à la Bretagne, à la
Corse et à l’Aquitaine-Limousin-PoitouCharentes. Le PS pense pouvoir aussi l’emporter en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées et en Ile-de-France, si les reports de
voix à gauche sont bons. Et pourquoi pas,
rêvent certains socialistes, en Normandie
et dans le Centre-Val de Loire ?
Si, le 13 décembre, la gauche au pouvoir
garde entre trois et sept régions, le bilan à
ses yeux sera plus que positif. Bien sûr, il
aura fallu « sacrifier » le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et PACA, en procédant au retrait des listes PS pour faire barrage au FN,
mais l’essentiel sera sauf. Dans ces régions, les socialistes vont disparaître des
écrans radar pendant six ans, un véritable drame politique et militant, surtout
dans un bastion historique comme le
Nord. Mais la situation l’imposait, explique-t-on à Paris. « Quand la République
est en jeu, on n’hésite pas », a résumé,
lundi soir, M. Valls.
Des proches de François Hollande y
voient même une « bonne décision » en
perspective de 2017. « Ce n’est pas un score
si catastrophique qu’on pouvait le craindre pour Hollande », analyse un ministre.
Les résultats des régionales, en ayant inévitablement des conséquences directes
pour la présidentielle, pourraient même
« profiter » au chef de l’Etat, veut croire
un conseiller gouvernemental.
Muet depuis le premier tour, le président
de la République pourrait ainsi apparaître
dans dix-huit mois, selon son entourage,
comme le seul rempart « républicain »
Manuel Valls sur le plateau du « 20 heures » de TF1, le 7 décembre. KENZO TRIBOUILLARD/REUTERS
face à Marine Le Pen. Un FN fort et une
droite incapable d’être au clair sur sa ligne
face à l’extrême droite l’y encourageraient.
Le premier ministre l’a d’ailleurs suggéré
sur TF1, en faisant passer un message très
politique : la gauche, selon M. Valls, est
« digne » en se retirant dans les régions où
le FN peut l’emporter, contrairement à
une droite qui n’est pas « à la hauteur des
événements ». Un distinguo moral que le
PS ne manquera pas de rappeler au moment de la présidentielle.
C’est tout le paradoxe du scrutin du 6 décembre plaqué en 2017 : François Hollande pourrait être, dans deux ans,
l’homme fort d’une gauche faible. Avec un
Front de gauche à 4 % et des écologistes à
moins de 7 % au premier tour des régionales, alors que les socialistes approchent les
24 %, le darwinisme politique de François
Hollande va faire son chemin : seuls finissent par s’imposer ceux qui restent debout jusqu’au dernier moment. Et à gau-
che, en 2017, ce sera le PS, estime le chef de
l’Etat, faute d’alternative crédible.
« Une expression de colère »
A droite, plusieurs mesurent déjà le risque de faire les frais de ce positionnement de l’exécutif. « Hollande et Valls
sont déjà en train de jouer la campagne
présidentielle, s’inquiète un proche de Nicolas Sarkozy. Ils ont décidé de retirer leurs
candidats pour faire barrage au FN, avec
l’idée de dire : “Nous, on est plus républicains que la droite, qui reste sur le ni-ni’’. Ils
veulent capitaliser sur la montée du FN et
se poser comme les seuls défenseurs de la
République pour ressouder l’électorat de
gauche. » Face à la poussée historique de
l’extrême droite, Nicolas Sarkozy et ses
troupes se sont immédiatement réfugiés
dans le déni, lundi. Avec un seul mot d’ordre, abondamment relayé : « Le vote en
faveur du Front national est avant tout
une expression de colère. »
Un vote de rejet qui serait uniquement
motivé par celui de la politique du gouvernement. « Le message des Français
s’adresse d’abord à ceux qui exercent les
responsabilités à la tête de l’Etat et de presque toutes les régions de France », a affirmé M. Sarkozy, dès dimanche soir,
avant d’attribuer le lendemain, au
« 20 heures » de France 2, la responsabilité de la montée du FN au PS : « Chaque
fois que la gauche a été au pouvoir, ça s’est
traduit par une explosion du vote de l’extrême droite. » Pas question, pour le président du parti Les Républicains, de se lancer dans une remise en cause de sa stratégie face à l’extrême droite.
En interne, cependant, tous les ténors
de droite ne sont pas de cet avis. Plusieurs
jugent que la contre-performance de leur
camp doit être imputée au patron du
parti. Dès lundi matin, les langues se sont
déliées. Et les premiers coups ont plu :
« C’est l’échec de Nicolas Sarkozy car d’évi-
les élections régionales | 3
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Dilemme à gauche en PACA :
« Voter Estrosi, je ne peux pas »
Après le retrait de leur liste en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les électeurs
socialistes renâclent à voter pour le candidat des Républicains
marseille - correspondance
L
Jean-Pierre
Raffarin, après
la réunion du
bureau politique
des Républicains,
à Paris,
le 7 décembre.
JEAN-CLAUDE
COUTAUSSE/FRENCHPOLITICS POUR « LE MONDE »
« Le message des
Français s’adresse
d’abord à ceux
qui exercent les
responsabilités
à la tête de l’Etat »
NICOLAS SARKOZY
président du parti Les Républicains
dence, il n’est pas crédible comme représentant de l’alternance après avoir luimême, les Français le lui avaient signifié,
échoué avant 2012 », a asséné Hervé Mariton, jugeant l’ex-chef de l’Etat disqualifié
pour 2017.
Même Eric Woerth, qui fait partie des
lieutenants de M. Sarkozy, a surpris tout
son monde en tenant des propos critiques contre l’ancien président de la République : « Nous n’avons pas de leader officiel, légitime, qui porte les couleurs officielles de l’ensemble du parti », a-t-il tranché
sur i-Télé, en soulignant que si M. Sarkozy
est « le leader du parti », il ne sera pas nécessairement le candidat que « la primaire va désigner pour l’élection présidentielle ». « La droite n’est pas prête, Les Républicains ne sont pas prêts, nous ne sommes pas en ordre de bataille nationale », at-il regretté, tout en pointant « une forme
de division » interne.
M. Woerth ne croit pas si bien dire. Lors
du bureau politique de LR, lundi à 11 heures, chacun a compris d’emblée que tous
les ingrédients sont réunis pour que la
droite explose dès le soir du second tour.
Car les rivaux de M. Sarkozy pour la primaire n’attendent qu’une chose : présenter la note à celui qui n’a pas réussi à faire
refluer l’extrême droite, alors qu’il s’était
lui-même présenté comme le « meilleur
rempart au FN » lors de son retour en politique, à l’automne 2014.
Jugeant la situation alarmante, Alain
Juppé et François Fillon annoncent déjà
leurs intentions d’en découdre après le
13 décembre. D’ici à dimanche, les deux
principaux concurrents de M. Sarkozy
vont retenir leurs coups pour ne pas être
accusés d’avoir joué contre leurs troupes.
Lundi matin, ils ont fait certes partie des
65 ténors de LR qui ont approuvé le « ni
retrait ni fusion » des listes au second tour
proposé par M. Sarkozy – seuls Nathalie
Kosciusko-Morizet et Jean-Pierre Raffarin
ont voté contre –, mais le débat sur le fond
n’en est que repoussé.
« On serre les dents »
« Au lendemain de l’élection, il va falloir que
nous ouvrions un débat sur la situation actuelle qui fait que, soyons lucides, nous ne
sommes pas audibles », a affirmé lundi le
maire de Bordeaux. Pour ce partisan d’un
rapprochement avec le centre, il sera
temps de remettre en question la ligne
droitière de M. Sarkozy. L’échec de son
camp au premier tour des régionales renforce sa conviction : pour lui, il est contreproductif de courir après l’extrême droite.
Cela pousse des électeurs à préférer l’original à la copie. Même attitude chez
M. Fillon, partisan de « reporter après le second tour les examens de conscience ». En
attendant, « on serre les dents et on fait
campagne sans états d’âme ».
Le débat s’annonce rude, d’autant que
M. Sarkozy a déjà prévenu qu’il n’entendait pas changer sa stratégie face au parti
de Marine Le Pen, qui consiste à reprendre
les thématiques chères à l’extrême droite
(immigration, sécurité, islam) pour tenter
de retenir les électeurs de droite attirés
par le FN. « Il nous faut entendre et comprendre l’exaspération de tous ceux qui ont
peur qu’on méprise leur identité et change
leur mode de vie. (…) Nous devons impérativement rester fidèles à nos convictions »,
a-t-il souligné dès dimanche soir.
Le lendemain, sur France 2, il a même
tenu à souligner son antériorité par rapport à Mme Le Pen sur les thèmes de
« l’identité nationale » ou des « racines
chrétiennes » de la France, en rappelant
qu’il les avait abordés « dès 2007 ». Mais
l’ex-chef de l’Etat sait aussi qu’à trop labourer le terrain du FN, il risque de décomplexer une partie de ses électeurs et
de les faire basculer dans le camp frontiste. Il l’a lui-même reconnu lundi soir :
« Il faut rétablir de l’autorité et de la fermeté dans notre pays », mais « la difficulté
qui est la nôtre, c’est de répondre à cette radicalité sans soi-même être dans l’extrémisme et dans l’excès ». p
bastien bonnefous
et alexandre lemarié
es électeurs de gauche vote­
ront­ils Christian Estrosi,
dimanche 13 décembre, au
second tour des régionales en Pro­
vence­Alpes­Côte d’Azur (PACA) ?
Avec un retard de 249 834 voix sur
Marion Maréchal-Le Pen (FN),
l’équation est simple pour le candidat du parti les Républicains qui
a choisi comme slogan de campagne dans l’entre-deux-tours : « Le
résistant ».
La victoire ne passera que par un
report massif des 410 000 soutiens du PS et de la liste EELVFront de gauche au premier tour.
Voilà pour la théorie. Même si
plusieurs voix socialistes, comme
celles du président sortant du
conseil régional, Michel Vauzelle,
ou de l’ancienne ministre MarieArlette Carlotti appellent à voter
Estrosi, l’exercice pratique s’annonce plus aléatoire.
Dès dimanche soir, au Dock des
suds de Marseille, où Christophe
Castaner (PS) a annoncé son retrait sous la pression des décisions nationales et contre l’avis de
nombreux colistiers, les débats
ont duré tard. « Pourquoi aller si
vite ? s’emporte Sébastien Jibrayel, conseiller régional sortant.
On ne pouvait pas prendre le temps
de réfléchir à la meilleure solution ? » « Je reçois des messages de
militants qui me disent qu’on s’est
couchés devant Paris, enrage l’élu
arlésien Mohamed Rafaï. Les électeurs de gauche n’iront pas voter
Estrosi. On disparaît du conseil régional et, en plus, le FN va gagner.
On aura tout perdu. »
Lundi, la colère était un peu retombée, mais le doute persiste.
L’un des gimmicks de Castaner,
« On ne peut choisir entre l’extrême droite et la droite extrême »,
résonne étrangement dans l’esprit des sympathisants de gauche.
« Expliquer »
Dans son magasin de reprographie du 5e arrondissement de Marseille, Marie-Clémence Balle,
62 ans, a « la boule au ventre ».
Cette électrice qui a donné ses voix
« alternativement aux socialistes,
aux Verts ou au Front de gauche »
vit cette fois un déchirement.
« En 2002, j’ai voté Chirac… Mais là,
Estrosi, je ne peux pas. Tout ce qu’il
a pu dire durant cette campagne,
tout ce qu’a fait Sarkozy depuis qu’il
a créé le ministère de l’identité nationale, me donne l’impression qu’il
n’y a pas de différence avec le FN.
Pour la première fois de ma vie, je
vais voter blanc. »
Au centre-ville, Jean-Louis et
Marie-Claude Bouillot, militants
PS, digèrent mal, eux aussi. La
veille, ces deux retraités sont sortis ravis de leur bureau de vote, un
« Tout ce
qu’Estrosi a dit
me donne
l’impression
qu’il n’y a pas
de différence
avec le FN »
MARIE-CLÉMENCE BALLE
sympathisante de gauche
des rares où les socialistes sont
arrivés en tête. L’annonce du retrait du PS leur a donné « un coup
violent ». « On a passé des semaines à expliquer aux gens pourquoi il fallait voter Castaner et pas
les Républicains, note Jean-Louis
Bouillot. Je ne me vois pas maintenant expliquer pourquoi il faut
voter Estrosi. »
« Expliquer », le député socialiste
des Bouches-du-Rhône, Patrick
Mennucci, veut pouvoir le faire
face à ses électeurs. « Mais pour
convaincre, il nous faut des billes »,
assure-t-il. A la première heure,
lundi, il a appelé Renaud Muselier,
tête de liste LR dans le département pour lui proposer de « s’engager sur plusieurs points de la future politique régionale et notamment la préservation de mesures
sociales du précédent mandat ».
« Se retirer était la seule solution,
mais cela ne suffit pas : il en faut
beaucoup plus pour pousser les
électeurs de gauche à aller voter
Estrosi », poursuit M. Mennucci,
qui, lors des municipales
mars 2014, avait maintenu ses listes dans une triangulaire qui a
permis au FN de remporter une
mairie de secteur.
En déplacement à Paris pour la
journée, Nicolas a, lui, déjà subi
l’impact du premier tour en PACA.
« A peine arrivé, on m’a demandé
si ça se passait bien à Marseille
avec le FN, explique ce quadra qui
travaille dans l’analyse financière.
Avant même le second tour, le reste
du pays assimile déjà notre région
et le Front. » Electeur de gauche
dans un milieu professionnel très
à droite (d’où sa volonté de rester
anonyme), il ne se pose aucune
question : « Au second tour, je voterai Les Républicains, parce que je
sais le désastre que provoquerait
une victoire du FN pour l’activité et
l’image de PACA. »
« Une pince à linge sur le nez »
« Je voterai moi aussi, mais avec
une pince à linge sur le nez », assure Nassera Benmarnia. Cette
conseillère d’arrondissement socialiste en est persuadée : « La
stigmatisation des musulmans
par Christian Estrosi en début de
campagne a laissé des traces qu’il
sera difficile d’effacer » chez les
électeurs, qui, comme elle, ont
des racines au Maghreb.
« Aujourd’hui, j’ai testé l’appel à
voter à droite pour empêcher le FN
de gagner. C’est totalement inaudible auprès de nos électeurs », souffle, de son côté, le copilote de
l’union EELV-Front de gauche,
Jean-Marc Coppola. Avec 6,5 % des
voix, sa liste a abdiqué ses rêves de
maintien. Et le désistement du PS
a mis fin aux espoirs de fusion.
« Je crains que ce retrait ne serve finalement à rien », prophétise l’élu
PC. Comme beaucoup en PACA, il
regrette
« amèrement »
qu’aucune force de gauche ne soit
présente au second tour. p
gilles rof
!" $&('%#
= 2 ( 7 # $ 2 . $ 9 ( 1 1 A # ! = 2 (- ! 1
Gattaz réclame un
« plan d’urgence »
contre le chômage
Le président du Medef, Pierre
Gattaz, a appelé, mardi 8 décembre, le gouvernement à mettre en place un plan d’urgence
national contre le chômage, « le
problème le plus grave » à ses
yeux. « On n’a pas fait ce qu’il fallait sur le chômage de masse.
Vous avez vu les attentats terroristes. Il y a eu un plan d’urgence,
un état d’urgence, a-t-il ajouté. Il
faut faire la même chose sur le
chômage. » Il préconise une réhabilitation des filières d’apprentissage et une lutte contre
le décrochage scolaire.
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4 | les élections régionales
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Dans l’Est, M. Masseret assume sa dissidence
Malgré les ordres de la direction du PS, le candidat refuse de retirer ses listes et veut se maintenir au second tour
P
osé à l’envers sur la table,
son portable vibre en
continu. La France socialiste veut le joindre pour
le féliciter, le rappeler à la raison
ou le menacer. Jean-Pierre Masseret s’en désintéresse. Les yeux
dans le vague, il laisse l’appareil
s’épuiser sans consulter les appels
en absence. A 71 ans, le candidat
PS pour la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine a décidé de
s’assumer et de faire fi des consignes parisiennes. Réfugié dans la
fédération socialiste de Moselle,
bâtiment cubique et austère, il
veut mener ce dernier combat en
solo. Et tant pis s’il est perdu
d’avance. « La solution de facilité,
pour moi, aurait été le retrait.
J’aurai plié les gaules, et c’était fini.
Là, je vais prendre des coups, ils
vont me vouer aux gémonies, me
bouffer le foie, me jeter à la poubelle », souffle-t-il, calme, au milieu de l’agitation de ses conseillers.
Le président du conseil régional
de Lorraine a obtenu 16,11 % des
suffrages au premier tour, loin
des 25,83 % de Philippe Richert, le
candidat de la droite, et très loin
des 36,06 % de Florian Philippot
(FN). Malgré ce score, le plus faible
de toutes les listes socialistes, il ne
se sent pas fautif. Il préfère accuser le contexte national et
« Sarkozy et ses boys qui ont ouvert
les brèches ». « Nous ici, nous
n’avons jamais rien fait pour alimenter la montée du FN. Parce que
les résultats ne sont pas là, il faudrait prendre son sac et s’en aller.
Une élection, c’est fait pour aller
jusqu’au bout. » Entre survivre
dans une collectivité dirigée par le
FN ou disparaître en victime expiatoire des échecs de toute la
classe politique, le Lorrain a
choisi. Et il est têtu.
Le bras de fer entre la Rue de Solférino et les socialistes de l’Est n’a
pas cessé depuis dimanche soir. A
peine les résultats connus,
M. Masseret prend les devants et
martèle à la presse sa stratégie assumée depuis des semaines : il ne
Manuel Valls
envoie lundi
un message
au candidat :
« Tu commets
une erreur. Tu
ne peux pas avoir
raison contre
tout le monde »
se retirera pas. A Paris, presque au
même moment, Jean-Christophe
Cambadélis, le premier secrétaire
du PS, réaffirme la ligne du parti
et cite les régions où ce désistement devra être respecté : NordPas-de-Calais Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Aucune
mention n’est alors faite de l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. La direction du PS veut laisser quelques heures à M. Masseret
pour résister puis sortir la tête
haute de cette débandade.
« Il a envie qu’on le force à se retirer », explique alors, confiant, un
dirigeant socialiste. Mais le PS déchante rapidement devant l’obstination de l’ancien secrétaire
d’Etat aux anciens combattants.
« Il se refuse à tout contact, et
c’était déjà le cas avant le premier
tour, regrette Christophe Borgel,
le responsable des élections au PS.
C’est la seule équipe de campagne
avec laquelle je n’ai pas pu discuter
la semaine dernière. »
Les dirigeants socialistes, tout
en appelant à voter pour la droite
dans cette région, occupent la
journée de lundi à le raisonner
par médias interposés. M. Cambadélis assure sur RTL que le candidat PS se retirera. Sur Europe1,
M. Masseret lui répond que non.
Le patron du PS monte en gamme
sur BFM-TV : « Je ne crois pas que
Jean-Pierre Masseret, après une vie
consacrée à la gauche, souhaite à
71 ans terminer par la victoire de
M. Philippot. »
M. Richert (LR) appelle à la mobilisation
« Je laisse Jean-Pierre Masseret et le Parti socialiste décider, sachant que s’ils ne se retirent pas, évidemment, ils favorisent le FN »,
a expliqué le candidat de la droite et du centre, Philippe Richert,
dans un entretien à France Bleu Alsace, lundi 7 décembre. Le président du conseil régional d’Alsace a, en revanche, répété son
scepticisme quant à l’idée d’une fusion, estimant qu’il n’était
« matériellement pas possible de faire une fusion sur 10 départements » en moins de deux jours. Son parti, les Républicains, refuse de toute façon toute idée de fusion avec d’autres listes.
M. Richert a également appelé à la mobilisation de tous les
autres partis pour faire barrage au FN : « Il y a quand même plus
de 60 % des électeurs qui ne souhaitent pas que le FN soit à la tête
de la région, il faut en tirer toutes les conséquences. »
Le candidat socialiste Jean-Pierre Masseret lors d’une conférence de presse à Metz, le 7 décembre. JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN/AFP
En région, les élus locaux s’en
mêlent. Le maire de Metz, Dominique Gros, la députée de la Moselle, Aurélie Filippetti, le maire de
Strasbourg, Roland Ries, le président du conseil départemental de
Meurthe-et-Moselle,
Mathieu
Klein, réclament le retrait. L’un
des colistiers de M. Masseret, Samuel Hazard, maire de Verdun
(Meuse), annonce son départ de
l’équipe. Toujours pas de réponse.
Les grands moyens sont alors déployés. Manuel Valls envoie un
message au candidat : « Tu commets une erreur. Tu ne peux pas
avoir raison contre tout le monde. »
« Adversaire et ennemi »
M. Masseret est alors en réunion
avec les têtes de liste et les premiers secrétaires fédéraux des
dix départements de la région. Il
répond au premier ministre que
l’évitement est voué à l’échec,
pendant que ses colistiers débattent sur la meilleure façon de résister au FN. « C’est dommage que
l’on s’y mette lors d’un entre-deux
tours mais cela faisait longtemps
que nous n’avions pas eu d’échanges aussi intéressants au sein du
PS », estime Julien Vaillant, tête de
liste en Meurthe-et-Moselle, qui
s’est prononcé pour un retrait
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afin de ne pas « confondre l’adversaire qui est la droite et l’ennemi
qui est l’extrême droite ».
Lui, comme quelques autres,
pensent au court terme en voulant
préserver la région du danger frontiste. D’autres affirment que le
« front républicain » ne fonctionne
plus, que le retrait sert le FN sur le
long terme en entretenant la confusion entre les partis. Une analyse partagée par presque tous les
dirigeants de la droite convertis au
« ni-ni » depuis des années. Certaines têtes de liste brandissent
même des analyses électorales sur
les reports de voix de la gauche
vers le FN. Et une division se dessine entre élus urbains, moins
concernés par l’hémorragie, et
élus ruraux, menacés par la disparition pure et simple du PS dans les
mairies et dans les sections.
« Moi, je me contrefous des consignes de Paris. Comment reconstruit-on en désertant les collectivi-
« Moi, je me
contrefous
des consignes
de Paris »
GEORGES VOIRNESSON
premier secrétaire fédéral
de la Haute-Marne
tés ? Il faut se battre pied à pied
pour préparer l’avenir », analyse Georges Voirnesson, premier
secrétaire fédéral de la HauteMarne. Opposé sur la stratégie à
court terme, M. Vaillant le rejoint :
« Il est temps de passer à autre
chose, de réfléchir car nous sommes divisés en profondeur. Le cordon sanitaire ne marche pas toujours et apporte des réponses à
courte vue. Je ne suis, par contre,
pas sûr que le PS soit outillé intellectuellement pour nous apporter
quelque chose. » M. Masseret organise alors un vote : 13 voix pour le
maintien, 7 contre. Sa liste du second tour a été déposée à la préfecture, lundi en fin d’après-midi.
Le PS ne désespère pas de convaincre M. Masseret de se raviser
avant mardi 18 heures. A défaut, le
parti retirera son investiture. A
plus longue échéance, difficile de
savoir si cette fronde est révélatrice du scepticisme des élus de
base sur la stratégie du front républicain ou juste l’histoire de quelques élus voulant sauver leurs postes. « J’irai jusqu’au bout même si je
vais prendre mon parti dans la
tête », conclut M. Masseret qui a
promis à sa femme que cette campagne serait la dernière. Une dernière qui pourrait se conclure par
l’élection du premier président
frontiste d’une région française. p
nicolas chapuis
et matthieu goar
(strasbourg, envoyé spécial)
Un admirateur de Vercingétorix
qui cultive l’art de la transgression
ancien champion de marathon, Jean-Pierre Masseret sait
que la politique est une question
d’endurance. La course de fond va
se poursuivre jusqu’au 13 décembre, après son refus de se retirer à
l’issue du premier tour des élections régionales, malgré les consignes données par le premier secrétaire du Parti socialiste, JeanChristophe Cambadélis, appelant
à faire barrage au Front national
et au retrait de la liste PS.
Le président sortant du conseil
régional de Lorraine et tête de
liste socialiste aux élections régionales en Alsace-ChampagneArdenne-Lorraine a indiqué qu’il
n’était « pas question pour [lui] de
se retirer », ni de fusionner des listes avec celles de la droite.
Cheveux gris, fines lunettes noires, l’homme, qui vient de fêter
ses 71 ans, « avoue cultiver l’art de
la transgression » et « aime inciter
l’autre à penser autrement, au risque de se perdre », relevait le quotidien La Montagne en septembre.
Décrit comme « intelligent »,
« chaleureux » et « humaniste » par
Philippe David, l’ancien maire de
Hayange (Moselle), Jean-Pierre
Masseret assure que « pour lui, les
mots de “liberté”, d’“égalité”, de
“fraternité” ne sont pas trois mots
pour faire joli au fronton des bâti-
ments publics, ils expriment, outre
la devise de notre République, l’affirmation de l’universalité de l’humanité ».
D’origine modeste, ce fils d’un
mineur de charbon, marié et père
de trois enfants, est né à Cusset,
dans l’Allier. Diplômé d’une maîtrise de droit international à la faculté de Clermont-Ferrand, il a
commencé sa carrière en devenant inspecteur des impôts à Paris.
Première élection en 1979
Il a atterri en Lorraine après sa nomination à Metz. « A l’époque, on
en parlait comme du Texas français. J’ai vu l’effroyable disparition
de la sidérurgie et des mines de fer,
de la chimie. J’ai vécu le choc de la
désindustrialisation, la mondialisation. Alors, je me suis engagé
aussi pour défendre les intérêts des
Lorrains et des Mosellans », a-t-il
raconté à Rue89. Il ne quittera
plus la région.
Depuis sa première élection,
en 1979, comme conseiller général dans le canton de Montignylès-Metz (Moselle), Jean-Pierre
Masseret a toujours été titulaire
d’un mandat. Après deux échecs
aux élections législatives de 1978
et 1981, il est élu au Sénat en 1983,
à l’âge de 39 ans.
Quatorze ans plus tard, il est
nommé secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants
par Lionel Jospin. Son passage au
gouvernement est notamment
marqué par la reconnaissance officielle de la « guerre d’Algérie »,
jusque-là pudiquement qualifiée
par les autorités d’« événements »
ou d’« opération de maintien de
l’ordre ».
« Européen convaincu », celui qui
a exercé plusieurs mandats européens a voté contre le Traité constitutionnel en 2005, considérant
que ce « n’était pas un projet politique de bon niveau et qu’il faisait la
part belle à une gestion économique droitière », comme il l’explique sur son site de campagne
pour la présidence de la région.
A la tête de la région Lorraine depuis 2004, il a tenu 35 promesses
sur les 73 qu’il avait annoncées,
contre 11 non tenues et 19 inachevées (8 étant invérifiables), selon
le décompte du Monde.fr.
Admirateur de Vercingétorix,
« le Gaulois qui a mis la pâtée au
Romain Jules César, et qui, trahi
par les siens, a fini par croupir à
Alésia », Jean-Pierre Masseret se
verrait bien réincarné en olivier,
symbole de victoire, de paix et de
réconciliation. D’ici là, il aura encore quelques guerres politiques
à mener. p
faustine vincent
Photo © Hannah Assouline
DANS LES MEILLEURES VENTES
« Une pensée inquiète, passionnée par
son époque, traversée par les contraintes. »
Frédéric Joignot, Le Monde
« Sa parole exigeante trouve
un écho profond dans l’inconscient collectif. »
Vincent Trémolet de Villers, Le Figaro
« Ses lucidités visionnaires d’hier sont devenues
des vérités criantes aujourd’hui.
Alain Finkielkraut n’a jamais manqué de courage. »
Jean-René Van Der Plaetsen, Le Figaro Magazine
« Il faut souligner l’aspect
à la fois humain et politique de ces textes. »
Marc Weitzmann, Libération
« Alain Finkielkraut trace à la machette
un chemin de rélexion à travers les grands débats
qui divisent le pays. »
Christian Makarian, L’Express
« Alain Finkielkraut
est parfaitement de son temps. »
Patrice Trapier, Le JDD
« La vigilance de Finkielkraut est salutaire. »
Pierre Pachet, Causeur
6 | les élections régionales
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Au second tour,
la gauche part
unie dans
huit régions
Socialistes, écologistes et Front
de gauche ont fusionné leurs listes
partout, sauf en Bretagne
A
peine les résultats du
premier tour des régionales connus, dimanche 6 décembre, les têtes de liste de gauche ont entamé
un véritable marathon en vue du
second tour. Dès 20 heures, les
équipes socialistes, écologistes et
Front de gauche, se sont mises au
travail souvent toute la nuit, voire
plus, pour tenter de trouver un accord avant la date limite du dépôt
des listes, mardi, 18 heures.
Au final, malgré leurs profondes
divergences, notamment sur la
politique économique du gouvernement, les listes de gauche partiront unies dans huit régions sur
les douze continentales – un accord en Bretagne ayant échoué
mardi matin. En Corse, les socialistes, qui n’ont pas atteint les 5 %
des voix, soutiennent le candidat
divers gauche, Paul Giacobbi, qui
a fusionné avec le PCF. Au soir du
premier tour, le PS est systématiquement arrivé en tête des listes
de gauche – une première position qui lui a permis de négocier
en position de force – mais il a besoin de ses alliés s’il veut avoir
une chance de l’emporter. Pour
pouvoir fusionner, il faut avoir
réalisé au moins 5 % des voix. Ce
ne fut pas le cas pour EELV dans
deux régions et dans six pour le
PCF seul ou le Front de gauche.
C’est sans doute à Paris que
l’union a été la plus facile. Lundi à
17 heures, le socialiste Claude Bartolone, l’écologiste Emmanuelle
Cosse et le communiste Pierre
Laurent sont venus annoncer à la
presse leur mariage politique.
« Avec un total de 40 % au premier
tour, les listes que nous représentons sont en position de gagner », a
assuré M. Bartolone. Une tête de
liste a été accordée à EELV dans le
Val-d’Oise, et une autre, dans le
Val-de-Marne, au PCF. Au-delà,
« les places sur les listes ont été attribuées à la proportionnelle des
résultats du premier tour », a expliqué Luc Carvounas, directeur de
campagne du candidat socialiste.
Simple « accord technique »
La perspective de voir gagner la
droite a aussi facilité les discussions dans des territoires marqués par une forte opposition à
gauche. C’est le cas en Pays de la
Loire, où la liste de la droite et du
centre est arrivée largement en
tête dimanche soir. Malgré leurs
profondes divergences sur le projet d’aéroport de Notre-Damedes-Landes que le PS défend
quand EELV le combat, les deux
formations ont réussi à s’entendre. Sur cet épineux dossier, les
écologistes ont obtenu le lancement d’une « étude indépendante
sur l’optimisation » de l’aéroport
existant de Nantes-Atlantique.
Concernant les travaux, dont la
reprise est prévue en 2016, des
A La Réunion, la gauche
et le centre s’unissent
pour battre la droite
Thierry Robert (MoDem),
qui a recueilli 20,32 %.
Les listes de gauche et du
centre de La Réunion ont
trouvé un accord lundi 7 décembre pour tenter de battre
celle d’union de la droite, menée par le président sortant
du conseil régional, Didier
Robert (LR), et arrivée en tête
dimanche. Cette liste de rassemblement sera conduite
par la députée Huguette
Bello, qui a recueilli 23,8 %
des voix au premier tour,
avec, en seconde position,
Corse : les nationalistes
fusionnent ainsi que la
droite au second tour
Les deux principales listes
nationalistes corses, Femu
a Corsica (conduite par Gilles
Simeoni) et Corsica Libera,
ont annoncé, lundi 7 décembre, leur fusion pour le second tour. Idem pour les
deux principales listes de
droite : celle de José Rossi
(LR-UDI) et celle de Camille
de Rocca Serra.
Jean-Marie LE GUEN
Bruno LE MAIRE
Florian PHILIPPOT
sont les invités de
EDITION SPECIALE - ELECTIONS REGIONALES
Mercredi 9 décembre à 20h30
Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA
Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Yaël GOOSZ
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL,
En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
Jean-Jack Queyranne, tête de liste socialiste en Auvergne-Rhône-Alpes, entouré de la candidate communiste Cécile Cukierman
et du candidat EELV Jean-Charles Kohlhaas, lundi 7 décembre à Lyon. PHILIPPE DESMAZES/AFP
En Bretagne, où
la liste de JeanYves Le Drian
a réuni 34,92 %
des voix,
le PS a jugé les
exigences d’EELV
« au-delà de
l’entendement »
ambiguïtés dans le texte de l’accord subsistent, que chacun
pourra utiliser à sa guise.
En Rhône-Alpes-Auvergne, les
négociations ont été plus poussives, même si elles ont fini par
aboutir. Mais ici les divergences
entre la liste socialiste de Jean-Jack
Queyranne et celle de l’écologiste
Jean-Charles Kohlhaas, qui unissait EELV et le PG, étaient trop profondes pour parvenir à un accord
de majorité. C’est donc à une simple « fusion technique » que les
deux équipes sont parvenues. Cela
implique une répartition des places à la proportionnelle des résultats du premier tour mais sans engagement à participer à la future
majorité en cas de victoire. « D’une
certaine façon, c’est plus confortable : cet accord technique nous permet de ne pas fusionner avec une ligne sociale-libérale qui nous pose
problème », indique M. Kohlhaas.
En Bretagne, en revanche, les
discussions ont tourné court
mardi matin. Déjà en 2010, écologistes et socialistes n’avaient pas
conclu d’accord. Rebelote cette
année entre la liste conduite par le
ministre de la défense, Jean-Yves
Le Drian, et celle de René Louail
(EELV) qui a obtenu 6,70 %.
M. Le Drian ayant réalisé le
meilleur score du PS avec 34,92 %
des suffrages, les socialistes ont
jugé les exigences d’EELV « audelà de l’entendement ». « Les
Verts lui auraient coûté électoralement dans la dynamique de second tour » confie un proche du
candidat PS. Une appréciation qui
a suscité la colère de David Cormand, chargé des élections à
EELV : « Le seul endroit où ça ne se
fait pas, c’est là où il y a un ministre. C’est la bande de Hollande, ce
sont les plus sectaires. Il y a les
mecs du gouvernement qui sont
complètement à côté de la plaque
et ceux qui essayent d’écoper leurs
conneries ailleurs en France. »
Restent les régions où le PS a décidé de retirer ses listes face au
danger du Front national. Ses
partenaires d’EELV et du PCF, qui
n’étaient pas en mesure de se
maintenir, ne digèrent toujours
pas cette « décision unilatérale ».
En Provence-Alpes-Côte-d’Azur,
l’écologiste Sophie Camard qui
conduisait une liste avec le Front
de gauche aurait aimé que la gauche se maintienne face à Marion
Maréchal-Le Pen (FN) et Christian
Estrosi (LR) pour « ne pas disparaître » au conseil régional pendant les six prochaines années.
« On nous laisse crever pour
montrer qu’on a les mains propres, enrage-t-elle. Moi, j’irai le
mettre dimanche ce fichu bulletin
Estrosi, mais je sais que les trois
quarts de mon électorat ne se déplacera pas. » Une façon de rappeler que les accords d’appareil
ou consignes de vote ne sont effectivement pas une garantie suffisante pour assurer le report des
voix du premier tour. p
raphaëlle besse desmoulières,
hélène bekmezian
et nicolas chapuis
La dure bataille de Jean-Jack Queyranne
En Auvergne-Rhône-Alpes, le PS et ses alliés devront compter sur la mobilisation des
abstentionnistes et d’excellents reports pour pouvoir battre Laurent Wauquiez, le candidat LR
lyon - envoyée spéciale
L
es visages ont le teint gris
de ceux qui ont à peine
dormi. Des silhouettes
somnolent, sur des canapés, au
milieu des clients qui passent en
traînant leurs valises. On se croirait presque dans une salle d’attente d’aéroport si, de temps à
autre, un conseiller ne s’approchait de Jean-Jack Queyranne avec
un bout de papier barré de chiffres et de schémas compliqués.
La tête de liste socialiste en
Auvergne-Rhône-Alpes s’est enfermée depuis une dizaine d’heures, lundi 7 décembre, dans cet hôtel du cours Charlemagne, au centre de Lyon, pour négocier le ralliement des écologistes et des
communistes et l’affaire ressemble déjà à un long voyage. Dès le
lendemain du premier tour, son
adversaire Laurent Wauquiez (LR),
arrivé en tête (31,73 %) devant
Christophe Boudot (FN, 25,52 %) et
la liste PS (23,93 %), est reparti en
campagne.
Tous ceux qui sont là, dans ce
hall d’hôtel, peuvent voir sur
Twitter et à la télévision régionale
les images qui le montrent, dans
sa parka rouge, répéter que « la
victoire est à portée de main » en
arpentant la Dombes, dans ce département de l’Ain, où le FN a fait
parmi ses plus gros scores. Mais il
faut bien que les négociations
aboutissent si la gauche veut en-
Laurent
Wauquiez, figure
de la droite dure,
est pourtant un
bon repoussoir
pour la gauche
core avoir une chance de le faire
mentir.
Les têtes de liste départementales qui entourent Jean-Jack Queyranne ont vite vu la difficulté. Au
premier tour, les listes socialiste,
écologiste et communiste ont
remporté 908 318 voix. Laurent
Wauquiez et les listes divers
droite plus Debout la France en
comptent 867 258. Avec un FN si
haut, le score est serré. « Les socialistes se maintiennent plutôt bien
dans les grandes villes, souligne
Hervé Saulignac, le président de
l’Ardèche, mais les écologistes se
sont effondrés. » En 2010, Europe
Ecologie-Les Verts avait obtenu
304 541 voix sur la seule région
Rhône-Alpes. Dimanche, ils n’ont
glané que 173 000 voix en ajoutant l’Auvergne… « Il faudra un très
bon report des voix pour que JeanJack Queyranne puisse l’emporter
et vienne briser la dynamique de
premier tour qui, aujourd’hui, bénéficie à Laurent Wauquiez », note
le politologue Daniel Navrot.
L’ancien ministre de Nicolas
Sarkozy, figure de la droite dure,
est pourtant un bon repoussoir
pour la gauche. Jean-Jack Queyranne n’appelle d’ailleurs plus le
numéro trois des Républicains
que « le candidat de la droite extrême ». Dans les petites villes où
les militants de gauche continuent de faire du porte-à-porte,
on dit les choses plus directement
encore : « Lui ou le FN, c’est facho
blanc ou blanc facho ».
Un logiciel de calcul
Lundi, l’annonce de l’appel d’Antoine Rechagneux, le chef de file
du Front national à ClermontFerrand, à soutenir Laurent Wauquiez est venu comme un argument supplémentaire. Aux passants qui refusent un tract, les militants socialistes lisent à haute
voix la déclaration de l’élu frontiste : « En mon âme et conscience,
je reste fidèle à Marine Le Pen…
Mais je ne peux pas supporter que
notre région continue à être sous le
joug socialo-écolo-communiste. »
Sans dire que le candidat du FN,
Christian Boudot, en lice lui aussi
pour ce second tour tripartite, a
désavoué son élu.
Les conseillers de Jean-Jack
Queyranne ont calculé sur un logiciel le nombre de sièges qui peuvent revenir à chacun des partenaires de la gauche ralliés pour le
second tour. Mais chacun sait
qu’il faudra aussi compter sur la
mobilisation des abstentionnis-
tes du premier tour. Ils sont en
nombre record dans ces banlieues populaires où les socialistes et les communistes ne font
plus de beaux scores depuis longtemps.
A quelques rues de l’hôtel où la
gauche met la dernière main à sa
liste de rassemblement, seul le
recteur de la grande mosquée de
Lyon, Kamel Kabtane paraît s’en
inquiéter. En compagnie d’Azzedine Gaci, le recteur de la mosquée
Othmane, à Villeurbanne, il s’est
décidé lundi à publier un appel.
« 75 % d’abstention à Vaux-en-Velin, 69 % à Givors, 68 % à Vénissieux, 63 % à Pierre-Bénite, 61 % à
Saint-Priest… Que font nos élus de
la diversité ? A quoi servent-ils ? »,
s’agacent ces deux tenants d’un
islam ouvert et républicain, avant
de rappeler : « Ce n’est pas aux responsables des mosquées d’aller à
la rencontre des citoyens pour les
inciter à voter. Ce n’est pas aux
imams d’en parler dans les prêches
du vendredi. Le rôle d’un élu de la
diversité ne doit pas se limiter à
prendre des photos avec le maire
quand il lui arrive de visiter les cités
et les quartiers difficiles et de les
mettre sur sa page Facebook. »
Quelques jours avant le premier
tour, les deux recteurs avaient
déjà appelé les musulmans à s’affirmer les « plus ardents défenseurs de la devise républicaine » et
à aller voter. Sans grand succès. p
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8 | les élections régionales
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Une poussée de l’extrême droite hors de ses bastions
Le parti lepéniste a renforcé ses zones d’influence historiques mais conquiert aussi de nouveaux territoires
A
vec 27,73 % des suffrages exprimés au premier tour des élections
régionales, dimanche
6 décembre, le Front national réalise son plus haut score historique
dans des élections nationales. De
plus, en recueillant 6 018 775 voix,
selon les résultats définitifs communiqués par le ministère de l’intérieur, malgré une abstention légèrement supérieure à 50 %, il obtient le deuxième total de voix le
plus élevé après celui réalisé par
Marine Le Pen au premier tour de
l’élection présidentielle de 2012
(6 421 426 voix). C’est plus que n’en
avait recueilli Jean-Marie Le Pen
en 2002 (5 525 906 voix), lorsqu’il
s’était qualifié pour le second tour
de l’élection présidentielle.
Ainsi, le PS et ses alliés, qui
avaient obtenu 29,5 % des suffrages au premier tour des élections
régionales de 2010, reculent à
23,4 % cette année. Le recul est
moins prononcé pour la droite
mais tout aussi réel : en 2010, alors
que le scrutin régional avait été catastrophique pour elle, l’addition
des suffrages de l’UMP, du Nouveau Centre et du MoDem représentait 30,7 % ; les listes LR-UDIMoDem en recueillent cette année 27,2 %. Le FN, lui, progresse de
plus de 16 points en cinq ans.
Percée dans le Sud-Ouest
Pour mesurer l’évolution des scores du parti d’extrême droite, il
vaut mieux se reporter aux résultats du premier tour de l’élection
présidentielle de 2012, ces évolutions étant mesurées non en
nombre de voix mais en pourcentage. D’emblée, un premier constat s’impose : c’est dans ses zones
de forte implantation que le parti
d’extrême droite enregistre ses
plus fortes progressions. Ainsi,
dans le Var, où il réalise son
meilleur score (44,57 %), il progresse de près de 20 points. Dans
le Pas-de-Calais, où il obtient
44,38 %, cela représente un bond
de près de 19 points. Les PyrénéesOrientales, 41,70 % (+17,5 points),
la Somme, 41,02 % (+17,2 points),
l’Aisne, 43,55 % (+17,2 points), le
Vaucluse, 44,22 % (+17,2 points),
l’Oise, 42,08 % (+17 points), et la
Haute-Marne, 42,2 % (+17 points),
sont autant de bastions du FN.
LE CHIFFRE
Le FN progresse le plus dans ses zones de force
COMPARAISON DES RÉSULTATS DES PREMIERS TOURS DE LA PRÉSIDENTIELLE DE 2012 ET DES RÉGIONALES DE 2015
34,8 %
SCORE DU FN EN 2012
20 % et plus
Le FN recueille 34,8 % des intentions de vote chez les jeunes de
18 à 24 ans ayant l’intention de
voter, d’après l’étude Ipsos-Sopra Steria pour le Cevipof sur la
sociologie de l’électorat dont
une partie des résultats a été publiée dans Le Monde du 4 décembre. Néanmoins, 65 % de cette
classe d’âge, pour ceux qui sont
inscrits sur les listes électorales,
s’abstiennent. Le parti d’extrême
droite réunit 46,5 % des intentions de vote chez les ouvriers,
41,5 % chez les employés et
41,4 % parmi les chômeurs.
Moins de 20 %
ÉVOLUTION DU SCORE
DU FN ENTRE 2012 ET 2015
Plus de 10 points
Nord-Pas-de-CalaisPicardie
Normandie
Ile-de-France
AlsaceChampagne-ArdenneLorraine
Bretagne
Pays de la Loire
BourgogneFranche-Comté
CentreVal-de-Loire
Aquitaine-LimousinPoitou-Charentes
à 30,93 %, soit +11,28 points. Il apparaît a priori difficile de relier entre elles les raisons de cette forte
poussée de la formation lepéniste
dans ces départements.
AuvergneRhône-Alpes
Languedoc-RoussillonMidi-Pyrénées
Provence-AlpesCôte d'Azur
Corse
SOURCE : MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
Globalement, le parti lepéniste
enregistre une progression de
plus de 10 points en trois ans et
demi dans 42 départements. Dans
12 d’entre eux, cette évolution est
supérieure à 15 points. Cependant,
ces fortes progressions révèlent
aussi de nouvelles zones d’im-
OFFRE EXCEPTIONNELLE
MATELAS & SOMMIERS
8@449 7L+95,
plantation du FN, parfois inattendues. Ainsi, dans les Hautes-Alpes,
il passe de 17,70 % en 2012 à
32,58 %, soit près de 15 points de
plus. Toujours sur le flan est de
l’Hexagone, le FN progresse de
12,5 points dans le Doubs, passant
de 19,19 % à 31,74 %.
Autre percée inattendue dans le
Sud-Ouest, dans trois départements où la gauche est traditionnellement forte. Dans le Tarn, le
parti d’extrême droite passe de
18,93 % à 30,83 % (+11,9 points). En
Ariège, il gagne 11,65 points en
passant de 16,79 % à 28,44 %. Enfin, dans le Gers, la liste conduite
par Louis Aliot recueille 26,35 %
des suffrages quand Marine Le
Pen en avait obtenu 15,90 %, soit
une progression de 10,45 points. A
Par rapport
à 2012, le FN
enregistre une
progression
de plus de
10 points dans
42 départements
croire que le bonheur n’est plus
dans le pré !
Une autre zone de renforcement
se dessine, sur un arc qui va de la
Sarthe à la Nièvre. Dans la Sarthe,
département dont François Fillon
fut longtemps l’élu, le FN gagne
10,5 points en passant de 19,17 % à
29,67 %. L’Indre-et-Loire mitoyenne connaît elle aussi une
progression de 10,2 points de la
formation lepéniste, qui passe de
15,98 % à 26,18 %. Puis c’est l’Indre
qui, elle aussi, voit le FN bondir de
19,55 % à 30,21 %, en gagnant
10,66 points. Le Cher voisin enregistre une progression de
12,09 points : la présidente du parti
d’extrême droite y obtenait 19,73 %
des suffrages en 2012, la liste de
Philippe Loiseau en réunit 31,82 %.
Enfin, cette progression est aussi
marquée dans la Nièvre, fief mitterrandiste s’il en fut : le FN gagne
11,79 points, son score grimpe de
19,58 % à 31,37 %. Un autre département connaît une forte progression du FN en Ile-de-France, la Seine-et-Marne, où il passe de 19,65 %
En baisse dans la Haute-Loire
La progression du FN est limitée à
moins de 10 points dans 52 départements. Elle est inférieure à
5 points dans sept d’entre eux :
Val-de-Marne (+4,93 points), Finistère (+4,54 points), Puy-de-Dôme
(4,16 points), Côtes-d’Armor
(+3,93 points), Hauts-de-Seine
(+3,83 points), Paris (+3,45 points)
et le Cantal (+2,26 points). Autant
de départements où les scores de
Marine Le Pen n’excédaient pas
15 % en 2012, voire étaient inférieurs à 10 %, comme à Paris et
dans les Hauts-de-Seine.
Le FN recule dans un seul département métropolitain, en HauteLoire : il perd 2,15 points, reculant
de 20,40 % à 18,25 %. Peut-être
faut-il y trouver une explication
dans le positionnement très à
droite de Laurent Wauquiez, chef
de file de LR dans ce département
dont il est élu député et maire du
Puy-en-Velay. Le FN enregistre
également un recul sensible dans
deux départements d’outre-mer :
en Guadeloupe, où il ne recueille
que 1,4 %, soit un repli de
3,76 points, et à La Réunion, où il
chute de 10,31 % à 2,39 %, soit une
perte de 7,92 points. Des exceptions très marginales au regard de
la poussée historique enregistrée
par l’extrême droite à l’occasion
de ce scrutin, qui révèle également une nouvelle étape dans
son développement territorial. p
patrick roger
Le FN progresse fortement dans les villes qu’il dirige depuis 2014
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hénin-beaumont
(pas-de-calais),
Beaucaire (Gard), Cogolin (Var)… Certes,
toutes ces villes font partie des zones de
forte implantation du Front national puisqu’elles ont été conquises par l’extrême
droite aux élections municipales de
mars 2014. Un an et demi après, comment
les électeurs de ces communes dirigées par
une municipalité FN ou soutenues par le
FN se sont-ils prononcés au premier tour
des élections régionales ? Y a-t-il eu un
mouvement de désaffection ou, au contraire, de renforcement vis-à-vis du FN à
l’aune de sa gestion municipale ?
La réponse penche vers la deuxième hypothèse. Partout, dans ces communes, les
listes FN obtiennent non seulement des
scores très supérieurs à leurs résultats à
l’échelle du département ou de la région,
mais elles réalisent aussi des progrès impressionnants par rapport à leurs scores du
premier tour des élections municipales. A
commencer par Hénin-Beaumont, où
Steeve Briois (FN) avait été élu dès le premier tour en mars 2014 avec 50,25 % des
voix : la liste conduite par Marine Le Pen y
recueille cette fois 59,36 %, soit 15 points de
plus que son score départemental. Elle ob-
tient 48,65 % à Villers-Cotterêts (Aisne), un
score qui dépasse de 5 points sa moyenne
départementale et représente une progression de 16,5 points par rapport aux municipales.
A l’autre extrémité de la France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, la liste de Marion
Maréchal-Le Pen réalise également des scores élevés dans les villes conquises en 2014
par le FN. Dans le Var, elle obtient 54,26 % à
Cogolin, soit 15 points de plus qu’aux municipales de 2014 et près de 10 points de
plus que sa moyenne départementale
(44,57 %), 52,70 % au Luc (+ 16 points par
rapport aux municipales), 50,43 % à Fréjus
(+10 points). Dans le 13e arrondissement de
Marseille, elle recueille 44,57 % (+12 points).
L’exception Béziers
Même chose dans le Vaucluse, où Mme Maréchal-Le Pen est élue députée. Au Pontet,
elle réunit 53,73 % des suffrages, soit
9,5 points de plus que sa moyenne départementale (44,22 %) et 19 points de plus
qu’aux municipales. A Camaret-surAigues, la liste FN obtient 53,21 %, enregistrant une progression de 22 points par rapport aux municipales de 2014.
Dans la région voisine de LanguedocRoussillon-Midi-Pyrénées, où la liste FN est
conduite par Louis Aliot, celle-ci recueille
59,68 % à Beaucaire, ce qui la situe 19 points
au-dessus de sa moyenne dans le Gard et
marque une hausse de près de 27 points par
rapport au premier tour des municipales.
La seule et notable exception se situe à Béziers (Hérault), où la liste du FN réalise certes, avec 45,81 %, un score supérieur de
10 points à la moyenne départementale
mais qui dépasse d’à peine un point celui
qu’avait obtenu Robert Ménard au premier
tour des départementales.
Dans l’est, la liste de Florian Philippot obtient 45,91 % à Hayange (Moselle), 7 points
de plus que sur le département (38,90 %) et
une progression de 16,5 points par rapport
aux municipales. Enfin, en Ile-de-France, la
liste de Wallerand de Saint Just obtient
34,41 % à Mantes-la-Ville (Yvelines), ce qui la
situe 15,5 points au-dessus de sa moyenne
départementale et représente une progression de 13 points par rapport aux municipales. Des scores significatifs, qui témoignent d’une influence accrue dans les zones passées sous la coupe du FN. p
p. rr
les élections régionales | 9
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Liévin : bastion socialiste en perdition
Avec 48,3 % des voix, dans cette ville ancrée à gauche, le parti d’extrême droite fait un score spectaculaire
liévin (pas-de-calais) envoyé spécial
G
uillaume Kaznowski a
27 ans, du gel dans les
cheveux, un crédit
pour sa voiture, et habite encore chez ses parents, à Liévin (Pas-de-Calais). Promis, maintenant qu’il travaille dans la
grande distribution, il va trouver
son propre logement. Et puis, cela
ferait mauvais genre pour un conseiller régional de continuer à vivre sous le toit parental. Le jeune
homme, placé en douzième position sur la liste du Front national
dans le Pas-de-Calais, a bon espoir
d’être élu à l’issue du second tour
des élections régionales, dimanche 13 décembre, en Nord-Pas-deCalais-Picardie. Marine Le Pen est
arrivée largement en tête du premier tour dans la région, avec
40,64 % des voix.
Liévin, 31 000 habitants, bastion socialiste qui tient encore debout, a plus que contribué à l’ef-
fort électoral frontiste en votant à
48,3 % en faveur de la candidate.
Reparti en campagne, Guillaume
Kaznowski garde sous le bras son
téléphone portable et son iPad
serrés l’un contre l’autre. Il a en
mémoire sur son répondeur les
messages laissés ces dernières semaines par des habitants de la
cité minière.
N’importe qui peut trouver son
numéro dans les dernières pages
du Liévinois, le journal municipal : il est responsable du petit
groupe FN au conseil municipal,
qui compte cinq élus. Une vieille
dame l’a appelé il y a quelques
jours pour se plaindre d’un squat
installé dans un garage, non loin
de chez elle. Après avoir sollicité
en vain la mairie, elle s’est tournée vers le Front national. Le
jeune élu n’a pas encore retourné
son appel. « Quand on sera au
conseil régional, on pourra leur répondre », assure-t-il.
Il y a un an et demi, à Liévin, le
Parti socialiste gagnait les élec-
Lunel traumatisée par
l’affaire des djihadistes
Dans cette ville de l’Hérault qui avait défrayé
la chronique, le FN imprime sa marque
lunel (hérault) - envoyé spécial
I
ls sont difficiles à débusquer
ces 43,31 % d’électeurs qui ont
voté pour Louis Aliot (FN) à Lunel (Hérault), au premier tour des
élections régionales, dimanche
6 décembre. Y aurait-il un « syndrome mosquée » à l’origine de
cette flambée du Front national
dans cette petite ville située à une
vingtaine de kilomètres à l’est de
Montpellier, et dont la mosquée El
Baraka a défrayé la chronique
en 2014 après qu’une vingtaine de
jeunes Lunellois l’ayant fréquentée étaient partis en Syrie. Huit
d’entre eux y auraient trouvé la
mort.
Les Lunellois en ont un peu
marre de cette image qui fait d’eux
des « fachos décomplexés »,
comme le dit un commerçant du
cours Gabriel-Péri, au centre de la
ville. De même qu’en ont marre les
habitants d’origine maghrébine –
nombreux dans cette commune
de 26 000 habitants – de se voir assimilés sans nuances à des djihadistes, des salafistes, des intégristes… Eux dont la plupart sont
« français de cœur et d’âme depuis
que [leurs] parents et [leurs]
grands-parents sont allés [se] faire
trouer la peau pour la France dans
les deux guerres mondiales », soupire, au Bar des Amis, un homme
de 56 ans arrivé « tout petit » à Lunel après une autre guerre, celle
d’Algérie en 1961.
Juste un vote de colère ?
Ceux qui acceptent de parler au
journaliste sont ceux qui n’ont pas
voté Front national. Qui en connaissent certains – « mais je ne
vous dirai pas le nom » –, et qui reconnaissent, sous le sceau de
l’anonymat, qu’ils comprennent
que ces « certains » en aient un
peu « ras-le-bol ». Juste un vote de
colère, de désespoir, que ce choix
du FN ? Ou un vote de conviction ?
« Ils sont de plus en plus nombreux ceux qui ont faim. Faim de
justice, faim de reconnaissance,
faim tout court parfois… Et quand
on a faim, vous savez, on est prêt à
tout et à n’importe quoi », résume
un restaurateur. Qui se dit connu
ici pour avoir, lui, « foutu dehors »,
lorsqu’elle venait distribuer ses
tracts sur le cours Gabriel-Péri, Julia Plane, la candidate FN à la mairie en 2014, présente avec trois
Les Lunellois en
ont un peu marre
de cette image
qui fait d’eux
des « fachos
décomplexés »
autres Lunellois sur la liste Aliot.
« Ce “score” du FN a été réalisé avec
seulement 46 % de votants, veut relativiser Christine Bonelli, directrice du service communication
de la mairie. Et il n’a rien d’exceptionnel par rapport au reste de la
France. »
Le parti de Marine Le Pen a pour
la première fois présenté une candidate aux élections municipales
en 2014. La dénommée Julia Plane,
qui fera 27,3 % au second tour et qui
n’a pas donné suite à nos sollicitations lundi 7 décembre. Tout
comme Claude Arnaud, le maire
(divers droite), lequel « ne souhaite
plus parler à la presse », depuis
l’avalanche médiatique qui s’est
abattue sur sa ville après l’affaire
des jeunes djihadistes issues de sa
commune.
Ah… La mosquée… Serait-elle à
l’origine du « carton » de M. Aliot ?
C’était pourtant au départ une
idée généreuse qui avait présidé à
la décision de sa construction
en 2006. « Pour mettre fin aux prières qui se tenaient jusque dans la
rue, en centre-ville, faute d’un local
digne de ce nom, Monsieur le Maire
a donné son accord pour l’édification d’un lieu de culte musulman
sous deux conditions expresses :
pas de minaret et des prêches en
français », rappelle Christine Bonelli. Seulement voilà, « le contrat
moral a été rompu lorsque est arrivé un imam qui ne parlait pas
français ». Puis l’élection du nouveau président de l’Union des musulmans de Lunel, qui gère la mosquée, faillit tourner vinaigre, fin
octobre, après qu’une bagarre eut
perturbé le déroulement des débats dans le lieu de culte.
Tout cela a pu alimenter le vote.
Mais pas que… D’aucuns citent, en
vrac, le centre-ville à rénover, l’embauche de jeunes d’ailleurs, pour
les vendanges, au détriment de Lunellois en galère… Tout y passe
pour alimenter le « ras-le-bol ». p
pascal galinier
tions municipales dès le premier
tour, avec 55 % des voix. Le FN se
« contentait » alors de 27 % des
suffrages. Un an après, en mars,
aux départementales, le binôme
socialiste arrivait encore en tête
sur la commune, avec 51 % des
voix, contre 34 % pour le parti
d’extrême droite. La hiérarchie
est aujourd’hui inversée. Le PS,
qui n’a obtenu que 26,14 % des
voix, dimanche, rend plus de
vingt points à Marine Le Pen. En
neuf mois, le bébé frontiste a bien
grossi.
« Liévin, c’est la ville de Daniel
Percheron [président socialiste
sortant du conseil régional], de
Jean-Pierre Kucheida [ancien député PS, maire de la ville pendant
32 ans, jusqu’en 2013], ce n’est pas
rien quand même. Quand je racontais que je faisais de la politique ici, on me disait que j’étais
fou… » Bruno est songeur. Liévinois d’origine, ce fonctionnaire
territorial proche de la retraite a
quitté les rives de la gauche de-
puis déjà une dizaine d’années
pour rejoindre celles du Front national. « On nous paye de promesses et on meurt de faim », explique ce militant. Malgré l’ouverture récente du Louvre-Lens et
l’arrivée des réserves du musée, le
chômage culmine toujours à près
de 16 % dans la ville. « Marine Le
Pen, elle dit ce que les gens veulent
entendre sur l’emploi, l’immigration, la sécurité », estime Bruno.
Il y a un an
et demi,
le PS gagnait
les municipales
dès le premier
tour avec 55 %
des voix
« Autant voir ce qu’elle donne »
Dans les rues de Liévin, tous les
sujets sont bons pour justifier l’essor du vote frontiste. L’immigration : « Vu ce qu’il se passe à Calais
avec les réfugiés, ce n’est pas étonnant, assure Emmanuelle, secrétaire médicale. Il y a beaucoup de
vrai dans ce que dit Marine Le Pen,
maintenant j’attends des actes de
sa part. » Le niveau de vie : « Ma
retraite n’augmente pas, déplore
Ginette. Ma sœur voulait m’emmener avec une copine dans la galerie marchande à Auchan, mais je
ne peux pas me le permettre. » Le
logement : « Avec mon mari, on a
fait une demande pour une maison, mais c’en est un avec un turban qui est passé avant nous, on
en a marre », lâche une femme,
qui ne veut pas donner son nom.
« Ecrivez Ben Laden. Ou djihadiste,
comme vous voulez. »
La plupart des villes encore ancrées à gauche dans le bassin minier ont été touchées par le phénomène : 49 % pour le FN à Méricourt, municipalité communiste,
53 % à Harnes, ville socialiste, etc.
Hénin-Beaumont, la cité modèle
du FN, qui a élu Steeve Briois à sa
tête en 2014, a de son côté voté à
59 % pour Marine Le Pen. C’est sur
ce terreau-là que la députée européenne espère fonder un éventuel succès dans son duel face à
Xavier Bertrand (Les Républicains) pour le second tour. La présidente du FN va tenter de ramener à elle les électeurs de gauche
laissés sur le carreau par le retrait
du socialiste Pierre de Saintignon,
arrivé troisième, qui s’est désisté
au nom du « barrage républicain ».
« Le programme de Xavier Bertrand, c’est mort aux pauvres. Je ne
suis pas sûre qu’il y ait beaucoup
d’électeurs de gauche qui veuillent
se lancer dans cette chasse aux
pauvres », a lancé la candidate
frontiste lors d’une conférence de
presse, à Lille. Ils sont plus nombreux à dire, comme Ginette :
« Marine Le Pen, autant voir ce
qu’elle donne ». p
olivier faye
10 | international
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
A Kaçanik,
d’où une
vingtaine
d’hommes
sont partis
combattre
en Syrie.
LOULOU D’AKI POUR
« LE MONDE »
suite de la première page
Il est assigné à résidence en attendant son
procès début 2016. « Je croyais faire quelque
chose de pur et juste. Aujourd’hui, je suis
marqué au fer rouge : terroriste, même si je
n’en suis pas un », jure le jeune homme au
visage encore adolescent parsemé de touffes
de poils de barbe blonds. « C’est pas demain
que j’aurai une copine. Il n’y a pas de femme
pour les terroristes », lâche-t-il avec un
sourire forcé.
Les problèmes de cœur d’A.B. ne sont rien
comparés au nombre de jours qu’il pourrait
bien passer derrière les barreaux dans un
avenir proche. A l’été 2014 – « vraisemblablement alertée par les services de renseignement américains inquiets de la passivité des
autorités kosovares », glisse une personne
proche du dossier –, la police locale a lancé
un vaste coup de filet contre les milieux
islamistes de ce petit pays qui a gagné son
indépendance vis-à-vis de la Serbie en 2008
grâce aux avions de l’OTAN et au soutien
politique de l’Union européenne. Un pays
neuf, peuplé à 95 % d’Albanais qui revendiquent pour la plupart « une tradition musulmane » tolérante, héritée de la période
ottomane.
Kaçanik et ses alentours ont été particulièrement ciblés. Cette ville de 30 000 habitants
située sur la route nationale menant à la
Macédoine, à une quinzaine de kilomètres
de là, s’est forgée une sale réputation depuis
que Lavdrim Muhaxheri, l’un de ses enfants,
exhibe sa cruauté sur les réseaux sociaux.
Sur une vidéo postée au mois de mai, on le
voit pulvériser à l’aide d’un lance-roquettes
un jeune homme attaché à un arbre.
Une vingtaine de personnes des environs
seraient parties en Syrie. « C’est une région
très pauvre, avec peu d’éducation, et proche de
la Macédoine où des imams prêchent le radicalisme et l’appel à la guerre sainte sans être
inquiétés », constate Skender Petreshi, chercheur au Centre kosovar d’études sur la sécurité (KCSS). « On ne peut exclure le jeu trouble
de la Russie à travers la Serbie qui pourrait
utiliser ces groupes radicaux pour déstabiliser
le Kosovo », ajoute-t-il. Belgrade n’a jamais
vraiment digéré la perte du Kosovo, « berceau » de son église orthodoxe. La Russie,
quant à elle, au-delà de la fraternité orthodoxe, considère historiquement les Balkans
comme une région stratégique, couloir entre
l’Europe et l’Orient.
Durant la guerre de 1998-1999 menée par
les Albanais du Kosovo pour se détacher de la
Serbie, la propagande serbe décrivait ainsi
l’Armée de libération du Kosovo (UCK)
comme un dangereux ramassis d’islamistes.
« Ça n’a jamais été une guerre de religion »
– sous-entendu « Kosovars-Albanais musulmans » contre « Serbes chrétiens orthodoxes » –, défend Kadri Veseli, le président du
Parlement et ancien chef du SHIK (services
secrets) au sein de l’UCK. Nombre des cadres
La tentation du radicalisme
islamiste gagne le Kosovo
Dans ce pays neuf, majoritairement
musulman, on assiste à un retour
du religieux. Les autorités
s’inquiètent du départ de plusieurs
centaines de Kosovars pour la Syrie
de l’ex-UCK, au pouvoir depuis la fin du
conflit, ont d’ailleurs été formés à l’école
athée du dictateur communiste albanais
Enver Hoxha (1908-1985).
« IL EST SANS DOUTE AU PARADIS »
Au petit matin du 11 août 2014, A.B. a donc été
cueilli sur son lieu de travail, sept mois après
son retour de Syrie. Quarante autres personnes qui, comme lui, avaient fait ce voyage
ont aussi été interpellées. Les plus dangereuses sont toujours en prison. Lui est consigné
à son domicile où il rumine son « erreur » et
son ennui avec son père dépressif. « Ma seule
sortie, c’est mes rendez-vous chez le dentiste,
sous escorte policière », soupire-t-il.
A.B. risque une peine de prison comprise
entre cinq et dix ans pour participation à une
entreprise terroriste. « Il sera vraisemblable-
« DANS L’OMBRE
DE WAHHABITES
OU DE SALAFISTES SE
SERAIENT GLISSÉES
DES ORGANISATIONS
TAKFIRISTES
PRÔNANT
LA VIOLENCE »
SKENDER PETRESHI
chercheur
Belgrade
BOSNIEHERZÉGOVINE
CROATIE
SERBIE
Sarajevo
MONTÉNÉGRO
KOSOVO
Pristina
Podgorica
Kaçanik
Catholiques
Orthodoxes
Musulmans
Mer
Adriatique
Skopje
ALBANIE
Tirana
MACÉDOINE
50 km
ment condamné mais pourrait bénéficier de
l’indulgence des juges parce qu’il a reconnu
être parti en Syrie. Et je n’ai rien vu dans le
dossier qui prouve qu’il a combattu dans l’organisation de l’Etat islamique (EI) ou le Front
Al-Nosra », explique son avocate commise
d’office qui tient elle aussi à son anonymat.
« Je ne l’aurais pas défendu si je n’y avais pas
été obligée », confie-t-elle. Le drapeau noir de
l’EI, les atrocités qui sont diffusées sur Internet ne sont guère populaires au Kosovo.
YouTube, c’est par là que tout aurait commencé. « J’étais scandalisé par les images des
enfants syriens tués par l’armée de Bachar »,
raconte le jeune homme. « Je pensais à la
guerre du Kosovo [de 1998 à 1999 contre la
Serbie]. J’ai commencé à aller sur les réseaux
sociaux et j’ai organisé seul mon départ »,
affirme-t-il. L’apprenti djihadiste ne parle
pourtant que l’albanais. En revanche, son
frère, un ancien combattant de l’UCK, avait
fait le voyage en Syrie avant lui. « Il a sans
doute été pris en charge par les groupes
d’Albanais qui sont déjà là-bas, notamment
Lavdrim Muhaxheri, la tête d’affiche des
Kosovars en Syrie », avance le chercheur
Skender Petreshi.
« ABSENCE DE L’ÉTAT »
A.B. reste vague sur son passage en Syrie. Difficile de dire aussi combien de Kosovars sont
partis. Selon Kadri Veseli, « il y a 300 Kosovars
en Syrie, dont certains sont partis avec leur famille ». Il faut y ajouter une soixantaine
d’autres qui ont été tués, pour une population kosovare de 1,8 million d’habitants.
C’est ce qui est arrivé à Hetem Dema, lui
aussi un ancien combattant de l’UCK. A
l’inverse d’A.B., dont l’engagement religieux
ne saute pas aux yeux, ce quadragénaire
s’était radicalisé avant son départ en 2014.
« Je suis heureuse pour lui, il est sans doute au
paradis », dit sa femme dans sa maison du
quartier Bob de Kaçanik, enveloppée dans le
niqab qu’elle porte depuis deux ans, une
rareté au Kosovo.
Mais Kadri Veseli s’inquiète de ces dérives
minoritaires. « Surtout que l’on assiste à un
retour du religieux dans la société albanaise
sur fond de pauvreté et de crise d’identité. Quel
avenir pour les jeunes dans un pays qui
demeure à l’écart de l’Europe, hormis la religion ou l’émigration ? », s’interroge aussi
Linda Gucia, professeure de sociologie à
l’Université de Pristina.
Le 27 novembre, deux semaines après les
attentats de Paris, Kadri Veseli s’est rendu à la
madrasa de Pristina. Son message adressé
aux quelque 500 élèves était double. Réaffirmer la séparation de l’Etat et de la religion au
Kosovo, et rappeler que « les auteurs des
attentats sont des ennemis de Dieu et de la foi ;
des groupes criminels qui cherchent à détruire
notre esprit de tolérance religieuse et de
solidarité ».
« Personne ne met en doute la sincérité des
autorités kosovares de lutter contre le radicalisme religieux. En revanche, certains critiquent la lenteur de leurs réactions devant certains phénomènes inquiétants », glisse un diplomate étranger. Par cela, il entend « l’activité d’un certain nombre d’ONG saoudiennes,
notamment, qui font du prosélytisme sous
couvert d’action humanitaire ». « Dans l’ombre de wahhabites ou de salafistes se seraient
glissées des organisations takfiristes prônant
la violence », observe Skender Petreshi.
ARGENT DU GOLFE
Le phénomène remonte au lendemain de la
guerre du Kosovo. « Ces organisations ont
profité du vide de l’après-guerre, de l’absence
de l’Etat pour diffuser leur vision extrême et
rigide de la religion », reconnaît Xhabir Hamiti, professeur à la faculté d’études islamiques de Pristina. Des mosquées ont été construites avec l’argent du Golfe, des fidèles ont
été convaincus de les fréquenter contre argent et des imams ont été formés, notamment en Egypte et en Arabie saoudite. Le tout
en marge de la Communauté islamique du
Kosovo, l’instance représentative du culte
musulman, qui cherchait alors ses marques,
prise dans le tourbillon de la chute de la Yougoslavie et de l’affirmation du nationalisme
albanais.
« Cela ne fait pas d’eux des terroristes », admet Kadri Veseli. « Mais le fondamentalisme
religieux porte les germes du terrorisme »,
ajoute-t-il. Une douzaine d’imams – « certains diffusaient un langage de haine et appelaient à se joindre à la guerre sainte en Syrie »,
selon Xhabir Hamiti – ont ainsi été pris dans
les filets de la police à l’été 2014, dont celui de
la grande mosquée de Pristina, Shefqet Krasniqi. « Les graines du radicalisme ont été plantées il y a plus de dix ans. Depuis, elles ont
poussé, il sera difficile de s’en débarrasser »,
conclut la sociologue Linda Gucia. p
christophe châtelot
international & europe | 11
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Face à Viktor Orban, Bruxelles reste ambiguë
La Commission hésite à attaquer frontalement la Hongrie, qui a déposé un recours sur les quotas de réfugiés
bruxelles, vienne - correspondants
B
ruxelles a-t-elle décidé
d’accentuer la pression
sur la Hongrie du premier ministre populiste
Viktor Orban ? Les contentieux se
sont certes récemment multipliés avec la Commission européenne, à la suite du refus de Budapest d’accepter les quotas de réfugiés voulus par Bruxelles.
Pourtant, l’institution communautaire ne semble pas prête à
rompre avec l’ambiguïté qui caractérise ses rapports avec ce pays
depuis des années : elle lance des
procédures, des avertissements,
mais n’a pas l’intention de passer
à la manière forte en mettant Budapest au ban des Européens.
Jean-Claude Juncker, le président
de la Commission, a beau lancer
des « Salut dictateur ! » sonores à
M. Orban (lors d’un rendez-vous
officiel, au printemps), pour l’instant, pas question de l’exclure de
la famille européenne – ni de celle
du Parti populaire européen (conservateurs).
Pétition antimigrants
Jeudi 3 décembre, le gouvernement hongrois a fait savoir qu’il
portait un recours auprès de la
Cour de justice de l’Union européenne contre la proposition de
relocaliser en urgence 120 000 réfugiés, validée par le Conseil européen en septembre. Le même jour,
il a lancé une campagne de presse
très dure : plusieurs journaux hongrois affichaient jeudi sur une
pleine page des messages comme :
« Les quotas augmentent la menace terroriste ! » ou « Un immigré
illégal arrive en Europe toutes les
douze secondes en moyenne ».
Budapest affirme avoir collecté
près d’un million de signatures en
soutien à sa politique de refus des
migrants. Cette pétition, pour laquelle les militants du parti au
pouvoir, le Fidesz, celui de M. Orban, ont sillonné tout le pays, doit
être présentée avant Noël aux
autorités européennes.
La Commission
a lancé
une « enquête
approfondie » sur
la signature d’un
contrat nucléaire
avec la Russie
La Hongrie a été le premier
membre de l’UE à fermer sa frontière avec la Serbie, puis avec la
Croatie, pour refouler les demandeurs d’asile venus de Grèce. Mais
aussi à prendre la tête d’un front
du refus des quotas en Europe, des
pays baltes à la Roumanie, en passant par le groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie). Le 2 décembre, la
Slovaquie a, elle aussi, envoyé un
recours auprès de la Cour de justice du Luxembourg pour dénoncer le plan de « relocalisation » des
réfugiés.
Coup sur coup, la Commission a
tiré plusieurs coups de semonce à
l’adresse de Budapest. Jeudi 19 novembre, elle a envoyé une lettre de
mise en demeure – la première
étape d’une procédure pour infraction aux règles communautaires –, parce que la Hongrie a accordé à l’entreprise russe Rosatom
un contrat de 12 milliards d’euros
pour construire deux nouvelles
tranches de la centrale nucléaire
de Paks sans passer par un appel
d’offres. L’accord a été signé à Moscou en janvier 2014, en pleine crise
ukrainienne.
L’ancien président de la Commission, José Manuel Barroso
avait, dès 2014, signalé ce problème. La Hongrie a cru s’en tirer
en offrant d’associer des entreprises occidentales, dont Siemens ou
Areva. Mais la Commission n’est
manifestement pas prête à passer
l’éponge, ce qui a conduit M. Orban à exiger, dans un récent entretien au site Politico, une « révision
des traités européens », afin d’assu-
Le premier ministre hongrois, Viktor Orban (au centre), lors d’un sommet UE-Afrique, le 11 novembre, à La Valette. Y. HERMAN/REUTERS
rer aux pays membres une plus
grande autonomie de décision
quand ils concluent des contrats.
Lundi 23 novembre, Bruxelles a
annoncé une « enquête approfondie » sur les conditions dans lesquelles Budapest apporte une
aide financière à l’accord nucléaire. La Commission est irritée
par le timing politique du contrat
avec la Russie, mais aussi par son
opacité : le Parlement hongrois l’a
classé top secret pour trente ans.
Même la représentation hongroise à Bruxelles, glisse une
source diplomatique, n’a pu avoir
connaissance des détails.
A cela s’ajoute la décision de la
Commission, lundi 30 novembre,
d’autoriser une initiative citoyenne européenne mise en
place par Wake Up Europe !, visant
à collecter un million de signatures pour dénoncer les atteintes
aux droits de l’homme en Hongrie. Ce mécanisme introduit par
le traité de Lisbonne permet à de
simples citoyens – il en faut au
moins sept, issus de sept Etats
membres – d’inviter la Commission à agir. En théorie, le processus
peut déboucher sur l’utilisation de
l’article 7 du traité qui prévoit la
suspension du droit de vote au
Conseil européen d’un pays qui ne
respecte pas les valeurs de l’UE.
Le commissaire hongrois à
Bruxelles, Tibor Navracsics, chargé
de la culture, a vivement protesté,
s’interrogeant, dans un courrier
qu’a pu consulter Le Monde, sur les
raisons pour lesquelles ce feu vert
a été décidé lors d’une réunion
dont il était absent. M. Juncker lui a
sèchement répondu que les commissaires n’étaient pas à Bruxelles
« pour défendre les intérêts des gouvernements (…) mais uniquement
pour défendre l’intérêt européen ».
« Question de procédure »
A Bruxelles, on minimise, on assure qu’il n’y a aucun rapport avec
l’attitude de Budapest concernant
la crise des migrants. La pétition
Wake up Europe ! ? « Une question
de procédure, assure une source
européenne. Les conditions pour
son lancement étaient réunies.
Imaginez les réactions si, au contraire, Bruxelles n’avait pas donné
son feu vert. »
Car s’il n’est pas question de laisser M. Orban s’approcher trop
près des » lignes rouges » des valeurs de l’Union, il n’est pas question non plus de l’attaquer frontalement. Surtout que certaines de
ses prises de position sur les migrants ou la nécessité de mieux
protéger les frontières extérieures de l’espace Schengen sont désormais majoritaires parmi les dirigeants européens. p
cécile ducourtieux
et joëlle stolz
L’UE veut discrètement prolonger les sanctions contre la Russie
La levée des mesures contre Moscou reste conditionnée au respect des accords de Minsk sur l’Ukraine
bruxelles - bureau européen
L’
Union européenne s’apprête à prolonger pour
une durée de six mois les
sanctions économiques prises à
l’encontre de la Russie pour son
rôle dans la guerre en Ukraine. La
question devait théoriquement
être au menu du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, les 17 et 18 décembre,
mais, selon nos informations, elle
devrait être tranchée auparavant.
Cette prolongation pourrait être
entérinée lors d’une simple réunion des ministres des affaires
étrangères, probablement lundi
14 décembre, lors d’un conseil des
ministres « affaires générales », à
Bruxelles. Une réunion préparatoire des ambassadeurs des VingtHuit à Bruxelles devrait, cette semaine, régler les derniers détails.
Selon des sources européennes,
ce rendez-vous « technique » ne
devrait pas donner lieu à de
grands débats, le consensus entre
pays membres – nécessaire à une
prolongation des sanctions –
étant en partie acquis. La décision
et le mode opératoire auraient notamment été fixés par les grands
pays européens, en concertation
avec Washington, en marge du
sommet du G20 d’Antalya (Turquie), les 15 et 16 novembre.
La raison de cette procédure discrète ? Il n’est pas question de
mettre en scène cette décision, de
risquer d’humilier la Russie au
moment où elle s’impose comme
un acteur incontournable dans le
dossier syrien. La chancelière allemande, Angela Merkel, notamment, a insisté pour que la question soit traitée loin des projecteurs, soulignant le rôle crucial
que Moscou peut jouer dans plusieurs crises actuelles.
Combats sporadiques
Ces sanctions, très lourdes, qui
empêchent les entreprises russes
des secteurs bancaire et de l’énergie de se financer sur les marchés
d’Europe occidentale, avaient été
décrétées en juillet et septembre 2014, dans la foulée de la destruction du Boeing de la Malaysia
Airlines par un missile d’origine
russe, en Ukraine. Associées à la
baisse des prix des hydrocarbures, elles ont contribué à plonger
la Russie en récession. Elles
avaient déjà été prolongées de six
mois cette année, lors du Conseil
européen du 22 juin. D’autres mesures, bien moins lourdes,
avaient été prises dès le printemps 2014, en réponse à l’annexion de la Crimée par Moscou.
Leur levée n’est pas envisagée.
Sur le fond, la décision de prolonger les sanctions n’a rien d’étonnant. François Hollande et Angela
Merkel, les dirigeants européens
les plus impliqués dans le règlement du conflit en Ukraine, ont
toujours lié une éventuelle levée
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des sanctions à l’application pleine
et entière des accords de paix signés à Minsk le 11 février. Washington est sur une ligne similaire, rappelée lundi par le vice-président
américain, Joe Biden, qui, en visite
à Kiev, a appelé Moscou à « remplir
intégralement ses obligations ».
Or ce résultat est loin d’être atteint. Depuis plusieurs jours, des
combats sporadiques ont repris
dans l’est de l’Ukraine. La partie
politique de la feuille de route de
Minsk, qui devait arriver à
échéance à la fin de l’année, n’est
pas encore appliquée, victime de
blocages aussi bien du côté ukrainien que des séparatistes.
Le 2 octobre, un sommet réunissant à l’Elysée les dirigeants
français, allemand, russe et
ukrainien a pris acte de ce retard
et offert un délai aux deux parties. Kiev et les séparatistes doivent encore s’entendre sur un
processus électoral pour les territoires rebelles, qui ouvrira la voie
à l’octroi d’un « statut spécial »
pour ces territoires. La fin du processus s’annonce encore plus
sensible, et nécessitera ensuite
une implication sans faille de la
Russie, avec le retrait des groupes
armés illégaux opérant dans le
Donbass et le retour à la partie
ukrainienne du contrôle de la
frontière russo-ukrainienne. p
c. du.,
jean-pierre stroobants
et benoît vitkine (à paris)
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12 | international
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Au Venezuela, une cohabitation inédite
La victoire de l’opposition aux législatives ouvre une période politique très incertaine
A
u lendemain des élections législatives du dimanche 6 août, qui ont
donné une large victoire à l’opposition, les questions
se bousculent. Comment va s’organiser la cohabitation entre le
pouvoir vénézuélien et l’Assemblée nationale, où les opposants
sont désormais majoritaires ? « Il
faudra commencer par dialoguer,
ce que les deux camps ont depuis
longtemps perdu l’habitude et l’envie de faire », affirme le sociologue
Ignacio Avalos.
Lundi, le président Nicolas Maduro a appelé au dialogue « avec le
peuple, avec la base, avec la critique ». Mais point avec l’opposition parlementaire. Dans un pays
aussi fracturé que le Venezuela, la
cohabitation est-elle possible ? Sera-t-elle efficace pour résoudre les
graves problèmes que connaît le
pays ? Pour remplir les magasins
et freiner l’inflation ? L’opposition
va-t-elle jouer la carte du référendum révocatoire pour écourter le
mandat de M. Maduro ?
Dimanche soir, 22 des 167 sièges
que compte l’Assemblée restaient
à attribuer. Lundi, le Conseil national électoral a diffusé un nouveau bulletin : l’opposition remporte 110 sièges, contre 55 pour le
Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), la formation
créée par l’ancien président Hugo
Chavez et ses alliés. Les chavistes
recueillent 32,92 % des voix, alors
que les opposants en obtiennent
64,07 %.
Les premiers résultats officiels
étaient tombés tard dans la nuit
de dimanche à lundi. La célébration a été modeste. « Dommage,
c’était un moment historique, soupire l’opposante Alejandra Contreras. Mais Caracas est une ville
trop dangereuse pour sortir la
nuit. » Professeur à la retraite, Orlando Regalado considère pour sa
part que « dans un pays divisé et en
crise, l’opposition a bien fait de
jouer la sérénité et la retenue ».
« Droite fasciste »
Lundi, les rues de Caracas, calmes
et vides, avaient un air de dimanche. Dans les cafés des beaux
quartiers, toutes les conversations portent sur « la raclée » infligée au gouvernement. A l’ouest
de la ville, dans le quartier populaire de Catia, l’atmosphère est
lourde. Un homme en chemise
rouge harangue les passants : « La
droite va tout nous prendre et ce
sera de votre faute. » Une petite
grand-mère l’écoute, les larmes
aux yeux. « J’ai peur pour ma retraite », explique-t-elle.
A la télévision, le discours offi-
Un homme en
rouge harangue
les passants :
« La droite va tout
nous prendre
et ce sera
de votre faute »
VIN
PARTEZ À LA
DÉCOUVERTE DU
UNE
COLLECTION
avec
« Nous pouvons
très vite décider
de suspendre les
achats d’armes
à la Russie ou
les livraisons de
pétrole à Cuba »
STALIN GONZALEZ
ancien dirigeant
du mouvement étudiant
première fois en seize ans, nous dominons un pouvoir, se réjouit-il.
Un seul pouvoir dans un pays où la
séparation des pouvoirs n’existe
pas. » La justice est contrôlée par
l’exécutif. L’armée, la banque centrale et la puissante entreprise de
pétrole PDVSA aussi.
« Notre première action sera de
faire de l’Assemblée nationale une
véritable Assemblée, explique le
député d’opposition Stalin Gonzalez, ancien dirigeant du mouvement étudiant. Depuis cinq ans,
l’Assemblée vénézuélienne ne légifère pas. Elle délègue ce rôle à l’exécutif, elle ne débat pas et elle ne
contrôle rien. »
Les élus de l’opposition se réunissent mercredi pour définir
leur ligne d’action. « Un consensus se dégage d’ores et déjà sur la
priorité à donner aux problèmes
économiques. Il y va de la survie
du pays », affirme M. Gonzalez. Le
Venezuela est en récession, endetté, avec une inflation débridée
et des pénuries persistantes. C’est
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La première ministre
de la Lettonie, Laimdota
Straujuma, 64 ans, a annoncé,
lundi 7 décembre, sa
démission, survenue dans
un contexte de dissensions
au sein de son parti Unité
(centre droit). Mme Straujuma
était sous le feu de critiques à
cause des difficultés à mettre
en œuvre le projet de budget
pour 2016 qui prévoit une
hausse des impôts. Elle a également dû faire face à une
grève des enseignants et à la
faillite du transporteur aérien
national AirBaltic. « Je vois
que de nouvelles idées, nouveaux apports et de nouvelles
énergies sont nécessaires »,
a-t-elle expliqué. – (AFP.)
CÔT E D ’ I VOI R E
Le président
de l’Assemblée visé
par la justice française
Guillaume Soro, le président
de l’Assemblée nationale ivoirienne, est visé par un mandat d’amener de la justice
française. Lundi 7 décembre,
des policiers se sont présentés, sans succès, à son domicile français afin que l’ex-chef
rebelle et actuel numéro deux
ivoirien soit entendu dans le
cadre de la plainte déposée
en 2012 par Michel Gbagbo
pour « enlèvement, séquestration et traitement dégradants
et inhumains ». Le fils de l’ancien président avait été détenu pendant plusieurs mois
dans le nord du pays après la
chute de son père. Les avocats de M. Soro ont protesté
contre un mandat délivré, selon eux, « en méconnaissance
des pratiques et usages diplomatiques ». – (AFP.)
La mort de l’homme d’affaires a été annoncée par des médias chinois
Pierre ARDITI
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JE VOUS PROPOSE DE DÉCOUVRIR
LES VINS DE FRANCE ET LEURS TERROIRS
GRÂCE À CETTE NOUVELLE
COLLECTION ENCYCLOPÉDIQUE.
E
QU
également l’avis de Nicolas Rojas,
diplomate de carrière, sans poste
depuis plusieurs années. « Il faut
espérer que gouvernement et opposition définissent une feuille de
route pour la gouvernance qui
permette à chacun de jouer son
rôle », dit-il, en appelant de ses
vœux une « restauration de la République ».
« Notre victoire ne change rien au
quotidien des électeurs. Nous devons leur montrer des résultats rapidement. Ils ne nous ont pas
donné un chèque en blanc », poursuit Stalin Gonzalez. Les mesures
d’ajustement que l’opposition réclame depuis des mois ne seront
ni faciles à mettre en œuvre ni populaires. La libéralisation du contrôle des changes et des prix,
l’augmentation du prix de l’essence, la flexibilisation du travail
que déjà réclame la fédération patronale n’ont rien pour séduire les
chavistes qui, en retournant leur
veste et leur vote, ont donné la
victoire à l’opposition.
« En revanche, nous pouvons très
vite décider de suspendre les
achats d’armes à la Russie ou les livraisons de pétrole à Cuba », souligne M. Gonzalez. Les plus radicaux des opposants rêvent d’en
découdre au plus vite avec M. Maduro. La Constitution vénézuélienne offre aux électeurs mécontents la possibilité de chasser un
élu à mi-mandat. « L’organisation
d’un référendum révocatoire déplacerait le débat sur le terrain politique, tempère M. Gonzalez. L’urgence est économique. » p
La première ministre
a démissionné
Le décès du milliardaire Xu Ming,
nouvelle affaire dans l’affaire Bo Xilai
pékin - correspondant
E
HACHETTE COLLECTIONS, SNC, 395 291 644 RCS NANTERRE - 58, RUE JEAN-BLEUZEN - CS 70007 - 92178 VANVES CEDEX. Photos : © Scope Image. Visuels non contractuels. Mentions spécifi ques aux arômes :
Ne pas avaler. Ne pas appliquer sur la peau. Ranger hors de la portée des jeunes enfants. Ranger à l’abri de la lumière et de la chaleur. Ne pas vider le contenu des flacons dans l’évier.
ciel est resté intact : l’opposition a
mené contre le pouvoir révolutionnaire une guerre économique
sans merci, qui a plongé le Venezuela dans la crise et permis à la
droite fasciste de remporter les législatives. Jorge Rodriguez, maire
de Caracas et chef de la campagne
du PSUV, l’a encore une fois expliqué lundi après-midi. « Le gouvernement doit accepter sa part de responsabilité, au risque de se montrer complètement déconnecté de
la réalité », assure l’analyste Nicmer Evans, chaviste critique.
Jusqu’à présent, rien dans l’attitude du gouvernement ne semble
annoncer une ouverture. Le pouvoir semble avoir été pris de court
par la défaite, pourtant annoncée
par les sondages. Le chavisme,
comme force politique, va-t-il résister au choc ? Ou imploser ? Affaibli politiquement, le président
Maduro conserve de larges pouvoirs. Diosdado Cabello, le puissant numéro deux du chavisme,
n’a été réélu que de peu. A en
croire l’opposition, l’équipe gouvernementale, déchirée dès dimanche soir, aurait reconnu les résultats sous la pression de l’armée.
La Table de l’unité démocratique
(MUD) est une coalition électorale
qui rassemble des opposants de
l’extrême gauche à la droite. Le
scrutin ne permet pas de déterminer la force respective des différents partis de la MUD, car les députés ont été élus sur une liste
unique. « Pour l’heure, les dirigeants de la MUD sont forcés de
s’entendre », résume Efraim Vega,
médecin et opposant. « Pour la
Photographie : J.C. Roca
caracas - envoyée spéciale
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I
l avait été classé, en 2005,
parmi les dix hommes les
plus riches de Chine, avant
d’être l’un des principaux acteurs
de l’affaire Bo Xilai, du nom de ce
« prince rouge » et rival politique
de l’actuel numéro un chinois, Xi
Jinping, condamné à la prison à
vie pour corruption en 2013. La
mort en prison, vendredi 4 décembre, de Xu Ming, un self-made-man qui avait bâti le groupe industriel Shide, a été annoncée par
plusieurs médias chinois, ce qui
ne manque pas de soulever interrogations et suspicions, ainsi que
de renforcer les zones d’ombre de
l’affaire Bo Xilai. Xu serait mort
dans une prison de Wuhan, dans
le centre de la Chine.
Agé de 44 ans, il devait être libéré
en septembre, selon le site d’information Caixin, l’un des seuls médias chinois à avoir relayé la nouvelle. Son procès, s’il a eu lieu, n’a
jamais été rendu public.
En 2013, cet ancien industriel de
la ville de Dalian fut l’un des principaux témoins à charge contre
Bo Xilai lors du procès de l’ex-chef
du Parti communiste chinois
(PCC) à Chongqing : il confirma
avoir payé une partie des dépenses à l’étranger du fils des Bo, ainsi
que la villa Fontaine, à Cannes, acquise derrière un prête-nom par
l’épouse de M. Bo, ce dont il avait
reconnu ne pas avoir informé l’accusé. M. Bo avait eu le rare privilège de mener un contre-interrogatoire, avant d’être finalement
condamné à la perpétuité.
Le nom de Xu Ming était apparu
à de multiples reprises au cours
des procès des différents protagonistes de l’affaire Bo Xilai, dressant le tableau d’un entrepreneur
clé dans l’entourage de l’ambitieux « prince rouge », alors rival
Le procès
de Xu Ming,
s’il a eu lieu,
n’a jamais été
rendu public
potentiel de Xi Jinping. Xu Ming
était en quelque sorte le « banquier » des Bo. Il avait bâti sa fortune à Dalian du temps où Bo Xilai en était le maire, et fut classé
en 2005 huitième fortune de
Chine par le magazine Forbes. Son
groupe, Shide, fut chargé de travaux d’embellissement de la métropole portuaire et devint un
conglomérat du plastique.
Décès suspect
Lors du procès de Gu Kailai,
l’épouse de Bo Xilai, accusée
d’avoir assassiné le consultant
anglais Neil Heywood en 2011, il
fut révélé que Xu Ming, avec Wang
Lijun, l’ex-chef de la police de
Chongqing, avaient conçu le plan
d’attirer l’Anglais Neil Heywood à
Chongqing, puis de le tuer lors
d’une opération policière en prétextant qu’il était un trafiquant de
drogue. Ce plan n’avait pas été mis
à exécution, et Gu Kailai aurait
empoisonné elle-même le
Britannique.
Xu Ming gérait les affaires de
Mme Gu, qui s’était mise à douter
de Neil Heywood, qui lui servait
de prête-nom et réclamait une
compensation jugée outrancière.
Ces informations ont été confirmées au Monde par une source directement impliquée dans les
montages financiers de la villa
Fontaine.
Le décès de Xu Ming soulève toutefois de nouvelles questions dans
un contexte politique de censure
extrême : selon le site d’information Caixin, sa dépouille aurait été
incinérée et ses cendres rendues à
la famille. Des internautes n’ont
pas manqué de trouver suspect le
décès de M. Xu, qui n’aurait pas eu
d’antécédents cardiaques.
Personne, en outre, ne trouve
trace du « procès » de Xu Ming : le
professeur de droit He Weifang,
l’un des commentateurs les plus
pointus sur l’affaire Bo Xilai, s’est
empressé de dénoncer sur Weibo,
le Twitter chinois, le silence qui a
entouré le jugement de Xu Ming,
alors que la cour avait tweeté en
direct le déroulement du procès
de M. Bo. L’universitaire a demandé que le public soit informé
des détails du procès. Son post a
largement circulé avant d’être effacé par la censure.
Même Hu Xijin, le rédacteur en
chef du quotidien nationaliste et
conservateur Global Times, a appelé sur Weibo la Cour suprême à
donner plus d’informations sur le
jugement de l’homme d’affaires.
Face aux questions des internautes, un hebdomadaire sportif chinois a laissé filtrer que M. Xu avait
loué un logement pour son chauffeur près de la prison et lui faisait
faire des courses. Il aurait ainsi dépensé plusieurs milliers d’euros
dans l’achat de livres.
Xu Ming a, semble-t-il, été relativement bien traité en échange de
sa collaboration avec les autorités
lors du procès de Bo Xilai. L’ex-magnat n’avait pas eu le choix : il fut
d’abord mis au secret lors d’une de
ces gardes à vue discrétionnaires
et sans limite de la Commission
centrale de discipline, le bras anticorruption du PCC. Son décès soudain pourrait relancer les interrogations sur l’affaire Bo Xilai, le
scandale le plus retentissant de
l’histoire récente du PCC. p
brice pedroletti
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14 | planète
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
COP21 : compte
à rebours
pour un accord
Les 195 pays membres butent
encore sur de nombreux points
S
i l’on s’en tenait aux discours des Etats en séance
plénière, la conférence de
Paris sur le climat (COP21)
ne serait qu’une formalité. Depuis
le lundi 7 décembre, une centaine
de ministres de l’environnement,
de l’énergie et des affaires étrangères se relaient à la tribune de l’assemblée pour formuler le même
vœu de conclure, vendredi au soir,
un accord répondant au « défi universel, essentiel et existentiel qu’est
le changement climatique », selon
l’expression du président de la
COP21, Laurent Fabius. Le chef de
la diplomatie française a demandé
« une première vision d’ensemble »
du texte final dès mercredi.
Mais ces déclarations unanimes
ne sont qu’un paravent qui dissimule les intérêts divergents des
195 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur
les changements climatiques
(CCNUCC). Les véritables négociations ne se jouent pas sur la scène
sur laquelle plusieurs caméras
sont braquées, mais dans les coulisses de la « zone bleue » sécurisée par les agents de l’ONU ou
dans les halls des hôtels environnants. Lundi soir, à la sortie du
« comité de Paris » – l’instance
créée par la présidence française
pour évaluer quotidiennement
l’état d’avancée des discussions –,
les ministres et leurs négociateurs préparaient déjà les réunions bilatérales de 21 h 30.
Cette intense activité diplomatique a en réalité démarré le 6 décembre avec les premières réu-
nions des quatre groupes thématiques pilotés par des ministres
« cofacilitateurs » et organisés
autour des grands chapitres du
projet d’accord : les « moyens de
mise en œuvre », centrés sur les
questions de financement, de
transfert de technologies et de
renforcement de compétences ; la
« différenciation », référence à la
responsabilité historique des
pays développés dans les émissions de gaz à effet de serre ;
l’« ambition » de l’accord, son objectif de long terme et ses mécanismes de révision ; les actions
pré-2020, date prévue d’entrée en
vigueur de ce régime climatique
universel espéré à Paris.
« Ne pas nommer, ni accuser »
« Selon les groupes, les progrès
sont à géométrie variable », a estimé lundi le délégué de Cuba
pendant la séance du comité de
Paris. « Plusieurs parties [pays] ont
mis de côté les positions qu’elles
préfèrent pour avancer vers des
consensus », a assuré la ministre
norvégienne Tine Sundtoft, rapporteuse, avec le ministre de Sainte-Lucie James Fletcher, du
groupe de travail sur l’ambition.
Amber Rudd, secrétaire d’Etat britannique à l’énergie et au changement climatique, chargé, avec le
Gambien Pa Ousman Jarju, des actions pré-2020, a fait part de son
côté d’une volonté collective d’accélérer la mise en œuvre de cet
agenda pré-2020 et d’intensifier
les moyens alloués à l’adaptation.
« Le comité de Paris est là pour
Réunion de l’organisation non gouvernementale internationale Avaaz, lors de la COP21. PAOLO VERZONE/VU POUR « LE MONDE »
tester les idées des ministres facilitateurs, et les entériner si aucun
pays ne s’y oppose », analyse
Pierre Cannet, du Fonds mondial
pour la nature (WWF).
Les lignes semblent bouger également sur l’impératif de différenciation. Alors que la convention-cadre de 1992 dispose qu’il
« appartient aux pays développés
d’être à l’avant-garde de la lutte
contre les changements climatiques », principe brandi par les nations du Sud pour exiger un soutien financier du Nord, les EtatsUnis et l’Union européenne défendent une approche différente,
portée lundi soir par le Brésil. Il ne
s’agit pas de « créer une obligation
légale, mais une contribution volontaire », a pris soin de rappeler
le cofacilitateur brésilien.
« Beaucoup de pays en dévelop-
Laurent Fabius
a demandé
« une première
vision
d’ensemble »
du texte final
dès mercredi
pement ont des capacités financières qu’ils n’avaient pas en 1992.
Chaque pays en position de le faire
devrait soutenir les plus pauvres,
les plus vulnérables », a insisté plus
tôt dans la journée le commissaire
européen à l’énergie et au climat,
Miguel Angel Canete, pensant certainement à la Chine… mais sans
citer nommément le premier
Au Bourget, les ONG à la manœuvre
Environ 10 000 observateurs des organisations non gouvernementales s’affairent dans
les couloirs de la conférence des Nations unies pour le climat, à l’affût des négociations
L
undi 7 décembre, des cris et
des huées résonnent dans
le hall 4 du parc des expositions du Bourget où se tient la
conférence des Nations unies
pour le climat. Comme chaque
soir, depuis le début de la COP21, le
Climate Action Network (CAN),
qui regroupe 950 organisations
au niveau mondial, remet les
« prix Fossile », une distinction
destinée à mettre en lumière le
rôle néfaste joué par certains pays
dans les négociations.
Ce lundi, deux pays se voient attribuer un « Fossile » : l’Arabie
saoudite, pour la quatrième fois
depuis le début de la conférence,
et les Etats-Unis « récompensés »,
pour leur refus de reconnaître
que les pertes et dommages dus
au changement climatique appellent des « compensations » pour
les pays en développement.
« Rayon » ou « Fossile »
De manière exceptionnelle, le
jury a décidé de décerner un
« Rayon », l’inverse du Fossile,
pour féliciter les Philippines, à la
manœuvre pour promouvoir la
nécessité d’un « objectif de long
terme ». La discussion entre les
ONG du CAN a été longue pour vérifier le bien-fondé de la mise au
ban des Etats-Unis.
Car, pour symbolique et divertissante que soit la remise de ce
prix, elle peut avoir une influence.
« Après avoir reçu un Fossile, vendredi, la Norvège a contacté dès le
lendemain les ONG pour s’expli-
« A la COP21,
notre travail est
principalement
de faire de la
pédagogie »
MATTHIEU ORPHELIN
Fondation pour la nature et
l’homme
quer sur sa volonté de supprimer
du texte de l’accord toute référence
aux droits de l’homme », raconte
Fanny Petitbon, de l’organisation
CARE.
Cette action est-elle suffisante
pour changer les partitions de
certains pays ? « Parfois, il y a bien
sûr un côté “animation” dans ces
organisations, et ce ne sont en général pas des actions spectaculaires de dernier moment qui peuvent
changer l’issue d’une négociation,
explique Céline Ramstein, chef de
projet COP21 à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Cependant,
ce qu’elles font au cours des conférences conduit les négociateurs à
se savoir observés. »
La présence des ONG, au sein de
la conférence, est massive. Environ 10 000 observateurs, spécialistes, jouent sur tous les tableaux :
rencontres discrètes dans les pavillons nationaux, échanges officiels lors de débats publics. Contacts plus informels aussi, comme
samedi, lors d’une soirée au
Players, un bar du 2e arrondissement de Paris. La fête, organisée
par le CAN, a réuni plus d’un millier de personnes, délégués, responsables d’ONG, parlementaires,
qui ont échangé jusqu’au petit
matin. Un moment utile pour
avancer certains arguments. « A la
COP21, notre travail est principalement de donner notre grille de lecture sur l’état d’avancement des
discussions et de faire de la pédagogie, dit Matthieu Orphelin, de la
Fondation pour la nature et
l’homme, créée par Nicolas Hulot.
Une bonne partie de la journée, je la
passe à décrypter, à expliquer, mais
aussi à porter nos sujets, comme la
tarification du carbone… »
Faire pression sur les Etats
Chaque matin, les organisations
réunissent leurs membres puis se
retrouvent, vers 9 heures, pour
une réunion de coordination où
sont arrêtés les points sur lesquels elles interviendront dans la
journée. Elles font alors jouer
leurs réseaux internationaux. Au
sein du Climate Action Network,
un groupe de coordination rassemble des représentants de tous
les continents, d’organisations
comme le Fonds mondial pour la
nature (WWF), Greenpeace, Oxfam, et des groupes de travail thématiques sur la forêt, le financement, etc. « Qui va voir le Kenya
qui est en train de monter au créneau sur la question du financement de l’adaptation, qui va aider
les ONG japonaises qui rencon-
trent leur délégation, sachant que
ce pays est sensible à la critique internationale… On essaye d’être le
plus efficace », raconte Célia Gautier, du Réseau action climatFrance.
Autour de la table de l’une des
buvettes de l’espace onusien, des
militants du Bangladesh, du Liban, d’Inde, d’Allemagne ou de
Grande-Bretagne s’affairent sur
leurs ordinateurs. « Ils s’apprêtent
à relayer dans différents pays les
campagnes à mener immédiatement, explique Alex Wilks, directeur de campagne d’Avaaz. On envoie les numéros de téléphone de
ministres, de délégués, leurs courriels, et ils sont assaillis, en quelques heures, de milliers de messages de critique ou d’encouragement. » L’Argentine, l’Inde, le Canada ont ainsi été l’objet de cette
pression, de même que le président Hollande.
Le nouveau cadre des négociations climatiques, qui conduit
chaque pays à proposer librement
une contribution de réduction,
donne à la société civile une importance accrue. « Nous sommes
dans un système où les pays vont
devoir déclarer leur ambition, la
revoir à la hausse au fil du temps
et, surtout, la mettre en œuvre.
Dans ce processus au long cours,
les ONG vont pouvoir jouer un rôle
très important, au niveau national, de suivi de ces engagements »,
estime Céline Ramstein. p
rémi barroux
et stéphane foucart
émetteur mondial de gaz à effet de
serre, scrupuleux de la règle onusienne du « no name, no shame »
(« ne pas nommer, ni accuser »).
L’Australie et le Canada, longtemps figés sur des positions très
conservatrices sur le climat, ont
fait un pas en avant en soutenant
l’adoption d’un objectif de limitation du réchauffement à 1,5 °C, revendication majeure des petits
pays insulaires menacés par la
montée des eaux. Le 5 décembre,
au Bourget, la ministre canadienne de l’environnement et du
changement climatique, Catherine McKenna, a plaidé pour ce
seuil plutôt que celui des 2 °C.
« L’inclusion d’une référence à
1,5 °C ne suffira pas si aucun mécanisme ne donne les moyens de
concrétiser cet objectif, alerte
Aurélie Ceinos, de l’organisation
CARE. Or, aujourd’hui, le texte de
l’accord ne prévoit aucune revue à
la hausse des contributions nationales d’ici à 2018. »
Pierre Cannet nourrit la même
inquiétude : « Pendant que les tractations portent sur le 1,5 °C ou que
des verrous sautent sur d’autres
points de blocage, la porte risque
de se fermer sur le mécanisme de
révision des engagements. » Comment atteindre un objectif de long
terme si la communauté internationale cède, comme cela pourrait se produire d’ici la fin de la
COP21, sur un cycle de révision, à
la hausse, des réductions de gaz à
effet de serre ? Dans les tractations
que constituent les négociations
climatiques, il faut abandonner
certains objectifs pour obtenir
satisfaction sur d’autres. p
simon roger
L’HISTOIRE DU JOUR
Climat : « Exhibez vos muscles »,
lance « Schwarzy » à Sciences Po
J’
espère que cela ne sera pas la dernière fois que je serai devant vous et que je pourrai dire : “I’ll be back” [je reviendrai]. » Une seule réplique – sa plus célèbre – aura suffi à Arnold Schwarzenegger pour conquérir les étudiants de
Sciences Po, lundi 7 décembre. L’acteur ne venait pourtant pas
parler de son dernier film, mais du climat et des énergies propres, en marge de la conférence mondiale de l’ONU (COP21). En attendant de pouvoir revenir, donc, « Schwarzy » lance ses idées
phares comme autant de suites de Terminator.
D’abord, l’importance de l’environnement. Sans craindre de
surjouer, l’acteur de 68 ans évoque les vertes prairies de son
enfance autrichienne. « Je n’aurais jamais pu imaginer un
monde où l’air est irrespirable » quand, enfant, « j’allais traire les
vaches et chercher de l’eau au puits ». Puis la petite musique de
son discours se fait inquiétante : « Nous ne sommes pas au cinéma, avec des effets spéciaux, où l’on peut réécrire le scénario.
C’est le vrai monde », assène-t-il, en rappelant que nous émettons 49 gigatonnes de gaz à effet de serre par an et que la pollution de l’air entraîne 7 millions de
morts prématurées chaque année.
« MONTRER DES ENEnsuite, Arnold Schwarzenegger ne
jure que par l’action, et les gouverneFANTS AVEC UN INHA- ments locaux, villes et régions, en
la clé. Le fondateur de l’ONG R20
LATEUR, C’EST ÇA QUI sont
(des villes et régions pour le climat),
CONVAINC LES GENS » espère que les 195 Etats réunis au
Bourget parviendront à « un accord
magnifique » le 11 décembre. Mais les
autorités locales « peuvent » et même « doivent agir sans délai ».
« Exhibez vos muscles », exhorte l’ancienne star du culturisme.
L’ex-gouverneur républicain de Californie énumère alors les
mesures pour la qualité de l’air qu’il a prises entre 2003 et 2011,
ainsi que – fair-play – celles de son successeur démocrate,
Jerry Brown. L’occasion, également, de tacler l’Etat fédéral.
Dernière scène enfin : le rôle crucial de la communication.
Pour Arnold Schwarzenegger, les « scientifiques ont échoué » à
faire comprendre l’urgence de la lutte contre le changement climatique. « Nous ne devons pas seulement parler de la hausse des
températures et de la montée du niveau des mers, mais des gens
qui meurent de crises cardiaques, avance-t-il, réduisant clairement le changement climatique à un problème de pollution de
l’air. Montrer des enfants avec un inhalateur, c’est ça qui convainc
les gens. » Tout en finesse, comme dans un de ses films. p
audrey garric
france | 15
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Affaire Adidas : Bernard Tapie met sa fortune à l’abri
Ses actifs ont été confiés à un administrateur judiciaire, lui évitant ainsi de rembourser les 405 millions
B
ernard Tapie peut cesser de cauchemarder –
au moins provisoirement – en imaginant la
visite d’huissiers dans son somptueux hôtel particulier de la rue
des Saints-Pères, au cœur de Paris. Car l’Etat n’est pas près de récupérer les quelque 405 millions
d’euros qu’il est pourtant en
droit de lui réclamer depuis jeudi
3 décembre et l’arrêt décisif de la
cour d’appel de Paris, rendu dans
le cadre du vieux litige entre
l’homme d’affaires et le Crédit
lyonnais. En effet, selon les informations du Monde, le camp Tapie
a choisi de confier tous ses actifs
à un administrateur judiciaire
parisien, Me Frédéric Abitbol,
dans le cadre d’une procédure
dite de « sauvegarde ».
Quelques jours avant ce jugement très sévère pour l’ancien patron de l’OM, lundi 30 novembre
précisément, le tribunal de commerce de Paris a très discrètement accédé à cette demande de
Bernard Tapie, qui avait donc anticipé une décision défavorable des
magistrats de la cour d’appel. En
ayant recours à cette parade,
l’homme d’affaires aurait-il
trouvé une façon d’échapper à la
sanction de la justice ? « Ce n’est
pas une manière de fuir ou d’organiser mon insolvabilité, se défend
M. Tapie. C’est même tout le contraire, puisque le tribunal sait tout
de mes actifs. J’ai tout mis sur la table », assure-t-il au Monde.
L’article L. 620-1 du code de
commerce dispose ceci : « Il est
institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d’un
débiteur mentionné à l’article
L.620-2 qui, sans être en cessation
des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de
surmonter. Cette procédure est
destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et
Le pourvoi en
cassation n’étant
pas suspensif,
l’Etat était en
droit de dépêcher
des huissiers afin
de saisir ses actifs
Bernard Tapie
en novembre 2013.
BORIS HORVAT/AFP
l’apurement du passif. » Seules
obligations requises : la société
requérante ne doit pas être en
cessation de paiement ni justifier de difficultés à venir. Prévoyant, Bernard Tapie avait donc
décidé de recourir à cette procédure afin de parer à toute désagréable éventualité.
97 millions déjà saisis
Bien lui en a pris : en effet, non
seulement la cour d’appel l’a totalement désavoué, mais de plus le
pourvoi en cassation – formé par
« C’était la seule
manière pour
moi de dormir
tranquille,
tout comme
mes créanciers,
d’ailleurs »
BERNARD TAPIE
ses avocats dès le jugement connu
– n’étant pas suspensif, l’Etat était
en droit de dépêcher des huissiers
afin de saisir immédiatement ses
actifs. Le Consortium de réalisation, l’organisme public chargé
d’apurer le passif du Crédit lyonnais, devra maintenant obligatoirement passer par le biais d’un
mandataire judiciaire, Stéphane
Gorrias. Ce dernier sera le seul habilité à vérifier la légitimité des
sommes réclamées par les créanciers – en l’occurrence l’Etat – et à
soumettre ensuite tout différend
De nouvelles mesures pour éviter
les ratés de l’orientation post-bac
A
Un « vœu unique » pour les filières « en tension » Le problème le
plus urgent concerne les filières
les plus demandées en première
année de licence à l’université : la
Paces (Première année commune
des études de santé), le droit, les
Staps (Sciences et techniques des
activités physiques et sportives)
et la psychologie.
Les candidats aux quatre disciplines « en tension » recevront
sur APB une proposition d’un
nouveau type : formuler un « vœu
unique » par matière pour l’ensemble de leur académie. Exemple, le vœu « Licence droit académie Lyon » permettra de demander automatiquement les quatre
cursus universitaires de droit de
cette académie, puis de hiérarchiser ses préférences. L’Ile-deFrance – qui comprend les acadé-
mies de Paris, Créteil et Versailles
–, sera considérée comme une
seule et même zone pour ces
vœux uniques, ouvrant une plus
large palette de répartition des
places.
En 2015, Paces, droit, Staps et
psychologie ont concentré plus
de la moitié des premiers vœux
de première année de licence.
Face à l’afflux des demandes,
nombre d’universités ont instauré des « capacités d’accueil limitées », en particulier en Staps
où elles se sont quasiment généralisées. Et les universités ont dû
appliquer un tirage au sort, seule
procédure de sélection autorisée
par le code de l’éducation. Le ministère estime que ce vœu unique
devrait permettre de mieux répartir les candidats. Et plus tôt :
dès le mois de juin, sans attendre
les phases complémentaires qui
courent jusqu’en septembre.
Néanmoins, il ne suffira sans
doute pas à résoudre tous les problèmes. Des mesures spécifiques
sont donc envisagées pour les
Staps, pour les rapprocher des
formations délivrées par le ministère de la jeunesse et des
sports et pour faciliter le logement des étudiants changeant
d’académie.
Une filière non sélective obligatoire Désormais il ne sera plus
possible d’émettre des vœux
uniquement dans des filières
sélectives : classes préparatoires,
brevets de techniciens supérieurs (BTS), etc. Trop risqué.
Les lycéens devront obligatoirement formuler au moins un vœu
dans une filière non sélective et
hors des licences à capacité d’accueil limitée.
Des informations pratiques
Pour mieux éclairer leurs choix,
les informations – apparues
en 2015 – sur les débouchés professionnels des filières (taux d’insertion, rémunérations…) seront
désormais étoffées et plus visibles
lors du choix des vœux.
Un droit de regard du lycée Enseignants, conseillers d’orientation et conseillers principaux
d’éducation sont appelés à accompagner davantage et plus tôt
la démarche des élèves. Depuis
septembre, le parcours individuel
« Avenir » d’information, d’orientation et de découverte du monde
économique et professionnel a
été introduit dans les disciplines
au collège et au lycée.
En 2016, les enseignants auront
aussi accès aux vœux de leurs
élèves sur APB, ce qui permettra
« de les informer automatiquement des situations susceptibles
d’être problématiques : absence
de vœux, vœux non cohérents
avec le potentiel du jeune », expli-
gérard davet
et fabrice lhomme
18 ans de prison requis
contre Salim Benghalem
Le portail d’inscription dans l’enseignement supérieur, qui ouvre le 20 janvier, a été modifié
quelques semaines de
l’ouverture, le 20 janvier,
du portail d’admission
post-bac (APB), la plateforme
d’inscriptions en première année
d’études supérieures, le ministère de l’éducation nationale et de
l’enseignement supérieur a présenté, mardi 8 décembre, des
améliorations. Objectif : mieux
accompagner les lycéens dans
leur orientation tout au long de la
procédure et éviter que des futurs bacheliers se retrouvent sans
aucune affectation.
sur les créances déclarées à un juge-commissaire…
Deux sociétés de M. Tapie, GBT
et FIBT, ont déclaré tous leurs actifs au tribunal. « 1 500 emplois dépendent de moi, dans le cadre de
ma participation de 20 millions
d’euros au capital de La Provence,
explique M. Tapie. Pas question
qu’ils soient en péril. Tous mes actifs sont maintenant sous la surveillance de la justice, qui peut
aisément vérifier que je n’ai aucun
compte caché offshore. C’était la
seule manière pour moi de dormir
tranquille, tout comme mes créanciers, d’ailleurs. »
Devant le tribunal de commerce, le camp Tapie a produit
une note d’un avocat fiscaliste,
Me Patrick Philip, détaillant les
avoirs de l’ancien ministre de la
ville. Des 345 millions d’euros accordés en juillet 2008 par un tribunal arbitral, il ne reste plus, à en
croire ce document, que
101,5 millions, après paiement
des impôts et dettes. Dont 97 millions ont déjà été saisis par la justice pénale, l’instruction menée
par le juge Serge Tournaire portant sur un éventuel trucage de
l’arbitrage. Ce à quoi il faut ajouter les 45 millions perçus par les
époux Tapie au titre du préjudice
moral, réinvestis pour moitié
dans La Provence et le reste dans
diverses propriétés.
Désormais, l’essentiel du capital
du couple Tapie est donc placé
sous la surveillance de la justice.
« On ne va rien lâcher, car on est
dans notre bon droit, clame Bernard Tapie. La cour d’appel n’a
tenu aucun compte des éléments
nouveaux que nous avons produits et veut me saisir plus que
ce que j’ai jamais perçu ! » La sauvegarde est applicable jusqu’au
30 mai 2016, renouvelable
au moins une fois. A défaut de
l’avoir emporté devant la cour
d’appel, M. Tapie a au moins gagné… du temps. p
LES CHIFFRES
12 000
Le portail Admission postbac
recense plus de 12 000 formations sur toutes les académies et
plus de 2 000 en apprentissage.
788 000
En 2015, 788 000 candidats,
dont 588 000 élèves de terminale, ont exprimé au moins
un vœu d’orientation sur le
portail APB (6,6 en moyenne,
le maximum étant de 24).
que le ministère. Une démarche
expérimentale ira plus loin dans
cinq académies – Amiens, Dijon,
Nancy-Metz, Nantes et Toulouse –, où un lycée repérant un
problème d’orientation pourra
saisir une « commission académique d’orientation post-secondaire » qui devra faire des propositions adaptées au jeune concerné, qu’il sera libre d’accepter
ou non. Le but est notamment de
faciliter l’accès des futurs titulaires de bacs technologiques
et professionnels aux instituts
universitaires de technologie
(IUT) et aux sections préparant
aux BTS. p
adrien de tricornot
Le djihadiste en fuite était jugé avec six autres
prévenus d’une filière du Val-de-Marne
J
e crains pour notre société que
le dossier à juger soit le premier
d’une longue série. » Pour
« dissuader » de nouveaux
candidats français au djihad en Syrie, le procureur de la République,
Arnaud Faugère, a préconisé un
message de fermeté. Lundi 7 décembre se tenait le réquisitoire du
procès d’une filière d’acheminement de djihadistes vers la Syrie.
Les faits remontent à 2013.
Devenu depuis le bourreau présumé de l’organisation Etat islamique, Salim Benghalem se détache
des six autres prévenus, eux aussi
issus d’une filière du Val-deMarne. Au tribunal correctionnel
de Paris, dix-huit ans de prison ont
été requis contre lui pour association de malfaiteurs en vue d’actes
terroristes. Absent du procès car
toujours en fuite, l’homme de
35 ans est en situation de récidive :
il avait déjà été condamné à
onze ans de réclusion criminelle
pour une affaire de meurtre.
« Dangerosité maximale »
Pour justifier sa décision, le procureur souligne la « dangerosité
maximale » de l’ancien délinquant
de Cachan (Val-de-Marne). Il y a
deux ans, Salim Benghalem participait déjà aux combats de l’organisation Etat islamique en Irak et
au Levant, assumait l’« intégration
des recrues » et jouait un rôle prépondérant dans « la recherche de
financement », d’après les enquêteurs. Depuis, il s’est encore radicalisé. Dernier signal en date : en février, un mois après l’attentat de
Charlie Hebdo, il avait appelé à
d’autres « carnages » en France
dans une vidéo faite en Syrie.
Moins médiatisés, les six autres
prévenus ont connu des sorts divers. Dix ans de prison, soit la
peine maximale, ont été réclamés
à l’endroit d’Abdelmalek T. Très refermé sur lui-même lors de
l’audience, l’homme à la barbe
fournie a occupé sensiblement la
même fonction que Benghalem
durant la période examinée. Des
peines de six ans ont été préconisées contre quatre prévenus : Younes C., resté en France pour assurer
l’interface téléphonique, puis Mehdi I., Paul M., Karl D., partis en Syrie dans le cadre d’aller-retour de
dix jours à deux mois sous la coordination de Benghalem et d’Abdelmalek T. Un dernier homme, Karim H., encourt jusqu’à huit ans de
prison pour avoir cumulé périple
syrien et soutien financier à la filière (près de 10 000 euros).
Au départ, tous avaient « l’intuition d’être non pas des terroristes,
mais des opposants » au gouvernement de Bachar Al-Assad, a
plaidé Me Noémie Coutrot-Cieslinski, avocate d’Abdelmalek T.
Rendez-vous, désormais, pour le
délibéré du 7 janvier. p
adrien pécout
16 | enquête
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
ment, Philippe Séguin ou Philippe de Villiers.
Il regrette d’avoir voté le traité de Maastricht,
en veut à Chirac pour la dissolution de 1997 et
pour son européanisme, à Sarkozy pour avoir
contourné le « non » au référendum sur le
traité constitutionnel de 2005.
En rencontrant au début des années 2000
Samuel Maréchal, mari de Yann Le Pen et père
de Marion, il croise « des gens du Front ». Est
« révolté par l’anathème vis-à-vis du FN », selon
lui contradictoire avec les personnes dont il a
fait connaissance. Et, en 2002, déçu par Chirac,
il vote Le Pen aux deux tours. Il décide de franchir le pas d’une candidature pour les élections municipales de 2014. « Je fais passer le
message à Marion que, si je peux lui être utile,
ce serait avec plaisir. » Lottiaux est à la fois politique, gestionnaire et amateur d’art, le profil
idéal pour Avignon. Tête de liste aux municipales, il arrive en tête au premier tour avec
près de 30 % des voix et se retrouve conseiller
d’opposition. Le maire FN de Fréjus, David Rachline, lui propose parallèlement la direction
générale des services de sa ville.
Le temps où les élites
repoussaient en bloc
le Front national
semble révolu.
Hauts fonctionnaires,
énarques, diplômés
de grandes écoles
sont attirés
par la perspective
du pouvoir et certains
ont franchi le pas
OPÉRATION CAMOUFLAGE
marion van renterghem
avignon, carpentras, le pontet (vaucluse) envoyée spéciale
Q
uand ils évoquent leur
décision d’intégrer les
structures officielles du
Front na.tional, ils utilisent un mot étrange :
l’« outing ». Pour ces
élites
venues
d’un
grand corps d’Etat, de la haute fonction
publique ou de la direction d’une entreprise, la révélation d’une appartenance
au FN revient à lever le voile sur une
part d’eux-mêmes aussi intime que mal
vue. Avant de se jeter à l’eau, ils ont souvent vécu en cachette leur adhésion à
un parti qui refuse de se qualifier d’extrême droite mais que la très grande
majorité des élites françaises dont ils
relèvent considère comme extrémiste,
xénophobe, nauséabond et contraire
aux valeurs républicaines.
Le raz-de-marée du Front national au premier tour des élections régionales change la
donne. La vague avait déjà pris forme lors des
élections européennes de 2014 et des départementales de mars 2015, mais, ce 6 décembre, le
parti minoritaire est devenu, avec le soutien
des abstentionnistes, celui qui promet le succès. Il est arrivé en tête dans six régions sur
treize, dépassant les 40 % en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Il étend progressivement son influence dans
des strates de plus en plus diverses de la société française. Y compris les élites. La victoire
est aux humains ce que la lumière est aux papillons : elle désinhibe et elle attire.
Un jour de 2013, Philippe Lottiaux a décidé
de faire son « outing ». « Je ne pouvais plus ne
rien faire, rester en retrait sans m’investir », explique cet énarque de 49 ans, gaulliste venu au
Front national sur le tard, par déception. Il occupait un emploi à l’administration de la Ville
de Paris, alors tenue par le socialiste Bertrand
Delanoë et se gardait bien de divulguer ses
convictions politiques. Un samedi de novembre, à l’occasion d’un meeting dans le Vaucluse, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le
Pen annoncent la candidature de Philippe Lottiaux aux municipales de mars 2014, sur la
liste Rassemblement Bleu Marine (RBM). « En
arrivant au bureau le lundi, j’étais tendu, dit-il.
On me regardait bizarrement. Certains faisaient semblant de ne pas me voir, d’autres entraient discrètement dans mon bureau pour
me dire : “T’as raison.” Ma hiérarchie m’a fait
savoir que si je prenais ma disponibilité au plus
vite, ce serait bien. Ça m’arrangeait. »
« ON REÇOIT DES PAQUETS DE CV »
En deux ans, les choses ont bien changé. Le FN
devient peu à peu le parti politique où l’on
peut espérer briller et faire carrière. Les cadres
supérieurs et les jeunes diplômés commencent à se bousculer au portillon pour intégrer
ses rangs, selon Rémi Rayé : « C’est un moment
clé, note l’assistant parlementaire de Marion
Maréchal-Le Pen, tête de liste de la région
PACA. On reçoit des paquets de CV de gens qui
ont un très bon niveau d’études, travaillent
dans l’administration territoriale, dans d’autres
ISABEL ESPANOL
FN et
sans complexe
départements ou dans des grandes villes, parfois pour d’autres partis politiques… Les gros,
gros diplômés, on n’en reçoit pas des cascades,
mais il y en a. » Ce matin, sur son répondeur,
« un gars du 06 », les Alpes-Maritimes, a laissé
un message « très bien tourné » pour proposer
son expertise économique au FN. Un autre
cherchait un poste dans la sécurité. Un troisième proposait des renseignements sur l’intégrisme islamiste dans le sport. « Il y a de
tout », conclut Rémi Rayé.
Avocat et conseiller municipal FN de Carpentras, Hervé de Lépinau se rappelle l’époque pas
si lointaine où Jean-Marie Le Pen avait décidé
de lancer sa petite-fille Marion dans le Vaucluse, en vue des législatives de 2012. Quand la
jeune femme de 22 ans arrive à Carpentras, il
n’y a qu’un seul élu FN, conseiller municipal et
conseiller départemental. Les dégâts persistent de la scission de 1998 entre le Front national de Jean-Marie Le Pen et le Mouvement national républicain de Bruno Mégret : luimême polytechnicien, il est parti avec les cadres que le vieux Le Pen, méfiant à l’égard des
baronnies, ne cherchait pas à retenir. « Le combat politique se faisait de bric et de broc, la communication numérique était balbutiante, on
décrochait les voix sur le zinc du bistro, raconte
Hervé de Lépinau. Militer au Front était un sacerdoce : le commerçant faisait fuir ses clients,
le fonctionnaire se faisait persécuter. Moi, qui
suis de profession libérale, j’ai perdu de la clientèle. »
AVANT, « MILITER
AU FRONT ÉTAIT
UN SACERDOCE :
LE COMMERÇANT
FAISAIT FUIR
SES CLIENTS,
LE FONCTIONNAIRE
SE FAISAIT
PERSÉCUTER »
HERVÉ DE LÉPINAU
conseiller municipal (FN)
de Carpentras
Un dîner a lieu en 2014 à Velleron. La présidente du parti, Marine Le Pen, est venue dans
cette commune du Vaucluse discuter stratégie
avec sa nièce Marion et Hervé de Lépinau, suppléant de Marion depuis les législatives de
2012. Au restaurant, la discussion porte sur la
nécessité d’enraciner durablement le parti sur
le plan local au lieu de se focaliser sur la présidentielle et, donc, de faire émerger des cadres.
La décision est prise d’auditionner des candidats, de les chercher parmi les militants et
d’ouvrir à un « tour extérieur ».
Philippe Lottiaux entre dans la danse. Ce
« Ch’ti » né en 1966 dans le Pas-de-Calais avait
débarqué à Paris pour y faire Sciences Po et
l’ENA. Plus à droite qu’à gauche, plus gaulliste
que chiraquien ou sarkozyste, plus rock’n’roll
que politique, il a quitté une première fois l’administration de la Ville de Paris pour devenir
directeur général des services de Levallois-Perret, dans le fief des époux Balkany, en est parti
pour faire le chansonnier dans des one-manshow et monter une boîte de conseil aux collectivités.
Entre-temps, il a affiné ses convictions politiques. Soucieux de souveraineté nationale, il
s’interroge « sur la problématique de l’immigration » et s’inquiète de « l’impact de l’Europe
sur notre économie ». Il fréquente la Fondation
Marc-Bloch où se retrouvent ce que l’on appelle alors les « républicains des deux rives »,
souverainistes de droite et de gauche soudain
rassemblés autour de Jean-Pierre Chevène-
De quoi réconcilier le Front national avec les
énarques qu’il aime tant décrier. Un énarque
FN comme Philippe Lottiaux, comme Florian
Philippot, bras droit de Marine Le Pen ou Philippe Martel, conseiller de celle-ci et jadis chez
Alain Juppé, ont plus que trouvé grâce à ses
yeux. « Tous les trois sont dans la culture des
grands serviteurs de l’Etat, pétris de la culture
d’administration au sens noble », assure Hervé
de Lépinau.
Idem pour Thibaut de la Tocnaye, 57 ans, centralien et 3e cycle HEC, ancien directeur de projet dans le nucléaire, et figure historique de
l’élite Front national. Il dirige la commission
d’action programmatique du parti avec Bernard Monot, ancien employé à la Caisse des
dépôts qui signait sous pseudonyme ses interventions à l’université d’été du Front. Jusqu’au
jour où il a fait son « outing », lui aussi, pour
devenir député européen FN en 2014. Il en va
de même pour Georges Michel, saint-cyrien et
colonel de l’armée de terre, gaulliste devenu
électeur puis candidat Front national à Bollène (Vaucluse) parce que « Chirac a trahi le
gaullisme en vendant la souveraineté de la
France à l’Europe ».
Premier parti ouvrier de France, le Front national s’est largement implanté dans les classes moyennes et chez les jeunes. Ceux qui ont
aujourd’hui entre 18-30 ans, quand ils ne s’abstiennent pas, votent FN dans une plus forte
proportion que la moyenne nationale. C’est
aussi ce nouveau terrain de conquête qui attire maintenant à lui les hauts fonctionnaires
et les gros diplômes. Pourtant, au-delà de quelques désaccords entre la tante et la nièce sur le
planning familial ou la zone euro, le programme continue à prôner la fermeture des
frontières, le repli national, la stigmatisation
de l’immigration, la sortie de l’Union européenne, la sortie de l’OTAN. La jeune Marion
au visage d’ange mais à la parole de fer l’incarne au mieux en PACA. De scrutin en scrutin, le Front national réussit son opération camouflage, qui vise à afficher comme normalisé, rajeuni, souriant, branché, un parti au
programme extrémiste. Fini, le bandeau sur
œil de verre, le parti a changé de look et de
clientèle
La dégradation du contexte économique,
l’incapacité des partis politiques traditionnels
à réformer, la généralisation des habitudes
abstentionnistes font le reste. Non seulement
le Front national est aux portes du pouvoir,
mais il n’est plus un motif de complexe ou de
honte. Et le vivier de compétences paraît de
plus en plus facile à constituer. Ce parti sur le
point de diriger d’importantes régions, qui a
constitué au fil du temps son implantation locale, semble en mesure de rattraper son retard.
Encore quelques jours jusqu’au second tour
et des hauts fonctionnaires que l’on n’attendait pas sortiront peut-être du bois pour rallier les rangs du FN. « Vu le nombre et la qualité
de CV qu’on reçoit, je peux vous dire qu’ils sortiront. Et vous aurez des surprises… », promet
Anne-Sophie Rigault, une juriste de 39 ans, directrice de campagne de Marion Maréchal-Le
Pen pour le Vaucluse. Certains viendraient
même « de postes clés dans l’administration,
voire d’autres partis politiques », assure-t-elle
avec un sourire entendu. p
les attaques terroristes à paris | 17
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Russe et Parisienne
mélomane
Nathalie Lauraine
Nathalie aurait eu 40 ans le 30 décembre. Grande, blonde, tout en douceur,
elle appartenait à une de ces familles
russes qui transmettent la francophilie
d’une génération à l’autre. Sa grandmère, sa mère puis elle-même avaient
étudié et parlaient le français dès l’école,
bien avant de rejoindre l’Université Lomonossov de Moscou, d’où elle est sortie avec un doctorat en économie et en
sociologie. Après avoir rencontré Serge
Lauraine, elle avait décidé de construire
sa vie en France et de garder la double
nationalité : russe et française.
Comme dans un roman russe, Nathalie
change de nom au gré de la vie. « Lauraine-Boulyguina », indique l’interphone de
son domicile, à Vanves (Hauts-de-Seine),
où flotte depuis quelques jours le drapeau bleu-blanc-rouge. Née Natalia
Boulyguina, elle est devenue Natalia
Mouravyeva en épousant Anton Mouravyev, géophysicien, le père de ses deux
premiers enfants, Dariya et Fedor, âgés
de 15 et 17 ans. En arrivant en France,
les fonctionnaires transcrivent son nom :
Nathaliya. Elle devient Nathaliya Mouravyeva puis Lauraine, après son second
mariage, et enfin Nathalie Lauraine,
après sa naturalisation.
Pour Vinciane, la petite dernière, 4 ans
et un sourire discret, c’est Maman. Chaque été, tous les cinq retrouvaient le
reste de la famille à la datcha des
Boulyguina, près de Moscou.
Mélomane de toujours, elle restera
pour sa mère « sa Natalia qui aimait la
danse, la gymnastique rythmique et la
musique ». Grâce à sa grand-mère, Zoia
Izgarytcheva, qui était phoniatre pour le
théâtre du Bolchoï, « Natalia avait vu, enfant, beaucoup d’opéras et de ballets.
Elle connaissait tous les classiques », raconte Maria Boulyguina.
« Elle aimait toutes les musiques, de
l’opéra à l’électro-rock », ajoute son mari
Serge. Depuis huit ans, ils allaient ensemble de concert en festival, à Londres
pour écouter le rock alternatif de Failure
ou à Budapest pour le Sziget Festival, le
plus grand festival de musique d’Europe.
Elle aimait Paris aussi, dont elle était
insatiable. « Elle faisait les visites historiques des quartiers : les Gobelins, les Passages. Ensemble, on avait fait Montmartre, raconte Serge. Ça l’a embêtée de
quitter Paris, quand on a emménagé
à Vanves en 2011. Heureusement,
on a gardé la vue sur la tour Eiffel. »
A Vanves, elle avait commencé la peinture : sur son autoportrait, elle se représente en danseuse, en ville avec un café.
Chez Everys, son employeur, où,
technicienne informatique, elle avait
rencontré Serge, ses collègues dressent
son portrait en trois mots : « Douce,
dynamique et déterminée ». « Natalia
voulait toujours avancer, elle croquait
la vie », témoigne le directeur général
d’Everys, Sébastien Ropert. Serge
et Nathalie étaient allés au Bataclan
en amoureux, ils auraient dû rentrer
ensemble, chez eux. p
anne rodier
La vie en tribu
Un vrai gentleman
Au service des autres
Chloë Boissinot
Stéphane Hache
Justine Dupont
Qu’aurait-elle aimé que l’on dise d’elle ?
« Rien ! » C’est un cri du cœur. Elisabeth,
la mère de Chloë Boissinot, savait sa fille
de 25 ans trop timide, trop discrète, trop
attachée à la simplicité, pour goûter les
hommages. Ses propres funérailles, le
24 novembre, dans une cathédrale de
Poitiers comble, lui auraient fait dire
« Mais vous êtes fous ! Pas pour moi ! »,
croit Elisabeth.
Ne rien graver de pompeux dans le
marbre. Se contenter d’évoquer, comme
on prend un croquis sur le vif, cette
jeune fille de la campagne qui appréciait
les petites pommes du jardin et la vie en
tribu – avec cinq frère et sœurs, dont
une jumelle. Ses rituels du dimanche à
Château-Larcher, dans la Vienne. Les
jeunes prennent un apéro, et encore
quelques autres, puis s’en vont fumer
dehors en discutant, neveux et nièces
dans les jambes. La mère rouspète, le
rôti se dessèche. Et trop vite, vient
l’heure de se lever du canapé où l’on a
fini par s’endormir un peu.
Partager, se fâcher, se réconcilier aussitôt, charrier des brouettes de béton, préparer la soupe, changer les bébés, écouter, rendre heureux ceux qui
l’entouraient, Chloë savait faire tout
cela. « Aujourd’hui, la tribu est un peu de
guingois. Mais on va s’en sortir pour elle,
assure Elisabeth, tentant de s’en convaincre elle-même. Elle n’aurait pas aimé
qu’on se recroqueville. »
Les deux amis et l’amoureux de toujours qui étaient avec sa fille, ce soir-là,
en terrasse du Carillon, rejoignent désormais régulièrement le camp de base familial où sont arrivées de belles lettres.
L’œuvre de clients qu’elle servait depuis
un an à l’épicerie du Verre volé, rue de la
Folie-Méricourt, à Paris. Qui, désormais,
interrogent-ils, pour incorporer tant de
gentillesse dans les sandwichs confectionnés ? Qui pour égaler sa patience
lorsqu’il fallait couper une tranche de
jambon « pas trop épaisse mais pas trop
fine » sous l’œil de l’acheteur ?
« Charmante, joyeuse, un peu timide »,
la décrit le responsable du château de
Javarzay (Deux-Sèvres), qui l’avait accueillie en stage en 2010, durant son BTS
« développement et aménagement des
territoires ruraux ». « Réservée, au début,
mais bosseuse, organisée, soignée. L’employée modèle », pour son patron au
Verre volé, Thomas Vicente. La bonne
copine était un brin canaille, aimait les
restaurants, les pots en terrasse, le boudin du village qu’elle ramenait pour tous
à la capitale, « les trucs moches du marché aux puces qui finissaient au grenier »,
selon sa mère. Et les jolis atours qui lui
donnaient un air de Parisienne. p
Ses amis le surnommaient « George
Clooney ». A cause de sa prestance, de
ses cheveux poivre et sel, de son côté
bien apprêté et soigneux. Stéphane Hache avait 52 ans. Il est mort le 13 novembre, dans un studio du passage
Saint-Pierre-Amelot, dans le 11e arrondissement de Paris, dans lequel il vivait
depuis deux semaines. Au premier étage
d’un immeuble situé juste en face du
Bataclan, où se jouait alors l’horreur et
d’où une balle est partie, le touchant
mortellement au dos.
« Il venait de prendre un nouveau départ », confie Benoît, un ami qu’il côtoyait depuis vingt-cinq ans dans la restauration. Maîtres d’hôtel, ils ont
organisé maintes réceptions, pour des
particuliers comme pour de grands événements : à Bercy, à Roland-Garros, au
Festival de Cannes… Et aussi pour des
partis politiques, des ministères, l’Elysée. « On a servi tous les présidents de la
République depuis Mitterrand, on a beaucoup d’anecdotes… », se souvient
Benoît. Il ne tarit pas d’éloges sur le professionnalisme de Stéphane, « toujours
méticuleux dans son travail, patient ».
La bonté et la sincérité sont des mots
qui reviennent beaucoup, parmi les proches de Stéphane, pour le décrire. « Un
vrai gentleman, qui transpirait la gentillesse », témoigne Yann, qui l’a longtemps côtoyé. Tous se souviennent de
son rire, d’une chanson de Sinatra fredonnée, d’une anecdote de football, lui
l’amoureux du beau jeu brésilien. Il
aimait bien taper dans la balle à Gennevilliers, où il a grandi, avec son « jumeau de cœur », Philippe, qu’il voyait
toujours régulièrement.
Après une déception amoureuse, il y a
trois ans, Stéphane était parti changer
d’air. Il avait choisi le Canada, y est resté
près de deux à travailler, à voyager. Profiter pour ne pas avoir de regrets, disait-il.
Il est ensuite revenu en France pour se
rapprocher de sa mère, aux Sables-d’Olonne. N’ayant pas trouvé de travail qui lui convenait, il avait fini par regagner Paris à l’automne. Pour retrouver
sa passion dans la restauration, partager
un bon repas et du bon vin avec ses
amis, et finir par s’installer. Il projetait
d’acheter un appartement dans le 11e arrondissement, après la période transitoire du studio, près du Bataclan. p
Etre disponible pour aider les autres,
c’était son credo. Très impliquée dans
« le social et contre les préjugés », Justine
Dupont en avait « très vite » fait son métier, confie sa sœur Nathalie. D’abord
bénévole dans une association s’occupant des personnes sortant de prison, la
jeune femme était, à 34 ans, responsable
de deux résidences sociales du réseau
Parme, dans les 10e et 20e arrondissements de Paris. Son quotidien consistait
à prendre soin de gens en situation d’urgence. Elle était adorée par ses résidents, pour qui elle se pliait en quatre.
Sa vie privée n’était pas une priorité.
« Justine a toujours fait passer les autres
avant elle, raconte son frère Benjamin,
c’était une vocation. » Le jeune homme
se souvient de sa grande sœur, « toujours
la première à intervenir dans la cour
d’école s’[il] avait le moindre problème »,
et très présente auprès des personnes
âgées de la famille. Du genre à garder un
créneau chaque samedi pour prendre
soin de la sœur de leur grand-mère « au
lieu de trouver des excuses pour ne pas
aller la voir ». Le tout avec humilité : si
elle en faisait beaucoup pour les gens,
Justine était toujours gênée qu’on la remercie.
Fauchée par les terroristes vendredi
13 novembre à la Belle Equipe, où elle
profitait de ses amis, l’un de ses passetemps favoris, Justine Dupont était « solaire », souligne Nathalie. Adorant sa
ville, cette authentique Parisienne a
grandi à Montparnasse, fait ses classes
au lycée Montaigne, puis vécu dans différents quartiers vivants de la capitale
avant de s’installer à Montreuil avec son
compagnon. Sans jamais tourner le dos
aux amitiés forgées lors de l’enfance et
enrichies avec l’âge. Marie-Aimée Dalloz,
son compagnon Thierry Hardouin,
Hodda, la cogérante de la Belle Equipe
qui fêtait son anniversaire ce soir-là…
plusieurs amis très proches sont morts
aux côtés de la jeune femme.
Passionnée, Justine l’était aussi de
musique et de danse. Fan de rap dans
son adolescence, à commencer par Tupac et Kery James, elle s’était mise au
hip-hop. Puis, plus récemment, elle avait
commencé la danse orientale. Une façon
d’exprimer la joie de vivre qui ne quittait
pas cette deuxième d’une « fratrie hyper
unie ». Il n’y aura plus de déjeuners chaque semaine avec elle. La mort de Justine laisse un « vide intersidéral », confesse sa sœur. « Mais elle aurait détesté
nous voir abattus, alors il va falloir qu’on
se reprenne. » p
pascale krémer
alexandre pouchard
clément martel
Le piano et le marketing
numérique
Marie Mosser
Quelle idée pour une toute jeune fille, de
prendre pour devise une phrase gravée
sur un monument de la grand-place de
sa ville natale ! Mais Marie Mosser est
née à Nancy et la phrase, prononcée par
le roi Stanislas, s’énonce ainsi : « Le bonheur consiste à faire des heureux. » Ce
programme, la jeune femme tuée au Bataclan le 13 novembre l’a mis en œuvre
pendant vingt-quatre ans.
Ses amies Justine et Angevine l’ont
rencontrée à son arrivée à Paris,
en 2009. La première était comme elle
étudiante à Sup de Pub, une école privée du nord de Paris, la seconde partageait le même foyer d’étudiantes, non
loin du cimetière du Père Lachaise. « Le
jour de la rentrée, il a suffi d’un regard
pour qu’on comprenne, nous les deux
provinciales, qu’on ne pouvait compter
que sur nous pour rire, et pas sur les petits Parisiens bien mis », se souvient Justine, qui arrivait, elle, de Troyes. « C’était
très facile de devenir son amie », ajoute
Angevine, qui a gardé l’image de Marie
jouant l’Etude 19 de Chopin sur le piano
du foyer « sans partition, sans une fausse
note ».
A Nancy, Marie avait passé une « enfance heureuse, entourée de sa famille et
de beaucoup d’amis ». C’est elle qui l’a
écrit dans un mémoire en forme de magazine, qui était aussi une autobiographie, réalisé à la fin de son année de M2.
Dans la capitale lorraine, elle apprend le
piano au conservatoire, obtient un bac
littéraire.
En 2009, elle part pour Paris. Avec ses
nouvelles amies, elle découvre la ville au
cours de longues balades à pied, passant des heures au Père-Lachaise à la recherche de la tombe de Jim Morrison.
Avec Justine, qui est guitariste, elle
s’amuse à reprendre des morceaux du
répertoire rock. Et elle travaille, beaucoup, multipliant les stages, découvrant
les charmes du marketing numérique.
A l’été 2014, Marie Mosser était partie
pour Londres, pour maîtriser l’anglais,
une fois pour toutes. A son retour en
France, elle décroche un contrat d’alternance chez Universal Music, où elle est
chargée du Web marketing. Parmi ses
tâches, elle doit animer les communautés de fans sur la Toile. « Elle aimait les
gens, même s’ils suivaient des vedettes
qui n’étaient pas à son goût, raconte Justine. Elle parlait des fans de Violetta
[chanteuse et vedette de série espagnole dont raffolent les petites filles] en
disant : “Elles sont trop mignonnes.” »
Marie voulait poursuivre son chemin
dans le monde de la musique. Dans son
mémoire-autobiographie, elle avait demandé à des amis, à des collègues où ils
la voyaient dans dix ans. Réponse : « responsable de la communication numérique dans une maison de disque ou une
agence ». A côté du projet, il y avait aussi
un rêve, dont se souvient Justine.
« Quand on faisait de la musique, on se
disait qu’on pourrait être les Queens of
the Stone Age françaises. » p
thomas sotinel
Mémorial du 13novembre
« Le Monde » publie chaque jour des portraits
des victimes des attentats, afin de conserver, avec l’aide
de leurs proches, la mémoire de ces vies fauchées
18 | débats
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Gauche,
les raisons
d’un échec
Les mauvais résultats de la gauche au premier
tour des régionales tiennent-ils à l’impuissance
du gouvernement et à l’absence d’union, ou
bien à un problème d’identité politique plus
profond ? Réflexions avant le second tour
Crier « No pasaran ! »
ne suffit plus
Les mantras anti-FN et la culpabilisation morale
de ses électeurs ont fait leur temps. La gauche
gouvernementale doit retrouver le sens du peuple
par laurent bouvet
L
e paysage électoral de la gauche au
lendemain de ce premier tour des
élections régionales ressemble à un
champ de ruines. Quelques vestiges de la
domination locale du PS, établie dans les
années 2002-2012, subsistent bien ici et là,
mais ils ne trompent personne. Les défaites
à répétition aux élections municipales, départementales et, aujourd’hui, régionales
ont mis à bas l’empire électoral bâti pendant une décennie sur les décombres de la
déroute présidentielle de 2002. A gauche, le
PS domine ce paysage dévasté. Aucun autre
parti n’étant en mesure de lui contester
cette prééminence. Le résultat de dimanche
témoigne, d’ailleurs, de son maintien relatif
au regard de ses alliés traditionnels écologistes et de la « gauche de la gauche ».
A l’effondrement des Verts répond, en effet, la faiblesse du score du Front de gauche,
aucun de ces partis n’étant susceptible de
représenter une alternative au PS. Cette situation électorale objective se double d’une
situation particulière : l’installation en profondeur du FN dans le paysage. Le fait que ce
ne soit pas la droite qui bénéficie de l’affaiblissement de la gauche ne devrait pas rassurer le PS, tant la dynamique frontiste
s’exerce au détriment de l’ensemble des forces politiques, que ce soit électoralement ou
en termes de thématiques qui structurent
le débat public. Au-delà des circonstances
particulières dans lesquelles se déroule
cette élection et dont il est difficile de connaître l’impact, ce premier tour n’a fait que
confirmer des tendances lourdes déjà observées lors des scrutins précédents.
TROIS RAISONS D’UNE DÉBÂCLE DU PS
A gauche, notamment au PS, trois éléments
récurrents sont amplifiés depuis dimanche : la proclamation d’une unité sans réalité politique ; le déchirement durable de
son tissu local ; l’échec historique de sa stratégie de lutte contre le FN. A peine les premiers résultats connus dimanche soir, l’appel à l’unité de la gauche a retenti sur les plateaux de télévision et dans les QG des candidats. Une unité bien vite et
automatiquement intégrée dans l’analyse
du premier tour comme dans la projection
du second par nombre de responsables socialistes. Au prix d’une double illusion, politique et électorale. La gauche est divisée,
que ce soit sur l’orientation économique du
gouvernement ou sur les questions de sécurité. L’incapacité de la « gauche de la gauche » à faire fructifier son opposition au PS
dans les urnes rendant de moins en moins
audible l’idée d’une orientation « plus à
gauche » de la politique nationale. Il n’est
ainsi pas certain que les électeurs suivent
pour le second tour les consignes de vote
d’états-majors éloignés du terrain local et
décrédibilisés. Les reports pourraient s’avé-
rer moins automatiques que prévu, malgré
l’appel concomitant à « faire barrage » au
FN. Les défaites de la gauche depuis 2012
conduisent à son effacement quasi total
dans certains endroits du pays et, plus largement, au déchirement de son tissu militant et sympathisant. C’est le cas pour le PS,
qui avait très étendu celui-ci depuis dix ou
quinze ans. Ce ne sont pas seulement des
élus qui disparaissent lors d’une défaite
électorale, mais tout un ensemble de collaborateurs, de relais, d’affidés, de réseaux
parfois anciens et structurant la vie sociale
bien au-delà de la politique stricto sensu,
comme dans le cas emblématique du NordPas-de-Calais, par exemple. La décision de
retirer les listes dans certaines régions au
nom de la lutte contre le FN aura ainsi de
lourdes conséquences, surtout lorsque le
conseil régional était le dernier point d’appui du PS et de la gauche locale. La disparition de la plupart des cadres politiques et
des moyens matériels qui les accompagnent n’augure rien de bon pour la suite,
que ce soit en termes de combat politique
ou de mobilisation électorale.
Ce reflux est aussi le résultat d’un échec :
celui de la lutte contre le FN depuis trente
ans. Toutes ces années de « mobilisation »
pour faire « barrage » à l’extrême droite ont
abouti à ce que ce parti soit, seul, sans besoin d’aucun allié, aux portes du pouvoir
dans plusieurs régions, et surtout que sa
candidate pour 2017 apparaisse comme la
seule bénéficiant d’une authentique dynamique politique. Cet échec historique n’a jamais eu de véritables conséquences sur le
PS. Les mêmes responsables qui ont imaginé ou endossé une stratégie anti-FN défaillante sont toujours aux commandes,
quel que soit son résultat. Jusqu’ici, l’enjeu
paraissait virtuel ; le FN servant surtout à
faire peur aux électeurs et à empêcher la
droite de gagner ici ou là. Il est aujourd’hui
bien réel : le FN peut gagner et bénéficier à
son tour des ressources des autres partis.
La répétition des mêmes mantras anti-FN
et la culpabilisation moralisatrice de ses
électeurs ne fonctionnent plus pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. C’est donc à un
changement stratégique radical, rapide et
profond que la gauche française, PS en tête,
doit s’atteler, si elle veut survivre et renaître.
Crier « No pasarán ! » ne suffira pas. Ce changement stratégique devra s’accompagner
d’une réflexion approfondie sur les causes
culturelles et identitaires de la montée en
puissance du FN, au-delà des habituelles
considérations sur la politique économique
des gouvernements de gauche. p
¶
Laurent Bouvet est professeur de
science politique à l’UVSQ Paris-Saclay.
Dernier ouvrage paru : « L’Insécurité culturelle » (Gallimard, 192 pages, 12 €).
Refusons le déni de défaite !
Dire que les résultats
« ne sont pas si mal »
relève de
l’aveuglement.
Tirons les leçons de
nos responsabilités
par aurélie filippetti
E
n écoutant les réactions des
responsables des partis républicains, un constat s’impose : la stratégie du déni fonctionne à plein. En s’accrochant à
chaque élection aux terres qui demeurent dans l’axe républicain,
notamment la Bretagne et le SudOuest pour la gauche, en étant obnubilés par les résultats en Ile-deFrance, où le partage des voix se
fait encore entre gauche et droite
et où le FN demeure plus bas
qu’ailleurs, les chefs des partis dé­
tournent pudiquement les yeux de
la moitié du pays. Celui où le chô­
mage de masse, où le sentiment
d’abandon du monde ouvrier et du
monde rural et des jeunes vient à
renforcer la cohorte des électeurs
du FN.
A écouter ces discours sur le
mode « ce n’est pas si mal », nos
électeurs, nos anciens électeurs désabusés, nos concitoyens incrédules peuvent se dire qu’ils ne pèsent
pas grand-chose pour ceux qu’ils
sont censés représenter. Dès lors, la
rupture entre les commentaires et
la réalité de ce qu’ils vont vivre en
ayant à la tête des exécutifs locaux
des élus FN contribue à accroître le
sentiment d’un fossé grandissant
entre les responsables politiques et
le peuple. Comment expliquer à
ceux qui auront comme présidente de région une Le Pen que finalement les scores de telle ou telle
formation n’étaient pas si mal ?
Le danger est d’autant plus grand
qu’il y a treize ans et demi, nous en
étions déjà là. Au soir du 21 avril,
nous manifestions pour la république, déjà. Nous nous engagions
alors cœur tremblant au « plus jamais ça ». Tout devait changer, la
politique n’aurait plus le même visage, on tirerait les leçons de
l’alerte. Et puis… non. La « politi­
que » a bien vite repris ses droits,
chassez le naturel… Car après le
21 avril, il y eut l’élection de Chirac
avec 80 % des voix. Le Front républicain avait fonctionné. Et tout est
redevenu comme avant. Une petite musique s’instilla même : le
meilleur moyen de gagner finalement une élection serait de se retrouver en duel ou en triangulaire
contre le FN.
Après avoir naïvement cru que Le
Pen ne serait jamais au second tour,
nous avons naïvement cru que les
Le Pen ne pourraient jamais gagner
un second tour. Il y a urgence désormais. Sonnons l’alarme. Il n’est
plus temps d’accepter les discours
de déni. La jurisprudence Chirac
(être élu au second tour avec 80 %
des voix) ne fonctionnera plus
longtemps : pour la gauche et la
droite républicaine, considérer
que, finalement, les campagnes se
joueront désormais au premier
tour, l’objectif étant d’être celui des
deux blocs qui se trouvera qualifié
contre le Front national, est devenu
irresponsable.
UN ÉCHEC COLLECTIF
Les municipales nous montrent le
danger : désormais les élus locaux
du FN sont prudents. Ils visent plus
haut. Ils risquent de faire de même
dans les exécutifs régionaux. Avec
bien sûr de gros dégâts au passage
pour tous ceux qui travaillent au
quotidien à construire de la solidarité entre nos concitoyens, les associations éducatives, citoyennes,
les espaces culturels en premier
lieu. Tout faire, y compris nous effacer temporairement de certains
hémicycles régionaux, pour empêcher leur victoire est donc une nécessité, non pas morale, mais poli-
tique. Une urgence. Leur laisser le
champ libre vers des présidences
serait un suicide. Le retrait de nos
listes est donc pour dimanche la
seule issue dans nos régions meurtries, notamment dans le Grand
Est. Mais ces retraits sont la conséquence d’un échec collectif que
nous devons analyser avec lucidité.
On ne peut s’en satisfaire sans en
tirer les conséquences. Car en rejeter la responsabilité sur l’éparpillement des forces de gauche, comme
si cet émiettement n’avait pas une
explication, et alors même que les
scores des autres partis de gauche
sont faibles, est par trop facile.
Le 21 avril déjà, nous nous en
étions tenus à cette explication
simpliste. Cela n’a rien empêché
par la suite. En 2012, s’il y eut rassemblement au second tour c’est
qu’il y avait cohésion de la gauche
autour d’une analyse des maux du
pays et d’un projet pour le relancer.
Cette élection a été gagnée sur un
programme de gauche réaliste
mais ambitieux. Pourquoi le nier
et le renier, alors que c’est celui qui
a été validé par les urnes ? Il faut
nous attaquer aux racines. Aux
motivations du vote. Et donc à nos
propres responsabilités, en particulier depuis 2012.
Gauche, droite : refusons le déni
de défaite. Ce n’est pas en maintenant artificiellement des listes
dans des régions menacées que
nous résisterons, c’est en nous retirant pour éviter le pire et en reconstruisant nos idées partout où celles
de l’extrême droite prédominent.
Dans nos régions le retrait des listes
de gauche n’équivaut certainement
pas au retrait du débat politique. p
Retrouvez l’intégralité de cette
tribune sur Lemonde.fr
¶
Aurélie Filippetti est députée
(PS) de la Moselle, ancienne ministre
de la culture
débats | 19
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Des élites coupées
des réalités françaises
A force d’occulter les problèmes posés par
une immigration de masse extra-européenne, les « bienpensants » de droite comme de gauche ont pratiqué
un déni idéologique. D’où cette triste débâcle politique
par alexandra laignel-lavastine
C
omment en sommes-nous arrivés là ? Cette question en appelle
aussitôt une autre : jusqu’à quand
allons-nous feindre, à chaque nouvelle
percée du Front national, la surprise et la
sidération ? S’il est en passe de devenir le
premier parti de France, c’est aussi
qu’une partie de nos élites intellectuelles, politiques et médiatiques a longtemps trouvé plus confortable de rester
perchée sur Mars et de lui abandonner le
monde. Surtout ses réalités déplaisantes,
comme les problèmes que posent une
immigration de masse d’origine extraeuropéenne en l’absence de politique
d’intégration, la porosité de nos frontières, le prodigieux écho que rencontre l’islamisme dans nos banlieues, la poussée
du communautarisme, du sexisme, de
l’homophobie et de l’antisémitisme.
Toutes réalités enfin officiellement admises en l’espace d’une nuit, entre le 13 et
le 14 novembre. Bien tard pour regagner
une quelconque crédibilité.
Peu de temps auparavant, rappelons
qu’il se trouvait encore de bons apôtres
du politiquement correct pour parler de
« terrorisme dit “islamiste” », car il ne pou­
vait s’agir, cela va de soi, que d’une lubie
aux relents racistes. Pour cette vision
théologico­tiers­mondiste qui ne souffre
aucun démenti en provenance des faits,
l’axiome est intangible : le mal ne saurait
surgir du camp du bien, celui des préten­
dus « damnés de la terre ». Enivrés par
leur folle reductio ad lepenum, certains
ont même réussi l’exploit de céder la souveraineté et la laïcité à Marine Le Pen. Ou
plutôt cet abominable « laïcisme » en lequel Emmanuel Todd voyait déjà, dès le
printemps 2015, un ennemi cent fois plus
redoutable que l’islamisme radical. On
apprendra dans la foulée, par lui et par
d’autres idiots utiles du FN, que les
tueurs djihadistes étaient en fait des victimes (des discriminations, du chômage,
etc.), et que les vrais coupables ne seraient autres que les « islamophobes ».
On a aussi entendu un cinéaste expliquer
que les massacres de Charlie avaient… « la
sale gueule de Marine Le Pen ».
« COMME DES COLLABOS »
Et pourquoi pas du maréchal Pétain ?
Jean-Luc Mélenchon, lui, croyait savoir
que son ami Charb était tombé sous les
balles des « intégrismes religieux » au pluriel… On s’étonne que ceux-là ne se retrouvent pas, à l’instar de Michel Onfray,
sur une vidéo de propagande de l’organisation Etat islamique. Ainsi que me le disait il y a peu un intellectuel d’origine
musulmane, laïc et démocrate : « Certains intellectuels progressistes européens
sont effrayants : ils se conduisent envers
les islamistes comme des collabos sans
voir qu’ils pavent ainsi la voie à la droite
extrême. » Nous y sommes.
Dans ce climat de déraison collective,
faut-il rappeler qu’à chaque fois que le
sang coule c’est toujours le FN qui, en
bonne logique, ramasse la mise. Weekend des 24 et 25 mai 2014. Le 24, tuerie au
Musée juif de Belgique, à Bruxelles (quatre morts), perpétrée par Mehdi Nemmouche, un tortionnaire salafiste français de 29 ans, rentré de Syrie. Le 25,
triomphe de Marine Le Pen aux européennes, qui ralliait déjà les suffrages
d’un électeur exaspéré sur quatre. Autre
exemple de raccourci saisissant au lendemain de l’attentat de Copenhague, en février 2015 : « La terreur frappe à nouveau », lisait-on en « une » du Parisien.
« Le Front national s’enracine », titrait en
regard Le Journal du dimanche.
MONTÉE DU NATIONAL-POPULISME
Il se trouve en effet que deux tendances
lourdes menacent en Europe depuis
quinze ans : la montée en puissance de
l’islamisme et celle du national-populisme. Les deux phénomènes ont partie
liée, nous le savions… mais nous ne voulions pas le savoir. Tel est le principe du
déni. En ce sens, et pour le dire brutalement : l’ascension de Marine Le Pen est
en partie notre œuvre, et sa victoire aux
régionales le produit cumulé de toutes
nos lâchetés. Là réside le vrai mystère de
ce début de siècle.
Plus l’hydre fondamentaliste se confirmait, plus nombreuses étaient ses victimes, plus la bien-pensance régnante
s’enferrait dans la complaisance, la sociologie « excusiste » et un déni idéologique
du réel que rien ne venait enrayer. A défaut, elle minimise (le « loup solitaire »),
elle euphémise (les « enfants perdus du
djihad »), elle psychiatrise (une « poignée
de déséquilibrés »), elle intimide (« halte à
l’islamophobie »), elle sociologise (les défavorisés, c’est bien connu, ne peuvent
que massacrer leur prochain) ou elle
neutralise (procès en dérives néoréac).
Cette calamiteuse stratégie de l’enfouissement aura donc travaillé dur pour accréditer, en réaction, la thèse apocalyptique du « grand remplacement ». En se refusant à nommer et à identifier l’ennemi
idéologique, ce prêt-à-penser ne s’est pas
contenté de contribuer à notre désarmement intellectuel tout en encourageant
un rejet indiscriminé des musulmans.
Nos bien-pensants de service n’ont pas
fait le jeu du Front national : ils n’ont
cessé de faire campagne à sa place ! A la
longue, la xénophilie angélisante s’est
ainsi révélée le plus efficace agent électoral de la xénophobie diabolisante. Voilà
comment nous en sommes arrivés là.
Face à un islam qui se radicalise, il serait suicidaire de continuer à ne pas
prendre en charge les inquiétudes identitaires, le sentiment d’abandon et l’insécurité culturelle exprimés par tant d’habitants du Vieux Monde, musulmans
compris, de surcroît désemparés par une
mondialisation qui les déprime tant ils
craignent d’y perdre la maîtrise de leur
destin.
Les aveugles vont-ils s’obstiner, jusqu’à
la présidentielle, à laisser ces « immondices » en pâture au FN ? C’est probable, car
ce serait la meilleure façon de précipiter
le peuple dans son giron. On finit, en effet, par se demander si ces antifascistes
égarés n’espèrent pas secrètement le retour de leur vieille « bête immonde » préférée. Après tout, ce serait reposant, de
vraies vacances : plus besoin de s’infliger
d’épuisantes contorsions mentales face à
cet islamo-fascisme dont ils ne veulent
pas, dans la mesure où il ne cadre pas
avec leur catéchisme binaire dominantsdominés, ici une Europe ontologiquement coupable, là un monde musulman
par définition innocent. On songe à la réplique d’un personnage de Shakespeare :
« Je me suis dans la fange avancé si loin
que même si je décidais de ne plus y patauger, retourner serait aussi pénible que
ooursuivre. » p
¶
Alexandra Laignel-Lavastine est philosophe, essayiste et journaliste. Elle vient de publier « La Pensée égarée. Islamisme, populisme, antisémitisme. Essai sur les penchants
suicidaires de l’Europe » (Grasset, 220 pages,
18 €). Prix de la Licra 2015.
L’abandon des classes populaires
A force de vouloir briser les « tabous »
à coups de libéralisme culturel et économique,
la gauche « moderne » au pouvoir a délaissé
la question sociale dont s’est emparé le Front national
par louis maurin
S
i j’étais chômeur, je n’attendrais pas
tout de l’autre, j’essaierais de me
battre d’abord. » L’extrême violence des propos du ministre de l’économie, Emmanuel Macron, n’a pas
échappé aux cinq millions de demandeurs d’emploi, dimanche 6 décembre,
au moment de voter. Que se passe-t-il
dans la tête d’une caissière quand elle
entend qu’un ministre du travail estime
que le contrat de travail n’établit pas de
lien de subordination (François Rebsamen) ? Ou quand elle voit que sa suivante, Myriam El Khomri, ne sait dire
combien de fois son contrat à durée déterminée peut être renouvelé ? Une
boule de haine qui monte face à l’humiliation. La gauche « moderne » ignore
tout des classes laborieuses ; elles lui
rendent dans les urnes la monnaie de sa
pièce. Voilà qui permet de comprendre
la poussée du Front national, bien plus
que la peur des étrangers, dont la part
dans la population (6,4 %) est inférieure
à ce qu’elle était en 1982. L’incrédulité
des dirigeants socialistes devant leur impuissance à endiguer le phénomène a
une raison simple : ils ne comprennent
rien à la société française.
Certes, la gauche n’a pas abandonné les
inégalités, elle n’a que ce mot à la bouche. Inégalités d’âge, de sexe, de couleur
de peau ou entre les territoires nourrissent la communication politique, les colloques et les discours. Tant que celles-ci
demeurent compatibles avec une très
forte hiérarchie entre les exécutants et
ceux qui décident, tout va bien. Peu importe les écarts de salaires entre le haut
et le bas ou la précarité tant que l’on
compte le bon nombre de représentants
de la « diversité » ou la « parité » parmi
les dirigeants. Tant pis si les immigrés et
les femmes des milieux populaires sont
les premiers touchés par la précarité. Le
temps est venu des « chartes », des « pactes » ou de la « responsabilité sociale ».
L’appel à la bonne volonté des dirigeants
d’entreprise a remplacé la lutte des classes ; la charité sociale, le partage de la richesse.
« ÉGALITARISTES » DISQUALIFIÉS
Ce changement assure une cohérence
idéologique à cette gauche, qui associe libéralisme culturel et économique et qui
n’a absolument rien de social-démocrate. Le mariage homosexuel plus la
flexibilité du travail, elle y croit. Cette
idéologie est assumée au plus haut de
l’Etat par le ministre de l’économie luimême, qui se situe dans le camp « du libéralisme politique et économique » sans
être désavoué (Le Monde daté du 29 septembre). Ce qui compte, c’est « l’égalité
des opportunités » : permettre aux gosses
de pauvres de devenir riches et aux gosses de riches de devenir pauvres… Si chacun peut accéder à toutes les places, peu
importe la façon dont notre système
fonctionne et qu’il écrase le plus faible.
Le discours des économistes du
XIXe siècle est présenté comme « moderne ». Ceux qui veulent rendre le fonctionnement du système plus juste – ces
« égalitaristes » – disqualifiés. Ce monde
libéral part à la chasse aux « tabous » :
pour démonter le modèle social. Pendant ce temps, la violence des inégalités
sociales laisse des traces, dans un système où la liberté est celle du « renard libre dans le poulailler libre », où « l’égalité
des chances » n’est qu’un mythe destiné
à légitimer la reproduction sociale.
Ce n’est pas un problème de « marges
de manœuvre » économiques, de budget. Le pacte de « responsabilité » constitue un cadeau fiscal de 46 milliards
d’euros par an, principalement aux entreprises. L’équivalent du budget du ministère de l’éducation, de centaines de
milliers de logements sociaux, de crèches, de centaines de commissariats de
quartier, de quoi proposer un RSA aux
jeunes en galère ou des conditions de fin
de vie dignes aux personnes âgées démunies. L’Assemblée vient encore de voter un soutien aux emplois domestiques
de 225 millions d’euros par an : la gauche
dirigeante a besoin de serviteurs peu
chers, qui travaillent chez eux et le dimanche dans les commerces d’une nouvelle société flexible.
Tout irait bien si cette gauche embourgeoisée pouvait s’affranchir du pouvoir
de nuisance des classes populaires,
prendre ses congés, manger bio et choisir la bonne école pour ses enfants tranquillement. Elle a même théorisé son divorce avec le monde ouvrier devenu
conservateur, selon la fondation Terra
Nova (« Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 », Bruno Jeanbart et Olivier Ferrand, 2011). Malheureusement
pour elle, les catégories populaires sont
nombreuses : 14 % seulement de la population adulte disposent d’un niveau
de diplôme supérieur à bac + 2, la moitié
des actifs sont employés ou ouvriers.
Nous sommes en démocratie et elles
continuent à voter. Même si elles s’abstiennent davantage, leur poids est tel
dans l’électorat que l’on ne peut faire
sans elles. Lionel Jospin cherchait encore à la fin des années 1990 à « réconcilier les classes moyennes et populaires » ; la gauche dirigeante veut faire l’alliance des couches aisées et des classes
moyennes dites « supérieures », 20 %
des électeurs, en comptant large…
LE PARTI SOCIALISTE SE DÉSINTÈGRE
Résultat, le Parti socialiste se désintègre :
un électeur sur dix a voté pour lui dimanche. Les électeurs se détournent des
partis politiques en général qui n’ont que
faire des catégories populaires. La seule
organisation qui produise un discours
de classe fort est le Front national, en
s’appuyant sur la démagogie et la xénophobie.
Incapable de penser la question sociale,
la gauche « moderne » croit avoir trouvé
la parade pour devenir populaire. Penser
la société avec des sondages et brosser la
population dans le sens du poil. On continue à nous expliquer que ces couches
populaires se manifestent, non parce
qu’elles paient cher les effets de la crise,
mais qu’elles auraient peur du « grand
remplacement ». Marginalisées hors des
villes, elles seraient mises en « insécurité
culturelle » par les populations immigrées des cités, qui profitent de l’expansion des métropoles. Le discours du
Front national en version allégée est devenu politiquement correct à gauche en
grossissant à l’extrême les difficultés
– réelles – posées par l’intégration des
étrangers dans un contexte de chômage.
En utilisant les arguments de l’extrême
droite, la gauche ne fait que légitimer un
discours de haine.
Comment défendre les catégories populaires sans utiliser l’arme de la démagogie ? Les catégories populaires n’ont
pas davantage à gagner à la « dictature de
prolétariat » et un renversement du capitalisme qu’on leur promet à l’autre extrême. Divisée, engoncée dans un discours révolutionnaire, l’extrême gauche
ne peut que rester ultraminoritaire. Les
Verts s’intéressent plus à leur panier bio
qu’aux ouvriers. De son côté, la droite,
plutôt que de partir à la reconquête d’un
électorat populaire avec des propositions sociales, s’est fait piéger par la gauche qui lui a volé sa politique. Ses ténors
font l’erreur de se lancer dans la surenchère. Le Front national comble ce vide
sidéral. « Nos sociétés ne sont pas sans
classes, mais sans discours de classe articulant, de manière nouvelle, une explication théorique de ces inégalités à un projet politique de transformation sociale,
crédible et vérifiable », expliquait le sociologue Claude Dubar. Tout est dit. Reste à
savoir qui est prêt à rénover le projet social-démocrate. p
Louis Maurin est directeur
de l’Observatoire des inégalités.
Coauteur avec Valérie Schneider
du « Rapport sur les inégalités en
France », Observatoire des inégalités, 200 pages, 7,50 euros.
LE DÉBAT SE POURSUIT
SUR LEMONDE. FR
WWW.LEMONDE.FR/IDEES
« Que la gauche cesse de
gouverner par la peur »,
par Noël Mamère, député
écologiste. A force de voir la
majorité socialiste recycler
des idées de droite et d’extrême droite, inutile d’être
surpris par la montée du
Front national. Vivement la
VIe République !
« Le FN, vrai parti du
prêt-à-penser », par Cécile
Alduy, professeur de littérature à l’Université de Stanford. Ce qui se lit dans la
victoire du parti de Marine
Le Pen, c’est avant tout le
triomphe des clichés sur la
pensée et la réflexion. S’il
est une formation qui réduit le discours au slogan et
l’intelligence à la rectitude
politique, c’est bien la
sienne. Cécile Alduy est
aussi la coauteure de Marine Le Pen prise aux mots.
Décryptage du nouveau discours frontiste (Seuil, 304 p.,
19,50 €).
20 | culture
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
pppp CHEF-D'ŒUVRE
pppv À NE PAS MANQUER
ppvv À VOIR
pvvv POURQUOI PAS
vvvv ON PEUT ÉVITER
WARNER BROS.
ENTERTAINMENT INC.
Ron Howard,
digne fils
d’Hollywood
Dans « Au cœur de l’océan »,
le réalisateur retrace
l’histoire vraie
qui a inspiré « Moby Dick »
RENCONTRE
noémie luciani
I
l y a du Frank Capra chez Ron Howard.
Pas en ce qui concerne le physique ni
le style et à peine dans les sujets de
leurs films. Ils affectionnent tous deux
les belles causes, les individus qui se
battent pour une famille, une foule,
un rêve, un plus petit. La convergence tient
plutôt au point de vue : un entêtement – de
leurs personnages sinon d’eux-mêmes – à espérer envers et contre tout. Un appétit d’avenir, qui relègue le désespoir dans les notes de
passage, sans jamais lui offrir l’accord majeur.
A 61 ans, Ron Howard a, derrière lui, toute
une carrière d’acteur pour la télévision et le cinéma, des succès internationaux en tant que
réalisateur – Apollo 13 (1995), Un homme d’exception (2001), Da Vinci Code (2006) –, de belles réussites de producteur – Restless (2011), de
Gus Van Sant – et l’optimisme chevillé au
corps, même – et surtout – lorsqu’on évoque
les sujets qui fâchent : l’impitoyable Hollywood, la loi des studios, les gros sous.
Il a pourtant commencé dans les larmes.
Ses parents sont acteurs. Il a 18 mois et, sur le
plateau de Frontier Woman (1956), un western
dans lequel joue son père, le réalisateur Ron
Ormond (1910-1981) s’avise que ce petit qui
pleure ferait bon effet dans sa scène. Au moment de tourner, l’enfant est tout sourire. On
lui confie alors un tomahawk qui l’enchante,
dont la brusque privation déchaîne de nouveau les pleurs : c’est dans la boîte !
« Je n’ai jamais fait partie des enfants stars »
« L’exemple parfait du type d’expérience que ce
milieu vous amène à vivre ! », s’amuse le réalisateur, qui ne tarit pas d’anecdotes sur sa
drôle d’enfance heureuse. « C’était une vie peu
ordinaire, mais très équilibrée. Je n’ai jamais
fait partie de ces enfants stars qui grandissent
dans des bulles. Mes parents ont fait en sorte
que je mène, en dehors des tournages, une existence simple et saine. Nous avions une petite
maison, celle qu’eux deux, avec leurs salaires,
pouvaient nous offrir. »
Il apprend sur le tas, auprès d’un père qu’il
décrit comme un « pédagogue de génie », des
techniciens et artistes qu’il harasse de questions sur les plateaux. Il alterne télévision (les
séries populaires The Andy Griffith Show et
Happy Days) et cinéma, sans y voir de grande
différence, sinon le surcroît de magie du se-
cond : les décors sont plus grands, plus beaux,
la musique est entêtante, on y danse. Sur le
tournage de The Music Man, de Robert Preston, il pousse la chansonnette, à 7 ans.
Peut-être ses excursions d’enfance sur les
plateaux lui ont-elles donné le goût d’un cinéma hétéroclite comme un grand coffre à
jouets. Il a tout essayé, l’épopée spatiale
(Apollo 13), le drame intimiste (Un homme
d’exception), le western (Les Disparues,
en 2002), la comédie venue de l’espace (Cocoon, en 1985), l’antifilm de Noël (Le Grinch,
en 2000), les blockbusters (Da Vinci Code). Il a
courtisé les fées (Willow, en 1988) et les sirènes (Splash, en 1984). Il a beaucoup filmé et
parlé voitures entre son premier long-métrage, Lâchez les bolides, en 1977, et le beau
Rush, en 2013.
La transition vers la réalisation s’est faite
sans trop de mal. On regarde parfois de haut
ce freluquet venu de la télévision, dont American Graffiti (1973), de George Lucas, a pourtant fait à 19 ans une star du grand écran.
Mais il peut suffire d’un allié – de poids –
pour lancer une carrière. Ce sera Roger Corman, qui produit son premier film : Ron Howard commence à tourner Lâchez les bolides
le lendemain de ses 21 ans. L’histoire laisse rê-
VOIR LE VERRE
À MOITIÉ PLEIN
A PERMIS À HOWARD
DE TRAVERSER
FLOPS ET TRIOMPHES,
DE MENER SA BARQUE
DANS L’INDÉPENDANCE
COMME DANS
LA GRANDE MACHINE
DES TITANS
DU BUSINESS
Au bon vieux temps du cinéma à voile
AU CŒUR DE L’OCÉAN
ppvv
F
ilm d’aventures, Au cœur de l’océan
est aussi l’histoire d’une histoire, et
pas n’importe laquelle. Le scénario
de Charles Leavitt a recours à un procédé
connu : un enquêteur fait parler un témoin, et leur conversation fait bientôt
place à la traduction cinématographique
des souvenirs de l’interviewé. Ici, l’interrogateur s’appelle Herman Melville (Ben
Whishaw). Il est venu à Nantucket recueillir les souvenirs de Tom Nickerson
(Brendan Gleeson), dernier survivant du
naufrage de l’Essex. Trente ans plus tôt,
en 1820, ce baleinier d’un port de la Nouvelle-Angleterre a fait naufrage au milieu
du Pacifique, éperonné par un cachalot.
Si l’essentiel du film est consacré aux
tribulations de l’Essex et de son équipage,
son équilibre doit beaucoup à la négociation entre Tom Nickerson et Herman
Melville. Le marin vend à regret des morceaux de réalité à l’artiste, qui en fera de la
fiction. Plus qu’une astuce de scénario, le
face-à-face du loup de mer et du romancier place le film entre la création et les
souvenirs, dans cet espace incertain où se
déploient les grands récits maritimes.
Ron Howard met un enthousiasme peu
commun à reconstituer des décors magnifiques – le port de Nantucket, le baleinier – , mais aussi une industrie. L’intrigue principale baigne dans un système
économique – la récolte et l’exploitation
de la graisse de baleine, principale source
d’éclairage en Occident au début du
XIXe siècle – comme la mèche d’une
lampe baigne dans l’huile. Si les marins
de l’Essex sont soumis à des épreuves
aussi effroyables, c’est qu’ils ont été forcés
de prendre des risques en raison de la raréfaction des ressources. Les cétacés sont
montrés (en numérique) sans aucun anthropomorphisme. Ce sont des ressources qu’il faut exploiter. Et quand un individu de l’espèce pourchassée se révèle irréductible, ce n’est pas sa personnalité
qui est mise en avant, mais sa qualité
d’instrument d’un destin aveugle.
Pendant ce temps, à bord de l’Essex, se
joue un drame plus conventionnel, qui
ramène encore un peu plus Au cœur de
l’océan vers une tradition hollywoodienne que l’on croyait éteinte. Owen
Chase (Chris Hemsworth), fils de cultivateurs, devenu l’un des meilleurs harponneurs de Nantucket, se voit refuser le
commandement du bateau au profit du
fils d’un des armateurs, George Pollard
(Benjamin Walker). Chris Hemsworth, le
colossal interprète australien du dieu viking Thor, offre sa masse musculaire à
l’idéal démocratique des Etats-Unis pendant que l’Américain propose une version raide mais convaincante de la ploutocratie yankee naissante. Le duo est limité par un dialogue empesé, qui voudrait évoquer les formes en vigueur au
début du XIXe siècle, mais finit par ramener aux errements des années 1940. Ce
handicap a pour effet collatéral une clarté
quant aux enjeux de la campagne du baleinier : l’argent, le statut social, le pillage
des ressources naturelles…
C’est dire que ce film historique néoclassique n’ouvrira pas les abîmes métaphysiques qui engloutissent le lecteur de
Moby Dick. D’autant que Ron Howard et
son directeur de la photographie, Anthony Dod Mantle (Slumdog Millionaire),
recourent à des figures familières qui rassurent, comme cette transparence qui
montre l’équipage d’un canot emmené
par Chris Hemsworth arrosé d’une
écume qui n’a rien de commun avec les
lames de l’arrière-plan.
Cette volonté de renouer avec un cinéma d’aventures marque la limite du
film. Après le naufrage de l’Essex, l’équipage se répartit sur trois canots qui dérivèrent dans l’Atlantique, forçant les marins à briser le premier des interdits alimentaires. De cet élément, Herman Melville ne s’est pas servi. Ron Howard non
plus ne s’en sert pas autrement que pour
montrer à quelles extrémités les naufragés furent réduits.
Une fois admises les limites de cette entreprise, on est libre de s’abandonner au
plaisir qu’elle offre, de partager la griserie
qui saisit le réalisateur de cinéma qui évoque un monde oublié par l’artifice et par
l’effort (une bonne partie du tournage a
eu lieu en pleine mer). Lorsqu’il se croit le
seul maître sur le plateau après Dieu. p
thomas sotinel
Film américain de Ron Howard. Avec
Chris Hemsworth, Benjamin Walker,
Brendan Gleeson, Ben Whishaw (2 h 02).
veur. Le dire « chanceux » semble encore faible. Les mauvaises langues penseront « pistonné ». Ron Howard est surtout et reste un
curieux doublé d’un enthousiaste qui s’est
trouvé au bon endroit et au bon moment
pour apprendre et faire.
« De plus en plus facile de faire du cinéma »
En quarante ans de réalisation, l’enthousiasme n’a pas tari. Ron Howard reconnaît
pourtant qu’il est de plus en plus ardu de vivre à Hollywood, qu’avoir un nom connu
aide, si possible même deux. En ce qui concerne son dernier film, Au cœur de l’océan,
qui n’est ni adapté d’un roman célèbre ni partie intégrante d’une franchise à succès, il est
conscient de devoir beaucoup à la présence
au casting de Chris Hemsworth, commercialement avantageux. Mais si les studios ne
sont pas de la partie, qu’à cela ne tienne. Il finance ses films autrement, grâce à sa société
Imagine Entertainment, créée en 1986 avec
Brian Grazer, profitant des recettes d’autres
films, avec un peu d’aide de ses amis. Exactement ce que George Lucas avait dû faire pour
produire Willow, au milieu des années 1980,
alors qu’il avait déjà derrière lui la trilogie
Star Wars.
« La vraie révolution, pour moi, est positive,
déclare-t-il. La technologie a fait qu’il est de
moins en moins cher et de plus en plus facile de
faire du cinéma, et la multiplication des
moyens de production et de diffusion alternatifs permet de rendre les films visibles autrement. Hollywood rétrécit, mais les médias
s’élargissent plus vite qu’il ne rétrécit. »
Ron Howard ne mordra pas la main qui l’a
nourri. On jurerait, cependant, qu’il s’agit
moins de prudence que de cette volonté persistante et joyeuse de voir le verre à moitié
plein. En ce qui le concerne, la recette fonctionne : elle lui a permis de traverser flops et
triomphes, de mener sa barque dans l’indépendance comme dans la grande machine
des titans du business, Warner, Touchstone,
Paramount, Universal, Columbia. Il est toujours marié et heureux avec la même femme,
Cheryl Howard (Alley), épousée à 21 ans, en
même temps que le métier.
De son nouveau film, retraçant l’histoire
vraie qui a inspiré Moby Dick, il dit : « C’est un
film historique, qui montre que le monde ne
change pas autant que ce qu’on pense. » Hollywood non plus. « Sur le tournage de Cocoon,
ajoute Howard, il y avait un très vieil acteur,
Charlie, qui avait joué à Hollywood dans des
films muets. Je lui ai demandé, comme vous venez de le faire, si le milieu avait changé. Il a répondu : “C’est toujours les mêmes conneries !”
La seule différence, c’est que, maintenant, on
n’a plus le droit de faire du bruit sur le plateau
quand ça tourne. » p
culture | 21
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
La vie (avachie), mode d’emploi
Le premier film du rappeur OrelSan dépeint avec humour et noirceur le désert culturel des zones périurbaines
COMMENT C’EST LOIN
Le rapport
au temps est
au cœur d’une
mise en scène
qui traduit
chez le musicien
une véritable
intelligence
du cinéma
ppvv
A
25 ans, la vie leur promettait du rêve. Orel et
Gringe, deux petits
gars de Caen qui se retrouvent invités à rapper au micro
d’une radio locale, sont repérés
par un producteur qui leur propose d’enregistrer un single. Cinq
ans plus tard, le premier travaille
comme gardien de nuit dans un
hôtel pour VRP des faubourgs de
la ville, contraint par son patron,
« pas vraiment raciste, mais quand
même… », de refuser les clients à la
peau trop foncée, auxquels il propose, pour se racheter, de passer
la nuit chez lui.
Le second le rejoint régulièrement dans la cuisine pour écluser
les bouteilles du bar et tester quelques « punchlines » pour ce fameux morceau qui attend toujours d’être écrit. Le temps s’est
écoulé plus vite qu’il n’en avait
l’air, au fil de journées qui se répètent à l’identique : réveil à 15 heures au milieu de vieilles canettes
explosées et de cendriers débordant de mégots, sortie au centre
commercial pour avaler un
« sandwich en triangle », retour à
la maison, effondrement dans le
vieux canapé en mousse du salon, tellement défoncé que les
bouteilles se calent d’elles-mêmes dans l’accoudoir, virée au
pub avec des potes, retour à l’hôtel
pour la nuit, visite aux putes au
petit matin…
Rupture permanente
Sans s’en rendre compte, les jeunes rappeurs prometteurs sont
devenus des ratés. Leur ambition
s’est émoussée, et l’atroce médiocrité de la vie standardisée, contre
laquelle ils croyaient être vaccinés, est sur le point de les engloutir dans sa gangue. Dans une ultime gueulante, leur producteur
leur pose un ultimatum : s’ils ne
pondent pas un morceau dans la
journée, il reprend son matériel et
les lâche pour de bon.
Premier film du rappeur OrelSan, coréalisé avec le chef opéra-
OrelSan (à gauche) et Gringe. LA BELLE COMPAGNIE
teur Christophe Offenstein, Comment c’est loin suit les deux zozos
dans une interminable journée
qu’ils passent à repousser indéfiniment le passage à l’acte, tétanisés par ce défi colossal qui est, en
même temps, leur heure de vérité : comment faire en une journée ce qu’on n’a pas réussi à faire
en cinq ans ?
Les spectateurs du « Petit Journal » reconnaîtront l’esprit de la
pastille Bloqués, qu’OrelSan et
Gringe animent depuis la rentrée
de septembre, mais l’approche
est différente. Le rapport au
temps, alternativement étiré ou
compressé, selon l’intensité des
moments, est au cœur d’une
mise en scène qui traduit chez le
musicien une véritable intelli-
gence du cinéma. Le rien – l’attente du bus qui ne vient pas ou
de l’inspiration qui ne donne pas
le moindre signe, les errances le
long de la nationale… – s’installe
dans de longs plans-séquences
qui donnent tout leur poids à
l’ennui et à l’écoulement de ces
heures inertes qui remplissent
l’existence des personnages.
Cette approche esthétique s’accorde avec un parti pris de rupture permanente, quand le
« flow » des rappeurs prend, en
off, le relais du récit, quand un
moment de chorégraphie gracieusement clipée s’insère sans
crier gare à l’intérieur d’un plan
fixe, ou qu’un gag absurde vient
casser la platitude de l’instant.
Empreint de l’humour bête et
méchant d’OrelSan (on se souvient de sa chanson Sale Pute, issue d’un premier album au titre
programmatique Perdu d’avance,
qui le fit accéder à la notoriété
sous le signe de la polémique
en 2009), Comment c’est loin emprunte autant au comique potache et avachi de Seth Rogen
(40 ans, toujours puceau, En cloque, mode d’emploi) ou Jason
Segel (How I Met Your Mother)
qu’à une tradition bien française
du duo foireux.
S’il touche si juste, ce n’est pas
seulement pour son caractère
autobiographique – le film s’inspire ouvertement de la vie de ce
petit rappeur blanc, fils de prof,
Aurélien Cotentin pour l’état civil,
et de son binôme, Guillaume
Tranchant, alias Gringe, qui ont
percé avec leur duo les Casseurs
Flowters avant d’entamer chacun
de son côté une carrière solo. Ce
n’est pas seulement parce qu’il
renvoie une image à la fois drôle et
cruellement juste du désœuvrement de la jeunesse, de la difficulté qu’elle a, aujourd’hui plus
que jamais, à croire en son avenir.
Ultraréalisme
C’est qu’il dépeint avec acuité le
désert culturel désespérant des
zones périurbaines, la signalétique standardisée des centres-villes interchangeables, la nullité architecturale banalisée… Une réalité si peu représentée au cinéma
et pourtant si dominante dans le
paysage français que le rappeur
connaît bien pour y avoir longtemps vécu. Le souci de réalisme
que traduit cette approche quasi
documentaire, qui se manifeste
aussi dans le choix des acteurs, issus pour la plupart du cercle des
vieux amis caennais d’OrelSan et
dont le naturel déglingué participe de la vibration singulière du
film, lui donne une connotation
politique discrète mais forte.
L’urbanisme de ces environnements sans âme est le visage du
train-train monotone, aliéné,
qu’imposent aux masses la vie de
bureau et la société de consommation, de ce quotidien sans qualité auquel sont condamnées les
classes moyennes au bord du déclassement, qui menace de désintégrer les cerveaux et contribue à
répandre, jusque dans les urnes, le
poison du cynisme. « T’as besoin
d’une voiture pour aller travailler/
Tu travailles pour rembourser la
voiture que tu viens d’acheter (…) Le
genre de truc qui donne envie de
tout faire sauf de mourir vieux. »
Cynique, OrelSan ne l’est jamais,
et son film le prouve autant que
ces rimes, qu’il scandait en 2012
dans La Terre est ronde. En célébrant les puissances de l’imagination et de la création, il donne au
contraire des billes pour résister à
l’empire mortifère de la laideur. p
isabelle regnier
Film français d’OrelSan
et Christophe Offenstein.
Avec OrelSan, Gringe, Seydou
Doucouré (1 h 30).
Amour de deux êtres, choc de deux mondes
SUR LA PISTE DES
Le chef-d’œuvre poignant de Mikio Naruse, réalisé en 1964, sort enfin en salles
UNE FEMME
DANS LA TOURMENTE
pppv
C
E X POS I T I O N
Grande Galerie de l’Évolution
Jardin des Plantes, Paris 5e
Jusqu’au 21 mars 2016
© Jean-Michel Krief
OR ANG-OUTAN • GORILLE • CHIMPANZÉ
ompter parmi les films
inédits en salles une
œuvre de 1964 n’est pas si
courant. Son auteur, Mikio Naruse, est au diapason de cette
étrangeté, puisqu’il est l’élément
le moins identifiable parmi les
grands classiques japonais célébrés par la cinéphilie mondiale.
Né en 1905, mort en 1969, auteur
d’une œuvre subtile et économe
de ses effets, délibérément diluée
dans la grisaille du quotidien et le
destin incessamment désappointé des gens ordinaires, il n’a ni
l’élégance cruelle de Mizoguchi, ni
la précision bouleversante d’Ozu,
ni la fièvre lyrique de Kurosawa.
Qu’a-t-il donc qui justifie le fait
d’être ainsi placé au plus haut degré du temple cinéphilique ?
Une femme dans la tourmente,
poignant chef-d’œuvre de fin de
carrière (Naruse réalisera son dernier film, Nuages épars, en 1967),
apporterait à lui seul des éléments
essentiels de réponse. L’action se
situe dans le bourg de Shimizu,
dans les années 1960. Reiko – interprétée par la muse de Naruse,
Hideko Takamine, une des plus
grandes actrices au monde –, une
veuve de guerre qui a perdu son
mari sur le front six mois après
leur mariage, y gère l’épicerie de sa
belle-famille qu’elle a sauvée
d’une fermeture assurée. Sa bellemère avait à s’occuper d’un mari
malade, ses deux belles-sœurs ont
pensé à faire leur vie, et son beaufrère, Koji, a joint l’indolence à l’affection qu’il lui témoigne.
C’est essentiellement entre ces
deux derniers personnages que le
drame va se nouer, sur fond de
mutation rapide de l’économie et
plus largement de la société nippone. A cet égard, les séquences
qui exposent le sujet et l’ambiance
du film sont un modèle de concision, d’intelligence, de sensibilité.
Gros plan magnifique
Le premier plan est pour un camion qui sillonne les rues du
bourg, d’où émane à travers un
haut-parleur une voix féminine
vantant les réductions consenties
par un supermarché local. On voit
ensuite un couple de commerçants comparer le prix des œufs,
puis une scène grotesque de bar,
où trois pauvres types (les gérants
du supermarché) s’amusent à
faire avaler à de pauvres filles le
plus d’œufs durs possible en cinq
minutes. Un jeune homme au bar,
révolté par leur bêtise, se bat avec
eux et se retrouve au commissariat, avant que sa belle-sœur ne
vienne le chercher.
Ces deux-là, ce sont Reiko et Koji,
La dernière demiheure du film
est totalement
surprenante
qui marchent ensemble, rassemblés par une douce affection sur le
chemin du retour et dont tout
montre pourtant d’emblée qu’un
monde les sépare. Elle en tenue
traditionnelle, douce, rationnelle,
dévouée. Lui en vêtements occidentaux, colérique, paresseux,
jeune chien fou amateur de femmes et de beuveries. En eux, par
eux, et tandis même qu’ils marchent provisoirement de concert,
une époque meurt, tandis qu’une
autre commence.
Le drame naîtra bien sûr de
l’amour qui, subitement, se déclare. Un tel préambule, liant naturellement et trivialement le social
au sentimental, suggère que le
sort du couple est intimement lié à
celui d’une société qui abandonne
ses valeurs traditionnelles au profit de la réussite économique.
Le sort de l’épicerie, que Koji
songe à transformer en supermarché, et le sort de cet amour seront
donc au centre du film, tiraillé entre l’égoïsme perfide des belles-sœurs, l’impuissance de la
mère, la passion de Koji, l’ambi-
guïté bouleversante de Reiko. Ne
dévoilons rien ici, promettons
simplement une dernière demiheure surprenante, où le mouvement intempestif et l’arrachement brutal d’un long voyage en
train inversent le rapport des personnages à la réalité, avivant le
sentiment de précarité du monde
moderne auquel en dernier ressort Naruse se confronte. Fragilité
lisible sur le gros plan magnifique,
suspendant le travelling d’une
course vacillante et éperdue, du
visage interdit de l’héroïne.
On ne sait si François Truffaut
avait vu ce film avant de réaliser La
Chambre verte (1978), mais on ne
peut manquer d’être saisi par ce
sentiment tragique de fidélité aux
morts qui réunit les héros des
deux films. A travers cet attachement, notamment aux photographies des disparus, c’est l’image et
le cinéma que ces artistes sanctifient comme une sorte de cénotaphe. Il n’en reste pas moins
qu’en 1964 ce monde que Naruse
s’apprête à quitter discrètement,
les enragés de la Nouvelle Vague
nippone, Oshima, Imamura et
autres Yoshida, en font déjà du petit bois. p
jacques mandelbaum
Film japonais de Mikio Naruse.
Avec Hideko Takamine, Yuzo
Kayama, Mitsuko Kusabue (1 h 37).
22 | culture
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
S E M A I N E
Des moutons et des hommes
L A
Un puissant poème rural islandais à la tonalité burlesque mélancolique
K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
(édition abonnés)
pppv À NE PAS MANQUER
Cafard
Film d’animation français, belge et néerlandais de Jan Bultheel
(1 h 26).
Transposant dans la fiction l’histoire méconnue de l’ACM
(Autos-Canons-Mitrailleuses) de l’armée belge, première division blindée envoyée sur le front de l’Est dès 1914, Jan Bultheel
propose, grâce à un travail hybride de captation de mouvements et d’animation par ordinateur, un film de guerre d’une
force expressive et d’une humanité saisissantes. p n. lu.
ppvv À VOIR
BÉLIERS
pppv
S
i l’on se référait aux « propres de l’homme » souvent invoqués que sont le
rire et la parole, on serait
bien en peine de distinguer, dans
Béliers, les humains des animaux. Dans une vallée islandaise
loin de tout, deux frères célibataires, Gummi (Sigurður Sigurjónsson) et Kiddi (Theodór Júlíusson),
vivent l’un à côté de l’autre, chacun avec son élevage de moutons. Cela fait si longtemps qu’ils
ne se parlent plus qu’on s’étonne
qu’ils parlent encore. A leur consacrer tout leur temps, toute leur
énergie, tout leur amour, les éleveurs se sont mis à ressembler à
leurs bêtes. L’âge les a rendus
aussi blancs les uns que les
autres, et on s’étonnerait moins
de voir rire les moutons que les
hommes, tant les seconds sont
grognons. Les « béliers » du titre,
ce sont eux, sans doute.
Le réalisateur Grímur Hákonarson travaille cette quasi-animalisation de ses héros dans un esprit
burlesque mélancolique, où le comique tient plus souvent de l’immobilité que du geste.
Au début du film, le concours de
béliers local oppose les deux frères et une poignée d’autres éleveurs. Les bêtes sont bien alignées, les éleveurs debout,
comme sur une photo de classe :
les grands derrière, les petits de-
vant. Au-delà de la solennité comique de tout ce monde, accentuée par un cadrage en plan fixe,
le ridicule vient de ce que les éleveurs, et non les bêtes, arborent
autour du cou les écriteaux au
nom de ces dernières. Ils sont plus
anxieux qu’un jour de récitation
de poésie à l’école primaire. La
note de l’un est celle de l’autre,
comme si la valeur du second en
tant qu’homme était proportionnelle à celle du premier.
Le paysage,
fait de vues
merveilleuses
sur les vastitudes
âpres de
l’Islande, dévore
la narration
Très drôle et très sérieux
Il y a quelque chose de très drôle,
mais également de très sérieux,
dans l’énormité de l’enjeu. On ne
saura jamais la raison initiale de
la brouille, mais le demi-point
d’écart entre les deux frères suffit
à creuser le fossé plus profondément que bien des rivalités familiales classiques n’auraient pu le
faire. Chacun se mure dans son
silence et dans son paysage. Le
paysage lui-même, fait de vues
merveilleuses sur les vastitudes
âpres de l’Islande, dévore la narration : on reste un moment au
bord du tableau, et il s’en faut de
peu – cela semble ne tenir parfois
qu’au vent qui vient pleurer à la
place des hommes aux yeux
secs – que le film ne meure, contaminé par l’immobilisme têtu
de ses héros.
Un coup de théâtre vient cependant déraciner l’intrigue et réorienter les regards. La tremblante
du mouton a frappé, il faut abat-
tre les bêtes. Kiddi se noie dans
l’alcool et le déni, Gummi envisage des chemins de traverse :
chacun vit sa tragédie en silence à
quelques mètres de l’autre. Il
s’agit bien d’une tragédie, à double titre. Ces rustauds solitaires
aiment leurs bêtes comme ils
n’ont probablement jamais aimé
un autre être humain : avant l’humour, Grímur Hákonarson fait la
part belle à la tendresse, en filmant les gestes doux des grosses
mains qui caressent, les intonations soudain chaleureuses des
voix rudes qui les interpellent.
Mais surtout, ces moutons sont
les derniers descendants de Bolstad, un bélier exceptionnel, et la
seule légende familiale qui reste.
Ce fantôme plus puissant que
père et mère vient contrarier l’immobilité renfrognée des deux héros. Un vent de fin des temps
plane sur leur petit monde. Ils
avaient accepté que l’histoire s’arrête avec eux : Kiddi dans l’oubli
opportun de la boisson, Gummi
dans ses manies de vieux garçon,
son petit Noël mitonné et dégusté
en solitaire, que le réalisateur
filme avec une délicatesse aussi
jolie que poignante. Mais que
Bolstad perde sa descendance
leur est insupportable : c’est la
dernière famille qui reste à leur famille, et la dernière raison qu’ils
pourront trouver, avant que le
temps, la neige et le vent ne les
fondent pour de bon dans le paysage, de s’envisager à nouveau sinon en frères de sang, du moins
en frères de lutte.
Le tableau s’estompe, les rituels
s’effondrent, la vie reprend, puissamment imprévue, puissamment mise en scène, dans un
temps inversé qui ramène
Gummi et Kiddi, sans beaucoup
plus de paroles qu’auparavant,
sur les sentiers d’une sorte de
préhistoire des sentiments et des
liens familiaux, où ils ont tout à
réapprendre. A l’horizon, la fin
du film et celle du récit prennent
des airs d’origine du monde. On
aura voyagé très loin sans être
sorti de la vallée solitaire, et l’on a
rarement vu, avec une telle économie de discours et de matière,
une telle ampleur dans le
poème. p
L E S
ARP
A U T R E S
F I L M S
D E
Oncle Bernard, l’anti-leçon d’économie
Documentaire québécois de Richard Bouillette (1 h 20).
Richard Bouillette reprend un entretien filmé, en mars 2000,
avec l’économiste Bernard Maris, tué en janvier dans l’attentat
contre Charlie Hebdo. Ainsi se fixe le portrait d’un honnête
éducateur au parler franc. Un document. p m. ma.
pvvv POURQUOI PAS
Allende mon grand-père
Documentaire chilien et mexicain de Marcia Tambutti Allende
(1 h 37).
On ne voit pas qui mieux que sa petite-fille pouvait prétendre
à une mémoire intime de Salvador Allende, élu président du
Chili en 1970, suicidé trois ans plus tard sous la menace du
putschiste Augusto Pinochet. De cette violence faite à un
homme si profondément aimé, ce film tire un paradoxe familial : la douloureuse réticence à évoquer son souvenir, contre
laquelle le film tente, avec probité, de se construire. p j. ma.
Back Home
Film norvégien, danois, français, de Joachim Trier (1 h 49).
L’originalité du film tient à la cellule familiale qu’il dépeint, où
la mère, photographe de guerre, a laissé à son conjoint la tâche
d’élever leurs enfants avant de mettre fin à ses jours. Si les affects de ces hommes sont le sujet du film, les personnages,
trop simplistes, peinent à les rendre sensibles. p i. r.
Belle et Sébastien, l’aventure continue
Film français de Christian Dugay (1 h 39).
La nouvelle aventure du petit orphelin et de son chien distraira
les petits. Mais ces images d’Epinal trempées dans une bonne
conscience franchouillarde pourraient bien irriter ceux de
leurs aînés qui pensaient retombée la vague des films capitalisant sur un âge d’or fantasmé de la France blanche où les petits
garçons portaient des culottes courtes et les curés étaient universellement respectés. p i. r.
Cosmos
Film français d’Andrzej Zulawski (1 h 43).
Amateur de baroque sentimental, féru de littérature, écrivain,
le Polonais Andrzej Zulawski adapte son compatriote Witold
Gombrowicz, écrivain génial, loufoque, déchiré, donc difficilement naturalisable au cinéma. La preuve par ce film, tiré du
dernier roman du maître, Cosmos (1963). Bienvenue dans un
monde qu’on ne peut montrer sans perdre la raison ! p j. ma.
Oups ! J’ai raté l’arche
Film allemand, belge, luxembourgeois et irlandais de Toby Genkel et Sean McCormack (1 h 20).
Vivement colorié, sommairement animé, cette fable conte les
efforts d’une espèce oubliée pour trouver une place sur l’arche,
afin d’échapper au déluge. Les potentialités anxiogènes de la
situation sont neutralisées par quelques gags et beaucoup de
bons sentiments. p t. s.
noémie luciani
Suburra
Film islandais de Grímur
Hákonarson. Avec Sigurður
Sigurjónsson, Theodór Júlíusson.
(1 h 33)
Film italo-français de Stefano Sollima (2 h 15).
Chronique d’une guerre des gangs dans la Rome d’aujourd’hui,
Suburra mèle la réflexion politique et les exigences spectaculaires du film noir contemporain. Un certain maniérisme formel limite la portée d’un film pas désagréable. p j.-f.-r.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
Vue sur mer
Quelques moments de grâce dans un bazar
Film américain d’Angelina Jolie-Pitt (2 h 03).
Claude Lelouch transporte sur les bords du Gange sa nouvelle romance à rebondissements
UN + UNE
pvvv
C
es dernières années,
Claude Lelouch était resté
plutôt sédentaire, dans
l’espace, sinon dans le temps. Un
+ Une renoue avec ces grandes excursions qu’ont été Un homme
qui me plaît (l’Ouest américain,
1969), Itinéraire d’un enfant gâté
(la planète entière, 1988) ou And
Now… Ladies and Gentlemen (le
Maroc, 2002). A 78 ans, l’auteur
d’Un homme et une femme se
jette à film perdu sur les routes
– aériennes, ferroviaires, bitumées, en terre, fluviales, spirituelles – qui sillonnent l’Inde.
Dans cette frénésie de déplacements qui saisit les deux personnages principaux, Antoine Abeilard, compositeur de musique de
films (Jean Dujardin) et Anna Hamon (Elsa Zylberstein) professeure de philosophie devenue
femme de diplomate (l’ambassadeur français en Inde, Christophe
Lambert), tout peut arriver : des
moments de grâce infinie, des
dialogues improvisés qui s’éternisent, des vues pittoresques du
Claude Lelouch
veut tirer des
larmes, attendrir,
et faire passer
le temps très vite
sous-continent, du placement de
produit…
Cet amalgame devrait condamner le film à la médiocrité. Il suffit
qu’un acteur pris de court répète
plusieurs fois « Ah, quand
même ! » pour couler non seulement la séquence mais aussi celles qui l’entourent. Tout comme
l’insistance à cadrer la calandre
d’une voiture de marque allemande (dans laquelle roule le représentant de la France) distrait
un peu l’attention des enjeux de
la scène (la rencontre entre l’ambassadeur et la professeure).
Sans parler du choix curieux de
l’interprète principal. Jean Dujardin incarne un séducteur au bord
de la retraite. Il vient de rencontrer une pianiste de quinze ans sa
cadette pour qui il hésite à se ran-
ger des voitures. Lorsqu’il est invité à se rendre en Inde pour
composer la bande originale
d’une version moderne de Roméo et Juliette (réalisée par un cinéaste « de la Nouvelle Vague indienne »), interprétée par les protagonistes du fait divers qui l’a
inspirée (tout ça est filmé, mis en
scène avec une désinvolture si
preste qu’on est bien obligé de la
prendre pour de la virtuosité).
Ironie parisienne
Croulant sous toutes ces informations, le spectateur doit ensuite assimiler la rencontre entre
le don Juan et l’épouse en pleine
crise existentielle. La seconde entraîne le premier sur les bords du
Gange, où elle espère trouver la
fertilité, pendant qu’un providentiel caillot dans une artère cérébrale le pousse, lui, à reconsidérer les tenants et aboutissants de
l’existence. Comme on pouvait le
redouter, le sourire carnassier de
Jean Dujardin et sa propension à
l’ironie bien parisienne défont la
vraisemblance de cet exercice
spirituel.
Mais dans ce bazar orientali-
sant, Lelouch saisit, par exemple,
le visage défait par le froid et la
tristesse d’Elsa Zylberstein qui
vient de s’immerger dans les
eaux sacrées. Ou encore le joli numéro, très étudié, de Christophe
Lambert en faux naïf et vraie bête
de pouvoir.
De toute façon, tout va tellement vite que l’on n’a pas le
temps de réfléchir (ce qui semble
aussi avoir été le cas du réalisateur – certaines de ses vues de
l’Inde feraient passer Hergé pour
un virulent anticolonialiste, à la
Frantz Fanon), et ce n’est pas le
but de l’opération.
Claude Lelouch veut tirer des
larmes (il peut d’ailleurs compter, comme depuis un demi-siècle, sur une partition sentimentale de Francis Lai), attendrir, et
faire passer le temps très vite. En
cinquante ans de cinéma, il a acquis en ces matières un certain
savoir-faire. p
thomas sotinel
Film français de Claude Lelouch.
Avec Jean Dujardin, Elsa
Zylberstein, Christophe Lambert,
Alice Pol (1 h 56)
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
Total
depuis
la sortie
Babysitting 2
1
712 676
553
Le Voyage d’Arlo
2
358 507
645
↓
– 34 %
929 711
Hunger Games :
La Révolte – Partie 2
3
308 764
851
↓
– 48 %
2 210 342
007 Spectre
4
307 464
840
↓
– 45 %
4 130 916
Le Pont des espions
1
233 041
352
233 041
Mia Madre
1
129 368
184
129 368
L’Hermine
3
116 391
458
Strictly Criminal
2
65 981
277
Demain
1
63 988
154
21 nuits avec Pattie
2
62 203
295
AP : Avant-première
Source : Ecran Total
712 676
↓
↓
– 43 %
711 196
– 56 %
250 905
↓
– 50 %
220 117
63 988
* Estimation
Période du 2 au 6 décembre inclus
Faute de faire le bonheur des cinéphiles, Babysitting 2 fait celui de son
distributeur, UPI. Avec 712 000 entrées en première semaine, et une
moyenne de 1 289 spectateurs par copie, ce deuxième volet de la franchise française inspirée du Projet X (un épisode festif restitué à travers
une vidéo tournée à la caméra GoPro) se place en tête du classement.
Les films classiques de Steven Spielberg (Le Pont des espions) et Nanni
Moretti (Mia Madre) démarrent dignement (233 000 entrées pour le
premier, 129 000 pour le second). La situation est en revanche très
difficile pour les films en prise avec le djihadisme. Taj Mahal, de Nicolas
Saada, n’a rassemblé que 15 000 spectateurs en première semaine et
Les Cowboys, de Thomas Bidegain, 38 500 en quinze jours.
culture | 23
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Eagles of Death Metal de retour sur scène à Paris
Le groupe américain, qui se produisait au Bataclan lors des attentats, a clos le concert de U2, le 7 décembre
MUSIQUE
L
aissez-moi vous présenter
des personnes dont la vie
sera désormais toujours
liée à Paris, annonce soudain Bono, le chanteur de U2. Il y a
quelques semaines, on leur a volé
leur scène, nous voulons leur offrir
la nôtre. Bienvenue aux Eagles of
Death Metal. » Lundi 7 décembre,
à 22 h 53, les rockeurs américains
sont remontés sur scène, à Paris, à
l’invitation des stars irlandaises,
moins d’un mois après s’être produits au Bataclan, le 13 novembre,
jour des attentats.
Sur le plateau de l’AccorHotels
Arena, le quintette californien a
repris avec ses hôtes un morceau
de Patti Smith, People Have the
Power, avant que U2 ne s’éclipse
pour laisser le dernier mot – la
chanson I Love You All the Time – à
ceux qui, il y a quelques jours, ont
affirmé vouloir revenir jouer au
Bataclan, dès que sera envisagée
la réouverture de la salle martyre.
Devant l’arène survoltée de l’ancien Bercy, le groupe mené par le
chanteur Jesse Hughes, tout de
blanc vêtu, laisse éclater une énergie faite de rage de jouer et de joie
de vivre, malgré tout. « Je vous
aime si fort ! », s’étrangle presque
le musicien de Palm Desert en
agitant un drapeau bleu-blancrouge. « I will never stop rock’n’rolling ! »
La nouvelle de la venue des Eagles of Death Metal avait fuité ce
week-end, alors que se préparaient les deux concerts de U2 reprogrammés les 6 et 7 décembre,
après l’annulation de leurs spectacles parisiens des 14 et 15 novembre, au lendemain des attentats. Le quatuor irlandais avait
déjà joué à l’AccorHotels les 11 et
12 novembre.
Le samedi 14 novembre, Bono, le
guitariste, The Edge, le bassiste,
Adam Clayton et le batteur Larry
Mullen Jr. avaient tenu à se recueillir devant le Bataclan, en se
déclarant « dévastés par les pertes
humaines » et solidaires du
groupe américain. Une solidarité
qui s’est donc exprimée spectaculairement en l’accueillant lors de
l’ultime rappel de ce show du 7 décembre, diffusé par la chaîne
américaine HBO.
Une autre résonance
Avant l’apparition des « Aigles »,
U2 avait donné un concert similaire à ceux produits à l’occasion
d’une nouvelle tournée, baptisée
« Innocence + Experience » qui,
depuis mai 2015, met particulièrement en avant les titres de son
13e album, Songs of Innocence,
sorti en septembre 2014.
La configuration – une scène et
une longue promenade entourées à 3600 par la foule –, les visuels projetés sur une sorte de
longue cage surplombant la promenade et les morceaux joués
ont beau être quasiment les mêmes, nombre de moments du
concert prennent une autre résonance dans le contexte actuel.
Les « Aigles »
laissent éclater
une énergie faite
de rage de jouer
et de joie
de vivre,
malgré tout
Dans leur récent album, les
membres de U2 replongent dans
les souvenirs de leur enfance et de
leur adolescence. Bono y évoque
sa mère, Iris, morte quand il avait
14 ans – « En me quittant, elle a fait
de moi un artiste » −, ses révélations musicales − « Le rock’n’roll a
sauvé ma vie », répète-t-il à propos d’un genre devenu cible récente des terroristes.
Il se rappelle aussi la violence du
conflit nord-irlandais qui lui avait
déjà inspiré le succès Sunday
Bloody Sunday. En introduction
de Raised by Wolves, évoquant les
attentats aux voitures piégées du
17 mai 1974, qui provoquèrent la
mort de 33 civils dans les villes de
Dublin et Monaghan, en République d’Irlande, le réalisme du son
d’une explosion fait sursauter les
20 000 spectateurs.
Puis la projection des photos
des victimes de l’époque évoquera les 130 morts des fusillades
parisiennes, dont tous les noms
apparaîtront sur fond de drapeau
français à la fin d’un hymne à Paris, City of Bright Lights, que Bono
enchaîne avec une version a cappella de Ne me quitte pas. Un des
grands frissons de la soirée. Des
vidéos de la ville syrienne dévastée de Kobané, des colonnes armées de l’Etat islamique ou des
déplacements de réfugiés accompagnaient déjà le déluge électrique de Bullet the Blue Sky avant
l’état d’urgence.
Entre les chansons, Bono fait référence à l’actualité. « Cherchentils à nous faire peur ? A nous faire
dénoncer nos voisins ? Nous ne céderons pas à la haine, nous refusons de devenir des monstres pour
détruire un monstre. » Le leader de
U2 célèbre « les faiseurs de paix qui
ont le courage du compromis ». Il
se dit solidaire des familles de victimes à Paris et Saint-Denis, San
Bernardino, Istanbul, Beyrouth
ou Damas. Mais aussi de celles
des terroristes, également victimes d’« une idéologie qui pervertit
le magnifique message de l’islam ».
Musicalement, le groupe semble galvanisé par la gravité du moment. Son lyrisme quasi messianique, la puissance de ses envolées de guitares témoignent depuis toujours de sa capacité
d’indignation, comme de sa volonté de communion. A entendre
l’arène parisienne reprendre en
chœur le refrain de One ou de
Pride (In the Name of Love), on se
dit que les hymnes de U2 n’ont jamais tenu aussi chaud. p
stéphane davet
LE BILLET DU JOUR
« The Big Lebowski »,
ce nid d’aigles death metal
Avec un tel nom, les Eagles of Death Metal allaient finir par attirer
les vautours. Près de quatre semaines après la tuerie du Bataclan,
c’est chose faite : dépeçant les entrailles d’Internet, mettant bout à bout
de vieilles déclarations, sorties de leur contexte et purgées de toute
ironie, certains confrères peu scrupuleux ont transformé les volatiles
californiens en aigles fascistoïdes, amateurs d’armes à feu,
militants anti-avortement et soutiens sans distance de Donald Trump.
Vilaine caricature qui, si elle monte en épingle l’aile droite et conservatrice des rockeurs, en occulte l’aile gauche, autrement libérale. Car les
leaders du groupe, Jesse Hughes et Josh Homme, portent autant au
pinacle la sous-culture « redneck », tendue du canon, que le mode de vie
hippie, détendu du caleçon. Or, c’est précisément ce vol chaotique d’un
extrême à l’autre des valeurs américaines qui suscite, chez leurs admirateurs, des élans de tendresse amusée. En cela, le duo ravive le souvenir
des deux compères de The Big Lebowski, le film des frères Coen (1998) : si
l’on éprouve de l’affection pour Walter Sobchak (John Goodman), un patriote dégainant grands principes et gros calibres d’une même salve crispée, c’est parce qu’il a pour ami « The Dude » (Jeff Bridges), davantage
porté sur la marie-jeanne, l’amour libre et la non-violence. A la fin du
film, le tube des Eagles, Hotel California, repris par les Gipsy Kings,
salue la victoire des deux zigotos sur un groupuscule de malfaiteurs
« nihilistes » (sic). Du reste, c’est le propre des meilleures comédies que de
révéler, longtemps après les premiers rires, leur caractère poignant. p
auréliano tonet
CORRESPONDANCE
Une lettre de Groupe Moma
A la suite de l’article intitulé « Au Théâtre des Champs-Elysées,
des travaux en catimini » (Le Monde du 6 novembre), nous
avons reçu le courrier suivant de Groupe Moma.
« Un article publié sous la plume de Jean-Jacques Larrochelle,
le 6 novembre, « Au Théâtre des Champs-Elysées, des travaux
en catimini », fait état de faits inexacts. Injustement mis en
cause, le Groupe Moma entend que les éléments suivants
soient portés à la connaissance du lectorat du journal
Le Monde.
Après un appel à projet très sélectif lancé en juin 2013 par la
Société immobilière du Théâtre des Champs-Elysées, société
filiale de la Caisse des dépôts et consignations, propriétaire du
théâtre [parisien], le Groupe Moma a été retenu pour la qualité
et l’originalité de son projet de restaurant et de cabaret. Une
convention de bail a été conclue avec le propriétaire des lieux.
Si la création, en son temps, du restaurant Maison blanche
avait évidemment nécessité un permis de construire,
compte tenu de la surélévation de 1 000 mètres carrés sur
le bâtiment existant du théâtre, la situation est totalement
différente en l’espèce.
En effet, dans la mesure où la rénovation du sous-sol existant
de l’ancien hôtel des ventes n’emporte ni création de surface
de plancher, ni modification des façades extérieures, ni
atteinte aux parties classées du bâtiment, ni, enfin,
modification de l’affectation commerciale des locaux, le dépôt
et l’affichage de la déclaration de travaux sont conformes aux
textes législatifs et réglementaires applicables en la matière.
Un dossier complet d’aménagement a été déposé en
préfecture le 25 mars, conformément aux procédures
applicables en matière d’établissements recevant du public,
et l’administration a effectué une visite sur site.
La société Moma Group, leader de son secteur et reconnue
pour son professionnalisme, s’étonne de la teneur de cet
article. Se refusant à épiloguer sur son contenu, elle
réaffirme par ce droit de réponse que la législation applicable
aux travaux entrepris a été parfaitement respectée. »
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24 | télévisions
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
« Homeland » tient toujours en haleine
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Aux trois quarts de la cinquième saison, la série de Showtime diffusée par Canal + Séries confirme son excellence
MERCREDI 9 DÉCEMBRE
CANAL+ SÉRIES
À LA DEMANDE
S
aison 5 ou saison 4 ? Au
moment d’écrire ce début
d’article, on s’est posé la
question. Mais « Homeland », créée en 2011 par Howard
Gordon et Alex Gansa, en est bien
à sa cinquième saison.
Cette hésitation pourrait signifier deux choses : que le temps dramaturgique de la série progresse
de « plein-vent » ; ou que sa saison
4 est oubliable. Il y a sûrement du
vrai dans les deux suggestions,
mais si la précédente saison a pu
décevoir une partie de la critique
et de ses aficionados, « Homeland » demeure, en son ensemble,
un remarquable exemple de cohérence dans le renouvellement du
propos et des lieux, avec des personnages récurrents qui en assurent la stabilité narrative.
Jeu du chat et de la souris
Ainsi, le dépaysement de l’action
en Europe pour cette cinquième
saison (avec un tournage décentralisé en Allemagne) est un fait
assez rare et culotté, dans le cas
d’une série nord-américaine, pour
être souligné. On y découvre Carrie Mathison, le personnage principal, installée depuis deux ans en
(presque) parfaite mère de famille
bobo dans la banlieue de Berlin.
Les scénaristes sont parvenus à
Carrie Mathison (Claire Danes) dans la série « Homeland » (S5, ép. 2). STEPHAN RABOLD/SHOWTIME/FOX
machiner l’intrigue de telle sorte
que Carrie, qui ne travaille plus
pour la CIA, Saul Berenson (son
mentor, auquel la lie une relation
d’amour-haine) et Dar Adar, le patron de l’Agence centrale de renseignement américaine, se retrouvent une fois encore dans les
mailles d’un même filet.
Les quatre précédentes années
de diffusion de « Homeland »
auront montré à quel point ses
scénaristes ont l’art du contournement et du rhizome dans leur
développement de l’action. En
cette cinquième saison, ils continuent de faire montre de leur
doigté en matière de suspense, alimentant de manière subtilement
sadique la frustration et la dépendance du téléspectateur.
La fin du dernier épisode en
date, le neuvième, aurait pu constituer la fin possible de cette sai-
son avec l’aveu du coupable. Mais
non : « Homeland », pendant quelques épisodes supplémentaires
(douze au total), va poursuivre ce
jeu du chat et de la souris avec
ceux qui la suivent chaque semaine, dans la foulée de la diffusion nord-américaine.
Au cours du deuxième épisode,
on avait vu, sur les murs d’une
ruelle que parcourt Carrie, des inscriptions taguées en arabe. Per-
sonne, au sein de la production,
ne les avait déchiffrées avant le
passage sur le petit écran. De sorte
que certains arabisants parmi les
téléspectateurs ont lu, stupéfaits,
des messages tels que : « “Homeland” est raciste. » Selon le quotidien britannique The Guardian du
15 octobre, ces tags avaient été
commandés à des artistes de rue
« par une société de production
[afin de] donner de l’authenticité
au décor, supposé représenter un
camp de réfugiés à la frontière
syro-libanaise, mais filmé à la périphérie de Berlin ».
Lesdits artistes, Heba Amin, Caram Kapp et Stone, qui constituent le groupe des Artistes de rue
arabes (Arabian Street Artists),
ont revendiqué ensuite leur geste
comme un message politique
contre les stéréotypes que véhiculerait « Homeland ».
Mais Alex Gansa, l’un des créateurs de la série, a répondu avec
une élégance non dénuée d’humour au site Internet Deadline :
« Quoi qu’il en soit, et puisque “Homeland” s’efforce d’être subversive
à sa manière et d’appeler au commentaire, nous ne pouvons qu’admirer cet acte de sabotage artistique. » p
renaud machart
Homeland (saison 5),
avec Claire Danes, Mandy Patinkin
(2015, EU, 12 x 52 mn).
Le Norvégien Matthias Glasner met en scène une famille qui saisit une seconde chance
D
ans une région de Norvège où la glace ne fond
jamais et où il fait nuit
plusieurs mois par an, Maria et
Niels se sont installés avec leur fils,
Markus. Sans trop y croire, ils sont
venus chercher une seconde
chance. Mais Niels est toujours infidèle, et Maria a beau se dévouer à
son travail d’infirmière, cela ne
suffit pas à lui faire oublier qu’elle
n’est plus heureuse. De plus en
plus loin de ses parents, Markus se
contente de les filmer avec son téléphone. Mais, en parcourant la
nuit perpétuelle en voiture, Maria
percute quelque chose, ou quelqu’un… Cet accident va bouleverser son couple et sa famille.
Le titre du film de Matthias
Glasner, La Grâce (2012), est voué à
paraître longtemps énigmatique,
voire incongru. Où pourrait-on
voir la grâce dans cette vie sans soleil et presque sans mots ? Dès le
début, la souffrance est devenue
lame de fond. Il est trop tard pour
les cris et les pleurs. Vivre ensem-
ble se résume à croiser les aimés
d’hier, qui n’ont, aujourd’hui, pas
plus de corps que des fantômes.
Vies prisonnières d’un désert
On est tenté de prendre le titre à rebours : La Grâce comme grande
absente, dans tous les sens que l’on
peut lui prêter. Physique : la grâce
perdue de Maria, dont le visage
tendu suggère une douceur
oubliée. Moral : la grâce comme
pardon, épreuve nécessaire au
couple, et volontairement ignorée
par Maria. Sens mystique, enfin : la
grâce comme faveur divine, plus
absente encore, tant on sent cette
famille enfermée au sens le plus
concret du terme. Proche de ses
personnages, ou englobant en
plans larges le paysage glacé,
Glasner joue de cette disproportion pour peindre le malaise de ces
vies prisonnières d’un désert.
C’est, pourtant, avec ce sens-là, le
plus improbable, que la grâce irrigue cette histoire, à partir de l’accident de voiture de Maria, et sa
fuite. Elle se confie à Niels, et il y a
dans cette confidence les germes
d’une confiance nouvelle, qui leur
donne la force d’assumer leur be-
France 2
20.55 Malaterra
Série créée par Stéphane Kaminka.
Avec Simon Abkarian,
Constance Dollé, Louise Monot
(Fr., S1, ép. 7 et 8/8).
22.45 Folie passagère
Divertissement animé
par Frédéric Lopez.
France 3
20.55 Des racines et des ailes
A travers les pays de Savoie
Magazine présenté
par Carole Gaessler.
22.50 Régionales 2015 :
le grand débat du second tour
Treize débats en diffusion
simultanée dans treize régions
de France.
Canal+
20.45 Football
Valence (Esp.) - Lyon
1re phase de la Ligue des champions
(6e journée, groupe H). En direct..
22.50 Slow West
Western de John Maclean.
Avec Michael Fassbender
(GB-NZ, 2014, 80 min).
France 5
20.40 La Maison France 5
Présenté par Stéphane Thebaut.
21.40 Silence, ça pousse !
Magazine présenté par
Stéphane Marie et Caroline Munoz.
Dans la nuit perpétuelle, un couple voit la lumière
ARTE
MERCREDI 9 – 20 H 55
FILM
TF1
20.55 Esprits criminels
Série créée par Jeff Davis.
Avec Joe Mantegna, Shemar Moore,
A.J. Cook, Matthew Gray
(EU, saison 10, ép. 20/23 ;
S9, ép.13 à 15/24).
soin de pardon. Niels combat son
infidélité, Maria son silence.
Les mots reviennent, et avec eux
les grâces physiques oubliées : la
lente transformation du couple,
dans l’interprétation superbe
qu’en donnent Birgit Minichmayr
et Jürgen Vogel, est bouleversante. Reste à gagner le pardon
des hommes, et cette étape est
peut-être la plus difficile. p
noémie luciani
La Grâce, de Matthias Glasner.
Avec Birgit Minichmayr et Jürgen
Vogel (All.-Norv., 2012, 125 min).
Arte
20.55 La Grâce
Drame de Matthias Glasner.
Avec Brigit Minichmayr, Jürgen
Vogel et Henry Stange
(Norv. - All., 2012, 125 min).
23.00 Jésus et l’islam
L’Exil du prophète. Mahomet
et la Bible. Série documentaire de
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur
[4 et 5/7] (Fr., 2015, ép. 4 et 5/7).
M6
20.55 Le Meilleur Pâtissier
Le Trophée de Noël
Jeu présenté par Faustine Bollaert.
Invité : Gilles Marchal.
23.15 Le Meilleur Pâtissier,
à vos fourneaux !
Magazine (125 min).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
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I
II
III
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V
VI
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VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 289
HORIZONTALEMENT I. Boniication. II. Isolateur. Ka. III. Stella. Lof. IV. Té.
Illettrés. V. Rossait. Sars. VI. Otai. Eut. CIA. VII. Tombe. Ver. En. VIII. Im.
Lupanar. IX. Eiders. Opéré. X. Renseigneras.
VERTICALEMENT 1. Bistrotier. 2. Ostéotomie. 3. Noé. Sam. Dn. 4. Illisi-
bles. 5. Falla. Eure. 6. Italie. Psi. 7. Ce. Etuva. 8. Ault. Tenon. 9. Trots.
Râpe. 10. Frac. RER. 11. OK. Erié. Râ. 12. Naissances.
I. Ouvrent de plus grands choix si
elles sont multiples. II. Sa queue est
moins longue que ses oreilles. Solidement bâtie. III. Réléchirait avant
d’agir. Dans le talc. IV. Belle enfant de
Gervaise. Grecque dans les calculs.
Emploi sur les planches. V. Toujours
discrètes dans leurs déplacements.
VI. Interpelle. Préposition. Eau mélangée. VII. Dessus-de-porte. Gonlé
en prenant la mer. VIII. Tout à fait
convenables. En mer Egée. IX. A libéré
les chaînes. Moldave de Roumanie.
Savait choisir ses robes avec soin.
X. Expulsions brutales et sonores.
VERTICALEMENT
1. Fonce debout sur les lots. 2. Grand
nettoyage extérieur. 3. Donna son
plein accord. Faisait tache sur nos cahiers. 4. Tout le monde parle de son
campanile. Sait beaucoup de choses.
5. Ouvre les comptes à la City. Impossible de lui échapper. 6. Lumineux et
pétaradant dans les airs. 7. Edentés et
paresseux. Pour tout accrocher.
8. Personnel. Lieu de grève. En prime.
9. Vénitienne avant de devenir slovène et croate. 10. Travaille à l’usine.
Fonctionnaire international. 11. Sans
le moindre intérêt. Assure un bon
contact. 12. Se font dans la rupture.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
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L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
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Monde »
métropolitaine
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Michelle Obama,
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CORRESPONDANTE
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nouvelle génération
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tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
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a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
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toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
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de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
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beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
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et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
les troupes
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planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
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Capital social : 94.610.348,70 ¤.
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blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
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Finances : http://inance.lemonde.fr ;
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Documentation : http ://archives.lemonde.fr
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
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Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°15-290
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
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tâches. L’historien d’autres
de Jabaliya,
les
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de l’éducation
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Lelièvre explique
lectionnent
les éclats d’obusIls colmissiles. Ils
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déterrent du
rupture s’est
sable des
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faite entre les
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qui s’enflamment fibre compacte
et Xavier Darcos.
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l’air
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textes inédits
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», enrage de Roland
Rehbi Hussein
de 35 %. L’Italie à hauteur devant
par
Barthes,
Heid.
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il tient une Entre ses mort en 1980,
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feuille de le
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cercle de ses
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noms des
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Le demi-frère disciples.
Chrysler, de
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son côté, aura tre aux Gazaouis
permet- reprises,
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Le cratère de de souffler.
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jours là. Des
bien morts.
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les foudres
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Algérie 80 DA,
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éditeur de Barthes,
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la polémique
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MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
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Ci-dessous, un ancien moulin majorquin qui accueille les « retraites détox » du Green Shelters. DR
VOYAGE
R
etraite détox », disait le
site. Pourtant, le programme du séjour majorquin organisé par
The Green Shelters, dans un cadre, certes, sublime, est aussi
chargé que celui d’un séminaire
d’entreprise.
Autour de la piscine, une Britannique de la City déjeune sur le
pouce – ou plutôt sirote un smoothie poire-épinards-avocat – entre
son cours de yoga et sa consultation avec la naturopathe. Avant
son massage en chambre, une
journaliste allemande apprend à
préparer un gratin de chou-fleur
avec du lait de noisette et de la farine de riz complet. Après ses trois
heures de randonnée sur l’île, une
trentenaire française, qui travaille
dans l’industrie du luxe, s’installe
dans un des rares endroits de la
maison où on capte le Wi-Fi.
Lancée en mars, la société The
Green Shelters organise tous les
deux mois dans un lieu différent
(à Essaouira, au Maroc, à Ibiza,
aux Baléares, dans les Alpes françaises…) des « pauses » cinq étoiles. Des séjours imaginés pour la
clientèle urbaine stressée et fatiguée, en quête d’un break – et de
quelques kilos en moins ? –, sans
trop perdre ses repères ni son niveau de confort habituel. Son
créateur, l’Espagnol Juan Arance,
a gardé de ses années passées
chez Louis Vuitton et Lanvin un
souci du détail et du service.
Rééduquer le voyageur
Dans chacune des sept chambres
joliment décorées de cet ancien
moulin, une literie de qualité, une
salle de bains luxueuse et des produits de beauté bio de la marque
grecque Korres. Une version haut
de gamme de la retraite… bien
loin des séjours en ashram avec
jeûne de la parole (voire jeûne
tout court) et hébergement dans
un dortoir sommaire.
« Ces formules, qui attirent aussi
bien des cadres supérieurs que des
accros au sport, proposent de s’occuper à la fois du corps et de l’esprit », note Issy von Simson, rédactrice en chef adjointe du magazine
britannique de voyage Condé Nast
Traveller. Et se développent en Europe. Une tendance en lien avec
l’engouement des citadins pour le
bien-être, les médecines parallèles, le yoga ou encore la détox. « De
plus en plus d’établissements se dotent d’équipements et de services
autour de la relaxation, mais il
existe peu de lieux qui proposent
une amélioration du bien-être à la
fois physique, mental et spirituel.
Cela demande du personnel très
qualifié et des années d’expérience », affirme Alejandro Bataller, vice-président de SHA Wellness Clinic en Espagne, dont les
programmes détox cinq étoiles
ont été lancés en 2009.
Fondé en avril par deux Britanniques, CALA Retreats propose
aussi des retraites bien-être dans
des lieux contemporains. « Une
expérience, plus qu’un séjour »,
dixit la cofondatrice et nutritionniste, Laurie Richards. Car il s’agit
aussi de « rééduquer » le voya-
esprit sain, corps sain,
goût de luxe
On connaissait les retraites silencieuses, tendance hippie.
Voici leur version 5 étoiles, qui mêle bien-être spirituel
et physique dans un somptueux décor
A D R E S S E S
The Green Shelters,
dans les Alpes françaises,
du 30 janvier
au 6 février 2016
Au programme, yoga, ateliers
de cuisine saine, randonnée,
consultation avec un naturopathe. A partir de 990 euros
pour trois nuits avec les transferts, l’hébergement en chambre double, la pension complète et toutes les activités.
Thegreenshelters.com
« Pendant longtemps, les retraites détox n’attiraient que les hippies, qui croyaient à cette tradition
naturelle et ancienne pour se sentir mieux. Tout comme d’ailleurs à
la nécessité d’être en contact avec
soi-même », rappelle Laurie Richards. Puis l’industrie du tourisme s’est emparée de cette
mode du bien-être « global ».
Au Panama,
avec Voyageurs
du monde.
VINCENT LEROUX
Où poser ses valises en 2016 ?
C’est devenu une tradition pour tous les guides et sites de voyages : publier avant Noël un palmarès de destinations tendance.
Pour 2016, le dernier en date, celui de TripAdvisor, révélé mardi
8 décembre, met l’Amérique latine à l’honneur. Et classe pas
moins de quatre destinations dans le fameux Travellers’ Choice,
top 10 des destinations tendance dans le monde. Est ainsi classée première Tulum (Mexique), seule cité maya construite en
bord de mer qui permet de conjuguer balnéaire et culture. Carthagène des Indes (Colombie) arrive en deuxième position. Finie la mauvaise réputation – FARC, drogue –, bienvenue au Hay
Festival (arts et cultures), qui se tiendra du 28 au 31 janvier 2016. Viennent ensuite, à la 9e et 10e place, Lima et Foz do
Iguaçu (Brésil), avec ses chutes, trois fois plus grandes que celles du Niagara, et son parc naturel.
Les autres destinations retenues sont Porto, en 3e position, Gatlinburg (Etats-Unis), Moscou, Brighton (Royaume-Uni), New
Delhi et Banff (Canada). Pas de cocorico : aucune destination
hexagonale ne figure au palmarès.
geur, censé adopter de nouvelles
habitudes – alimentaires et psychologiques – une fois rentré
chez lui. Grâce, notamment, à la
détox, un mot qui semble
aujourd’hui galvaudé, mais qui
renvoie à un protocole précis :
« Diminuer les toxiques comme
les métaux lourds, la pollution, le
stress, mais aussi stimuler le processus d’élimination », selon la
naturopathe Gwenaëlle Fradj,
qui travaille avec The Green Shelters. En pratique : on se met au
vert et on arrête le gluten, les produits laitiers, les protéines animales, les excitants. Les plus courageux osent le régime 100 %
smoothie. Frugal, certes. Mais
plus goûteux qu’il n’y paraît.
« Logique de performance »
Certains voyagistes généralistes
l’ont même intégrée dans leur catalogue, à l’image de Voyageurs du
monde, qui lui consacre une brochure. « Elle comprend une trentaine de propositions de cours de
yoga, de cures détox, de lieux
autour du bien-être. Ces séjours ciblent une clientèle assez aisée, qui
dispose de peu de temps. Elle veut
voyager, mais surtout en profiter
pour se faire du bien sans renoncer
à un certain confort. Il y a une véritable demande », constate Nathalie
Belloir, responsable de ces « voyages intérieurs ». Même clientèle
pour Juan Arance : « Des CSP ++, qui
travaillent beaucoup. »
Elsa Godart, psychanalyste et
philosophe, porte un regard critique sur ces séjours haut de
gamme. « Le principe que soustend la détox, c’est enlever le superflu pour revenir à l’essentiel. Soit
passer de la société de l’hyperconsommation à l’ascétisme, en vue
d’arriver à une prise de conscience.
Avec leur programme chargé, ces
nouvelles retraites, à la mise en
scène travaillée, ont aussi une logique de performance, qu’elles sont
censées dénoncer. » Interrogé sur
ce sujet, Juan Arance nuance :
« Certes, l’hébergement est confortable, et il y a du service, mais, pour
beaucoup de nos clients, partir
seul, comme c’est majoritairement
le cas, et changer ses habitudes,
c’est déjà une perte de repères qui
peut être bouleversante. »
Selon une étude récente réalisée par le CSA pour Club Med,
72 % des catégories socioprofessionnelles dites « supérieures »
ressentent le besoin de lâcher
prise plusieurs fois par mois.
Sans aller jusqu’à s’isoler dans un
ashram. p
vicky chahine
Périple yoga
en Afrique du Sud
Avec le professeur réputé
Mika de Brito. Les salutations
au soleil se font dans le jardin
de Gandhi ou dans la savane…
A partir de 5 500 euros avec le
vol aller-retour, la pension
complète, les activités, un
guide francophone et les
cours de yoga.
Vdm.com
Programme détox
au SHA Wellness Clinic,
en Espagne
Le package « Détox » est très
complet, avec soins de médecine chinoise, consultation
avec un spécialiste des thérapies naturelles… et hydrothérapie du côlon. Le tout dans
un cadre ultra luxueux. Au
prix de 2 980 euros la cure de
sept jours avec l’hébergement, la pension complète,
les consultations et les soins.
Shawellnessclinic.com
CALA Retreats au
Pianore, en Italie,
du 15 au 21 mai 2016
On alterne marches et coaching de vie, et on boit pendant quarante-huit heures des
smoothies de fruits et légumes… et seulement des smoothies. A partir de 1 035 euros
avec le transfert, six nuits en
chambre double, la pension
complète et les activités.
Calaretreats.com
Yeotown dans le Devon,
en Angleterre, chaque
semaine, du mercredi
au dimanche
Une retraite dans une ferme
rustique et chic, à quelques
kilomètres de l’océan. Entre
les cours de yoga, on apprend à cuisiner avec des
produits locaux… Et on éteint
son téléphone portable.
Environ 2 600 euros la cure
de cinq jours comprenant le
transfert, l’hébergement, la
pension complète, les activités et les massages.
Yeotown.com
26 | disparitions & carnet
Eliane
Vogel-Polsky
Juriste et militante
féministe
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Le Taillan-Médoc.
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Les familles Akli-Paumier
et alliées,
souhaitent faire part du décès de
Joseph AKLI,
survenu le 4 décembre 2015,
dans sa quatre-vingt-dizième année.
Dans les années 1970.
Il fut éclaireur Unioniste à Alger,
fonctionnaire au gouvernement général,
puis au ministère de l’Intérieur, où il fut
aussi délégué syndical F.O.
IEFH
E
lle était passionnée par
tellement de choses et
elle a fait progresser tellement de combats que l’on
ne sait comment qualifier Eliane
Vogel-Polsky, morte le 13 novembre, à l’âge de 90 ans. Elle avait
mené une longue carrière de juriste, et s’était engagée pour la
cause féminine et l’Europe.
Filles d’immigrants russes, issue
d’un milieu modeste où régnait
une grande tolérance, cette
femme talentueuse va commencer par vivre à Gand, cité flamande
où, comme les enfants de la bourgeoisie locale, elle fait des études
primaires en français. A Bruxelles,
elle est ensuite inscrite au lycée
Emile-Jacqmain, où une directrice
entend former des femmes émancipées, « destinées à jouer un rôle effectif dans la société de demain ».
La jeune Eliane va bien vite expérimenter de dures réalités. Elle
croit être protégée par un pays qui
a octroyé la naturalisation à son
père pour services rendus durant
la guerre – il a servi dans les premières unités blindées. Mais la Belgique adopte ses premières ordonnances antijuives en 1941, et la
jeune fille est exclue de son établissement. Elle va être cachée, sous
une fausse identité, dans une école
de sœurs, à Liège.
A la sortie de la guerre, sa conviction est forgée : elle veut devenir
avocate. Elle décroche son doctorat
en droit et intègre le barreau de
Bruxelles où elle brave le machisme pour imposer son talent,
son admiration pour Simone de
Beauvoir et ses sympathies politiques. Le tout lui valant le sobriquet
de « petite sartreuse ».
Mariée à un avocat, avec lequel
elle aura trois fils, Eliane VogelPolsky découvre avec passion
d’autres disciplines et cumule les
diplômes à l’Université libre de
Bruxelles, où elle sera ensuite une
enseignante et une chercheuse
très respectée. Licence en droit et
sociologie du travail en 1958, licence en droit social en 1963, licence en études européennes
en 1965. Infatigable, elle deviendra
aussi une experte internationale
dans ces domaines et enseignera
en Europe, à Montréal et à Berkeley, aux Etats-Unis.
Après sa retraite, elle continuera
de parcourir le monde pour d’innombrables colloques et animera,
entre autres, le réseau Femmes
dans la prise de décision, créé par
la Commission européenne. L’occasion, pour elle et ses collègues,
dont Françoise Gaspard, (maire PS
de Dreux de 1977 à 1983), d’agréger
le combat pour le droit des femmes et la lutte pour l’Europe so-
5 JUILLET 1926 Naissance
à Gand (Belgique)
1950 Avocate au barreau
de Bruxelles
1966 Soutien à la grève des
ouvrières de la FN, à Herstal
1968 Professeure de droit à
l’Université libre de Bruxelles
13 NOVEMBRE 2015 Mort
à Bruxelles
ciale afin de faire progresser l’idée
d’une démocratie paritaire.
Un tel niveau d’ambition devait
engendrer quelques déceptions
chez Eliane Vogel-Polsky, qui déplorait les lenteurs de la prise de
décision et le trop faible niveau
d’ambition des responsables politiques. Assez sceptique sur ces derniers, elle allait toutefois s’engager
pour la campagne des élections
européennes de 1994, aux côtés
d’autres militantes féministes belges, la philosophe et scientifique
Isabelle Stengers et la virologue
Lise Thiry. Cette année-là, la proportion de femmes au sein de l’assemblée de Strasbourg allait progresser, pour atteindre 25 %.
Le combat des femmes d’Herstal
Une satisfaction relative pour une
femme qui s’était auparavant engagée dans d’autres combats. Présente à Paris en mai 1968, elle va
se passionner pour la révolte étudiante, qu’elle compare à la « mollesse » de sa propre université.
Deux ans plus tôt, elle s’est engagée aux côtés des « femmes-machines » de la Fabrique nationale
d’armes de Herstal, près de Liège.
Moins payée que les balayeurs
masculins de leur usine, ces 2 000
ouvrières de production, soumises à un véritable bagne, vont,
contre la direction et leurs maris,
mener douze semaines de lutte
pour un salaire égal à celui de
leurs collègues masculins. Elles
n’obtiendront que la moitié de ce
qu’elles réclamaient, mais leur
combat héroïque, dont l’écho a
largement dépassé les frontières
de la Wallonie, va pousser les six
Etats membres de la Communauté européenne de l’époque à
prôner l’harmonisation salariale
hommes-femmes. Un combat qui
n’est pas encore gagné…
Eliane Vogel-Polsky restera aussi
célèbre pour avoir défendu la
cause d’une jeune chômeuse de
19 ans et celle d’une employée de
la compagnie aérienne Sabena, licenciée à 40 ans. Toutes deux réclamaient l’égalité des droits. Elle
voulait ainsi prouver que leur
souhait n’était pas une utopie. p
jean-pierre stroobants
Un culte se déroulera en la chapelle
de la Fondation Lambrechts, 44, rue
de Fontenay, à Châtillon (Hauts-de-Seine),
à 15 heures, le jeudi 10 décembre.
Le dépôt de l’urne se fera à Toulon,
dans le caveau familial, in décembre.
« Le Seigneur est le soutien de ma vie,
devant qui tremblerais-je ? »
Psaume 27.
Mme Marie-José Anquez, née Gère,
son épouse,
Marie, Matthieu et Jérémie,
ses enfants,
Simine, Priam, Gabriel et Siloé,
ses petits-enfants,
Julie, Tanguy et Karim,
ses beaux-enfants,
Ses frères et belles-sœurs
Et toute sa famille,
en union avec
Ses parents (†)
et sa sœur, Blandine (†),
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Louis ANQUEZ,
ingénieur expert en aéronautique,
survenu le 3 décembre 2015,
dans sa soixante et onzième année.
Une bénédiction aura lieu le jeudi
10 décembre, à 14 h 30, en l’église NotreDame de Lorette, Paris 9e.
La famille remercie la formidable
équipe de l’Institut Mutualiste
Montsouris.
23, rue Lamartine,
75009 Paris.
Le président
de l’Ecole pratique des Hautes Etudes,
Le doyen de la section
des Sciences historiques et philologiques,
Les directeurs d’études
et maîtres de conférences,
Les étudiants et les auditeurs,
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu le 1er décembre 2015,
à l’âge de quatre-vingt-six ans, de
Paul BERNARD,
membre de l’Institut,
ancien titulaire de la direction d’études
« Archéologie grecque ».
Ils s’associent à la douleur de la
famille.
La Schaubühne
pleure la perte de
Luc BONDY,
décédé à l’âge de soixante-sept ans.
Luc Bondy a profondément marqué
la Schaubühne par son travail en tant
que metteur en scène pendant plusieurs
années et de 1986 à 1988 en tant que
membre de la direction artistique.
Michel Caire-Maurisier,
son époux,
Xavier et François,
ses ils,
Anne-Marie,
sa belle-ille,
Mathilde, Jean et Sophie,
ses petits-enfants
Ainsi que la famille Palvadeau,
ont la tristesse de faire part du décès de
Martine CAIRE-MAURISIER,
née SOLIGNAC,
des suites d’une longue maladie,
le 5 décembre 2015,
dans sa soixante-treizième année.
La messe sera célébrée dans l’intimité
de la famille et de ses amis, le jeudi
10 décembre, à 14 h 30, en l’église
Saint-Hilaire du Taillan-Médoc, suivie
de l’inhumation au cimetière de la
commune.
141, avenue Chasse-Spleen,
33320 Le Taillan-Médoc.
Louise Coudane,
son épouse,
Henry et Catherine Coudane,
Jean Coudane,
Annie et Lionel Roussel,
ses enfants,
Vincent et Karine, Caroline
et Bastien, Elise,
Sylvain et Céline, Fanny et Brieuc,
Grégory et Elise, Guimy et Fanny,
ses petits-enfants,
Maxime, Alexandre et Rafael, Lili
et Maylis,
Anita,
Maël et Aoden, Jorry et Lenny,
ses arrière-petits-enfants,
Yvette Grandet-Coudane,
sa sœur,
Sa famille
Et ses amis,
ont la douleur de faire part du décès,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans, de
M. Hubert COUDANNE,
« Papilou »,
professeur émérite des Universités,
ancien président
de l’université Paris Sud - Orsay,
chevalier de la Légion d’honneur,
oficier
dans l’ordre des Palmes académiques,
chevalier
dans l’ordre du Mérite Tunisien,
combattant volontaire de la Résistance.
La cérémonie de crémation aura lieu
le mercredi 9 décembre, à 16 heures,
au cimetière de l’Orme à Moineaux,
Les Ulis (Essonne).
Ni plaques ni couronnes, une fleur
sufit.
112, avenue de la Dimancherie,
91440 Bures-sur-Yvette.
Rennes.
Ses frères et sœurs
Ainsi que toute la famille,
ont la douleur de faire part du décès de
M. Jacques ENGLISH,
ancien élève
de l’École normale supérieure,
survenu à Rennes, le 4 décembre 2015,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 9 décembre, à 14 h 30,
en l’église Sainte-Bernadette d’Angers.
Jean-Marie et Sylvie Grisard,
Claire et Pascal Bois,
ses enfants,
Céline et Pierre Boccon-Liaudet,
Ariane et Pierre-André Galy,
Marjolaine Grisard et Grégoire Lair,
Rémi et Charlotte Grisard,
Marc-Antoine et Caroline Bois,
Bérengère et Benjamin Samier,
ses petits-enfants,
Violette, Matthieu, Geoffroy, Louise,
Lucile, Timothée, Noé, Hector, Guérin,
Paul, Raphaël, Emmanuel, Florian,
Grégoire, Maylis,
ses arrière-petits-enfants,
Les familles Undreiner, Lépine,
Arnaud,
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu, le 5 décembre 2015, de
Son œuvre se distinguait par sa
conscience de la fragilité des êtres et son
amour pour l’Humanité.
Madeleine GRISARD,
Schaubühne am Lehniner Platz.
(Le Monde du 1er décembre.)
Claudine Bulle Lescofit,
son épouse,
Claire Lescofit et Marc Scherer,
sa ille et son gendre,
Bertille et Guillaume de La Broïse,
Elvire et Grzegorz Szlapczynski,
Bertrand et Malala Guillaud,
François-Ismaël Faye,
Zoé Danis,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Philippine, Jacques, Xénia, Pétronille
et Henri,
Marguerite, Nina et Gauthier,
ses arrière-petits-enfants
Les obsèques ont eu lieu aux Fourgs,
le 2 décembre.
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Jean-Louis GUILLAUD,
oficier de la Légion d’honneur,
survenu le 3 décembre 2015,
dans sa quatre-vingt-septième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 10 décembre, à 10 heures, en
l’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement,
66 bis, rue de Turenne, Paris 3e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Saint-Etienne.
Odile Jacquinod,
son épouse,
Catherine, Olivier et Florence,
ses enfants
et leurs conjoints,
Alexandre et Arthur,
ses petits-enfants,
Ses parents,
Ses amis,
ont la douleur de faire part du décès de
Bernard JACQUINOD,
survenu à Saint-Etienne,
le 4 décembre 2015,
à l’âge de soixante-quatorze ans.
Condoléances sur registre
et sur www.plievre.com
M Françoise Keravel,
son épouse,
M. et Mme Olivier Keravel,
M. Thomas Keravel,
ses enfants,
Valentin, Maÿlis, Barthélemy,
ses petits-enfants
Et toute la famille,
me
Nous le remercions pour ses mises
en scène inoubliables.
Nous nous souviendrons de Luc Bondy
comme d’un très grand artiste.
L’amiral et Mme Edouard Guillaud,
Mme Florence Guillaud,
Le docteur Constance Guillaud,
ses enfants,
née CANTAREL.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 9 décembre, à 14 h 30,
en l’église Saint-Léon, place du CardinalAmette, Paris 15e.
ont la douleur de faire part du décès du
professeur Yves KERAVEL,
professeur des Universités,
neurochirurgien des Hôpitaux de Paris,
président honoraire
de la Fédération mondiale
de neurochirurgie (WFNS),
survenu le 3 décembre 2015,
à l’âge de soixante-et-onze ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 10 décembre, à 14 h 30, en l’église
Notre-Dame-du-Rosaire, place des
Marronniers, à Saint-Maur-des-Fossés
(Val-de-Marne), où l’on se réunira.
Un registre à signatures tiendra lieu
de condoléances.
L’inhumation aura lieu dans l’intimité
familiale, au cimetière de La Trinité-surMer (Morbihan).
14, avenue de Curti,
94100 Saint-Maur-des-Fossés.
Corinne et Véronique,
ses illes,
Jacky et Simon,
ses gendres,
Thomas, Élodie, Delphine, Laure,
Jérôme et Éloïse,
ses petits-enfants,
Margot, Romane, Ariel, David, Elsa,
Valentin, Talia et Naomi,
ses arrière-petits-enfants,
Sa famille,
Ses amis,
ont la grande tristesse d’annoncer le décès
de
Fanny KURCBARD,
née KALISKI,
survenu le 30 novembre 2015, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
L’inhumation a eu lieu le mercredi
2 décembre, au cimetière parisien
de Bagneux.
François LESCOFFIT,
survenu le 29 novembre 2015,
à Besançon (Doubs),
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
12 ter, Haute-Joux,
25300 Les Fourgs.
Christine,
son épouse,
Hélène et Béatrice,
ses illes,
leurs conjoints,
Lilou, Margot, Léna, Milo, Camille,
ses petits-enfants,
Françoise Dorveaux,
sa sœur,
Sa famille
Et ses amis,
ont la douleur de faire part du décès de
André MONJARDET,
survenu le 1er décembre 2015.
L’inhumation a eu lieu à Châteauvieux
(Hautes-Alpes).
Un moment d’échange et de partage
en sa mémoire se tiendra au Couvent
Saint-Jacques, 45, rue de la Glacière,
Paris 13e, le 11 décembre, à 13 h 30.
Sa femme,
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
M. Michel PUGET,
croix de la Valeur militaire,
ancien agent de change
près la Bourse de Paris,
survenu le 6 décembre 2015,
à son domicile.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 10 décembre, à 10 h 30, en l’église
Saint-Thomas-d’Aquin, 3, place SaintThomas d’Aquin, Paris 7e.
Mme Michel Puget,
3, rue Martignac,
75007 Paris.
Daniel et Claudine Thévenot,
Laurent et Joëlle Thévenot-Afichard,
ses enfants,
Magali, Étienne et Anne-Marie,
Camille, Constance,
ses petits-enfants,
Alexis,
son arrière-petit-ils,
Claudine Hourcadette,
Aurélien Collet,
ont la douleur de faire part du décès de
Mme Claudine THÉVENOT,
née ROLLEY,
survenu le 3 décembre 2015, à Paris,
dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.
L’inhumation a eu lieu dans l’intimité
familiale le 4 décembre, au cimetière
de Levallois-Perret.
32, rue Dareau,
75014 Paris.
10, rue Oudinot,
75007 Paris.
Service religieux
Un culte d’action de grâce sera célébré
à la mémoire de
Jean SAINT-GEOURS
le lundi 14 décembre 2015, à 18 heures,
en l’Eglise protestante unie du SaintEsprit, 5, rue Roquépine, Paris 8e.
Hommage
Emmanuel Hoog,
président-directeur général
de l’AFP,
Les membres
du conseil d’administration
Et l’ensemble des personnels
de l’Agence,
saluent la mémoire de
Jean-Louis GUILLAUD,
qui fut président-directeur général
de l’Agence France-Presse de 1987
à 1990.
Ils expriment leurs plus sincères
condoléances à sa famille et à ses proches.
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0123 | 27
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
FRANCE | CHRONIQUE
par gé r ar d co urtois
Les inconnues
du second tour
L’affaire des états-majors
Le rassemblement de la gauche
constitue une deuxième inconnue. Socialistes, écologistes et
Front de gauche se sont partout
présentés en ordre dispersé au
premier tour et ils ne peuvent espérer conserver des régions qu’en
réunissant toutes leurs forces au
SI LA PERFORMANCE
SANS PRÉCÉDENT DU
FN LE 6 DÉCEMBRE
A PROVOQUÉ
UN CHOC, IL ÉTAIT
PARFAITEMENT
PRÉVISIBLE
LE RÉSULTAT FINAL
DU SCRUTIN
RÉGIONAL EST
LOIN D’ÊTRE ÉCRIT
DANS LE DÉTAIL
second. C’est d’abord l’affaire des
états-majors qui ont jusqu’au
8 décembre à 18 heures pour se
mettre d’accord sur de nouvelles
listes intégrant des représentants
des partis minoritaires qui ont
obtenu plus de 5 % des suffrages
et peuvent donc fusionner avec
les socialistes majoritaires.
Mais cela ne préjuge pas du
comportement final des électeurs. Si la gauche « plurielle » a
gouverné, ensemble, les régions
depuis six ans, elle s’est sévèrement écharpée au plan national
sur la politique du gouvernement. Il serait étonnant que ces
contentieux ne laissent pas de
traces. Sur le papier, l’addition des
scores de toutes ses composantes
au premier tour peut la faire rêver : la gauche serait en mesure de
conserver cinq, six, voire sept régions, à commencer par l’Ile-deFrance. Sauf spectaculaire alignement des astres en sa faveur, il est
plus qu’improbable qu’il en soit
ainsi dans les urnes.
Troisième inconnue, symétrique : la capacité de la droite à faire
le plein des voix nécessaires pour
l’emporter. C’est évidemment le
cas dans les régions où les socialistes se sont retirés pour faire
barrage au Front national. Or on
peut sérieusement douter que les
électeurs de gauche, accablés par
leur défaite, votent comme un
seul homme, le 13 décembre, pour
des Républicains qui étaient, hier,
d’implacables adversaires politiques, qu’il s’agisse de Xavier Bertrand dans le Nord-Pas-de-CalaisPicardie ou de Christian Estrosi
en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
En outre, dans plusieurs régions
où la concurrence est très vive, les
voix de Debout la France vont peser lourd. Si le mouvement souverainiste de Nicolas DupontAignan a écarté tout désistement,
le report des voix qu’il a recueillies en Ile-de-France (6,5 %),
en Bourgogne (5,2 %), dans le Centre-Val de Loire (4,6 %) ou en Normandie (4,1 %) peut aisément décider du sort de ces régions.
Reste, enfin, l’incertitude sur le
comportement des électeurs du
Front national. Dans les régions
où l’extrême droite a réalisé ses
meilleurs scores et est en position
de l’emporter, il est vraisemblable
que ses électeurs, dopés par le
premier tour, voudront parachever leur victoire et accentueront
leur mobilisation ; c’est évidemment le cas dans le Nord, en Provence, voire en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. Que feront-ils, en revanche, dans les régions où ils sont distancés, mais
en position d’arbitrer entre droite
et gauche ? A cet égard, la gauche a
gardé le souvenir cruel des dernières municipales à Reims : sur
le papier, l’équipe socialiste sortante était en mesure de l’emporter avec le renfort des électeurs du
Front de gauche ; en réalité, c’est
la droite qui a gagné, grâce notamment au ralliement de quelque 2 000 électeurs frontistes du
premier tour.
On le voit, ces incertitudes rendent bien hasardeux les plans sur
la comète tracés, depuis dimanche soir, par les uns et les autres
pour tenter de se rassurer ou de
s’encourager. Réponse le 13 décembre. p
[email protected]
Tirage du Monde daté mardi 8 décembre : 313 282 exemplaires
S
eize ans d’un régime ultranationaliste, sacralisant la souveraineté nationale, célébrant le protectionnisme
économique, pratiquant un antiaméricanisme culturel obsidional, ayant tout promis à coups de recettes magiques et se reconnaissant volontiers dans l’autocratie
politique à la Vladimir Poutine, sont donc
venus à bout d’un des pays les plus riches
du continent. Et puis, l’opposition s’est enfin réunie autour de quelques valeurs communes, de bon sens. Elle vient de remporter les élections, sans promettre le paradis.
Entre-temps, le populisme le plus débridé a
fait des ravages. Il a fallu seize ans pour dissiper l’illusion…
On est sur le continent latino-américain.
Le pays en question s’appelle le Venezuela.
Il a trente millions d’habitants et sans
doute certaines des plus grandes réserves
de pétrole au monde. Le régime, c’est le
« chavisme ». Il a puisé dans une tradition
latino-américaine populiste, qui n’a pas
connu que des échecs, loin de là. Mais la
version mise en œuvre à Caracas par le lieutenant-colonel Hugo Chavez, élu pour la
première fois en 1999 et mort en 2013, se
solde par un désastre, pour la démocratie et
pour l’économie du pays.
Le « chaviste » qui a succédé à Chavez, le
président Nicolas Maduro, a essuyé, dimanche 6 décembre, aux élections législatives,
une défaite dont son mouvement, le Parti
socialiste unifié du Venezuela (PSUV), ne se
relèvera pas. Une large coalition d’opposition, la Table de l’unité démocratique
(MUD), a empoché au moins 110 sièges – sur
les 167 de l’Assemblée nationale –, laissant le
camp « chaviste » loin derrière, avec 55 élus.
Il n’est pas impossible qu’un décompte final donne à la MUD une super-majorité lui
permettant de neutraliser le président.
M. Maduro a eu beau user de la rengaine
du socialisme assiégé par « l’étranger » – il
est vrai que les Etats-Unis se sont efforcés,
du moins au début, de torpiller l’expérience Chavez –, rien n’y a fait. Conjugué à
la baisse des cours du pétrole, l’étatisme
économico-protectionniste du parti « chaviste » a fait du Venezuela un Etat totalement failli : inflation à 200 %, pénurie de
tous les biens de consommation, récession
profonde (sans doute une baisse de plus de
10 % du produit intérieur brut cette année),
finances publiques en déroute.
Ce sombre tableau s’affiche sur fond de
corruption généralisée au sommet de l’Etat
– il y a des « chavistes » qui se portent bien –
d’explosion de la criminalité – en dépit
d’un discours ultrasécuritaire, bien sûr – et
de régression constante de la démocratie.
Une bonne partie de l’électorat du PSUV,
d’autant plus déçue qu’on lui avait juré de
raser gratis, a voté pour l’opposition.
Les semaines à venir seront décisives. Le
régime est de type présidentiel. Rien n’indique, a priori, que le PSUV et la MUD puissent s’engager dans une cohabitation « négociée », tant la détestation est forte entre
les deux parties. M. Maduro, dont le mandat prend fin en 2019, ne veut rien céder, il
a mis une partie de l’appareil de l’Etat sous
sa coupe, notamment le ministère de la justice. L’opposition peut s’efforcer de pousser
le président à la démission, ouvrir une procédure de destitution ou provoquer un référendum constitutionnel.
M. Maduro peut espérer que les divisions,
réelles, au sein de la MUD se réveilleront et
lui donneront quelque répit. Mais le « chavisme », lui, a sans doute vécu. Parce que les
recettes trop simplistes, au Venezuela
comme ailleurs, débouchent toujours sur
des débâcles. p
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L
es lignes de force d’une
élection se dessinent de
longs mois à l’avance et
se cristallisent dans les
semaines qui précèdent le vote.
Celles du premier tour du scrutin
régional, le 6 décembre, ne pouvaient donc guère faire de doute.
Le discrédit de la gauche au pouvoir, et des socialistes en particulier, est avéré. Depuis trois ans,
tous les rendez-vous électoraux –
bérézina aux municipales en
mars 2014, claque aux européennes en mai 2014, sévère reflux aux
départementales de mars – ont
déjà démontré l’effondrement de
l’électorat de gauche, désabusé,
divisé et déboussolé.
L’incapacité de la droite à incarner une alternative solide n’a pas
été moins évidente. Le retour au
premier plan de Nicolas Sarkozy,
il y a un an, n’a pas provoqué le
sursaut qu’il escomptait, ni mis
un terme à la guerre des chefs
dans son camp, ni permis, jusqu’à
présent, de proposer un projet
convaincant aux Français. Dans
ces conditions, il est surprenant
que la droite ait pu s’illusionner
sur sa capacité à conquérir le plus
grand nombre de régions et à endiguer sérieusement la poussée
du Front national : les scrutins de
ces deux dernières années n’ont
cessé, en effet, de confirmer l’enracinement du parti d’extrême
droite dans les profondeurs du
pays. Si sa performance sans précédent du 6 décembre a provoqué
un choc, il était parfaitement prévisible.
Au-delà de cette tectonique des
plaques politiques, le résultat final du scrutin régional est pourtant loin d’être écrit dans le détail.
Le second tour, dimanche 13 décembre, apparaît en effet comme
une équation à plusieurs inconnues. La première est celle de la
participation. Le 6 décembre, elle
a été de 50 % au plan national et
plus forte dans les deux régions
les plus convoitées par le Front
national, en particulier dans le
Nord (54,8 %) et, à un moindre degré, en Provence (51,4 %).
En général, du fait de la simplification de l’offre politique et de la
dramatisation de l’enjeu, la mobilisation des électeurs est plus
forte au second tour. Aux régionales de 2010, par exemple, la participation avait progressé de près
de quatre points d’un tour à
l’autre, principalement au bénéfice de la droite : après un premier
tour calamiteux, ses électeurs
s’étaient remobilisés pour empêcher la gauche de triompher dans
la totalité des régions et cela leur
avait permis de « sauver » l’Alsace.
Qu’en sera-t-il le 13 décembre ?
Dans les régions où le match entre droite, gauche et extrême
droite est le plus serré, un ultime
coup de rein de leurs électeurs
respectifs peut être décisif pour
l’emporter.
VENEZUELA :
LA DÉBÂCLE
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D A N S L’ Œ I L D U F L  N E U R
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PSYCHOTHÉRAPIE
PHYSIQUE
PORTRAIT
LES BIENFAITS DE L’EMDR SUR
LE STRESS POST-TRAUMATIQUE
LES CHERCHEURS FRANÇAIS
EN PÉNURIE DE NEUTRONS ?
PIER VINCENZO PIAZZA DÉMONTE
LES MÉCANISMES DE L’ADDICTION
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Consentement éclairé contre big data
Chacun doit consentir librement à un acte médical en ayant été informé de ses conséquences possibles. Alors que la course aux « données de santé »
malmène ce principe cardinal, la question de sa réforme est posée avec acuité par la révolution des biobanques.
PAGES 4-5
FREAK CITY
Domestication et queue en tire-bouchon
L
carte blanche
Nicolas Gompel,
Benjamin
Prud’homme
Généticiens,
LMU de Munich, Institut
de biologie du développement
de Marseille-Luminy (CNRS)
a domestication d’animaux sauvages, entreprise par l’homme il y a dix mille ans, a constitué un tournant majeur dans notre histoire
évolutive. La transformation des espèces a
porté sur la sélection, au cours des générations, d’individus porteurs de caractéristiques avantageuses pour
l’homme. La première étape a probablement consisté
à sélectionner des individus qui ne craignaient pas la
présence des hommes. Puis d’autres caractères ont
suivi, modifiant la reproduction, la taille et autres, selon que les espèces étaient destinées à l’agriculture, au
transport ou à la compagnie. Mais qui donc eut l’idée
saugrenue de sélectionner la queue en tire-bouchon
des cochons, bien différente de celle des sangliers ?
Dans les années 1950, le biologiste russe Dmitri
Beliaïev entreprit une expérience visant à identifier les
bases génétiques de la domestication. Il s’intéressa aux
renards argentés, élevés pour leur fourrure, mais bien
sauvages, auxquels il imposa un unique critère de
sélection. A chaque génération, seuls les individus les
moins craintifs vis-à-vis de l’homme furent croisés
pour produire la génération suivante. En seulement
Cahier du « Monde » No 22051 daté Mercredi 9 décembre 2015 - Ne peut être vendu séparément
quelques générations, la proportion de renards apprivoisés atteignit des sommets. La sélection avait fonctionné à tel point que les renards recherchaient la présence des éleveurs, les accueillant par des jappements
et battements de queue dignes de chiens envers leurs
maîtres. Aujourd’hui, il ne manque à ces renards que
l’obéissance à des ordres simples pour être parfaitement domestiqués. Mais l’expérience, qui court toujours, livra un résultat inattendu. Dans un élan de zèle
évolutif, ces renards acquirent d’autres caractères qui
n’avaient pas été sélectionnés : une tache blanche entre
les yeux, les oreilles tombantes et la queue recourbée.
Autant de particularités, qui, comme la queue en tirebouchon des cochons, distinguent souvent les espèces
domestiquées de leurs ancêtres sauvages.
La sélection d’un comportement
La domestication, et son cortège de modifications
physiologiques et anatomiques, résulterait donc essentiellement de la sélection d’un comportement. Or
tous ces caractères sont déterminés par des gènes, sur
lesquels opère la sélection. Si les effets collatéraux, les
caractères non sélectionnés, sont bien connus des
éleveurs, qui depuis dix mille ans font de la génétique
sans le savoir, l’identification des gènes impliqués
donne encore du fil à retordre aux généticiens.
L’étude des gènes qui orchestrent le développement
embryonnaire a révélé que nombre d’entre eux ont
des fonctions multiples. Ainsi, un gène peut participer à la formation du cerveau, des doigts, et à l’apparition de pigmentation sur diverses parties du corps.
Si, dans le cas des renards de Beliaïev, comme dans
la plupart des cas de domestication, on ne sait pas
encore quels gènes ont été sélectionnés, il est très
vraisemblable qu’il s’agit de gènes multifonctions.
Des gènes sélectionnés pour leurs effets sur le
comportement (indiquant leur rôle dans le développement du cerveau) mais qui affectent aussi d’autres
caractères, comme la forme de la queue.
Pour autant qu’il faille le rappeler, la domestication
témoigne de manière éclatante qu’il n’existe pas de
gènes dédiés spécifiquement à des comportements
complexes, tels que des gènes de l’intelligence, du
crime ou de l’orientation sexuelle. p
2|
0123
Mercredi 9 décembre 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
L’EMDR soigne les blessures psychiques
| Après les attentats, cette méthode née aux Etats-Unis dans les années 1980, qui permet de désamorcer
les souvenirs traumatiques, est mobilisée au service de la résilience des victimes et des témoins
psychothérapie
sandrine cabut
L
a première fois que j’ai repris le métro,
j’ai regardé partout autour de moi sur
le quai : les gens, leurs paquets… Dans
la rame, j’ai compté les stations. Ça a
été très long, je me sentais mal. Je suis
rentrée directement dans mon appartement, et me suis réfugiée sous la couette. Puis j’ai
appelé mon copain pour qu’il me rejoigne le soir.
Je ne me sentais pas en sécurité chez moi », raconte Justine (son prénom a été changé). Tout en
écoutant attentivement le récit de cette jeune
femme de 26 ans, la psychologue Laurence Peltier lui tapote les genoux, alternativement à
droite et à gauche. C’est du « tapping », une technique de stimulation bilatérale alternée utilisée
dans l’EMDR (Eye Movement Desensitization
and Reprocessing, « désensibilisation et reprogrammation par mouvement des yeux »), un
modèle de psychothérapie qui aide le cerveau à
traiter des événements traumatisants.
« Comment vous sentez-vous maintenant ? », interroge-t-elle. « Toujours stressée, mais moins »,
répond la jeune femme. « L’objectif est que vous
puissiez faire ce trajet en toute sérénité, poursuit
Laurence Peltier. Maintenant que l’émotion a
diminué, repassez la scène dans votre tête, en
même temps que je fais le tapping. Centrez-vous
sur votre corps et vos émotions. Si vous sentez que
c’est trop dur, levez la main. »
Ce 26 novembre, Justine est venue en urgence
consulter cette psychologue qu’elle ne connaissait pas. Depuis les attentats du 13 novembre, elle
est oppressée, angoissée. Elle n’arrive pas à dormir. Les bruits de sirène l’obsèdent. Le soir du
drame, elle était au stade de France avec une
amie. Puis elle a appris ce qui se passait dans son
quartier, le 9e arrondissement… Voila plus d’une
heure que Laurence Peltier lui fait redérouler le
fil, du début du match de football jusqu’au soir
de la consultation.
« Une seule séance peut suffire,
surtout si elle est pratiquée
dans les jours qui suivent
l’événement »
isabelle meignant
psychologue et présidente d’EMDR Europe
La thérapeute repère les moments traumatisants, pour les « travailler », un à un : le mouvement de foule à la descente des gradins ; l’attente
dans la nuit avant de récupérer la voiture ; la violence des images à la télévision le lendemain…
« Lorsqu’il y a un trop-plein d’émotions, les deux
hémisphères du cerveau, l’émotionnel et le rationnel, ne communiquent plus. Avec des stimulations
bilatérales alternées comme le tapping ou des
mouvements oculaires, l’EMDR reproduit de façon
artificielle le traitement naturel des informations,
qui a lieu notamment durant le sommeil. Le premier bienfait est de restaurer le sommeil, pour relancer le traitement adaptatif de l’information »,
lui a expliqué Laurence Peltier en préambule.
Après une heure et demie de traitement, Justine
se dit épuisée, mais apaisée. Un mieux-être que
les praticiens apprécient avec un score d’autoévaluation des perturbations (SUD) de 0 à 10.
La thérapie par EMDR est pratiquée depuis plusieurs années à l’hôpital d’Argentan (Orne). BURGER/PHANIE
Reconnue comme l’un des traitements de référence des états de stress post-traumatique (ESPT)
constitués, l’EMDR est aussi de plus en plus proposée en prévention, dans les suites immédiates
d’un traumatisme. Depuis les attentats du 13 novembre, Laurence Peltier est ainsi intervenue
auprès de nombreuses personnes, dont certaines sont venues par le biais d’une toute jeune association, Action EMDR Trauma. « L’ambition est
de déployer des interventions d’EMDR à titre humanitaire au plus près de l’événement stressant,
après un attentat, une catastrophe naturelle ; chez
des personnes déplacées aussi…, explique Isabelle
Meignant, présidente de ce réseau européen, et
formatrice EMDR Europe. Dans les contextes
d’urgence, nous utilisons des protocoles spécifiques, individuels ou de groupe. C’est une approche
pragmatique, qui ne nécessite pas de recueillir
beaucoup d’informations personnelles, et elle est
rapidement efficace. Une seule séance peut suffire,
surtout si elle est pratiquée dans les jours qui suivent l’événement. »
La psychologue a des cas plus délicats à gérer,
comme celui de cette trentenaire qui travaille sur
l’un des lieux des attentats. Pendant dix jours,
cette jeune femme consciencieuse et dynamique
a « pris sur elle ». Mais les symptômes se sont
multipliés, qui l’ont amenée à consulter : courbatures dans tous les membres ; insomnies ; phobie des lieux clos ; panique à l’idée de donner son
sang, ce qu’elle faisait depuis ses 18 ans ; difficultés à revenir sur la zone de la fusillade… Après
quatre séances d’EMDR de deux heures, « elle est
moins angoissée et a pu mettre les événements à
distance, mais il faut encore travailler le futur »,
souligne Mme Meignant.
Ces dernières années, plusieurs études ont rapporté des bénéfices de l’EMDR en prévention des
états de stress post-traumatiques (ESPT) – après
un tremblement de terre au Mexique en 2010, et
chez des survivants du World Trade Center,
en 2001, notamment –, mais les données scientifiques sont moins solides que dans les ESPT
constitués. Ce n’est sans doute que temporaire,
tant cette discipline, née en 1987 aux Etats-Unis
et arrivée en France en 1994, se développe.
« De plus en plus d’indications font l’objet d’essais cliniques en EMDR, en particulier les phobies
et les troubles anxieux, les douleurs chroniques, les
troubles bipolaires et plus récemment les psychoses », notent Juliette Gueguen (Inserm) et ses collègues dans un récent rapport sur l’hypnose et
l’EMDR. Parallèlement, des chercheurs explorent
les mécanismes par lesquels cette thérapie agit
sur le cerveau. Ainsi de l’équipe de Stéphanie
Khalfa (Institut de neurosciences de la Timone,
Marseille), qui mène des travaux en neuro-imagerie. « L’état de stress post-traumatique correspond à une altération du circuit de la peur, avec un
conditionnement plus fort et une extinction plus
difficile des réponses de peur par rapport à des
personnes exposées au même événement traumatique mais qui ne développent pas d’ESPT, détaille
la chercheuse. Avec l’IRM, nous avons montré que
la thérapie EMDR restaure une activité normale à
ce niveau, notamment dans l’amygdale. Et des
études chez l’animal, reproduites chez l’homme,
ont pu établir que ce sont les stimulations bilatérales alternées qui sont fondamentales pour éteindre plus efficacement le circuit de la peur. »
Les pratiques se sont structurées. En France,
trois formations (dont une universitaire) sont
agréées, ouvertes aux professionnels de la psychologie et de la psychiatrie. « Nous recensons
1 200 membres, contre 700 en 2010, mais les chiffres sont sous-estimés, indique le docteur Martin
Teboul, qui préside l’association EMDR France,
membre de EMDR Europe. Nos objectifs sont de
développer l’offre, en garantissant des pratiques
de qualité, avec une formation continue obligatoire. » L’association lutte également contre les
« faux praticiens », qui contribuent à l’image encore parfois sulfureuse de l’EMDR. p
Séance collective en Moselle
L’expérience est inédite en France : 70 adolescents de
Thionville (Moselle), qui étaient au Stade de France le
13 novembre, ont bénéficié moins de 48 heures plus
tard d’une séance collective d’EMDR. « Nous leur avons
demandé de dessiner le moment le plus difficile pour
eux, et chacun a effectué sur lui-même des stimulations
bilatérales alternées avec la technique du papillon, qui
consiste à poser chaque main sur l’épaule opposée, et
à les soulever en alternance », détaille le professeur
Cyril Tarquinio (laboratoire de psychologie de la santé
Apemac, université de Lorraine). Avec ce protocole de
situation d’urgence, leur niveau de perturbation émotionnelle est passé en moyenne de 8 à 2 en deux heures, poursuit le psychologue, qui va exploiter les données pour une étude scientifique. En juin 2016, Cyril
Tarquinio inaugurera à Metz un centre universitaire
unique en France consacré aux psychothérapies, associant des activités cliniques, de recherche et d’enseignement. Les consultations psychothérapeutiques seront en partie prises en charge par des mutuelles, avec
une participation de mécènes pour les plus démunis.
Ingénierie du gène : l’urgence d’attendre
Une réunion internationale appelle à un moratoire sur les manipulations de l’ADN des cellules sexuelles et de l’embryon
F
aut-il mettre en œuvre les dernières techniques d’ingénierie du
gène pour réparer l’ADN des cellules sexuelles (germinales), et ainsi
modifier de façon inédite le patrimoine
héréditaire humain , ou est-il urgent d’attendre ? Un sommet international, organisé du 1er au 3 décembre à Washington
par l’Académie des sciences américaine, la
Royal Society britannique et leur homologue chinoise, a permis aux spécialistes
mondiaux de débattre de la question.
Celle-ci est devenue plus pressante avec
l’avènement d’une technique de copiercoller génétique, baptisée Crispr-Cas9, qui
révolutionne les capacités d’intervention
sur le génome – une équipe chinoise l’a
même mise en œuvre pour modifier celui
d’embryons humains non viables.
A Washington, les réponses sur l’opportunité de l’utiliser pour modifier des cellu-
les germinales ont varié de « Hell no » à
« Yes now » (de « Surtout pas » à « Oui, tout
de suite »), comme l’a résumé le biologiste
Paul Knoepfler, qui a couvert les débats sur
son blog. La déclaration finale des organisateurs se situe entre ces deux extrêmes.
« Irresponsable »
La recherche fondamentale et préclinique est nécessaire et doit être poursuivie
sur les techniques d’édition des gènes,
ainsi que sur les bénéfices et risques potentiels de leur usage clinique. Mais « si,
dans ce processus de recherche, des embryons humains et des cellules germinales
subissent des éditions de gènes, les cellules
modifiées ne devront pas être utilisées pour
lancer une grossesse », préviennent-ils.
L’usage clinique de ces techniques sur les
cellules somatiques (qui ne sont pas transmises d’une génération à l’autre) doit
s’inscrire dans les dispositifs « existants et
évolutifs » qui encadrent les thérapies géniques, suggère la déclaration finale.
Sur l’usage clinique des cellules germinales, celle-ci pointe les risques de mutations induites en dehors des gènes cibles ; la difficulté de prédire des effets
délétères ; l’obligation de prendre en
compte les implications de ces altérations tant pour l’individu que pour les
générations futures ; l’irréversibilité de
ces altérations ; la possibilité que des populations privilégiées bénéficient, ou
que d’autres soient contraintes à subir
des « améliorations » de leur génome ; les
considérations morales et éthiques attachées au fait de modifier intentionnellement l’évolution humaine. En conséquence, « il serait irresponsable de poursuivre tout usage clinique de l’édition de
cellules germinales », tant que les problè-
mes de sécurité et d’efficacité n’ont pas
été résolus, et « qu’il n’y aura pas un large
consensus social sur la pertinence des applications proposées ». Une position qui
se rapproche de celle exposée dans la revue Nature par Jennifer Doudna, codécouvreuse de Crispr-Cas9.
« La réunion de Washington n’est pas une
fin, mais un départ, avec l’organisation prévue de futurs forums », souligne le biologiste de la reproduction Pierre Jouannet,
qui avait été invité à y témoigner des recherches menées en France. « On discute à
perte de vue sur les applications potentielles, mais actuellement, on ne peut garantir
l’efficacité et la sécurité à 100 % pour l’embryon humain, rappelle-t-il. Sur les animaux, quand la mutation se retrouve sur
trois individus sur dix, on considère que
c’est réussi, mais on ne peut évidemment
faire de même sur des enfants. »
La déclaration de Washington n’a
aucune valeur contraignante, mais le généticien George Church (université Harvard) redoute que le moratoire proposé
n’encourage un « marché noir et un tourisme médical incontrôlés ». De ce côté de
l’Atlantique, jeudi 3 décembre, le Conseil
de l’Europe s’est dit « favorable aux nouvelles technologies d’édition du génome,
mais dans certaines limites ». Il a rappelé
que, selon l’article 13 de la Convention
d’Oviedo (1997), ratifiée par la plupart
des pays européens, dont la France, une
intervention sur le génome humain « ne
peut être entreprise que pour des raisons
préventives, diagnostiques ou thérapeutiques ». Cet article interdit en outre
« toute modification génique sur des embryons qui serait transmise aux générations futures ». p
hervé morin
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
La France à court de neutrons
| La fermeture annoncée du réacteur Orphée à Saclay va priver
les chercheurs d’un instrument privilégié d’étude de la matière
physique
nathaniel herzberg
L
oin des débats enflammés autour du sort de
la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin),
cette décision-là s’est
prise dans la plus
grande discrétion. La France va
fermer Orphée, son réacteur
nucléaire de recherche implanté
sur le plateau de Saclay (Essonne).
L’affaire n’est pas de la toute
première fraîcheur ; le principe
en a été arrêté le 16 juin 2014.
Mais l’été dernier, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA)
et le CNRS ont annoncé qu’ils
allaient en accélérer le calendrier.
Orphée baissera le rideau fin
2019, et d’ici là, le réacteur fonctionnera à puissance limitée.
Jusqu’ici, les scientifiques caressaient l’espoir d’un changement
de cap. Ils avaient discrètement
mobilisé leurs collègues européens, plaidé auprès de leurs tutelles, compté sur le poids d’un
rapport de l’Agence d’évaluation
de la recherche farouchement
hostile à ce scénario. Mais avec
cette dernière annonce, le cercueil
d’Orphée leur est présenté. Même
au CEA, les personnels sont sortis
de leur réserve traditionnelle
pour dénoncer « le gâchis financier, scientifique et humain qui
résulterait de cette fermeture ».
Ce réacteur constitue la seule
source nationale de neutrons.
Grenoble accueille certes l’Institut
Laue-Langevin (ILL), la plus puissante installation du genre du
monde. Mais l’infrastructure est
européenne ; la France n’y contribue qu’à hauteur de 28 % du budget et dispose donc d’un temps
d’utilisation en proportion. Si
bien qu’aujourd’hui près de 60 %
des expériences neutroniques
françaises ont lieu au Laboratoire
Léon-Brillouin (LLB), l’unité CNRSCEA qui exploite Orphée.
« Il s’agit d’expériences fondamentales, pour la recherche
comme pour l’industrie », souligne José Teixeira, directeur de
recherche émérite au LLB. Si les
atouts des rayons X, des scanners
jusqu’aux synchrotrons, sont
bien connus, les neutrons offrent
en réalité un parfait complément.
Dépourvus de charge, ils n’interagissent qu’avec les noyaux et
pénètrent au plus profond des
matériaux : là où les rayons X
sont, par exemple, arrêtés par
1 mm d’aluminium, les neutrons
l’explorent aisément sur 10 cm
d’épaisseur. Qu’il s’agisse d’analyser les structures fondamentales
de la matière ou d’en vérifier la
qualité, ils apportent des informations uniques. Les industries
spatiale, ferroviaire et automobile en font donc largement
usage. Le monde médical aussi,
lorsqu’il veut produire des isotopes ; ou encore celui des semiconducteurs, quand il doit doper
le silicium. « Magnétisme, analyse physico-chimique, dynamique moléculaire… là encore les
neutrons sont irremplaçables »,
poursuit José Teixeira.
Alors, pourquoi cet arrêt ? Le futur aménagement du plateau de
Saclay, sa ligne de tramway et ses
dizaines de milliers d’étudiants à
venir peuvent-ils cohabiter avec
un réacteur nucléaire ? Là n’est
pas l’essentiel, assure l’administration. Au ministère de la recherche, comme au CEA, on invoque
trois autres motifs. « Un choix
stratégique, d’abord, affirme Vincent Berger, directeur du pôle
sciences de la matière au CEA… et
Les industries spatiale,
ferroviaire et automobile
font largement usage
des neutrons, ainsi que
le monde médical…
problème : celui de la fabrication.
Une fois l’uranium reçu, il faut le
transformer en cœur nucléaire.
Une manipulation complexe réalisée, pour presque toute l’Europe,
par Cerca, une filiale d’Areva. Or,
depuis l’accident de Fukushima,
au Japon, l’Autorité de sûreté nucléaire a imposé de nouvelles normes. Cerca a dû reconstruire son
usine. Le prix d’un cœur (environ
2 millions d’euros pour cent jours
d’utilisation) a doublé. On imagine aisément les incidences sur
le budget annuel de 10 millions
d’euros d’Orphée, déjà considéré
comme insoutenable dans le
contexte actuel.
Sauf que cet abandon a un coût
scientifique que toute la filière
juge majeur. « La Coupe du monde approche, on paie pour la
construction du grand stade mais
on n’aura bientôt plus d’équipe »,
aime ainsi à dire un cadre du LLB.
L’ESS de Lund sera, en effet, pleinement opérationnel en 2025.
Où travailleront, d’ici là, les quelque 1 700 chercheurs français qui
constituent aujourd’hui cette
communauté de pointe ? Et ensuite, où conduiront-ils les expériences « ordinaires » ? Où formeront-ils leurs thésards ? « Nous
devrons collaborer avec les autres
sources européennes », assure
Vincent Berger, pour le CEA. « Ils
seront les bienvenus chez nous,
répond Winfried Petry, directeur
du réacteur FRM II, à Munich.
Mais c’est du dépannage, pas une
stratégie. Je ne comprends pas
que la France sacrifie son avance.
Je veux encore espérer qu’elle
changera d’avis. Ou qu’elle développera une petite source de
spallation nationale, pour rester
parmi les pays qui comptent. »
Pour le moment, rien ne semble
lui donner raison. p
0123
Mercredi 9 décembre 2015
|3
télescope
Cosmologie
Lumière sur la masse manquante
Le bilan du contenu énergétique de
l’Univers pose de gros problèmes : une
énergie noire inconnue en compose
70 %, tandis que 25 % sont faits d’une
matière de nature également mystérieuse. Même les 5 % restants, dits ordinaires, soulèvent des questions, car la
moitié échappe à la détection ! Une
équipe internationale vient cependant
de mettre la main sur cette part perdue,
à proximité de filaments invisibles de
plusieurs millions d’années-lumière de
long, qui relient les galaxies, comme une
toile. Cette matière émet des rayons X,
repérés par le télescope spatial XMM
de l’Agence spatiale européenne.
> Eckert et al., « Nature », 3 décembre.
Astrophysique
Le moteur d’un trou noir repéré
Une équipe internationale, utilisant
le réseau de télescopes Event Horizon,
a pour la première fois observé la localisation et les variations du puissant
champ magnétique émis par le trou
noir du centre de la Voie lactée,
Sagittarius A*. Ce champ est soupçonné
d’être responsable de l’éjection colossale de jets de matière et de rayonnement au voisinage de ce géant, quatre
millions de fois plus lourd que le Soleil.
> Johnson et al., « Science »,
4 décembre.
jusqu’à l’été dernier conseiller recherche de François Hollande. La
France a choisi de participer au
programme européen de construction d’ESS, en Suède, la plus
importante source de neutrons du
monde. » Un équipement d’un
coût de près de 2 milliards d’euros
auquel la France contribue à
hauteur de 150 millions, chiffre
Christian Chardonnet, chef du département des grandes infrastructures au ministère. Son prix
s’explique par sa technologie, radicalement différente, qui impose la construction d’un accélérateur de particules. En échange,
la technique dite de « spallation »
permet de s’affranchir du réacteur nucléaire, source des neutrons d’Orphée mais aussi de ses
deux autres péchés mortels…
Car qui dit réacteur dit combustible. En l’occurrence, de l’uranium enrichi à 93 % (bien plus
que dans les centrales civiles),
capable de constituer une charge
militaire. Deux pays produisent
cette rareté pour la recherche
civile : les Etats-Unis et la Russie.
Si Orphée a profité de la chute du
Mur et des « soldes » russes pour
se constituer un stock qui lui
permet de tenir, à régime réduit,
jusqu’en 2019, il n’est plus question de négocier avec la Russie de
Poutine. Quant aux Américains,
fournisseurs historiques, ils ont
annoncé que pour éviter toute
prolifération ils cesseraient, sauf
exception, de fournir de l’uranium hautement enrichi. L’exception, ce sont des accords signés avec les principaux pays
européens dans lesquels ils
acceptent d’approvisionner les
installations prêtes à se convertir,
à moyen terme, en réacteurs à
combustible ordinaire (moins de
20 % d’uranium 235). « C’est dans
ce cadre qu’ils continuent à nous
fournir, explique Charles Simon,
directeur adjoint de l’ILL, à Grenoble. Mais la France a annoncé
qu’elle fermait Orphée. Elle est
donc sortie de l’accord. »
Une bêtise diplomatique ? Plutôt un moyen d’éviter le troisième
ESS, la Ferrari de la spallation
Coupon à retourner à Fondation pour la Recherche Médicale
Je fais un don (par chèque) de……..……..……..……..…
Je souhaite en savoir plus sur les actions de la Fondation
Ces demandes ne m’engagent en aucune façon.
Nom : …..……..……..…..……..……...……..………..…………....……. Prénom : ……..…………..……..……......…...…...…...…..……..….……..……...
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pouvez être amené à recevoir des propositions d’autres organismes. Si vous ne le souhaitez pas, vous pouvez cocher la case ci-jointe.
C1512CIMSM9
C’est un équipement exceptionnel que les pays européens ont décidé d’ériger en Suède. La source européenne par spallation (ESS)
de Lund sera composée d’un accélérateur linéaire de 600 m de
long permettant de diriger les protons à haute énergie vers une
cible de tungstène. La réaction produite générera des neutrons
« pulsés » qui pourront pénétrer les échantillons étudiés. Pas
d’uranium enrichi, pas de déchets. Les concepteurs d’ESS assurent qu’il sera au moins dix fois supérieur à celui d’ILL, l’équipement européen de référence, installé à Grenoble. Les performances dépasseront aussi les principales sources en activité au Japon
ou aux Etats-Unis. Une « formule 1 » à 2 milliards d’euros. Premiers tours de roues en 2020, plein régime en 2025. Quinze pays
européens, au premier rang desquels la Suède et le Danemark,
financent le bolide. Mais qui pourra le piloter ? L’accès pour les industriels s’annonce assez limité. Quant aux jeunes chercheurs,
personne n’y songe : on n’apprend pas à conduire sur une Ferrari.
4|
0123
Mercredi 9 décembre 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Consentement
Mieux informer
les donneurs de tissus humains
bioéthique
Des traitements plus personnalisés pourraient émerger des banques d’échantillons biologiques.
L’optimisation de leur exploitation est-elle compatible avec le respect des droits du patient ?
A
catherine mary
u début des années
1980, le généticien
Richard Ward, de
l’université canadienne de la Colombie-Britannique, à
Vancouver, obtint
des 900 membres
de la tribu amérindienne des Nuu-chahnulth leur consentement pour mener
des études sur leur génome. Rien ne
pouvait alors laisser présumer la longue
série de conflits qui allait opposer, vingt
ans plus tard, généticiens et tribus amérindiennes. Leur motif ? L’utilisation de
l’ADN des intéressés dans des conditions
différentes de celles décrites dans le
consentement qu’ils avaient initialement signé.
Le projet de Richard Ward était pourtant simple. Rechercher, dans le génome
des Nuu-chah-nulth, des variations génétiques pouvant expliquer la fréquence
élevée de cas de polyarthrite rhumatoïde
rencontrés dans cette tribu. Pour cela, il
suffisait que les participants à l’étude
signent un consentement éclairé, selon
les lois de bioéthique en vigueur. La première étude, infructueuse, se déroula
sans encombre. Mais les généticiens, souhaitant optimiser l’exploitation du matériel génétique qu’ils avaient à leur disposition, allèrent plus loin. Ils partagèrent
l’ADN des Amérindiens avec d’autres gé-
néticiens, qui tentèrent à leur tour de le
faire parler. Heurtés par ce qu’ils ressentirent comme une trahison, les Nuu-chahnulth exigèrent réparation et engagèrent
un procès contre les généticiens.
«Ces conflits avec les Amérindiens
comme avec d’autres peuples premiers ont
mis en lumière des problèmes compliqués
liés au fonctionnement des recherches en
génétique, et leur résolution a permis de
faire avancer la réflexion dans ce domaine, même si d’importantes zones
d’ombres persistent », commente Christine Noiville, juriste au CNRS et coauteure
en 2009 d’un volume de la collection
« Que sais-je ? » consacré aux biobanques,
ces collections convoitées d’échantillons
de sang, d’urine ou de tissus tumoraux.
« Les biobanques sont l’outil du XXIe siècle
pour faire de la recherche médicale. On est
tous d’accord sur la nécessité de valoriser
les résultats de leur exploitation, mais il
s’agit de pouvoir articuler l’intérêt de la
recherche, de la santé publique et des
patients », poursuit-elle.
Evolution accélérée des biotechnologies et du traitement des données, amélioration des méthodes de conservation
des échantillons biologiques et mondialisation des échanges sont autant de facteurs qui facilitent l’exploitation des
biobanques. Des mines d’informations
qui font autant rêver les chercheurs du
secteur public que les investisseurs privés. A la clé, des corrélations toujours
plus fines entre risque de maladie, profil
ÉVÉNEMENT
génétique, âge et mode de vie, promettant l’avènement d’une médecine personnalisée faisant bénéficier chaque
malade d’un traitement adapté à son profil. Le projet Precision Medicine Initiative,
récemment proposé par les National Institutes of Health (NIH), aux Etats-Unis,
prévoit ainsi le recrutement de 1 million
de personnes dans le pays afin de constituer une biobanque permettant l’étude
à long terme de corrélations entre gènes
et santé. Le Royaume-Uni, l’Islande et
l’Estonie disposent déjà de telles banques
nationales, qui ont permis l’identification de prédispositions génétiques à des
maladies telles que les cancers ou la maladie d’Alzheimer.
Le consentement libre
et éclairé vise à
garantir l’autonomie
et la liberté
de la personne
Dans cette
biobanque
suisse, les
cellules souches
de cordon
ombilical sont
conservées dans
de l’azote
à – 150 °C.
AMELIE-BENOIST/BSIP
Mais ces enjeux, aussi importants
soient-ils, ne peuvent en éclipser
d’autres, d’ordre éthique. Car, avec les biobanques, les questions soulevées par les
conflits entre les Amérindiens et les généticiens se trouvent ramenées au cœur
d’une réflexion nouvelle, guidant la recherche d’un compromis entre maintien
des principes du consentement libre et
éclairé et efficacité de la recherche. Puisant ses fondements dans le procès des
médecins nazis à Nuremberg, en 1947, le
consentement libre et éclairé vise à
garantir l’autonomie et la liberté de la
personne, de manière à pallier la dissymétrie entre le médecin qui sait et le
patient qui ignore. Il définit de manière
précise les objectifs et les conditions de
l’acte médical et donne au patient la possibilité de le refuser, ou de ne pas être
informé, ainsi que d’interrompre à tout
moment son engagement.
En cas d’examens génétiques, le consentement n’est accordé que pour une finalité donnée dans un contexte bien précis.
Or, s’ils souhaitent rester compétitifs et
valoriser leurs travaux, les chercheurs ont
tout intérêt à se procurer des échantillons
biologiques auprès de différentes biobanques et à les regrouper. Cela leur permet d’augmenter la taille des données à
analyser et d’accroître la fiabilité de leurs
résultats. Ils doivent aussi pouvoir les
conserver pour les exploiter au moment
opportun à la faveur d’une avancée technologique. « Les technologies évoluent si
vite que vous ne pouvez pas prédire ce que
vous allez faire l’année suivante », note
ainsi Timothy Spector, du King’s College
de Londres, non sans avoir vanté les qualités de la biobanque qu’il dirige, la TwinsUK. Avec ses génomes, protéomes et microbiomes collectés auprès de quelque
13 000 vrais et faux jumeaux, elle est l’une
des plus riches collections de données sur
les jumeaux du monde, et promet la pos-
Dans l’intérêt de la personne
La notion de consentement volontaire apparaît pour
la première fois dans le Code de Nuremberg, établi lors
du procès contre les médecins nazis en 1947. Elle est
ensuite reprise en 1964 dans la déclaration d’Helsinki
de l’Association médicale mondiale, visant à énoncer
les principes éthiques encadrant la recherche médicale.
Elle associe le consentement à l’intérêt de l’individu, et
introduit une dérogation en cas d’incapacité de la personne à consentir. Elle est aussi à l’origine de la création
des comités d’éthique auxquels doit être soumis tout
projet de recherche médicale.
En France, l’obtention du consentement pour la recherche
médicale a été rendue obligatoire en 1988, par la loi Huriet-Sérusclat. Ce consentement doit être libre et informé,
c’est-à-dire que le patient est libre de réfléchir et reçoit
l’information la plus objective et la plus compréhensible
possible. Son encadrement est régulièrement révisé à
mesure que la société et la pratique médicale évoluent.
La loi Kouchner de 2002 concerne le soin. Elle introduit
la notion de décision conjointe entre le médecin et le
malade et son droit de refus, faisant évoluer la notion
de consentement vers la notion de choix.
| SCIENCE & MÉDECINE |
sibilité d’établir des corrélations inédites
entre patrimoine génétique, environnement et risque de maladie.
A condition d’éviter les erreurs du
passé, comme celle qui conduisit à la stigmatisation des Amérindiens de la tribu
Havasupai, en Arizona. Dans les années
1990, leur taux élevé de diabète de type 2
attira l’attention des généticiens. Mais
leur ADN fut endommagé lors d’une
panne de congélateur, et les chercheurs,
ne pouvant pas l’étudier, le conservèrent.
Une démarche justifiée de leur point de
vue puisque, dans les années 2000, de
nouvelles techniques d’analyse leur permirent de poursuivre leurs recherches.
Mais loin d’apporter le résultat espéré, les
études révélèrent le taux élevé de consanguinité des Havapusai, dont la population ne comprenait, au début du XXe siècle, que quatre-vingts adultes en âge de
procréer. D’où le procès intenté par les
Havapusai aux généticiens.
Autre pierre d’achoppement, la confidentialité des données stockées dans les
biobanques. En France, une banque de
données médicales ne peut être constituée qu’avec l’accord de la Commission
nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), sous réserve d’anonymisation
des données. Pourtant, le système de
double chiffrage utilisé n’exclut pas le
risque que ces données soient de nouveau identifiables, et donc celui de leur
utilisation abusive par les employeurs ou
par les assureurs.
En conséquence, le remaniement du
consentement libre et éclairé se révèle
nécessaire. « Il faut concilier la liberté de
choix de l’individu et la protection des
données personnelles avec les nouvelles
modalités de la recherche qui se développent aujourd’hui. Cela n’est possible que
par l’association du patient au projet de
recherche », résume ainsi Georges Dagher, qui dirige l’infrastructure nationale
Biobanques, financée par le programme
« Investissements d’avenir » et regroupant 84 biobanques en France dans le cadre d’un réseau européen qui en compte
plus de 300 (Le Monde du 16 juin 2014).
Une table ronde intitulée « Consentement et recherche », organisée en mai par
Biobanques, a ainsi permis d’esquisser les
contours d’un nouveau cadre éthique.
Celui-ci, avance Georges Dagher, pourrait
prévoir « un consentement avec une pluralité de finalités scientifiques. En échange,
le patient disposerait de garanties sur le
respect des principes éthiques, en particulier sur la confidentialité des données, la
qualité scientifique des études et le cadre
de recherche ».
Outre-Manche, la sociologue Barbara
Prainsack, du King’s College de Londres,
propose un modèle apparenté s’appuyant sur le principe de solidarité. Le
patient serait amené à signer, en plus du
consentement éclairé, une « déclaration
de mission » l’informant de l’ensemble
des risques sur ses données et sur la gouvernance des biobanques. Pour chaque
biobanque, une commission de recours
serait également créée, à laquelle le
patient pourrait s’adresser en cas de violation de la confidentialité. « Il ne s’agit
pas seulement de signer un document et
de protéger l’institution, mais il s’agit
aussi pour le patient de comprendre vraiment ce qu’est une biobanque, la manière
dont elle est dirigée et les risques, même
minimes, de dévoilement de ses données », souligne-t-elle.
Soigneusement mis en place, ces modèles participatifs peuvent bénéficier à
l’ensemble des acteurs. En témoignent
les collaborations réussies entre généticiens et Amérindiens, après les conflits
qui les avaient opposés. Les membres du
peuple Gitxsan ont ainsi œuvré aux côtés des généticiens pour élucider les fondements génétiques de leur fréquence
50 fois plus élevée que la moyenne de
syndrome de QT long, une anomalie
congénitale rare du système cardiaque
pouvant causer une mort subite. Activement impliqués dans le projet de recherche, les Gitxsan ont contribué à l’élaboration des protocoles et ont disposé d’un
droit de regard sur les résultats scientifiques, avant leur publication. Chercheurs
et patients ont ainsi révélé ensemble
l’existence d’une mutation en cause dans
le syndrome de QT long.
La course à la productivité pourrait
bien, pourtant, reléguer au rang d’utopies ces expériences réussies. L’usage
généralisé des termes « données de
santé » a ainsi déjà sorti les données médicales du domaine balisé de la médecine
pour les rendre accessibles au marché.
Réduites à de simples marchandises, elles
s’acquièrent au coût le plus bas, se stockent et se monnaient. Et les stratégies
développées par certaines compagnies
privées ne s’encombrent désormais plus
de consentement libre et éclairé.
La société américaine de biotechnologie 23andMe propose, pour le coût modique de 99 dollars (94 euros), la réalisation
d’un test génétique sur les origines, grâce
à un kit de prélèvement de salive vendu
sur Internet. Une vente qui permet aussi
à 23andMe l’acquisition insidieuse des
données des clients. Sur le site de la société américaine, le formulaire de consentement à signer par l’internaute suit
une fiche de présentation sur l’intérêt de
ces données pour la recherche médicale.
Stratégie gagnante, puisque la société a
pu constituer une banque de plus de
1,5 million de génomes.
« En faisant participer les individus,
23andMe a construit une base de données
qu’aucune institution au monde ne possède », commente ainsi Georges Dagher,
avec un mélange d’admiration et de scepticisme. « Cela ne veut pas dire que nous
devons faire la même chose, mais la
recherche d’aujourd’hui se fait sur ces
bases de données-là, d’où l’importance
pour les institutions publiques d’impliquer
les patients en créant de vraies relations de
confiance », insiste t-il.
En janvier, un accord commercial entre
la compagnie pharmaceutique Pfizer et
23andMe a donné l’accès à Pfizer à
800 000 des génomes de 23andMe, pour
des études sur les prédispositions génétiques aux maladies, notamment au lupus.
La société Amgen vient de lui emboîter le
pas aux Etats-Unis. En échange de la carte
Copay, donnant accès au tiers-payant
pour son anticholestérol Repatatah,
Amgen a récemment exigé des patients
leur autorisation à utiliser et échanger
leurs données médicales, sans aucune
garantie de confidentialité. Le tollé soulevé par cette pratique a néanmoins
conduit Amgen à resserrer ses garanties
en termes de confidentialité et de partage
des données.
Une « déclaration de
mission » informerait
le patient des risques
sur ses données
et sur la gouvernance
des biobanques
La loi du marché tend à s’imposer dans
le domaine prometteur des cellules souches. Aux Etats-Unis, la réglementation de
la Food and Drug Administration, l’agence
des médicaments, encadre strictement
l’usage des cellules souches à des fins thérapeutiques. Pourtant, des centaines de
cliniques s’implantent dans le pays pour
proposer des traitements non validés
pour des pathologies telles que la sclérose
amyotrophique latérale, la maladie de
Parkinson ou la sclérose en plaques. L’information fournie au patient ? Un argumentaire commercial, subtil et trompeur,
vantant les bénéfices de ces traitements
tout en en minimisant les risques.
D’où les inquiétudes du côté des bioéthiciens. « Il existe une tension croissante
entre la volonté de maintenir un cadre
éthique garantissant l’intégrité du corps
et l’autonomie du patient et de puissantes
incitations financières à transgresser ce
cadre », s’inquiète ainsi le bioéthicien
Leigh Turner, de l’université du Minnesota. « Il y a cinq ans, en 2010, la conférence mondiale sur l’intégrité de la recherche, qui avait eu lieu à Singapour, s’était
conclue par une déclaration promouvant
un code de bonne conduite en matière
d’intégrité, résume Noémie Aubert Bonn,
doctorante en bioéthique à l’université
de Hasselt, en Belgique. En 2015, à Rio, les
présentations dans leur ensemble allaient
plus loin. Elles soulignaient l’incompatibilité entre les attentes éthiques et les attentes de productivité. » p
0123
Mercredi 9 décembre 2015
|5
« Les médecins
ont multiplié
les casquettes »
L
eigh Turner est professeur de bioéthique
à l’école de santé publique de l’université
du Minnesota, aux Etats-Unis. En 2004,
après le décès d’un patient schizophrène, Dan
Markingson, au cours d’un essai clinique dans le
département de psychiatrie de l’université, Leigh
Turner se joint au groupe de soutien qui s’est
constitué autour du bioéthicien Carl Elliott pour
exiger une enquête indépendante. Les résultats
de cette enquête ont été publiés en février. Ils
dressent un bilan accablant des conflits d’intérêts au sein de cette université et sur leurs
conséquences pour le consentement du patient.
L’enquête sur la mort de Dan Markingson a
révélé d’importants manquements éthiques.
De quoi s’agit-il ?
L’enquête a montré que Dan Markingson a
signé lui-même son consentement pour être
intégré à cet essai clinique. Or le diagnostic posé
par le psychiatre qui le suivait le jugeait inapte
à exercer son libre arbitre. Ce même psychiatre
était également l’investigateur de l’essai clinique,
et il percevait 15 000 dollars (14 200 euros)
par patient enrôlé de la part d’AstraZeneca, la
compagnie pharmaceutique qui le finançait.
La situation est encore plus inquiétante lorsqu’on replace ce cas dans le contexte général
de la recherche clinique au sein de l’université
du Minnesota. L’enquête a analysé les protocoles
de plus de vingt essais cliniques en cours, révélant que les problèmes éthiques n’étaient pas
discutés au cours des réunions de suivi de ces
essais, notamment les risques et les bénéfices
pour le patient. Les dirigeants du département
de psychiatrie ont réagi par la défensive à nos
requêtes. En outre, l’enquête a montré qu’il y
régnait un climat de peur.
Ce cas est-il révélateur d’une situation plus
générale ?
Il est emblématique des conditions de la recherche médicale, avec l’implication des compagnies
pharmaceutiques, finançant à coups de millions
de dollars les recherches menées au sein de cette
université. La réflexion sur le consentement
éclairé permet aussi de se pencher sur les changements majeurs survenus au cours des vingt
dernières années. Au-delà de la distinction traditionnelle entre secteurs public et privé, les intérêts économiques se sont immiscés au cœur
même de la pratique médicale. Les médecins
sont à la fois entrepreneurs, investigateurs d’essais cliniques pour un laboratoire pharmaceutique, experts de santé publique : cette multiplication des casquettes favorise la confusion des
rôles. Il ne s’agit pas seulement de l’influence de
l’industrie pharmaceutique, mais aussi du rôle
d’entrepreneur que jouent les médecins, incités à
récolter des fonds pour financer leurs recherches
en dehors du secteur public et à les valoriser.
Quelles sont, selon vous, les dérives les plus
inquiétantes ?
Le consentement éclairé se réduit de plus en
plus souvent à un document contractualisant la
relation entre le patient et le médecin, alors qu’il
doit être le résultat d’un processus au cours
duquel le patient prend sa décision. Il doit s’appuyer sur un vrai dialogue, au cours duquel
le médecin doit s’assurer que le patient a bien
compris les risques de l’essai clinique dans lequel
il est enrôlé. Or le temps nécessaire à ce dialogue
est négligé dans la pratique. A cela s’ajoute le langage de plus en plus technique du médecin, que
le patient ne comprend pas. Dans certaines disciplines, comme l’oncologie, le consentement est
long et compliqué, ce qui crée une dissymétrie
entre le patient et le médecin.
Le consentement éclairé peut-il être un levier
pour la réflexion sur les droits de l’homme ?
Dans certains cas, le consentement est un levier pour améliorer l’encadrement des essais cliniques dans les pays du Sud, où les réglementations sont moins strictes que dans les pays du
Nord. Lorsqu’un essai clinique est mené dans un
pays du Sud par des chercheurs venant du Nord,
une réflexion se met en place pour que cette
étude soit menée suivant les meilleurs critères
éthiques, tout en respectant la réglementation
du pays concerné. Mais la tendance inverse
existe également, car il ne faut pas négliger les
aspects les plus féroces de la mondialisation.
L’économie est un puissant moteur, et les exigences moindres en matière de bioéthique rendent les essais cliniques moins coûteux dans les
pays du Sud. Depuis une vingtaine d’années,
compagnies pharmaceutiques, organisations
non gouvernementales et institutions de santé
délocalisent leurs essais cliniques dans des pays
tels que la Chine, l’Inde ou les pays de l’Est. p
propos recueillis par c. my
6|
0123
Mercredi 9 décembre 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
Les Simpson,
forts en maths
Comment venir à bout des graffitis dans les toilettes
le livre
Les aventures des personnages
de Matt Groening sont truffées
de références mathématiques
improbablologie
Pierre
Barthélémy
hervé morin
U
n complot pour éduquer secrètement les spectateurs de dessins animés. » A la lecture du nouveau livre
du journaliste scientifique britannique Simon Singh, Les Mathématiques des
Simpson, David X. Cohen, un des auteurs de la
série américaine, est passé aux aveux. Dans
une vie antérieure, il a étudié la robotique et
l’informatique à Harvard et Berkeley. Comme
nombre de scénaristes des aventures de Bart,
Homer, Marge, Lisa, Maggie et des habitants
de Springfield, David Cohen est un nerd, un
passionné de sciences, et de mathématiques
en particulier. Et tout comme eux, il ne peut
s’empêcher de truffer les épisodes de références plus ou moins cryptiques à sa discipline
favorite – quand il ne fait pas de celle-ci le
moteur des rebondissements ou de l’intrigue.
L’équipe qui imagine et fabrique la série
créée en 1987 par le dessinateur Matt Groening compte en effet une concentration
impressionnante d’obsédés des chiffres,
d’anciens « mathlètes » (adeptes de tournois
mathématiques), qui ont parfois fait de la recherche académique avant de succomber aux
sirènes d’Hollywood. Simon Singh, qui s’était
illustré naguère en publiant une brillante Histoire des codes secrets, était tout indiqué pour
dévoiler l’entreprise de recérébration du grand
public menée à son insu par ces agents du soft
power américain.
Des fractales aux nombres premiers
Souvent subliminale, la présence des mathématiques dans l’univers des Simpson n’a pas
échappé aux aspirants au « nerdvana », le paradis des nerds. Des universitaires, cités par
Singh, utilisent la série pour nourrir leurs
cours. Et des fans scrutent chaque épisode, télécommande en main, pour stopper la diffusion dès que des nombres ou des indices plus
anodins apparaissent à l’écran, qui sont autant
de défis et références lancés à leur sagacité.
Pour le béotien, Simon Singh fait défiler au ralenti ces extraits, dont il expose toute la profondeur : de Pythagore à Stephen Hawking, en
passant par Fermat ou Cantor, des fractales
aux nombres premiers, sans oublier les statistiques du base-ball, un autre monde se révèle
derrière celui en 2D de Springfield.
Pourquoi ces auteurs montrent-ils un tel talent pour inventer des blagues qui marient
non-sens et condition humaine ? L’un d’eux
offre une double réponse à Singh. Ses collègues nerds brûleraient de prouver qu’ils ont
du cœur. Mais aussi, explique-t-il, parce que
« plus vous pensez à la logique, plus vous avez
du plaisir à la tordre et à la déformer. Je pense
que l’esprit logique trouve un énorme humour
dans l’illogisme ». Leur génie, c’est de savoir
glisser cette fausse logique dans des situations
compréhensibles par le grand public. On mesurera l’écart entre l’humour purement mathématique et celui, plus universel, des Simpson, grâce à une série de blagues que Simon
Singh propose en guise de test. Mais sans
doute une part de leur saveur a-t-elle été perdue lors de la traduction, qui parfois montre
quelque faiblesse – seul regret concernant un
livre qui se dévore comme un doughnut. p
« Les Mathématiques des Simpson », de Simon
Singh (Télémaque/Science & Vie, 306 p., 22 €).
Agenda
Conférence
« Ensemble, pour l’avenir des grands
singes »
Primatologue au Muséum national d’histoire
naturelle de Paris, Sabrina Krief y organise,
le 12 décembre, une conférence sur la sauvegarde et à la protection des grands singes,
dont les populations sont menacées en Asie et
en Afrique. Elle présentera notamment les résultats d’un projet de protection des chimpanzés sauvages engagé à Sebitoli, en Ouganda.
> Samedi 12 décembre, Muséum d’histoire
naturelle, entrée libre sur inscription :
mnhn.fr/avenir-des-grands-singes
RENDEZ-VOUS
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
J
adis, cette chronique s’est demandé si lire aux toilettes était
bon pour la santé. Après la question de la lecture, il fallait se
poser celle de l’écriture au petit
coin, et notamment dans les latrines
publiques, ces lieux dont les occupants prennent tellement leurs aises
qu’ils en laissent des graffitis sur les
murs. L’habitude n’est pas nouvelle
puisqu’on en a retrouvé à Pompéi et à
Herculanum, comme ce magnifique
« Apollinaris medicus Titi Imp hic cacavit bene ». Précisons, à l’intention des
non-latinistes ou de ceux qui ont calé
une armoire avec leur Gaffiot, que
ce mot n’évoque pas les aventures de
Titi et Grosminet mais signifie :
« Apollinaris, médecin de l’empereur
Titus, a ici bien chié. » Tout comme
l’appétit vient en mangeant, la scatologie vient en se soulageant…
De la même manière, il faut détromper ceux qui croiraient, en lisant le
court mot « Mentula V HS », que les
Romains avaient déjà des cassettes
vidéo. Non, cela dit simplement :
« Une bite pour 5 sesterces. » A tout
point de vue, on n’a donc rien inventé.
Il n’en reste pas moins que les graffitis déposés par les artistes de tartisses finissent par coûter fort cher en
frais de peinture et de ravalement intérieur. Il fallait par conséquent que
le Superman des temps modernes,
j’ai nommé la science improbable,
s’en mêle, en la personne de Steuart
Watson, de l’université du Mississippi, qui, à l’occasion d’une mémo-
rable étude publiée en 1996 par le
Journal of Applied Behavior Analysis,
a trouvé la solution miracle pour venir à bout des poètes et dessinateurs
de goguenots. La menace de sanctions ne donnant rien – si ce n’est un
« Il est interdit d’interdire » narquoisement tagué sous un panneau interdisant les graffitis –, ce spécialiste de
psychologie a tenté une approche
plus subtile.
Le terrain d’expérimentation
Le chercheur a pris pour terrain
d’expérimentation trois toilettes publiques pour hommes situées sur un
campus universitaire américain.
Pourquoi uniquement pour hommes
et pas aussi pour dames, diront les tenants de la parité ? Pour qui n’a jamais fréquenté les W.-C. réservés aux
membres du sexe fort, rappelons
qu’en plus de ressembler à une porcherie après l’orage, l’endroit montre
que ces messieurs sont passés champions dans l’art d’étaler bêtises, insultes et cochoncetés sur les murs, le
tout avec une maîtrise du graphisme
et de l’orthographe digne d’élèves de
CP. M. Watson a commencé son étude
en faisant repeindre les murs. Puis il
a compté à quelle vitesse les éphémères occupants des lieux les retapissaient – jusqu’à 125 caractères ou
dessins par jour.
Fort de ces statistiques, il a fait donner un nouveau coup de peinture,
mais cette fois en affichant un petit
panneau expliquant qu’un médecin
du cru avait accepté de verser une
certaine somme d’argent à une organisation caritative célèbre aux EtatsUnis – United Way of America –
« pour chaque jour où ces murs [resteraient] vierges de tout message, dessin, ou de toute autre marque. Nous
apprécions grandement votre soutien
à United Way ». Le médecin en question n’était autre que l’auteur de
l’étude. Quant à la somme, il s’agissait
de 5 cents par jour – la science est
pauvre, ou radine, ou les deux.
Puis le chercheur a attendu. Et, pendant les trois mois qu’a duré l’expérience, son « graffitogramme » est
resté désespérément plat et chaque
mur immaculé. Là où les menaces et
interdictions avaient échoué, l’appel à
la générosité et à l’altruisme avait remporté un éclatant succès. On suppose
que l’auteur s’est dit en conclusion :
« Elémentaire mon cher Watson. » p
Pluton sous
la loupe
NASA/JHUAPL/SWRI
affaire de logique
De nouvelles images spectaculaires de Pluton, prises le 14 juillet
par la sonde américaine New Horizons, viennent d’être mises en
ligne par la NASA. Ce sont les premières d’une série de photographies dont l’Agence spatiale américaine indique qu’elles offriront
la meilleure définition disponible, avec des pixels correspondant à des détails de 80 mètres.
Elles concernent une bande verticale d’environ 80 kilomètres de
large. Le cliché ci-contre présente
la frontière entre la plaine Spoutnik et une zone montagneuse
formée par de vastes amas de
glace d’eau. p
RENDEZ-VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
florence rosier
L’
Italie, bien sûr : cet accent coloré, ce goût du rire, cette élégance de l’habit et de l’esprit…
Mais aussi la Sicile, terre volcanique et stratégique, de sécession parfois. De son île natale,
Pier Vincenzo Piazza a hérité une allure et un
tempérament. Il y mêle une touche personnelle, faite d’exigence intellectuelle et d’opiniâtreté. « Pier Vincenzo Piazza a l’allure du Sud
et la rigueur du Nord », résume le professeur
Amine Benyamina, psychiatre, responsable
du Centre d’addictologie de l’hôpital PaulBrousse à Villejuif (Val-de-Marne).
Mardi 8 décembre, le professeur Piazza,
54 ans, recevait le Grand Prix Inserm 2015
« pour l’ensemble de ses recherches sur les mécanismes physiopathologiques des maladies
psychiatriques ». Le 24 novembre, l’Académie
des sciences l’honorait du prix Lamonica de
neurologie.
C’est dans la voie des addictions, et des raisons pour lesquelles certains y sont plus vulnérables que d’autres, qu’il s’est illustré. Une
voie jalonnée, depuis 1989, par six publications dans la revue Science, et quelques autres
dans PNAS et Nature Neuroscience. « Le docteur Piazza est, au plan international, un des
experts les plus reconnus de la recherche en addictologie, estime le professeur Yavin Shaham,
responsable des neurosciences comportementales du National Institute on Drug Abuse
(NIDA), à Baltimore (Etats-Unis). Ses nombreux
travaux publiés, issus de l’étude de modèles animaux, ont eu un impact notable sur l’orientation des recherches de ce domaine. » Travaux
que Pier Vincenzo Piazza résume ainsi : « Une
des principales contributions de mon groupe a
été de révéler l’existence d’une vulnérabilité biologique individuelle à la toxicomanie – il y a
vingt-cinq ans, ce concept n’était pas du tout
évident – et d’en démonter les mécanismes. »
La recherche : une évidence de toujours. « La
première fois que j’ai dit que je voulais être chercheur, j’avais 4 ou 5 ans. J’ignore d’où cela m’est
venu. » Peut-être d’un arrière-grand-père professeur de médecine et chercheur, mort quelques mois plus tôt. Pier Vincenzo Piazza a
grandi dans un environnement où la connaissance était très présente : un père architecte
ingénieur, une mère ayant fait son droit.
Après des études de médecine et de psychiatrie à Palerme, Pier Vincenzo Piazza arrive en
France en 1988, pour un postdoctorat dans le
laboratoire du professeur Michel Le Moal,
membre de l’Académie des sciences et qui sera
son mentor à Bordeaux. Michel Le Moal a dirigé en France les premiers laboratoires dévolus à des recherches sur la psychobiologie de
l’adaptation, la résilience et la vulnérabilité, et
créé la psychopathologie expérimentale « Je
devais rester six mois à Bordeaux, j’y suis toujours », dit Pier Vincenzo Piazza. Son parcours
sera fulgurant. Moins d’un an après son arrivée, il publie son premier article dans Science.
L’année suivante, il intègre l’Inserm.
Pier Vincenzo Piazza dirige aujourd’hui le
Neurocentre Magendie de l’Inserm à Bordeaux, spécialisé dans les études intégrées en
neurosciences, qui regroupe 192 personnes.
« Il est mon plus brillant élève, c’est naturellement qu’il m’a succédé à la tête de ce centre, dit
Michel Le Moal. Par nature, c’est un
entrepreneur. Il est toujours sur la crête, insatiable dans sa quête de nouveauté. »
« Ce qui caractérise le docteur Piazza, analyse
Yavin Shaham, c’est son opiniâtreté, alliée à
son indépendance d’esprit. Brillant et créatif, il
n’hésite pas à remettre en cause les dogmes et
les chercheurs influents de son domaine. » L’intéressé souligne, lui, la dimension dissidente
de la recherche, par essence. « Un chercheur
qui découvre s’oppose toujours à une vision
préexistante. Un postdoc peut découvrir qu’un
Nobel a tort ! Il faut alors rester imperméable à
la stature de ceux dont on remet en cause les
travaux. » Ce côté iconoclaste a un prix : « On le
paie, notamment la première fois qu’on va à un
congrès. »
Mais, ajoute Pier Vincenzo Piazza, ce nonconformisme doit s’accompagner d’une
grande humilité : « Il arrive qu’on se trompe. Il
faut rester ouvert aux critiques. » Un équilibre
un peu compliqué, reconnaît-il. « Un chercheur est un mélange d’explorateur immobile
et d’artiste, qui veut convaincre que sa vision du
monde est la vraie. »
L’enjeu de ses recherches ? Découvrir
pourquoi certaines personnes, après une consommation récréative de drogue, basculent
dans l’addiction et d’autres non. Si vous fumez une fois, vous avez 33 % de risque de développer une addiction au tabac. Pour la cocaïne, l’héroïne et l’alcool, ce taux est de 25 % ;
pour le cannabis, de 15 %. La consommation
de drogues est un comportement « normal » :
il est présent chez toutes les espèces, du ver de
terre aux primates, en passant par la mouche,
le poisson et les rongeurs.
Le passage vers l’addiction se fait en trois
étapes, raconte le chercheur. L’utilisation récréative est la première : 80 % des gens y sont
vulnérables. Le passage à l’abus, avec une
consommation chronique, marque la
deuxième étape : les effets indésirables (phy-
0123
Mercredi 9 décembre 2015
|7
Le camouflage
électrique
de la seiche
zoologie
nathaniel herzberg
L
Pier Vincenzo Piazza,
directeur du Neurocentre
Magendie, à Bordeaux.
RODOLPHE ESCHER POUR « LE MONDE »
Pier Vincenzo Piazza,
accro à l’addiction
| Ce neuroscientifique non conformiste reçoit
le Grand Prix Inserm pour ses travaux sur la toxicomanie
portrait
siologiques et comportementaux) de la
drogue se font sentir, mais on maîtrise sa
consommation. On bascule dans la vraie
toxicomanie quand on ne parvient plus à
contrôler sa prise de drogue : le comportement se focalise sur la quête de cette substance, quitte à payer un prix très élevé.
Ce n’est pas le même type de vulnérabilité
qui favorise le passage de la première à la
deuxième étape, puis de la deuxième à la troisième. « Le stress et les événements de vie négatifs augmentent le risque de passer à l’abus.
Chez les individus exposés au stress, le système
L’enjeu de ses recherches :
découvrir pourquoi certaines
personnes basculent dans
l’addiction et d’autres non
dopaminergique [un des circuits cérébraux de
la récompense] est hyperactif : il incite d’autant
plus à consommer une drogue. » Chez l’animal,
un stress prénatal rend l’adulte vulnérable à
l’abus de drogues.
Ensuite, c’est une « perte de la plasticité synaptique » qui explique le basculement vers
l’addiction. « Chez les animaux qui développent une addiction, les synapses sont devenues
incapables de faire de la “dépression à long
terme”. Cela se traduit par le fait que ces animaux ne parviennent plus à sortir du
comportement addictif. » Ceux qui résistent à
l’addiction, en revanche, récupèrent cette
plasticité altérée sous l’effet de la drogue.
En 2014, le groupe de Pier Vincenzo Piazza
découvre qu’une hormone produite par le cerveau, la prégnénolone – un neurostéroïde –,
constitue un mécanisme naturel de défense
contre les effets néfastes du cannabis chez
l’animal. Comment ? Elle empêche le principe
actif du cannabis, le tétrahydrocannabinol
(THC), d’activer pleinement ses récepteurs cérébraux. Un rétrocontrôle négatif, puisque
c’est le THC lui-même qui déclenche la production de prégnénolone, qui à son tour inhibe les effets du THC.
L’identification de ce mécanisme débouchera-t-il sur un traitement des addictions au
cannabis ? Pier Vincenzo Piazza a créé une
start-up à cette fin. « Nous avons développé
des dérivés de la prégnénolone stables et bien
absorbés : ils pourraient être utilisables
comme médicament. » Avec l’une de ces molécules, les tests comportementaux se sont
montrés favorables chez les rongeurs et le
singe. « Nous avons demandé à l’Agence américaine du médicament [FDA] l’autorisation de
mener des essais chez l’homme. » Si tout va
bien, ces essais pourraient démarrer au second semestre 2016 chez des volontaires
sains, dans un premier temps.
« Le docteur Piazza a probablement mis le
doigt sur un mécanisme qui pourrait révolutionner le domaine des addictions », estime le
professeur Benyamina, qui se dit « impatient » de participer aux essais cliniques évaluant cette voie.
Pour lutter contre la toxicomanie, la France
dépense 1,5 milliard d’euros, dont 19 millions
pour la recherche. Le signe, selon le docteur
Piazza, que « la toxicomanie, dans l’inconscient collectif, reste perçue comme un vice,
non comme une véritable maladie psychiatrique ». On dépense beaucoup dans la prévention, qui « ne marche pas très bien en France,
parce que nous ne sommes pas une société
normative ». Mieux vaudrait, selon lui, déplacer nos efforts de prévention vers des efforts
de détection précoce des sujets qui basculent
dans l’addiction. p
e camouflage est un art. La peau du
caméléon, les écailles du lézard des
sables, les plumes de l’engoulevent du
désert ou le pelage du lynx roux en
offrent, entre autres, de saisissants exemples.
Quant à la seiche commune, elle aurait presque sa place au musée, tant l’apparence de sa
peau peut changer en quelques secondes (motifs, couleurs, texture) et passer d’un tableau
pointilliste à un monochrome de Malevitch.
Le camouflage est aussi une science. Et là
encore, ce céphalopode habitué de nos assiettes surpasse tous ses rivaux. Une équipe de
l’université Duke, aux Etats-Unis, vient en effet de montrer comment, tel un sous-marin
militaire, il réduit sa signature électrique pour
échapper à ses prédateurs les plus redoutés :
les requins. Publié dans la revue Proceedings
of the Royal Society B, l’article offre un nouveau regard sur l’animal.
Les biologistes marins avaient déjà largement décrit ses réactions face à la menace.
Une large gamme allant de la simple fuite au
fameux jet d’encre, en passant par l’immobilité complète. C’est à cette dernière stratégie
que les chercheurs américains se sont attelés.
Attaquée par un requin, la seiche a, en effet,
peu de recours. Détaler ? Inutile, le squale la
rattrapera. Changer d’apparence ou se cacher
dans son nuage sépia ? Vain, là encore. Car
l’œil ne constitue pas le principal organe de
détection du requin. Il lui préfère les narines,
et surtout ces petits capteurs installés au
bout du museau, sensibles au champ électrique dégagé par ses proies.
Comme chez tous les êtres vivants, les
échanges ioniques dans l’organisme de la seiche, et plus particulièrement dans ses branchies, produisent de tels champs. Mais elle vit
dans l’eau salée, un excellent conducteur. Et
dispose de trois grands orifices : une bouche
constamment ouverte ; des plis cillaires, par
lesquels elle aspire l’eau ; et un entonnoir, par
lequel elle la rejette. A moins de 50 cm, elle libère donc une tension électrique que les chercheurs de Duke ont située dans une fourchette
de 10 à 30 millivolts (mV). C’est peu, mais déjà
trop : les biologistes ont installé un dipôle électrique simulant cette situation dans un aquarium et vu les requins se jeter sur le dispositif.
Seiche commune de la mer des Moluques.
DANIEL SELMECZI/STEVE BLOOM/BIOSPHOTO
« Pour éviter ce danger, la seiche a trouvé une
double parade, explique Christine Bedore, première signataire de l’article, désormais professeure à la Georgia Southern University. Elle se
statufie, réduit sa respiration. Et ferme les écoutilles. Ses huit bras forment un cône qui fait partiellement obstacle au champ électrique. » Inférieure à 6 mV, la tension échappe au radar du
requin, ont cette fois constaté les chercheurs.
Pour Ludovic Dickel, professeur d’éthologie à
l’université de Caen et spécialiste des céphalopodes, « cette étude est à la fois très belle et très
innovante : questionner ainsi la proie et le prédateur présente une grande élégance ; surtout,
l’article met en évidence un comportement
inconnu jusqu’ici. Ces animaux sont vraiment
des extraterrestres. »
Une autre planète ? « La seiche peut accomplir
des tâches qui nous sont familières, et que
l’on n’imagine pas chez un cousin de l’huître,
comme apprendre à se déplacer dans un labyrinthe, le mémoriser, note Ludovic Dickel. Mais
surtout, elle sait faire des choses dont nous
sommes incapables : modifier l’apparence de sa
peau, discerner la polarisation de la lumière, et
contrôler sa signature électrique. Il n’y a plus de
place pour l’anthropomorphisme. C’est sa façon
de voir le monde qu’il faut étudier. »
Une tâche à laquelle Christine Bedore va elle
aussi s’atteler. Sans abandonner tout à fait sa
passion d’origine, les requins. « Mais je crois
que leurs proies vont m’occuper un moment…
Disons une bonne partie de ma vie. » p
8|
0123
Mercredi 9 décembre 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
Une antenne-relais qui suit l’utilisateur
La norme 4G de téléphonie ne s’est
pas encore répandue partout que déjà
les opérateurs envisagent la norme
suivante. Orange a ainsi présenté,
le 1er décembre, lors de son Salon
annuel de la recherche, une nouvelle
antenne dont l’émission se concentre
précisément sur le téléphone de
l’utilisateur, au lieu de rayonner dans
tout l’espace comme aujourd’hui. Ce
faisant, la consommation d’énergie
espérée pourrait être jusqu’à deux
fois moindre qu’à l’heure actuelle.
« C’est comme éviter de monter le
volume d’un haut-parleur pour se faire
entendre », explique Dinh-Thuy Phan
Huy, ingénieur chez Orange Labs
à Issy-les-Moulineaux.
Le prototype a été développé par
l’Institut d’électronique et de
télécommunications de Rennes,
Télécom Bretagne, Thales, deux
universités suédoises, l’entreprise
Time Reversal Communications et
l’Institut Langevin, à Paris. C’est de ce
dernier laboratoire qu’est venue l’idée
originelle, le retournement temporel.
Démontré au début des années 1990
sur les ultrasons, puis le son, pour
améliorer les communications
ou l’imagerie, il fonctionne aussi
avec les ondes électromagnétiques,
à condition de disposer d’une
électronique mille fois plus rapide.
Il permet de renvoyer un signal
exactement sur l’endroit d’où il est
parti. Le système, protégé par
quatorze brevets, fonctionne
pour l’instant en intérieur, mais
Orange entend poursuivre les
développements pour l’extérieur. p
david larousserie
2 Enregistrement des signaux
Impulsion
« d’apprentissage »
par plusieurs antennes
A
1
A
B
B
C
Téléphone
C
D
D
Temps
Le principe
Le parcours mouvementé d’une onde – réflexions,
réverbérations, écho – est enregistré par plusieurs
antennes. Puis ces signaux, mêlés au message, sont
« réémis » à l’envers en commençant par les derniers
reçus. Les équations de propagation des ondes font
que le rayonnement résultant se concentre autour
du point d’émission.
Antenne-relais
Panneau de réception
constitué de plusieurs
antennes
Retournement des signaux
3
A
B
4
C
Téléphone
D
Emission du message
mélangé avec
les signaux retournés
Antenne
réceptrice
Antenne
Antenne
émettrice
Pour les véhicules
Afin de tenir compte des déplacements rapides
de voitures ou de trains, les ingénieurs doivent ajouter
une seconde antenne derrière la première afin que
la focalisation se fasse sur elle et assure une bonne
transmission.
Déplacement
de la voiture
INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER
SOURCES : ORANGE; INSTITUT LANGEVIN
Pour l’historien du climat Emmanuel Garnier, les catastrophes dues à des phénomènes climatiques
ont toujours été intimement liées à des causes anthropiques
Réchauffement : apprendre du passé pour mieux s’adapter
|
C
es dernières années, le terme « adaptation » fait florès, et il suffit d’écouter les
médias et les décideurs pour se convaincre de son caractère désormais
prioritaire. Pour autant, s’agit-il d’une
totale nouveauté ? Bien qu’il s’agisse
d’un terme anachronique, l’historien observe plusieurs siècles d’exemples d’adaptation qui prouvent
que les sociétés anciennes, confrontées à des « dérangements » ou encore des « monstruosités » du
temps, ne se cantonnèrent pas à un comportement
fataliste hérité du providentialisme.
Le disciple de Clio (muse de l’Histoire) constate
également qu’il y a rarement monocausalité. Si le
facteur climatique joue un rôle dans une catastrophe, c’est toujours conjugué à d’autres causes, le plus
souvent anthropiques comme les conflits, la spéculation sur les marchés, les tensions politiques ou
encore les aménagements aberrants des territoires.
Lorsque les Vikings colonisent l’Islande et le
Groenland à dater du Xe siècle, ils ne font que profiter opportunément du petit optimum thermique
médiéval qui libère les routes maritimes de l’Arctique. Et les coups de boutoir du petit âge glaciaire
conduisent à l’abandon, au XIVe siècle, des colonies
scandinaves désormais incapables de faire face à la
disparition des pâturages et à la fermeture des
détroits septentrionaux. Il faudra attendre le
XVIIIe siècle et son relatif « attiédissement » pour
voir à nouveau débarquer des colons.
D’une actualité brûlante pour une Europe confrontée à l’arrivée massive de réfugiés, l’exemple de
l’expulsion des musulmans d’Espagne par Philippe III en 1609 prouve la complexité des mécanismes de migrations massives. Contre toute attente, le
roi Très-Chrétien Henri IV les accueille en recommandant, par l’ordonnance de février 1610, « qu’il
soit usé en leur endroit d’humanité pour les recueillir
en ses pays et estats ». Les choses se gâtent néanmoins avec l’arrivée de dizaines de milliers de nouveaux exilés, dans un très mauvais état sanitaire,
qui provoquent la saturation des hôpitaux et l’apparition d’épidémies.
C’est dans ce contexte social et religieux explosif
que survient un cycle de sécheresses d’une gravité
exceptionnelle au cours des années 1611-1614. En
dépit des processions pro pluvia, rien n’y fait, l’aridité persiste, et l’on ne tarde pas à incriminer les
« morisques ». Soumises à la pression de la populace, les autorités décident à leur tour de les exiler
depuis Agde et Sète en direction de l’Afrique du
Nord où, si l’on excepte le dey de Tunis, ils seront
très mal accueillis ou même victimes des corsaires
barbaresques.
tribune
|
Pour trouver des exemples plus positifs d’adaptation, il convient de changer d’échelle spatiale et de
se tourner vers le terrain local, qui offre pléthore
d’exemples. La plupart d’entre eux procèdent d’une
réaction à des catastrophes vécues qui conduisent
les communautés à faire preuve d’une étonnante
résilience fondée sur des réflexes collectifs et individuels allant de l’alerte sonore (clochers et sirènes) et
de la mise en sécurité quasi immédiate des personnes dans des secteurs « insubmersibles de mémoire
d’hommes » à la création de paysages plus durables
comme le bocage ou les zones humides.
Un programme de recherche européen sur les risques de submersion, RISC-Kit, pour lequel l’expertise historique est jugée primordiale, révèle ainsi la
création de paysages littoraux européens adaptés
aux risques. En construisant des espaces constitués
d’épis à même d’engraisser les plages menacées par
l’érosion, de zones humides pâturées, d’écluses à
« Au cours des années 1611-1614, c’est dans
un contexte social et religieux explosif
que survient un cycle de sécheresses
d’une gravité exceptionnelle.
En dépit des processions “pro pluvia”,
rien n’y fait, l’aridité persiste, et l’on ne
tarde pas à incriminer les “morisques” »
poissons faisant aussi office d’ouvrages de défense
contre la houle, et enfin de noyaux urbains et villageois installés sur des sites élevés et éloignés du trait
de côte, nos devanciers offrent une preuve supplémentaire de cette aptitude historique à l’adaptation.
Peut-on également imaginer que, dans les années
1780, le libraire Hardy écrive dans son journal que les
Parisiens ont coutume d’observer l’échelle de crues
du pont de la Tournelle, sur laquelle sont reportés les
niveaux maximaux de la Seine depuis le XVIIe siècle ?
En fonction de ces observations, ils décident de s’installer à l’étage avec des vivres ou d’évacuer leurs logis.
A Toulouse, au XVIIIe siècle, les habitants des quartiers exposés aux inondations de la Garonne savent
qu’ils doivent atteindre la rue des Couteliers pour
leur sauvegarde. Là, les établissements religieux ont
obligation de les accueillir et de les nourrir. Et afin
que tous se souviennent de ces événements, des
ex-voto commémoratifs étaient déposés à l’église
Notre-Dame de la Dalbade, qui en conserve encore
aujourd’hui un nombre impressionnant.
Pour autant, les archives doivent-elles seulement
raconter des histoires qui seraient autant d’ornements de la cause climatique ? Ce serait réserver à
Clio un sort bien dévalorisant au regard de tous les
horizons qu’elle peut ouvrir en matière d’adaptation opérationnelle. En premier lieu, elle doit participer au combat contre le « dogme de l’inédit », qui
tend à expliquer nos catastrophes récentes par le
seul changement climatique. Approche perverse s’il
en est puisqu’elle implique une causalité certaine
entre l’un et l’autre et, par là même, une forme d’instrumentalisation occultant des décennies d’aménagements insensés à l’origine de la vulnérabilité de
nos territoires et de leurs habitants. Le paradoxe
veut que plus de vingt ans de gouvernance climatique mondiale aient souvent abouti à des processus
de déconstruction des paysages durables.
Comme l’avait déjà montré en 2010 un rapport historique rendu aux commissions d’enquêtes parlementaire et sénatoriale sur la catastrophe Xynthia et
resté lettre morte depuis, les archives auraient permis de renforcer la résilience des populations exposées en livrant de précieux retours d’expériences. Le
premier d’entre eux concerne les systèmes d’alertes
communautaires anciens qui tranchent avec la vision pyramidale des procédures actuelles, entièrement fondées sur des réseaux de transmission vulnérables. Enfin, l’observation du cadastre napoléonien des communes touchées le 5 octobre 2015
aurait montré que les prés et pâtures, non cultivées
et inhabitées au XIXe siècle, correspondaient aux
limites des zones inondables, celles-là mêmes qui
furent en partie urbanisées à dater des années 1980.
A l’instar de ce qui se pratique en Allemagne ou au
Royaume-Uni, des repères de crues historiques
sanctuarisés par la loi et de taille imposante
auraient sans doute dissuadé élus et promoteurs d’y
bâtir. Dans cette perspective, quasi prophétique est
la déclaration de l’expert du cadastre quand il écrit
en 1811, à propos de Mandelieu, que « son territoire
est fréquemment submergé par les eaux de la Siagne
et par celles des torrents qui descendent des montagnes et qui les couvrent presque entièrement pendant
plusieurs mois de l’année… ». p
Le supplément « Science & médecine » publie
chaque semaine une tribune libre ouverte au
monde de la recherche. Si vous souhaitez
soumettre un texte, prière de l’adresser à
[email protected]
¶
Emmanuel Garnier,
membre senior de
l’Institut universitaire
de France, directeur
de recherche CNRS,
historien du climat
et des risques au
laboratoire Littoral,
environnement et
sociétés (LIENSs,
CNRS/université
de La Rochelle).
OFFRES
D’EMPLOI
PAGES 8 À 10
Dix ans après son entrée en Bourse,
EDF est banni du CAC 40
Pas de taxe sur
les transactions
financières
à Noël
▶ L’électricien va être remplacé par Klépierre au sein de l’indice phare de la place de Paris. Un désaveu pour l’Etat
bruxelles - bureau européen
L
a rumeur courait depuis plusieurs
semaines, c’est désormais chose
faite : EDF va être exclu du CAC 40.
Après s’être réuni dans le plus grand secret, lundi 7 décembre, le conseil scientifique des indices, structure indépendante d’Euronext, a annoncé que le premier électricien mondial ne ferait plus
partie de l’indice phare de la place de Paris à partir du lundi 21 décembre.
Dix ans après son entrée en Bourse, le
21 novembre 2005, et au terme d’un parcours boursier en dents de scie, EDF va
céder sa place à la foncière Klépierre,
dont la capitalisation n’est pourtant que
de 13,2 milliards d’euros, contre 24,7 mil-
liards pour EDF. La dernière « révolution » dans le CAC 40 était intervenue en
mars, quand PSA Peugeot Citroën avait
remplacé le spécialiste français de la sécurité numérique, Gemalto. C’est un
coup très dur pour Jean-Bernard Lévy, arrivé il y a tout juste un an à la présidence
d’EDF. La réaction des dirigeants du
groupe a été lapidaire. Dans un communiqué, ils rappellent que l’entreprise reste
« la 22e capitalisation boursière en
France », mais qu’elle ne dispose « que
d’un flottant limité à 15 %, ce qui explique
la décision d’Euronext ».
jean-michel bezat
→ LIR E L A S U IT E PAGE 4
France Télévisions :
Michel Field, patron
de l’information
▶ L’actuel directeur
de France 5
remplace Pascal
Golomer à la tête
de l’information
de l’entreprise
publique
▶ Le journaliste
va piloter la fusion
des rédactions
et le lancement
de la chaîne d’info
en continu
N’
en déplaise à Nicolas
Hulot, qui jugeait encore l’outil « indispensable » dans une interview au
Nouvelobs.fr, lundi 7 décembre, il
n’y aura pas de taxe sur les transactions financières (TTF) sous le
sapin, contrairement à la promesse faite par Paris et Bruxelles
début 2015. Et Paris ne pourra pas
s’en prévaloir, en pleine négociation sur la COP21.
Un accord « politique » devait
certes être signé « à l’arraché » à
Bruxelles, mardi 8 décembre au
matin, après une énième réunion, la veille au soir, entre les
ministres des finances des onze
pays européens concernés par ce
projet d’impôt applicable uniquement aux établissements financiers (pas aux particuliers ni
aux entreprises). Le président
Hollande avait dit vouloir affecter ses recettes au développement et à la lutte contre le changement climatique.
Mais les grands argentiers allemand, français, espagnol, portugais, italien ou encore belge ne se
sont entendus que sur des « grandes lignes » dont ils discutent depuis déjà des mois : une « assiette
de l’impôt » très large (actions,
obligations, dérivés) et des
exemptions possibles.
cécile ducourtieux
→ LIR E L A S U IT E PAGE 4
0,1 %
→ LIR E PAGE 1 1
TRISTAN PAVIOT/FTV
LA PART DES ACTIONS
ET OBLIGATIONS IMPOSÉE
DANS LE PROJET DE TAXE SUR
LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES
PLEIN CADRE
LE SPLEEN
DES AGENCES
BANCAIRES
→ LIR E
PAGE 2
CONCURRENCE
LES ÉTATS-UNIS
METTENT UN FREIN
AUX GRANDES FUSIONS
→ LIR E
PAGE 3
J CAC 40 | 4 726 PTS – 0,60%
J DOW JONES | 17 730 PTS – 0,66%
J EURO-DOLLAR | 1,0872
J PÉTROLE | 41,05 $ LE BARIL
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,90 %
VALEURS AU 08/12 – 9 H 30
PERTES & PROFITS | EDF – KLÉPIERRE
Transition énergético-commerciale
L
e contraste est évidemment saisissant.
Le géant EDF, près de 73 milliards
d’euros de chiffre d’affaires,
160 000 employés, sorti du ring par le
petit Klépierre, 900 millions d’euros d’activité
et moins de 1 200 employés. Les centrales nucléaires terrassées par des centres commerciaux, presque cent fois plus petits. Certes, le
CAC40 n’est pas un concours de beauté. Il
n’empêche, le symbole parle de lui-même.
Dans la France d’aujourd’hui, l’immobilier rapporte plus que l’énergie.
Il faut dire que le profil d’EDF a tout ce qu’il
faut pour effrayer les investisseurs. Une entreprise certes très puissante, mais extrêmement
endettée, alors qu’elle fait face à un mur d’investissement pour rénover ses centrales
(50 milliards d’euros) et en construire de nouvelles (jusqu’à 200 milliards d’euros) dans les
vingt ans qui viennent.
Lassitude des investisseurs
De plus, sa marge de manœuvre est très contrainte par l’Etat, qui rogne ou refuse régulièrement les hausses de tarifs qu’elle propose. Enfin, la part de flottant dans le capital, c’est-à-dire
les actions susceptibles d’être achetées par le
public, est très faible. Moins de 15 % du capital.
L’introduction en Bourse en 2005 avait permis à l’entreprise de lever 7 milliards d’euros.
Une somme consacrée, déjà, au désendettement et au renforcement des fonds propres.
On ne peut pas franchement dire que l’opération a été une réussite. La dette, jugée insup-
Cahier du « Monde » No 22051 daté Mercredi 9 décembre 2015 - Ne peut être vendu séparément
portable en 2005, est passée de 20 milliards à
l’époque à plus de 37 aujourd’hui. La crise économique, Fukushima et les dérapages de l’EPR
sont passés par là.
Pas étonnant, donc, que les investisseurs se
lassent. D’autant que les analystes anticipent
une baisse des dividendes, dont l’Etat sera la
première victime. Si les responsabilités sont
partagées entre l’Etat et l’entreprise, l’échec est
patent. La forte croissance du groupe, avec un
chiffre d’affaires augmenté de 55 % en dix ans,
n’a pas été maîtrisée.
En face, la petite Klépierre surfe sur la bonne
santé des centres commerciaux en Europe. Un
concept résistant à la crise. Son métier consiste
à financer la construction d’installations ou à
en acheter des existantes, et à se rémunérer sur
les loyers des marchands. Un métier de rentier
encadré lui aussi par l’Etat, avec le statut avantageux des sociétés d’investissement immobilier
cotées (SIIC), exonérées d’impôt sur les revenus
pour peu qu’elles reversent 85 % des loyers à
leurs actionnaires.
Les esprits chagrins noteront que, désormais,
le panthéon de la Bourse de Paris, le CAC40,
abrite deux sociétés de ce type, Unibail-Rodamco et Klépierre, rois des centres commerciaux en Europe, et plus qu’un seul fournisseur
d’électricité, Engie, lui aussi en petite forme. On
se souvient que Napoléon, plein de mépris,
avait traité, au début du XIXe siècle, la GrandeBretagne de « nation de boutiquiers ». Que dirait-il aujourd’hui de la France ? p
philippe escande
CLIMAT L’URGENCE
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0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Une agence du groupe
Crédit mutuel.
JEAN-CLAUDE MOSCHETTI/REA
Rendez-vous raté
avec le banquier
au sein du Syndicat national de la banque
et du crédit.
A Crépy-en-Valois (Oise, 15 000 habitants), onze agences se succèdent sur
500 mètres. « Ce ne sont pas elles qui font
du lien social. Beaucoup d’habitants préféreraient voir des commerces locaux », estime le maire, Bruno Fortier (divers). Il y a
quelques années, une douzième banque a
voulu venir, profitant du départ en retraite d’un photographe installé sur la
place du village. « On a eu la peur de notre
vie. La banque lui a fait des ponts d’or pour
reprendre son emplacement. On a tout fait
pour avertir les autres commerçants intéressés, afin qu’ils augmentent leur offre
d’achat ; on a demandé au photographe de
faire un effort et de baisser son prix. » Finalement, c’est une agence immobilière qui
a repris l’emplacement. p
produit (assurance-vie, crédit immobilier…).
« Les clients souhaitent davantage être assistés
que conseillés. Ils sont arrogants, exigeants et
ne pardonnent aucun écart dans le service ! »,
désespère un employé dans le cadre d’un sondage Opinion Way effectué pour Kea & Partners le 24 novembre, auprès de 820 salariés
du secteur. Pour 47 % des personnes interrogées, la relation avec le client s’est détériorée
ces dernières années. Plus de la moitié des
employés sondés ont peur du nouvel environnement auquel est confrontée leur banque. Ils craignent de perdre leur emploi, d’être
dépassés et inutiles, et se plaignent de la pression commerciale de la hiérarchie.
Si le digital a réduit la paperasserie et la
charge administrative des conseillers, il a
aussi accentué l’exigence de rapidité des
clients et l’impression de lenteur de l’agence.
« Le client vous envoie un mail, une heure après
il téléphone pour dire : “Vous avez bien reçu
mon mail ?” Pour peu qu’il l’envoie le samedi,
l’agence est fermée le lundi, mardi il vous reproche de ne pas avoir répondu en disant : “Je vous
ai écrit il y a trois jours” », dit Jean-Marc Weckner, délégué syndical à la Banque populaire.
Une impatience nourrie par la répartition
des rôles entre Web et agences physiques. Aux
applications sur smartphones, la gestion quotidienne des comptes ; aux agences, le traitement des demandes complexes, « qui donnent lieu à une suite d’allers-retours entre le
client et les front-office et back-office », observe
M. Reinaud, du BCG. Les banques veulent, à
terme, numériser aussi les produits plus complexes. Les clients de la Société générale pourront bientôt souscrire un crédit à la consommation « entièrement online », se félicite Laurent Goutard, directeur de la banque de détail
en France. Objectif : que cela soit possible
pour tous les produits en 2020.
Que restera-t-il, alors, des bonnes vieilles
agences ? Pas grand-chose. Des centres mutualisés, comme l’explique un directeur de réseau : « Si je ne vais plus qu’une fois par trimestre dans mon agence, je suis prêt à faire 500
mètres de plus en ville, 5 kilomètres en province. » Un moyen pour les établissements de
faire baisser les coûts d’immobilier et de personnel. Car, lors d’une fusion, la somme du
nombre d’employés n’est pas toujours mathématique. Plusieurs responsables citent la formule « 4 + 4 donne 6 ».
Ces futures « super-agences », les banques
espèrent en faire des « flagships », des vitrines
rassurantes pour les clients. Les passants qui
descendent l’avenue des Champs-Elysées
voient « que l’agence Société générale est
neuve, belle, grande, il y a des couleurs, il y a
quatre distributeurs dehors. Elle n’a pas fermé
les robinets », affirme Idris Hedaraly.
Le 25 novembre, LCL a inauguré en grande
pompe le « 19 LCL », fruit de la rénovation de
son siège boulevard des Italiens, à 300 mètres
du « 2 Opéra » de BNP. Enthousiaste, le directeur de l’agence, Pierre-Paul Cochet, espère
que des clients des petites agences LCL du
quartier voudront transférer leurs comptes
dans le nouveau « flagship », « plus cool ».
Leurs conseillers n’ont plus qu’à suivre. p
j. g. e.
jade grandin de l'eprevier
Aujourd’hui, plus besoin de se déplacer pour faire
un virement, déposer ses chèques, gérer
ses placements… Résultat, les banques ferment
des agences et les conseillers sont désœuvrés
C’
est une petite agence bancaire, sur une rue parisienne très commerçante. Ce vendredi de
mauvais temps, la porte
ne cesse de s’ouvrir et de
se refermer. Dans l’étroit sas aux murs beiges
se serrent cinq personnes devant des automates. Ils attendent pour retirer des espèces,
déposer un chèque, imprimer leur relevé de
compte… Derrière eux, Julie (son prénom a
été changé) attend aussi. Elle est chargée d’accueil. Assise à un grand comptoir, elle fait
tourner son stylo entre ses doigts. « Bien sûr
qu’on entend des bruits comme quoi il y a de
moins en moins besoin de nous », confie-t-elle.
Demander un renseignement, discuter
avec un conseiller, encaisser des chèques : les
Français n’ont plus le réflexe de se rendre en
agence. En 2010, ils étaient 52 % à y aller plusieurs fois par mois. Ils ne sont plus que 21 %
en 2015, d’après l’observatoire annuel de la
Fédération bancaire française. « Dans les années 1970, l’agence était le lieu unique où le
client faisait toutes ses transactions et venait
demander du conseil », dit Axel Reinaud, associé au cabinet Boston Consulting Group
(BCG).
Progressivement, les banques ont habitué
les clients à faire leurs transactions à l’extérieur. Sur les automates, d’abord. Les Français jouissent d’un parc de 58 640 distributeurs, – dans la moyenne européenne –, qui a
doublé en dix ans. « On a mis les clients dehors ! », tempête Sébastien Busiris, secrétaire
général de FO-Banques. Une manière, certains rétorqueront, de satisfaire les attentes.
Les banques investissent dans des espaces libre-service où des automates sont accessibles 7 jours sur 7. La Société générale veut en
créer 550, pour qu’une agence sur trois en
dispose d’ici à 2020.
A cela est venue s’ajouter la révolution de la
gestion de comptes sur Internet, puis sur
smartphone. Conséquence : « Alors que le
nombre de transactions a explosé, les déplacements en agence ont diminué », constate Axel
Reinaud.
Dès lors, les 37 623 agences que comptait la
France fin 2014 sont-elles toujours pertinentes ? Pas vraiment, si l’on en croit le mouvement de fermetures amorcé depuis quelques
années. En 2015, le Crédit agricole a fermé 50
de ses 325 agences en Ile-de-France. BNP a réduit son réseau de plus de 10 % depuis 2012, de
sources syndicales. La Société générale va fermer 400 agences d’ici à 2020, réduisant son
réseau en moyenne de 20 % – cette part
monte à 25 % dans les grands centres urbains.
Premiers affectés, les chargés d’accueil – qui
aident les clients pour leurs opérations simples – sont en voie de disparition. Il n’y en a
déjà plus dans la moitié des agences LCL, qui
veut encore en diminuer le nombre d’ici à
2018 grâce aux départs à la retraite et aux promotions internes. Désormais, les employés
des agences se partagent l’accueil.
EXIGENCE DE RAPIDITÉ
PRÈS D’UN TIERS
DES FRANÇAIS
ESTIMENT EN SAVOIR
PLUS QUE
LEUR RESPONSABLE
DE COMPTE
SUR LA GESTION
DE LEUR BUDGET
Même les conseillers, plus qualifiés, sont mis
au défi. Selon une étude du cabinet Deloitte,
près d’un tiers des Français estiment en savoir
plus que leur responsable de compte sur la
gestion de leur budget. Le nombre de rendezvous physiques avec les conseillers chute de
« 10 % sur une année pour certains réseaux »,
note Xavier Guizien, associé chez Exton Consulting. A la Société générale des Champs-Elysées, le directeur, Idris Hedaraly, constate
« depuis trois ans une fréquentation en baisse
de 15 % à 20 % de la clientèle haut de gamme,
liée à l’utilisation des nouveaux outils digitaux.
(…) Avant, les clients prenaient d’abord un rendez-vous pour s’informer, maintenant on
passe directement à celui de confirmation puis
de concrétisation ». Les conseillers doivent
donc monter en gamme et se spécialiser par
Malgré la désaffection, les agences rurales restent ouvertes
en milieu rural, les banques maintiennent leur réseau, malgré la baisse de fréquentation. Car des clients qui se retrouveraient soudain contraints de faire 15 minutes de voiture pour se rendre dans leur
agence pourraient être tentés de changer
de banque. « C’est un compromis : la banque garde un local, en sachant que l’agence
sera vide la majorité du temps », confie un
expert préférant rester anonyme.
A Nay (Pyrénées-Atlantiques), village de
3 500 habitants, on trouve sept agences
bancaires dans un rayon de moins de 500
mètres. « Même des banques espagnoles
ont voulu s’installer », raconte le maire,
Guy Chabrout (PRG), qui s’en félicite. « Cela
participe à la dynamique commerciale. Les
gens qui viennent à la banque se garent et
continuent sur place. Mieux vaut avoir une
banque qu’un magasin fermé. »
Du coup, les conseillers peuvent couvrir
deux voire trois agences, ouvertes seulement certains jours, sur rendez-vous. Les
conseillers inoccupés peuvent aussi traiter des activités de back-office, de centres
d’appel. Ainsi, « les agences rurales ne sont
pas nécessairement les moins rentables. Elles peuvent fonctionner sur des formats allégés et drainent des clients sur des kilomètres à la ronde », souligne Axel Reinaud, associé au cabinet de conseil Boston Consulting Group.
Onze agences sur 500 mètres
Certains formats sont moins concluants.
En Alsace, des Banques populaires viennent de rouvrir l’accueil en après-midi,
qu’elles avaient supprimé en 2014. « Imaginez une grille fermée et derrière, vous
voyez des conseillers qui travaillent. Forcément, vous sonnez, et ils viennent », explique Jean-Marc Weckner, délégué national
économie & entreprise | 3
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Méga-fusions : les Etats-Unis durcissent le ton
Les rapprochements de Staples avec Office Depot et d’Electrolux avec General Electric ont été rejetés
C’
est un avertissement pour tous les
groupes, de plus en
plus nombreux, qui
veulent acheter un de leurs
grands rivaux pour dominer leur
marché. Deux énormes fusions
ont été remises en cause, lundi
7 décembre, en raison de l’opposition des autorités américaines
chargées de veiller au respect de la
concurrence.
Quinze mois après avoir signé la
vente de ses activités dans l’électroménager à Electrolux, General
Electric (GE) a renoncé à cette
transaction de 3,3 milliards de
dollars (3 milliards d’euros). Le
même sort se profile pour la fusion entre les deux poids lourds
de la distribution d’articles de bureau – Staples et Office Depot –,
annoncée il y a neuf mois. L’autorité américaine de la concurrence,
la Federal Trade Commission
(FTC), rejette l’opération. Pour elle,
ce projet de plus de 6,3 milliards
de dollars « viole les lois antitrust
des Etats-Unis en réduisant de façon importante la concurrence sur
le marché national des articles de
bureau vendus aux entreprises ».
En conséquence, le régulateur a
saisi la justice.
Pendant les années Bush, les
autorités chargées de surveiller la
compétition entre les entreprises
ne s’étaient pas montrées particulièrement sévères. Mais devant
l’accélération du bal des fusions
et acquisitions, l’administration
Obama a décidé de durcir le ton.
« Nous avons répondu à l’accroissement [de ces opérations] par des
efforts vigoureux pour protéger la
concurrence dans de nombreux
domaines », expliquait ainsi, au
printemps, le ministère de la justice. La FTC, de son côté, est devenue particulièrement vigilante à
l’égard des concentrations dans la
« Nous
engageons un
effort vigoureux
pour protéger
la concurrence »
MINISTÈRE AMÉRICAIN
DE LA JUSTICE
santé, « compte tenu des coûts élevés de ce secteur, un sujet de préoccupation important pour la plupart des Américains ».
Aux Etats-Unis, globalement, les
autorités prennent désormais davantage de temps pour passer les
dossiers au crible. Certes, dans
96 % des cas, les transactions qui
leur sont soumises ne posent pas
de problème. Mais elles émettent
des réserves dans une vingtaine
d’affaires par an. Et elles n’hésitent pas à bloquer des projets
spectaculaires.
Position ultra-dominante
En avril, le câblo-opérateur Comcast a dû ainsi faire une croix sur
l’achat de Time Warner Cable, un
accord à 45 milliards de dollars,
tandis que les fabricants d’équipements pour semi-conducteurs
Applied Materials et Tokyo Electron devaient, eux aussi, renoncer
à fusionner.
Le mois suivant, les groupes de
distribution alimentaire US
Foods et Sysco ont été contraints
d’annuler leur alliance. Enfin, le
4 décembre, le ministère de la justice s’est également opposé à la
fusion de Bumble Bee Seafoods
avec la société thaïlandaise Thai
Union Frozen, qui devait donner
naissance au premier groupe
mondial de conserves de thon et
autres produits de la mer.
Alstom-GE : le détail des postes promis
General Electric (GE) a annoncé, lundi 7 décembre, la répartition
des 1 000 emplois nets, entre Paris et Belfort, que le groupe américain a promis dans le cadre du rachat des activités énergie
d’Alstom pour 12 milliards d’euros. Dans la capitale, il va créer un
centre d’innovation dans les logiciels employant, dans un premier temps, 250 personnes. Un « centre d’excellence de services
partagés », chargé de gérer les services communs des entités
françaises de GE, emploiera 200 personnes à Belfort et à Paris.
Quelque 310 postes « hautement qualifiés », principalement à
Belfort, accompagneront l’extension de ses activités de fabrication en France et de composants. Enfin, 240 emplois seront créés
par le biais des « programmes de leadership » de GE pour former
ses futurs dirigeants. « L’accord avec l’Etat prévoit qu’il y aura approximativement 15 000 salariés d’ici à trois ans », a indiqué Mark
Hutchinson, PDG de GE Europe.
GE, présent sur le marché de l’électroménager depuis plus d’un siècle, cherche un acquéreur pour ses usines. JIM YOUNG/REUTERS
Le cas d’Electrolux et de GE est
éloquent. Le conglomérat américain semble avoir bien encaissé
l’échec – l’action de l’entreprise
abandonnait moins de 1 %, lundi,
à Wall Street. En plein recentrage,
le géant entend trouver sans trop
tarder un autre acquéreur pour
ses usines de réfrigérateurs, de
cuisinières, de lave-linge, ou encore de climatiseurs. C’est un secteur sur lequel il est actif depuis
plus d’un siècle, et où il emploie
encore 12 000 personnes, mais
qui ne pèse toutefois que 4 % de
son chiffre d’affaires.
L’abandon du projet a, en revanche, fait plonger le titre Electrolux
de 13 % en Bourse. Aux yeux des
investisseurs, c’est un échec majeur pour le groupe suédois, numéro un européen. En dévoilant
l’accord en septembre 2014, son
patron, Keith McLoughlin,
n’avait-il pas parlé d’un « moment
historique », d’une « occasion sans
pareil » ? Qui plus est, GE réclame
désormais à Electrolux une indemnité de résiliation de 175 millions de dollars…
Ces derniers mois, les deux entreprises ont tout fait pour arracher le feu vert des autorités américaines. Mais celles-ci redoutaient la constitution d’un duopole. Aux Etats-Unis, Electrolux
talonne actuellement Whirlpool,
le leader du secteur, tandis que GE
se situe au troisième rang. La
vente envisagée aurait placé
Whirlpool et le nouvel ensemble
dans une position ultra-dominante. Pour les fours et les plaques
de cuisson, ils auraient par exemple contrôlé à eux deux près de
90 % du marché professionnel.
Dans ces conditions, le risque
paraissait élevé que le duo profite
de sa nouvelle puissance pour imposer des hausses de prix. En
juillet, le ministère américain de
la justice a demandé à la justice fédérale de bloquer l’opération.
Electrolux a contre-attaqué en
assurant que le rapprochement allait lui donner davantage de mordant grâce aux économies
d’échelle prévues, donc stimuler la
concurrence. « L’industrie de l’électroménager est plus compétitive
L’abandon du
projet d’achat de
l’électroménager
de GE a fait
plonger le titre
Electrolux de
13 % en Bourse
que jamais », a plaidé M. McLoughlin. Selon lui, la pression sur les
prix y est vive, avec l’essor de marques sud-coréennes comme Samsung et LG Electronics ou celui du
chinois Haier. Internet permet par
ailleurs à chacun d’accéder à des
offres très variées. L’industriel
suédois a également proposé de
céder une série d’actifs à un troisième larron qui aurait pu animer
la concurrence.
Ces arguments n’ont pas suffi.
Les propositions d’Electrolux ont
été jugées très éloignées de ce qui
était nécessaire. « Nous sommes
sur Terre et ils sont sur Mars ! », ré-
sumait, en novembre, Ethan Glass,
un des juristes représentant l’Etat
américain. De son côté, la société
suédoise a été estomaquée par les
demandes de l’administration :
pour obtenir son sésame, elle
aurait dû commencer par vendre
toutes ses activités américaines…
Le procès a démarré début novembre. Ces derniers jours, Electrolux gardait encore espoir, et
n’excluait pas un accord amiable.
Mais lundi, GE a stoppé les frais.
Le groupe a officialisé l’abandon
de la vente, au grand dam de son
partenaire… et à la grande satisfaction du ministère de la justice.
« Devant la cour, seuls comptent
les faits, pas les effets de rhétorique, a commenté, cinglant, un de
ses représentants. Cet accord était
mauvais pour les millions de consommateurs qui achètent chaque
année des appareils de cuisson.
Electrolux et GE ne pouvaient pas
contourner cette réalité au procès. » Message transmis à tous
ceux tentés de miser sur l’indulgence du jury… p
denis cosnard
La reprise des hostilités dans le café met la pression sur Nestlé
Le holding d’investissement JAB, propriétaire de Maison du café, déboursera 13,9 milliards de dollars pour l’américain Keurig Green Mountain
A
peine le secteur de la
bière a-t-il fini de mousser que celui du café se
met à fumer. Le marché de
l’agroalimentaire est, à nouveau,
bousculé par les grandes
manœuvres d’investisseurs aux
appétits féroces. Cette fois, c’est la
famille d’origine allemande Reimann qui joue des coudes pour
s’imposer dans le commerce
mondial du petit noir. Sa holding
d’investissement, JAB, a annoncé,
lundi 7 décembre, l’acquisition du
spécialiste américain du café en
dosettes, la société Keurig Green
Mountain. Pour s’en emparer, il
est prêt à débourser 13,9 milliards
de dollars (12,8 milliards d’euros)
en cash. Le prix fixé à 92 dollars
par action offre aux actionnaires
une prime de 78 % par rapport à la
dernière cotation de Keurig, vendredi 4 décembre. Un ratio rarement atteint.
Mais la proposition, mirifique
de prime abord, doit être relativi-
sée. La société a vu son action chuter cette année après avoir publié
des résultats mitigés. Les prix de
ses machines à café et de ses dosettes, connues sous le nom de KCup, sont sous la pression de la
concurrence. En outre, la sortie de
sa machine de fabrication de sodas à domicile a été moins réussie
qu’anticipé. Il s’agit d’une extension de son système, fondé sur le
couplage d’une machine et de ses
propres dosettes – comparable à
celui de Nespresso –, au marché
des boissons gazeuses.
Boulimie
C’est d’ailleurs cette initiative qui
a intéressé Coca-Cola. La firme
d’Atlanta, entrée au capital de
Keurig Green Mountain en février 2014, en détient désormais
17,4 %. Une prise de participation
qui répondait au désir de la multinationale de se diversifier et de
concurrencer Sodastream. La société israélienne propose au con-
JAB, numéro
deux mondial
du marché,
a en ligne de mire
un autre acteur
de poids,
Starbucks
sommateur de gazéifier l’eau du
robinet et de l’aromatiser avec
une capsule au goût cola, orange
ou limonade. La machine Keurig
Kold, commercialisée 300 dollars,
capable de faire des verres de Coca-Cola ou de Fanta, est finalement sortie en septembre.
En tant que premier actionnaire, Coca-Cola a apporté son
soutien à l’offre d’acquisition par
JAB. La holding d’investissement
a précisé qu’elle souhaitait retirer
la société Keurig de la cote mais
lui laisser une relative autonomie.
Elle devrait ainsi laisser aux commandes Brian Kelley, un ancien
dirigeant de Coca-Cola.
Cette opération prouve l’intérêt
porté par la richissime famille
Reimann, fondatrice du groupe
Benckiser, devenu Reckitt Benckiser, au monde du café. Propriétaire du groupe de cosmétiques et
de parfums Coty, mais aussi des
chausseurs Bally ou Jimmy Choo,
elle a lancé son offensive sur le
marché de l’agroalimentaire il y a
trois ans. Avec son bras armé, la
société d’investissement Joh.
A. Benckiser (JAB), créée par les
héritiers Reimann et installée au
Luxembourg. A sa tête, un trio
formé par l’allemand Peter Harf,
le néerlandais Bart Brecht et le
français Olivier Goudet.
La holding s’est d’abord emparée en 2012 des chaînes de café
américaines Peet’s Coffee & Tea et
Caribou Coffee pour un total de
1,5 milliard de dollars. Puis, en
mars 2013, elle a racheté le producteur néerlandais de café
DE Master Blenders 1753 et ses
marques Maison du café, L’Or ou
Senseo. Une transaction évaluée
à 7,5 milliards de dollars. Un an
plus tard, en mai 2014, elle a fusionné DE Master Blenders 1753
avec l’activité café de l’américain
Mondelez International, connu
pour ses marques Tassimo ou Jacobs. A la clé, la naissance d’un
géant, Jacobs Douwe Egberts
(JDE), pesant 5 milliards d’euros,
détenu à 56 % par JAB et des partenaires, le solde étant entre les
mains de Mondelez.
La combinaison des numéros
deux et trois mondiaux a permis
de former un groupe revendiquant le premier rang en termes
de volume. Mais l’ensemble reste
devancé en valeur par le suisse
Nestlé. Avec l’acquisition de Keuring, JAB renforce ses positions
en Amérique du Nord, met la
main sur des technologies de
machines, et réduit encore la distance qui le sépare du numéro un
mondial, le suisse Nestlé. JAB
a aussi en ligne de mire un autre
acteur de poids sur le marché du
café, l’américain Starbucks. Il a
d’ailleurs acheté en juin une nouvelle chaîne de café, Espresso
House, présente en Europe du
Nord.
Cette boulimie pour bâtir très
vite un acteur de poids de l’agroalimentaire n’est pas sans évoquer
la stratégie du brésilien Jorge
Paulo Lemann, premier actionnaire du numéro un mondial de
la bière AB InBev avec ses deux associés. Il vient de mettre 112 milliards d’euros sur la table pour
s’emparer du numéro deux SABMiller. La comparaison n’est pas
fortuite. M. Goudet, patron de
JAB, est devenu président d’AB InBev en avril. Les grands appétits
de l’agroalimentaire mangent à la
même table. p
laurence girard
4 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Ex-poids lourd de la Bourse, EDF est exclu du CAC 40
Le faible niveau de capital flottant mais aussi la chute du cours de Bourse expliquent la décision d’Euronext
suite de la première page
Pour autant, ajoute la direction
d’EDF, « le groupe, présent dans le
quotidien de 25 millions de Français, est un atout majeur pour
l’économie du pays et un énergéticien de référence en Europe ». EDF
est un poids lourd de l’économie,
avec ses 160 000 salariés et ses
72,9 milliards d’euros de chiffre
d’affaires en 2014. Il représente
aussi un tiers du portefeuille que
l’Etat détient dans les entreprises
cotées.
De toutes les grandes utilities
européennes, EDF est également
celle qui émet le moins de dioxyde
de carbone (CO2), en raison de l’importance de son parc nucléaire
(73 réacteurs en France et au
Royaume uni). Un argument que
le groupe martèle depuis plusieurs
jours alors que Le Bourget (SeineSaint-Denis) accueille jusqu’au
11 décembre la 21e conférence
mondiale sur le climat (COP21).
Les experts d’Euronext n’ont
pas tenu compte de ces dimensions, ni de ce contexte. Leurs décisions sont de plus en plus techniques. L’Etat étant actionnaire à
84,5 % d’EDF, ont-ils fait valoir, la
part des titres négociables au jour
le jour n’est que de 15 %, ce qui représente moins de 4 milliards
d’euros de capitalisation. Le volume des transactions est faible,
sans commune mesure avec les
poids lourds de l’indice comme
Sanofi, Total, ou L’Oréal.
De plus, le cours de bourse
d’EDF n’est plus ce qu’il était.
Les investisseurs
et les analystes
financiers
estiment que
l’énergéticien
pâtit d’une
décote politique
Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, lors de la présentation des résultats de 2014, le 12 février 2015, à Paris. PHILIPPE WOJAZER/REUTERS
Après que l’électricien soit devenu en 2007 la première capitalisation française (157 milliards
d’euros) et la deuxième en Europe
derrière Shell, le titre n’a cessé de
– 42%
C’est la baisse de la valeur de l’action EDF depuis le 1er janvier à la
Bourse de Paris. Après avoir atteint un sommet à 87 euros en 2007,
qui avait fait d’EDF la première capitalisation française durant
quelques mois (157 milliards d’euros), le titre a connu un parcours
en dents de scie. Introduit à 32 euros en novembre 2005, un an
après la transformation d’EDF en société anonyme, le titre vaut
aujourd’hui 13 euros.
dégringoler, malgré quelques rémissions. Introduite à 32 euros en
novembre 2005, l’action ne vaut
plus que 13 euros. Mardi, à l’ouverture de la Bourse, il reculait de 2 %.
Avec un résultat net de 3,7 milliards d’euros et un excédent brut
d’exploitation (ebitda) de 17,3 milliards en 2014, EDF n’est pourtant
pas en difficulté. Mais les marchés
ont de nombreux sujets d’inquiétudes sur l’avenir d’un groupe très
endetté (37,5 milliards d’euros fin
juin). Dans les quinze ans à venir, il
va devoir investir massivement
dans son parc de centrales nucléaires en France (50 milliards d’euros
sur dix ans), les réacteurs de troisième génération au Royaume uni
A Bruxelles, un accord à minima pour
la taxe sur les transactions financières
Si les onze pays concernés ont trouvé un accord politique,
rien n’est décidé sur les modalités pratiques de ce projet d’impôt
suite de la première page
Ces exemptions concernent notamment les « teneurs de marché » – souvent des grandes banques, qui assurent la liquidité sur
une place boursière. La Commission européenne a, elle, été mandatée pour plancher sur la rédaction d’une nouvelle proposition
de directive.
Si l’annonce de mardi devrait
permettre à Paris et à Bruxelles de
ne pas perdre la face, rien n’est encore arrêté dans les détails. Les
ministres ne sont même pas entrés dans le vif du sujet : quel taux
appliquer à l’assiette ? A quoi les
sommes récoltées seront-elles affectées ? « On en a au moins pour
toute l’année 2016 », prédit, blasé,
un diplomate européen.
De fait, cette discussion sur la
TTF lasse. L’idée de départ n’est pas
nouvelle. Elle remonte aux propositions de taxe Tobin, du Prix Nobel d’économie James Tobin, faites
dans les années 1970. La Commission européenne a mis sur la table
une première mouture de directive en septembre 2011. A l’époque,
l’Europe se débattait encore dans
la crise financière, et l’idée était de
taxer les établissements en partie
à l’origine de cette tourmente mais
qui, aux yeux de Bruxelles,
n’avaient pas assez « payé ».
Le projet avait de quoi séduire,
notamment les ONG. Mais obtenir un accord à 27 Etats membres
(28 désormais) s’est vite révélé impossible, d’autant qu’en matière
de fiscalité l’unanimité est requise à Bruxelles. En 2012, pour
sauver son projet, la Commission
propose donc une « coopération
renforcée » à 11 Etats membres, un
mode de décision communautaire inédit. Mais, depuis, les réunions se succèdent…
« Ordres de grandeur irréalistes »
Certains (la Belgique, l’Italie, la
France et la Grèce) disposent déjà
d’un impôt sur les transactions et
redoutent que cette taxe leur rapporte moins. Les Belges ont aussi
à cœur que leurs fonds de pension
ne soient pas affectés. Les Estoniens, eux, réclament que soient
taxées non seulement les transactions sur les actions de sociétés se
trouvant dans un des 11 pays négociateurs, mais aussi celles
d’autres Etats membres, si elles
sont acquises par un opérateur de
marché estonien.
La Commission communiquait
sur des recettes potentielles mirifiques au début de la négociation
(entre 30 et 35 milliards d’euros
par an, avec une taxe de 0,1 % sur
les actions et les obligations, et de
0,01 % sur les dérivés). « Tout le
monde estime que ces ordres de
grandeur sont irréalistes », relève
un diplomate.
Pour Bruxelles, la TTF est un test
très important. « Si nous n’arrivons pas à nous entendre à 11, comment le ferons-nous à 28 ? », a relevé éloquemment Pierre Moscovici, lundi. Le commissaire européen à l’économie déroule depuis
des mois un ambitieux agenda
« fiscalité », qui fait suite au scandale Luxleaks, en novembre 2014,
ayant révélé l’existence d’un vaste
système d’évasion fiscale du
Luxembourg au profit de centaines de multinationales. Ce scandale a terni l’image du président
de la Commission, Jean-Claude
Juncker, président du Grand-Duché pendant dix-huit ans.
Conscient des difficultés pour
trouver un consensus européen
sur des sujets de fiscalité, que les
pays considèrent encore comme
une de leurs principales prérogatives économiques, M. Moscovici
compte sur le succès de la « coopération renforcée » sur la TTF
pour, d’ici quelques mois, engager, dans le même type de format, une discussion sur l’épineuse question de la standardisation de l’assiette commune consolidée pour la fiscalité des
entreprises. p
cécile ducourtieux
(16 milliards d’euros pour deux
EPR), les réseaux de transport ou
de distribution d’électricité et les
énergies renouvelables, dont
M. Lévy veut doubler les capacités
en Europe à l’horizon 2030. Sans
oublier le rachat en 2016 d’Areva
NP, la filiale du groupe nucléaire
qui fabrique les réacteurs, un marché de plus en plus difficile.
Concurrence exacerbée
Par ailleurs, la concurrence s’exacerbe dans un marché où les prix
de gros de l’électricité sont tombés
à des niveaux très bas. Le groupe
vend son électricité 38 euros le
mégawattheure, ce qui est « très en
dessous de son prix de revient de
AÉR IEN
Air France chiffre
à 50 millions d’euros
l’impact des attentats
Les attentats de Paris auront
un impact de 50 millions
d’euros sur le chiffre d’affaires de novembre d’Air FranceKLM, a annoncé, mardi 8 décembre, la compagnie
aérienne, précisant que cette
baisse ne remettait pas en
cause les prévisions pour
2015. – (Reuters.)
EN ER GIE
Le pétrole à un plus bas
depuis sept ans
Le cours du baril de référence
(WTI) pour livraison en janvier a perdu, lundi 7 décembre, 2,32 dollars à 37,65 dollars
sur le New York Mercantile
Exchange, soit le plus bas niveau de clôture d’un contrat
de référence depuis février 2009. – (AFP.)
F IN AN C E
Lourde amende
contre Euronext et Virtu
La commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a infligé,
mardi 8 décembre, une
amende de 5 millions
d’euros chacun à l’opérateur
boursier Euronext et au spécialiste du trading à haute
fréquence Virtu. Cette décision « est particulièrement
contestable, totalement disproportionnée et complètement anachronique », s’est
insurgé Stéphane Boujnah,
président du directoire
d’Euronext, qui a prévu de
faire appel. – (AFP.)
55 euros » (fonctionnement et
maintenance), indiquait récemment au Monde le directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal.
En face, l’Etat actionnaire est incapable d’assurer au groupe une
visibilité financière sur les tarifs
de vente de courant aux particuliers. Fin 2012, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s’était engagé sur des hausses de 5 %
en 2013, 2014 et 2015. Nommée
ministre de l’énergie quelques
mois plus tard, Ségolène Royal
était revenue sur cet engagement,
en octroyant des augmentations
plus modestes, au nom de la défense du pouvoir d’achat.
Les investisseurs et les analystes
financiers estiment que l’ancien
opérateur historique pâtit d’une
« décote politique ». L’Etat peut arbitrer en faveur des clients, au détriment de l’entreprise, notamment quand il s’agit d’augmenter
les tarifs. « Nous avons besoin d’actionnaires qui ne pensent qu’en actionnaires », juge M. Piquemal.
En 2013, rappelle-t-il, « l’annonce
d’un accord avec l’Etat, qui a reconnu qu’il devait à EDF 5,1 milliards au titre de la CSPE [contribution au service public de l’électricité], a lancé un mouvement de
forte appréciation de l’action, qui a
pris 83 % dans l’année ».
Chez EDF, on rappelle aussi que
la catastrophe de Fukushima, en
mars 2011, a envoyé « un signal
très négatif sur l’avenir du nucléaire ». Mais ses dirigeants reconnaissent une part de responsabilité de l’entreprise dans la situation actuelle, à cause « des difficultés à livrer les grands projets,
notamment Flamanville 3 ». L’EPR
normand coûtera au moins
10,5 milliards d’euros, trois fois le
devis initial. Malgré ces hypothèques, M. Piquemal juge qu’« EDF a
des atouts », notamment le plan
stratégique « Cap 2030 » lancé par
M. Lévy, qui doivent « lui permettre d’être mieux valorisé que ses
grands concurrents européens ».
Des concurrents qui, eux aussi,
souffrent en Bourse. Si l’italien
Enel s’en tire plutôt bien, les allemands E.ON et RWE ont perdu
respectivement trois et cinq fois
leur valeur au cours des cinq dernières années. p
jean-michel bezat
Biotechs : collecte record
pour Sofinnova
La société de capital-risque a levé un fonds
de 300 millions d’euros
C’
est un record dans le
domaine des biotechs.
Sofinnova, une société
de capital-risque parisienne, a annoncé, mardi 8 décembre, avoir
levé 300 millions d’euros pour financer des start-up des sciences
de la vie. « Nous visions 250 millions d’euros, mais la demande
était telle que nous avons relevé le
plafond », se félicite Antoine Papiernik, l’un des associés.
Ce fonds, auquel participera
Bpifrance ainsi que des Européens et deux Américains, investira dans des programmes encore
embryonnaires – les « seed » dans
le jargon – et des projets plus
avancés. Une des marques de fabrique de Sofinnova est d’investir
des montants élevés – 20 à 25 millions d’euros – dès le premier tour
de table.
Pour dénicher des pépites, les investisseurs de Sofinnova étudient
la qualité scientifique du projet,
mais aussi de la personne qui le
porte. « Nous parions sur un couple. Pour que cela fonctionne, il
faut que nos intérêts et ceux de
l’entrepreneur soient bien alignés », insiste Rafaèle Tordjman,
partenaire associée de Sofinnova.
« La probabilité de succès du médicament – moins de 10 % – est un
des problèmes de notre business :
on ne peut pas parier dessus.
Autant aller au casino ! », plaisante
Antoine Papiernik. Mais, parfois,
le succès est au rendez-vous. Sofinnova et d’autres fonds étaient
ainsi en train de préparer l’introduction en Bourse de GlycoVaxyn
quand le laboratoire GSK s’est décidé à mettre la main dessus. Elle a
ainsi été cédée au début de l’année
au géant britannique pour
212 millions de dollars (195 millions d’euros). « Notre but est que
chaque investissement rapporte au
moins 100 millions d’euros pour le
fonds », précise Rafaèle Tordjman.
Asceneuron est la première biotech à bénéficier des fonds levés
cette année par Sofinnova. Spécialisée dans les maladies neurodégénératives, cette société a levé
30 millions de francs suisses
(27,65 millions d’euros) en septembre. Le tour de table a aussi
attiré deux laboratoires, GSK et
l’américain Johnson & Johnson.
« Les groupes pharmaceutiques
dont la R&D patine cherchent à se
positionner de plus en plus tôt sur
les nouvelles technologies, commente Rafaèle Tordjman. Mais
nous veillons à ce qu’ils n’aient
pas un droit d’accès préférentiel,
pour garder toutes les portes
ouvertes. » p
chloé hecketsweiler
volkswagen.fr/info
Changer
pour garder l’essentiel.
Récemment, votre confiance a été
mise à l’épreuve et nous vous devons
des excuses. Ce qui s’est passé n’est,
en aucun cas, conforme aux valeurs de
notre Groupe et à l’engagement des
15 000 collaborateurs des Réseaux
Volkswagen en France. Mais s’excuser
ne suffit pas. Nous sommes décidés
à changer. Changer pour garder
l’essentiel.
Volkswagen Group France - s.a. - R.C.S. Soissons B 602 025 538
L’essentiel, pour nous, c’est d’abord
votre confiance. Et nous ne la
regagnerons qu’en faisant toute la
vérité. L’essentiel, pour vous, c’est
votre voiture. Et votre voiture n’y est
pour rien. Elle demeure totalement
sûre. D’ores et déjà, Volkswagen
France a pris contact avec les
clients concernés. Les mesures de
service après-vente commenceront
début 2016 avec la mobilisation de
l’ensemble de nos Réseaux.
Pour que Volkswagen reste Volkswagen,
nous devons maintenant redoubler
d’efforts afin d’offrir le meilleur
de l’innovation automobile : des
véhicules fiables, performants et
respectueux de l’environnement.
C’est ainsi, à vos côtés, que nous
regagnerons votre confiance.
6 | dossier
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Les « jobboards »,
ici le site Web de recrutement
Keljob, utilisent la publicité
pour se faire connaître.
XAVIER POPY/REA
Le marché du recrutement
résiste à la vague numérique
juliette garnier et anne rodier
L
a vague numérique déferle sur le
marché du recrutement : elle
porte les noms de Monkey Tie,
Indeed, Regionsjob, Keljob, Jobijoba, LinkedIn, etc. Comme aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni ou
en Allemagne, de nombreuses plates-formes de mise en relation et de référencement
des annonces d’emploi ont été créées ces
dernières années en France. Celles-ci revendiquent une amélioration de l’adéquation
de l’offre et de la demande, grâce à des algorithmes et à l’exploitation des bases de données. Elles ouvrent aux employeurs l’accès
gratuit à un important vivier de candidats,
et inversement, sans intermédiaire.
Cette « ubérisation » du recrutement apporte un réel souffle d’air au secteur, dans la
mesure où l’opacité des annonces augmente
avec la raréfaction des offres. En septembre,
Pôle emploi avait en catalogue 235 300 propositions d’emploi. A titre de comparaison,
les offres agrégées par les acteurs privés, devenus depuis partenaires de Pôle emploi, atteignaient 1,2 million fin 2014.
Le marché de l’emploi est aujourd’hui « un
tas de foin où, pourtant, il existe de nombreuses opportunités, mais que personne ne parvient à identifier », estime Didier Jeanperrin,
directeur du pôle Carrières des alumni de
Sciences Po, association des anciens de l’IEP
de Paris.
Les annonces étant la première source
d’information pour les demandeurs d’emploi, c’est logiquement par elles qu’a débuté
la numérisation du recrutement. Le développement de la diffusion des annonces sur
Internet a commencé dès la fin des années
1990. Les sites d’emploi, dits “jobboards”, se
sont multipliés, aux dépens des annonces
publiées par la presse.
Au départ, la plupart de ces nouveaux sites
Ils s’appellent LinkedIn, Keljob, Jobijoba…
Depuis quelques années, les sites d’annonces d’emploi
se multiplient, bousculant les acteurs traditionnels
du secteur. Mais ceux-ci se numérisent également
à toute vitesse et résistent à cette « ubérisation » forcée
« IL EXISTE
DE NOMBREUSES
OPPORTUNITÉS,
MAIS QUE PERSONNE
NE PARVIENT
À IDENTIFIER »
DIDIER JEANPERRRIN
directeur du pôle carrières
des anciens de Sciences Po
ne se sont pas occupés de recrutement proprement dit et n’ont fait que de l’optimisation des annonces existantes, en agrégeant
sur leur site les propositions de leur propre
base de données et des sites d’emploi (APEC,
Cadremploi, Monster) ou en regroupant les
offres présentes sur tout Internet (Jobthis.
fr). Le travail de sélection et d’évaluation des
candidats était réservé aux professionnels
du recrutement. « Le numérique n’a porté
préjudice qu’à ceux qui ne faisaient que de la
mise en contact », témoigne Antoine Morgaut, directeur général Europe du cabinet de
recrutement Robert Walters.
ACCÉDER AUX DONNÉES PUBLIQUES
Depuis juillet, Pôle emploi partage les profils des chômeurs avec certains professionnels du recrutement, mais pas leur CV. Du
moins pas encore… Lundi 9 novembre, le
ministre de l’économie, Emmanuel Macron,
a annoncé vouloir ouvrir « de manière proportionnée » l’accès aux données publiques
« dites d’intérêt général », afin de « créer des
opportunités », « améliorer la mise en relation » et « réduire les coûts de coordination ».
« Pôle emploi a commencé cette mue culturelle et organisationnelle, a ajouté le ministre. On doit l’accompagner et aller plus loin
encore. »
L’opérateur public, dont les sites privés réclamaient, de longue date, l’accès aux données, pour améliorer l’adéquation entre offre et demande d’emploi, s’apprête ainsi à
abandonner les codes ROME. Ce répertoire
opérationnel des métiers et des emplois,
établi en 1988, était devenu inadéquat. « Un
métier peut être à cheval sur deux codes
ROME », justifie Nathalie Jouquan, directrice
de l’agence Pole emploi de Paris 18e Ney.
C’est un algorithme, basé sur les compétences requises pour un poste et celles des
demandeurs d’emploi, qui remplacera
ROME d’ici à 2020. « Ce sera une très bonne
chose », prédit Mme Jouquan. La mesure
pourrait notamment bénéficier aux chômeurs de longue durée et à tous ceux qui
doivent envisager une conversion professionnelle.
Pour les candidats comme pour les employeurs, l’enjeu consiste toujours et encore
à améliorer le profilage en fonction de leurs
intérêts, parfois opposés. Les entreprises,
qui craignent des erreurs d’embauche, recherchent les candidats « formatés » pour le
poste qu’ils ont à pourvoir. Les chômeurs, au
contraire, aimeraient sortir de ce système
qui impose des candidats qu’ils estiment
clonés.
Toutes les étapes du recrutement sont
« ubérisées » : la recherche de candidat (le
« sourcing »), la mise en adéquation de l’offre
et de la demande (le « matching »), la cooptation, l’évaluation des candidats, etc.
Pour remplacer la phase de présélection
des candidats, Easyrecrue ou Visiotalent permettent de faire les premiers tests d’évaluation sur Internet, en faisant passer des entre-
tiens asynchrones : des questionnaires sont
mis en ligne, le candidat est filmé pendant
qu’il répond aux questions, puis le responsable des ressources humaines envoie la vidéo au manageur en quête d’un candidat.
« Les recruteurs économisent ainsi près de
10 heures de travail par recrutement. Nos
clients sont des sociétés qui ont d’importants
volumes de recrutement », explique Mickaël
Cabrol, le fondateur et président d’Easyrecrue.
« L’entretien asynchrone est une autre façon
de s’échanger des CV et de découvrir les aptitudes comportementales », estime Laurent
Brouat, directeur de Link Humans, spécialiste du recrutement numérisé. En revanche,
« le “sourcing” numérique ne réduit pas le
nombre d’entretiens ultérieurs pour évaluer le
candidat », reconnaît Edouard Rosenblum,
cofondateur de la plate-forme Breaz.
Afin d’affiner la mise en relation, des algorithmes ont aussi été développés, qui analysent les profils référencés des candidats et
ceux des entreprises. Wats4U (ex-Manageurs. com), le portail d’offres d’emploi des
diplômés de grandes écoles (Polytechnique,
Centrale Paris, Ensae et autres HEC), s’appuie
ainsi sur un logiciel de « matching » en fonction des « compétences recherchées et non
des correspondances de secteur ou de fonctions passées », explique son directeur général, Franck Jeuffroy. « Le tri par algorithme
permet aux chargés des ressources humaines
d’avoir accès aux candidats qui correspondent le mieux à leurs souhaits », assure-t-il.
Un travail jusque-là réservé aux chasseurs
de têtes et aux cabinets de recrutement.
L’échec d’un recrutement sur deux n’étant
pas lié aux compétences, les innovations
technologiques ont investi ensuite le recrutement par cooptation, et développé le
« matching affinitaire ». « En amont du CV en
ligne, on enregistre la motivation et le profil
du candidat, bien au-delà des compétences »,
explique Jérémy Lamri, fondateur de Monkey Tie.
Les opérateurs traditionnels du recrutement semblent progressivement évincés.
dossier | 7
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Comment on cherche et comment on trouve
un emploi en France
FRÉQUENCE DES DÉMARCHES DE RECHERCHE D’EMPLOI, PAR TYPE, EN %
90
LES ANNONCES
Elles sont très majoritairement numériques et incontournables pour le recrutement des cadres
MÉDIAS UTILISÉS DANS LA DIFFUSION D’UNE OFFRE D’EMPLOI CADRES,
EN % (PLUSIEURS RÉPONSES POSSIBLES)
COMMENT PARVIENNENT LES CANDIDATURES
DE CADRES FINALEMENT EMBAUCHÉS, TOP 6, EN %
Annonces d’offre d’emploi
80
SITES D’EMPLOI EXTERNES
Démarche directe
70
Relations
Offre d’emploi
SITE DE L’ENTREPRISE
53
77%
58 %
Réseau de relation du recruteur
18
60
Cooptation
DONT (TOP 3)
50
7
Site d’emploi cadres
Intermédiaire public
Candidatures spontanées
49
40
6
Site d’emploi non-cadres
30
Chasse
22
5
Site de niche, sectoriel
Agence d’intérim
20
Hausse
ou baisse
en 2014
par rapport
à 2013
15
PRESSE
CVthèque
11 %
4
10
0
1er trim. 2003
LES INTERMÉDIAIRES DE RECRUTEMENT
4e trim. 2012
Des sociétés atomisées, fragiles et sensibles à la conjoncture
MODE D’ENTRÉE EN ENTREPRISE, EN %
50
PART DES ENTREPRISES AYANT FAIT APPEL À UN
INTERMÉDIAIRE DE RECRUTEMENT POUR LEURS
CADRES, EN % (PLUSIEURS RÉPONSES POSSIBLES)
Démarche directe
40
199,4
20 à 49 5,7 %
27
6 à 19 12,6 %
+ 10,8
Relations
Chasseur
de têtes
20
169,6
7
+ 1,2
– 0,3
– 5,9
Agence
d’intérim
Offre d’emploi
0
4
« Je suis désormais contactée par des employeurs qui ont déjà identifié les profils sur
Linkedin et les ont directement contactés »,
raconte Anne Raphaël, directrice associée du
cabinet de recrutement Boyden.
– 17,4
6
2014
« LES CANDIDATS SONT NOS CLIENTS »
Les intermédiaires sont aussi écartés de la recherche de profils très ciblés. Le recrutement
des développeurs informatiques, par exemple, ne se fait quasiment plus que par Internet. C’est le cas de Breaz, spécialisée dans les
métiers informatiques dits « en tension » :
développeur, data-scientist, designer et chef
de produit Web. Breaz s’attaque au marché
des emplois cachés en incitant les candidats
qui sont en emploi à postuler. « On identifie le
profil, on leur envoie un test technique, puis
on les appelle pour savoir s’ils sont en recherche, décrit M. Rosenblum, le président de
Breaz. On inverse le marché. Les candidats
sont nos clients, les employeurs payent au recrutement et accèdent gratuitement à notre
place de marché, et les cabinets de recrutement sont nos concurrents. » C’est la version
numérique du chasseur de têtes.
Peut-on pour autant parler de menace pour
les opérateurs traditionnels ? « Ces dernières
années, les chiffres d’affaires des cabinets de
recrutement ont chuté, reconnaît Wilhelm
Laligant, président de Syntec conseil en recrutement. En 2009, au creux de la vague, ils
étaient à moins 30 %. » Le nombre de cabinets de recrutement n’a cessé de baisser depuis 2010.
Mais les années noires appartiennent au
passé. Après une reprise de 2 % en moyenne
en 2014, « le chiffre d’affaires est à nouveau en
hausse de 2,9 % sur un an en cumulé depuis
janvier », affirme M. Laligant. L’APEC confirme cette progression : la part des entreprises ayant eu recours à un cabinet de recrutement est en légère hausse, d’un point en un
an, à 27 %. Avec une variation très forte selon
les secteurs : cette part est de 43 % dans l’industrie, de 36 % dans les services et entre
15 % et 20 % dans l’hôtellerie et la santé.
Les cabinets de recrutement sont très sensibles à la situation économique. « Les chiffres de l’emploi des cadres montrent que c’est
conjoncturel, note M. Laligant. Ce sont les entreprises qui ont réduit leur volume de recrutement. Et c’est la crise, et non pas le numérique,
qui a fait reculer l’externalisation. »
« Les “jobboards” ont bien créé une industrie
nouvelle, aux dépens du marché des annonces
d’emploi presse, mais les cabinets n’ont pas
perdu 30 % de leur chiffre d’affaires à cause du
numérique », renchérit Antoine Morgaut.
A bien y regarder, les opérateurs traditionnels n’ont pas été « ubérisés », car ils s’appro-
2008
4e trim. 2012
prient les outils numériques. Aujourd’hui,
tous les cabinets de recrutement utilisent
LinkedIn : « Pour 6 000 à 8 000 euros, ils prennent une licence recruteur, qui leur donne accès à tous les profils sur le site », affirme Laurent Brouat. « LinkedIn ? On est leur premier
client, ils ont donc besoin de nous », résume
Antoine Morgaut.
« Les professionnels du recrutement se remodélisent. Ils lancent leur propre plateforme pour “matcher” les profils », explique le
directeur de Link Humans. C’est le cas de
Randstad, qui vient de lancer, en collaboration avec Cap Gemini et Oracle, une plateforme où sont mis en ligne ses 3 millions de
CV, référencés par compétences plutôt que
par métier et localisés par bassin d’emploi.
Cet outil permet aux employeurs de « remonter dans le temps pour voir l’évolution des
tensions par métier et département, et aux
candidats d’identifier le champ des possibles,
à travers les compétences communes entre les
métiers », précise Christophe Montagnon, le
directeur des systèmes d’information de
Randstad.
« La plate-forme permet aux entreprises de
0 salarié
53,8 %
143,7
2013
Cabinet de
recrutement
2e trim. 2003
1 à 5 26,1 %
+3
4
Intermédiaire public
10
RÉPARTITION DES CABINETS
DE RECRUTEMENT PAR TAILLE,
EN %
Salariés
+ de 50 1,8 %
26
Cabinet de
recrutement
30
EMBAUCHE DES CADRES, EN MILLIERS,
ET VARIATION DU CHIFFRE D’AFFAIRES
DES CABINETS DE RECRUTEMENT, EN %
09
10
11
12
13
2014
SOURCES : CENTRE D’ÉTUDES DE L’EMPLOI, APEC, GREFFES DE TRIBUNAUX DE COMMERCE, XERFI
INTERNET OBLIGE
LES CABINETS
DE RECRUTEMENT
À SE SPÉCIALISER
ENCORE
DAVANTAGE
connaître les compétences présentes sur un
territoire avant de s’y implanter ou d’anticiper
de futurs reclassements », a expliqué François
Beharel, le président de Randstad France, lors
de la présentation ce cette innovation, le
15 septembre.
En s’adressant aux professionnels, cette
plate-forme redonne la main aux opérateurs
traditionnels du recrutement. « Ce projet touche à la transformation du métier RH, qui devient contributeur à la valeur ajoutée de l’entreprise », estime M. Montagnon.
« Ce qui a changé, c’est que, aujourd’hui,
toute entreprise qui recrute doit avoir son propre site de recrutement, avec témoignages, vidéos, fiches de poste », explique Wilhelm Laligant. La numérisation du secteur, ce n’est pas
la mort des cabinets de recrutement, mais
plutôt l’hyperspécialisation. On peut trouver
tout le monde sur LinkedIn, mais le réseau
ne donne ni la connaissance du marché ni
celle du secteur. Les acteurs traditionnels du
recrutement reprennent la main sur l’anticipation, les compétences et la mobilité. Autrement dit, le service et la valeur ajoutée produite avec Internet. p
A Pôle emploi, les mots-clés restent « préparation » et « accompagnement »
ils ne sont que six. Le mardi 13 octobre, dans les box tout neufs de l’agence
Pôle emploi du boulevard Ney, dans le
18e arrondissement de Paris, la déception se lit sur les visages. « Sur les 24
candidats qui avaient pris rendez-vous,
seuls six se sont présentés », se désole
Gilles Peillon, cofondateur de Pégast.
Pas mieux pour Véronique Martini, sa
voisine de box. Cette directrice des ressources humaines de la chaîne de restauration Va Piano n’a obtenu que cinq
entretiens avec des demandeurs d’emploi. Elle en attendait 18 dans la matinée. « Là, quand même, ça fait beaucoup de défections », regrette-t-elle.
Ces deux employeurs, qui participaient aux Rendez-vous de l’emploi
2015, ont pourtant des postes à pourvoir rapidement. Pégast, grosse PME
française fondée en 1999, ouvre une
boutique de « gastronomie nomade »
par mois. Chacune emploie trois personnes « en CDI de 35 heures, au smic, à
Paris », fait valoir M. Peillon. Cet entrepreneur cherche tout au long de l’année des « collaborateurs, pas des bras »
pour cuisiner des sandwichs au potau-feu et des crémeux spéculoos.
Va Piano va, elle, ouvrir prochaine-
ment trois restaurants, dont un à Paris,
rue Marbeuf à un jet de pierres des
Champs-Elysées. Il y a urgence. L’inauguration est prévue le 22 décembre. Ce
restaurant de 480 places, ouvert sept
jours sur sept, doit employer 100 personnes pour assurer 1 500 couverts par
jour. Il lui faut des cuisiniers, des pizzaïolos, des gens en salle et des hôtesses de caisse. Mme Martini se démène.
Elle ne fera appel aux petites annonces
qu’en « dernier recours, au dernier moment ».
« Jobdatings »
A ses yeux, la publication d’une offre
n’est pas efficace, fût-ce dans le journal référence du secteur. Partout, cette
ancienne de chez Manpower fait donc
appel à Pôle emploi. Ses antennes locales lui organisent des sessions dites
MRS (méthodes de recrutement par
simulation) ; les candidats se présentent « sans CV » pour passer « des évaluations pendant trois heures ». La méthode « permet d’identifier les savoirfaire applicables à la restauration », explique Nathalie Jouquan, directrice de
Pôle emploi 18e Ney.
Cette fois, Va Piano a donc fait appel
plus classiquement aux entretiens de
motivation dans le cadre des « Rendez-vous de l’emploi 2015 ». Depuis
trois ans, une fois par an, pendant une
semaine, en Ile-de-France, Pôle emploi
met en scène ce que ses conseillers
d’aide à la recherche d’emploi font
tous les jours : « identifier les employeurs, préparer les candidats et
monter des rendez-vous entre les
deux », détaille Mme Jouquan. L’édition
2015 a mobilisé 1 100 entreprises. La
méthode – elle débouche sur 80 %
d’embauchés – permettrait de « donner une vision plus dynamique de Pôle
emploi » en remédiant au « décalage
entre offre et demande » sur le marché
en Ile-de-France.
Au passage, elle offrirait une chance
à ceux qui sont « en transition professionnelle », comprenez les chômeurs
en reconversion. Tout le concept
tourne autour d’entretiens de candidats préselectionnés et briefés pour le
poste par les équipes de Pôle emploi.
Les entretiens, des « jobdatings », se
font à la chaîne, à la manière de ceux
organisés par les sites de rencontre
amoureuse dans des cafés. « Courts et
efficaces », avance Mme Jouquan. Il
n’aura fallu que dix minutes à
M. Peillon pour choisir Cindy, 20 ans,
vacataire dans l’animation, titulaire
d’un CAP en pâtisserie. « Elle a parlé
client, c’est important », tranche
M. Peillon.
Pour la candidate suivante, le verdict
tombe en cinq minutes. Ce sera non.
« Il y a un truc qui cloche » dans le cursus de cette jeune diplômée de l’Ecole
hôtelière Belliard. Elle a « tout fait, sauf
de la cuisine », observe M. Peillon. Un
autre candidat sera finalement embauché dès le lundi suivant.
Le secteur de la restauration et de
l’hôtellerie fait partie des bassins
d’emploi dit « en tension ». « Il y a
beaucoup de postes à pourvoir. Donc il
y a beaucoup de concurrence entre employeurs », explique Véronique Martini. Les candidats auraient l’embarras
du choix, entre « Starbucks, Burger
King et Linas ». Entre 450 000 et
500 000 emplois seraient à pourvoir
en France. Il n’empêche. Le quotidien
d’une agence Pôle emploi le démontre, « en Ile-de-France, offres et demandes ne correspondent pas toujours »,
regrette Mme Jouquan. p
j. ga.
8/LE MONDE/MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
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(www.cadec-corse.fr), société inancière agréée
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"(E HJ"$D$GC(E )( ".3K$JK (CFJHL(KK( (K !-D$OF( )( DF-KEHJFDE8 4- !$EE$JK +JKE$ED( M
garantir une mobilité eicace et durable dans un espace européen unique des transports,
ain de servir l‘économie et les citoyens européens, tout en promouvant la protection
de l’environnement et la compétitivité.
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de la coordination des activités de la direction «Réseau européen de mobilité» (MOVE.B) et
de l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux (INEA).
,61 3"15671)(;9;0=1 :
Conseiller le Directeur général à déinir des stratégies, concepts, procédures et/ou
HJ"$D$GC(E *
Assister le Directeur général dans l’organisation et la gestion de la DG, en supervisant
(D +JKE($""-KD "(E )$F(+D(CFE (D "(E +%('E ).CK$DL H"-+LE EJCE E- F(EHJKE-,$"$DL *
Coopérer avec d’autres services de la Commission sur les questions liées aux transports
(D F(HFLE(KD(F "( @J!!$EE-$F(0>$F(+D(CF &LKLF-" "JFE )( FLCK$JKE (D !-K$'(ED-D$JKE8
,61 '685=0"7'"1 :
Très bonne compréhension des environnements politiques complexes et de la politique européenne
des transports, ainsi que la capacité de développer une vision stratégique claire pour la DG MOVE ;
Capacité avérée à gérer et à diriger les ressources humaines et inancières d‘un grand service et
)(E HFJ+(EECE )( &(ED$JK )C +%-K&(!(KD *
Excellentes capacités d’analyse et de négociation à haut niveau et très bonnes aptitudes à la
+J!!CK$+-D$JK8
:- @J!!$EE$JK (CFJHL(KK( HFJ!(CD ".L&-"$DL )(E +%-K+(E8 ND-KD )JKKL "- '-$,"( F(HFLE(KD-D$JK )(E '(!!(E
aux postes d‘encadrement, la Commission encourage tout particulièrement les candidatures féminines.
Veuillez consulter le Journal Oiciel C402A du 4.12.2015 pour l’annonce détaillée et les
+F$DOF(E ).-)!$EE$JK8
Les candidats qui souhaitent postuler doivent s’inscrire en ligne sur le site :
https://ec.europa.eu/dgs/human-resources/seniormanagementvacancies/
La date limite d’inscription est ixée au 2&4/24*/2+ < 2*!// !".3"1# !".3" %" $3.-"99"14
Présentant une solide expérience dans le inancement de projets et le management, connaissant parfaitement l’environnement entrepreneurial de la Corse, le (la) candidate devra répondre aux exigences règlementaires de l’Autorité des
Contrôles Prudentiels et de Résolution (décret n° 2014-1357
du 13 novembre 2014 relatif au contrôle de l’honorabilité et de
la compétence des dirigeants des sociétés de inancement).
D55<9 Q ?D8=:=D214< 5614 9< 5632< =<
Merci d’adresser votre candidature (CV, lettre de motivation)
avant le 31 décembre 2015, par voie postale uniquement à :
Monsieur le Président de la CADEC, 6 Avenue de Paris,
BP 70063, 20176 AJACCIO CEDEX 01
=$J)+H)GJ ;%/(.
*) +JP-H$NO $O*GIHJ$)"") ;<OI+$@9)I -H)"$)JI.
DOWW* *T 1)M' *L OW&$* Q.O "* +W,O*L TZCR17FC)1 +K 8 .JO$" CR172 "/ATN,$F=*N .L*"$*ON2 WL.-"$NN*!*TL QK-"$,
$T+KNLO$*" *L ,S!!*O,$." Q".,W NSKN ". LKL*""* +*N !$T$NLYO*N ,%.O&WN +* ". ,K"LKO* *L +* "/$T+KNLO$*2 +W"$JO* +*N
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9- LJ$I) *) LNIH) )IH ING%-$HP) ") 0)J !-JI >M0C7
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B$O*,L$ST &WTWO."* +*N *TLO*QO$N*N2 G6 MRRR12 I;2 OK* G.O-YN2 )'CR1 >JOEFNKOF4*$T* D*+*H
Directeur Général Adjoint h/f
Futur Directeur Général h/f - Poste basé à Anglet (64)
Missions : Dans un premier temps le DGA agira au côté du DG
actuel. Il prendra connaissance de l’histoire de la structure, de son
environnement, de ses équipes, de son marché, de ses outils et pratiques.
Au plan opérationnel le DGA se verra confier des fonctions liées
à la représentation externe, au pilotage du comité de direction…
Après une période d’un à deux ans, le DGA prendra l’intégralité des
fonctions de DG pour développer la structure (stratégie, développement
financier, organisation, animation des équipes, gestion de l’innovation et partenariats) en dynamisant toutes ses composantes (équipes
d’ingénieurs, docteurs et doctorants répartis sur 2 sites en Aquitaine).
Profil : Diplômé d’une école d’ingénieurs, 3e cycle universitaire (Master)
technique, doctorat et post-doc, ou d’une École supérieure de commerce, entrepreneur /manageur/business développeur, vous possédez
une expérience dans la recherche scientifique/technologique, en tant
qu’acteur direct ou indirect. Vous avez de bonnes connaissances des
processus d’innovation et de gestion du changement et maîtrisez les
méthodes de développement commercial et de partenariats. Vos compétences en marketing vous permettent de transformer les innovations
scientifiques en offre de produit ou de service. Vous avez des aptitudes
financières et des dispositions à la gestion d’entreprise. Votre bonne
maîtrise de l’anglais vous permet de positionner l’entreprise sur des
marchés internationaux. L’espagnol sera apprécié, ainsi que la pratique
d’une troisième langue.
Merci d’adresser votre dossier de candidature, sous réf. 1115NBTK/DG
à Jean-Christophe Thibaud, LECTIA - e-mail : [email protected]
son directeur (h/f)
Proil :
ingénieur(e) des métiers de l’aménagement urbain, ayant
un doctorat ou une expérience conirmée de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
L’Ecole des Ingénieurs
de la Ville de Paris
spécialité Génie urbain
Grande école d’ingénieurs accréditée par la CTI,
associée à l’Ecole des Ponts ParisTech et
à la ComUE Université Paris-Est
Aptitudes requises :
capacité à diriger une structure, connaissance des enjeux
urbains et métropolitains, ouverture internationale,
expérience des inancements partenariaux.
Pour plus d’informations : www.eivp-paris.fr
Contact : [email protected]
Dossier écrit à adresser à Mme la Maire de Paris,
copie à M. Régis Vallée, Directeur de l’EIVP
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Emploi
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> INGÉNIEURS <
un marché du travail plus que favorable
Ils sont en moyenne 37 000 à recevoir chaque année le titre d’ingénieur en
France. Une population qui ne connait pas la crise et qui ignore le
chômage ; seuls 2,8 % de cette catégorie professionnelle est sans emploi.
Une situation qui crée des tensions au il de l’évolution des technologies et
particulièrement de la digitalisation des entreprises.
Dresser le portrait de la
population des ingénieurs
et de leur cadre d’emploi
en France en 2015 après 8
ans de crise inancière et industrielle,
c’est dessiner un paysage qui fait
rêver tout responsable public au
moment même où les statistiques du
chômage sont au plus haut depuis 20
ans. Pour les ingénieurs le taux de
chômage est inférieur à 4 % et de
2,8 % quand on exclut des statistiques les jeunes diplômés en attente
de leur premiers pas professionnels.
Premier constat : le nombre d’ingénieurs entrant sur le marché est en
croissance. Ils sont 37 000 pour la
dernière promotion. Un volume
équivalent à celui des Etats Unis qui
donne un aperçu de la place que le
savoir technique et scientifique
occupe dans notre économie. C’est
aussi un tableau où les visages sont
jeunes : il y a de disponible sur le
marché du travail, quatre fois plus de
diplômés de 25-29 ans que de seniors
de 60-64 ans avec une moyenne d’âge
globale de 37 ans.
un marché du
travail plus que
favorable
C’est un panorama financièrement
apaisé : leur salaire médian qui s’élève
à 55 200€ par an représente 2,5 fois le
salaire médian français. C’est aussi
une image souriante : nos ingénieurs
se disent à 82 % globalement satisfaits
dans leur travail. Avec toutefois une
coupure de classe : ceux qui issus des
écoles généralistes bénéficient de
missions variés et intéressantes et qui
oeuvrent essentiellement dans des
secteurs industriels sont les plus heureux. Beaucoup plus que leurs collègues plus spécialisés dans l’univers des
logiciels et des services informatiques
qui sont plus bougons et se considèrent comme mal rémunérés. Enin,
c’est la grande faiblesse de ce tableau
d’ensemble : la photo est peuplée
d’hommes. Les femmes ne représentent que 21 % des ingénieurs. La
part des femmes augmente, elles
n’étaient que 600 à obtenir le titre
d’ingénieur en 1973, elles sont 10 000
dans la dernière promotion mais cela
ne doit pas masquer que leur place est
mesurée et que cette évolution est
lente. « La bonne nouvelle c’est que
nous adressons de nouvelles lignes
de métiers qui sont favorables aux
jeunes femmes. Les industries du
luxe, du tourisme, de la grande distribution s’engagent dans la digitalisation de leurs activités. Des secteurs
qui demandent plus de sensibilité et
des relations plus personnalisées.
Cela change la donne quand on ne
s’adresse plus aux DSI mais de plus
en plus aux patrons du marketing,
de la commercialisation ou des RH »
les ingénieurs
femmes peuvent
proiter de
l’ouverture de
nouvelles ilières
souligne Laurent Benazera, Directeur
du recrutement d’Open qui attend
700 nouveaux collaborateurs dont
95 % d’ingénieurs pour le développement de projets dans la transformation
industrielle et digit ale, le M et
E commerce ou le Big data. 30%
d’entre eux seront des JD et 60 % des
ingénieurs conirmés.
Ce panorama ne doit pas pour autant
masquer les écueils à surmonter. En
particulier dans les domaines de l’informatique où le nombre de demandeurs d’emplois ne diminue pas car
les profils recherchés par les entreprises et plus particulièrement les
développeurs ne sont pas forcément
disponibles « La moitié de nos 1400
recrutements sur 12 mois sont des
jeunes diplômés issus pour 65 %
d’entre eux des stages que nous
ouvrons dans nos 22 sites à travers la
France. Ils seront à 80 % orientés
vers des projets d’intégration système
et spécialisés pour être plus perform a n t s » s o u l i g n e D o mi ni qu e
Dervieux directrice adjointe du recrutement et de la mobilité chez CGI.
Les exigences des entreprises du secteur numérique rejoignent celles du
Conseil en Technologie. Pour ces
dernières, il n’y a pas de pénurie globale de profils ingénieurs mais
comme 97 % d’entre eux trouvent un
job dans les 6 mois qui succèdent la
fin de leurs études, les frottements
sont nombreux. Et dès que l’on rentre
dans l’analyse micro des besoins des
entreprises les dificultés de recrutement font surface « Les jeunes diplômés ont une formation de base très
forte. Nos ingénieurs ont une bonne
capacité à capter l’information et
résoudre les problèmes. C’est le fruit
de leur formation. Mais il ne faut pas
cacher la difficulté actuelle : nous
avons besoin de proils hybrides car
les ingénieurs sont au milieu de 2
mondes » analyse Sandrine AntignatGautier directrice de la communication d’Alten qui va recruter 2700
ingénieurs sur l’ensemble de la
France dont 45 % de postes réservés
aux JD, 40 % aux 2-5 ans d’expérience
et 15 % pour le experts. Des recrues
qui iront renforcer les nouveaux pôles
en croissance comme la santé où le
Big data fait une irruption remarquée.
Ces nouvelles activités qui infusent
l’ensemble des entreprises au il de la
montée en puissance de leur digitalisation appellent des proils qui maitrisent les fondament aux de la
mobilité, du cloud computing, de la
sécurité ou de l’analyse de données,
les SMACS. « Ce sont des postes très
exigeants pour une population de
jeunes diplômés souvent innovants
mais très impatients qui veulent aller
parfois un peu trop vite. Ils veulent
travailler sur l’offre exacte qui les
séduit et pour y faire face nous mettons en place des structures d’accompagnement qui permettent de
multiplier les échanges avec les
managers » explique Nathalie Morin
directrice des opérations France de
Devoteam qui souligne le besoin de
cette génération de relations approfondies avec l’encadrement.
la digitalisation
des entreprises crée
un appel d’air pour
les ingénieurs
La qualité de l’environnement au
travail, l’intérêt des missions, les perspectives de développement personnel
sont des facteurs de plus en plus pris
en compte par les employeurs. Ils le
sont d’autant plus que les ingénieurs
sont volatils et que le marché international leur est ouvert. Reste le facteur
rémunération. C’est selon les jeunes
diplômés le point noir du dossier. Les
salaires d’embauche varient de 30 à 36
K€ selon le rang de l’école, la spécialité
et la zone géographique de travail.
L.PM
C
55200€ 37000
c’est la salaire médian des
ingénieurs en France
le nombre de
titres d’ingénieurs
décernés en 2014
17%
le nombre d’ingénieurs
français qui exercent à
l’étranger.
Directrice adjointe recrutement et mobilité CGI
La réalité de nos métiers est souvent mal perçue. Nous devons
continuer à renforcer leur lisibilité pour améliorer notre ’attractivité.
Si nos écoles d’ingénieurs sont excellentes, si les jeunes diplômés
ont appris à apprendre, il faut cultiver cette adaptabilité. Je note qu’il
y a aussi des formations qui sont parfois trop orientées et les candidats qui en sont issus manquent dans ce cas d’une méthode générale
et d’une maitrise des impacts des technologies sur la fonction, la gestion de l’entreprise et la
relation client. CGI conduit une rélexion avec le Syntec Numérique sur les troncs communs
et les options qui pourraient pallier ces faiblesses. C’est d’autant plus important que les
volumes prévisionnels de nos embauches sont signiicatifs : 1400 recrutements au total dont
la moitié sera composée de jeunes diplômés. Les candidats doivent avoir en tête que les clients
ont des exigences élevées. Particulièrement pour les proils expérimentés car ils attendent
des expertises conirmées. Pour le volet Consulting de nos activités, nous nous orientons de
plus en plus vers des candidats qui possèdent la double compétence technologie+ management
sur le modèle des cursus de Grenoble EM, d’ Audencia-Centrale, etc. La mixité des CV est un
plus et dans ce cadre, le salaire suit.
Laurent Benazera
Directeur Recrutement OPEN GROUPE
Nous sommes sur des métiers qui vont de la conception à la mobilité
et qui sont attractifs. Au point que je peux conirmer que pour certains
d’entre eux nous ne manquons pas de candidats : notre partenariat
avec Google attire ainsi dix fois plus de postulants, sur une base de
recrutement mondiale, que de postes de datascientists et de développeurs offerts. Autant dire que la compétition est sévère. Par ailleurs, il faut bien aussi reconnaitre que nos clients sont parfois en déicit de technologie. Cette
situation nous pousse à développer des initiatives de formations importantes qui sont en
relation étroites avec les métiers de nos clients. Car si nous recherchons des jeunes diplômés
qualiiés, on a besoin de plus de sensibilité. Nous sortons d’une période où nos ingénieurs
n’avaient de relations qu’avec les DSI ou les directeurs de production. Aujourd’hui ils doivent
dialoguer en direct avec les responsables métiers. Depuis le marketing jusqu’aux RH. Cela
change la donne. C’est d’ailleurs une belle opportunité pour les ingénieurs femmes qui peuvent
apporter leurs qualités dans de nouveaux secteurs et s’épanouir aussi dans des sociétés plus
traditionnelles qui font le saut digital. Je souligne qu’à côté des jeunes diplômés, la multiplication de projets clients localisés dans nos établissements impose le recrutement de seniors
pour gérer ces grosses opérations.
Nathalie Morin
Directrice des opérations DEVOTEAM
Acteur du Conseil en technologies innovantes et en management pour
les entreprises, l’évolution des besoins de nos clients nous a conduit
à modiier nos critères de recrutement. Si notre cœur de cible reste
plus que jamais les diplômés bac+5 dont 98% sont issus des grandes
écoles d’ingénieurs ou d’universités, nous portons un intérêt plus
aigu aux aptitudes comportementales. Dans les faits cela nous conduit
à faire un mix entre ingénieurs généralistes et candidats plus spécialisés. Pour l’exercice 2016
notre programme de recrutement prévisionnel table sur 500 embauches qui seront réparties
entre 40% de jeunes diplômés de 0-2 ans , 45% de consultants 3-8 ans et 15% d’expérimentés
possédant plus de 8 ans de métier. Nous accordons une grande importance à la capacité de
contact de nos postulants avec les interlocuteurs métiers, particulièrement dans le conseil,
l’architecture, la gestion de projet ou l’AMOA , ainsi qu’à leur facilité de relations avec les DSI
pour le cloud, la mobilité ou la sécurité. Nous encourageons nos jeunes diplômés à proiter
des évolutions entre les technologies et les métiers ce qui nous a conduit à relancer notre
Université Devoteam.
Sandrine Antignat
Directrice de la communication ALTEN
Les
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Emploi
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On parle souvent de pénurie d’ingénieurs en France en raison du
nombre limité de diplômés par an - 37 000. Je pense qu’au niveau
macroéconomique cette population est globalement dimensionnée
pour le tissu industriel hexagonal. En revanche, au niveau micro le
dossier est plus complexe : nous avons besoin de cadres qui savent
gérer la complexité. Ce sont ces proils qui sont attendus par les
grands comptes. Et là, la tension modiie les critères d’appréciation. Il faut bien reconnaitre
que quand on est une société de 20 000 ingénieurs on pèse dans les métiers industriels et
technologiques. C’est ce poids qui fait de nous une société formatrice et en alerte sur les
nouvelles demandes. C’est ainsi que nous anticipons les nouvelles problématiques industrielles. Celles de l’aéronautique se déplace ainsi désormais vers le manufacturier et l’ingénierie plus que vers les bureaux d’études. L’autre secteur en tension c’est la fonction
informatique : sur le Big Data par exemple nous recrutons beaucoup de diplômés étrangers
spécialisés dans le traitement des données. Ces jeunes diplômés qui ont de très bonnes
capacités techniques sont malheureusement parfois freinés par les problèmes d’obtention
de visas de travail. Alors même qu’ils ont fait des stages dans des sociétés françaises.
RDV LUNDI 14 DÉCEMBRE COMMERCIAUX
MÉDIAS&PIXELS | 11
0123
MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2015
Michel Field
à la tête de l’info
sur France
Télévisions
Le journaliste est nommé à un poste
stratégique pour le groupe public
à un an et demi de la présidentielle
L
es grandes manœuvres
s’accélèrent dans le domaine de l’information
à France
Télévisions.
Lundi 7 décembre, l’entreprise publique a confié ce domaine sensible à Michel Field, qui dirigeait
France 5, en remplacement de
Pascal Golomer. Ce dernier, qui
faisait partie de l’équipe de Rémy
Pflimlin avait conservé son poste
à l’arrivée de Delphine Ernotte
à la présidence de France Télévisions. Du côté de France 5, c’est Caroline Got, directrice de la stratégie et des programmes, qui remplace provisoirement M. Field.
Pourquoi ce changement, trois
mois et demi après l’entrée en
fonction de la nouvelle présidente ? Selon un premier niveau
de lecture, M. Golomer n’aurait
pas donné satisfaction. « A son arrivée, Mme Ernotte a fait le choix de
la continuité. Cela n’a pas fonctionné », dit-on à la présidence de
France Télévisions, en précisant
que le remplacement de celui qui
a fait toute sa carrière dans le service public, et doit être « appelé à
d’autres fonctions », n’est pas une
sanction.
Les dysfonctionnements n’ont
pourtant pas manqué, qu’il
s’agisse du cafouillage autour de la
venue – annulée – de Marine
Le Pen à « Des Paroles et des actes », mi-octobre, ou du lancement
tardif d’une édition spéciale sur
France 2 au soir des attentats du
13 novembre. M. Golomer aurait
aussi défendu le directeur de la rédaction de France 2, Eric Monnier,
qui devrait prochainement quitter
ses fonctions après avoir vu ses
méthodes de management contestées par les syndicats.
Calendrier serré
Derrière ces incidents se nichent
une divergence d’état d’esprit et
une forme d’impatience. L’information est la priorité du début de
mandat de Mme Ernotte, qui a
choisi de lancer une chaîne en
continu et doit mener à son terme
Michel Field, dans
son appartement parisien.
JULIEN FAURE/REA
un plan de fusion des rédactions
(France 2, France 3 et France TV
Info) baptisé « Info 2015 ».
Le calendrier est serré : les consultations sociales sur la chaîne
d’info doivent commencer en décembre, pour un lancement prévu
en septembre 2016. Alors que les
syndicats continuent de combattre « Info 2015 », ce projet va nécessiter une accélération du travail en
commun, y compris avec les
autres acteurs de l’audiovisuel public. « Il faut qu’on avance et qu’on
renforce l’esprit collectif », résumet-on à la présidence.
Selon ce deuxième niveau de
lecture, il fallait donc tourner la
page et installer une figure nouvelle, non marquée par les rivalités entre France 2 et France 3, ni
Motherboard parie sur une presse
« tech » à visage humain
par les affrontements avec les organisations syndicales sur le projet de fusion. D’où le choix de Michel Field, qui doit apporter un
« nouveau souffle ».
Ce dernier est une pièce importante de l’équipe Ernotte. Homme
de réseaux, agitateur d’idées, cet
agrégé de philosophie entré en télévision chez Christophe Dechavanne en 1989 fait partie de ceux
dont la présidente apprécie les
conseils. Ces dernières semaines,
il a d’ailleurs participé aux réunions consacrées au projet de
chaîne d’information, chapeauté
par un ancien de LCI, comme lui :
Germain Dagognet.
Sur la chaîne d’information du
groupe TF1, M. Field a animé une
tranche d’information ou encore
l’émission de débat « Politiquement Show », notamment aux
côtés de Patrick Buisson, futur
conseiller de Nicolas Sarkozy.
D’un point de vue politique, il offre l’avantage d’avoir une image
de gauche, en partie liée à son engagement de jeunesse à la Ligue
communiste
révolutionnaire,
tout en ayant bâti une proximité
avec l’ancien président de la République. Une double compatibilité précieuse à un an et demi de
l’élection présidentielle.
L’animateur est surtout connu
pour ses émissions culturelles
comme « Le Cercle de minuit » ou
« Au Field de la nuit ». Cette expérience suscite des interrogations
dans la maison. « Nous ne sommes pas surpris qu’il y ait un chan-
gement, déclare ainsi Serge Cimino, journaliste à France 3 et
membre du bureau national du
SNJ. Mais nous sommes étonnés
du profil retenu. »
Les journalistes ont donc commencé à spéculer sur l’identité du
directeur des rédactions qui est à
leurs yeux le complément opérationnel indispensable à Michel
Field. Des noms comme ceux
d’Agnès Vahramian ou d’Hervé
Brusini sont cités, mais il semble
difficile de convaincre quiconque
de porter le projet de fusion. « Michel Field va-t-il remettre en question les projets de l’équipe précédente comme “Info 2015” ? », interroge l’élu (CGT) Marc Chauvelot. p
alexis delcambre et
alexandre piquard
UNE COLLECTION
Le site consacré à l’innovation, filiale du groupe américain
de médias Vice, lance sa version française mardi 8 décembre
N
ous concentrons nos histoires sur les gens qui
sont derrière la technologie. C’est plus intéressant que de
faire une chronique sur le dernier
iPhone. » C’est avec ce simple
credo que Derek Mead, le rédacteur en chef de Motherboard, explique le succès de son site consacré à l’innovation. Et cette filiale
du groupe américain de médias
pour jeunes Vice compte désormais percer en France : Motherboard s’y lance mardi 8 décembre,
après avoir décliné son site américain en espagnol et ouvert des bureaux au Royaume-Uni, au Canada, au Brésil, aux Pays-Bas, en
Italie et en Allemagne.
Motherboard s’est récemment
illustré par quelques scoops, dont
la révélation du piratage des données du constructeur de jouets
connectés VTech. Ou celle des
noms des utilisateurs du site de
rencontres extraconjugales Ashley Madison. « Motherboard
avait interrogé les hackers eux-mêmes mais aussi des gens qui
avaient vu leur nom publié, en rappelant que l’adultère peut être puni
de mort dans certains pays », note
Sébastien Chavigner, rédacteur
en chef de la version française de
Motherboard, pour souligner
l’approche « humaine » du site.
Parmi les premiers sujets français, M. Chavigner racontera sa semaine passée à se nourrir presque
exclusivement de Soylent, une
forme de nourriture du futur
créée pour apporter tous les nutriments nécessaires sous forme
de poudre à diluer : « Un enfer ».
On lira aussi le portrait d’une des
personnes chargées de calculer la
trajectoire des débris dans « l’espace poubelle ». Ou un sujet sur le
médecin légiste et anthropologue
Philippe Charlier, parti à Haïti à la
Les sites
anglo-saxons
comme Wired,
The Verge,
ou The Register
font figure
de modèles
recherche des « zombies » – sortes
de « morts-vivants », endormis
avec des poisons puissants et ranimés après avoir été déclarés
morts, explique M. Chavigner. Un
sujet conforme au goût des marges et de la provocation de Vice.
« Notre approche est globale, explique M. Mead. Nous ne voulons
pas seulement parler de New York
et de la Silicon Valley : la France et
l’Europe ne sont pas assez couverts. » Le rédacteur en chef américain se dit intéressé par le projet
de fusion nucléaire Iter.
« Economie et pop culture »
« En France, il y a peu de sites de
médias dédiés à l’actualité de l’innovation », regrette M. Chavigner,
qui souligne l’importance croissante du thème chez les supports
généralistes, comme Le Monde, Le
Figaro ou Slate, où la thématique
est souvent traitée par une équipe
dédiée, comme Pixels au Monde.
Pour tous, les exemples sont des
sites anglo-saxons comme The
Verge, créé en 2011 et rattaché au
groupe de nouveaux médias Vox,
ou The Register, réputé sur le
thème de la sécurité informatique. Motherboard est connu pour
ses enquêtes et ses vidéos (il aura
en France quatre personnes dédiées aux images, en plus des quatre permanents de la rédaction).
La référence historique incontestée reste le californien Wired,
qui dès les années 1990 a proposé
un magazine papier époustouflant, doublé d’un site Web quotidien. Propriété du groupe de
presse Conde Nast (Vanity Fair,
Vogue…), son possible lancement
en France fait l’objet de rumeurs
régulières.
Occuper ce créneau reste un
défi : le magazine papier Humanoïde l’a tenté un an, avant de jeter l’éponge à la mi-septembre ;
comme le journal et le site Transfert près de quinze ans avant lui.
Le flambeau est pourtant toujours relevé : deux anciens d’Humanoïde ont lancé le site
Geekzone, alors que d’autres ont
rejoint Numerama. Ce site connu
pour ses combats autour du téléchargement illégal et des libertés
publiques vient d’être racheté et
« repositionné » : « Nous avons une
ligne beaucoup plus ouverte, proche des Anglo-Saxons : on intègre
de la science, de l’économie et de la
pop culture », explique Ulrich Rozier. Ce dernier a acquis Numerama grâce au succès de Frandroid, un site consacré au mobile
qu’il avait cofondé. Lui aussi revendique un traitement « humain » des technologies et espère
importer un peu de l’optimisme
américain, parfois forcené dans le
cas de Wired.
Reste l’épineuse question des
modèles économiques : Motherboard bénéficiera du soutien du
groupe Vice, expert en publicité
ciblant les jeunes et en vidéos
sponsorisées. M. Rozier a lui complété ses revenus publicitaires
avec des liens vers des fiches de
comparateurs de produits et envisage une version payante de Numerama. p
alexandre piquard
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