(Discours prononcé fait foi) quelle politique agricole commune pour

Transcription

(Discours prononcé fait foi) quelle politique agricole commune pour
PROPOSITION D'INTERVENTION INTRODUCTIVE LORS DE L'ÉVÉNEMENT DU
5/04
(Discours prononcé fait foi)
Remerciements
Je tiens à tous vous remercier d'avoir répondu présent à mon invitation à
participer à cette conférence publique sur le thème : "Au-delà de la crise -
quelle politique agricole commune pour demain ?"
Je tiens à remercier le Commissaire Phil HOGAN d'avoir accepté mon
invitation à prendre la parole pour nous donner sa vision du future de la
politique agricole commune
Je tiens également à remercier mon collègue Paolo DE CASTRO et les
panelistes, Mario GUIDI, Markus NEUNDOERFER et Xavier BEULIN qui ont
accepté de s'exprimer et de nous livrer leur analyse de la situation
actuelle.
Enfin, je tiens à remercier l'organisation Farm Europe qui a été la cheville
ouvrière de cet événement.
Introduction
J'ai la lourde tâche d'introduire nos travaux de ce soir. J'en profiterai donc
pour vous livrer mon analyse de la politique agricole commune et de la
situation actuelle de l'agriculture européenne.
Bien qu'ayant été l'un des artisans de la dernière réforme de la PAC,
j'estime aujourd'hui que nous ne sommes sans doute pas allés assez loin.
La PAC actuelle reste figée dans une vision politique et des principes datant
de 1992, c'est à dire d'il y a presque 30 ans.
Je suis aujourd'hui convaincu que la PAC ne répond malheureusement plus
aux ambitions que l'Union européenne se doit d’avoir pour son agriculture
et ses filières agro-alimentaires. Nous avons le devoir de faire naître un
environnement qui permette à ces filières d’exprimer leurs potentialités de
croissance et d’emploi. Cela suppose de mener des politiques qui
dynamisent les investissements, qui visent une véritable durabilité
environnementale et économique, qui permettent de dépasser les
dysfonctionnements majeurs des marchés sans casser la croissance.
Aujourd’hui, l’honnêteté oblique de reconnaitre que nous en sommes loin,
que les outils de notre PAC ne répondent pas à ces objectifs et que nous
perdons du terrain sur la scène mondiale sur quasiment tous les marchés.
Rappel historique
La question alimentaire a été dès le début de la construction européenne
un enjeu stratégique, un enjeu de souveraineté. Elle doit le rester.
À la fin des années 50, l'Europe est dépendante en tout pour son
alimentation et doit faire l'appel aux importations pour nourrir les citoyens
européens.
Un changement de paradigme a été opéré en 1992 et nous vivons encore
dans le monde créé par les commissaires Mac Sharry et Fishler. Il fut
présenté comme la bonne volonté européenne dans la négociation menant
à la création de l'OMC à Marrakech.
Cette réforme visait à rapprocher l'agriculture européenne des cours
mondiaux en baissant ce qui étaient les prix directeurs européens puis en
découplant le soutien public de la production ; en compensation les
soutiens directs étaient destinés à maintenir les revenus agricoles.
Les réformes successives de 1999, 2003 et 2008 ont eu le même objectif
premier : une orientation de l’agriculture européenne par les marchés. De
quoi s'agit-il ? De ne plus orienter les choix de production des agriculteurs
par les aides communautaires et convertir des aides de compensation à la
baisse de prix en aides aux revenus pour les agriculteurs.
Néanmoins, deux écueils n’ont pas été évités :
- en se bornant à des dispositifs reposant sur le postulat que dès lors que
des aides annuelles au revenu étaient octroyées, le marché ferait le reste,
l’objectif d’accroitre le potentiel productif européen, d’en renforcer sa
compétitivité a été laissé de côté. Le système d'aide a aussi corseté le chef
d'exploitation, le privant d'une capacité d'innovation.
- De même, la rupture des années 2007-2009 en matière de
fonctionnement des marchés mondiaux agricoles ne s’est aucunement
traduite dans les décisions politiques européennes. Nous avons continué à
construire la PAC comme si les marchés agricoles étaient restés
globalement stables, en hausse tendancielles continues, alors que nous
sommes entrés dans une période de forte volatilité et plus récemment dans
un
cycle
de
prix
sans
doute
durablement
déprimés.
Les résultats en termes d'évolution des revenus agricoles dans l’UE, en
termes de compétitivité européenne dans le monde sont sans appel comme
nous le verrons tout à l’heure.
En 2013, lors de la dernière réforme de la politique agricole commune
(PAC), un vrai débat a enfin été engagé. Nous avons souhaité rétablir des
outils de résilience aux aléas des marchés, pour beaucoup à disposition des
acteurs des filières eux-mêmes, mais également en donnant aux
institutions européennes des moyens d’actions supplémentaires.
Cela n'allait pas nécessairement de soi !
Alors que la réforme votée en 2013 n'a pas encore totalement été mise en
œuvre, la crise est arrivée forte, longue. Y remédier efficacement
avec les outils de cette jeune nouvelle PAC eut supposé de se
préparer à de telles éventualités en amont, eut demandé
inventivité et audace non seulement de la Commission mais aussi
d’un Conseil volontaire et soudé.
Diagnostic de la crise actuelle
En effet, 2015 comme 2016 n'auront pas épargné l'agriculture
européenne.
Les crises successives sur les marchés agricoles auront des conséquences
long-terme importantes.
En plus des aléas sanitaires, l'embargo russe, la chute de la consommation
chinoise et la situation climatique contribuent non seulement à une
volatilité accrue des prix sur les marchés mais à des prix que maintenant
tous les experts s’accordent à prévoir durablement moroses.
Cette situation exacerbe la concurrence entre les États-membres, entre les
agriculteurs, mettant à mal même les exploitations compétitives, celles qui
investissent dans l’avenir et que nous avons encouragé à agir ainsi car il en
va de la place de l’Union Européenne dans le monde.
Pourtant, les exportations européennes ont augmenté de 5,7 %
en valeur en 2015 par rapport à 2014. Mais qu’on ne s’y trompe
pas. Oui, le marché mondial continue à croître et l’Europe doit y
gérer une partie de ses relais de croissance. Mais, l’Europe
aujourd’hui perd des parts de marché en volumes sur presque
tous les segments de marchés. Se satisfaire des résultats actuels
serait se rendre coupable d’hypothéquer l’avenir.
Alors que nos agriculteurs demandent à l'Europe, aux États et aux
organisations agricoles d’agir pour leur permettre de continuer à se
projeter dans l’avenir et de participer à la croissance en passant le cap des
crises, je suis convaincu que la réforme de 2013, si appliquée comme elle
se doit dans son ensemble, pourrait apporter des premières réponses
d’urgence à la crise que nous traversons.
Mais la crise actuelle, sa durée comme sa persistance, doit nous
interroger. Comme doivent nous interroger les réponses mises en
place de façon massives et quasi-automatiques chez nos grands
concurrents mondiaux. Dans un monde où tous nos concurrents
jouent avec d’autres règles du jeu, avec des outils de soutien de la
production, l’Union Européenne peut-elle en faire abstraction et
estimer avoir raison contre tous. Le débat n’est plus de théoriser,
mais de raisonner dans le monde économique où ce sont les plus
armés qui sortent vainqueurs.
Aujourd'hui, force est de constater que nos lignes de fracture sur les choix
politiques à adopter sont partisanes, idéologiques, mais surtout nationales.
Où est l’Europe dans tout cela ?
Nous raisonnons en fait d'ajustements en ajustements de la politique
agricole commune avec le souci premier de trouver les plus petits
dénominateurs communs entre nous, en vue d'un accord politique facile.
Pendant que nous faisons du surplace, le monde ne nous attend
pas !
Dans un monde, où le même boisseau de blé est vendu plusieurs dizaines
de fois au cours de la même heure à la bourse de Chicago, avons-nous
réellement pris la mesure de la financiarisation de l'économie
mondiale?
Dans un monde, où la situation climatique d'un partenaire à l'autre bout du
monde influe largement sur les prix de nos produits agricoles ; où 3% de
surproduction mondiale en matière laitière entraine une baisse de 20% des
prix domestiques et une crise majeure, quelles réponses apportonsnous à la volatilité accrue des prix agricoles ?
Dans un monde où le contexte géopolitique fait de l'agriculture une
variable d'ajustement de la politique commerciale et de la diplomatie,
échangeant allègrement des contingents de viandes et d'huile d'olive
contre des trains ou l’accès espéré à des marchés de services ; sommesnous réellement ambitieux pour notre agriculture, comme l'ont
été les pères fondateurs ? Assurons-nous la durabilité de notre
production agricole ?
Comparaison internationale
J'estime que dans les travaux qui doivent nous occuper, il est essentiel de
regarder les choix politiques et les stratégies agricoles que les autres
grands espaces agricoles ont adoptés.
Un tour rapide d'horizon de nos principaux concurrents est assez
éloquent.
La plupart des grands pays se sont déjà affranchis de l’Organisation
Mondiale du Commerce signés à Marrakech en 1993 pour rétablir une
politique de soutien stratégique à leur agriculture et leurs agriculteurs.
C’est notamment le cas des États-Unis, du Brésil et de l'Inde.
Les États-Unis consacrent en moyenne 75 milliards de dollars par an à
leur agriculture et par le Farm Bill ont opéré un renforcement sans
précédent de leurs filets de sécurités par le biais de systèmes assurantiels
qui protègent leur agriculture des baisses brutales des cours.
L'évolution du revenu moyen agricole américain est impressionnante,
augmentant plus vite que celui des foyers américains.
Le Brésil souhaite avoir une agriculture à la hauteur de ses ambitions
mondiales : le Plano safra 2014-2015 de soutien à l'agriculture met à
disposition 60 milliards d'euros à son agriculture commerciale et familiale
avec une augmentation d'environ 15% de ses crédits par rapport à la
période précédente.
Enfin, n'oublions pas que c'est l'Inde qui a fait échouer les précédentes
négociations commerciales de l'OMC au nom du soutien directe à son
agriculture pour laquelle elle consacre 31,3 milliards d'euros soit 13,6% du
budget national.
Alors que nos concurrents renforcent leur soutien stratégique à
leur agriculture, nous sommes les derniers gardiens du temple.
Nous ne soutenons pas notre agriculture en tant que secteur
économique mais nous cherchons à maintenir des agriculteurs par
des soutiens annuels indifférenciés. Nous sommes empêtrés dans
des débats stériles sur quelle réponse apporter à une crise
agricole sans fin et des voix s'élèvent pour démanteler le budget
agricole européen, qui finance selon leurs dires une "politique du
passé".
Lancement du débat sur la nécessité d'une réforme/ révolution de
la PAC
Avant de laisser la parole au Commissaire HOGAN, permettez-moi de
souligner la responsabilité collective que nous partageons d'apporter des
réponses à la crise et surtout de renouveler la politique agricole pour
qu’elle soit à la mesure de son formidable potentiel et de la responsabilité
morale que possède l'Europe en matière agricole.
Permettez-moi de vous faire partager mon ambition pour
l'agriculture européenne et de vous encourager Monsieur le
Commissaire à être ambitieux à mes côtés, au côté du Parlement
européen et de toutes les bonnes volontés.
L'heure est venue de retourner la table, ne plus tenter d'infléchir la PAC
dans une direction ou l'autre mais assumer de rompre avec une logique
dépassée.
Si l'existence d'une politique agricole commune est essentielle, ses outils
actuels ne permettent plus de relever les défis de la durabilité économique
de nos agricultures, si nécessaire pour permettre aux agriculteurs
européens d'assurer notre souveraineté alimentaire.
La prochaine politique agricole commune se devra d'être simple, lisible,
efficace et cohérente. J'ajoute qu'elle doit être légitime, or une politique
que ses bénéficiaires ne comprennent plus ne n'est plus.
La nouvelle PAC devra assurer la durabilité de l'outil productif agricole en
stimulant des investissements cohérents et facilitant la productivité des
secteurs et la compétitivité des territoires.
La nouvelle PAC devra permettre de compenser les effets de la volatilité
des cours et, plus généralement, protéger les agriculteurs des divers aléas
dont ils ne peuvent se prémunir seuls.
Vous devez, Monsieur le Commissaire, nous proposer une véritable
réflexion de fond sur l'avenir de l'agriculture et des filières agroalimentaires
et de leur croissance durable.
Il en va de notre responsabilité collective.
Seul la Commission dispose de la capacité d'initiative. Nous vous
attendons donc. Face à une PAC qui malheureusement apparait à bout
de souffle, il convient de reprendre l'initiative dès 2018.
Car, et je terminerai là-dessus, si nous n'arrivons pas à assumer ces
missions, à proposer de politiques renouvelées et non pas décalquées du
passé, alors nous ferons le lit des populismes, des extrémismes et des
nationalistes.
Voici quelques éléments de ma réflexion qui je suis sûr participeront au
débat de ce soir.
Monsieur le Commissaire, je vous laisse la parole.