du jeu sérieux au jeu utile
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du jeu sérieux au jeu utile
DU JEU SÉRIEUX AU JEU UTILE Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ria.revuesonline.com Un numéro spécial de RIA Serious Game, c’est tendance. Les colloques, conférences et autres journées d’étude se multiplient plus vite que les pains et les appels d’offre nationaux ou locaux semblent être une idée politique pour réindustrialiser la France profonde. Celui du ministère de l’Industrie dit « appel serious game NKM » lancé il y a deux ans a été un des jalons de cette évolution. Dans ce domaine, la France suit, avec retard, les grands projets américains, canadiens, anglais, allemands… Ce réveil repose sans doute sur trois piliers. Le Serious Game fournit un alibi pour traiter de l’impact du jeu vidéo comme élément essentiel, mais politiquement peu correct, de notre culture : « ne dites pas à ma mère que je suis Game Designer, je forme les médecins, pompier, informaticiens… de demain ». C’est un moyen, pour les professionnels du jeu de trouver un financement plus régulier que les contrats et éventuels retours sur ventes des éditeurs de jeu. Enfin c’est le graal de tout enseignant, symbolisé par cette affiche ou l’on voit un « ado », « accro » à sa manette, avec pour légende « s’il s’intéressait autant à la physique… ». Il y a donc, au-delà des mots Serious Game, des problèmes qui méritent d’être analysés. Si l’on cherche à définir ce terme en couvrant tous les objets et applications qui s’en réclament, on tombe, non pas dans le vide, mais dans le trop-plein. Il ne reste qu’une définition qui convienne : « Tout objet relevant du numérique qui n’est pas destiné aux loisirs et qui utilise soit une technologie, soit des principes de conception développés à l’origine pour le jeu vidéo ». Par exemple, à ce titre, une application d’imagerie médicale qui utilise des processeurs graphiques conçus pour le jeu ou l’exploration virtuelle d’un futur bâtiment basée sur un moteur de jeu, sont des jeux sérieux. Si l’on accepte ce sens du terme jeu sérieux, il n’est plus possible d’en dire grand chose, mis à part sur les avantages d’échelle de marché apportés par le jeu : les processeurs graphiques précités coûteraient cinq à dix fois leur prix s’ils n’avaient été développés que pour leurs « usages sérieux ». Mais si l’on désire aller plus loin dans ce domaine et comprendre, par exemple, ce qui distingue le ludo éducatif d’il y a vingt ans des meilleurs jeux de formation actuels, il faut restreindre la définition du terme Serious Game. Partons pour cela d’une définition du terme jeu, celle de Jesper Juul par exemple : « Un jeu est un système dynamique formel dont le comportement, délimité par des règles, produit des conséquences variables et ayant des effets quantifiables. Le joueur doit avoir la sensation que ses actions influencent de façon contrôlée le comportement du jeu. Il doit être émotionnellement attaché aux résultats observés, mais il est seul à définir quelle est l’importance des résultats dans la vie réelle ». Cette définition permet d’analyser les mécanismes qui servent à une forme 144 RSTI - RIA – 25/2011. Du jeu sérieux au jeu utile d’addiction au jeu et qui sont basés sur la sensation d’engagement et de responsabilité du joueur. Or, les jeux sérieux destinés à la communication (politique, publicitaire…), à l’éducation ou à la formation, aux applications thérapeutiques qui ont marqué les dix dernières années, ont tous cherché, et réussi à exploiter les principes de conception qui gouvernent le gameplay et la narration dans les jeux vidéo, i.e. à respecter la définition de J. Juul. C’est donc ce principe qui lie jeu pas sérieux et jeu sérieux. Où se trouve la différence ? Un jeu politique comme le « 12 Septembre » de Gonzalo Frasca tente de vous convaincre que la solution militaire ne résout pas le problème du terrorisme, America’s Army va pousser le joueur à s’engager dans ladite armée, Supercharged vous aide à comprendre les lois de l’électromagnétisme… Tous ces jeux ont explicitement une utilité autre que le divertissement. Le créateur du jeu a pour objectif de contrôler une partie des « résultats du jeu dans la vie réelle ». Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ria.revuesonline.com Nous pouvons donc proposer une définition, non pas du jeu sérieux, mais du jeu utile : Un « jeu utile » est un système dynamique formel dont le comportement, délimité par des règles produit des conséquences variables et ayant des effets quantifiables. Le joueur doit avoir la sensation que ses actions influencent de façon contrôlée le comportement du jeu. Il doit être émotionnellement attaché aux résultats observés. Mais le « jeu utile » est associé à un objectif défini de « la vie réelle » et il doit être possible de mesurer l’utilité d’usage de ce jeu par rapport à l’objectif défini. Ce numéro thématique comportant six articles retenus à partir de douze soumissions s’organise autour des différentes problématiques posées par la question de l’usage de ces jeux sérieux, « jeux utiles », dans le cadre de l’apprentissage. Les questions de conception, en liaison avec les résultats des sciences cognitives, d’adaptation, de modélisation du joueur/apprenant, de motivation engendrée par l’aspect jeu, de l’évaluation des usages dans différentes disciplines, d’authenticité des situations sont abordées. De plus, chaque article est illustré par une étude de cas, ce qui permet d’avoir une idée des jeux sérieux en cours de conception et pour la plupart en cours d’expérimentation dans la communauté francophone, pour ce qui concerne la formation initiale. En tout premier, se pose la question de savoir si cette approche pédagogique est une réponse au besoin de plus en plus ressenti de faire évoluer les méthodes pédagogiques. E. Pasquinelli montre comment les modèles, les méthodes d’investigation et les résultats des sciences cognitives contribuent à la conception de jeux vidéo dédiés à l’apprentissage. Elle illustre son propos à partir d’une étude de cas en cours portant sur la réalisation d’un jeu sérieux pour l’apprentissage des sciences physiques et chimiques en classe de cinquième. Le deuxième article, proposé par l’équipe Vortex de l’IRIT, porte sur la conception et l’évaluation d’un jeu sérieux pour l’apprentissage de la programmation. Les auteurs y expliquent comment ils ont construit le jeu, Prog&Play, d’une part en analysant les compétences qu’ils veulent développer chez Introduction 145 les apprentis programmeurs et, d’autre part, en prenant en compte l’appétence des jeunes pour les jeux de stratégie temps réel. Ce jeu constitue un excellent exemple de résolution de la principale difficulté dans la conception des jeux sérieux, à savoir trouver l’équilibre entre l’aspect ludique et l’aspect sérieux. Les premières évaluations, y compris celle faite par l’un des co-auteurs de ces lignes à l’université Pierre et Marie Curie, montrent que les étudiants effectivement « se prennent au jeu » et par là-même développent des compétences qui vont au-delà de ce qu’ils acquièrent généralement. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ria.revuesonline.com Dans le troisième article, on retrouve le même type de situation, conceptualisée en s’appuyant sur la notion de situation a-didactique, introduite initialement pour les mathématiques par Brousseau. Il s’agit d’un jeu pour l’apprentissage de la géologie dans lequel l’élève doit construire des coupes géologiques en utilisant des boutons lui permettant de simuler des processus géologiques. L’analyse du comportement de l’apprenant est faite à partir des traces fournies par le jeu sérieux et de deux posttests permettant d’évaluer les acquisitions. L’analyse des traces montre que les élèves passent progressivement, pour la plupart, d’un comportement de tâtonnement à un raisonnement de type hypothético-déductif. Quant à l’analyse des connaissances acquises, les tests montrent que l’acquisition porte sur les connaissances procédurales et non sur celles déclaratives, résultat en accord avec les analyses de Vergnaud sur la notion de « théorème en acte ». À partir d’un environnement générique de jeux sérieux de type RPG (Role Playing Game) ou de type MMORPG (Massively Mulitplayer Online Role Playing Game), T. Caron et J.-C. Marty abordent deux questions essentielles : celle de la modélisation du joueur, y compris dans sa composante sociale, celle de la nécessité du maintien de l’apprenant immergé dans le jeu, ceci grâce à des propositions qu’ils font au niveau du game design et du gameplay. Comme E. Sanchez, les auteurs utilisent les traces informatiques pour mettre à jour le modèle du joueur, modèle considéré comme un objet collaboratif, notamment entre l’enseignant et l’apprenant/joueur. L’un des sujets centraux dans les environnements d’apprentissage est la question de l’adaptation à l’apprenant, car selon la formule de M. Vivet, « on n’enseigne pas à Laurel comme à Hardy ». Cette adaptation est évidemment encore plus cruciale dans les jeux, qu’ils soient ludiques ou sérieux. Pour garder la motivation, il est essentiel de garder un équilibre entre le niveau de difficulté et le niveau d’habileté du joueur. Le texte proposé est un état de l’art sur les techniques d’adaptation, que ce soit pour les jeux mono ou multijoueurs pour lequel les auteurs montrent que tout reste à faire. À partir d’un cadre d’évolution reposant sur le périmètre, les paramètres et le modèle d’adaptation, les auteurs ont recensé par moins de seize cas différents de type d’adaptation. Ce recueil se termine par un texte proposant une analyse générale de l’utilisation des jeux dans l’apprentissage, analyse qui s’exprime en termes de niveau d’authenticité, exprimant un compromis, inhérent à ce type d’environnement, entre réalisme, cohérence et apprentissage. Cette étude s’appuie sur le jeu sérieux Loé, qui est destiné à des étudiants de médecine dans le cadre d’un module de biostatistique. 146 RSTI - RIA – 25/2011. Du jeu sérieux au jeu utile Il n’est pas question là de jeu vidéo mais d’une simulation grandeur nature dans laquelle les étudiants sont plongés dans un jeu de rôle pour lequel ils doivent réaliser une étude épidémiologique et écrire un article scientifique sur la question. Outre que ce jeu montre bien l’étendue des acceptions possibles pour ce terme et par là-même les nombreuses possibilités en termes de stratégie pédagogique, les auteurs reviennent sur la question centrale de ce champ, à savoir de plonger l’apprenant dans un univers authentique, c’est-à-dire crédible par rapport à une référence du monde réel, cohérent dans son modèle de fonctionnement (i.e. les règles du jeu) et pertinent par rapport aux apprentissages visés. Nous remercions tous les auteurs ayant soumis un article, ainsi que les relecteurs pour leurs commentaires constructifs. JÉROME DUPIRE – CÉDRIC, CNAM JEAN-MARC LABAT – LIP6, Université UPMC STÉPHANE NATKIN – CÉDRIC, CNAM Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ria.revuesonline.com RELECTEURS Alvarez Julian – Docteur en informatique, indépendant Beck Sébastien – Daesign Boudier Valérie – Ktm-Advance Brougere Gilles – Experice, Université Paris 13 Buendia Axel – SpirOps Carron Thibault – Syscom, Université de Savoie Corruble Vincent – Lip6, Université UPMC Donnart Jean Yves – Simulation/Thales Dupire Jérome – Cédric, CNAM Estraillier Pascal – L3i, Université de la Rochelle Fenouillet Fabien – CREF, Université Paris 10 et Université Lille 3 Frasca Gonzalo – Chercheur et fondateur de Powerful Robot George Sébastien – LIESP Université de Lyon, INSA de Lyon Guardiola Emmanuel – Seaside Agency et Cédric, France Hotte Richard – Licef, Téluq, Université Uqam, Canada Labat Jean-Marc – Lip6, Université UPMC Labordrie Cyril – Wizarbox Marty Jean-Charles – Syscom, Université de Savoie Ménager de Frobberville Eudes – Santé/Medigame Natkin Stéphane – Cédric, CNAM Pasquinelli Elena – COMPAS, ENS ULM Pernin Jean-Philippe – LIG, Université de Grenoble Prensky Mark – CEO Games2train Proulx Serge – Université UQAM, Montréal, Canada Sanchez Eric – EducTice/INRP – LEPS, Université de Lyon Sauvé Louise – Savie, Téluq, Université Uqam, Canada Szilas Nicolas – TECFA, FPS, Université de Genève, Suisse Tisseron Serge – Psychanalyste, Docteur en psychologie