engrais, éthanol et plafonnement

Transcription

engrais, éthanol et plafonnement
PRB 07-49F
ENGRAIS, ÉTHANOL ET PLAFONNEMENT
DE LA PRODUCTION DE GAZ NATUREL EN ALBERTA
Mathieu Frigon
Division de l’économie
Le 10 octobre 2007
PARLIAMENTARY INFORMATION AND RESEARCH SERVICE
SERVICE D’INFORMATION ET DE RECHERCHE PARLEMENTAIRES
Le Service d’information et de recherche parlementaires de la
Bibliothèque du Parlement travaille exclusivement pour le
Parlement, effectuant des recherches et fournissant des
informations aux parlementaires et aux comités du Sénat et de la
Chambre des communes. Entre autres services non partisans, il
assure la rédaction de rapports, de documents de travail et de
bulletins d’actualité. Les analystes peuvent en outre donner des
consultations dans leurs domaines de compétence.
THIS DOCUMENT IS ALSO
PUBLISHED IN ENGLISH
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION .................................................................................................................
1
LA PRODUCTION DE GAZ NATUREL DE L’ALBERTA
DANS LE CONTEXTE NORD-AMÉRICAIN ....................................................................
2
LE GAZ NATUREL ET LE SECTEUR DES ENGRAIS ....................................................
6
LE GAZ NATUREL ET LA PRODUCTION D’ÉTHANOL...............................................
9
CONCLUSION......................................................................................................................
12
CANADA
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
ENGRAIS, ÉTHANOL ET PLAFONNEMENT
DE LA PRODUCTION DE GAZ NATUREL EN ALBERTA
INTRODUCTION
« L’EUB de l’Alberta a conclu que la production de gaz naturel dans la province a
atteint son sommet en 2001 »( 1 ). [traduction] Ce constat, qui figurait dans le rapport de 2004 de
l’Energy and Utilities Board (EUB) de l’Alberta sur les réserves énergétiques de la province,
pourrait avoir des conséquences à long terme sur le marché nord-américain du gaz naturel ainsi
que sur les secteurs liés à l’agriculture qui utilisent le gaz naturel comme combustible ou matière
première principale. Les secteurs des engrais et de l’éthanol en sont des exemples frappants. Il
importe de souligner que si, selon cette évaluation, la production de gaz naturel classique a
maintenant plafonné en Alberta, la province ne manquera pas pour autant de gaz naturel. Il faut
en conclure plutôt que, la production de gaz naturel classique ayant atteint son sommet, les
livraisons de gaz naturel classique devraient diminuer dans les années à venir. L’objectif du
présent document consiste à examiner le lien entre les secteurs nord-américains des engrais et de
l’éthanol et le gaz naturel, aussi bien qu’à analyser les répercussions possibles d’un resserrement
du marché nord-américain du gaz naturel sur eux. À cette fin, dans la première partie de l’étude,
nous examinerons la production de gaz naturel de l’Alberta dans le contexte nord-américain, et
dans les suivantes, nous déterminerons l’importance du gaz naturel pour les secteurs des engrais
et de l’éthanol. On trouvera également dans ces parties une évaluation des solutions de rechange
énergétiques possibles.
(1)
Alberta Energy and Utilities Board, Alberta’s Energy Reserves 2004 and Supply/Demand
Outlook/Overview, 2005, p. 1.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
2
LA PRODUCTION DE GAZ NATUREL DE L’ALBERTA
DANS LE CONTEXTE NORD-AMÉRICAIN
Près de 98 p. 100 du gaz naturel produit au Canada vient du bassin sédimentaire
de l’Ouest canadien (BSOC), dont environ 80 p. 100 de l’Alberta( 2 ). Contrairement au pétrole,
qui peut être facilement transporté au moyen tant de pétroliers que de pipelines et qui, par
conséquent, constitue une marchandise mondialisée, le gaz naturel est plutôt un produit régional
parce qu’il est difficile à transporter par mer( 3 ). Le Canada et les États-Unis forment un marché
intégré de gaz naturel. Les États-Unis sont devenus un importateur net de gaz naturel en 1958,
année où les importations nettes ont représenté 0,94 p. 100 de la consommation intérieure.
Celle-ci a constamment augmenté pour s’établir à 16,24 p. 100 en 2005. Le Canada, l’Alberta en
particulier, a été un important fournisseur pour le marché américain durant cette période. En
2005, la part canadienne du marché des importations américaines de gaz naturel était de
85 p. 100( 4 ).
La production de gaz naturel en Alberta a augmenté à un rythme annuel composé
de 5,9 p. 100 entre 1990 et 1999. Pendant cette période, le prix du gaz naturel est resté plutôt
bas, ne dépassant pas 2 $CAN le gigajoule durant la plus grande partie de la décennie( 5 )( 6 ). Entre
1999 et 2006, le prix du gaz naturel a augmenté de 165 p. 100. Malgré cette forte appréciation,
la production de gaz naturel classique en Alberta a plafonné en 2001, comme l’a souligné l’EUB.
Depuis lors, les niveaux de production se sont stabilisés, le niveau élevé du forage prévenant un
brusque déclin de la production (voir le graphique 1 pour la production et les prix du gaz naturel
en Alberta depuis 1990).
L’EUB prévoit maintenant une diminution annuelle moyenne de
(2)
Office national de l’énergie, Aperçu de la situation énergétique au Canada 2006, Évaluation du marché
énergétique, mai 2007, p. 21.
(3)
Le gaz naturel peut être expédié par mer au moyen de bateaux citerne sous la forme de gaz naturel
liquéfié. Cependant, la liquéfaction du gaz naturel étant un processus énergivore et coûteux, ce mode de
transport n’est pas concurrentiel.
(4)
Exception faite des données portant exclusivement sur l’Alberta, toutes les données proviennent de la
US Energy Information Administration (http://www.eia.doe.gov/, site consulté en août 2007).
(5)
Il s’agit du prix moyen annuel. Étant donné que la demande de gaz naturel est largement tributaire des
conditions météorologiques et que ce dernier est une matière difficile à stocker, les fluctuations des prix
peuvent être élevées d’un mois à l’autre.
(6)
La seule exception à cela est 1999, où le prix moyen du gaz naturel a atteint une moyenne de
2,35 SCAN pour l’année (Alberta Energy Utilities Board, prix à la sortie de l’usine en Alberta).
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
3
2,5 p. 100 de la production de gaz naturel classique en Alberta de 2006 à 2016. En conséquence,
la production canadienne de gaz naturel classique devrait elle aussi diminuer( 7 ).
9,00
140
8,00
7,00
120
6,00
100
5,00
4,00
80
60
3,00
40
20
2,00
1,00
0
0,00
$CAN le gigajoule
160
Production
Prix
19
9
19 0
9
19 1
9
19 2
9
19 3
9
19 4
9
19 5
9
19 6
9
19 7
9
19 8
9
20 9
0
20 0
0
20 1
0
20 2
0
20 3
0
20 4
0
20 5
06
milliards de mètres cubes
Graphique 1 Production et prix du gaz naturel en Alberta
Source : Alberta Energy and Utilities Board, Alberta’s Energy Reserves 2005 and Supply/Demand
Outlook 2006-2015, Dossier PowerPoint contenant des graphiques et des données
(http://www.eub.ca/docs/products/sts/ st98-2007-Data.ppt).
La baisse prévue de la production de gaz naturel classique en Alberta ne
constituerait pas un problème si on prévoyait en même temps une baisse de la consommation de
gaz naturel en Amérique du Nord ou si on s’attendait à ce que la production dans d’autres parties
de l’Amérique du Nord ou la production de gaz naturel non classique viennent compenser
largement ce déclin.
Or, compte tenu des préoccupations croissantes suscitées par le
réchauffement planétaire, on s’attend généralement au renforcement de la demande de gaz
(7)
« Suivant les deux scénarios, les marchés du gaz naturel sont confrontés à des défis causés par la baisse
de production depuis les sources classiques ». (Office national de l’énergie, L’avenir énergétique du
Canada – Scénarios de référence et scénarios prospectifs. Évaluation du marché de l’énergie,
novembre 2007, p. 70). Voir aussi Association canadienne des producteurs pétroliers, « Canadian Crude
Oil & Natural Gas » http://www.capp.ca/raw.asp?x=1&dt=NTV&e=PDF&dn=126124.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
4
naturel, ce dernier étant le combustible fossile le plus propre( 8 ). Qui plus est, l’extraction et
l’affinage du pétrole des sables bitumineux nécessitent d’importantes quantités de gaz naturel.
On anticipe donc une forte hausse de la production de pétrole provenant des sables bitumineux
dans les années à venir( 9 ), ce qui exercera vraisemblablement des pressions supplémentaires sur
la demande de gaz naturel en Alberta( 10 ). Il est vrai que cette province est reconnue pour avoir
de riches réserves de gaz naturel dit « non classique » sous forme de méthane de houille, mais il
reste encore bien des problèmes à régler avant de pouvoir en amorcer l’exploitation. L’EUB
estime que l’augmentation de la production de méthane de houille ne parviendra pas à compenser
pleinement le déclin prévu de la production de gaz naturel classique d’ici 2016. Compte tenu de
la fermeté de la demande intérieure et d’une possible stagnation de l’offre, l’EUB prévoit que
44 p. 100 de la production de gaz naturel classique et non classique de l’Alberta serviront aux
besoins de la province en 2016, soit une hausse par rapport au taux de 28 p. 100 enregistré en
2006( 11 ). En conséquence, l’EUB prévoit que l’exportation de gaz naturel de l’Alberta diminuera
de 30 p. 100 entre 2007 et 2016.
De même, dans l’ensemble du Canada, on prévoit que la productibilité globale de
gaz naturel au Canada (de sources classiques et non classiques) reculera à court terme. Dans son
évaluation du marché d’octobre 2007, l’Office national de l’énergie du Canada a établi trois
scénarios au chapitre des investissements : un scénario de référence, un scénario d’activité forte
et un scénario d’activité faible. Dans ces trois scénarios, la productibilité de gaz naturel devrait
diminuer de 15,1 p. 100 en 2007, de 12,3 p. 100 en 2008 et de 7,1 p. 100 en 2009.
(8)
Selon deux scénarios différents, l’Office national de l’énergie prédit une hausse de l’utilisation du gaz
naturel dans tous les secteurs utilisateurs au Canada jusqu’en 2025 (source : Office national de l’énergie,
p. 69 et 70). L’Energy Information Administration (EIA) aux États-Unis prévoit que la consommation
de gaz naturel en Amérique du Nord augmentera de 17,4 p. 100 de 2004 à 2015
(http://www.eia.doe.gov/oiaf/ieo/ nat_gas.html, site consulté en août 2007).
(9)
Se chiffrant déjà à plus d’un million de barils par jour, la production devrait tripler au cours de la
prochaine décennie. En 2020, elle pourrait bien s’élever à plus de 4 millions de barils par jour de brut
synthétique, propulsant le Canada aux premiers rangs des producteurs de pétrole (Jeff Rubin et Peter
Buchanan, « Opec’s Growing Call on Itself », Occasional Report #62, 10 septembre 2007, Marchés
mondiaux CIBC, p. 4).
(10) La demande de gaz naturel servant à l’exploitation des sables bitumineux devrait représenter 33 p. 100
de la demande de gaz commercialisable en Alberta en 2016, comparativement à 17 p. 100 en 2006.
Source : (les données sont tirées de Alberta’s Energy Reserves 2006 and Supply/Demand Outlook).
(11) Alberta Energy and Utilities Board, Alberta’s Energy Reserves 2006 and Supply/Demand Outlook
2007-2015, juin 2007, p. 5 à 32.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
5
La production américaine de gaz naturel commercialisé présente elle aussi des
signes d’essoufflement, ayant diminué de 5,5 p. 100 de 2001 à 2006, période durant laquelle le
prix du gaz naturel a atteint des niveaux records. Le Mexique a certes augmenté sa production
de 35 p. 100 de 2001 à 2006, mais le volume de cette production reste plutôt faible, représentant
moins de 7 p. 100 de la production totale de l’Amérique du Nord. Les données montrent que le
niveau le plus élevé de la production combinée de gaz naturel du Canada, des États-Unis et du
Mexique a été atteint en 2001; or, en 2006, la production était inférieure de 2,6 p. 100 à ce
sommet. Pendant le même laps de temps, le reste du monde a accru sa production de gaz naturel
de 24 p. 100.
Il est peut-être prématuré de conclure que la production de gaz naturel de
l’Amérique du Nord dans son ensemble a également atteint son point culminant ou que le
sommet atteint en 2001 sera surpassé dans un proche avenir( 12 ). Quoi qu’il en soit, nous pouvons
prédire qu’une possible contraction de l’offre intérieure, conjuguée à une augmentation de la
demande, préparera le terrain pour un resserrement du marché du gaz naturel dans les années à
venir. Pareil resserrement se traduirait par des prix plus élevés et plus instables en moyenne que
ce ne fut le cas dans les années 1990( 13 )( 14 ). Une hausse des prix du gaz naturel poserait
problème aux secteurs liés à l’agriculture, qui sont de grands consommateurs de gaz naturel, tels
ceux de l’éthanol et des engrais. Il existe bien sûr des solutions de rechange au gaz naturel
produit au Canada, comme le gaz naturel liquéfié (GNL) importé ou d’autres sources d’énergie
(12) Par exemple, un important projet de production de gaz est maintenant à l’étude dans les Territoires du
Nord-Ouest. On ne sait pas encore si ce projet, s’il se concrétisait, contribuerait à ralentir le déclin de la
production de gaz naturel en Amérique du Nord ou à la porter à un autre sommet.
(13) Ainsi qu’il a été précisé, le prix du gaz naturel pourrait connaître d’importantes fluctuations d’une saison
à l’autre. Cela pourrait entraîner une baisse des prix durant un certain temps, laquelle s’accélérerait en
cas de récession économique, ce qui se traduirait par un repli de la demande de gaz naturel. Cependant,
en moyenne, le resserrement des marchés du gaz naturel en Amérique du Nord dans les années à venir
devrait se refléter dans des prix plus élevés que ceux que nous avons connus dans les années 1990.
(14) De même, dans le document intitulé L’avenir énergétique du Canada, l’Office national de l’énergie dit
ce qui suit à propos des deux scénarios présentés :
Suivant le scénario PO, des difficultés considérables surviennent et les clients se font
concurrence pour se procurer des approvisionnements au fur et à mesure que l’écart
entre l’offre et la demande de gaz naturel rétrécit. Les utilisateurs finals font face au
risque de prix élevés et instables... Même si les projections sur l’équilibre entre l’offre
et la demande sont plus favorables selon le scénario TV, il y a beaucoup d’incertitude
et de risques au sujet de la mise en valeur de nouvelles sources de gaz naturel et du
moment à choisir pour le faire. Des changements de cap et l’incertitude concernant la
production disponible, le coût et le moment à choisir pour entreprendre les différents
projets se traduisent à court terme par des déséquilibres et des fluctuations des prix.
(p. 76)
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
6
(le charbon, le nucléaire). Comme nous le verrons, ces solutions de rechange ont, de façon
générale, leurs inconvénients, notamment en matière d’environnement, de sécurité énergétique et
de délais d’approvisionnement.
LE GAZ NATUREL ET LE SECTEUR DES ENGRAIS
Il y a trois grands types d’engrais : les engrais azotés, les engrais phosphatés et les
engrais potassiques.
Le phosphore et la potasse sont extraits de sources minérales (roche
contenant des minéraux phosphatés et potassium). Les premiers engrais azotés ont été tirés du
nitrate du Chili, que l’on appelait « salpêtre du Chili », lequel a été largement utilisé comme
engrais et matière première pour la fabrication de poudre noire à la fin du XIXe siècle.
L’extraction du « salpêtre du Chili » revêtait une telle importance géopolitique et était si rentable
que trois pays, le Chili, le Pérou et la Bolivie, se sont livré bataille pour mettre la main sur les
gisements les plus riches durant la guerre du Pacifique (appelée aussi « guerre du salpêtre »). Le
salpêtre du Chili a conservé son importance stratégique jusqu’à ce que le chimiste allemand,
Fritz Haber, mette au point le procédé qui porte son nom. Le procédé Haber a constitué une
découverte déterminante dans l’industrie chimique puisqu’il a permis la production de composés
nitriques, comme les engrais, les explosifs et les charges d’alimentation, sans recourir aux
gisements naturels. On croit que c’est cette découverte qui a permis à l’Allemagne de poursuivre
la Première Guerre mondiale, car, en 1914, ses sources d’approvisionnement en nitrates – qui
servaient à la fabrication d’explosifs – se sont taries( 15 ).
Le procédé Haber, appelé aussi procédé Haber-Bosch, permet de produire de
l’ammoniac avec de l’azote et de l’hydrogène. L’ammoniac est la principale matière première
servant à la production de tous les engrais azotés. L’azote atmosphérique étant essentiellement
gratuit, c’est la production de l’hydrogène qui coûte le plus cher. Le gaz naturel est, de façon
générale, considéré comme la charge d’alimentation la plus économique pour la production
d’hydrogène( 16 ). Aux États-Unis, quelque 95 p. 100 de la production d’hydrogène destiné aux
besoins de raffinage supplémentaire et à l’industrie chimique (y compris la fabrication
(15) Le procédé Haber. Source (http://nobelprize.org/nobel_prizes/chemistry/laureates/1918/haber-bio.html).
(16) United States Department of Energy, Office of Fossil Energy – Hydrogen Program Plan. Hydrogen
from Natural Gas and Coal: the Road to a Sustainable Energy Future, Hydrogen Coordination Group,
juin 2003, tableau p. 13.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
7
d’ammoniac) est réalisée avec du gaz naturel à l’aide de la technique de reformage à la
vapeur( 17 ). On estime que le gaz naturel représente de 70 à 90 p. 100 du coût de production de
l’ammoniac( 18 ). L’arrivée sur le marché des engrais azotés de synthèse est l’un des facteurs qui
ont contribué à la révolution écologique du milieu du XXe siècle. Sur le plan du tonnage,
l’hydrogène comptait pour 56 p. 100 de l’apport de nutriants dans les engrais chimiques aux
États-Unis en 2005. L’agriculture moderne a donc énormément besoin d’ammoniac et, partant,
de gaz naturel, pour obtenir des rendements élevés. Ainsi, les applications de l’hydrogène ont
constitué 22,1 p. 100 des coûts d’exploitation des producteurs de maïs, et 33 p. 100 de ceux des
producteurs de blé( 19 ).
Le Canada est un des grands producteurs mondiaux d’engrais, notamment ceux
qui sont à base d’azote et de potasse. Il exporte près de la moitié des engrais azotés qu’il
produit( 20 ). Toutefois, selon l’Institut canadien des engrais (2005), c’est en Amérique du Nord
que le gaz naturel coûte le plus cher, et cela nuit considérablement à la compétitivité de
l’industrie canadienne des engrais sur le marché mondial. Il en va de même des États-Unis, où la
faible rentabilité observée ces dernières années a poussé un nombre appréciable de producteurs
d’ammoniac à cesser leurs activités ou à fusionner avec d’autres producteurs( 21 ). Le graphique 2
illustre l’évolution de la production d’ammoniac aux États-Unis et au Canada ainsi que la part
des importations nettes d’ammoniac relativement à la consommation intérieure. On remarquera
notamment que les importations nettes d’ammoniac au Canada et aux États-Unis en pourcentage
de la consommation sont passées de 12 à 29 p. 100 de 1999 à 2005. Bien que nombre de facteurs
expliquent l’importance relative grandissante des importations d’ammoniac pour répondre à la
demande au Canada et aux États-Unis, le resserrement du marché nord-américain du gaz naturel
a sans doute joué un rôle non négligeable dans cette évolution.
(17) Ibid., p. 14.
(18) Agriculture et Agroalimentaire Canada, « Canada : achats agricoles de carburant et d’engrais » Bulletin
bi-mensuel, 30 mars 2007, vol. 20, no 5, p. 3.
(19) Wen-yuan Huang, Impact of Rising Natural Gas Prices on U.S. Ammonia Supply, Economic Research
Services, août 2007, p. 2.
(20) Agriculture et Agroalimentaire Canada, p. 2.
(21) United States Department of Agriculture, Economic Research Service, Wen-yuan Huang, Impact of
Rising Natural Gas Prices on U.S. Ammonia Supply, août 2007, p. 6.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
8
Graphique 2 Production d'ammoniac et importations nettes en
pourcentage de la consommation, Canada et États-Unis
35 %
Tonnes de produits
25 000
30 %
20 000
25 %
15 000
20 %
10 000
15 %
10 %
5 000
5%
0%
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Production
Importations nettes en % de la consommation
Source : International Fertilizer Industry Association.
Les producteurs d’ammoniac du Canada et des États-Unis ne pourront
vraisemblablement pas soutenir la concurrence des pays qui peuvent compter sur une offre
encore abondante et bon marché de gaz naturel classique, ce qui pourrait inciter d’autres
producteurs à s’établir à l’extérieur de l’Amérique du Nord. Cela dit, comme le transport
océanique de l’ammoniac est coûteux et nécessite d’importants investissements, certains
producteurs d’engrais nord-américains pourraient mieux composer avec des prix du gaz naturel
plus élevés que ne le peuvent leurs concurrents d’outre-mer. Il convient de souligner que, même
si le gaz naturel est de loin la matière première de choix, l’hydrogène servant à produire de
l’ammoniac peut aussi être extrait du charbon ou de l’eau par électrolyse. Si l’électrolyse de
l’eau est actuellement une option coûteuse, le charbon pourrait coûter à peu près autant que le
gaz naturel( 22 ), et il est d’ailleurs déjà utilisé pour produire de l’ammoniac. Le charbon constitue
une source d’énergie qu’on trouve abondamment en Amérique du Nord, mais il a l’inconvénient
d’être plus polluant que le gaz naturel. La cherté du gaz naturel a stimulé la recherche sur de
(22) Cela dépend évidemment du prix du charbon par rapport à celui du gaz naturel. Si le charbon avait
coutume d’être une matière première plus coûteuse que le gaz naturel pour produire de l’ammoniac en
Amérique du Nord, la hausse du prix du gaz naturel de ces dernières années pourrait bien avoir changé
un peu la donne.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
9
nouvelles technologies susceptibles de réduire davantage les coûts de production d’ammoniac à
partir du charbon et de rendre le processus moins polluant. Certaines initiatives témoignent de ce
que le passage à des solutions de rechange est déjà amorcé. Ainsi, dans le cadre du projet de
l’État de l’Illinois visant à fabriquer des engrais pour la culture du maïs à partir du charbon, une
subvention a été accordée à une usine d’engrais d’East Dubuque pour passer du procédé
employant du gaz naturel à un procédé de polygénération (production d’ammoniac, de diesel et
d’électricité) employant du charbon. Le prix élevé du gaz naturel, qui force les producteurs
d’engrais à « lutter constamment pour leur survie »( 23 ) [traduction], a été cité au nombre des
facteurs à l’origine de ce changement. En définitive, l’ampleur de l’écart entre les coûts de
production d’ammoniac en Amérique du Nord et les coûts d’importation d’ammoniac
d’outre-mer (transport compris) deviendra un des facteurs principaux de l’évolution de la
production d’ammoniac en Amérique du Nord.
Si la tendance actuelle du recours accru à l’ammoniac importé se maintient, il
s’ensuivra que la production de matières premières clés comme le maïs et le blé sera de plus en
plus tributaire du gaz naturel étranger. Cela s’inscrirait dans le contexte de l’augmentation de la
demande de maïs et de blé, ceux-ci étant les deux matières premières les plus largement utilisées
pour la fabrication d’éthanol tant aux États-Unis qu’au Canada. Fait à remarquer, la production
d’éthanol fait elle-même un grand usage du gaz naturel. Nous traiterons justement du lien entre
la production d’éthanol et le gaz naturel dans la partie suivante.
LE GAZ NATUREL ET LA PRODUCTION D’ÉTHANOL
Le débat sur la production d’éthanol porte en grande partie sur ce qu’on appelle le
bilan énergétique net (BEN) de l’éthanol (énergie totale utilisée dans tout le processus de
production par rapport à la quantité d’énergie fournie sous forme d’éthanol).
Certes, une
évaluation de ce BEN dépasse le cadre de la présente analyse, mais il est clair que la production
d’éthanol avec du maïs et du blé est assez énergivore( 24 ). À l’étape du raffinage, le processus de
transformation du maïs ou du blé en éthanol est énergivore parce qu’il faut beaucoup de vapeur
pour la cuisson, la distillation et l’évaporation du brassin. On se sert aussi de vapeur s’il faut
(23) État de l’Illinois, Bureau du gouverneur, « State Fair Agriculture Day Sparks Optimism for New Energy
Saving – Clean Coal Initiative Supported by Opportunity Returns Grant », communiqué, 17 août 2004
(http://www.commerce.state.il.us/NR/rdonlyres/53583A07-878F-4D33-B924-5039EBFE0254/0/081720
04_1.pdf).
(24) Voir, par exemple, J. Hill, E. Nelson, D. Tilman, S. Polasky and D. Tiffany, Environmental, Economic
and Energetic Costs and Benefits of Biodiesel and Ethanol Biofuels, Proceeding of the National
Academy of Sciences of the United States of America, juillet 2006.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
10
faire sécher le grain de distillerie (sous-produit du procédé de production d’éthanol)( 25 ). Le gaz
naturel a été le combustible de choix pour la production de chaleur et de vapeur dans les
raffineries d’éthanol. Dans un sondage interne de l’Éthanol Producer Magazine réalisé en
juin 2006 aux États-Unis, 91 p. 100 des répondants ont dit qu’ils se servaient du gaz naturel pour
le traitement et le séchage( 26 ). De plus, on utilise de l’électricité pour les systèmes motorisés, la
préparation du grain et une variété de charges d’usine( 27 ), ce qui signifie que les raffineries
d’éthanol peuvent employer indirectement du gaz naturel si ce dernier est la matière première
utilisée par les services publics locaux pour produire de l’électricité. Si on exclut la matière
première, soit le maïs, on constate que le combustible et l’électricité représentent plus de
40 p. 100 des frais d’exploitation des usines d’éthanol à mouture sèche( 28 ). Par conséquent, les
fluctuations des prix du gaz naturel et de l’électricité pourraient avoir des effets marqués sur les
résultats des usines d’éthanol.
Pour mettre en évidence la dépendance des raffineries d’éthanol par rapport au
gaz naturel, soulignons que si la totalité des 4,9 milliards de gallons d’éthanol produits aux
États-Unis en 2006 étaient fabriqués avec du gaz naturel comme combustible de traitement,
l’industrie aurait eu besoin de quelque 240 à 290 milliards de pieds cubes de gaz naturel, selon
les estimations( 29 ). Cela représente entre 1,1 p. 100 et 1,3 p. 100 de la consommation de gaz
naturel aux États-Unis en 2006. Ces chiffres doivent être inscrits dans leur contexte. D’abord,
ils ne tiennent compte que du gaz naturel utilisé pour la transformation du maïs en éthanol,
laissant de côté le gaz naturel employé dans la production de maïs. Dans la partie précédente,
nous avons montré que le gaz naturel constitue la matière première employée pour fabriquer des
engrais azotés, lesquels sont utilisés à profusion dans la culture du maïs. Ensuite, la production
de 4,9 milliards de gallons d’éthanol a représenté quelque 2,3 p. 100, sur le plan énergétique, de
(25) Le séchage du grain de distillerie est habituellement nécessaire pour prolonger sa conservation et pour
son transport sur de longues distances.
(26) “Diversifying Energy Options,” Ethanol Producer Magazine, décembre 2006
(http://www.ethanolproducer.com/article.jsp?article_id=2544).
(27) Energy and Environmental Analysis Inc., An Assessment of the Potential for Energy Savings in Dry
Ethanol Plants from the Use of Combined Heat and Power (CHP), draft prepared for the United States
Environmental Protection Agency, Combined Heat and Power Partnership, juillet 2006, p. 2.
(28) Hosein Shapouri et Paul Gallagher, département de l’Agriculture des États-Unis, USDA’s 2002 Ethanol
Cost-of-Production Survey, p. 8.
(29) Service de recherche du Congrès des États-Unis, Ethanol and Biofuels: Agriculture, Infrastructure, and
Market Constraints Related to Expanded Production, 16 mars 2007, CRS 7.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
11
la consommation d’essence aux États-Unis en 2006.
On s’attend à ce que la production
d’éthanol augmente de façon marquée dans les années à venir( 30 ), à une époque où l’Amérique
du Nord pourrait éprouver de la difficulté à maintenir sa production de gaz naturel au même
niveau.
Une utilisation plus efficace du gaz naturel rendue possible par les innovations
technologiques pourrait aider les raffineries d’éthanol à absorber une hausse de prix du gaz
naturel. Par exemple, la cogénération (chaleur et électricité) est considérée de plus en plus
comme l’option normale et pourrait se traduire par une diminution de la consommation de
combustible (usine et centrale) s’élevant à 12 p. 100 dans les usines d’éthanol à mouture
sèche( 31 ). Des solutions de rechange au gaz naturel s’offrent certes aux raffineries d’éthanol.
L’énergie nucléaire, la biomasse et le charbon en sont des exemples. L’utilisation du charbon,
notamment, est à la hausse. Le problème avec l’utilisation du charbon, c’est qu’il accroît
l’intensité énergétique du processus, qu’il est un combustible causant plus de pollution
atmosphérique que le gaz naturel et qu’il modifie les émissions globales de gaz à effet de serre
de la production d’éthanol à partir du maïs. On estime que la réduction des émissions de gaz à
effet de serre provenant de l’utilisation d’éthanol par gallon d’équivalent essence s’élève à
38 p. 100 si le gaz naturel est le combustible employé dans le traitement, comparativement à
7 p. 100 dans le cas du charbon( 32 ). Par conséquent, si l’industrie de l’éthanol devait passer en
masse au charbon, cela minerait l’un des arguments avancés en faveur de la production
d’éthanol, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’énergie nucléaire
pourrait un jour constituer une solution de rechange relativement peu coûteuse au gaz naturel
puisque les systèmes modernes de transport de chaleur permettraient de situer le réacteur à plus
d’un mille de l’usine d’éthanol( 33 ).
Si pareille distance était suffisante pour éviter les
préoccupations en matière de sûreté et de sécurité, il n’en reste pas moins que l’énergie nucléaire
n’est pas une option réaliste pour les usines d’éthanol existantes ou projetées qui ne se trouvent
pas assez proches de réacteurs nucléaires. Le problème avec les nouvelles centrales nucléaires,
(30) L’objectif du président Bush, dans son adresse à la nation en 2007, était d’accroître la consommation de
combustibles de rechange (l’éthanol tiré du maïs ou des fibres cellulosique, le biodiésel, etc.), la faisant
passer de 5 à 35 milliards de gallons en 2017.
(31) Energy and Environmental Analysis Inc., p. 2.
(32) Service d’information en matière d’énergie des États-Unis, Emissions of Greenhouse Gases in the
United States 2006, 28 novembre 2007 (http://www.eia.doe.gov/oiaf/1605/ggrpt/potential_figure.html,
site consulté en août 2007).
(33) C.W. Forsberg, S. Rosenbloom et R. Black, “Producing Ethanol from Corn Using Nuclear-Generated
Steam,” Nuclear News, mars 2007, p. 68.
LIBRARY OF PARLIAMENT
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
12
c’est le délai de mise en production s’écoulant entre l’approbation du permis et la production, qui
pourrait être d’une dizaine d’années( 34 ). Le passage à d’autres solutions de rechange comme la
combustion de déchets pourrait être une solution prometteuse pour les producteurs d’éthanol,
mais, jusqu’à maintenant, peu de producteurs se sont engagés dans cette voie.
CONCLUSION
Le plafonnement de la production de gaz naturel classique en Alberta en 2001,
combiné aux pressions haussières accrues qui devraient s’exercer sur la demande, nous fait croire
que l’ère du gaz naturel bon marché touche à sa fin en Amérique du Nord. Pour combler ses
besoins en gaz naturel, l’Amérique du Nord devra se tourner de plus en plus vers des sources
intérieures de gaz non classique (comme le méthane de houille) et, pis encore, le gaz naturel
liquéfié, qui sont tous deux plus coûteux à produire et à transporter que le gaz naturel classique
produit au Canada. Les secteurs liés à l’agriculture, comme la production d’engrais et d’éthanol,
qui sont tributaires du gaz naturel, devront s’adapter, ce qu’ils ont d’ailleurs déjà commencé à
faire. Ces changements pourraient prendre la forme de nouvelles technologies axées sur une
meilleure utilisation du gaz naturel, du passage à des solutions de rechange énergétiques ou du
déplacement des usines outre-mer.
La question n’est pas de savoir s’il y aura assez de gaz naturel pour répondre aux
besoins des fabricants d’engrais et d’éthanol, mais plutôt à quel prix et de quelle partie du monde
il proviendra. Le secteur de l’éthanol a la ferme réputation d’être indépendant sur le plan
énergétique en Amérique du Nord. Ce serait par conséquent une sorte de paradoxe si les
raffineries d’éthanol, par leur consommation d’énergie et de matières premières (maïs, blé),
contribuaient à rendre l’Amérique du Nord de plus en plus tributaire du gaz naturel étranger.
Étant donné que 70 p. 100 des réserves mondiales de gaz naturel se trouvent au Moyen-Orient et
en Russie( 35 ), on se doute bien qui seront les principaux fournisseurs mondiaux de demain.
(34) Energy Policy – Key Issues for Consultation, réponse de la United Kingdom Institution of Civil
Engineers.
Source :
(http://www.ice.org.uk/downloads/Energy%20Policy-Key%20Issues%20%20ICE% 20Response1.pdf, site consulté en août 2007).
(35)
Réserves mondiales de gaz naturel. Source : (http://www.eia.doe.gov/emeu/international/gasreserves.html).