La maladie de Verneuil Diagnostic - Formes cliniques
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La maladie de Verneuil Diagnostic - Formes cliniques
D o s s i e r t h é m a t i q u e La maladie de Verneuil Coordinateur : D. Soudan, Paris ● Introduction - D. Soudan ● Épidémiologie - Étiopathogénie - Th. du Puy-Montbrun ✔ Diagnostic - Formes cliniques - D. Soudan ● Traitements - F. Pigot Diagnostic - Formes cliniques ● D. Soudan* Cliché hôpital Bellan Points forts Points Points forts forts ◆ La clinique suffit au diagnostic de la maladie de Verneuil. ◆ La coexistence de lésions d’âges différents, leur caractère récidivant et la formation de cicatrices chéloïdes rétractiles sont les éléments majeurs du diagnostic. ◆ L’association à une maladie de Crohn et à un tableau de spondylarthropathie est possible. ◆ Les complications locales, générales et la cancérisation sont le fait de formes vues tard et négligées. Mots clés : Maladie de Verneuil - Hidradénite suppurative - Périnée - Clinique Maladie de Crohn - Cancer. e diagnostic de la maladie de Verneuil L (MV) est clinique. Il nécessite le constat de lésions typiques, dans des localisations typiques et une évolution récidivante (1). LÉSIONS La lésion initiale de la MV (photo 1) à sa phase de début est l’apparition insidieuse d’un nodule dermo-hypodermique de forme ronde ou oblongue, peu sensible, mesurant 5 à 15 mm, parfois inflammatoire. Il semble enchâssé dans le derme et reste mobile sur les plans profonds. Après un délai variable, au Photo 1. stade d’abcès, il laisse sourdre une faible quantité de pus ou de liquide séropurulent qui ne permet pas de le vider complètement, et son induration persiste (2), prenant une coloration violacée. Un traitement antibiotique est souvent prescrit en première intention : il est en règle inefficace. C’est à ce stade initial que le diagnostic peut ne pas être évident. Les critères cliniques suivants ont été retenus pour étayer le diagnostic (3), à partir d’une série de 70 MV à leur début : abcès récidivants depuis plus de 6 mois dans des zones de glandes apocrines, début après la puberté, non-réponse aux antibiotiques, tendance marquée à la récidive, existence de comédons doubles dans les territoires des glandes apocrines (régions inguino-périnéofessières, axillaires et périaréolaires), absence * Hôpital Léopold-Bellan, Paris. 13 Le Courrier de colo-proctologie - Volume II - n° 1 - mars 2001 D o s s i e r de germe pathogène en cas de culture, antécédents personnels ou familiaux d’acné ou de sinus pilonidal et recrudescence en période prémenstruelle. La récidive est la règle. Elle se fait par extension du processus inflammatoire et suppuratif à partir d’une lésion initiale ou par l’apparition d’une nouvelle lésion, le plus souvent dans le même territoire, aboutissant à un tableau où coexistent des éléments d’âges différents (2) (photo 2). Cliché hôpital Bellan Photo 2. Cette évolution se poursuit pendant plusieurs dizaines d’années. Tôt ou tard, des trajets fistuleux se forment qui restent dans le tissu souscutané. L’évolution cicatricielle de ces lésions, après évacuation spontanée ou incision, prend un aspect chéloïde, en pince de crabe quasi pathognomonique (photo 3). t h é m a t i q u e Histologie L’histologie, au stade de lésion précoce, constate une périfolliculite avec infiltrat de polynucléaires neutrophiles, de lymphocytes, d’histiocytes, aboutissant à l’abcédation et à la destruction première des structures pilosébacées et des autres annexes cutanées (4). Cette folliculite est la conséquence d’une occlusion folliculaire par de la kératine (5). Les fistules se présentent comme des cavités irrégulières, dermo-hypodermiques, entourées d’un tissu de granulation riche en plasmocytes, en macrophages et en granulomes à corps étrangers. Certaines cavités ont un revêtement kératinisé malpighien, dont il est difficile de dire s’il s’agit de restes annexiels, de l’épithélialisation secondaire d’un trajet fistuleux ou d’inclusions épithéliales dysembryoplasiques (6). L’histologie “classique”, où la glande apocrine est dilatée et prend un aspect pseudo-kystique, est de constatation rare et correspond à des lésions très précoces (2). À l’opposé, dans une série de 46 examens de MV, l’appareil des glandes apocrines était normal chez 40 % des patients (5). L’examen histologique n’est donc pas spécifique et doit être confronté au tableau clinique pour étayer le diagnostic. FORMES CLINIQUES Formes associées à d’autres maladies cutanées La MV peut être associée à d’autres maladies affectant primitivement le follicule pilaire. L’association la plus fréquente est celle d’une MV et d’une acné conglobata (AC) qui provoque une atteinte inflammatoire des glandes sébacées et siège au niveau du tronc, de la nuque et du visage (association présente dans 70 % des cas dans certaines séries). L’association d’une MV, d’une AC et de lésions du cuir chevelu réalise la triade acnéique, l’existence d’un sinus pilonidal réalise la tétrade acnéique (tableau I, page suivante). L’association à la maladie de Dowling Degos (7) ou à la pachyonychie congénitale (8) a été décrite mais reste exceptionnelle. Formes compliquées L’extension en superficie se faisant vers la région rétrosacrée, les creux inguinaux et le scrotum (photo 4) ou la région vulvaire, ce tableau s’accompagne toujours d’un retentissement significatif sur la qualité de vie. Cliché hôpital Bellan Photo 3. En l’absence de traitement curatif se constitue, au terme de poussées successives, un tableau de suppuration périnéale extensive à multiples galeries. L’extension en superficie se faisant vers la région rétro-sacrée, les creux inguinaux et le scrotum ou la région vulvaire : le diagnostic est alors évident dès l’inspection. EXAMENS COMPLÉMENTAIRES Aucun examen complémentaire n’apporte d’argument spécifique au diagnostic de MV. Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001 DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL En règle générale, il n’offre pas de difficultés : • Dans la forme initiale se discutent essentiellement les suppurations d’origine cutanée : furoncle, anthrax, kyste sébacé. • Le vrai problème est de ne pas confondre une MV avec les deux autres suppurations les plus fréquentes : la fistule anale et le sinus pilonidal (qui peuvent parfois coexister avec la MV). C’est dire l’importance d’une exploration soigneuse au bleu de méthylène de tous les trajets au moment du traitement chirurgical. • La MV partage avec la maladie de Crohn (MC) son caractère pluriorificiel extensif et récidivant. Exceptionnellement, on discutera les autres causes plus rares de suppuration chronique : tuberculose, actinomycose, etc. 14 Cliché hôpital Bellan Bactériologie L’étude bactériologique dans la MV n’est pas d’un apport significatif et reste sans intérêt en pratique quotidienne. Photo 4. C’est dans ces formes évoluées que peuvent survenir de façon exceptionnelle des complications locales par extension en profondeur des processus fistulisants : fistules urétrales (9), atteintes osseuses ou rectales (9, 10). Les complications générales sévères sont la conséquence de formes majeures négligées : anémie, amylose, dénutrition (11). MV et cancer La survenue d’un carcinome épidermoïde dans l’évolution d’une MV est une complication redoutable (il est à noter que la MV ne dégénère pas sur le mode de l’adénocarcinome glandulaire apocrine). Depuis la première D o s s i e r t h é m a t i q u e Tableau I. Éléments de la tétrade acnéique (23). Acné vulgaris Acné conglobata Cellulite dissécante Hidradénite Site (glandes) Sébacées Sébacées Sexe M=F M Âge Adolescence Postadolescence Kystes sébacés + + Comédons simples + + doubles – + Abcès discret + + fistulisant – + Cicatrices en pont – + MV et arthropathie Il s’agit d’une association clinique rare dont la première description fut faite en 1982 (16). Les données de la littérature ne permettent pas de différencier les atteintes concernant les manifestations rhumatologiques de la MV avec ou sans AC. Quarante-deux cas sont analysés dans une récente revue de la littérature (17). Les anomalies radiologiques concer- – + – + ± + + + + + nent le rachis (22 sur 25) isolément (12 sur 25) ou associé (10 sur 15) à des manifestations périphériques. Les anomalies périphériques isolées sont rares (3 sur 25). L’atteinte rachidienne est une fois sur deux une sacro-iléite bilatérale. L’atteinte périphérique domine sur les métatarso-phalangiennes et les interphalangiennes proximales. Ce tableau rhumatologique associé à la MV ± AC est un rhumatisme inflammatoire et pose des problèmes diagnostiques essentiellement avec la polyarthrite rhumatoïde et les spondylarthrites séronégatives, en particulier la spondylarthrite ankylosante. La spondylarthrite associée à la MV ± AC est HLA-B27– et HLA-DR4+, ce qui la rapproche de la polyarthrite rhumatoïde ou du rhumatisme psoriasique et pourrait correspondre pour certains (18) à une forme particulière du syndrome SAPHO (synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite). Ce syndrome, décrit en 1987 (19), inclut les manifestations articulaires associées à l’acné sévère, à la pustulose palmo-plantaire, au psoriasis pustuleux palmo-plantaire et à la maladie de Verneuil. Sur le plan thérapeutique, à côté des AINS, de la cortisone, du méthotrexate, de la D-pénicillamine classiquement utilisés, l’isotrétinoïne s’est montrée efficace dans la guérison des manifestations rhumatismales (dans un cas de tétrade acnéique) (18). MV et maladie de Crohn (MC) (photo 5) Cette association a été décrite pour la première fois en 1991 (20). Les manifestations cutanées des maladies inflammatoires de l’in- 15 Cliché hôpital Bellan description en 1958 (12), une quarantaine de cas ont été publiés. La fréquence du carcinome épidermoïde est estimée de 1,7 % (5) à 3,2 % dans une série rétrospective de 1959 (4 cas sur 125) (13). Cette complication survient en règle après une longue évolution de la maladie (moyenne 20 ans), mais deux cas sont survenus après trois et huit ans d’évolution (14). L’irritation chronique en est la cause. Elle survient à un âge moyen de 47 ans et 3 patients sur 4 sont des hommes. Le territoire de survenue est toujours le périnée même si d’autres territoires sont atteints par la MV. Le diagnostic n’est pas aisé et peut parfois nécessiter plusieurs biopsies (15). Le type épidermoïde de ce carcinome s’explique par la chronicité du processus inflammatoire. La chimiothérapie et la radiothérapie sont cependant soit inefficaces, soit irréalisables devant des lésions très étendues. Le traitement curatif reste donc chirurgical : excision large sans suture avec 30 % de survie à un an (14). Le traitement préventif est, de fait, réalisé par l’excision précoce et répétée des lésions de MV, suivie de l’analyse histologique orientée (15). Sébacées Apocrines M F>M Postadolescence Postadolescence – – testin sont connues, en particulier les manifestations périanales de la maladie de Crohn, qui peuvent d’ailleurs être inaugurales. Plus rare et de diagnostic difficile est l’atteinte métastatique caractérisée par une réaction cutanée granulomateuse à distance de l’anus. Ces deux manifestations peuvent poser de difficiles problèmes diagnostiques avec la MV. Une étude rétrospective (21) fait état de l’existence d’une MC chez 24 sur 61 des MV traitées durant une période de 8 ans (38 %) : 4 fois seulement, les signes de MV ont précédé le diagnostic de MC. Photo 5. Histologiquement, le diagnostic peut également être difficile à établir. Dans une étude prospective (5) concernant 101 cas de MV, et avec un recul de trois ans, des granulomes épithélioïdes ont été retrouvés dans 8 % (soit 10 cas) des pièces histologiques de MV (2 patients sur 8 avaient l’un une MC et l’autre une sarcoïdose). Deux patients sans granulome se sont révélés porteurs de MC ultérieurement. Vingt-cinq pour cent des MV présentaient des granulomes à corps étranger au contact des foyers inflammatoires. Ces similitudes cliniques et histologiques confrontées à la constatation de formes familiales de 3 MV dans 2 familles de MC font rechercher l’hypothèse d’une prédisposition génétique commune (22). Les données de la littérature ne font pas apparaître de différences dans l’évolution de la MV, qu’elle soit associée ou non à la MC. CONCLUSION Le diagnostic de la MV est clinique. Les examens complémentaires sont moins utiles pour faire le diagnostic que pour dépister une éventuelle dégénérescence, voire une MC associée. ■ Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001 D o s s i e r t h é m a t i q u e 8. Todd P Gariochi J, RademakerM et al. Pachyonychia congenita complicated by hidrosadenitis suppurativa : a family study. Br J Dermatol 1990 ; 123 : 663-6. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Von der Werth JM, Williams HC, Raeburn AJ. The 9. Chaikin DC, Volz LR, Broderick G. An unusual pre- clinical genetics of hidradenitis suppurativa revisited. Br J Dermatol 2000 ; 142 : 947-3. sentation of hidradenitis suppurativa : case report and review of the litterature. Urology 1994 ; 44 : 606-8. 2. Arnous J, Denis J, Arnous N. Les localisations 10. Hurley HJ. Disease of the apocrine sweat glands. périanales de la maladie de Verneuil. Arch Fr Mal App Dig 1973 ; 62 : 591-96. Dermatology. Moshella SL, Hureley HJ. 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Proctologie : Nouveau Une nouvelle “Mégabanque”, ouvrage de bibliographie dont le contenu est issu de la littérature internationale, c’est-à-dire de l’ensemble des articles scientifiques médicaux publiés dans diverses revues de médecine d’audiences nationale et internationale, est mise au point par un groupe d’experts en proctologie (M.A. Bigard, J. Denis, R. Ganansia, F. Pigot, Th. Puy-Montbrun, L. Siproudhis, P. Suduca) et éditée par les Laboratoires Martin–Johnson & Johnson–MSD. Le thème de cet ouvrage est “Maladie hémorroïdaire”. Comme l’indique ce groupe d’experts dans l’éditorial : des milliers d’articles, de livres ont été écrits sur le sujet et pourtant la physiopathologie est mal connue, l’épidémiologie incertaine puisqu’on est incapable de préciser la prévalence et moins encore l’incidence, par manque d’étude méthodologiquement satisfaisante. Le traitement semble bien codifié sur le plan des techniques instrumentales ou chirurgicales. Des études méthodologiquement correctes font défaut dans le traitement médical, bien que 75% des patients soient traités et soulagés per os ou par topiques qui ne sont validés que par le temps et l’expérience quotidienne des prescripteurs et des utilisateurs. De l’abondante littérature consacrée à cette maladie hémorroïdaire il n’a été possible de retenir selon la méthodologie adoptée, que 42 articles, ce qui laisse de superbes perspectives de recherche ! Cette “Mégabanque” va permettre aux praticiens de disposer, en un seul ouvrage, d’un point actuel sur la maladie hémorroïdaire, fondé sur les meilleurs travaux internationaux et cautionné, rédigé et présenté par des experts. Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001 16