Prémices du désert

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Prémices du désert
L'Épreuve de la mort
dans l'œuvre de T.S. Eliot,
Georges Séféris et Yves Bonnefoy
Critiques Littéraires
Collection dirigée par Maguy A/bet
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l'altérité dans l'œuvre romanesque de Stendhal, 2009.
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Jad Hatem, 2009.
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XIX siècle (1878-1889), 2009.
Georice Berthin MADEBE, Francophonies invisibles, 2009.
Krystyna MODRZEJEWSKA,
L'art de la séduction dans le
théâtre français du XX' siècle, 2009.
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2009.
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Angoisses névrotiques
et mal-être dans Assèze l'Africaine de Calixthe Beyala, 2009.
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(1924-1998),2009.
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Silvina Ocampo. Récits d'horreur
et
d'humour,2009.
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et Quignard, 2009.
Chantal Magalie MBAZOO KASSA, La femme et ses images
dans le roman gabonais, 2009.
Henri VERGNIOLLE DE CHANTAL, Tchekhov: rêverie et
liberté, 2009.
Marie-Françoise
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et Michèle RACLOT, Julien
Green: Littérature et spiritualité, 2009.
Rodolphe
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Neil
Bissoondath :
migration
multiculturalisme dans l'œuvre, 2009
Jean-Yves
MAGDELAINE,
Les chasseurs
d'espaces.
De
l'explorateur des espaces géographiques au nomade sédentaire,
2009.
Kensuke KUMAGAI, La Fête selon Mallarmé, 2008.
Michel
LANTELME,
Le Roman
contemporain,
Janus
postmoderne, 2008.
Christopher BOUIX
,
L'Epreuve de la mort
dans l' œuvre de T.S. Eliot,
Georges Séféris et Yves Bonnefoy
L' Hemattan
@ L'Harmattan, 2009
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-08546-6
EAN:9782296085466
A mon fils, Paul.
La mort est un triomphe sur soi qui,
à l'égal de tout dépassement de soi,
procure une existence nouvelle, allégée.
Novalisl
Introduction
Le cri, l'exil, la mort
Le XXe siècle aura été le siècle des ruines. Ruines d'une Europe
en proie aux extrémismes, dévastée par les conflits, tiraillée
entre ses traditions et l'absence de leurs dieux. « Ami, nous
venons trop tard », regrettait déjà Hôlderlin dans la célèbre
élégie « Pain et Vin »2.
Car le poète de Tübingen, prophétiquement, et plus encore
dans ses derniers fragments, déchirés par la folie, aura éprouvé
la détresse de ce monde occidental, aura déploré l'absence des
dieux sur la terre, aura remis en cause l'utilité du poème.
« Je crie, et brûle sans répit mon cœur, / Depuis que je ne
suis plus rien / Que chose en ruine, abandonnée », écrit à son
tour, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Giuseppe
Ungarette. Et ce cri, et ce cœur en ruine, et cette existence
réduite au rien, c'est déjà le poème qui s'élève, condamné à
n'être plus que séparé de son utilité.
Car cette interaction entre le monde, l'être et le langage, cette
essence même du poétique, ne cessera, tout au long du XXe
siècle, d'être réinventée. Heidegger, en particulier, fondant
notamment ses réflexions sur Hôlderlin, parlera d'une
« habitation poétique» nécessaire de l'être-au-monde.
Mais qu'est-ce qu'exister au monde?
9
Les vers, cités plus haut, de Giuseppe Ungaretti sont tirés
d'un recueil intitulé La Terre promise, et ce titre n'est pas
anodin dans la réflexion qui est la mienne. En effet, cette idée
de « terre promise », avec tout l'arrière-plan mythique qu'elle
comprend, semble représentative du XXe siècle poétique. Elle
sous-entend l'idée d'un exode, d'un voyage vers un monde
nouveau, vers une « habitation» nouvelle, pour reprendre les
termes de Heidegger. Mais c'est aussi l'idée d'un exil qui est
exprimée ici. L'idée de ne pouvoir pleinement être au monde, et
à travers cette terre éternellement promise, la sensation de ne
pouvoir jamais parvenir à bon port.
« Ta superbe, tu l'as déposée dans l'horreur, / Dans la
désolation de l'erreur », écrit Ungaretti, plus loin dans le même
recueil4. Car le XXe siècle est bien le siècle de la désolation, ce
siècle qu'il faut habiter malgré la dévastation et le sentiment du
désastre.
L'exil, évoqué par Ungaretti, est celui de l'homme moderne,
condamné à vivre dans les ruines d'un monde, mais aussi celui
du poète, condamné à écrire dans les ruines de la parole.
Impossible, désormais, cette « superbe », cette langue poétique
obsolète, entachée par les massacres du siècle. Et si l'on rejoint
ici la pensée prémonitoire d'un Holderlin, on rencontre
également le raisonnement d'un Adorno, dont la célèbre
sentence aura à son tour obsédé la conscience poétique au XXe
siècle, que je pourrais reformuler ainsi: « A quoi bon des
poètes après Auschwitz? »
Exil, c'est enfin le titre d'un recueil d'un poète essentiel, traduit
en italien par Ungaretti, Saint-John Perse. L'écriture de ce
dernier, note Hugo Friedrich dans un livre qui fit date5, relève
d'une poétique de 1'« irréalité sensible ». Et ce questionnement
du rapport au réel, du moi et du monde, est bien l'une des
obsessions notables de la poésie du XXe siècle.
Dès l'entre-deux guerres, en effet, la littérature se construit
par opposition à un anthropocentrisme romantique, associé à un
lyrisme désormais impossible, cette « superbe» évoquée plus
haut, langue hautement poétique qui ne peut exister que dans
10
l'ignorance des failles du langage. Or cet anthropocentrisme,
cette volonté d'un moi central, ne découle-t-il pas d'un rapport
tronqué au réel? Ne présuppose-t-il pas, par la place centrale
qu'il accorde à l'homme, l'illusion de l'immortalité de l'être?
Illusion, oui, car le XXe siècle, plus qu'aucun autre sans
doute, aura fait l'expérience de la mort et de la séparation entre
le réel sensible et le monde idéologique. L'homme devra vivre
désormais dans la conscience de sa finitude, accepter l'absurdité
de son existence. C'est, à nouveau, en exilé qu'il devra mener
sa vie - exilé d'un monde ancien où vivait un être encore fort de
son sentiment d'immortalité.
«C'est comme un bras tendu / qu'est mon cri », écrit Rilke dans
sa Septième Elégie6. Car la poésie, identifiée, à nouveau et
comme chez Ungaretti, à un cri, consciente de son exil, est
toujours ce bras tendu, vers l'être, mais aussi vers la mort (la
main du poète, dans cette même élégie, ne reste-t-elle pas
ouverte sur 1'« Insaisissable» 7 ?). Or Rilke, c'est aussi, dans
Les Carnets de Malte Laurids Brigge, le commentateur de
Baudelaire, et de ce poème-étendard de notre modernité, «Une
charogne ».
Les Fleurs du Mal, ce «maître-livre de notre poésie », écrit
Yves Bonnefol. Car Baudelaire aura bien été « l'inventeur de
la mort» en littérature (la dernière section des Fleurs du Mal ne
s'intitule-t-elle pas «La Mort» ?). C'est donc sous son égide
que s'accomplit immanquablement l'acte de la poésie au XXe
siècle. En ce sens, « Une charogne» est un texte annonciateur,
presque un manifeste.
En effet, outre Rilke, nombre de poètes ont puisé leur
vocation dans la lecture des Fleurs du Mal. Pensons ici à T.S.
Eliot, et à son écriture si hautement ironique qui trouve en
Baudelaire, et en ce poème, « Une charogne»
tout
particulièrement, un précurseur et un modèle.
L'épreuve et la traversée
Car la mort, chez T.S. Eliot, est le fondement même de
l'écriture, ce à quoi toute signification est réduite (on pense, par
11
exemple, à «Marina» des Ariel Poems, et à cette répétition
obsédante: «meaning / Death »9). Son plus célèbre texte, The
Waste Land, reprend l'idée, évoquée plus haut, d'un monde
dévasté. La mort, indéniable réalité de cette terre désolée, que
I'homme habite pourtant, devient chez Eliot, à travers toute une
imagerie chevaleresquelO, cette expérience fondatrice, cette
épreuve.
« I am dying in my own death and the deaths of those after
me »11,écrit-il dans «A Song For Siméon ». La mort, dans les
Ariel Poems est, déjà, une naissance nouvelle.
« Nous touchons à notre fm », écrit à son tour dans Mythologie
Georges Séféris12, éminent traducteur grec des poèmes d'Eliot.
Et c'est aux errances des compagnons d'Ulysse, également
condamnés à l'exil, qu'il fait ici référence. Après des années
d'égarement, après mille aventures, après cette traversée d'un
océan mythique, parviendront-ils, enfin, à cette mort, leur seule
vraie patrie?
« Habitants de la terre vaine, nous le sommes tous », écrit
encore le poète grec dans un essai qu'il consacre à T.S. Eliot13.
Habitants - et l'on retrouve la terminologie heideggerienne - de
ce monde «gaste », condamnés à marcher à travers l'épreuve de
notre propre mort, à traverser ce nouvel océan initiatique, la
finitude.
Je rejoins ici cette idée bien connue, chère à Yves Bonnefoy, de
finitude. Ce dernier, on l'a vu - mais pas plus qu'Eliot ou
Séféris14- fonde sa poétique sur une modernité baudelairienne,
c'est-à-dire consciente d'une dichotomie entre une mort
inéluctable et un langage poétique idéalisant. Si une telle
fracture a pu mener, chez T.S. Eliot, à une écriture de l'ironie,
Bonnefoy, quant à lui, va tâcher d'atteindre une plus grande
«vérité de parole », c'est-à-dire une parole poétique dont la
justification même se trouverait dans sa volonté d'englober
cette conscience de la finitude.
12
La mort, ce sera donc encore cette « barque chargée de terre
noire »15, cette traversée, cette épreuve à laquelle il faudra se
soumettre, unique condition à l'accomplissement du poème.
Cette image d'un poète-chevalier, ou d'un poète-marin, est donc
profondément ancrée dans l'imaginaire des auteurs que je me
propose d'étudier. La quête - du Graal, d'Ithaque, etc. devient, sous leur plume, rituel initiatique. À l'image d'Osiris,
que Bonnefoy évoque dans Du mouvement et de l'immobilité de
Douvel6, du Phénix ou du Christ triomphant de Ash
Wednesday17, il faudra traverser la mort, vivre le
démembrement pour connaître la gloire de la résurrection et du
poème pleinement mûri.
Les métamorphoses d'Europe
J'ai donc pu tracer, à travers ces trois poètes, rapidement
présentés, une lignée qui traverse le XXe siècle. Les premiers
textes d'Eliot datent en effet des années 1900, et le dernier
recueil d'Yves Bonnefoy envisagé dans cette étude, Les
Planches courbes, a été publié en 2001.
D'autre part, il m'a semblé intéressant de voir, à travers ces
trois auteurs, se dessiner une réflexion sur la poésie européenne.
Les interactions sont évidentes: Eliot a été traduit par Séféris,
qui lui-même l'a été par Bonnefoy - c'est donc au dialogue, à
l'ouverture, à l'échange entre différentes langues et cultures
qu'aspire cette poésie. Car le XXe siècle a également été le
siècle de la reconstruction, et le siècle de ce rêve immense:
l'Europe.
Le choix de ces poètes n'est donc nullement fortuit, en
particulier celui, a priori problématique, de T.S. Eliot. Né
américain, ce n'est pas sa naturalisation anglaise qui fait de lui
un poète européen.
Comme on l'a vu, les trois auteurs présentés ici
entretiennent un rapport étroit avec les traditions mythologiques
et culturelles de l'Europe. L'évocation des romans médiévaux
chez Eliot, de l'Antiquité chez Séféris et chez Bonnefoy,
13
l'étroite relation des trois avec Baudelaire et la poésie de la
modernité: cet héritage culturel, dans l'Europe du XXe siècle,
est un héritage identitaire. Ce désir de reconstruction, évoqué
plus haut, passe par le rêve d'une communauté.
Eliot est un poète européen en ce sens qu'il aura, toute son
œuvre durant, réfléchi à cette tradition, l'aura faite sienne. À
propos de Henry James, il écrit: « it is the final perfection, the
consummation of an American to become [...] a European» ;
puis il ajoute: « something which no born European, no person
of any European nationality can become »18.L'Europe de T.S.
Eliot est fondamentalement double: c'est une réalité culturelle,
un héritage partagé, mais c'est aussi une terre fantasmée,
mythifiée, étrangère aux seules délimitations géographiques.
Cette même Europe occupera le cœur de la pensée de Séféris.
Qu'on lise ses essais pour s'en convaincre, et l'on constatera le
souci toujours renouvelé de voir naître une communauté
humaine. En ce sens, bien entendu, ses vues diffèrent de celles
d'Eliot: ce n'est plus le poète, dans sa tour d'ivoire, qui
compose une communauté de chosen few. C'est d'ailleurs sur
cette importance de l'humain que Séféris insistera dans son
«Discours Nobel », donné lors de la remise du fameux Prix discours en lui-même représentatif de l'Europe de Séféris:
prononcé en Suède, écrit en français, et traitant de la tradition
poétique grecquel9.
Pourtant, la pensée d'Eliot et celle de Séféris se rejoignent,
au moins, sur un point: leur rêve d'Europe est fondé sur un
héritage culturel partagé. Une communauté, donc, basée sur une
double tradition qui n'apparaît pas, dans le système de Séféris,
contradictoire:
la tradition gréco-latine et la tradition
chrétienne. L'image du Christ-Dionysos revient ainsi à plusieurs
reprises chez le poète grec (Yves Bonnefoy notamment, dans
l'essai qu'il lui consacre, la relève20).
Et cette association entre deux figures, l'une païenne l'autre
chrétienne, renvoie, à nouveau - et comment, en effet, dans une
réflexion sur l'Europe, ne pas l'évoquer? - à HOlderlin. Nul
écrivain, sans doute, n'aura plus sincèrement que lui souhaité
14
l'avènement
en dépit des
œuvre, est
communion,
de cette communauté. Car l'Europe de Holderlin,
récupérations idéologiques qui ont été faites de son
une Europe du partage, une Europe de la
une Europe de l'humain.
L'éternellement ouvert
On entrevoit donc ici la méthode critique qui sera la mienne au
long de cette étude. Non une simple comparaison, ce serait
plutôt un dialogue, qui laisserait toute sa place à cette poétique
de l'humain, que je voudrais tisser entre Eliot, Séféris et
Bonnefoy dans l'horizon de leur époque (l'analyse que je
mènerai sera donc ponctuée de références à d'autres grands
auteurs du XXe siècle, qui, s'ils ne trouveront pas dans ces
pages une place à la mesure de leur importance, ne sauraient
être tout à fait absents de ce dialogue).
À travers le thème, esquissé plus haut, de l'épreuve de la
mort - et la mort, n'est-ce pas, en effet, cette caractéristique
absolue de notre condition humaine? -, il s'agira d'étudier les
rapports entre l'être-au-monde et le poème. Dans cette «terre
vaine» du XXe siècle, comment et pourquoi accomplir, encore,
l'acte de la poésie? Comment, à nouveau, sacrifier au langage,
cette « rose de personne », marquée par la mort? Et comment, à
travers cette épreuve de la mort, tendre, toujours, vers un nouvel
espoir ?
J'ai cru bon, pour traiter de ces quelques points, recourir tout
particulièrement,
à plusieurs reprises, à une analyse
mythocritique de l' œuvre des trois poètes. Il sera donc question,
en filigrane, du mythe, de son « leurre» et de sa « vérité »21et, à travers lui, c'est bien au rapport à la tradition et à la
communauté que l'on réfléchira.
Le poème est un lien entre expérience individuelle et destin
collectif; la quête, dont il est sujet et objet, ne saurait, comme le
XXe siècle l'a longtemps cru, se refermer sur elle-même. « [La
poésie], si désespérée soit-elle, nous sauve toujours» écrit
Séféris22. Et c'est donc un espoir nouveau qui se dessine sur
15
notre «telTe vaine» - ouvert, infiniment, sur le salut, sur la
beauté.
«Tu te sens seul au cœur de la beauté du monde» écrivait
Hôlderlin dans l'un de ses derniers fragments, l'une de ces
.
.
23
magm fiiques mmes,
« pourtant tu ne saiS pas...» .
'
16
Première partie: Conscience de la mort
Prémices du désert
« Ma peine est de survivre à cet instant », écrit Mario Luzi dans
un poème au titre évocateur, «Avril-amour », qui termine le
recueil Prémices du désertA. Cet avril, c'est aussi celui qui
ouvre The Waste LancP, mois d'une floraison nouvelle, remise
en question, mois d'une mort intériorisée.
L' « avril» est donc un thème récurrent de la poésie
moderne, qui traverse le XXe siècle et qui revient encore, au
début des années 1980, sous la plume d'un des contemporains
de Mario Luzi, Giuseppe Conte. Dans un poème intitulé «Le
dernier avril blanc », celui-ci écrit, admirablement: «avril qui
est le / poème, qui trahit, qui donne, / pirogues et vrais chevaux
tandis que l'on meurt »26. Le même avril qui dans ce même
poème «désagrège [...] se pose en ce pli / sur la déclinante
Europe >P.
On voit en quoi ce texte s'inscrit dans la problématique qui
est la mienne: l'avril qui brille à nouveau sur la terre, cette
puissance qui pousse toute chose à renaître, porte avec elle la
conscience de la déchéance, la proximité de toute mort.
Cette idée de floraison nouvelle, de vie retrouvée,
s'accompagne en effet chez Giuseppe Conte d'une certaine
cruauté: cette même cruauté qui ouvre le recueil de T.S. Eliot.
C'est un avril dédaigneux qui, malgré la soufITance de l'époque,
continue de briller; un avril parfaitement sourd à la détresse
19
humaine qui se lève sur notre « déclinante Europe », sur la terre
déjà morte de notre expérience au monde.
Mais quelle est alors cette « terre vaine» à laquelle on ne cesse
de revenir, et dont Yves Bonnefoy dira, dans «L'acte et le lieu
de la poésie» qu'elle est «le vrai mythe de la culture
moderne »28? Est-ce l'Europe du XXe siècle, un monde de
valeurs perdues, de décadence spirituelle? Est-ce, comme le
pense Yves Bonnefoy dans ce même essai, le réel « réalisé »29?
Est-ce, enfin, l'écriture poétique en elle-même?
Il s'agira, dans les pages qui suivent, d'étudier en un
premier temps les implications de cette idée de « terre vaine »,
ses multiples visages, son rapport avec le réel et le sacré, avec la
finitude. J'examinerai ensuite la portée ontologique des œuvres
choisies, le rapport qu'elles tissent entre l'être-au-monde et son
expérience intime, fondamentale, de la mort. On verra enfin le
rôle du poète et de cette conscience de la mort au cœur de la
communauté.
20