Title Comprendre le cycle de l`eau, condition sine qua non du

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Title Comprendre le cycle de l`eau, condition sine qua non du
Comprendre le cycle de l’eau,
condition sine qua non du
développement
durable
Title
par Angel Luis Aldana Valverde*
Introduction
L’expression «développement durable»
fait référence au développement économique et social tel qu’il est défini
dans le «rapport Brundtland» présenté, en 1987, à l’Assemblée générale
des Nations Unies par la Commission
mondiale de l’environnement et du
développement (voir http://www.
un.org/documents/ga/res/42/ares42187.htm), à savoir un développement
économique et social qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures de répondre aux leurs. Le
développement durable établit un lien
entre les trois aspects fondamentaux du
développement—économique, social et
environnemental—de telle manière que
le développement économique, couplé
aux nouvelles technologies et aux systèmes d’organisation sociale, garantisse
un certain niveau de bien-être social
compatible avec la préservation de
l’environnement. Cette définition suppose que les ressources naturelles sont
limitées (quantité) et leurs possibilités
d’utilisation restreintes (qualité).
L’eau douce est sans doute la plus
précieuse des ressources; en tout
état de cause, elle est indispensable.
La demande d’eau augmente avec
la croissance démographique et le
développement. Or, la progression de
la population peut avoir une incidence
considérable sur la qualité de l’eau alors
même que les quantités disponibles
n’augmentent pas et sont même, dans
de nombreuses régions, d’ores et déjà
insuffisantes. Que les changements
climatiques entraînent ou non une
diminution des ressources en eau
susceptible d’aggraver la pénurie d’eau
affectant certaines régions, le taux de
croissance rapide de la population
renvoie à un scénario pessimiste, à
moins que les modes d’utilisation et
de gestion de l’eau soient modifiés en
profondeur.
L’eau ne constitue pas seulement une
ressource naturelle, c’est aussi un facteur
de risque connu si l’on se réfère aux
énormes dégâts matériels et aux pertes
en vies humaines que peuvent causer les
inondations. Les phénomènes naturels
que sont les crues constituent, dans les
zones densément peuplées (exposition
à un risque) ou renfermant de nombreux
biens et services (vulnérabilité), un
danger pour la société.
Le présent article examine le concept
de développement durable par rapport
au concept hydrologique de base qu’est
le cycle de l’eau.
*Ingénieur en génie civil, membre de l’Association internationale d’ingénierie et
de recherches hydrauliques (AIRH), membre du Groupe de travail d’hydrologie
appliquée de l’AIRH, directeur de projet, Centre d’études hydrographiques (CEDEX),
[email protected]
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Description sommaire
du cycle de l’eau
La Terre est recouverte en grande
partie d’une couche d’eau salée. Le
processus d’évaporation qui se produit
au-dessus de la mer élimine une partie
des sels dissous dans l’eau qui sont
intégrés dans l’atmosphère à l’état
gazeux. Une quantité considérable
d’énergie solaire est nécessaire pour
opérer cette transformation. L’humidité
est transportée par le vent et passe à
l’état liquide ou solide pour former des
nuages et, parfois, tomber sous forme de
précipitations sur les terres émergées.
L’eau à l’état liquide provenant de la
fonte des neiges et du ruissellement
pluvial forme des rivières et des lacs,
dont les eaux vont se jeter dans la mer,
achevant ainsi le cycle.
Derrière cette description théorique
simplifiée du cycle de l’eau se cache
une réalité beaucoup plus complexe.
Le processus d’évaporation à la surface
des masses d’eau douce (cours d’eau
et lacs), à la faveur duquel d’énormes
quantités d’eau se transforment à
nouveau en vapeur, doit être dûment
pris en considération. Une partie de l’eau
présente à l’état liquide (celle qui tombe
sous forme de pluie ou qui se trouve
en contact avec le sol—rivières, lacs et
couverture nivo-glaciaire) pénètre dans
le sol, saturant une partie de celui-ci et
créant ainsi des réservoirs souterrains
appelés aquifères. Les eaux souterraines circulent elles aussi, une partie
se jetant directement dans la mer et
le reste venant alimenter les rivières à
leur source ou par le biais d’un affluent.
Enfin, l’eau peut retourner directement
à sa phase liquide dans l’atmosphère
par la transpiration des végétaux qui
éliminent ainsi une par tie de l’eau
contenue dans le sol et conservent
une partie de l’eau de pluie dans leur
feuillage.
Qualité et écoulement
des eaux
Le cycle hydrologique doit également
être considéré dans le contexte de l’analyse ou de la gestion de la qualité de
l’eau, c’est-à-dire de son adéquation
aux besoins de l’homme et des autres
êtres vivants. Solvant très puissant,
l’eau est en contact avec des substances
qu’elle entraîne et transporte, en suspension ou en solution. Sa qualité est
donc très variable et subit l’influence
de facteurs naturels ou anthropiques.
L’eau de crue est généralement impropre à la consommation humaine. C’est
pourquoi elle doit être soumise à des
processus naturels de décantation, de
filtrage ou de biodégradation, reproduits dans les stations de traitement
de l’eau (préalablement à sa consommation) ou les stations d’épuration
des eaux usées (avant leur rejet dans
l’environnement).
Les diverses utilisations de l’eau (pour
la consommation humaine, l’agriculture,
l’élevage, l’industrie et l’exploitation
minière, par exemple) entraînent sa
pollution, sous une forme ou une autre,
et, par conséquent, une forte baisse de
sa qualité. La façon dont l’eau est restituée au milieu naturel a une grande
importance pour ses usages ultérieurs.
Une atteinte à la qualité de l’eau dans
le cycle hydrologique peut conduire,
de manière prévisible, à l’apparition de
diverses contaminations et à leur propagation, principalement dans le sens de
l’écoulement des eaux. L’eau de mauvaise qualité rejetée dans les rivières
peut ainsi polluer les aquifères ou fortement contaminer les lacs et les mers
et, en particulier, les ressources piscicoles. En outre, certaines formes de
pollution des eaux peuvent être transportées par les courants marins ou les
vents vers des lieux très éloignés.
Un équilibre
complexe, sensible
aux changements
Le cycle hydrologique s’inscrit dans le
cadre d’un équilibre complexe où l’eau
intervient sous diverses formes et dans
diverses proportions. Il est soumis aux
variations naturelles et anthropiques.
L’évolution vers un autre type d’équilibre (si le cycle est actuellement en
équilibre ou si ce dernier est capable
de perdurer) peut influer non seulement sur la quantité d’eau présente
dans le cycle hydrologique, mais également sur la qualité de l’eau sous ses
diverses formes.
Le cycle de l’eau est étroitement lié au
climat en raison des propriétés physicochimiques particulières de l’eau et de
sa présence en très grande quantité
(dans les océans et l’atmosphère et
sur les continents). Il n’est pas possible
d’expliquer le climat sans se référer à l’eau
contenue dans l’atmosphère, aux courants
océaniques ou au cycle hydrologique.
Malgré la forte interdépendance du
climat et du cycle de l’eau, il demeure
extrêmement difficile de quantifier les
différents processus en jeu.
Les activités humaines, notamment
celles qui consistent à réglementer les
différents usages de la ressource eau et
l’utilisation des sols, modifient le cycle
hydrologique, tout comme les mesures visant à réduire les débits de pointe
de manière à limiter les dégâts causés
par les inondations. Ces changements
sont de plus en plus importants en raison de la croissance démographique et
de l’augmentation du niveau de vie, et
doivent, par conséquent, être pris en
compte du fait des modifications de
l’environnement qu’ils entraînent et des
incertitudes liées à la possible diminution des ressources et à l’aggravation
des phénomènes météorologiques
extrêmes, tels que les sécheresses et
les inondations.
Limites géographiques
et échelles temporelles
Que les changements climatiques entraînent ou non une diminution des ressources en eau,
le taux de croissance rapide de la population renvoie à un scénario pessimiste, à moins que
les modes d’utilisation et de gestion de l’eau soient modifiés en profondeur.
L’étendue géographique des phénomènes hydrologiques est une notion que
le grand public a souvent du mal à saisir.
Une des théories dominantes actuelles,
étayée par la logique et la pratique, est
que la gestion des ressources en eau ou
des crues doit être fonction de la géographie des bassins versants, séparés les
uns des autres par la disposition du relief.
On a ainsi une vision assez générale des
problèmes liés à la gestion de l’eau et la
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prise de décisions s’en trouve facilitée.
Le cycle de l’eau devrait toutefois être
replacé dans une perspective encore plus
large. En premier lieu, la prise en considération des eaux souterraines fait entrer
en ligne de compte un nouvel ensemble
de frontières naturelles qui peuvent être
indépendantes des bassins hydrographiques (concept intrinsèquement lié aux
eaux de surface) et vont généralement
au-delà des limites géographiques de
ces derniers. En outre, compte tenu de
ce qui précède, les phénomènes naturels
ne peuvent pas être considérés hors du
contexte planétaire.
Pour tâcher de comprendre le monde et
d’en gérer les ressources, nous établissons des limites géographiques dont le
caractère artificiel devient plus manifeste sur de longues périodes.
Un autre point qui reste mal compris,
même par les experts, étant donné
que les connaissances scientifiques et
techniques présentent encore de grosses
lacunes, concerne les différentes échelles
temporelles sur lesquelles se déroulent
les divers processus naturels. Il peut
en résulter une mauvaise gestion, en
particulier sur les longues périodes. Par
exemple, les précipitations ont souvent
pour effet de faire augmenter le niveau
des cours d’eau au bout de quelques
heures voire dans un laps de temps plus
court, alors que dans les grands bassins
hydrographiques, le décalage entre la
cause et l’effet peut être de plusieurs
jours, semaines ou mois. Malgré ce
décalage, la relation de cause à effet
pour ce type de phénomène ne fait
aucun doute. D’autres phénomènes,
tels ceux liés aux eaux souterraines,
à l’accumulation de polluants ou au
transport de sédiments, se développent
sur des périodes beaucoup plus longues.
On ne peut certes pas généraliser, les
cas d’espèce variant sensiblement,
mais si les conséquences de certains
phénomènes tardent par fois à se
manifester, ce peut être parce que nous
ne sommes pas assez attentifs. Dans
ces cas-là nous disposons heureusement
de plus de temps pour intervenir ou
nous adapter mais, d’un autre côté, les
mesures correctives sont plus longues
à mettre en œuvre.
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Surveillance et étude
des processus
Les développements précédents visent
à expliquer la complexité et l’importance des questions relatives au cycle
de l’eau. Ces deux aspects incitent à
approfondir l’étude des processus et
des sous-processus en jeu pour jeter
les bases d’une gestion rationnelle
durable. L’acquisition des connaissances reposera à la fois sur les résultats
des études réalisées et sur l’observation,
c’est-à-dire sur la surveillance continue
de l’ensemble des phénomènes naturels
et des phénomènes sociaux connexes.
Nous touchons ainsi à un autre aspect,
exposé ci-après, qui nécessite une prise
de conscience plus grande et une vision
véritablement planétaire.
Les séries chronologiques de données
d’observation dont on dispose actuellement ne nous renseignent que sur
une petite partie de la planète, et pour
de vastes zones, il n’existe aucun programme de mesure qui permette de
réaliser des analyses quantitatives.
Or, tout phénomène, où qu’il se produise dans le monde, peut avoir des
répercussions ailleurs, les pays n’étant
absolument pas, pour ce qui concerne
les problèmes liés à l’eau, indépendants les uns des autres. Cette réalité
justifie la mise en place d’une approche qui tienne également compte du
principe éthique fondamental de solidarité. Les pays riches ont besoin des
mesures et des observations réalisées
dans les pays pauvres pour renforcer
leur compréhension des phénomènes.
Ils ont aussi intérêt à ce que l’on gère
de façon optimale les ressources en
eau tout en réduisant le plus possible
les dommages causés par les inondations, vu que la mondialisation favorise
la propagation des risques.
Enseignement et
formation professionnelle
Étant donné la complexité croissante
de la société et la nécessité d’une
gestion plus rigoureuse et prudente
des ressources naturelles ainsi que
d’une plus grande clairvoyance lors de
la prise de décision et de l’élaboration
de politiques visant à garantir des
processus participatifs, il est plus que
jamais nécessaire de mettre l’accent
sur la formation de spécialistes et
l’éducation du public.
La complexité des problèmes est telle
qu’il faut pouvoir disposer de professionnels dûment qualifiés et possédant
l’expérience requise. Il est nécessaire
aussi de pouvoir compter sur des
institutions suffisamment solides et
indépendantes pour garantir un travail rigoureux.
L’éducation et l’information du public
ainsi que la transparence constituent
le fondement des politiques conçues
conformément aux principes démocratiques. La compréhension de la
complexité de la réalité par la population rendra cette dernière moins
perméable aux idées simplistes voire
démagogiques qui, à terme, ont des
conséquences néfastes. Parler de développement durable équivaut à parler
de l’avenir de nos enfants et de leurs
descendants; aussi faut-il mettre davantage l’accent sur la formation dans le
domaine de l’eau, laquelle devra s’accompagner, sans que cela nécessite
beaucoup plus d’efforts, d’une plus
grande sensibilisation aux problèmes
connexes.
Résumé et conclusions
L’auteur du présent article s’est efforcé
d’expliquer la complexité et l’importance
du problème de l’eau, la dépendance de
la société à l’égard de cette ressource et
les différents liens entre l’un et l’autre
dans le but de favoriser une mise en
perspective aussi large que possible.
La solution aux problèmes actuels et
futurs devra passer par un renforcement des programmes d’observation,
d’enseignement et de formation, par
une gestion véritablement intégrée
et par l’adoption et la concrétisation
d’idées-force répondant aux principes
de transparence, de solidarité et de
développement durable.