AINS

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AINS
Revue Médicale Suisse
Allergo-immunologie. 2. Les réactions
allergiques aux anti-inflammatoires non
stéroïdiens
Auteur : A. Leimgruber
Numéro : 3140
Sujet: Allergologie
L’allergie aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est très fréquente,
en particulier chez les asthmatiques ou dans l’urticaire chronique. Il s’agit en
général de réactions non immunologiques, mais dues à une intolérance
pharmacologique liée au métabolisme de l’acide arachidonique et à la
formation de leucotriènes. Ainsi, les réactions croisées impliquant tous les
AINS non sélectifs et semi-sélectifs sont la règle, surtout lors de réactions
respiratoires aux AINS et dans l’urticaire chronique. Lors d’urticaire aiguë
isolée, les réactions croisées sont difficiles à prédire, ainsi la prudence
s’impose. Une induction de tolérance est possible, en particulier lorsque
l’aspirine est nécessaire à dose faible, comme antiagrégant plaquettaire. Enfin,
le paracétamol et les AINS sélectifs sont supportés par la grande majorité de
ces patients.
introduction
Les réactions de type allergique aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont
fréquentes. Les statistiques révèlent en effet que les AINS, ainsi que les pénicillines et
autres antibiotiques, sont responsables de la majorité des réactions de type
anaphylactique observées en milieu hospitalier.
La première description d'une allergie à l'aspirine date de 1914 (Reed) et c'est en 1922
que Widal décrit les premiers cas d'asthme avec intolérance à l'aspirine chez des
patients présentant une polypose nasale. Dès 1961, les réactions à l'aspirine ne seront
plus les seules à être décrites, on observera en effet des réactions allergiques à
l'indométacine (asthme), puis à toute une série d'AINS non sélectifs de structures
chimiques très différentes (tableau 1). Ainsi, on suspectera un mécanisme commun non
allergique à la plupart de ces réactions qui se produiront d'ailleurs fréquemment lors
d'une première exposition à un AINS donné, donc sans sensibilisation préalable. Dès les
années 80, apparaîtront sur le marché des AINS semi-sélectifs qui ont un effet antiCOX-1 plus faible. On réalisera alors que les réactions allergiques sont moins fréquentes
avec ces AINS, pour autant qu'ils soient utilisés à doses faibles. Depuis dix ans, des
AINS sélectifs, soit sans effet anti-COX-1, sont également disponibles, et contrairement
aux autres AINS, ils ne sont que rarement responsables de manifestations allergiques.
clinique de l'intolérance aux ains
Les réactions d'intolérance aux AINS peuvent être déjà rencontrées durant l'enfance,
néanmoins elles sont peu fréquentes jusqu'à l'âge de 30 à 40 ans où elles apparaissent
alors chez des patients qui avaient parfaitement toléré les AINS auparavant.1 On
observe d'une part des symptômes respiratoires (asthme, rhinite obstructive et parfois
larmoiement) associés peu fréquemment à des symptômes digestifs, qui surviennent
souvent une demi-heure à deux heures après la prise d'AINS, et d'autre part des
manifestations cutanées (urticaire, angioedème) peu souvent associées aux
manifestations respiratoires, qui débutent en général plus tardivement, soit 4 à 24
heures après la prise d'AINS (tableau 2).2 Les patients présentant des symptômes
respiratoires sont à haut risque de développer le même type de réaction, quel que soit
l'AINS non sélectif ou semi-sélectif choisi : on parle alors de réaction croisée. En cas de
réaction cutanée isolée, le risque de réagir à tous les AINS est moins grand.
facteurs de risque d'une intolérance aux ains
L'intolérance aux AINS avec manifestations respiratoires est plus fréquemment
rencontrée chez les patients asthmatiques, en particulier dans l'asthme associé à une
polypose nasale (> 30%),3 dans l'asthme sévère fréquemment cortico-requérant (20%)
et dans l'asthme modéré (10%).4 L'atopie représente également un facteur de risque,
mais il est nettement plus faible.5 Enfin, les manifestations cutanées de l'intolérance aux
AINS sont fréquemment rencontrées chez les patients souffrant d'urticaire idiopathique
chronique.6
physiopathologie
Si une étiologie immunologique est manifeste lors de réactions retard (notamment
toxidermie, érythème pigmenté) ou lors de rares réactions probablement IgE médiées,
la grande majorité des réactions ont une origine non immunologique, mais
pharmacologique, soit l'inhibition excessive de la biosynthèse des prostaglandines et la
formation accrue de leucotriènes, phénomène en relation avec l'effet anti-COX-1 des
AINS non sélectifs et semi-sélectifs (figure 1), et qui se rencontre chez les individus
dont le métabolisme de l'acide arachidonique est facilement «perturbé» par cette action
inhibitrice des AINS. Les leucotriènes favorisent le remodeling bronchique, la formation
et la croissance des polypes, d'où le lien étroit entre polypose nasale, asthme et
intolérance à l'aspirine.7 Les patients présentant cette intolérance pharmacologique sont
susceptibles de réagir à tous les AINS non ou semi-sélectifs. La survenue d'une
intolérance pharmacologique dépend en outre de la dose administrée, ce qui explique
chez certains patients la bonne tolérance d'un AINS à dose faible ou au contraire la
survenue d'une réaction avec de fortes doses d'AINS, également avec les AINS semisélectifs. Le paracétamol qui inhibe très peu les enzymes COX-1 est rarement incriminé.
urticaire idiopathique chronique et intolérance aux ains
Lorsque l'urticaire chronique est stable, 30% des patients font une poussée aiguë
d'urticaire et parfois d'angiœdème lors de prise d'AINS non sélectifs ou semi-sélectifs, et
si l'urticaire est déjà en poussée, elle s'aggrave clairement chez 70% d'entre eux. La
cause de cette intolérance pourrait être liée à une diminution des prostaglandines PGE2
à action anti-inflammatoire et à la production accrue de cys-leucotriènes.8,9
urticaire aiguë isolée sur prise d'ains chez des patients sans autre pathologie
On a pensé que ce type de réaction ne correspondait pas à une intolérance
pharmacologique, car certains patients ne présentent pas de réaction croisée, c'est-àdire qu'ils sont intolérants à un seul AINS. Malheureusement, les études effectuées
depuis une dizaine d'années montrent que le pourcentage de patients présentant des
réactions croisées est extrêmement variable, puisqu'il est compris entre 11 et 74,5% si
l'on tient compte des études comprenant plus de 100 patients, soit Hispano (Italie)
11%, Roll10 (Suisse) 20%, Asero11 (Italie) 60%, enfin Sanchez (Venezuela) 74,5%.
Asero a montré en outre que 30% de ses 200 patients présentaient également une
intolérance à un AINS semi-sélectif (nimésulide), mais que tous supportaient le
paracétamol, un AINS sélectif et le tramadol.
Les pédiatres qui observent plutôt des réactions cutanées que respiratoires chez l'enfant
nous incitent également à la prudence quant à l'utilisation d'un AINS non sélectif d'une
autre classe ou semi-sélectif en cas d'urticaire aiguë, car les enfants présentent
également des réactions pharmacologiques aux AINS.12 Tout récemment, la description
d'un choc anaphylactique particulièrement sévère après 150 mg d'ibuprofène (sirop)
chez un enfant de douze ans atopique, mais non asthmatique, ayant déjà présenté des
épisodes banals d'urticaire et d'angiœdème après AINS, confirme la nécessité d'une
attitude prudente.13
existe-t-il des réactions allergiques ige médiées à un ains donné ?
L'existence d'IgE spécifiques reste très controversée, et seules deux études décrivent la
présence de tests cutanés et/ou IgE spécifiques chez certains patients ayant présenté
des réactions immédiates, et uniquement à différents pyrazolés. Ainsi en 1986, dans un
collectif de 80 patients, Wütrich14 obtient des tests cutanés et/ou des IgE spécifiques
positifs chez 21 d'entre eux (36%). Plus récemment, Himly et Ebner15 investiguent 53
patients avec réaction immédiate survenue environ 30 minutes après la prise de
propyphénazone : 83% ont des tests cutanés positifs, 58% des IgE spécifiques
positives, enfin 96% des patients ont au moins un de ces deux tests positif. L'existence
de réactions IgE médiées aux AINS n'est donc pas exclue, mais elles doivent être rares
et pourraient être préférentiellement liées à certaines substances chimiques telles que
les pyrazolés.
comment confirmer le diagnostic d'une réaction allergique aux ains ?
La majorité des réactions aux AINS résultant d'une intolérance pharmacologique, les
tests cutanés habituels sont rarement pratiqués, car ils restent en général négatifs,
même dans les rares cas évocateurs d'une allergie IgE médiée, peut-être à l'exception
des pyrazolés. Leur valeur diagnostique est donc très faible et non établie. Le dosage
des métabolites urinaires des cys-leucotriènes C4 semble intéressant, car on a montré
leur augmentation chez les asthmatiques intolérants à l'aspirine (433 pg/ng), taux
doublant après un test de provocation par inhalation nasale d'aspirine (858 pg/ng), alors
que dans le groupe d'asthmatiques tolérant l'aspirine, ce taux est plus faible (333
pg/ng) et reste inchangé après provocation nasale.16 Une élévation des métabolites
urinaires des cys-leucotriènes a également été démontrée à plusieurs reprises chez des
patients souffrant d'une triade de Widal. Pour l'instant, ces tests ne peuvent être
pratiqués en routine ; ainsi, le diagnostic repose encore sur des tests de provocation, en
particulier par voie orale (gold standard), qui demandent une surveillance étroite. Les
tests de provocation nasale qui sont moins performants devront probablement être
couplés à des dosages des cys-leucotriènes urinaires pour améliorer leur valeur
diagnostique.
la désensibilisation en particulier pour l'aspirine
La désensibilisation ou induction d'une tolérance est pratiquée plus fréquemment depuis
qu'une double anti-agrégation plaquettaire est conseillée en cas d'angor instable,
infarctus et après pose d'un stent. Elle doit se dérouler en milieu hospitalier avec une
surveillance d'une journée. Le protocole le plus utilisé est celui de Wong, 17 avec
administration toutes les dix à vingt minutes de doses croissantes d'aspirine (0,1-0,3-13-10-30-40-81-162-325 mg). Après une telle induction de tolérance, il existe une
période réfractaire limitée durant laquelle le patient est non réactif à l'aspirine, d'où la
nécessité que la prise d'AINS reste strictement quotidienne pour que la tolérance
persiste. Les résultats sont encourageants, la plupart des patients tolérant au moins 100
mg d'aspirine après désensibilisation.
Des désensibilisations à nettement plus haut risque ont été décrites chez des patients
avec asthme sévère exacerbé par les AINS, avec ou sans polypose nasale associée.
Stevenson18 a montré une amélioration de l'asthme chez certains patients après
induction d'une tolérance et poursuite d'une dose quotidienne d'aspirine assez élevée (2
x 650 mg/j 1 mois, puis 2 x 325 mg). Malheureusement, la majorité des patients
présentent des réactions durant la désensibilisation, et par la suite environ 25% des
patients stoppent assez rapidement le traitement, souvent en raison de problèmes
gastriques. Stevenson a en outre décrit une réaction anaphylactique avec
rhinoconjonctivite et asthme quelques jours après une désensibilisation «réussie».
quel anti-inflammatoire ou analgésique prescrire en cas d'intolérance aux ains ?
On propose chez ces patients le paracétamol ou un anti-COX-2 sélectif, actuellement le
célécoxib (Celebrex) qui est encore commercialisé en Suisse. En cas de doute quant à
leur tolérance (absence de prise préalable notamment), on recommande des tests de
provocation rapide sous surveillance de quelques heures. Le paracétamol est très
rarement responsable d'intolérance à doses courantes, surtout per os. A noter que
moins de 5% des patients intolérants aux AINS réagissent aux anti-COX-2 sélectifs. En
cas de douleurs importantes, les dérivés de la codéine et des opiacés sont naturellement
prescrits à ces patients.
conclusion
Les réactions de type allergique aux AINS sont le plus souvent liées à une intolérance
pharmacologique, ainsi les réactions croisées impliquant potentiellement toutes les
classes d'AINS non ou semi-sélectifs sont fréquentes : c'est en particulier le cas des
patients avec réaction respiratoire aux AINS et de ceux souffrant d'urticaire chronique.
Lors de réaction urticarienne aiguë, le risque de réactions croisées est difficile à prédire,
ainsi la prudence s'impose. Il est possible d'induire une tolérance à des faibles doses
d'aspirine lorsque son effet anti-agrégant est indiqué. Enfin, la grande majorité des
patients intolérants aux AINS supportent le paracétamol et les AINS sélectifs tels que le
célécoxib. Néanmoins, lorsque ces médicaments n'ont jamais été administrés, on
conseille un test de provocation avant de les prescrire.
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