Proust en bande dessinée

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Proust en bande dessinée
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Proust en bande dessinée
Séquence pédagogique – niveau lycée par Frédéric Maget.
OBJECTIF : GÉNÉRAUX :
1) découvrir l’œuvre de Marcel Proust
2) se familiariser avec la lecture de l’image
3) réfléchir aux enjeux de l’adaptation d’une œuvre littéraire à travers l’écriture d’une
bande dessinée.
SUPPORTS DE LA SÉQUENCE :
1) PROUST (Marcel), « Combray », Du côté de chez Swann (1913), in À la recherche du
temps perdu, t. I, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1987, pp. 3-184.
2) PROUST (Marcel), « Combray », À la recherche du temps perdu. Adaptation et
dessins de Stéphane HEUET, Paris, Delcourt, 1998.
PROGRESSION PÉDAGOGIQUE
SÉANCE N°1 : À la recherche de Marcel Proust
OBJECTIF : découvrir l’œuvre de Proust à travers les jugements de ses contemporains.
SUPPORTS : 1) divers jugements critiques.
2) PROUST (Marcel), « Longtemps, je me suis couché de bonne heure […] il
faudra rester toute la nuit à souffrir sans remède. », « Combray », À la recherche du temps
perdu, t. I, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1987, pp. 3-4.
Jugements et critiques (extraits)
« Cette histoire ici semble relativement simple. Mais dans le manuscrit, elle est entrecoupée
d’autant d’autres incidents étrangers, brouillés d’autant d’autres enchevêtrements
inconcevables que ce que l’on a vu dans la première partie. (…) Pendant des heures… à
propos de ce verre, ou de la bataille de Waterloo… il vous envoie chemin faisant des choses
auxquelles on n’aurait jamais pensé… c’est-à-dire des choses qui, cela est très juste, ne sont
pas quelconques, sont nouvelles, fines, pleines d’observation et de pénétration, mais qui vous
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sont envoyées pendant des heures et chemin faisant, c’est-à-dire sans que l’on voie jamais où
ce chemin conduit.
(La phrase de Proust) a tout de l’embrouillement, tout l’enchevêtrement que l’on remarque
déjà rien que dans la lettre jointe au manuscrit, et qui fait que la lecture n’est pas soutenable
au-delà de cinq ou six pages.
Et c’est un continuel vagabondage du « dégoisement ». Swann va, une fois par hasard, « dans
le monde ». Et cela dure trente pages (p. 369 à401). Et il y a trois pages sur les larbins qui
font la haie dans l’escalier et qui évoquent « les prédelles de San Zeno et les fresques des
Eremitani »,… Albert Dürer,… l’Escalier des Géants du Palais Ducal,… Benvenuto Cellini,…
les vigies des tours de donjon ou de cathédrale,… etc., etc. Autant, ensuite sur chaque invité…
Et c’est intarissable, et cela devient de la folie. »
Jacques MADELEINE, Rapport de lecture écrit en 1912 pour les éditions Fasquelle.
« Ce volume si long ne se lit point aisément. Il est non seulement compact, mais obscur. Cette
obscurité, à vrai dire, tient moins à la profondeur de la pensée qu’à l’embarras de l’élocution.
(…) Ajoutez que les incorrections pullulent, que les participes de M. Proust ont, comme disait
un personnage de Labiche , un fichu caractère, en d’autres termes qu’ils s’accordent mal ; que
ses subjonctifs ne sont pas plus conciliants ni plus disciplinés, et ne savent même pas se
défendre contre les audacieux empiètements de l’indicatif.
Ce n’est pas positivement ennuyeux, mais un peu banal, malgré un certain abus de crudités,
et malgré l’idée qu’a Swann de comparer cette maîtresse à la Séphora de Botticelli qui est à la
chapelle Sixtine. Et que d’épisodes dans cet épisode ! Quelle foule de comparses, mondains
de toutes sortes et bohèmes ridicules, dont les sottises sont étalées avec une minutie et une
prolixité excessives ! »
Paul SOUDAY, Le Temps, 10 décembre 1913
« Cette prodigieuse fresque toute fourmillante, qui s’accuse de plus en plus, cet inattendu des
caractères, si logique dans son apparent illogisme, cette phrase à la Tacite, savante, subtiles,
équilibrée, voilà ce génie qui se dessine en teintes maîtresses. L’abîme des cœurs. Vous y
fraternisez avec les plus grands, avec Shakespeare, Cervantes, La Bruyère, Molière, Balzac,
Paul de Kocq. (…) Qui donc a poussé l’analyse jusque-là ? En France, personne. »
Francis JAMMES, lettre à Marcel Proust du 9 décembre 1913.
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« La musique seule nous semblait jusqu’ici apte à suggérer de façon si subtile les émotions
dans leur naturel écoulement. Aussi bien l’aventure de Swann qui aime Odette de crécy et
dont l’amour se change en une passion inquiète, ombrageuse et maladive, accompagnée de
tous les mouvements de la jalousie la plus atroce, nous émeut comme un chant angoissé qui
livre tout le dedans des âmes. Toute une vie se déroule dans son détail innombrable et précis
qui étreint, déroute et bouleverse. »
Bernard GRASSET, notice publicitaire pour Du côté chez Swann.
« Certains lui reprochèrent un manque de sélection : ceux surtout qui ne font commencer
l’art qu’avec le choix ; mais l’art n’a point de règles immuables. Du côté de chez Swann est un
ouvrage difficile à classer, plus encore à comparer avec quoi que ce soit : il est sans précédent
dans notre littérature. (…) Ceci est d’un impressionniste qui serait un graveur en taille-douce
et, j’ose à peine le dire, tant ce vocable fait peur à présent : d’un homme du monde.
L’audacieux se lance dans les entrelacs et les arabesques d’interminables périodes, claires
pourtant, pittoresques et, quand elles sont ne s’attardent pas à tresser trop de fleurs, solides
et nettes, souples, lourdes de sens. »
J.-E. BLANCHE, L’Écho de Paris, 15 avril 1913.
« Fidèle aux postulats de l’esprit d’analyse, il n’imagine même pas qu’il puisse y avoir une
dialectique des sentiments, mais seulement un mécanisme. Ainsi l’atomisme social, position
de repli de la bourgeoisie contemporaine, entraîne l’atomisme psychologique. Proust s’est
choisi bourgeois, il s’est fait le complice de la propagande bourgeoise, puisque son œuvre
contribue à répandre le mythe de la nature humaine. »
Jean-Paul SARTRE, Situations II, Gallimard, 1948.
Questions. Quelle(s) image(s) de l’écrivain se dégage de ces jugements ? La lecture des
premières lignes de Combray vous semble-t elle conforme à ces différents points de vue ? En
quoi ?
Eléments de réponse. On notera tout
d’abord la diversité des genres auxquelles
appartiennent les textes ci-dessus. Certains sont liés à l’édition (compte-rendu de lecture et
notice publicitaire), d’autres relèvent de la réception (article critique) ou de l’analyse littéraire
(essai), d’autres enfin tiennent du jugement personnel assumé comme tel (lettre, portraitsouvenir). Marcel Proust apparaît tantôt comme un styliste hors pair, tantôt comme un
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écrivain ennuyeux aux phrases trop longues. On lui reproche le manque de cohérence et de
clarté dans la construction de son récit et ses considérations élitistes tant du point de vue de
l’univers romanesque que de l’écriture parfois absconse proche d’une certaine forme
d’hermétisme. La confrontation avec le texte lui-même permet de saisir la difficulté du texte
proustien. C’est véritablement une séance préparatoire qui permettra de dépasser cette vision
de l’œuvre qui pourrait rebuter les élèves.
SEANCE N°2 : Adapter Proust en bande dessinée : une drôle d’idée ?
OBJECTIF : réfléchir sur les caractéristiques des genres
SUPPORT : mise en commun des représentations.
La séance précédente a permis de mettre à jour une image de Proust, écrivain intellectuel et
emblème de l’artiste esthète au style très littéraire. Dès lors, l’adaptation de son œuvre en
bande dessinée peut apparaître sacrilège puisqu’elle ampute nécessairement le texte.
Activités. Compéter le tableau suivant. (Figurent en rouge des propositions de réponse)
Caractéristiques stylistiques et génériques du Caractéristique stylistiques et génériques de
texte de Proust
la bande dessinée
Un texte fleuve
Potentiel narratif relativement linéaire
Une écriture métaphorique
Force des images aisément transposables
dans les arts graphiques
L’importance des sensations
Possibilité de transcrire les sensations par
divers moyens propres à la BD (formes des
bulles,
couleurs,
choix
des
caractères,
onomatopée…)
Point de vue subjectif et voix du narrateur
Dans la BD le cadre rend compte de la voix du
narrateur, tandis que les bulles rendent
compte des dialogues des personnages.
Importance
des
lieux
et
obsessionnelle du cadre spatial
précision Possibilité d’une représentation réaliste d’un
décor évoqué.
Une fois le tableau complété, on distribuera la page 6 (éd. Delcourt) de la bande dessinée.
Repérez les différents procédés d’adaptation choisis et utilisés par Stéphane Heuet. Quelles
sont les limites de son adaptation ?
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On montrera notamment qu’il n’est pas si aisé de transposer un texte où la majeure partie des
informations sur l’action et les personnages est donnée par le narrateur. Il conviendra de
remarquer que le texte est d’ailleurs très souvent recopié dans des cadres orangés et parfois
dans des vignettes entières.
Malgré toutes les critiques, on peut conclure que l’adaptation de Proust en bande dessinée
n’est pas si scandaleuse et qu’elle révèle même certaines des qualités les plus littéraires de
l’œuvre pour un jeune public.
Travail préparatoire : À l’issue de cette séance, on demandera aux élèves de lire les pp. 28-32
(éd. Pléiade) de Combray et de proposer un résumé de ce passage.
SEANCE N°3 : Adapter, c’est trahir un peu.
OBJECTIF : identifier les principaux procédés utilisés dans l’adaptation en bande dessinée.
SUPPORTS : 1) PROUST (Marcel), « Une fois dans ma chambre […] la voix de mes parents
qui prenaient le café au jardin. », « Combray », À la recherche du temps perdu, t. I, Paris,
Gallimard, La Pléiade, 1987, pp. 28-32.
2) PROUST (Marcel), « Combray », À la recherche du temps perdu.
Adaptation et dessins de Stéphane HEUET, Paris, Delcourt, 1998, p. 11.
En début de séance, on distribue la p. 11 (éd. Delcourt) de la bande dessinée.
1. Condenser.
Prouvez que cette planche correspond bien au passage que vous avez résumé. Avez-vous
conservé dans votre résumé les mêmes éléments que le dessinateur ? Avez-vous fait d’autres
choix ? Si oui, justifiez-les.
Le dessinateur a regroupé en une seule planche cinq pages de l’édition de la Pléiade
représentant une dizaine de pages de l’édition courante en poche. L’adaptation du roman de
Proust en bande dessinée, genre essentiellement narratif, suppose d’une part une attention
privilégiée à l’action et d’autre part un phénomène de concentration nécessaire (un album de
bande dessinée avoisine généralement les 80 pages et dépasse rarement la centaine). Cette
étape de la séance permet d’établir que l’adaptation en bande dessinée repose sur un effet de
condensation narrative (sommaire narratif).
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2. Transposer.
Dans un second temps, on travaillera plus précisément sur l’adaptation des dialogues et des
propos du narrateur.
Retrouvez
dans le texte les propos tenus par les personnages dans la planche. Que
remarquez-vous ?
On insistera une nouvelle fois sur la répartition entre les cadres réservés au narrateur
(principe de la voix-off emprunté au cinéma) et les bulles reprenant les dialogues
romanesques. Les élèves noteront alors que Stéphane Heuet a procédé à une transposition
systématique du discours rapporté indirect en discours rapporté direct, nécessaire pour
donner vie aux personnages de la bande dessinée. C’est l’occasion pour l’enseignant de faire
une révision bien utile sur le discours rapporté dans le récit. On notera la présence
intéressante de discours narrativisé repris dans la troisième vignette de la bande dessinée à
partir de la lettre du narrateur.
SEANCE N°4 : Comment représenter le temps ?
OBJECTIF : étudier le temps dans le récit romanesque et dans la bande dessinée.
SUPPORT : PROUST (Marcel), « Combray », À la recherche du temps perdu. Adaptation et
dessins de Stéphane HEUET, Paris, Delcourt, 1998, p. 15-16.
On distribue aux élèves les vignettes des pages 15 à 16 dans le désordre.
Les vignettes ont été mises dans le désordre, retrouvez l’ordre des quatorze vignettes en
justifiant votre choix. L’ordre auquel on aboutit logiquement est celui d’une chronologie
respectant la succession des événements et répondant à la linéarité narrative nécessaire à la
bande dessinée. Pourtant l’épaisseur temporelle et la multiplication des strates de la
mémoire, centrales dans ce passage, sont aussi rendues par Stéphane Heuet.
Comment le dessinateur réussit-il à représenter le surgissement du passé et le phénomène
de la mémoire ? On s’intéressera particulièrement au motif de la volute de fumée, au nombre
des vignettes, à leur répartition et à l’enchaînement des plans sur les trois pages.
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SEANCE N°5 : La madeleine de Proust
OBJECTIF : réaliser une explication littéraire
SUPPORT : PROUST (Marcel), « Il y avait déjà bien des années […] faire entrer dans sa
lumière. », « Combray », À la recherche du temps perdu, t. I, Paris, Gallimard, La Pléiade,
1987, pp. 44-45.
On procèdera à cette étape de la séquence à une explication littéraire du texte fameux de la
madeleine. On montrera dans un premier temps qu’il s’agit d’une expérience inattendue et
involontairement vécue par le narrateur, puis dans un second temps qu’il s’agit pour le
narrateur d’un moment de bonheur intense qui ouvre à une sensualité singulière . Enfin, on
insistera sur les mécanismes par lesquels la conscience recompose le souvenir à travers un
récit rétrospectif.
À partir de cette étude, on proposera aux élèves un sujet d’écriture : Vous avez vous aussi fait
l’expérience de la mémoire involontaire. Un objet a réveillé un jour des souvenirs enfouis.
Faites à votre tour e récit de cette expérience en veillant à évoquer dans votre texte des
sensations diverses à l’aide d’images. Vous serez attentif à garder une certaine qualité
poétique à votre texte.
SEANCE N°6 : la rencontre de Gilberte
OBJECTIF : rédiger un projet d’adaptation d’un texte narratif en bande dessinée.
SUPPORTS : 1) PROUST (Marcel), « Tout à coup, je m’arrêtai […] l’inconnu de sa vie où je
n’entrerais pas. », « Combray », À la recherche du temps perdu, t. I, Paris, Gallimard, La
Pléiade, 1987, pp. 139-140.
2) PROUST (Marcel), « Combray », À la recherche du temps perdu.
Adaptation et dessins de Stéphane HEUET, Paris, Delcourt, 1998, pp. 54-55.
Lisez attentivement le texte pp. 139-140 (éd. Pléiade), puis dites ce que vous en retiendriez
pour l’adapter en un planche de bande dessinée. Que représenteriez-vous ? Quel texte feriezvous figurer dans les cadres et dans les bulles ? Votre proposition ne devra pas excéder dix
vignettes dont vous fixerez vous-même la taille et la mise en page dans un schéma.
Les élèves pourront ensuite comparer leur travail avec celui de Stéphane Heuet. Cette
comparaison sera l’occasion de revoir les notions de plan et de cadrage propres à la lecture de
l’image.
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Vérifiez la conformité des textes présents dans les cadres orangés avec le texte de Proust ?
on pourra mettre rapidement en débat avec les élèves les choix de Stéphane Heuet :
appauvrissent-ils le texte proustien ?
SEANCE N°7 : Adapter et interpréter
OBJECTIF : étudier l’incipit et l’excipit de la bande dessinée.
SUPPORT : PROUST (Marcel), « Combray », À la recherche du temps perdu. Adaptation et
dessins de Stéphane HEUET, Paris, Delcourt, 1998, p. 3 et p. 72.
Comparez la première et la dernière page de la bande dessinée. Quels éléments se
retrouvent de l’une à l’autre ? Comment le narrateur apparaît à la première page comment
apparaît-il dans la dernière page ?
On sera particulièrement attentif aux effets d’échos et de rappels entre l’incipit et l’excipit à
travers le motif de la fenêtre ouverte ou fermée, l’ombre de l’enfant dans son lit, l’absence de
bulles et l’omniprésence des cadres, l’opposition lieux ouverts/fermés. On montrera aussi
comment la dernière page fixe une image du narrateur qui n’apparaissait pas de façon claire
dans la première page.
Le motif de la fenêtre ouverte permettra d’aborder la problématique centrale de l’excipit.
Doit-on le considérer comme un point final ou bien comme une ouverture ? Cela permettra
d’insérer Combray dans tout le cycle de la Recherche du temps perdu. Ainsi, la page 72 de la
bande dessinée se termine sur « Fin de la première partie » qui rappelle que Combray est la
première partie du premier volume de la Recherche.
On montrera que le dessinateur prend une position interprétative claire puisqu’il identifie
nettement le narrateur à l’auteur. Ce sera l’occasion de poser la délicate question de la
distinction entre autobiographie et fiction autobiographique à travers le statut du narrateur
de la recherche. On pourra à ce moment de la séquence distribuer aux élèves le célèbre
portrait de Marcel Proust par Jacques-Émile Blanche ou à défaut une photographie afin de
faire constater que le présent portrait du narrateur est en fait un portrait réaliste de l’auteur
qui par contrecoup identifie l’enfant comme étant l’auteur.
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