Aux Ulis, sur les traces de « Je suis Charlie
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Aux Ulis, sur les traces de « Je suis Charlie
2 Événement ddAprès les grandes manifestations du 11 janvier contre le terrorisme qui venait de frapper le pays, « l’esprit Charlie » a vite montré ses limites. vendredi 10 avril 2015 ddTrois mois plus tard, l’enquête de notre reporter dans une ville de la grande banlieue parisienne confirme que cet élan n’a guère mobilisé dans les quartiers populaires. ddPour le philosophe Régis Debray, le défi reste entier de parvenir à faire vivre nos valeurs républicaines dans la société moderne. De loin, Les Ulis, ce sont d’abord les silhouettes des tours haut perchées que le marcheur découvre au sommet d’une côte en montant depuis la gare RER de Bures-sur-Yvette. De près, c’est une ville jeune et cosmopolite qui a grandi à la place de rangées de fraisiers et de champs de patates. Bien sûr, il y a le chômage, les incivilités, la délinquance, les petits trafics, les frictions, la pauvreté, les bus en retard… Mais il y a aussi le mélange, la mixité, les sourires, l’énergie, le sport, le tissu associatif… Les Ulis ne sont pas un ghetto où régnerait « l’apartheid social, ethnique et territorial » dénoncé par Manuel Valls en janvier. Ici, un retraité venu de Bretagne peut habiter sur le même palier qu’une femme de ménage née au Sénégal, un ingénieur croiser un gardien de nuit au marché et une famille de Pakistanais vivre dans un immeuble construit par un Portugais. « Comme banlieue, il y a mieux, mais il y a pire », résume Yves, rencontré au comptoir d’un café. Mais Les Ulis ne sont pas loin de Grigny, une autre ville de l’Essonne où a vécu un terroriste nommé Amedy Coulibaly. Alors que les réactions aux attentats de janvier ont rappelé l’existence d’une cassure entre les centres-villes et leurs périphéries, et renforcé l’image caricaturale de ces quartiers, nous avons voulu raconter le quotidien d’une banlieue dite « populaire ». Dans les trois mois à venir, La Croix va consacrer une chronique hebdomadaire aux habitants des Ulis, chaque lundi. C’est un printemps aux Ulis. PASCAL CHARRIER Les photographies de ce reportage sont de Romain Champalaune pour « La Croix » www.romainchampalaune.com Romain Champalaune POUR LA CROIX Un printemps aux Ulis Les Ulis, c’est une ville jeune et cosmopolite qui a grandi à la place de rangées de fraisiers et de champs de patates. Aux Ulis, sur les traces de « Je suis Charlie » ddTrois mois après les attentats de janvier et la forte mobilisation qui a suivi, La Croix est allée à la rencontre des habitants d’une ville populaire de la région parisienne. ddAux Ulis, le mouvement « Je suis Charlie » n’a pas pris ; le climat créé à l’époque par les événements a renforcé un sentiment de stigmatisation chez de nombreux musulmans. Au départ, c’est une tache jaune qui attire l’œil. Des jonquilles, sur un balcon. Un peu plus haut, en arrière-plan, apparaît un rectangle noir avec des lettres blanches : « Je suis Charlie ». La phrase devenue mondialement célèbre après l’attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 est affichée sur une porte-fenêtre, au deuxième étage d’un immeuble qui en compte trois. Appuyé à une dalle piétonnière en béton, en face d’une synagogue, le petit bâtiment se trouve aux Ulis, dans le département de l’Essonne. Qui a affiché cette pancarte ? Personne au balcon ni derrière la fenêtre. Un interphone bloque l’entrée. Ces appartements ont poussé comme le reste de cette ville-champignon, sortie de terre il y a quarante ans à 25 kilomètres au sud de Paris. Des tours, des barres, peu de pavillons mais pas mal de verdure. Près de la moitié des logements relève du secteur social. La population est jeune, en grande partie d’origine immigrée et souvent avec des revenus modestes. Dans cette banlieue, en janvier, tout le monde n’était pas « Charlie ». Des collégiens et des lycéens n’ont pas respecté la minute de silence en hommage aux victimes des attentats. « Et pourquoi pas pour la Palestine ? », ont demandé certains. « Ils ont eu ce qu’ils méritaient », ont plus durement lâché d’autres, alors que les sceptiques envisageaient « un coup monté ». « Ce sont des incidents isolés », modère Jean-Marie Ballo, adjoint au maire chargé de la jeunesse. Cet ancien éducateur, natif du Mali, a gardé la carrure athlétique du lanceur de disque de haut niveau qu’il fut. Quand il parle de sa ville de 25 000 habitants et de ses multiples communautés de toutes confessions, l’élu préfère souligner que le « vivre-ensemble » est une réalité, toujours d’actualité, qui n’a pas souffert d’éventuelles tensions liées aux événements du début de l’année. « Nous nous croisons toujours tous sur les mêmes passerelles, résume-t-il, en référence aux nombreux ponts pour piétons qui marquent l’urbanisme local. Il n’y a pas de zone de non-droit. » Jean-Marie Ballo préfère, aussi, se souvenir que des anonymes se sont « spontanément » rassemblés pour dénoncer les attaques des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, les 7, 8 et 9 janvier. Ils n’étaient pas aussi nombreux qu’à Paris, où des millions de citoyens marchèrent épaule contre épaule le 11 janvier, mais ils étaient là, devant la Pierre de la liberté, une statue érigée derrière la mairie. Que reste-t-il de cet élan, de cet « esprit du 11 janvier » ? « Pas grandchose », répond Guillaume Palma, directeur de l’Association pour vivre l’autogestion (Avag). Créée par et pour les jeunes, la structure est installée au rez-de-chaussée de la résidence des Hautes-Plaines, au cœur de l’ancienne zone urbaine sensible (ZUS) des Ulis, rebaptisée « quartier prioritaire ». Les locaux sont lumineux. Des enfants et leurs parents les fréquentent pour emprunter des jeux, bénéficier d’un dispositif d’accompagnement scolaire ppp se trompe, et il accepte de se confier, mais pas de donner son nom. « Les attentats, reprend-il, on en parle juste un peu entre nous quand on voit les militaires devant la syna gogue. » L’esprit du 11 janvier ? « Il n’y a plus que l’autre qui remet toujours ça en avant », enchaîne notre interlocuteur. L’autre ? « François Hollande. Il en a encore parlé pour les enfants d’Izieu. » Et le collectif Charlie, que certains ont essayé de lancer aux Ulis (lire page 4) ? « Cela n’intéresse que quelques gauchistes. Ici, le train-train a repris et les gens ont toujours les mêmes problèmes. » Le chômage, surtout, qui touche 13 % de la population et jusqu’à 30 % des jeunes. À quelques centaines de mètres de là, au collège Aimé-Césaire, le maelström de janvier est pourtant encore dans les esprits. Michèle Véchambre enseigne depuis une quinzaine d’années l’histoire-géographie et l’éducation civique dans cet établissement classé en réseau d’éducation prioritaire (REP), dans le quartier des Amonts. Fin mars, elle a lancé un débat sur la lutte contre le racisme avec une classe de sixième. « C’est reparti directement sur Charlie Hebdo, raconte-t-elle. Pour eux, cela reste un sujet très lourd. » ppp (Lire la suite page 4.) Événement « Il y avait trop de malentendus, trop d’ambiguïtés » ddLe philosophe, qui avait analysé dans La Croix la forte mobilisation qui suivit les attentats (nos éditions du 13 janvier), revient trois mois après sur « l’esprit du 11 janvier ». Que reste-t-il de l’esprit du 11 janvier ? De ce « momentfraternité » auquel tout le monde a cru ou voulu croire ? Régis Debray : Il reste une émotion, peut-être une prise de conscience. Un moment de communion, donc d’illusion. Mais enfin, il y a des illusions qui font du bien. J’avais tout de suite vu qu’aucune organisation ne naissait de ce rassemblement, comme parfois des comités de liaison se créent. C’est le propre des événements médiatiques de retomber sur eux-mêmes. L’essai n’a pas été transformé. Mais on le sentait déjà. Il y avait trop de malentendus, d’ambiguïtés. Tout le monde était là, mais pas pour les mêmes raisons. Avez-vous senti, depuis, davantage de cohésion sociale ? R. D. : Non ! On s’est aperçu très vite que les banlieues n’étaient pas venues, que les dominants étaient entre eux. Ces orchestrations médiatiques sont leur propre but, leur propre fin. Il ne faut pas trop leur en demander. Ce sont des effusions à fort coefficient narcissique. Cette émotion populaire profonde et partagée sur ce crime a-t-elle accentué les fractures communautaires ou permis d’en prendre conscience ? R. D. : Ni l’un ni l’autre. Elle les a voilées dans un moment d’euphorie que l’on pouvait croire transcendantal mais qui était au fond instantané et destiné à ne pas survivre. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on a sacralisé l’état d’esprit pour le moins léger de Charlie Hebdo, l’idée qu’on peut rire de toute chose, qui est en réalité en porte-à-faux avec les données de Romain Champalaune POUR LA CROIX REPÈRES Aux Ulis, il y a aussi le mélange, la mixité, les sourires, l’énergie, le sport, le tissu associatif… 3 ENTRETIEN RéGIS DEBRAY, philosophe, directeur de la revue «Médium» (1) Une ZUP devenue une ville PPLes Ulis ont d’abord été une ZUP (zone d’urbanisation prioritaire) lancée en 1960 sur des terrains agricoles de Bures-sur-Yvette et Orsay (Essonne). Il s’agissait de créer des logements à proximité du plateau de Saclay et de la vallée de Chevreuse. Les premiers habitants se sont installés l’époque. Notre dernière fête de la Fédération a réveillé un certain sacré républicain. C’est heureux. Il se trouve que ce sacré, pour beaucoup à travers le monde, est sacrilège. C’est malheureux. Autrement dit, ce qui est sacré pour quatre millions de personnes est sacrilège pour quatre cents millions. C’est embêtant. Ce fusionnel n’a pas donné lieu à une réflexion sur les sacralités d’aujourd’hui, sur le rôle du religieux dans les solidarités existentielles. Le réflexe n’a pas embrayé sur une réflexion. C’est dommage. Jamais, depuis le 11 janvier, nous n’avons autant parlé de laïcité. Qu’en pensez-vous ? R. D. : C’est sans doute un opérateur de consensus, commode comme tous les consensus. Il n’est pourtant pas facile de faire refleurir une République laïque dans un monde chaque jour moins républicain qu’hier, où beaucoup qui se disaient maghrébins se disent désormais musulmans, où les Israéliens se disent juifs et les Indiens, hindous… Il faut maintenant entrer dans le vif du sujet : donner de la laïcité une définition claire. On verra que ça ne peut, en aucun cas, être une contre-religion d’état mais simplement un cadre juridique qui a aussi ses interdits et ses contraintes. Avez-vous vu ou senti s’esquisser des solutions, des pistes s’ouvrir ? R. D. : J’ai surtout été frappé que cette grande manifestation d’hommage à la laïcité se soit achevée, le 11 janvier, dans une synagogue. Et que dans ce lieu de culte se soit tenue une sorte de meeting politique. J’ai trouvé curieuse cette concession au communautarisme. Dans la rue, le président de la République, avec un signe religieux ostentatoire sur le crâne, patientait en attendant le chef d’un gouvernement étranger. Par définition, un président n’attend pas. Dans un lieu de culte en France, qui est donc un territoire français, on l’attend mais pas l’inverse. Quand un président de la République porte une en 1968 et la commune des Ulis a été créée par arrêté préfectoral en 1977. PPLa ville a compté jusqu’à 28 000 habitants en 1982, un nombre retombé à 24 641 en 2011. Le revenu moyen par ménage est un des plus faibles de l’Essonne, avec 21 906 € de revenu net moyen déclaré par foyer fiscal en 2011. Le taux de chômage est de 13 %. PPLa municipalité dispose cependant de recettes kippa et non un chapeau, on peut dire qu’il fait une sérieuse entorse à la laïcité républicaine. Ce sont certes des détails protocolaires, mais qui montrent que nos gouvernants ne sont pas très sérieux dans leur pratique de la laïcité. Ces événements nous ont-ils « aidés » à prendre mieux conscience du phénomène djihadiste ? R. D. : Oui, ils nous ont aidés à envisager plus nettement, plus concrètement le monde musulman en séparant salafisme, djihadisme, soufisme… Ils ont contribué à notre réflexion sur la radicalisation, et donc sur les contre-radicalisations dans les prisons ou ailleurs. Sur le plan politique, toutefois, je n’ai discerné ni stratégie, ni vision du monde, pas même une nouvelle organisation de la diplomatie. Que souhaiteriez-vous dans les mois qui viennent ? R. D. : J’attends une meilleure réflexion sur les différences culturelles à travers la planète, sur l’illusion que nous vivons tous à la même époque parce que nous évoluons dans un même espace. Un milliard de croyants qui ne pensent pas comme nous, ce n’est pas à dédaigner. Et comment combattre avec succès ce qu’on ne s’est pas soucié de comprendre ? J’attends une perception plus aiguë et un certain relativisme. J’attends qu’on fasse un peu plus d’histoire et de géographie. Recueilli par JEAN-CLAUDE RASPIENGEAS (1) Le dernier numéro de la revue Médium avriljuin 2015 est consacré à « Charlie et les autres ». importantes en raison Paris de la présence sur son Val-deMarne territoire de nombreuses Yvelines entreprises implantées Les Ulis dans le parc d’activités de Courtabœuf. SeineEvry etPPFrançois Hollande Marne ESSONNE a recueilli 71,53 % des voix au second tour des élections présidentielles 10 km Loiret de 2012 aux Ulis. Mais le Parti socialiste a perdu étiquette ». Elle vient la mairie en 2012 au profit d’être élue vice-présidente de Françoise Marhuenda, du conseil départemental élue sur une liste divers de l’Essonne, désormais gauche, qui se dit « sans dominé par l’UMP. idé ppp ou utiliser des ordinateurs. Après les attentats, le responsable associatif n’a pas vu de nouvelles bonnes volontés se précipiter dans son bureau pour proposer leurs services. Il n’a pas non plus entendu le mot « Charlie » envahir les discussions. « Les gens ont oublié très vite et sont passés à autre chose, témoigne-t-il. Cela n’a pas touché leur quotidien. À quelques exceptions près, ils ne se sentent pas concernés. » Avant les vacances de février, une de ses collègues a organisé une intervention sur les limites de la liberté d’expression. « Cela n’a pas fonctionné, regrette encore Guillaume Palma. Un seul ado et deux familles se sont déplacés. C’est dommage. Cela partait d’un bon sentiment. On s’est aperçu qu’il y avait un manque de débat. Mais est-ce que les gens ont vraiment envie de cela ? » Un diagnostic vite confirmé sur place. Tenter, par exemple, de lancer une discussion sur ce sujet entre les étals du marché voisin attire surtout des sourires embarrassés. Il y a tout de même ce trentenaire d’origine algérienne, en train de boire un café sous la partie couverte du marché. Il est d’abord méfiant : « La Croix, c’est un journal communautaire qui dit du mal des musulmans, non ? ». On lui explique qu’il Un printemps aux Ulis ERIC FEFERBERG/AFP vendredi 10 avril 2015 4 Événement Un printemps aux Ulis TTAux Ulis, sur les traces de « Je suis Charlie » (Suite des pages 2-3.) ppp Les terroristes étaient-ils Romain Champalaune POUR LA CROIX vraiment musulmans ? C’est quoi la laïcité ? Peut-on rire de tout ? « Les mêmes questions sont remontées », poursuit l’enseignante. Elle a beau être une militante issue d’un milieu laïque, elle-même ne se sent pas « Charlie », hebdomadaire dont elle apprécie peu la ligne éditoriale. « La façon qu’ils ont de parler des musulmans ou de faire de l’humour sur les femmes me choque », explique-t-elle. Mais elle assure ne pas donner son avis à ses élèves : « Je suis là pour accompagner leur parole. » Certains ont en tout cas retenu quelque chose des échanges sur la liberté de la presse : « Quand ils font n’importe quoi, ils me lancent : ”C’est la liberté !” ». Elle n’est d’ailleurs pas toujours très optimiste sur l’avenir de tous ces adolescents. « Il y en a avec qui on ne peut rien faire, déplore-t- Ici, un retraité venu de Bretagne peut habiter sur le même palier qu’une femme de ménage née au Sénégal. elle. Ils n’écoutent rien, ne travaillent pas, ne savent rien. Certains bout de la ville, près du petit centre Il n’est pas le seul à tenir ce genre aux médias, mais ils ont aussi leur seraient assez bêtes pour partir un commercial de Courdimanche. de discours sur le crash de l’Airbus part de responsabilité. Une partie jour en Syrie. Heureusement, avec « Charlie Hebdo ? Moi, je ne m’in- de Germanwings, et cela n’a pas fait de la provocation », admet-il. d’autres gamins, il se passe quelque téresse pas à la politique », lâche un échappé à Abdelhak Aouinti, qui Pour lui, cela commence par les chose. Sinon, on ne tiendrait pas ! » jeune homme, le visage engoncé préside El-Andalous. Cette associa- tenues vestimentaires : « Si le proLeurs « grands frères », qui traî- sous une capuche. Il n’a pas voté tion a été créée pour édifier une phète Mohammed vivait aunent à proximité du collège, ne sont aux élections départementales, à mosquée flambant neuve sur un jourd’hui, il porterait un jean. » Lui pas non plus faciles à amadouer. Ils l’image de 60 % des Ulissiens. Avant terrain cédé par la municipalité. porte un costume. Il est professeur ont vite fait de prendre un journa- d’abréger l’échange, il ajoute : « Certains musulmans se sentent de mathématiques en lycée. En janliste pour un policier en civil. La « Quand un avion est tombé, on a vraiment stigmatisés depuis les at- vier, il a pris la parole pour dénonmême défiance s’affiche à l’autre tout de suite parlé de l’islam. » tentats, constate-t-il. Ils s’en prennent cer « fermement » les actes de terrorisme derrière un pupitre où était inscrit le fameux « Je suis Charlie ». Même s’il ne cautionne pas les caricatures, ses positions sont contestées au sein d’une communauté qui rassemble un millier de familles. « Seulement par une minorité », assure-t-il. Abdelhak Aouinti est également un pilier d’Inter Accueil Essonne, une association de dialogue interreligieux basée aux Ulis. Il vient de participer au rassemblement international « Ensemble avec Marie » (lire La Croix du 23 mars) qui a réuni musulmans et chrétiens dans la basilique de Longpont-surOrge, toujours en Essonne. Une autre façon de prolonger l’esprit du 11 janvier. « C’était magnifique », se rappelle-t-il. vendredi 10 avril 2015 Avant de quitter cette ville où un professeur de confession musulmane peut être « Charlie » et une enseignante de gauche ne pas l’être, nos pas nous ont ramenés sous le balcon orné de jonquilles et d’un « Je suis Charlie ». C’était la seule affiche que nous avions vue en arpentant les rues. Cette fois, une femme se tenait au balcon. Hélée depuis la dalle de béton, elle a indiqué comment venir chez elle. En montant l’escalier, on s’attendait à découvrir une militante, et c’est Mireille qui a ouvert la porte. « Vous savez, Les Ulis, ça craint. Cela fait vingt ans que j’habite ici, je n’en peux plus. » Mireille a travaillé pour la crèche municipale, où elle préparait les repas. Elle a 68 ans, ne lit pas de journaux et n’avait jamais acheté Charlie Hebdo avant le mois de janvier. Elle a fabriqué elle-même cette affiche avec du carton : « Cet attentat m’a complètement bouleversée. Mais je n’ai vu personne d’autre aux Ulis faire une pancarte comme moi. J’ai eu un peu peur d’avoir des ennuis. Vous savez, Les Ulis, ça craint. Cela fait vingt ans que j’habite ici, je n’en peux plus. » La retraitée a une vision sombre de sa ville. Assise dans son canapé noir, elle avoue que ces attentats ont renforcé sa crainte d’une agression. « Cela me trotte toujours dans la tête », ajoute-t-elle. Elle dit aussi qu’elle n’est « pas raciste », mais qu’il y a une « certaine population » qu’elle ne supporte plus. Elle parle des « femmes en burqa » qui lui font peur, de ces jeunes qui « n’ont aucun respect ». « Le fait que je ne parle à personne n’arrange pas les choses », reconnaît-elle. Mireille n’a plus l’occasion d’aller offrir du café et des gâteaux aux militaires qui stationnaient en permanence devant la synagogue. Désormais, les soldats font des rondes. Combien de temps gardera-t-elle son « Je suis Charlie » derrière sa vitre ? « Tant que le scotch tiendra »… pascal charrier PAROLES Étienne Charron Créateur du collectif « Charlie, on fait quoi aux Ulis ? » « Difficile de construire dans la durée » « Au départ, j’ai lancé un appel citoyen pour permettre aux gens de s’exprimer après les attentats de janvier. L’idée était d’impliquer tous les Ulissiens, de dire que tout le monde a besoin de moments d’échange et de dialogue. Après un rassemblement aux Ulis le 10 janvier, nous sommes allés en groupe le lendemain à la marche à Paris. Cela a rassemblé des personnes de toutes les communautés, dont beaucoup de jeunes. Beaucoup m’ont remercié. Ensuite, j’ai voulu monter un réseau. Mais cela a du mal à fonctionner. En fait, ce sont toujours les militants habituels qui viennent. Il est difficile d’aller plus loin et de construire quelque chose dans la durée. C’est une ville où le vivre-ensemble fonctionne bien. Mais il y a toujours une partie de la population qui se sent exclue et à l’abandon dans les quartiers. » Recueilli par Pascal Charrier
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