I. La vie dans ma famille japonaise
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I. La vie dans ma famille japonaise
Léa NAUDET Terminale S Lycée Jean-Pierre Vernant Après réflexion j'ai choisi la notion « idée de progrès » à laquelle j'ajouterais le sousintitulé « entre tradition et modernité ». C'est celle qui correspond le mieux à mon voyage. Je ne me concentrerai pas sur l'aspect touristique ou mes expériences vécues, mais plutôt sur ce que j'ai pu en tirer dans le cadre de la notion. L'échange Colibri n'est pas un échange touristique. Je tiens cependant à préciser que tout s'est passé à merveille : je me suis beaucoup amusée, j'ai appris énormément de choses et j'ai vécu une expérience très enrichissante dans ma famille d'accueil, au lycée et avec mes amis. Ce voyage restera inoubliable et m'a permis de créer des liens forts avec les personnes que j'ai pu rencontrer et avec lesquelles je garde et garderai contact. Remerciements Premièrement, je tiens à remercier tous les organisateurs et accompagnateurs de l'échange Colibri, ainsi que mon professeur de Japonais, Gilles Bieux, puisque le voyage n'aurait pas été possible sans son investissement personnel et son soutien. Ensuite, je souhaiterais exprimer mon immense gratitude à toute ma famille d'accueil, la famille Yamashita : la mère de famille, Kiyomi, pour toute son attention et sa gentillesse, ma correspondante Yuriko, mon grand-frère Kensuke pour son humour et son ouverture, sans oublier Hiroshi, le père de famille qui a indéniablement contribué à la réalisation de cet échange de son côté. Je pense ici aussi à la famille proche, dont la grand-mère maternelle pour sa gentillesse et nos conversations, les grands parents paternels, Atsuko et Ryuzaburo Yamashita, que je remercie pour leur accueil chaleureux et les bons moments passés ensemble et tout ce qu'ils m'ont enseigné, et enfin à l'oncle et à la tante, Bunji et Mari, avec qui j'ai passé de purs moments de bonheurs et d'amusement. Troisièmement, je voudrais adresser mes sincères remerciements à tout le lycée Saint Dominique qui m'a accueilli pendant ces trois semaines. Un grand merci à la directrice et à Ohara-sensei, à Ito-sensei, à Nakagawa-sensei, à Kakihara-sensei, à Hara-sensei à toute l'équipe des professeurs qui m'ont prise sous leur aile lors de ces trois semaines. Enfin, merci à tous mes amis filles et garçons et à mes camarades de classe pour leur gentillesse, leur accueil et leur sympathie d'exception. I. La vie dans ma famille japonaise Si mon séjour s'est si bien passé, c'est de loin grâce à ma famille d'accueil qui m'a consacré trois semaines entières et grâce à laquelle j'ai pu observer un mode de vie bien différent du nôtre. Ce qui m'a fasciné tout le long de mon séjour, c'est la manière dont les Japonais allient la modernité technologique avec leurs traditions. Ce fait est beaucoup plus marqué au Japon qu'en France. Parfois, ce ne sont que de petits détails presque insignifiants et qui pourtant témoignent de cet équilibre entre culture ancienne et progrès technologique, alliance de l'ancien et du moderne. Je citerais notamment les arts de la table : nous mangions souvent dans de la porcelaine japonaise finement décorée, nous buvions la soupe miso dans un bol en bois laqué traditionnel (塗り物 nurimono), qui est une technique ancestrale. Chaque aliment avait un type de plat avec une forme et un design qui lui étaient propres. À ces récipients traditionnels se mêlaient des accessoires bien plus contemporains, des barbecues électriques pour le sukiyaki, etc. Un exemple illustratif tout simple et pourtant frappant est la salle de bain. Avant mon départ, je connaissais déjà la coutume du bain japonais. Lorsque j'ai vu la salle de bain pour la première fois, j'ai été étonnée qu'elle soit entièrement automatisée : fini les bons vieux robinets d'eau chaude et d'eau froide que l'on tourne, il suffisait juste d'appuyer sur un bouton pour que le bain coule par lui-même, à la bonne température, avec le bon volume d'eau ; et, comme par magie, la salle de bain se nettoyait et se séchait d'elle-même une fois vide. Voilà un bon exemple de comment un progrès technologique peut s'intégrer parfaitement dans les coutumes japonaises quotidiennes. À mes yeux, le progrès technologique au Japon cohabite avec la tradition. Il est mis à son service, mais sans la submerger. Bien que la société japonaise ait connu une avancée technologique plus forte que partout ailleurs, c'est celle qui a su le mieux garder ses traditions. Chez les grandsparents paternels, nous avons fait une cérémonie du thé dans les règles de l'art. Nous avons pu jouer au jeu de go, faire de la calligraphie avec une pierre à encre centenaire, dormir sur un vrai futon (je dormais dans un lit normal à la maison), discuter d'Histoire et de différences interculturelles, manger des plats typiques et une pizza (un peu moins typique mais preuve de la mondialisation culinaire). Je serais incapable de compter le nombre de fou-rires que j'ai eu avec ma famille d'accueil durant mon séjour. Malgré mon niveau de japonais assez limité, j'ai pu parler exclusivement japonais pendant trois semaines sans trop de problèmes de compréhension. Il est vrai que le dictionnaire électronique de ma correspondante, de la taille d'une de nos grosses calculatrices de lycée, nous a été d'un grand secours ; une preuve de plus du progrès japonais. Je n'ai encore jamais vu de tels dictionnaires en France alors qu'ils sont tout à fait courants au Japon. C'était en effet beaucoup plus pratique que de transporter mon dictionnaire de poche d'un demi-kilo... Comme je suis très curieuse et que j'étais très motivée pour découvrir plus de kanji, je n'ai pas tardé à bombarder ma famille de questions à chaque affiche ou panneau que nous croisions. Je pense que même s'ils remontent à plusieurs siècles, ils peuvent aussi être vus comme une sorte de progrès. Notre alphabet permet de composer un mot à partir de lettres, tandis que les kanji associent une image à un mot, où un ensemble d'images à une notion abstraite ou concrète. Ce fait rend aussi leur mémorisation plus facile. Par exemple, à mon arrivée je ne connaissais pas le terme employé pour désigner l'eau chaude, お湯 (oyu), mais grâce à la clef de l'eau à gauche, j'ai pu deviner qu'il s'agissait en partie d'eau. De plus, les kanji aussi subissent des progrès : certains sont modernisés. Mon expérience dans ma famille japonaise m'a cependant amenée à cette constatation : le Japon n'est pas le pays de l'organisation sociétale parfaite. Ma famille d'accueil avait une particularité qui m'a frappée : l'absence de figure paternelle. Sur mes trois semaines d'échange, je n'ai vu mon père japonais qu'une seule et unique fois, à l'arrivée à l'aéroport de Haneda. Le père était médecin et traversait une période difficile, il devait travailler loin de chez lui et finissait si tard qu'il ne pouvait pas rentrer dormir à la maison. Au Japon, il est courant que les maris travaillent et que leurs femmes restent à la maison. L'inconvénient, c'est que les hommes doivent parfois travailler avec tant d'acharnement pour faire vivre leur famille que cela relève du sacrifice individuel. De plus, la tradition veut que les enfants s'occupent de leurs parents à la retraite, souvent en vivant avec eux, comme c'était le cas pour la grand-mère maternelle qui vivait à l'étage du dessus. La solidarité familiale est une valeur encrée dans les traditions japonaises alors qu'elle tend à s'émousser en France. Les personnes âgées souffrent moins de solitude et de problèmes financiers. Je me suis beaucoup attachée aux grands-parents maternels et paternels (que l'absence du père ne m'a pas empêchée de voir), ainsi qu'à l'oncle et à la tante, avec qui j'ai noué des liens exceptionnels. J'ai donc vécu une expérience familiale assez unique, celle d'une famille élargie mais sans père. Cela m'a permis de nouer des liens d'autant plus forts. II. Le lycée Une des choses qui m'a le plus marquée dans mon lycée japonais est la grande proximité des professeurs avec leurs élèves. Une formule de politesse très poussée pouvait parfois devenir un câlin ou un bras-dessus-bras-dessous. Ce genre de liens est d'autant plus agréable qu'il constitue un net progrès que les Français ne maîtrisent pas toujours, j'entends ici le fait d'être proche de ses professeurs sans perdre une once du grand respect dû à tout Sensei. C'est un décalage délicat à maîtriser, mais vraiment très agréable et drôle, surtout lorsqu'on le vit en tant qu'étudiant étranger. Pendant les trois semaines, j'ai porté l'uniforme du lycée Saint Dominique. Le principe de l'uniforme permet de fortifier le sentiment d'égalité entre élèves et le sentiment d'appartenance à l'établissement, qui devient un symbole d'identité fort. Pour la première fois, j'ai passé du temps dans une école exclusivement de filles. On m'a dit qu'il était assez fréquent que filles et garçons soient séparés pendant un certain nombre d'années. Mais les filles souffraient remarquablement de l'absence de présence masculine et avaient tendance à pallier cette frustration avec des idoles masculines (chanteurs, acteurs...). L'intérêt pour les idoles est d'ailleurs beaucoup plus marqué au Japon qu'en France. Mon grand-frère japonais m'a assuré que les garçons aussi souffraient de l'absence de filles lorsque les classes n'étaient pas mixtes. Lorsque je suis allée aux portes ouvertes du lycée de mon grand-frère japonais, j'ai découvert une toute autre atmosphère. La différence, c'est que la dernière année de lycée était mixte. Le mélange des timbres de voix décalés de deux octaves et les courses poursuites des garçons dans les couloirs avaient quelque chose de charmant. Cette expérience m'a offert une vision différente de l'école japonaise et m'a permis de renforcer mon opinion que la mixité dans les écoles constitue un progrès. L'ambiance était d'autant plus amusante dans l'établissement mixte et les élèves s'en voyaient enrichis émotionnellement et socialement. Un environnement exclusivement masculin ou féminin n'est pas représentatif de la réalité. Grâce à mon grand-frère japonais, le fait d'aller dans une école de filles ne m'a pas empêchée de me faire de bons amis garçons. III. L'art japonais L'origine de mon intérêt pour le Japon remonte à la classe de cinquième où j'ai été fortement marquée par une œuvre de Hiramatsu Reiji (un tableau exceptionnel des nymphéas de Giverny exposé à côté des tableaux de Monet. C'est ainsi que j'ai développé un grand intérêt pour les arts japonais. Voilà pourquoi j'ai traîné ma pauvre famille d'accueil dans les musées pendant des heures entières alors que ma correspondante aurait largement préféré aller faire du shopping. Je me dois toujours d'ériger un autel à leur patience. J’ai visité le musée Yamatane, un petit musée des arts artisanaux traditionnels, de vieilles maisons japonaises, un petit musée d'art moderne et plusieurs fois le musée national de Tokyo. Ceci m'a permis de développer mon vocabulaire et mes connaissances en matière d'art et d'objets mais aussi d'observer certaines évolutions chronologiques dans les styles. La collection d'anciens kimonos brodés du musée national de Tokyo m'a fascinée, et c'est quelques jours plus tard que, dans une petite rue, je tombais sur une vitrine présentant un kimono... en jean ! L'évolution de la technique de fabrication des kimonos et des matériaux qui étaient employés est flagrante. Quant au musée Yamatane, un des tuteurs à domicile de mon grandfrère japonais était étudiant à l'école d'art de Rimpa, réputée pour sa technique particulière de peinture des arts décoratifs japonais. Elle illustre souvent des sujets simples de la nature avec d’harmonieux coloris d'automne, traditionnellement sur un arrière plan de feuilles. Il me dit que le style de peinture était resté le même quant aux bases de l'esprit Rimpa (le fond de feuilles d'or notamment), mais que les motifs et les formes représentées pouvaient devenir plus libres et plus abstraits. Le style Rimpa a donc su évoluer et intégrer les progrès et la diversité des techniques actuelles tout en conservant son identité. Ce qui m'a notamment frappée, c'est un paravent aux motifs d'éventails floraux qui contrastaient énormément avec les œuvres observées auparavant : le style Rimpa était bien présent mais les éventails rendaient le tout beaucoup plus contemporain. Comment parler du Japon et de Tokyo sans évoquer l'architecture et son mélange constant d'ancien et de moderne ? Un building à l'arrière plan d'un cliché d'un bâtiment impérial millénaire, une femme en kimono au milieu des hommes en costume-cravate à la gare, le chaos de la foule, des panneaux publicitaires et de la musique « techno » à 60 décibels de Shibuya, alors qu'à quelques centaines de mètres se trouve une petite ruelle de petits restaurants traditionnels... La capitale japonaise a su s'adapter au manque de place et à la densité en créant de nouveaux bâtiments, de l'édifice de la compagnie Asahi aux gratteciels, tout en conservant son patrimoine et ses espaces publics, notamment ses parcs, vraies bouffées d'air dans la densité tokyoïte... La nuit, la vue de certains quartiers de Tôkyô relève de l'œuvre d'art contemporaine : les couleurs des panneaux dans la nuit et les différents niveaux de circulations forment une vue urbaine superbe. Ainsi, le progrès et le moderne s'intègrent, deviennent à leur tour une source d'inspiration artistique, et les buildings forment un rempart de protection autour des vieux monuments, tels de robustes gardes du corps de verre et d'acier parasismique. Voilà, ce rapport touche à sa fin. Pour ce voyage magnifique, MERCI COLIBRI !!!