récital stéphane degout

Transcription

récital stéphane degout
RÉCITAL
STÉPHANE DEGOUT BARYTON
HÉLÈNE LUCAS PIANO
CHARLES GOUNOD (1818-1893)
Le Vallon (Alphonse de Lamartine)
HENRI DUPARC (1848-1933)
Elégie (Thomas Moore)
L’Invitation au voyage (Charles Baudelaire)
Lamento (Théophile Gautier)
La Vie antérieure (Charles Baudelaire)
FRANCIS POULENC (1899-1963)
Banalités (Guillaume Apollinaire)
I. Chanson d’Orkenise
II. Hôtel
III. Fagnes de Wallonie
IV. Voyage à Paris
V. Sanglots
Entracte
REYNALDO HAHN (1874-1947)
Trois Jours de vendange (Alphonse Daudet)
Cimetière de campagne (Gabriel Vicaire)
CAMILLE SAINT-SAËNS (1835-1921)
Mélodies persanes (Armand Renaud) – extraits
V. Le Cimetière
VI. Le Tournoiement
MAURICE RAVEL (1875-1937)
Histoires naturelles (Jules Renard)
I. Le Paon
II. Le Grillon
III. Le Cygne
IV. Le Martin-pêcheur
V. La Pintade
Stéphane Degout baryton
Hélène Lucas piano
Dimanche 11 mars 2007 à 17h
Le Vallon
Poème d’Alphonse Marie Louis de Lamartine (1790-1869)
Musique de Charles Gounod
L’Invitation au voyage
Poème de Charles Baudelaire (1821-1867)
Musique d’Henri Duparc
Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,
N’ira plus de ses vœux importuner le sort ;
Prêtez-moi seulement, vallons de mon enfance,
Un asile d’un jour pour attendre la mort.
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble,
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble.
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
D’ici je vois la vie, à travers un nuage,
S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ;
L’amour seul est resté : comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu’un voyageur, qui, le cœur plein d’espoir,
S’assied avant d’entrer aux portes de la ville,
Et respire un moment l’air embaumé du soir.
Tes jours, sombres et courts comme des jours d’automne,
Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ;
L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,
Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux.
Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours ;
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
Elégie
D’après un poème de Thomas Moore (1779-1852)
Musique d’Henri Duparc
Oh ! ne murmurez pas son nom !
Qu’il dorme dans l’ombre, où froide et sans honneur
Repose sa dépouille.
Muettes, tristes, glacées, tombent nos larmes,
Comme la rosée de la nuit,
Qui sur sa tête humecte le gazon ;
Mais la rosée de la nuit, bien qu’elle pleure, qu’elle pleure
En silence, fera briller la verdure sur sa couche, et nos larmes,
En secret répandues,
Conserveront sa mémoire fraîche et verte dans nos cœurs.
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Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière !
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
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Lamento
Poème de Théophile Gautier (1811-1872)
Musique d’Henri Duparc
La Vie antérieure
Poème de Charles Baudelaire (1821-1867)
Musique d’Henri Duparc
Connaissez-vous la blanche tombe,
Où flotte avec un son plaintif
L’ombre d’un if ?
Sur l’if une pâle colombe,
Triste et seule au soleil couchant,
Chante son chant :
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.
On dirait que l’âme éveillée
Pleure sous terre à l’unisson
De la chanson,
Et du malheur d’être oubliée
Se plaint dans un roucoulement
Bien doucement.
Ah ! jamais plus près de la tombe,
Je n’irai, quand descend le soir
Au manteau noir,
Ecouter la pâle colombe
Chanter sur la branche de l’if
Son chant plaintif.
Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique
Les tout puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux...
C’est là, c’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs,
Et des esclaves nus tout imprégnés d’odeurs
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l’unique soin était d’approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.
Banalités
Poèmes de Guillaume Apollinaire
Musique de Francis Poulenc
I. Chanson d’Orkenise
Par les portes d’Orkenise
Veut entrer un charretier.
Par les portes d’Orkenise
Veut sortir un va-nu-pieds.
Et les gardes de la ville
Courant sus au va-nu-pieds :
« Qu’emportes-tu de la ville ?
— J’y laisse mon cœur entier. »
Et les gardes de la ville
Courant sus au charretier :
« Qu’apportes-tu dans la ville ?
— Mon cœur pour me marier. »
Que de cœurs dans Orkenise !
Les gardes riaient, riaient,
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Va-nu-pieds, la route est grise,
L’amour grise, ô charretier.
IV. Voyage à Paris
Les beaux gardes de la ville
Tricotaient superbement ;
Puis les portes de la ville
Se fermèrent lentement.
Ah ! la charmante chose
Quitter un pays morose
Pour Paris
Paris joli
Qu’un jour dût créer l’Amour.
II. Hôtel
V. Sanglots
Ma chambre a la forme d’une cage,
Le soleil passe son bras par la fenêtre.
Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages
J’allume au feu du jour ma cigarette.
Je ne veux pas travailler – je veux fumer.
Notre amour est réglé par les calmes étoiles
Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent
Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts
C’est la chanson des rêveurs
Qui s’étaient arraché le cœur
Et le portaient dans la main droite ...
Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs
Des marins qui chantaient comme des conquérants.
Des gouffres de Thulé, des tendres cieux d’Ophir
Des malades maudits, de ceux qui fuient leur ombre
Et du retour joyeux des heureux émigrants.
De ce cœur il coulait du sang
Et le rêveur allait pensant
A sa blessure délicate…
Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes…
… Et douloureuse et nous disait :
… Qui sont les effets d’autres causes
Mon pauvre cœur, mon cœur brisé
Pareil au cœur de tous les hommes...
Voici nos mains que la vie fit esclaves
… Est mort d’amour ou c’est tout comme
Est mort d’amour et le voici.
Ainsi vont toutes choses
Arrachez donc le vôtre aussi !
Et rien ne sera libre jusqu’à la fin des temps
Laissons tout aux morts
Et cachons nos sanglots
III. Fagnes de Wallonie
Tant de tristesses plénières
Prirent mon cœur aux fagnes désolées
Quand las j’ai reposé dans les sapinières
Le poids des kilomètres pendant que râlait
Le vent d’ouest.
J’avais quitté le joli bois
Les écureuils y sont restés
Ma pipe essayait de faire des nuages
Au ciel
Qui restait pur obstinément.
Je n’ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique
Aux tourbières humides
Les bruyères fleurant le miel
Attiraient les abeilles
Et mes pieds endoloris
Foulaient les myrtilles et les airelles
Tendrement mariée
Nord
Nord
La vie s’y tord
En arbres forts
Et tors.
La vie y mord
La mort
A belles dents
Quand bruit le vent
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Trois Jours de vendange
Poème d’Alphonse Daudet (1840-1897)
Musique de Reynaldo Hahn
Je l’ai rencontrée un jour de vendange,
La jupe troussée et le pied mignon ;
Point de guimpe jaune et point de chignon :
L’air d’une bacchante et les yeux d’un ange.
Suspendue au bras d’un doux compagnon,
Je l’ai rencontrée aux champs d’Avignon,
Un jour de vendange.
Je l’ai rencontrée un jour de vendange.
La plaine était morne et le ciel brûlant ;
Elle marchait seule et d’un pas tremblant,
Son regard brillait d’une flamme étrange.
Je frisonne encore en me rappelant
Comme je te vis, cher fantôme blanc,
Un jour de vendange.
Mon dernier dodo.
Pas d’épitaphe superbe,
Pas le moindre tralala,
Seulement, par-ci, par-là,
Des roses dans l’herbe,
Et de la mousse à foison,
De la luzerne fleurie,
Avec un bout de prairie
A mon horizon !
L’église de ma jeunesse,
L’église au blanc badigeon,
Où jadis, petit clergeon,
J’ai servi la messe,
L’église est encore là, tout près,
Qui monte sa vieille garde
Et, sans se troubler, regarde
Les rangs de cyprès.
Je l’ai rencontrée un jour de vendange,
Et j’en rêve encore presque tous les jours.
Le cercueil était couvert en velours,
Le drap noir avait une double frange.
Les sœurs d’Avignon pleuraient tout autour…
La vigne avait trop de raisins ; l’amour
A fait la vendange.
Entouré de tous mes proches,
Sur le bourg, comme autrefois,
J’entendrai courir la voix
Légère des cloches...
Elles ont vu mes vingt ans!
Et n’en sont pas plus moroses.
Elles me diront des choses
Pour passer le temps.
Cimetière de campagne
Poème de Gabriel Vicaire (1848-1900)
Musique de Reynaldo Hahn
Mélodies persanes
Poèmes d’Armand Renaud (1836-1895)
Musique de Camille Saint-Saëns
J’ai revu le cimetière
Du beau pays d’Ambérieux
Qui m’a fait le cœur joyeux
Pour la vie entière,
Et sous la mousse et le thym,
Près des arbres de la cure,
J’ai marqué la place obscure
Où, quelque matin,
Libre enfin de tout fardeau,
J’irai, tranquillement faire,
Entre mon père et ma mère,
V. Au cimetière
Assis sur cette blanche tombe
Ouvrons notre cœur !
Du marbre, sous la nuit qui tombe,
Le charme est vainqueur.
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Au murmure de nos paroles,
Le mort vibrera :
Nous effeuillerons des corolles
Sur son Sahara.
S’il eut, avant sa dernière heure,
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L’amour de quelqu’un,
Il croira, du passé qu’il pleure,
Sentir le parfum.
S’il vécut, sans avoir envie
D’un cœur pour le sien,
Il dira : J’ai perdu ma vie,
N’ayant aimé rien.
Toi, tu feras sonner, ma belle,
Tes ornements d’or,
Pour que mon désir ouvre l’aile
Quand l’oiseau s’endort.
Et sans nous tourmenter des choses
Pour mourir après,
Nous dirons : Aujourd’hui les roses,
Demain les cyprès !
VI. Tournoiement, Songe d’opium
Sans que nulle part je séjourne,
Sur la pointe du gros orteil,
Je tourne, je tourne, je tourne,
A la feuille morte pareil.
Comme à l’instant où l’on trépasse,
La terre, l’océan, l’espace,
Devant mes yeux troublés tout passe,
Jetant une même lueur.
Et ce mouvement circulaire,
Toujours, toujours je l’accélère,
Sans plaisir comme sans colère,
Frissonnant malgré ma sueur.
Dans les antres où l’eau s’enfourne,
Sur les inaccessibles rocs,
Je tourne, je tourne, je tourne,
Sans le moindre souci des chocs.
Dans les forêts, sur les rivages;
A travers les bêtes sauvages
Et leurs émules en ravages,
Les soldats qui vont sabre au poing,
Au milieu des marchés d’esclaves,
Au bord des volcans pleins de laves,
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Chez les Mogols et chez les Slaves,
De tourner je ne cesse point.
Soumis aux lois que rien n’ajourne,
Aux lois que suit l’astre en son vol,
Je tourne, je tourne, je tourne,
Mes pieds ne touchent plus le sol.
Je monte au firmament nocturne,
Devant la lune taciturne,
Devant Jupiter et Saturne
Je passe avec un sifflement,
Et je franchis le Capricorne,
Et je m’abîme au gouffre morne
De la nuit complète et sans borne
Où je tourne éternellement.
Histoires naturelles
Poème de Jules Renard (1864-1910)
Musique de Maurice Ravel
I. Le Paon
Il va sûrement se marier aujourd’hui. Ce devait être pour hier. En habit
de gala, il était prêt. Il n’attendait que sa fiancée. Elle n’est pas venue.
Elle ne peut tarder. Glorieux, il se promène avec une allure de prince
indien et porte sur lui les riches présents d’usage. L’amour avive l’éclat de
ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre. La fiancée n’arrive
pas. Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri
diabolique : Léon ! Léon ! C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée. Il ne voit
rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même
point la tête. Elles sont lasses de l’admirer. Il redescend dans la cour, si
sûr d’être beau qu’il est incapable de rancune. Son mariage sera pour
demain. Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers
le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d’un pas
officiel. Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n’ont pu se
détacher d’elle. Il répète encore une fois la cérémonie.
II. Le Grillon
C’est l’heure où, las d’errer, l’insecte nègre revient de promenade et répare
avec soin le désordre de son domaine. D’abord il ratisse ses étroites allées
de sable. Il fait du bran de scie qu’il écarte au seuil de sa retraite. Il lime
la racine de cette grande herbe propre à le harceler. Il se repose. Puis il
remonte sa minuscule montre. A-t-il fini ? est-elle cassée ? Il se repose
encore un peu. Il rentre chez lui et ferme sa porte. Longtemps il tourne
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À PROPOS DES ŒUVRES
sa clef dans la serrure délicate. Et il écoute : point d’alarme dehors. Mais
il ne se trouve pas en sûreté. Et comme par une chaînette dont la poulie
grince, il descend jusqu’au fond de la terre. On n’entend plus rien. Dans
la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en l’air
et désignent la lune.
III. Le Cygne
Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, du nuage en nuage. Car
il n’a faim que des nuages floconneux qu’il voit naître, bouger, et se perdre
dans l’eau. C’est l’un d’eux qu’il désire. Il le vise du bec, et il plonge
tout à coup son col vêtu de neige. Puis, tel un bras de femme sort d’une
manche, il le retire. Il n’a rien. Il regarde : les nuages effarouchés ont
disparu. Il ne reste qu’un instant désabusé, car les nuages tardent peu à
revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l’eau, en voici un qui
se reforme. Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame
et s’approche… Il s’épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu’il
mourra, victime de cette illusion, avant d’attraper un seul morceau de
nuage. Mais qu’est-ce que je dis ? Chaque fois qu’il plonge, il fouille du
bec la vase nourrissante et ramène un ver. Il engraisse comme une oie.
IV. Le Martin-pêcheur
Ça n’a pas mordu, ce soir, mais je rapporte une rare émotion. Comme je
tenais ma perche de ligne tendue, un martin-pêcheur est venu s’y poser.
Nous n’avons pas d’oiseau plus éclatant. Il semblait une grosse fleur bleue
au bout d’une longue tige. La perche pliait sous le poids. Je ne respirais
plus, tout fier d’être pris pour un arbre par un martin-pêcheur. Et je suis
sûr qu’il ne s’est pas envolé de peur, mais qu’il a cru qu’il ne faisait que
passer d’une branche à une autre.
V. La Pintade
C’est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse. Les
poules ne lui disent rien : brusquement, elle se précipite et les harcèle.
Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et, de toute la vitesse de ses
pattes maigres, elle court frapper, de son bec dur, juste au centre de la roue
d’une dinde. Cette poseuse l’agaçait. Ainsi, la tête bleuie, ses barbillons à
vif, cocardière, elle rage du matin au soir. Elle se bat sans motif, peut-être
parce qu’elle s’imagine toujours qu’on se moque de sa taille, de son crâne
chauve et de sa queue basse. Et elle ne cesse de jeter un cri discordant qui
perce l’aire comme un pointe. Parfois elle quitte la cour et disparaît. Elle
laisse aux volailles pacifiques un moment de répit. Mais elle revient plus
turbulente et plus criarde. Et, frénétique, elle se vautre par terre. Qu’at-elle donc ? La sournoise fait une farce. Elle est allée pondre son œuf à
la campagne. Je peux le chercher si ça m’amuse. Et elle se roule dans la
poussière comme une bossue.
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Charles Gounod (1818-1893)
Le Vallon (Alphonse de Lamartine)
Publiées en 1820, les Méditations poétiques passent pour la première
pierre majeure du romantisme littéraire français. Dans ce recueil qui fit
sa célébrité, Lamartine pose les jalons d’une sensibilité nouvelle, qui
place l’individu – être complexe et fragile – au cœur du grand tout. Les
Méditations évoquent à la première personne le souvenir d’un amour perdu
(Elvire, derrière laquelle on s’accorde à reconnaître Julie Charles), mais
aussi la fuite inexorable du temps. A cette dimension, Le Vallon ajoute
celle – si chère également aux romantiques allemands – de la communion
avec une Nature bienveillante et secourable, dans laquelle l’âme blessée
trouve son ultime refuge. Des seize quatrains composant le célèbre poème
de Lamartine, Gounod n’en retient que six, qu’il groupe en deux couplets.
Par ce choix, il gomme l’aspect panthéiste du poème : l’essence divine de
cette Nature, évoquée dans la dernière strophe (Dieu, pour le concevoir, a
fait l’intelligence / Sous la nature enfin découvre son auteur ! / Une voix
à l’esprit parle dans son silence, / Qui n’a pas entendu cette voix dans son
cœur ?). La mélodie de Gounod compte parmi ses premières réussites
dans le genre exigeant de la mélodie française, dont Ravel voyait en lui le
véritable créateur. Elle naquit à Rome, lors d’un séjour à la Villa Médicis
(1840-1842) où il se lia avec le peintre Ingres et avec Fanny Hensel,
la sœur du compositeur Felix Mendelssohn. Par l’intermédiaire de cette
dernière, il découvrit de nombreux Lieder allemands qui déclenchèrent
une salve de compositions.
Henri Duparc (1848-1933)
Elégie (Thomas Moore)
L’Invitation au voyage (Charles Baudelaire)
Lamento (Théophile Gautier)
La Vie antérieure (Charles Baudelaire)
Dix-sept mélodies et une poignée d’œuvres instrumentales, c’est tout ce
qui reste de l’œuvre d’Henri Duparc, génie fulgurant et tragique. Dès ses
vingt ans, il fit une irruption remarquée sur la scène musicale en publiant
cinq mélodies qu’il allait bientôt rejeter, n’en sauvant que Soupir et
Chanson triste. Le reste de sa carrière ne fut qu’une succession de lentes
compositions, de pénibles remaniements et de brutales destructions,
jusqu’au mutisme total et définitif dont il s’ouvrit en ces termes, dans une
lettre de 1904, à l’écrivain Francis Jammes : « Ne me parlez pas de génie.
[…] J’ai fait quelques mélodies dans lesquelles j’ai simplement mis mon
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âme avec sincérité : c’est leur seul mérite. Maintenant la petite source est
tarie, voilà tout : ça ne manque qu’à moi, mais ça me manque beaucoup.
[…] Pour moi, la musique inspirée par une poésie n’a de raison d’être que
si elle ajoute quelque chose à cette poésie, si elle la rend plus touchante pour
les âmes qu’émeut l’expression musicale ; mais il y a des poésies parfaites et
qui sont tellement… pleines, dirais-je, que la musique – même la plus belle,
même celle que je ne peux pas faire — ne peut que les diminuer. »
En 1911, dans un ultime effort créateur, Duparc publia treize mélodies, les
treize « autorisées ». Ce modeste corpus suffit à l’inscrire au Panthéon des
compositeurs de mélodies, tant y transparaît d’une personnalité humaine
et artistique hors du commun. Intensément poétiques, sublimement
musicales, ces pages sont rendues d’autant plus précieuses par leur
rareté.
Duparc ne pouvait que se reconnaître en Baudelaire, le poète maudit.
Il porta en musique deux des plus beaux sonnets des Fleurs du mal, un
troisième (Recueillement) ayant fait les frais de ses pulsions annihilatrices.
Composée en 1870-1871, orchestrée vers 1892, L’Invitation au voyage
compte certainement parmi les plus belles mélodies jamais écrites, avec
son piano bruissant, ses lignes aspirées vers l’aigu, comme en une quête
désespérée de lumière, et son refrain à l’immobilité radieuse : « Là, tout
n’est qu’ordre, beauté / Luxe, calme et volupté. » Ecrite en 1884, orchestrée
quelques années plus tard, remaniée dans la souffrance pour l’édition de
1911, La Vie antérieure semble plus déclamatoire, avec son tempo initial
« Lent et solennel ». Peu à peu, le piano s’agite en troublantes polyphonies
et entraîne la voix dans sa course exaltée. Après cette vision fugitive d’un
paradis inatteignable, le retour de la première manière enferme le poème
dans la souffrance du « secret douloureux ».
Elégie, sur la traduction en prose d’un poème de Thomas Moore, naquit en
1874. Les accords chargés et le chromatisme témoignent de l’admiration
que Duparc vouait à Richard Wagner, dont il avait entendu la musique à
Bayreuth dès 1869.
Lamento, sur un poème de Gautier, est une autre merveille. Le
dépouillement de ces lignes blafardes, leur chromatisme insidieux
traduisent admirablement le sinistre des vers, à la beauté desquels Berlioz
avait déjà succombé dans ses Nuits d’été (« Au cimetière »).
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Francis Poulenc (1899-1963)
Banalités (Guillaume Apollinaire)
Le talent de pianiste de Poulenc rejoignit son sens mélodique exceptionnel
dans le corpus des 137 mélodies – un ensemble destiné, à partir de 1934,
au duo qu’il forma à la ville comme à la scène avec le baryton Pierre
Bernac. Depuis son adolescence, Poulenc se repaissait de poésie. Sa
prédilection allait aux surréalistes, dont les vers laissaient une marge
suffisante à l’expression de la musique. Il vouait à deux d’entre eux une
admiration particulière : « Si l’on mettait sur ma tombe : «Ci-gît Francis
Poulenc, le musicien d’Apollinaire et d’Eluard», il me semble que ce serait
mon plus beau titre de gloire », confia-t-il en 1945. Le timbre de la voix
d’Apollinaire, explique Poulenc, « comme toute son œuvre, était à la fois
mélancolique et joyeux. Il y avait parfois dans sa parole une pointe d’ironie,
mais jamais le ton pince-sans-rire d’un Jules Renard. C’est pourquoi il faut
chanter mes mélodies apollinariennes sans insister sur la cocasserie de
certains mots ».
A leur manière pudique et charmeuse, les Banalités (1940) résument
toute l’ambiguïté de Poulenc et Apollinaire, qui manient avec un art
incomparable le coq-à-l’âne et l’amertume, la pudeur et le sentimentalisme,
toujours sur le fil du rasoir. Derrière l’aspect kaléidoscopique du cycle, on
perçoit une forme en arche organisant habilement les contradictions. Au
centre de l’édifice, « Fagnes de Wallonie » est le reflet d’une âme morne
et secouée de bourrasques. De part et d’autre de ce cœur vibrant, Poulenc
dispose deux « récréations » : en seconde position la torpeur ouatée
d’« Hôtel », éloge de la paresse à la lenteur fascinante ; en quatrième une
valse-musette gouailleuse et faussement sentimentale, « Voyage à Paris ».
Les mélodies extrêmes traitent de l’amour malheureux. La première,
« Chanson d’Orkenise », adopte un ton ironique, sur fond d’une mélodie
vaguement populaire. La dernière, « Sanglots », est la plus développée des
cinq. Les brusques revirements de la musique soulignent la complexité du
poème, où s’entrecroisent deux voix : l’une sentencieuse et déclamatoire
(principalement en alexandrins), l’autre lyrique et douloureuse (plutôt en
octosyllabes).
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Reynaldo Hahn (1875-1947)
Trois Jours de vendange (Alphonse Daudet)
Cimetière de campagne (Gabriel Vicaire)
Reynaldo Hahn naquit à Caracas d’un père allemand et d’une mère
vénézuélienne, d’origine espagnole. Sa nombreuse famille s’installa à
Paris lorsqu’il avait quatre ans. C’est ainsi qu’il put devenir la coqueluche
des salons de la Belle Epoque. Ses mélodies firent l’admiration de
Mallarmé et de Proust, et cela devrait suffire à écarter l’image de charmant
compositeur de salon dont souffre généralement l’auteur de Ciboulette.
Car, s’il exploita dans cette opérette une veine légère, il se révéla dans
ses quelque cent vingt-cinq mélodies un auteur profond et inspiré. Ami
des poètes et des écrivains, il était doué d’un sens inné du mot et de
la prosodie. Baryton au timbre lumineux, il avait l’art de traduire cette
sensibilité en mélodies splendides et mélancoliques. Car Hahn, nous
apprend Proust, avait « la voix la plus belle, la plus triste et la plus chaude
qui fut jamais ». Et, derrière la séduction immédiate de ses mélodies, il
est toujours une ombre qui plane.
Composé en 1891, Trois jours de vendange est issu d’un recueil de Daudet
remontant à 1858, Les Amoureuses. Commencé dans le charme naïf d’une
chanson populaire, cette mélodie s’infléchit progressivement vers une
tristesse profonde, renforcée dans la dernière strophe par l’irruption, dans
l’aigu du piano, du « Dies iræ » de la Messe des morts grégorienne : la
jeune fille rencontrée par le poète est morte. Trois jours de vendange fut
publié par l’éditeur Heugel en 1893 au sein d’un Recueils de chansons
où figurait également Cimetière : autre œuvre troublante, évoquant la
mort sans donner l’air d’y toucher, par petites touches inquiètes dans un
discours tout de grâce et d’élégance.
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Mélodies persanes (extraits)
Personnage éclectique, que passionnait l’astronomie autant que l’histoire
ou l’acoustique, Camille Saint-Saëns fut un voyageur infatigable, et ses
pas le portèrent à plusieurs reprises dans les pays du Maghreb et du
Proche-Orient (il s’éteignit d’ailleurs à Alger). Il succomba plusieurs fois
à la vague orientaliste qui submergea l’Europe occidentale à la fin du
XIXe siècle et au début du XXe. C’est ainsi que de 1870 à 1872, tandis
qu’il travaillait à son opéra japonais, La Princesse jaune (1871), il mit en
musique six poèmes un peu pompeux d’Armand Renaud sous le titre de
Mélodies persanes. L’exotisme y reste discret : il s’agit de piquer l’intérêt
d’un public de salon, et non de faire œuvre d’ethnomusicologue. Mais
cette Perse de pacotille n’est pas sans charme, et Saint-Saëns en était
si conscient qu’il retravailla ce cycle de six mélodies sous la forme d’un
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mélodrame pour alto, ténor, chœur et orchestre sous le titre de Nuits
persanes.
Maurice Ravel (1875-1937)
Histoires naturelles (Jules Renard)
L’étrangeté pudique des Histoires naturelles de Jules Renard sied si
bien à Ravel qu’on a peine à imaginer, aujourd’hui, la controverse que
suscita la création de ce cycle, en 1907, salle Erard à Paris. Jane Bathori
y était accompagnée par le jeune compositeur, que ce succès au parfum
de scandale acheva de propulser sur le devant de la scène. Debussy
s’offusqua de ce qu’on pût tenter de faire de l’humour en musique, goûtant
peu cette poésie pittoresque et elliptique qui fait ressembler les volatiles
si fort aux humains. Le poète lui-même se désintéressa de ces mélodies,
qu’il refusa d’entendre, jugeant l’entreprise extravagante.
Peut-être les premiers auditeurs furent-ils décontenancés par certains
figuralismes frisant en apparence la caricature. Mais si Ravel semble
parfois forcer le trait, c’est qu’il est convaincu du rôle primordial dévolu
à la musique : c’est à elle de prendre en charge les effets ironiques
du poème, et certainement pas au chanteur de faire son histrion. Le
compositeur avait pris soin de prévenir le poète, à en croire son amie
Hélène Jourdan-Morhange : « Un jour qu’il demandait à Ravel ce que la
musique pouvait ajouter à ses poèmes, Ravel lui répondit : “Mon dessein
n’était pas d’y ajouter, mais d’interpréter... Dire avec de la musique ce
que vous dites avec des mots.”» Le piano vole donc souvent la vedette au
chant, lequel se débat avec une prosodie parfois inattendue, qui ajoute
subtilement au caractère décalé de l’œuvre.
Mais, derrière cette ironie de façade, Ravel donne une interprétation
plus profonde des textes en prose de Renard. Ces animaux, derrière
leurs défauts, sont étonnamment touchants. Chaque mélodie devient un
petit drame et, derrière l’amusement, pointe l’attendrissement. Par leur
imagerie animalière, leur cocasserie pathétique et absurde, leur charme
simple et touchant, les Histoires naturelles préfigurent ce qui reste l’un
des grands chefs-d’œuvre de Ravel, la fantaisie lyrique L’Enfant et les
Sortilèges (1919-1925), sur un livret de Colette.
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BIOGRAPHIES
STÉPHANE DEGOUT
BARYTON
HÉLÈNE LUCAS
PIANO
Après des études au Conservatoire national supérieur de musique et de
danse de Lyon dans la classe de Margreet Honig, Stéphane Degout entre
à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon, où il se perfectionne notamment
avec Gary Magby.
Il s’affirme sur la scène internationale dès ses débuts triomphaux au
Festival d’Aix-en-Provence en 1999, dans le rôle de Papageno. Il se produit
ensuite à l’Opéra national de Paris (La Bohème, La Flûte enchantée, Ariane
à Naxos, Così fan tutte), à la Staatsoper de Berlin (Orfeo), au Théâtre
royal de la Monnaie de Bruxelles (Orfeo, Così fan tutte), au Metropolitan
Opera de New York (Roméo et Juliette) et au Festival de Salzbourg (Così
fan tutte).
Tout aussi renommé en concert et récital, Stéphane Degout se produit avec
l’Orchestre philharmonique de Radio France et l’Orchestre national de
France.
Dans les saisons à venir, Stéphane Degout fera ses débuts au Festival de
Glyndebourne (Così fan tutte), et à l’Opéra royal de Covent Garden, à
Londres (La Cenerentola). Il retournera au Metropolitan Opera (La Flûte
enchantée) et à l’Opéra national de Paris (Les Noces de Figaro).
Stéphane Degout travaille le répertoire du Lied et de la mélodie auprès de
Ruben Lifschitz et Hélène Lucas, et se produit régulièrement en récital.
Il a fait ses débuts américains au Lincoln Center en février 2004, dans le
cadre de la série de récitals Walter Reade.
Stéphane Degout est lauréat du concours Voix nouvelles 1998 et il est
soutenu par The Singers Development Foundation. En 2002, il a obtenu
le deuxième prix du Concours Plácido-Domingo/Operalia, et, en 2007, le
prix Gabriel-Dussurget à Aix-en-Provence.
Hélène Lucas obtient en 1984 un second prix de piano au Conservatoire
national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris, dans la classe
de Dominique Merlet, ainsi qu’un premier prix de musique de chambre.
Elle travaille ensuite l’accompagnement avec Angéline Pondepeyre au
Conservatoire national de région de Rueil-Malmaison et Suzy Bossard au
CNSMD de Lyon, obtenant deux premiers prix à l’unanimité.
Diplômée d’Etat pour l’accompagnement, elle enseigne au Conservatoire
de Valence de 1984 à 1992 et entre ensuite, en tant que chef de chant, à
l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon puis au CNSMD de cette même ville,
où elle est aujourd’hui l’assistante de Françoise Pollet.
Hélène Lucas se perfectionne dans le Lied et la mélodie auprès de Ruben
Lifschitz, dont elle accompagne plusieurs stages. Depuis lors, elle est la
partenaire de chanteurs tels que Stéphane Degout, Laurent Alvaro, Karine
Deshayes lors de récitals en France et à l’étranger. En 1995, elle enregistre
avec Cyrille Gerstenhaber des mélodies de Théodore Gouvy, CD qui reçoit
un accueil très favorable de la critique musicale. L’abbaye de Royaumont
fait souvent appel à elle pour collaborer à des stages animés par des
artistes de renommée internationale.
Sa complicité avec Stéphane Degout depuis plusieurs années leur a permis
d’explorer un large répertoire de Lieder et de mélodies et de se produire
en récital au Théâtre du Châtelet, à l’Auditorium du Louvre, à l’Opéra de
Lausanne, dans le cadre du festival Octobre en Normandie ou au Lincoln
Center de New York.
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