récital stéphane degout
Transcription
récital stéphane degout
RÉCITAL STÉPHANE DEGOUT BARYTON HÉLÈNE LUCAS PIANO CHARLES GOUNOD (1818-1893) Le Vallon (Alphonse de Lamartine) HENRI DUPARC (1848-1933) Elégie (Thomas Moore) L’Invitation au voyage (Charles Baudelaire) Lamento (Théophile Gautier) La Vie antérieure (Charles Baudelaire) FRANCIS POULENC (1899-1963) Banalités (Guillaume Apollinaire) I. Chanson d’Orkenise II. Hôtel III. Fagnes de Wallonie IV. Voyage à Paris V. Sanglots Entracte REYNALDO HAHN (1874-1947) Trois Jours de vendange (Alphonse Daudet) Cimetière de campagne (Gabriel Vicaire) CAMILLE SAINT-SAËNS (1835-1921) Mélodies persanes (Armand Renaud) – extraits V. Le Cimetière VI. Le Tournoiement MAURICE RAVEL (1875-1937) Histoires naturelles (Jules Renard) I. Le Paon II. Le Grillon III. Le Cygne IV. Le Martin-pêcheur V. La Pintade Stéphane Degout baryton Hélène Lucas piano Dimanche 11 mars 2007 à 17h Le Vallon Poème d’Alphonse Marie Louis de Lamartine (1790-1869) Musique de Charles Gounod L’Invitation au voyage Poème de Charles Baudelaire (1821-1867) Musique d’Henri Duparc Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance, N’ira plus de ses vœux importuner le sort ; Prêtez-moi seulement, vallons de mon enfance, Un asile d’un jour pour attendre la mort. Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble, Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble. Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. D’ici je vois la vie, à travers un nuage, S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ; L’amour seul est resté : comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu’un voyageur, qui, le cœur plein d’espoir, S’assied avant d’entrer aux portes de la ville, Et respire un moment l’air embaumé du soir. Tes jours, sombres et courts comme des jours d’automne, Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ; L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne, Et, seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ; Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours ; Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. Elégie D’après un poème de Thomas Moore (1779-1852) Musique d’Henri Duparc Oh ! ne murmurez pas son nom ! Qu’il dorme dans l’ombre, où froide et sans honneur Repose sa dépouille. Muettes, tristes, glacées, tombent nos larmes, Comme la rosée de la nuit, Qui sur sa tête humecte le gazon ; Mais la rosée de la nuit, bien qu’elle pleure, qu’elle pleure En silence, fera briller la verdure sur sa couche, et nos larmes, En secret répandues, Conserveront sa mémoire fraîche et verte dans nos cœurs. 1 Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière ! Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. 2 Lamento Poème de Théophile Gautier (1811-1872) Musique d’Henri Duparc La Vie antérieure Poème de Charles Baudelaire (1821-1867) Musique d’Henri Duparc Connaissez-vous la blanche tombe, Où flotte avec un son plaintif L’ombre d’un if ? Sur l’if une pâle colombe, Triste et seule au soleil couchant, Chante son chant : J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. On dirait que l’âme éveillée Pleure sous terre à l’unisson De la chanson, Et du malheur d’être oubliée Se plaint dans un roucoulement Bien doucement. Ah ! jamais plus près de la tombe, Je n’irai, quand descend le soir Au manteau noir, Ecouter la pâle colombe Chanter sur la branche de l’if Son chant plaintif. Les houles, en roulant les images des cieux, Mêlaient d’une façon solennelle et mystique Les tout puissants accords de leur riche musique Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux... C’est là, c’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs, Et des esclaves nus tout imprégnés d’odeurs Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, Et dont l’unique soin était d’approfondir Le secret douloureux qui me faisait languir. Banalités Poèmes de Guillaume Apollinaire Musique de Francis Poulenc I. Chanson d’Orkenise Par les portes d’Orkenise Veut entrer un charretier. Par les portes d’Orkenise Veut sortir un va-nu-pieds. Et les gardes de la ville Courant sus au va-nu-pieds : « Qu’emportes-tu de la ville ? — J’y laisse mon cœur entier. » Et les gardes de la ville Courant sus au charretier : « Qu’apportes-tu dans la ville ? — Mon cœur pour me marier. » Que de cœurs dans Orkenise ! Les gardes riaient, riaient, 3 4 Va-nu-pieds, la route est grise, L’amour grise, ô charretier. IV. Voyage à Paris Les beaux gardes de la ville Tricotaient superbement ; Puis les portes de la ville Se fermèrent lentement. Ah ! la charmante chose Quitter un pays morose Pour Paris Paris joli Qu’un jour dût créer l’Amour. II. Hôtel V. Sanglots Ma chambre a la forme d’une cage, Le soleil passe son bras par la fenêtre. Mais moi qui veux fumer pour faire des mirages J’allume au feu du jour ma cigarette. Je ne veux pas travailler – je veux fumer. Notre amour est réglé par les calmes étoiles Or nous savons qu’en nous beaucoup d’hommes respirent Qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts C’est la chanson des rêveurs Qui s’étaient arraché le cœur Et le portaient dans la main droite ... Souviens-t’en cher orgueil de tous ces souvenirs Des marins qui chantaient comme des conquérants. Des gouffres de Thulé, des tendres cieux d’Ophir Des malades maudits, de ceux qui fuient leur ombre Et du retour joyeux des heureux émigrants. De ce cœur il coulait du sang Et le rêveur allait pensant A sa blessure délicate… Tu ne briseras pas la chaîne de ces causes… … Et douloureuse et nous disait : … Qui sont les effets d’autres causes Mon pauvre cœur, mon cœur brisé Pareil au cœur de tous les hommes... Voici nos mains que la vie fit esclaves … Est mort d’amour ou c’est tout comme Est mort d’amour et le voici. Ainsi vont toutes choses Arrachez donc le vôtre aussi ! Et rien ne sera libre jusqu’à la fin des temps Laissons tout aux morts Et cachons nos sanglots III. Fagnes de Wallonie Tant de tristesses plénières Prirent mon cœur aux fagnes désolées Quand las j’ai reposé dans les sapinières Le poids des kilomètres pendant que râlait Le vent d’ouest. J’avais quitté le joli bois Les écureuils y sont restés Ma pipe essayait de faire des nuages Au ciel Qui restait pur obstinément. Je n’ai confié aucun secret sinon une chanson énigmatique Aux tourbières humides Les bruyères fleurant le miel Attiraient les abeilles Et mes pieds endoloris Foulaient les myrtilles et les airelles Tendrement mariée Nord Nord La vie s’y tord En arbres forts Et tors. La vie y mord La mort A belles dents Quand bruit le vent 5 6 Trois Jours de vendange Poème d’Alphonse Daudet (1840-1897) Musique de Reynaldo Hahn Je l’ai rencontrée un jour de vendange, La jupe troussée et le pied mignon ; Point de guimpe jaune et point de chignon : L’air d’une bacchante et les yeux d’un ange. Suspendue au bras d’un doux compagnon, Je l’ai rencontrée aux champs d’Avignon, Un jour de vendange. Je l’ai rencontrée un jour de vendange. La plaine était morne et le ciel brûlant ; Elle marchait seule et d’un pas tremblant, Son regard brillait d’une flamme étrange. Je frisonne encore en me rappelant Comme je te vis, cher fantôme blanc, Un jour de vendange. Mon dernier dodo. Pas d’épitaphe superbe, Pas le moindre tralala, Seulement, par-ci, par-là, Des roses dans l’herbe, Et de la mousse à foison, De la luzerne fleurie, Avec un bout de prairie A mon horizon ! L’église de ma jeunesse, L’église au blanc badigeon, Où jadis, petit clergeon, J’ai servi la messe, L’église est encore là, tout près, Qui monte sa vieille garde Et, sans se troubler, regarde Les rangs de cyprès. Je l’ai rencontrée un jour de vendange, Et j’en rêve encore presque tous les jours. Le cercueil était couvert en velours, Le drap noir avait une double frange. Les sœurs d’Avignon pleuraient tout autour… La vigne avait trop de raisins ; l’amour A fait la vendange. Entouré de tous mes proches, Sur le bourg, comme autrefois, J’entendrai courir la voix Légère des cloches... Elles ont vu mes vingt ans! Et n’en sont pas plus moroses. Elles me diront des choses Pour passer le temps. Cimetière de campagne Poème de Gabriel Vicaire (1848-1900) Musique de Reynaldo Hahn Mélodies persanes Poèmes d’Armand Renaud (1836-1895) Musique de Camille Saint-Saëns J’ai revu le cimetière Du beau pays d’Ambérieux Qui m’a fait le cœur joyeux Pour la vie entière, Et sous la mousse et le thym, Près des arbres de la cure, J’ai marqué la place obscure Où, quelque matin, Libre enfin de tout fardeau, J’irai, tranquillement faire, Entre mon père et ma mère, V. Au cimetière Assis sur cette blanche tombe Ouvrons notre cœur ! Du marbre, sous la nuit qui tombe, Le charme est vainqueur. 7 Au murmure de nos paroles, Le mort vibrera : Nous effeuillerons des corolles Sur son Sahara. S’il eut, avant sa dernière heure, 8 L’amour de quelqu’un, Il croira, du passé qu’il pleure, Sentir le parfum. S’il vécut, sans avoir envie D’un cœur pour le sien, Il dira : J’ai perdu ma vie, N’ayant aimé rien. Toi, tu feras sonner, ma belle, Tes ornements d’or, Pour que mon désir ouvre l’aile Quand l’oiseau s’endort. Et sans nous tourmenter des choses Pour mourir après, Nous dirons : Aujourd’hui les roses, Demain les cyprès ! VI. Tournoiement, Songe d’opium Sans que nulle part je séjourne, Sur la pointe du gros orteil, Je tourne, je tourne, je tourne, A la feuille morte pareil. Comme à l’instant où l’on trépasse, La terre, l’océan, l’espace, Devant mes yeux troublés tout passe, Jetant une même lueur. Et ce mouvement circulaire, Toujours, toujours je l’accélère, Sans plaisir comme sans colère, Frissonnant malgré ma sueur. Dans les antres où l’eau s’enfourne, Sur les inaccessibles rocs, Je tourne, je tourne, je tourne, Sans le moindre souci des chocs. Dans les forêts, sur les rivages; A travers les bêtes sauvages Et leurs émules en ravages, Les soldats qui vont sabre au poing, Au milieu des marchés d’esclaves, Au bord des volcans pleins de laves, 9 Chez les Mogols et chez les Slaves, De tourner je ne cesse point. Soumis aux lois que rien n’ajourne, Aux lois que suit l’astre en son vol, Je tourne, je tourne, je tourne, Mes pieds ne touchent plus le sol. Je monte au firmament nocturne, Devant la lune taciturne, Devant Jupiter et Saturne Je passe avec un sifflement, Et je franchis le Capricorne, Et je m’abîme au gouffre morne De la nuit complète et sans borne Où je tourne éternellement. Histoires naturelles Poème de Jules Renard (1864-1910) Musique de Maurice Ravel I. Le Paon Il va sûrement se marier aujourd’hui. Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il n’attendait que sa fiancée. Elle n’est pas venue. Elle ne peut tarder. Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d’usage. L’amour avive l’éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre. La fiancée n’arrive pas. Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri diabolique : Léon ! Léon ! C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l’admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d’être beau qu’il est incapable de rancune. Son mariage sera pour demain. Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d’un pas officiel. Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n’ont pu se détacher d’elle. Il répète encore une fois la cérémonie. II. Le Grillon C’est l’heure où, las d’errer, l’insecte nègre revient de promenade et répare avec soin le désordre de son domaine. D’abord il ratisse ses étroites allées de sable. Il fait du bran de scie qu’il écarte au seuil de sa retraite. Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler. Il se repose. Puis il remonte sa minuscule montre. A-t-il fini ? est-elle cassée ? Il se repose encore un peu. Il rentre chez lui et ferme sa porte. Longtemps il tourne 10 À PROPOS DES ŒUVRES sa clef dans la serrure délicate. Et il écoute : point d’alarme dehors. Mais il ne se trouve pas en sûreté. Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il descend jusqu’au fond de la terre. On n’entend plus rien. Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en l’air et désignent la lune. III. Le Cygne Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, du nuage en nuage. Car il n’a faim que des nuages floconneux qu’il voit naître, bouger, et se perdre dans l’eau. C’est l’un d’eux qu’il désire. Il le vise du bec, et il plonge tout à coup son col vêtu de neige. Puis, tel un bras de femme sort d’une manche, il le retire. Il n’a rien. Il regarde : les nuages effarouchés ont disparu. Il ne reste qu’un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l’eau, en voici un qui se reforme. Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s’approche… Il s’épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu’il mourra, victime de cette illusion, avant d’attraper un seul morceau de nuage. Mais qu’est-ce que je dis ? Chaque fois qu’il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et ramène un ver. Il engraisse comme une oie. IV. Le Martin-pêcheur Ça n’a pas mordu, ce soir, mais je rapporte une rare émotion. Comme je tenais ma perche de ligne tendue, un martin-pêcheur est venu s’y poser. Nous n’avons pas d’oiseau plus éclatant. Il semblait une grosse fleur bleue au bout d’une longue tige. La perche pliait sous le poids. Je ne respirais plus, tout fier d’être pris pour un arbre par un martin-pêcheur. Et je suis sûr qu’il ne s’est pas envolé de peur, mais qu’il a cru qu’il ne faisait que passer d’une branche à une autre. V. La Pintade C’est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse. Les poules ne lui disent rien : brusquement, elle se précipite et les harcèle. Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et, de toute la vitesse de ses pattes maigres, elle court frapper, de son bec dur, juste au centre de la roue d’une dinde. Cette poseuse l’agaçait. Ainsi, la tête bleuie, ses barbillons à vif, cocardière, elle rage du matin au soir. Elle se bat sans motif, peut-être parce qu’elle s’imagine toujours qu’on se moque de sa taille, de son crâne chauve et de sa queue basse. Et elle ne cesse de jeter un cri discordant qui perce l’aire comme un pointe. Parfois elle quitte la cour et disparaît. Elle laisse aux volailles pacifiques un moment de répit. Mais elle revient plus turbulente et plus criarde. Et, frénétique, elle se vautre par terre. Qu’at-elle donc ? La sournoise fait une farce. Elle est allée pondre son œuf à la campagne. Je peux le chercher si ça m’amuse. Et elle se roule dans la poussière comme une bossue. 11 Charles Gounod (1818-1893) Le Vallon (Alphonse de Lamartine) Publiées en 1820, les Méditations poétiques passent pour la première pierre majeure du romantisme littéraire français. Dans ce recueil qui fit sa célébrité, Lamartine pose les jalons d’une sensibilité nouvelle, qui place l’individu – être complexe et fragile – au cœur du grand tout. Les Méditations évoquent à la première personne le souvenir d’un amour perdu (Elvire, derrière laquelle on s’accorde à reconnaître Julie Charles), mais aussi la fuite inexorable du temps. A cette dimension, Le Vallon ajoute celle – si chère également aux romantiques allemands – de la communion avec une Nature bienveillante et secourable, dans laquelle l’âme blessée trouve son ultime refuge. Des seize quatrains composant le célèbre poème de Lamartine, Gounod n’en retient que six, qu’il groupe en deux couplets. Par ce choix, il gomme l’aspect panthéiste du poème : l’essence divine de cette Nature, évoquée dans la dernière strophe (Dieu, pour le concevoir, a fait l’intelligence / Sous la nature enfin découvre son auteur ! / Une voix à l’esprit parle dans son silence, / Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?). La mélodie de Gounod compte parmi ses premières réussites dans le genre exigeant de la mélodie française, dont Ravel voyait en lui le véritable créateur. Elle naquit à Rome, lors d’un séjour à la Villa Médicis (1840-1842) où il se lia avec le peintre Ingres et avec Fanny Hensel, la sœur du compositeur Felix Mendelssohn. Par l’intermédiaire de cette dernière, il découvrit de nombreux Lieder allemands qui déclenchèrent une salve de compositions. Henri Duparc (1848-1933) Elégie (Thomas Moore) L’Invitation au voyage (Charles Baudelaire) Lamento (Théophile Gautier) La Vie antérieure (Charles Baudelaire) Dix-sept mélodies et une poignée d’œuvres instrumentales, c’est tout ce qui reste de l’œuvre d’Henri Duparc, génie fulgurant et tragique. Dès ses vingt ans, il fit une irruption remarquée sur la scène musicale en publiant cinq mélodies qu’il allait bientôt rejeter, n’en sauvant que Soupir et Chanson triste. Le reste de sa carrière ne fut qu’une succession de lentes compositions, de pénibles remaniements et de brutales destructions, jusqu’au mutisme total et définitif dont il s’ouvrit en ces termes, dans une lettre de 1904, à l’écrivain Francis Jammes : « Ne me parlez pas de génie. […] J’ai fait quelques mélodies dans lesquelles j’ai simplement mis mon 12 âme avec sincérité : c’est leur seul mérite. Maintenant la petite source est tarie, voilà tout : ça ne manque qu’à moi, mais ça me manque beaucoup. […] Pour moi, la musique inspirée par une poésie n’a de raison d’être que si elle ajoute quelque chose à cette poésie, si elle la rend plus touchante pour les âmes qu’émeut l’expression musicale ; mais il y a des poésies parfaites et qui sont tellement… pleines, dirais-je, que la musique – même la plus belle, même celle que je ne peux pas faire — ne peut que les diminuer. » En 1911, dans un ultime effort créateur, Duparc publia treize mélodies, les treize « autorisées ». Ce modeste corpus suffit à l’inscrire au Panthéon des compositeurs de mélodies, tant y transparaît d’une personnalité humaine et artistique hors du commun. Intensément poétiques, sublimement musicales, ces pages sont rendues d’autant plus précieuses par leur rareté. Duparc ne pouvait que se reconnaître en Baudelaire, le poète maudit. Il porta en musique deux des plus beaux sonnets des Fleurs du mal, un troisième (Recueillement) ayant fait les frais de ses pulsions annihilatrices. Composée en 1870-1871, orchestrée vers 1892, L’Invitation au voyage compte certainement parmi les plus belles mélodies jamais écrites, avec son piano bruissant, ses lignes aspirées vers l’aigu, comme en une quête désespérée de lumière, et son refrain à l’immobilité radieuse : « Là, tout n’est qu’ordre, beauté / Luxe, calme et volupté. » Ecrite en 1884, orchestrée quelques années plus tard, remaniée dans la souffrance pour l’édition de 1911, La Vie antérieure semble plus déclamatoire, avec son tempo initial « Lent et solennel ». Peu à peu, le piano s’agite en troublantes polyphonies et entraîne la voix dans sa course exaltée. Après cette vision fugitive d’un paradis inatteignable, le retour de la première manière enferme le poème dans la souffrance du « secret douloureux ». Elégie, sur la traduction en prose d’un poème de Thomas Moore, naquit en 1874. Les accords chargés et le chromatisme témoignent de l’admiration que Duparc vouait à Richard Wagner, dont il avait entendu la musique à Bayreuth dès 1869. Lamento, sur un poème de Gautier, est une autre merveille. Le dépouillement de ces lignes blafardes, leur chromatisme insidieux traduisent admirablement le sinistre des vers, à la beauté desquels Berlioz avait déjà succombé dans ses Nuits d’été (« Au cimetière »). 13 Francis Poulenc (1899-1963) Banalités (Guillaume Apollinaire) Le talent de pianiste de Poulenc rejoignit son sens mélodique exceptionnel dans le corpus des 137 mélodies – un ensemble destiné, à partir de 1934, au duo qu’il forma à la ville comme à la scène avec le baryton Pierre Bernac. Depuis son adolescence, Poulenc se repaissait de poésie. Sa prédilection allait aux surréalistes, dont les vers laissaient une marge suffisante à l’expression de la musique. Il vouait à deux d’entre eux une admiration particulière : « Si l’on mettait sur ma tombe : «Ci-gît Francis Poulenc, le musicien d’Apollinaire et d’Eluard», il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire », confia-t-il en 1945. Le timbre de la voix d’Apollinaire, explique Poulenc, « comme toute son œuvre, était à la fois mélancolique et joyeux. Il y avait parfois dans sa parole une pointe d’ironie, mais jamais le ton pince-sans-rire d’un Jules Renard. C’est pourquoi il faut chanter mes mélodies apollinariennes sans insister sur la cocasserie de certains mots ». A leur manière pudique et charmeuse, les Banalités (1940) résument toute l’ambiguïté de Poulenc et Apollinaire, qui manient avec un art incomparable le coq-à-l’âne et l’amertume, la pudeur et le sentimentalisme, toujours sur le fil du rasoir. Derrière l’aspect kaléidoscopique du cycle, on perçoit une forme en arche organisant habilement les contradictions. Au centre de l’édifice, « Fagnes de Wallonie » est le reflet d’une âme morne et secouée de bourrasques. De part et d’autre de ce cœur vibrant, Poulenc dispose deux « récréations » : en seconde position la torpeur ouatée d’« Hôtel », éloge de la paresse à la lenteur fascinante ; en quatrième une valse-musette gouailleuse et faussement sentimentale, « Voyage à Paris ». Les mélodies extrêmes traitent de l’amour malheureux. La première, « Chanson d’Orkenise », adopte un ton ironique, sur fond d’une mélodie vaguement populaire. La dernière, « Sanglots », est la plus développée des cinq. Les brusques revirements de la musique soulignent la complexité du poème, où s’entrecroisent deux voix : l’une sentencieuse et déclamatoire (principalement en alexandrins), l’autre lyrique et douloureuse (plutôt en octosyllabes). 14 Reynaldo Hahn (1875-1947) Trois Jours de vendange (Alphonse Daudet) Cimetière de campagne (Gabriel Vicaire) Reynaldo Hahn naquit à Caracas d’un père allemand et d’une mère vénézuélienne, d’origine espagnole. Sa nombreuse famille s’installa à Paris lorsqu’il avait quatre ans. C’est ainsi qu’il put devenir la coqueluche des salons de la Belle Epoque. Ses mélodies firent l’admiration de Mallarmé et de Proust, et cela devrait suffire à écarter l’image de charmant compositeur de salon dont souffre généralement l’auteur de Ciboulette. Car, s’il exploita dans cette opérette une veine légère, il se révéla dans ses quelque cent vingt-cinq mélodies un auteur profond et inspiré. Ami des poètes et des écrivains, il était doué d’un sens inné du mot et de la prosodie. Baryton au timbre lumineux, il avait l’art de traduire cette sensibilité en mélodies splendides et mélancoliques. Car Hahn, nous apprend Proust, avait « la voix la plus belle, la plus triste et la plus chaude qui fut jamais ». Et, derrière la séduction immédiate de ses mélodies, il est toujours une ombre qui plane. Composé en 1891, Trois jours de vendange est issu d’un recueil de Daudet remontant à 1858, Les Amoureuses. Commencé dans le charme naïf d’une chanson populaire, cette mélodie s’infléchit progressivement vers une tristesse profonde, renforcée dans la dernière strophe par l’irruption, dans l’aigu du piano, du « Dies iræ » de la Messe des morts grégorienne : la jeune fille rencontrée par le poète est morte. Trois jours de vendange fut publié par l’éditeur Heugel en 1893 au sein d’un Recueils de chansons où figurait également Cimetière : autre œuvre troublante, évoquant la mort sans donner l’air d’y toucher, par petites touches inquiètes dans un discours tout de grâce et d’élégance. Camille Saint-Saëns (1835-1921) Mélodies persanes (extraits) Personnage éclectique, que passionnait l’astronomie autant que l’histoire ou l’acoustique, Camille Saint-Saëns fut un voyageur infatigable, et ses pas le portèrent à plusieurs reprises dans les pays du Maghreb et du Proche-Orient (il s’éteignit d’ailleurs à Alger). Il succomba plusieurs fois à la vague orientaliste qui submergea l’Europe occidentale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. C’est ainsi que de 1870 à 1872, tandis qu’il travaillait à son opéra japonais, La Princesse jaune (1871), il mit en musique six poèmes un peu pompeux d’Armand Renaud sous le titre de Mélodies persanes. L’exotisme y reste discret : il s’agit de piquer l’intérêt d’un public de salon, et non de faire œuvre d’ethnomusicologue. Mais cette Perse de pacotille n’est pas sans charme, et Saint-Saëns en était si conscient qu’il retravailla ce cycle de six mélodies sous la forme d’un 15 mélodrame pour alto, ténor, chœur et orchestre sous le titre de Nuits persanes. Maurice Ravel (1875-1937) Histoires naturelles (Jules Renard) L’étrangeté pudique des Histoires naturelles de Jules Renard sied si bien à Ravel qu’on a peine à imaginer, aujourd’hui, la controverse que suscita la création de ce cycle, en 1907, salle Erard à Paris. Jane Bathori y était accompagnée par le jeune compositeur, que ce succès au parfum de scandale acheva de propulser sur le devant de la scène. Debussy s’offusqua de ce qu’on pût tenter de faire de l’humour en musique, goûtant peu cette poésie pittoresque et elliptique qui fait ressembler les volatiles si fort aux humains. Le poète lui-même se désintéressa de ces mélodies, qu’il refusa d’entendre, jugeant l’entreprise extravagante. Peut-être les premiers auditeurs furent-ils décontenancés par certains figuralismes frisant en apparence la caricature. Mais si Ravel semble parfois forcer le trait, c’est qu’il est convaincu du rôle primordial dévolu à la musique : c’est à elle de prendre en charge les effets ironiques du poème, et certainement pas au chanteur de faire son histrion. Le compositeur avait pris soin de prévenir le poète, à en croire son amie Hélène Jourdan-Morhange : « Un jour qu’il demandait à Ravel ce que la musique pouvait ajouter à ses poèmes, Ravel lui répondit : “Mon dessein n’était pas d’y ajouter, mais d’interpréter... Dire avec de la musique ce que vous dites avec des mots.”» Le piano vole donc souvent la vedette au chant, lequel se débat avec une prosodie parfois inattendue, qui ajoute subtilement au caractère décalé de l’œuvre. Mais, derrière cette ironie de façade, Ravel donne une interprétation plus profonde des textes en prose de Renard. Ces animaux, derrière leurs défauts, sont étonnamment touchants. Chaque mélodie devient un petit drame et, derrière l’amusement, pointe l’attendrissement. Par leur imagerie animalière, leur cocasserie pathétique et absurde, leur charme simple et touchant, les Histoires naturelles préfigurent ce qui reste l’un des grands chefs-d’œuvre de Ravel, la fantaisie lyrique L’Enfant et les Sortilèges (1919-1925), sur un livret de Colette. 16 BIOGRAPHIES STÉPHANE DEGOUT BARYTON HÉLÈNE LUCAS PIANO Après des études au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon dans la classe de Margreet Honig, Stéphane Degout entre à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon, où il se perfectionne notamment avec Gary Magby. Il s’affirme sur la scène internationale dès ses débuts triomphaux au Festival d’Aix-en-Provence en 1999, dans le rôle de Papageno. Il se produit ensuite à l’Opéra national de Paris (La Bohème, La Flûte enchantée, Ariane à Naxos, Così fan tutte), à la Staatsoper de Berlin (Orfeo), au Théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles (Orfeo, Così fan tutte), au Metropolitan Opera de New York (Roméo et Juliette) et au Festival de Salzbourg (Così fan tutte). Tout aussi renommé en concert et récital, Stéphane Degout se produit avec l’Orchestre philharmonique de Radio France et l’Orchestre national de France. Dans les saisons à venir, Stéphane Degout fera ses débuts au Festival de Glyndebourne (Così fan tutte), et à l’Opéra royal de Covent Garden, à Londres (La Cenerentola). Il retournera au Metropolitan Opera (La Flûte enchantée) et à l’Opéra national de Paris (Les Noces de Figaro). Stéphane Degout travaille le répertoire du Lied et de la mélodie auprès de Ruben Lifschitz et Hélène Lucas, et se produit régulièrement en récital. Il a fait ses débuts américains au Lincoln Center en février 2004, dans le cadre de la série de récitals Walter Reade. Stéphane Degout est lauréat du concours Voix nouvelles 1998 et il est soutenu par The Singers Development Foundation. En 2002, il a obtenu le deuxième prix du Concours Plácido-Domingo/Operalia, et, en 2007, le prix Gabriel-Dussurget à Aix-en-Provence. Hélène Lucas obtient en 1984 un second prix de piano au Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris, dans la classe de Dominique Merlet, ainsi qu’un premier prix de musique de chambre. Elle travaille ensuite l’accompagnement avec Angéline Pondepeyre au Conservatoire national de région de Rueil-Malmaison et Suzy Bossard au CNSMD de Lyon, obtenant deux premiers prix à l’unanimité. Diplômée d’Etat pour l’accompagnement, elle enseigne au Conservatoire de Valence de 1984 à 1992 et entre ensuite, en tant que chef de chant, à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon puis au CNSMD de cette même ville, où elle est aujourd’hui l’assistante de Françoise Pollet. Hélène Lucas se perfectionne dans le Lied et la mélodie auprès de Ruben Lifschitz, dont elle accompagne plusieurs stages. Depuis lors, elle est la partenaire de chanteurs tels que Stéphane Degout, Laurent Alvaro, Karine Deshayes lors de récitals en France et à l’étranger. En 1995, elle enregistre avec Cyrille Gerstenhaber des mélodies de Théodore Gouvy, CD qui reçoit un accueil très favorable de la critique musicale. L’abbaye de Royaumont fait souvent appel à elle pour collaborer à des stages animés par des artistes de renommée internationale. Sa complicité avec Stéphane Degout depuis plusieurs années leur a permis d’explorer un large répertoire de Lieder et de mélodies et de se produire en récital au Théâtre du Châtelet, à l’Auditorium du Louvre, à l’Opéra de Lausanne, dans le cadre du festival Octobre en Normandie ou au Lincoln Center de New York. 17 18 Rédaction Sophie Gretzel L'OPÉRA NATIONAL DE LYON REMERCIE POUR LEUR GÉNÉREUX SOUTIEN, LES ENTREPRISES MÉCÈNES ET PARTENAIRES Mécènes principaux CIC Lyonnaise de Banque Les jeunes à l’Opéra Mécène fondateur Fondation d'entreprise La Poste Partenaire du projet Kaléidoscope 2006-2009 Caisse des Dépôts Partenaire des Journées Portes Ouvertes Club Entreprises de l'Opéra de Lyon Membre fondateur Partenaires d’échange Membres associés Membres amis Partenaires médias Opéra national de Lyon Directeur général : Serge Dorny Place de la Comédie 69001 Lyon 0 826 305 325 (0,15€/ mn) fax + 33 (0) 4 72 00 45 46 WWW.OPERA-LYON.COM CONTACT GERSENDE DE PONTBRIAND Tél. : 04 72 00 45 38 [email protected] L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône.