Délibération n°2006-78 du 10 avril 2006 Emploi – apparence

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Délibération n°2006-78 du 10 avril 2006 Emploi – apparence
Délibération n°2006-78 du 10 avril 2006
Emploi – apparence physique – appréciation des compétences professionnelles –
discrimination
Une sélection à l’embauche fondée sur le sexe et l’apparence physique caractérise l’existence
d’une discrimination prohibée. Les seuls emplois pour lesquels des atténuations à ce principe
sont prévues par la loi sont ceux d’acteurs, de mannequins ou de modèles.
Le Collège :
Vu le Code pénal ;
Vu le Code du travail ;
Vu la loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l’égalité ;
Vu le décret n°2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité ;
Sur proposition du Président,
Décide :
La Haute autorité a été saisie d’une réclamation portant de Mademoiselle Marie relative aux
pratiques de recrutement de l’entreprise HOTESSE.
La société HOTESSE est une agence spécialisée dans les postes d’accueil. Cette entreprise
embauche puis met à disposition de ses clients du personnel dans le cadre de conventions de
prestations de services. Ses deux secteurs d’activité sont, d’une part, l’artistique et
l’événementiel, et d’autre part, l’accueil en entreprise.
L’instruction de ce dossier a révélé que les formulaires de l’entreprise HOTESSE
comportaient notamment des rubriques « taille », « poids », « Tour de poitrine », « Bonnet »,
et « Métissage : Africain – Européen – Asiatique – Est – Méditerranéen - Nordique ».
La société HOTESSE, interrogée par la haute autorité, ne conteste pas utiliser de manière
habituelle le formulaire comportant les mentions litigieuses. Elle estime qu’elles ont « un lien
direct et nécessaire avec l’emploi proposé » car la société a « une activité d’accueil en
entreprises mais également d’animation, de promotion des ventes et d’organisation en
événementiel pour le compte de clients ».
Elle précise que les rubriques « tour de poitrine » et « bonnet » seraient indispensables car
elle met à la disposition des hôtesses (y compris celles faisant de l’accueil en entreprise) des
tenues de travail. Les mentions relatives au métissage seraient quant à elle « justifiées
exclusivement par l’animation de produits spécifiques ou l’existence de nombreuses soirées à
thème ».
Les directives communautaires relatives à la mise en œuvre du principe de l'égalité de
traitement précisent que « les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement
fondée sur une caractéristique liée » « au sexe », « à la race ou à l'origine ethnique », « à la
religion ou aux convictions, au handicap, à l'âge ou à l'orientation sexuelle » « ne constitue
pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des
conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle
essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit
proportionnée ».
Cette possibilité est mise en œuvre par l’article R123-1 du Code du travail lequel énonce, de
manière limitative, les emplois et activités professionnelles pour lesquels le sexe (et ce critère
uniquement) peut être considéré comme un critère légitime de sélection :
 « Artistes appelés à interpréter soit un rôle féminin, soit un rôle masculin ;
 Mannequins chargés de présenter des vêtements et accessoires ;
 Modèles masculins et féminins. »
La France n’a pas institué en droit interne de possibilités de dérogation à l’interdiction des
discriminations fondées notamment sur l’origine ou l’apparence physique, lesquelles restent
donc prohibées en droit y compris pour les emplois visés par l’article R123-1 (artistes,
mannequins, modèles), sans toutefois faire obstacle aux pratiques habituelles qui gouvernent
le recrutement des acteurs ou des mannequins.
La seule disposition de portée générale susceptible de justifier, dans la phase de sélection, de
solliciter ce type d’informations résulterait de l’article L121-6 du Code du travail or celui-ci
prévoit que :
 « Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un
emploi ou à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à
occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles.
 Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé
ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat à un emploi ou le
salarié est tenu d'y répondre de bonne foi. »
La réclamation ne porte pas en l’espèce sur les secteurs particuliers d’activité que sont
l’artistique et l’événementiel, mais uniquement sur le volet accueil en entreprises.
La liste des entreprises clientes de HOTESSE ainsi que la formulation des offres d’emploi que
cette entreprise diffuse révèlent qu’il s’agit de secteurs tels que le bâtiment, l’industrie
pharmaceutique, la logistique, les assurances, les médias ou l’industrie.
L’accueil en entreprises dans ces secteurs ne peut en aucun cas être rattaché à l’événementiel,
donc il ne peut être considéré comme indispensable, au stade de l’embauche, pour apprécier
de la capacité à occuper l'emploi proposé ou des aptitudes professionnelles, de connaitre les
mensurations et les origines des candidat(e)s
Eu égard à la nature des postes concernés, le fait même de solliciter ces information est en soi
contraire à l’article L121-6 du Code du travail, et vise manifestement à opérer une sélection
fondée sur le sexe et l’apparence physique.
En conséquence, il ressort de l’instruction de ce dossier que la société HOTESSE, dans le
cadre de son activité d’accueil en entreprise a recours à un formulaire comportant des
informations relatives à l’apparence physique, au sexe et aux origines des candidats.
Ces éléments laissent supposer que cette société pratiquerait de manière habituelle des
recrutements discriminatoires, les mentions litigieuses ne pouvant avoir pour finalité que
d’opérer une sélection des candidats contraire aux dispositions des articles L123-1 et L122-45
et suivants du Code du travail et 225-1 et suivants du Code pénal, refusant d’embaucher ou
subordonnant une offre d’emploi à des critères prohibés de discrimination que sont le sexe et
l’apparence physique.
Le Collège de la Haute autorité décide de porter l’ensemble de ces faits à la connaissance du
Procureur de la République en application de l’article 12 de la loi n°2004-1486 du 30
décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité.
Le Président
Louis SCHWEITZER