Déni de grossesse et droit pénal

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Déni de grossesse et droit pénal
Dossier
Le déni de grossesse
Déni de grossesse et droit pénal
Sébastien Delorge
Lorsque le déni de grossesse aboutit au meurtre de l’enfant, le droit pénal intervient.
Ne s’appuyant pas sur une législation spécifique à ces cas, il revient aux tribunaux de
juger caractériser l’intention lors de la commission des faits.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
Pregnancy denial and penal law. When pregnancy denial ends in the death of the baby,
the law intervenes. With no specific legislation covering such cases, it is up to the courts
to judge the intent when the offence was committed.
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Mots clés
• Déni
de grossesse
• Droit pénal
• Intention de tuer
• Meurtre
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Keywords
• Intent
to kill
• Murder
• Penal
law
• Pregnancy
denial
C’
est par le prisme du droit pénal que la
question du déni de grossesse (DDG)
est apparue sur la scène médiatique
ces dix dernières années, aussi est-il nécessaire de
rappeler quelques grands principes de droit pénal.
J J Il s’agit d’un droit sanctionnateur : il tend à
punir là où le droit civil a une fonction réparatrice
et tend à indemniser la seule victime.
Ainsi, le procès pénal oppose le ministère public (qui
a en charge la défense de l’intérêt général) à un individu, dont on prétend qu’il a eu un comportement
constituant une infraction. La victime, quant à elle,
peut demander réparation et participer au procès,
mais elle sera seulement partie civile.
Pour être punissable, une infraction doit comporter
trois éléments constitutifs :
• un élément légal ;
• un élément matériel ;
• un élément dit moral.
J J Le ministère public doit donc amener la preuve
que le comportement en cause tombe sous le coup
d’une incrimination prévue par la loi, qu’il correspond à la matérialité prévue par le texte et que son
auteur a eu conscience de commettre une infraction
et la volonté de la commettre malgré tout1.
J J Plusieurs qualifications pénales sont susceptibles de s’appliquer lors d’issues tragiques du déni
de grossesse ; toutes ont pour objet de protéger la
vie humaine. Nous étudierons particulièrement la
poursuite pour meurtre.
Le cas du meurtre
J J L’article 221-1 du Code pénal [1] définit le
meurtre comme le fait de donner volontairement
la mort à autrui, il précise ensuite la peine encourue
qui est de 30 ans de réclusion criminelle.
J J L’article 221-4 du même code [2] prévoit une
peine de réclusion criminelle à perpétuité, lorsque
le meurtre est commis sur un mineur de moins
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS
http://dx.doi.org/10.1016/j.revssu.2013.03.008
de 15 ans. Il faut noter ici que le texte ne fait aucune
distinction selon que la victime est âgée d’une heure
ou de 14 ans. Il n’évoque pas plus les qualités de
l’auteur et de la victime. En effet, l’incrimination
spécifique d’infanticide, qui figurait à l’article 300 du
Code pénal, a été supprimée par le législateur dans
le Code pénal de 1994.
J J La matérialité de l’infraction est constituée
par un acte homicide, lequel s’entend selon la jurisprudence d’un acte positif. Il revient au ministère
public d’apporter la preuve de cet acte homicide. Ici,
les expertises médico-légales sont amenées à jouer
un grand rôle : cause de la mort, trace de coups…
autant d’indications permettant de restituer la
réalité des faits. En l’absence de caractérisation de
cet acte, la qualification ne peut être retenue, ce qui
n’empêche nullement l’application d’une qualification plus conforme aux faits2.
La problématique de l’intention
La plus grande difficulté se trouve certainement
dans la caractérisation de l’élément psychologique
de l’infraction : l’intention de tuer.
La jurisprudence a ici posé un ensemble de présomptions permettant de pallier cette difficulté en
induisant l’intention des circonstances (force des
coups, moyens utilisés...).
J J Pour qu’on puisse imputer une quelconque
intention, encore faut-il que l’agent soit en pleine
possession de son libre arbitre (et ici se pose en particulier la question du DDG). Si celui-ci est présumé,
il ne s’agit que d’une présomption simple, dans la
mesure où elle peut être renversée. Un agent dont
il est établi qu’il ne disposait pas de son libre arbitre
n’a pu consciemment avoir la volonté d’atteindre
une des valeurs protégées par le législateur. Ainsi dès
le Code pénal de 1810, le législateur a notamment
introduit une cause d’irresponsabilité pénale de
l’agent : l’état de démence3.
La revue de santé scolaire & universitaire ● Mai-Juin 2013 ● n° 21
Dossier
© Garo/Phanie
Le déni de grossesse
Plusieurs qualifications pénales sont susceptibles
de s'appliquer lors d'issues tragiques du déni de
grossesse.
Dans le Code pénal actuellement en vigueur, la règle
est posée à l’article 122-1 :
« N’est pas pénalement responsable la personne
qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits,
d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant
altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses
actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction
tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. » [3].
J J Or, la majorité de la littérature scientifique,
concernant le déni de grossesse, évoque lors de
l’accouchement “un état de sidération” chez la
femme. On mesure, à la lecture de l’article cité [3],
l’importance de cette notion. La sidération est-elle
constitutive pour l’agent « d’un trouble psychique ou
neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
contrôle de ses actes » ? Auquel cas, l’infraction ne
saurait lui être imputable avec pour conséquence
son irresponsabilité pénale4. Ou bien la sidération
n’est-elle qu’un trouble n’ « ayant [qu’] altéré son
discernement ou entravé le contrôle de ses actes » ? :
hypothèse selon laquelle l’agent sera responsable
pénalement et encourra une peine5.
J J La réponse, le 10 septembre 2009, de la Garde
des sceaux, Michèle Alliot-Marie, à la sénatrice,
Odette Terrade, qui l’interpellait sur la nécessité
de reconnaître le déni de grossesse en tant que
problème de santé publique, est ici éclairante : « Le
phénomène, qu’on appelle communément “le déni de
grossesse”, et dont la définition suscite d’importantes
controverses dans le milieu médical, ne peut, tant qu’il
La revue de santé scolaire & universitaire ● Mai-Juin 2013 ● n° 21
n’est pas clairement défini et identifié, bénéficier d’un
statut juridique autonome porteur d’effets juridiques
(notamment une immunité de poursuite). À ce titre,
pour les affaires dans lesquelles de tels phénomènes
semblent être identifiés, il appartient aux magistrats, pour chaque cas d’espèce, de s’assurer que les
principes généraux régissant les conditions de mise
en œuvre des poursuites pénales, sont remplies. Ils
peuvent, à cet égard, commettre des experts, afin de
répondre à la question de savoir si la mère a souffert
d’un trouble ayant altéré ou aboli son discernement,
conformément aux dispositions de l’article 122-1 du
Code pénal. » [4].
Le problème, posé en ces termes, montre qu’il est
dès lors impératif que les professionnels de santé
et chercheurs approfondissent cette notion et que
parallèlement les professionnels de santé, professionnels du monde judiciaire et plus largement les
citoyens soient mieux informés de ce phénomène
tant les conséquences judiciaires peuvent être dramatiques pour quelqu’un qui, n’en doutons pas,
vient déjà de vivre une tragédie personnelle.
Ainsi que le notait Félix Rome « lorsqu’un tel déni
de grossesse est avéré, la justice des hommes n’est
plus confrontée à un monstre mais à une énigme
qu’il lui est manifestement impossible de résoudre,
notamment sous la forme d’une quelconque sanction,
laquelle serait nécessairement non seulement injuste,
car l’accusée est alors elle-même victime, mais encore
nécessairement inutile, car privée de toute portée,
puisque la meurtrière a alors plus besoin d’être soignée que d’être punie » [5].
•
Notes
Sous réserve des distinctions
opérées à l’article 121-3 du
Code pénal en matière de faute
d’imprudence.
2 À titre d’exemple, on peut
évoquer l’article 227-1 du Code
pénal qui réprime le délaissement
d’un mineur de 15 ans en
un lieu quelconque. L’article
suivant précise que lorsque le
délaissement a provoqué la mort,
il est puni de 30 ans de réclusion
criminelle.
3 Article 64 du Code pénal de
1810 : « Il n’y a ni crime ni délit,
lorsque le prévenu était en état de
démence au temps de l’action, ou
lorsqu’il a été contraint par une
force à laquelle il n’a pu résister. »
4 Cependant, la loi du 25 février
2008 a inséré, à l’article 706-136
du Code de procédure pénale, la
possibilité pour le juge d’ordonner
à l’encontre de la personne
déclarée irresponsable sur ce
fondement, un certain nombre de
mesures de sûreté.
5 Il est précisé que dans ce cas la
juridiction tient compte de cette
circonstance lorsqu’elle détermine
la peine et en fixe le régime. On
aura du mal toutefois à mesurer
cette prise en compte, d’autant
plus lorsque la réclusion criminelle
à perpétuité est encourue.
1 Références
[1] Article 221-1 du Code
pénal, www.legifrance.gouv.fr/
affichCodeArticle.do?cidTexte=LE
GITEXT000006070719&idArticle=
LEGIARTI000006417561&dateTex
te=20130312
[2] Article 221-4 du Code
pénal, www.legifrance.gouv.fr/
affichCodeArticle.do;jsessionid=B
6021B838BCDE5DB212BEC64B8F
C5FB2.tpdjo12v_1?idArticle=LEG
IARTI000006417572&cidTexte=L
EGITEXT000006070719&dateTex
te=20090326
[3] Article 122-1 du Code
pénal www.legifrance.gouv.fr/
affichCodeArticle.do?cidTexte=LE
GITEXT000006070719&idArticle=
LEGIARTI000006417213&dateTex
te=20120717
[4] Sur la reconnaissance
juridique du déni de grossesse,
www.senat.fr/questions/
base/2009/qSEQ090608986.html
[5] Rome F. Noir déni. Paris:
Dalloz; 2009.
Déclaration d’intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir
de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
L’auteur
Sébastien Delorge
spécialiste en sciences
humaines
AFRDG, 28 rue Bertrand-deBorn, 31000 Toulouse, France
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